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pratique | Immunologie 20 OptionBio | Lundi 22 juin 2009 | n° 421 L a polyarthrite rhumatoïde (PR) est le rhu- matisme inflammatoire le plus fréquent en France, où sa prévalence est voisine de 0,5 %. Elle atteint surtout les femmes (sex-ratio de 3/1), entre 40 et 50 ans. Clinique Le tableau est dominé par une polysynovite avec inflammations articulaires bilatérales, symé- triques, distales (mains, pieds) douloureuses. Typiquement, ces douleurs réveillent la nuit et entraînent un enraidissement le matin qui s’at- ténue en quelques minutes ou quelques heures. L’inflammation aboutit à une érosion, avec des- truction progressive des articulations et impotence fonctionnelle. Il existe également des symptômes extra-articulaires : syndrome sec (20 % des cas), nodules rhumatoïdes sous-cutanés ou pulmo- naires, atteinte pulmonaire associée (dilatation des bronches...) et vascularite. Outre l’impotence fonctionnelle, les complications sont cardiovascu- laires (grevant le pronostic) et infectieuses. L’intérêt d’une prise en charge précoce repose sur le fait qu’au stade de PR débutante, l’inflammation initiale, corrélée à la destruction articulaire ulté- rieure, est réversible et accessible au traitement. Plusieurs études ont démontré le bénéfice d’un traitement de fond précoce sur la progression radiographique de la PR, et ce bénéfice est encore plus grand lorsque la maladie est initialement plus agressive. Physiopathologie La PR est une maladie multifactorielle associant susceptibilité génétique et facteurs environne- mentaux. Au plan génétique, les principaux fac- teurs de susceptibilité identifiés sont HLA DRB1, intervenant au niveau des cellules présentatrices de l’Ag, ainsi que PTPN22 et CTL4, participant à l’activation des lymphocytes. Des facteurs environnementaux pourraient jouer le rôle de déclencheur de la maladie : ainsi, une “agression articulaire” telle qu’une infection microbienne, un événement mécanique ou une dysfonction vascu- laire, favoriserait la survenue d’une inflammation articulaire qui se pérenniserait. Le tabagisme pourrait favoriser la sécrétion d’anti-CCP à une phase pré-clinique. In vivo, après agression de la membrane synoviale, les lymphocytes T sont activés, via des stimuli encore inconnus utilisant des voies de signalisa- tion telles que la voie du récepteur des lymphocy- tes T (TCR) ou celle des Toll-like récepteurs. Ces lymphocytes T activés participent à l’inflammation synoviale par le biais de l’activation des lympho- cytes B, la résorption osseuse, l’activation des cel- lules endothéliales et la sécrétion d’interleukines, notamment l’IL17 dont les actions sont multiples. Ainsi, l’angiogenèse est favorisée, les synoviocytes sont activés et sécrètent des enzymes détruisant le cartilage ; les ostéoclastes, activés par la voie Rank-Rank-ligand, sont à l’origine d’érosions osseuses. Les autres cellules participant au pro- cessus inflammatoire sont également activées : les polynucléaires (prépondérants dans le liquide arti- culaire au cours d’une poussée de PR), les macro- phages et les lymphocytes B immatures (CD20) qui se transforment en plasmocytes capables de sécréter des Ac (facteurs rhumatoïdes et Ac anti- CCP) à un stade probablement très précoce. La connaissance de ces mécanismes est importante car elle permet de proposer, grâce à l’identification de cibles, des biothérapies efficaces (anti-TNFal- pha, anti-CD20, CTLA4-Ig...). Biologie La PR étant une maladie inflammatoire d’origine auto-immune, il existe un syndrome inflammatoire avec accélération de la VS et augmentation de la CRP. Ces paramètres sont des éléments pronosti- ques de sévérité (ils font partie du score d’évoluti- vité de la maladie ou Disease Activy Score DAS) et sont utilisés pour le suivi sous traitement. Le liquide articulaire est inflammatoire (> 2 000 élé–ments/mm 3 , polynucléaires princi- palement) ; le CH50 et les fractions C3 et C4 sont normales ou élevées. Chez ces patients, la présence d’auto-Ac donne une orientation diagnostique et pronostique : ce sont les facteurs rhumatoïdes et les Ac anti-pep- tides cycliques citrullinés. Les facteurs rhumatoïdes (FR) Ce sont des auto-Ac de type IgM (ou plus rare- ment IgG et IgA) dirigés contre la fraction Fc des IgG. Ils sont détectés par néphélométrie ou Elisa. Non spécifiques de la PR, ils sont aussi retrouvés dans diverses maladies inflamma- toires, maladies auto-immunes ou chez des sujets sains (5 à 10 %). Au cours de la PR, ils sont souvent absents la première année, mais positifs chez 80 % des patients à 18-24 mois. Près de 20 % des patients ayant une PR restent séronégatifs (FR -). Pertinence des anticorps anti-CCP dans le diagnostic biologique de la polyarthrite rhumatoïde La polyarthrite rhumatoïde étant une maladie inflammatoire d’origine auto-immune, il existe par conséquent un syndrome inflammatoire associé à la présence, parfois inconstante, d’auto-anticorps tels que les facteurs rhumatoïdes, les anticorps anti-cytokératine ou anti-filagrine, les anticorps anti-nucléaires et les anticorps anti-peptides cycliques citrullinés (anti-CCP). Quelle place occupent ces derniers dans le diagnostic, les facteurs pronostiques et la prise en charge thérapeutique de la maladie ? Et quels sont les tests qui permettent aujourd’hui de les doser ? Polyarthrite rhumatoïde - Radiographie de | trois doigts (annulaire, majeur, index). ©BSIP/Cavallini

Pertinence des anticorps anti-CCP dans le diagnostic biologique de la polyarthrite rhumatoïde

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pratique | Immunologie

20 OptionBio | Lundi 22 juin 2009 | n° 421

La polyarthrite rhumatoïde (PR) est le rhu-matisme inflammatoire le plus fréquent en France, où sa prévalence est voisine de

0,5 %. Elle atteint surtout les femmes (sex-ratio de 3/1), entre 40 et 50 ans.

CliniqueLe tableau est dominé par une polysynovite avec inflammations articulaires bilatérales, symé-triques, distales (mains, pieds) douloureuses. Typiquement, ces douleurs réveillent la nuit et entraînent un enraidissement le matin qui s’at-ténue en quelques minutes ou quelques heures. L’inflammation aboutit à une érosion, avec des-truction progressive des articulations et impotence fonctionnelle. Il existe également des symptômes extra-articulaires : syndrome sec (20 % des cas), nodules rhumatoïdes sous-cutanés ou pulmo-naires, atteinte pulmonaire associée (dilatation des bronches...) et vascularite. Outre l’impotence

fonctionnelle, les complications sont cardiovascu-laires (grevant le pronostic) et infectieuses.L’intérêt d’une prise en charge précoce repose sur le fait qu’au stade de PR débutante, l’inflammation initiale, corrélée à la destruction articulaire ulté-rieure, est réversible et accessible au traitement. Plusieurs études ont démontré le bénéfice d’un traitement de fond précoce sur la progression radiographique de la PR, et ce bénéfice est encore plus grand lorsque la maladie est initialement plus agressive.

PhysiopathologieLa PR est une maladie multifactorielle associant susceptibilité génétique et facteurs environne-mentaux. Au plan génétique, les principaux fac-teurs de susceptibilité identifiés sont HLA DRB1, intervenant au niveau des cellules présentatrices de l’Ag, ainsi que PTPN22 et CTL4, participant à l’activation des lymphocytes. Des facteurs environnementaux pourraient jouer le rôle de déclencheur de la maladie : ainsi, une “agression articulaire” telle qu’une infection microbienne, un événement mécanique ou une dysfonction vascu-laire, favoriserait la survenue d’une inflammation articulaire qui se pérenniserait. Le tabagisme pourrait favoriser la sécrétion d’anti-CCP à une phase pré-clinique.In vivo, après agression de la membrane synoviale, les lymphocytes T sont activés, via des stimuli encore inconnus utilisant des voies de signalisa-tion telles que la voie du récepteur des lymphocy-tes T (TCR) ou celle des Toll-like récepteurs. Ces lymphocytes T activés participent à l’inflammation synoviale par le biais de l’activation des lympho-cytes B, la résorption osseuse, l’activation des cel-lules endothéliales et la sécrétion d’interleukines, notamment l’IL17 dont les actions sont multiples. Ainsi, l’angiogenèse est favorisée, les synoviocytes sont activés et sécrètent des enzymes détruisant le cartilage ; les ostéoclastes, activés par la voie Rank-Rank-ligand, sont à l’origine d’érosions

osseuses. Les autres cellules participant au pro-cessus inflammatoire sont également activées : les polynucléaires (prépondérants dans le liquide arti-culaire au cours d’une poussée de PR), les macro-phages et les lymphocytes B immatures (CD20) qui se transforment en plasmocytes capables de sécréter des Ac (facteurs rhumatoïdes et Ac anti-CCP) à un stade probablement très précoce. La connaissance de ces mécanismes est importante car elle permet de proposer, grâce à l’identification de cibles, des biothérapies efficaces (anti-TNFal-pha, anti-CD20, CTLA4-Ig...).

BiologieLa PR étant une maladie inflammatoire d’origine auto-immune, il existe un syndrome inflammatoire avec accélération de la VS et augmentation de la CRP. Ces paramètres sont des éléments pronosti-ques de sévérité (ils font partie du score d’évoluti-vité de la maladie ou Disease Activy Score DAS) et sont utilisés pour le suivi sous traitement.Le liquide articulaire est inflammatoire (> 2 000 élé–ments/mm3, polynucléaires princi-palement) ; le CH50 et les fractions C3 et C4 sont normales ou élevées.Chez ces patients, la présence d’auto-Ac donne une orientation diagnostique et pronostique : ce sont les facteurs rhumatoïdes et les Ac anti-pep-tides cycliques citrullinés.

Les facteurs rhumatoïdes (FR)Ce sont des auto-Ac de type IgM (ou plus rare-ment IgG et IgA) dirigés contre la fraction Fc des IgG. Ils sont détectés par néphélométrie ou Elisa. Non spécifiques de la PR, ils sont aussi retrouvés dans diverses maladies inflamma-toires, maladies auto-immunes ou chez des sujets sains (5 à 10 %). Au cours de la PR, ils sont souvent absents la première année, mais positifs chez 80 % des patients à 18-24 mois. Près de 20 % des patients ayant une PR restent séronégatifs (FR -).

Pertinence des anticorps anti-CCP dans le diagnostic biologique de la polyarthrite rhumatoïde

La polyarthrite rhumatoïde étant une maladie inflammatoire d’origine auto-immune, il existe par conséquent un syndrome inflammatoire associé à la présence, parfois inconstante, d’auto-anticorps tels que les facteurs rhumatoïdes, les anticorps anti-cytokératine ou anti-filagrine, les anticorps anti-nucléaires et les anticorps anti-peptides cycliques citrullinés (anti-CCP). Quelle place occupent ces derniers dans le diagnostic, les facteurs pronostiques et la prise en charge thérapeutique de la maladie ? Et quels sont les tests qui permettent aujourd’hui de les doser ?

Polyarthrite rhumatoïde - Radiographie de |trois doigts (annulaire, majeur, index).

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Dans certains cas, ils ont une valeur prédic-tive positive de la maladie : ils peuvent être détectés près de 10 ans avant le début de la maladie. Ils ont aussi une valeur pronos-tique (une valeur élevée est péjorative) et sont de bons marqueurs de la réponse aux traitements (notamment au méthotrexate et à l’infliximab).

Les anticorps anti-cytokératine ou anti-filagrineMoins sensibles (40-50 %), mais plus spécifiques que les FR (95 %), ils sont détectés par immuno-fluorescence indirecte sur coupes d’œsophage de foie de rat et par Western blot. Ils ont un inté-rêt pour le diagnostic précoce de la maladie et son pronostic, mais la mauvaise reproductibilité des techniques utilisées les a rendus obsolètes ; ils sont désormais remplacés par les anti-CCP.

Les anticorps anti-peptides cycliques citrullinés (CCP)Ce sont des auto-Ac dirigés contre des épito-pes citrullinés, de classe IgG. Ils sont détec-tés par Elisa (kits de 2e génération ou CCP2) en routine, et sont aussi sensibles que les FR, mais beaucoup plus spécifiques de la PR (spécificité > 95 %).Les anti-CCP sont des facteurs pronostiques de la destruction articulaire (les patients atteints

de PR, FR négatifs et anti-CCP positifs sont plus souvent de mauvais pronostic) ; ils ont aussi une très bonne valeur prédictive de la maladie et un impact thérapeutique, puisque la présence des anti-CCP permet une prise en charge plus précoce et/ou plus agressive de la maladie.Récemment sont apparus sur le marché des kits de dosage des Ac anti-CCP de 3e génération (CCP3, util isant des pepti-des différents) et des tests recherchant des Ac dirigés contre d’autres Ag citrulli-nés (vimentine ou fibrinogène citrulliné) ; i ls sont en cours de développement et/ou d’évaluation. Les anti-CCP ne sont pas actuellement inscrits à la nomenclature des actes de biologie médicale (NABM), malgré les recommandations des sociétés savan-tes qui pourraient évoluer vers une recher-che d’anticorps anti-protéines et peptides citrullinés.

Autres auto-Ac dans la PRLes Ac anti-nucléaires (AAN) sont retrouvés dans 20 à 45 % des PR, à taux faible le plus souvent, sans IgG anti-ADN natif. La recherche des AAN est surtout utilisée pour le diagnostic différentiel avec des maladies telles que lupus érythémateux systémique, syndrome de Sjögren ou scléroder-mie systémique.

Recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), septembre 2007Devant des éléments cliniques évocateurs de PR, il convient de prescrire, dès la première consultation, un bilan d’imagerie pour rechercher une érosion ou un pincement articulaire et un bilan biologique associant FR IgM, anti-CCP, VS et CRP, complété d’analyses aidant au diagnostic différentiel avec les autres rhumatismes inflammatoires : hémogramme, transaminases, créatinine, bandelette urinaire et Ac anti-nucléaires + radiographie de thorax.Les facteurs pronostiques définis par la HAS sont l’intensité du syndrome inflammatoire (VS, CRP), la présence de FR et la présence d’Ac anti-CCP. Pour le suivi de la maladie, sont recommandées la VS et la CRP.

ConclusionLes FR et les Ac anti-CCP sont complémentaires dans la PR. La combinaison des anti-CCP avec des Ac dirigés contre d’autres cibles citrullinées devrait permettre d’augmenter les performances de ces tests. |

CAROLE ÉMILE

Biologiste, CH de Montfermeil (93)

[email protected]

Évaluation multicentrique des performances analytiques et diagnostiques du dosage des Ac anti-CCP sur Elecsys®

Cette étude, réalisée dans cinq centres euro-

péens (groupe hospitalier Cochin Saint Vin-

cent de Paul, France ; CHU de Salamanque,

Espagne ; ACR Labor AG à Chur, Suisse ;

CHU de Padoue, Italie ; clinique Johannes

Gutenberg, université de Mayence, Allema-

gne), a analysé la précision du dosage des

Ac anti-CCP sur Elecsys®, sur deux contrôles

de qualité et deux pools de plasma, déter-

miné la limite de détection sur une solution

matrice sans anti-CCP et établi une com-

paraison avec la méthode Eurodiagnos-

tica ImmunoScan® RA, sur 2 269 échan-

tillons dont 792 de sujets atteints de PR,

907 d’autres maladies auto-immunes non

rhumatismales, 150 d’arthrites indifféren-

ciées et 420 sujets sains.

Cette étude retrouve une répétabilité

(CV=0,4 à 1,6 %) et une reproductibilité

(CV=1,5 à 9,9 %) satisfaisantes et établit la

limite de détection à 7 UI/mL.

L’analyse de la courbe ROC a permis de mon-

trer une AUC de 0,82, comparable à celle de

la méthode Eurodiagnostica®, et a déterminé

un seuil optimal de positivité à 17 UI/mL. À

partir de ce seuil, la sensibilité de la techni-

que Elecsys® a été établie à 67,7 % et sa

spécificité à 97 % (sans les arthrites indif-

férenciées en raison d’un manque de suivi

des patients).

La comparaison de la méthode Elecsys® à

la méthode Eurodiagnostica® par les tables

de contingence montre 96,7 % de concor-

dance (analyse réalisée sur les 2 269 échan-

tillons). Les résultats des comparaisons à

d’autres méthodes sont similaires, avec des

taux de concordance compris entre 93,3 et

96,5 %.

Au total, le dosage des anti-CCP sur Elecsys®

présente des performances analytiques satis-

faisantes et comparables à celles d’autres

méthodes commercialisées. En permettant

le dosage quotidien des anti-CCP, elle est

adaptée au diagnostic biologique de la PR.

C.E.

SourceCommunication de J. Wipff, C. Goulvestre et C. Gobeaux lors du 37e Colloque national des biologistes des hôpitaux, Clermont-Ferrand, octobre 2008.