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V. Laurent 222 | La Lettre de l’Infectiologue Tome XXVII - n° 6 - novembre-décembre 2012 DOSSIER THÉMATIQUE Paludisme Physiopathologie du paludisme à Plasmodium falciparum : principaux mécanismes et avancées récentes Pathophysiology of Plasmodium falciparum malaria: main pathways and recent progress V. Laurent 1 , P. Buffet 2-5 , S. Jauréguiberry 3, 4, 6 , F. Bruneel 1 1 Service de réanimation médico- chirurgicale, centre hospitalier de Versailles. 2 Service de parasitologie-mycologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. 3 Centre national de référence du paludisme pour la France métro- politaine. 4 Inserm-université Pierre-et-Marie- Curie, UMRs945. 5 Institut Pasteur de Paris. 6 Maladies infectieuses et médecine tropicale, hôpital de la Pitié-Salpê- trière, Paris. M algré de nombreux travaux récents fonda- mentaux et expérimentaux, la physiopa- thologie du paludisme n’est pas encore parfaitement élucidée. Cela s’explique par son caractère complexe et plurifactoriel. Les principaux mécanismes impliquent l’hôte et le parasite dans des interactions nombreuses et souvent syner- giques. Nous rapportons ici une vue d’ensemble de la physiopathologie du paludisme grave à Plasmodium falciparum, en détaillant les principaux mécanismes incriminés (cellulaires, immunologiques, humoraux), ainsi que certaines données récentes (rôle de la rate, microparticules). La séquestration des hématies parasitées La séquestration peut schématiquement se décomposer en 3 mécanismes : la cytoadhérence, la formation de rosettes et l’autoagglutination. La cytoadhérence est le mécanisme prépondérant et correspond à l’adhérence des hématies parasitées (HP) aux cellules endothéliales. La capacité des HP à lier des hématies non parasitées conduit à la formation de rosettes (rosetting). L’autoagglutina- tion correspond à l’adhérence entre plusieurs HP, phénomène secondaire et probablement favorisé par les plaquettes. La cytoadhérence a lieu principalement dans les capillaires de la microcirculation profonde, parti- culièrement bien étudiée au niveau cérébral (figure 1). Elle se fait au niveau de protubérances électrodenses (knobs) visualisées en microscopie électronique à la surface de la membrane des HP, en regard de la zone de contact avec la cellule endo- théliale. Au niveau moléculaire, la cytoadhérence implique de multiples interactions entre les ligands de l’hématie et les ligands de l’endothélium (1). Les principaux ligands de la paroi des HP sont P. falciparum Erythrocyte Membrane Proteine-1, -2 et -3 (PfEMP-1, -2 et -3) et P. falciparum Histidine Rich Protein-1 et -2 (Pf HRP-1 et -2). Les protéines PfHRP-1, PfEMP-2, PfEMP-3 ne sont pas exprimées à la surface de l’HP, mais localisées à la face interne de sa membrane, où elles interagissent entre elles et avec les protéines du squelette membranaire. En revanche, PfEMP-1 est exprimée en surface et semble être la plus importante (figure 1). P. falci- parum a environ 60 gènes var encodant une protéine PfEMP-1 probablement porteuse d’antigènes diffé- rents capables d’avoir des propriétés de cytoadhé- rence variables. Parmi les autres ligands d’origine parasitaire, on retrouve également des membres des familles des Repetitive Interspersed Family (RIFINS) et des Cytoadherence Linked Asexual Gene (CLAG). Le principal ligand de l’HP, d’origine érythrocytaire et non parasitaire, est une glycoprotéine de surface,

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V. Laurent

222 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 6 - novembre-décembre 2012

DOSSIER THÉMATIQUEPaludisme

Physiopathologie du paludisme à Plasmodium falciparum : principaux mécanismes et avancées récentesPathophysiology of Plasmodium falciparum malaria: main pathways and recent progress

V. Laurent1, P. Buffet2-5, S. Jauréguiberry3, 4, 6, F. Bruneel1

1 Service de réanimation médico-chirurgicale, centre hospitalier de Versailles.2 Service de parasitologie-mycologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.3 Centre national de référence du paludisme pour la France métro-politaine.4 Inserm-université Pierre-et-Marie-Curie, UMRs945.5 Institut Pasteur de Paris.6 Maladies infectieuses et médecine tropicale, hôpital de la Pitié-Salpê-trière, Paris.

Malgré de nombreux travaux récents fonda-mentaux et expérimentaux, la physiopa-thologie du paludisme n’est pas encore

parfaitement élucidée. Cela s’explique par son caractère complexe et plurifactoriel. Les principaux mécanismes impliquent l’hôte et le parasite dans des interactions nombreuses et souvent syner-giques. Nous rapportons ici une vue d’ensemble de la physiopathologie du paludisme grave à Plasmodium falciparum, en détaillant les principaux mécanismes incriminés (cellulaires, immunologiques, humoraux), ainsi que certaines données récentes (rôle de la rate, microparticules).

La séquestration des hématies parasitées La séquestration peut schématiquement se décomposer en 3 mécanismes : la cytoadhérence, la formation de rosettes et l’autoagglutination. La cytoadhérence est le mécanisme prépondérant et correspond à l’adhérence des hématies parasitées (HP) aux cellules endothéliales. La capacité des HP à lier des hématies non parasitées conduit à la formation de rosettes (rosetting). L’autoagglutina-tion correspond à l’adhérence entre plusieurs HP, phénomène secondaire et probablement favorisé par les plaquettes.

La cytoadhérence a lieu principalement dans les capillaires de la microcirculation profonde, parti-culièrement bien étudiée au niveau cérébral (figure 1). Elle se fait au niveau de protubérances électrodenses (knobs) visualisées en microscopie électronique à la surface de la membrane des HP, en regard de la zone de contact avec la cellule endo-théliale. Au niveau moléculaire, la cytoadhérence implique de multiples interactions entre les ligands de l’hématie et les ligands de l’endothélium (1). Les principaux ligands de la paroi des HP sont P. falciparum Erythrocyte Membrane Proteine-1, -2 et -3 (PfEMP-1, -2 et -3) et P. falciparum Histidine Rich Protein-1 et -2 (Pf HRP-1 et -2). Les protéines PfHRP-1, PfEMP-2, PfEMP-3 ne sont pas exprimées à la surface de l’HP, mais localisées à la face interne de sa membrane, où elles interagissent entre elles et avec les protéines du squelette membranaire. En revanche, PfEMP-1 est exprimée en surface et semble être la plus importante (figure 1). P. falci-parum a environ 60 gènes var encodant une protéine PfEMP-1 probablement porteuse d’antigènes diffé-rents capables d’avoir des propriétés de cytoadhé-rence variables. Parmi les autres ligands d’origine parasitaire, on retrouve également des membres des familles des Repetitive Interspersed Family (RIFINS) et des Cytoadherence Linked Asexual Gene (CLAG). Le principal ligand de l’HP, d’origine érythrocytaire et non parasitaire, est une glycoprotéine de surface,

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Cellule endothéliale

Globule rouge parasitéPfEMP 1

Globule rouge

Globule blanc

Plaquette

Microparticules

Neurone

Cytokines

Séquestration des globules rouges parasités et non parasités, et des plaquettes

Relargage de citokines pro-et anti-inflammatoires

Relargage de microparticules

Lésions des cellules endothéliales

Apoptose cellulaire

Sens du flux sanguin

Figure 1. Schéma résumant les mécanismes du paludisme grave à Plasmodium falciparum au niveau des capillaires cérébraux.

La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 6 - novembre-décembre 2012 | 223

Points forts » La physiopathologie du paludisme est complexe, encore imparfaitement élucidée, et fait l’objet de très

nombreux travaux de recherche. » Le mécanisme prépondérant est la séquestration qui correspond aux interactions entre les hématies

parasitées et l’endothélium des vaisseaux capillaires. » P. falciparum stimule aussi la réaction inflammatoire et l’immunité innée et adaptative. » Les rôles des plaquettes et des microparticules cellulaires ont été plus récemment étudiés. » La rate participe à la réaction immunologique et a un rôle central et original de filtration, de rétention,

de destruction et d’épépinage des hématies parasitées.

Mots-clésPaludismePhysiopathologieCytoadhérenceCytokineRatePitting

Highlights » The pathophysiology of

malaria is complex; still imper-fectly known, it is a major field of research.

» The main pathway is cytoad-herence between parasitized red blood cells and endothelial cells of the capillaries of the host’s organs.

» P. falciparum also strongly induces both inflammatory and immunologic responses.

» The participation of platelets and microparticles has recently been described.

» The spleen plays a part in the immunologic response, but morever it has a very specific part in filtration, retention, destruction and pitting of the parasitized red blood cells.

KeywordsMalaria

Pathophysiology

Cytoadherence

Cytokine

Spleen

Pitting

la bande 3 qui, modifiée par le parasite, aurait un rôle dans la séquestration (2). Les principaux ligands de la surface endothéliale font partie de la superfamille des immunoglobulines (ICAM-1, VCAM-1, PECAM-1), des glycoprotéines (CD-36, sélectine E, thrombospondine, sélectine P) ou des glyco-aminoglycanes comme le chondroïtine sulfate A (CSA).L’intensité de la séquestration est au moins en partie corrélée avec la gravité du paludisme. Les amas d’hématies, parasitées ou non, par cytoadhérence, rosetting et auto-agglutination, réduisent le flux sanguin au niveau des microvaisseaux profonds, principalement cérébraux (figure 1). Ce phénomène d’altération du flux est aggravé par la réduction de la déformabilité des HP (3). Même si les nécroses tissulaires sont rares, et que les signes, notamment neurologiques, peuvent être réversibles, l’hypoxémie et la perfusion tissulaire inadéquates, aggravées par l’anémie et l’hypoglycémie, sont responsables de

lésions cérébrales. La séquestration parasitaire au sein du réseau vasculaire est difficile à quantifier. En effet, la parasitémie ne représente que la biomasse parasitaire circulante. Le taux plasmatique d’HRP-2 semble être un meilleur reflet de la biomasse para-sitaire totale (circulante et séquestrée) [4]. Au final, les HP séquestrées dans les capillaires profonds, agglutinant des hématies saines et des plaquettes, se trouvent protégées pour progresser dans le cycle parasitaire, mais aussi pour produire et stimuler une variété de molécules bioactives qui participent au processus pathologique.

La réponse humorale

Les cytokines

La réponse immunitaire aux agents infectieux est principalement initiée par l’interaction des Pathogen

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DOSSIER THÉMATIQUEPaludisme

Associated Molecular Patterns (PAMP) avec les récep-teurs exprimés par les cellules de l’hôte. Beaucoup d’études impliquent la principale toxine de P. falci-parum, le glycosylphosphatidylinositol (GPI), en tant que PAMP du parasite. Le GPI purifié induit l’expression de nombreux gènes impliqués dans la pathogenèse du paludisme, par exemple les gènes qui codent pour les cytokines pro-inflammatoires, comme le Tumor Necrosis Factor (TNF), l’interleu-kine 1 (IL-1) et différentes molécules d’adhésion qui sont exprimées à la surface de l’endothélium (5). Ce dernier mécanisme illustre bien la synergie entre réaction humorale et cytoadhérence (6). Le rôle des cytokines dans la pathogénie n’est pas connu avec précision. Le TNF est la cytokine pro-inflammatoire la plus étudiée. La sécrétion de TNF, cytokine pyro-gène essentiellement produite par les macrophages activés, serait secondaire à la rupture paroxystique des schizontes qui libèrent les mérozoïtes, expliquant ainsi les importantes variations des taux circulants de cette cytokine. Le TNF est surexprimé près des zones de séquestration intense ; il augmente l’expression d’ICAM-1 à la surface des cellules endothéliales, favorisant ainsi la cytoadhésion des HP (7). Au stade précoce de la maladie, le TNF pourrait jouer un rôle protecteur, alors qu’il jouerait le rôle inverse au stade tardif (8). Il est aussi impliqué dans la régulation de la transmission sympathique ; il stimule la synthèse de l’oxyde nitrique (NO), et pourrait participer ainsi aux symptômes du neuropaludisme.

Mécanismes immunitaires

L’infection par P. falciparum stimule la réponse immunitaire de l’hôte. Ces réponses mettent en jeu le système immunitaire inné aussi bien que le système adaptatif. L’immunité innée se mobilise dès les premières heures de l’infection, et l’immu-nité adaptative est opérationnelle dans les 10 jours suivants. Les neutrophiles, les monocytes et les cellules NK (Natural Killer) semblent jouer un rôle prépondérant dans l’immunité innée observée au cours de la phase précoce du paludisme. Le taux des cellules NK augmente tant qu’elles sont capables de détruire in vitro les globules rouges parasités par P. falciparum (9). Elles sont aussi de puissantes productrices de cytokines telles que l’IFNγ. Les cytokines libérées lors de l’activation endothéliale peuvent recruter les monocytes et activer les neutro-philes (figure 1, p. 223). Les monocytes recrutés peuvent ensuite se différencier en macrophages, qui se mobilisent dans les microvaisseaux. Les macro-

phages peuvent aussi être activés directement par le GPI, comme pourrait le faire une endotoxine bacté-rienne. Ce processus est accru par l’IFNγ. Les macro-phages activés produisent plus de chémokines, ce qui amplifie l’infiltration cellulaire, la séquestration des HP et le relargage de microparticules. C’est seulement après plusieurs cycles que les lymphocytes T entrent en jeu, libérant à leur tour des cytokines et des chémokines pouvant être respon-sables de lésions (10).

Rôle des plaquettes et des microparticules

Plaquettes

Le rôle des plaquettes au cours du paludisme grave fait l’objet de plus en plus de publications (figure 1, p. 223). Il y a de nombreuses voies possibles par lesquelles les plaquettes pourraient affecter la fonction et la viabilité des cellules endothéliales et promouvoir l’adhésion des leucocytes. Les plaquettes, avec d’autres types de cellules, peuvent moduler l’expression des molécules d’adhé-sion (ICAM-1) et la production de cytokines comme l’IL-6 par les cellules endothéliales via le relargage d’IL-1. Ainsi, elles peuvent améliorer l’adhésion des leucocytes aux cellules endothéliales et augmenter la susceptibilité des cellules endothéliales au TNF. Ces mécanismes peuvent participer à la séquestration et favoriser les hémorragies constatées au cours du neuropaludisme. Ensuite, les microparticules dérivées des plaquettes modulent le métabolisme endothélial et augmentent l’adhérence entre les plaquettes, les leucocytes et les cellules endothéliales par une régula-tion positive de l’expression des molécules d’adhésion et des intégrines comme ICAM-1 et le récepteur aux macrophages 1 (11). Les plaquettes peuvent aussi altérer les cellules endothéliales en potentialisant la production de cytokines par les leucocytes. Elles sont également capables de moduler l’interaction avec les HP par le biais de leur antigène de surface CD-36 et de participer ainsi à l’occlusion des capillaires. Enfin, les plaquettes jouent le rôle d’intermédiaire dans l’agglutination des HP (12).

Microparticules

Les microparticules sont désormais considérées comme jouant un rôle important dans le dévelop-pement du neuropaludisme (figure 1, p. 223). Ce

Physiopathologie du paludisme à Plasmodium falciparum : principaux mécanismes et avancées récentes

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MF

MF/CD

Débit artérielentrant

Circulation rapide “fermée”

Zone périfolliculaire (ZPF)

Interactions ligand – récepteurentre globules rouges et macrophagesCirculation “ouverte”

et lente

Cordons de la pulpe rouge

Rétention de globules rouges rigidesPitting de corps figurés intraérythrocytaires

Modifications des GR induites par la stasePhagocytose/recyclage du fer

Instauration d’une réponse spécifique d’antigène Débit veineux

sortant

1. Préfiltration

2. Filtration stricto sensu

3. Post-filtration

Court-circuitZPF - sinus

Sinus

Cellulesendothéliales

Fibres basales

Veinule post-sinusale

Figure 2. Structure schématique et organisation de l’unité fonctionnelle filtrante splénique : le “splénon”, terme forgé par analogie avec le “néphron”, unité fonctionnelle filtrante rénale. La microcirculation splénique comporte 2 cheminements parallèles : la circulation rapide et fermée et la circulation ouverte et lente, par où passent respectivement 90 % et 10 % du débit sanguin splénique. La circulation dans les cordons de Billroth (pulpe rouge) est dite “ouverte” car se produisant dans des espaces dépourvus d’endothélium. La circulation y est 20 fois plus lente que dans la circulation rapide, ce qui facilite les inter-actions étroites avec les macrophages (MF) qui représentent environ la moitié du volume des cordons (étape de “préfiltration” reposant sur des interactions “conventionnelles” de type ligand-récepteur). Le retour à la circulation générale impose la traversée de la paroi sinusale qui sollicite de façon rigoureuse la déformabilité érythrocytaire (étape de filtration stricto sensu). Pour éviter la saturation du filtre splénique, les globules rouges retenus aux étapes précédentes doivent être éliminés. Cette élimination se fait probablement par phagocytose (MF ou cellules dendritiques [CD]), qui permet le recyclage du fer et l’instauration d’une réponse spécifique d’antigène. Cette troisième étape de postfiltration fait le lien entre les étapes innées de rétention érythrocytaire et l’immunité adaptative.

La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 6 - novembre-décembre 2012 | 225

DOSSIER THÉMATIQUE

sont des vésicules microscopiques (de 0,2 à 1 μm) dérivées des membranes cellulaires de différentes cellules, extériorisées durant un phénomène physio-logique connu sous le nom de “vésiculation”. Les microparticules qui en découlent ont une bicouche lipidique parsemée de phosphatidylsérine, tandis que leur membrane externe exprime les antigènes de leur cellule d’origine (13).Dans les conditions physiologiques normales, les microparticules dérivent de tous les types cellulaires et principalement des plaquettes, des érythrocytes, des leucocytes et des cellules endothéliales. Les amino-phospholipides exprimés à leur surface permettent des sites d’attache pour les facteurs de coagulation (IXa, VIII, Va, prothrombinase et la ténase), ce qui facilite les interactions de cellule à cellule, la signa-lisation, la coagulation et l’inflammation (14).. Le rôle des microparticules dans la pathogenèse de la maladie est suggéré par les modèles expé-rimentaux de neuropaludisme, où les taux de MP sont augmentés dans le plasma au moment de l’at-teinte cérébrale. A contrario, l’absence de surpro-duction de microparticules est associée à l’absence de neuropaludisme, à parasitémie égale (15). Enfin, chez des enfants atteints de neuropaludisme, le taux de microparticules d’origine plaquettaire est corrélé à la profondeur et à la durée du coma (16).

Rôle de la rate dans la physiopathologie du paludisme La grande fréquence de la splénomégalie en zone d’en-démie palustre (17), la survenue de ruptures spléniques pathologiques au cours ou au décours immédiat d’accès palustres (18) et, surtout, la gravité plus fréquente et plus marquée des premiers accès chez les patients splénectomisés (19) illustrent le rôle central de la rate dans la physiopathologie du paludisme. Les stades pathogènes de P. falciparum se développent dans les globules rouges et en modifient les propriétés (20). Il est logique que l’organe ayant pour fonction (entre autres) de contrôler la qualité des globules rouges (21) influence le cours de l’infection. Lors de leur passage par la rate, les globules rouges entrent en contact étroit avec les macrophages de la pulpe rouge et sont alors phagocytés si leur surface est altérée ou opsonisée (figure 2) [21, 22]. Les globules rouges franchissant cette première étape, traversent ensuite une structure microanatomique spécifique – la paroi sinusale – qui contrôle leurs propriétés mécaniques et retient ceux qui sont insuffisamment déformables (figure 2) [21,

23, 24]. De nouveaux outils tels que la perfusion de rate humaine ex vivo (25) et la filtration sur micro sphères (microfiltration) [26] ont été développés pour explorer expérimentalement ces phénomènes physiologiques. Ces outils ont montré la rétention splénique d’une partie des globules rouges parasités par P. falciparum, tant au stade asexué responsable des symptômes du paludisme (27) qu’au stade sexué impliqué dans la transmission (gamétocytes) [28]. La topographie de cette rétention et d’autres mesures biophysiques ont montré qu’une partie des formes jeunes, normalement circulantes, sont retenues de façon mécanique dans la rate (27). Ce processus inné réduirait la biomasse susceptible de cytoadhérer quelques heures plus tard dans les capillaires des organes cibles (cerveau, rein) et capable de poursuivre la multiplication (29). L’âge de l’hôte a – indépendamment du niveau d’endémie – une influence sur la gravité des premiers accès (30).

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DOSSIER THÉMATIQUEPaludisme

Physiopathologie du paludisme à Plasmodium falciparum : principaux mécanismes et avancées récentes

Le ou les mécanismes par lesquels le jeune âge réduit le risque de paludisme grave sont actuellement inconnus (19). Il est possible que l’intensité variable de cette rétention splénique détermine en partie l’évolution ou bien vers l’anémie palustre grave du nourrisson (rétention forte, évolution subaiguë, charge parasitaire moyenne), ou bien vers le neuropaludisme du jeune enfant (faible rétention, évolution rapide, forte charge parasitaire) [29]. La rétention mécanique est très probablement un déterminant important de la circulation des gamétocytes et donc de la trans-mission (28). L’expression de la famille multigénique stevor est associée à ces modifications phénotypiques (28, 31). La rate joue aussi un rôle important dans la clairance parasitaire sous traitement antipaludique, particu-lièrement lorsque le traitement comporte un dérivé de l’artémisinine (artésunate, dihydroartémisinine) [32]. Lors du franchissement de la paroi sinusale splénique, les corps figurés intraérythrocytaires non déformables peuvent être expulsés du globule rouge sans que ce dernier soit lysé. Ce processus original, nommé épépinage (ou “pitting”), est mis en œuvre

physiologiquement pour éliminer du globule rouge les résidus nucléaires. L’importance de ce phénomène est abordée dans l'article consacré à l’utilisation de l’artésunate i.v. en France.

Conclusion

La physiopathologie du paludisme implique donc des mécanismes cellulaires, humoraux et immunolo-giques qui s’avèrent complexes et intriqués. L’acteur principal qui fait la spécificité de cette infection est bien l’hématie parasitée qui interagit avec les cellules de l’hôte. La rate est concernée par ces mécanismes tout en exerçant un rôle de filtration et de régulation cinétique. Tous ces mécanismes sont potentielle-ment influencés par des polymorphismes de l’hôte et du parasite, rappelant l’importance particulière de la génétique dans l’expression de cette infection. Enfin, ces mécanismes sont autant de pistes pour imaginer, élaborer, voire évaluer de potentiels traitements adjuvants (molécules diminuant la cytoadhérence, immunomodulateurs, neuroprotecteurs, etc.). ■

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