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JEAN PIAGET La naissance de l'intelligence chez l'enfant Fondation Jean Piaget Avant-propos et Introduction de La naissance de l'intelligence chez l'enfant (Delachaux et Niestlé, 1936) La pagination du présent document correspond à la 9 ème édition de l'ouvrage parue en 1977. Version électronique réalisée par les soins de la Fondation Jean Piaget pour recherches psychologiques et épistémologiques.

PIAGET, Jean - Le Langage Et La Pensée Chez l’Enfant

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Le langage et la pensée chez l'enfant.

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JEAN PIAGETLa naissance de l'intelligencechez l'enfantFondation Jean PiagetAvant-propos et Introduction deLa naissance de l'intelligence chez l'enfant(Delachaux et Niestl, 1936)La pagination du prsent document correspond la 9me dition de l'ouvrage parue en 1977. Version lectronique ralise par les soins de laFondation Jean Piaget pour recherchespsychologiques et pistmologiques.A Valentine PiagetAVANT-PROPOS DE LA SECONDE DITIONCet ouvrage, dont on veut bien nous demander une seconde dition, a tsuivi parla Constructiondurelchezl'enfant etdevaittre complt par une tude sur la gense de l'imitation chezl'enfant.Cette dernire recherche, dont nous avonsdiffr lapublication, carelle s'est lie de prs l'analyse du jeuetdes sources du symbole reprsentatif, a paruen1945,insreenuntroisimeouvrageLaformationdu symbole chez l'enfant. Ces trois ouvrages forment donc ensemble un seul tout, consacr aux dbuts de l'intelligence, c'est--dire auxdiverses manifestationsdel'intelligencesensori-motriceetauxformeslesplus lmentaires de la reprsentation.Les thses dveloppes dans le prsent volume, concernant en particu-lier la formation des schmes sensori-moteurs etle mcanisme de l'assi-milation mentale, ont donn lieu de nombreuses discussions, dont nous nous flicitons etpropos desquelles nous tenonsremercier nos con-tradicteursounospartenairesdel'intrtbienveillantqu'ilsontbien voulu tmoigner notre effort. Il nous est impossible de citer ici tous les auteursdontnousaimerionscommenterlesremarques,maisil faut, nous semble-t-il faire une mention particulire des tudes remarquables de H. Wallon et P. Guillaume.Danssonbel ouvrage De l'acte lapense, H.Wallonnous afaitl'honneurd'une longuediscussion,surles dtails de laquelle noussommesdjrevenudans Laformationdusymbolechez l'enfant.L'idecentraledeWallonestlacoupurequ'ilintroduit entre le domainesensori-moteur (caractris par l' intelligence des situations )et celui de lareprsentation (intelligence verbale). Aus-sibien,saremarquabletudesurLesoriginesdelapense chezl'enfant,paruedepuis,fait-elleremonterlessourcesdela pense quatre ans environ, comme s'il ne se passait rien d'essentiel entre les conqutes de l'intelligence sensori-motrice et les dbuts de la reprsentation conceptuelle. A une thse aussi radicale, dont on voit com-bienelle contreditcequenousdfendons dans leprsentouvrage, nous pouvons aujourd'hui rpondre en invoquant deux sortes d'arguments.Enpremierlieu,l'tudeminutieused'unterrainprcis,celuidu dveloppementdesreprsentationsspatiales,nousaconduits,avec B. Inhelder, dcouvrir une continuit encore bienplus grande qu'il ne semblaitentrele sensori-moteur etlereprsentatif.Sans doute rien ne passe directement de l'unde ces plans l'autre, et tout ce que l'intelli-gencesensori-motriceaconstruitdoitd'abordtrereconstruitparla reprsentationnaissante avantquecelle-cinedbordeleslimitesde ce quilui sertde substructure. Mais lerle de cette substructure n'enest pas moins vident : c'est parce que le bb commence par construire,en coordonnant ses actions, des schmes tels que ceux de l'objet permanent, des embotements deux ou trois dimensions,des rotations et transla-tions,dessuperpositions,etc.,qu'ilparvientensuiteorganiserson espace mental et, entre l'intelligence prverbale et les dbuts de l'in-tuitionspatialeeuclidienne,viennents'insrerunesried'intuitions topologiques que l'on voit l'uvre dans le dessin, la strognosie, la constructionetl'assemblage d'objets,etc., c'est--direendesrgionsde transition entre le sensori-moteur et le reprsentatif.Ensecond lieu, etsurtout, c'est l'activit sensori-motrice prverbale qu'est due la construction d'une srie de schmes perceptifs dont on ne sau-rait, sans simplificationexagre, nier l'importance dans la structuration ultrieure de la pense. Ainsi les constances perceptives de la forme et de la grandeur sont lies la construction sensori-motrice de l'objet permanent : or,commentpenseraitl'enfant de quatre ans sans croire des objets de forme et de dimensions invariantes, et comment adopterait-il cette croyance sans une longue laboration sensori-motrice pralable ? Sans doute les schmes sensori-moteurs ne sont pas des concepts, et la parent fonctionnelle sur laquelle nous insistons dans le prsent ouvrage, n'exclut en rien l'opposition de structure entre ces termes extrmes,mal-gr la continuit des transitions. Mais, sans schmes pralables,la pen-senaissante serduiraitduverbalpur,ceque laissentsouponner bien des faits cits par Wallon en son dernier ouvrage : or, c'est prcis-mentsur le planconcretdes actions que lapetite enfance manifeste le mieuxsonintelligence,jusqu'aumomentovers septhuitans, les actions coordonnes se traduisent en oprations, susceptibles de structurer logiquemenl la pense verbale de l'appuyer sur un mcanisme cohrent.Bref,lathsedeWallonngligelastructurationprogressive des oprations et c'est pourquoi elle oppose trop radicalement leverbalausensori-moteuralorsquelasubstructuresensori-motriceest ncessaire la reprsentation pour que se constituent les schmes opra-toires destins fonctionner enfin de compte de faon formelle et r-concilier ainsi le langage et la pense.Quant l'tude si intressante de P. Guillaume 1, elle s'accorde au contraire dans les grandeslignesavecnos conclusions,sauf cependant sur un point essentiel. Conformment ses interprtations inspires par la thorie de la forme , P. Guillaume introduit une distinctionfon-damentaleentrelesmcanismes perceptifsetlesprocessusintellectuels, quitteexpliquerlessecondsenpartantdes premiers(l'inversede Wallon). Ilserait trop long de reprendre en dtail cette discussiondans une prface. Bornons-nous rpondre que l'tude systmatique des per-ceptions chez l'enfant, laquelle nous nous sommes attachs depuis avec Lambercier 2, nous aconduits au contraire douter de la permanence desconstantes perceptives auxquellescroitP. Guillaume (constancede lagrandeur,etc.)etintroduireunedistinctionentrelesperceptions instantanes,avec leurs caractres surtout rceptifs et une activit per-ceptive les reliant les unes aux autres dans l'espace et dans le temps, seloncertainesloisremarquables(enparticulier unemobilitetune rversibilit croissantes avec l'ge). Or,cette activitperceptive,nglige en partie par la thorie de la forme, n'est qu'une manifestation des acti-vits sensori-motrices dont l'intelligence prverbale constitue l'expression. Ilyadonc sansdoutebien,dans l'laborationdesschmessensori-moteurs de la premire anne, une interaction troite entre la perception et l'intelligence sous ses formes les plus lmentaires.Genve, juin 1947.JEAN PIAGET1P.GUILLAUME,L'intelligencesensori-motriced'aprsJ.Piaget,Journalde psychologie , avril-Juin 1940-41 (annes XXXVII-XXXVIII), p. 264-280.2VoirRecherchessurledveloppementdesperceptions(I-VIII)in Archivesde psychologie 1942-1947.6LA NAISSANCE DE L'INTELLIGENCEAVANT-PROPOS7INTRODUCTIONLE PROBLEME BIOLOGIQUEDE L'INTELLIGENCELaquestion des rapports entre laraison etl'organisation bio-logique se pose ncessairement au dbutd'une tude sur lanais-sancedel'intelligence.Il estvrai qu'unetellediscussion nesau-raitconduire aucune conclusionpositive actuelle,mais,plutt que de subir implicitement l'influence de l'une des quelques solu-tionspossiblesdeceproblme,il vautmieuxchoisirentoute lucidit pour dgager lespostulatsd'o l'on partdanslarecher-che.L'intelligence verbale ou rflchie repose sur une intelligence pratique ou sensori-motrice,qui s'appuie elle-mme sur les habi-tudesetassociationsacquisespourlesrecombiner.Celles-ci supposent,d'autrepart,lesystmedesrflexes,dontlacon-nexionaveclastructureanatomiqueetmorphologiquedel'or-ganisme est vidente.Il existe donc une certaine continuit entre l'intelligence etlesprocessus purement biologiquesde morpho-gense et d'adaptation au milieu. Quelle est sa signification ?Il estvident,toutd'abord,que certainsfacteurshrditaires conditionnentledveloppementintellectuel.Maiscelapeutse prendre en deux sensbiologiquement sidiffrentsque leur con-fusion est vraisemblablement ce qui a obscurci le dbat classique des ides innes et mme de l'a priori pistmologique.Lesfacteurshrditairesdupremiergroupesontd'ordre structural et sont lis la constitution de notre systme nerveux et de nosorganesdessens.C'est ainsi que nous percevons cer-tainsrayonnementsphysiques,maispastous,quenousperce-vonslescorpsunecertainechelleseulement,etc.Orces donnesstructuralesinfluentsurlaconstructiondesnotions lesplusfondamentales.Par exemple, notre intuition de l'espace est certainement conditionne par elles, mme si, par la pense,nous parvenons laborer des espaces transintuitifs et purement dductifs.Ces caractres du premier type, touten fournissant l'intelli-gence d'utiles structures,sont donc essentiellement limitatifs, par oppositionauxfacteurs dusecond groupe.Nosperceptionsne sont que ce qu'elles sont,parmi toutes celles qui seraient conce-vables.L'espace euclidien li nos organes n'est que l'un de ceux quis'adaptentl'expriencephysique.Aucontraire,l'activit dductiveetorganisatricedelaraisonestillimiteetconduit prcisment,dansle domaine del'espace,desgnralisations dpassanttoute intuition. Pour autantque cette activit est hr-ditaire,c'est donc en un tout autre sens : il s'agira,dans ce second type,d'une hrdit du fonctionnement lui-mme et non pas de la transmission de telle ou telle structure. C'est en ce second sens que H. Poincar a pu considrer lanotion spatiale de groupe comme a priori, parce que lie l'activit mme de l'intelligence.Quant l'hrdit de l'intelligence comme telle,nousretrou-vonslamme distinction. D'une part,une question de structure : l'hrditspciale del'espcehumaineetdeseslignes particulires comporte certains niveaux d'intelligence,suprieurs celui dessinges,etc.Mais,d'autre part,l'activitfonctionnelle de laraison (l'ipseintellectusqui nevientpasde l'exprience)est videmment lie l' hrdit gnrale de l'organisation vitale elle-mme:demmequel'organismenesauraits'adapteraux variationsambiantess'il n'taitpasdjorganis,de mmel'in-telligencenepourraitapprhenderaucunedonneextrieure sanscertaines fonctionsdecohrence (dontleterme ultime est le principede non-contradiction),demiseen relations,etc,qui sont communes toute organisation intellectuelle.Or,cesecondtypederalitspsychologiqueshrditaires estd'une importance capitale pour le dveloppementde l'intel-ligence.Si vraiment,en effet,il existeunnoyau fonctionnel de l'organisation intellectuelle qui procde del'organisation biolo-giquedanscequ'elleadeplusgnral,ilestvidentquecet invariantorienteral'ensemble desstructuressuccessivesquela raison valaborerdansson contactavec lerel :il joueraainsi lerlequelesphilosophesontattribul'apriori,c'est-a-dire qu'il imposera aux structures certainesconditions ncessaires et irrductiblesd'existence.Seulementonaeuparfoisletortde regarderl'a prioricommeconsistantenstructurestoutesfaites et donnesdsle dbut du dveloppement,tandis que si l'inva-riant fonctionnel de la pense est l'uvre ds les stades les plus8LA NAISSANCE DE L'INTELLIGENCELE PROBLME BIOLOGIQUE9primitifs,cen'estquepeupeuqu'ils'impose laconscience grcel'laborationdestructurestoujoursplusadaptesau fonctionnement lui-mme. Ds lorsl'a priorine se prsente sous formedestructuresncessairesqu'autermedel'volutiondes notions et non pas leur dbut : tout en tant hrditaire, l'a priori est donc aux antipodes de ce qu'on appelait jadis les ides innes .Quant aux structures du premier type, elles rappellent davan-tage les ides innes classiques et l'on a pu rajeunir le nativisme propos de l'espace et des perceptions bien structures du Ge-staltisme. Mais, ladiffrence des invariants d'ordre fonctionnel, cesstructures n'ont rien de ncessaire du pointde vue de larai-son : ce ne sont que desdonnes internes, limites et limitatives, quel'exprience extrieureetsurtoutl'activitintellectuelle d-passeront sanscesse.Si elles sonten un sensinnes,ellesn'ont rien d'a priori, au sens pistmique du terme.Analysonsd'abordlesinvariantsfonctionnels,puis(au3) nousdiscuterons laquestion que pose l'existence desstructures hrditaires spciales (celles du premier type).1.LESINVARIANTSFONCTIONNELSDEL'INTELLIGENCE ETL'ORGANISATIONBIOLOGIQUE.L'intelligenceestune adaptation. Pour saisir ses rapports avec la vie en gnral il s'agit donc de prciser quelles relations existent entre l'organisme et le milieuambiant.Eneffet,lavieestunecrationcontinuede formes de plusen plus complexeset une mise en quilibrepro-gressive entre ces formes et le milieu. Dire que l'intelligence est un casparticulierdel'adaptationbiologique,c'estdoncsupposer qu'elle estessentiellementune organisation et que sa fonction est de structurer l'universcommel'organisme structure lemilieuim-mdiat.Pourdcrirele mcanismefonctionnel delapenseen termesbiologiquesvrais,il suffiradslorsdedgager lesinva-riants communs toutes les structurations dontlavie est capable. Cequi esttraduire entermesd'adaptation,ce nesontpasles buts particuliersque poursuitl'intelligence pratique ses dbuts (cesbutss'largirontensuitejusqu'embrassertoutlesavoir), c'est le rapport fondamental propre laconnaissance elle-mme : le rapportde lapenseetdeschoses.L'organismes'adapteen construisant matriellement des formes nouvelles pour lesinsrer dans celles de l'univers, tandis que l'intelligence prolonge une telle cration en construisant mentalement des structures susceptibles de s'appliquer celles du milieu. En un sens et au dbut de l'volu-tion mentale, l'adaptation intellectuelle est donc plus restreinte quel'adaptation biologique,mais en prolongeantcelle-ci, celle-l lad-borde infiniment :si,du point de vue biologique, l'intelligence est un cas particulier de l'activit organique et si les choses perues ou connuessontunepartierestreintedumilieuauquell'organisme tend s'adapter, il s'opre ensuite un renversement de ces rapports. Mais cela n'exclut en rien la recherche d'invariants fonctionnels.Ilexiste,eneffet,dansledveloppementmental,desl-mentsvariablesetd'autresinvariants.D'olesmalentendusdu langagepsychologique,dontcertainsaboutissentl'attribution decaractressuprieursauxstadesinfrieursetlesautresla pulvrisation des stades et des oprations. Il convient donc d'vi-terlafoisle prformisme delapsychologieintellectualiste et l'hypothsedeshtrognitsmentales.Lasolutiondecette difficultestprcismenttrouver dansladistinctionentreles structures variables et les fonctions invariantes. De mme que les grandesfonctionsdel'trevivantsontidentiquescheztousles organismes,maiscorrespondentdesorganesfortdiffrents d'ungroupel'autre,de mme entrel'enfantetl'adulte onas-sisteune constructioncontinuede structuresvariesquoique les grandes fonctions de la pense demeurent constantes.Or cesfonctionnements invariantsrentrent dans le cadre des deuxfonctionsbiologiqueslesplusgnrales:l'organisationet l'adaptation.Commenonsparcettedernire,carsichacunre-connatquetoutestadaptation dansle dveloppementintellec-tuel, on ne peut que dplorer le vague de ce concept.Certainsbiologistesdfinissentsimplementl'adaptation par la conservation et lasurvie, c'est--dire l'quilibre entre l'organisme etlemilieu.Maislanotionperdalorstoutintrt,carellese confond avec celle de lavie elle-mme.Il y adesdegrsdans la survie etl'adaptationimplique leplusetle moins.Il fautdonc distinguer l'adaptation-tatet l'adaptation-processus.Dans l'tat, rien n'est clair.Asuivre le processus,les chosesse dbrouillent : ilyaadaptation lorsque l'organisme setransformeenfonction du milieu,etquecettevariationapoureffetunaccroissement des changes entre le milieu et lui favorables sa conservation.Cherchonsprciser,d'un pointde vue tout formel.L'orga-nisme estun cycle de processus physico-chimiques etcintiques qui, en relation constante avec le milieu,s'engendrentles uns les autres. Soita, b, c,etc.,les lments de cette totalit organise et x,y,z,etc.,leslmentscorrespondantsdumilieu ambiant.Le schma de l'organisation est donc le suivant :10LA NAISSANCE DE L'INTELLIGENCELE PROBLME BIOLOGIQUE11(1) a + x ! b ;(2) b + y ! c ;(3) c + z ! a, etc.Lesprocessus(1),(2),etc.,peuventconsistersoitenrac-tionschimiques(lorsquel'organismeingredessubstancesx qu'iltransformeraensubstancesbfaisantpartiedesastruc-ture), soit en transformations physiques quelconques, soit enfin, enparticulier,encomportementssensori-moteurs(lorsqu'un cycledemouvementscorporelsacombinsavecdesmouve-ments extrieursx aboutissentun rsultatbentrantlui-mme danslecycled'organisation).Lerapportquiunitleslments organissa,b,c,etc.,auxlmentsdumilieux,y,z,etc.,est doncunerelationd'assimilation,c'est--direquelefonctionne-mentdel'organismeneledtruitpas,maisconservelecycle d'organisation et coordonne les donnes du milieu de manire lesincorporercecycle.Supposonsdoncque,danslemilieu, unevariation se produise quitransformez enz'.Oubienl'or-ganisme ne s'adapte pas, etily arupture du cycle, ou bien il y a adaptation,ce quisignifie que le cycle organis s'est modifi en se refermant sur lui-mme :(1) a + x' ! b' ;(2) b' + y ! c ;(3) c + z ! a.Si nousappelons accommodation ce rsultatdes pressions exer-cesparlemilieu(transformationdebenb'),nouspouvons doncdirequel'adaptationestunquilibreentrel'assimilationetl'ac-commodation .Orcettedfinitions'appliqueaussibienl'intelligenceelle-mme.L'intelligence est,en effet,assimilationdanslamesure o elleincorporesescadrestoutledonndel'exprience.Qu'il s'agisse de lapense qui,grce au jugement,faitrentrerle nou-veau dans le connu etrduit ainsil'univers ses notions propres oudel'intelligencesensori-motricequistructuregalementles choses perues en lesramenantses schmes, danstous les cas l'adaptationintellectuellecomporteunlmentd'assimilation, c'est--direde structuration par incorporationde laralit ext-rieure desformes duesl'activit du sujet.Quellesque soient lesdiffrencesdenature quisparentlavieorganique (laquelle labore matriellement les formeset leur assimile lessubstances etlesnergiesdumilieuambiant),l'intelligencepratiqueou sensori-motrice (laquelle organise des actes et assimile au sch-matismedecescomportementsmoteurslesdiversessituations offertespar le milieu)et l'intelligence rflexive ougnostique (la-quelle se contente de penser les formes, ou de les construire int-rieurementpourleurassimilerlecontenudel'exprience),les unes comme les autres s'adaptent en assimilant les objets au sujet.Que la vie mentale soitaussi accommodation au milieu ambiant, celane peutfaire davantage de doute.L'assimilationnepeutja-maistrepure,parcequ'enincorporantleslmentsnouveaux dansles schmesantrieurs,l'intelligencemodifie sanscesse ces dernierspourlesajusterauxnouvellesdonnes.Mais,inverse-ment,les choses ne sont jamais connues en elles-mmes,puisque ce travail d'accommodation n'estjamaispossiblequ'en fonction duprocessusinversed'assimilation.Nousverronsainsicom-mentlanotionmmed'objetestloind'treinneetncessite une construction la fois assimilatrice et accommodatrice .Enbref,l'adaptationintellectuelle,commetouteautre,est unemise enquilibre progressiveentreunmcanisme assimila-teur etune accommodation complmentaire.L'espritne peutse trouver adapt une ralit que s'il y aparfaite accommodation, c'est--diresiplusrien,danscetteralit,ne vientmodifierles schmes du sujet.Mais,inversement,il n'y apasadaptation si la ralitnouvelleaimposdesattitudesmotricesoumentales contrairescellesquiavaienttadoptesaucontactd'autres donnesantrieures:iln'yaadaptation que s'ilyacohrence, doncassimilation.Certes,surleplanmoteur,lacohrence prsente une toutautre structure que sur le plan rflexifou sur le plan organique,ettouteslessystmatisationssontpossibles. Maistoujoursetpartout,l'adaptationn'estachevequelors-qu'elle aboutit un systme stable,c'est--dire lorsqu'il y a qui-libre entre l'accommodation et l'assimilation.Cecinousconduitlafonctiond'organisation.Dupointde vue biologique, l'organisation est insparable de l'adaptation : ce sontlesdeux processus complmentairesd'unmcanismeuni-que,le premier tantl'aspectinterne du cycle dontl'adaptation constituel'aspectextrieur.Or,encequi concernel'intelli-gence,soussaformerflchieaussibienquepratique,on retrouve ce double phnomne de la totalit fonctionnelle et de l'interdpendanceentrel'organisationetl'adaptation.Pource quiestdesrapportsentrelespartiesetle tout,quidfinissent l'organisation,on saitassezquechaqueopration intellectuelle esttoujoursrelativetouteslesautresetquesespropres lments sont eux-mmes rgis par la mme loi. Chaque schme12LA NAISSANCE DE L'INTELLIGENCELE PROBLME BIOLOGIQUE13estainsi coordonntous,etconstituelui-mmeunetotalit parties diffrencies. Tout acte d'intelligence suppose un systme d'implicationsmutuellesetdesignificationssolidaires.Lesrela-tionsentrecetteorganisationetl'adaptationsontdonclesm-mes que sur le plan organique :les principales catgories dont use l'intelligence pour s'adapter au monde extrieur l'espace et le temps,lacausalitetlasubstance,laclassificationetlenom-bre,etc.correspondentchacuneunaspectdelaralit, comme lesorganesducorps sontrelatifschacun uncaractre spcialdumilieu,mais,outreleuradaptationauxchoses,elles sont impliques les unesdans lesautresau point qu'il est impos-sible de lesisoler logiquement.L' accordde lapenseavec les choses etl'accord de lapense avecelle-mmeexpriment ce double invariantfonctionnel del'adaptation etdel'organisa-tion.Or ces deuxaspectsde lapense sontindissociables :c'est en s'adaptantauxchosesquelapenses'organise elle-mme et c'est en s'organisant elle-mme qu'elle structure les choses. 2.LESINVARIANTS FONCTIONNELS ET LES CATGO-RIES DE LARAISON.Le problme estmaintenantde savoir comment ces invariants fonctionnels vont dterminer les catgo-ries de la raison, autrement dit les grandes formes d'activit intel-lectuellequel'onretrouvetouslesstadesdudveloppement mental et dont nous allons essayer de dcrire les premirescris-tallisations structurales dans l'intelligence sensori-motrice.Il n'est pas question,d'ailleurs,de rduire de lasorte le sup-rieur l'infrieur.L'histoire des sciencesmontre quetouteffort dedductionpourtablirlacontinuitentreunedisciplineet une autre aboutit non pas une rduction du suprieur l'inf-rieur, mais crer entre les deux termes un rapport de rciproci-tnedtruisantnullementl'originalitdutermelepluslev. C'estainsiquelesrelationsfonctionnellesquipeuventexister entrel'intellectetl'organisationbiologiquenepeuventenrien diminuerlavaleurde laraison,maisaboutissentaucontraire tendre lanotion de l'adaptation vitale.D'autre part,il vade soi quesilescatgoriesdelaraisonsontenunsensprformes dans le fonctionnementbiologique,elles n'y sont nullementcon-tenuestitredestructuresconscientesou mmeinconscientes. Sil'adaptationbiologiqueestunesortedeconnaissancemat-rielledumilieuambiant,ilfaudraunesriedestructurations ultrieurespourque,decemcanismepurementactifsorte une reprsentation consciente et gnostique. Comme nous l'avonsdjdit,c'estdoncautermeetnonpasau pointdedpartde l'volutionintellectuellequ'ilfauts'attendrerencontrerlesno-tions rationnelles exprimant rellement le fonctionnement comme tel,par opposition aux structuresinitiales qui demeurent lasur-face,pour ainsidire,de l'organisme etdu milieu ambiant et n'ex-priment que les rapports superficiels de ces deux termes entre eux. Maispour faciliter l'analysedes stadesinfrieurs,que nous allons tenter danscet ouvrage, on peutmontrer commentles invariants biologiques rappels l'instant donnentlieu,unefoisrflchis et laborsparlaconscience au coursdes grandestapesdu dve-loppement mental, une sorte d'a priori fonctionnel de la raison.Voici, nous semble-t-il, le tableau que l'on obtient ainsi :Fonctions biologiques Fonctions intellectuelles Catgories A. Totalit " Relations (rciprocit)Organisation Fonctions rgulatriceB. Idal (but) " Valeur (moyen) A. Qualit " Classe Assimila-tionFonction implicatriceB. Rapport quantita-tif 1 " NombreAdaptation A.Objet " EspaceAccom-modation Fonction explicatriceB. Causalit " TempsLescatgoriesrelativeslafonctiond'organisationconsti-tuentcequel'onpeutappeleravecHffdinglescatgories fondamentalesourgulatrices,c'est--direqu'ellessecombi-nentavec toutes les autres etse retrouventdans toute opration psychique.Cescatgoriesnousparaissentpouvoir tre dfinies, du point de vuestatique,par les notionsde totalitetderelation, et, du point de vue dynamique, par celles d'idal et de valeur.1Nousdistinguonsdans ce tableau les relations au sensle plusgnral du mot et les rapportsquantitatifs qui correspondent ce que l'on appelle, sur le plan de la pense,la logique des relations . Lesrapportsqu'envisage cette der-nireparopposition la logique desclassessont,eneffet, toujoursquantitatifs, soit qu'ils traduisent le plus et le moins comme les comparaisons (par exem-ple plusou moins fonc , etc.), soit qu'ils impliquent simplement les ides d'or-dre ou de srie (par exemple les relations de parent telles que frre de , etc.), qui supposent elles-mmes la quantit. Au contraire, les relations qui vont de pair avec l'ide de totalit dbordent le quantitatifet n'impliquent qu'une relativit gnrale au sens le plus large du terme (rciprocit entre les lments d'une totalit).14LA NAISSANCE DE L'INTELLIGENCELE PROBLME BIOLOGIQUE15Lanotiondetotalitexprimel'interdpendanceinhrente toute organisation, intelligente autant que biologique.Mme siles conduitesetlaconscienceparaissentsurgir de lamanirelaplus incoordonne,durantlespremiressemainesdel'existence,elles prolongent une organisation physiologique qui leur prexiste etse cristallisentd'embleensystmesdontonvoitlacohrencese prciserpeupeu.Qu'est-ce,parexemple,quelanotionde groupesdedplacements,qui estessentielle danslaconstitu-tiondel'espace,sinonl'idede totalitorganise se manifestant dans les mouvements?De mme les schmespropresl'intelli-gence sensori-motrice en gnral sontd'emble rgis par laloi de totalit,en eux-mmes et entre eux.De mme,toute relation cau-sale transforme un donn incohrent en milieu organis, etc.Lecorrlatifde l'ide detotalitn'estautre,comme l'abien montr Hffding,quel'ide de relation. Larelation est,en effet, aussi une catgorie fondamentale,entantqu'immanente toute activitpsychiqueetquisecombineavec touteslesautresno-tions.Laraison en estque toutetotalit estun systme de rela-tions,de mme qu'unerelation estun segmentde totalit.Ace titre, la relation se manifeste ds les activits proprement physio-logiques pour se retrouver tous les niveaux.Les perceptions les plus lmentaires(comme l'a montr Khler pour la perception descouleurschez lespoules)sont lafois relativeslesunes aux autres etstructures en totalits organiques. Inutile d'insister sur les faits analogues que l'on retrouve dans la pense rflchie.Lescatgoriesd'idaletdevaleurexprimentlemme fonc-tionnement,maissoussonaspectdynamique.Nousappelle-ronsidaltoutsystmedevaleursentantqueconstituant untout,donctoutbutfinal desactionsetvaleurs,lesva-leursparticulires relatives ce toutou les moyenspermettant de parvenir ce but.Lesrapportsde l'idal etde lavaleur sont donc les mmes que ceuxde latotalit etde larelation. Or,les idals ou valeurdetout ordre ne sontque des totalitsen voie de seconstituer,lavaleur n'tantquel'expressiondeladsira-bilittouslesniveaux.Ladsirabilitest,eneffet,l'indice d'une rupture d'quilibre ou d'une totalit non acheve, laquelle ilmanque quelque lmentpour seconstituer,etqui tend cet lmentpourralisersonquilibre.Lesrapportsentre l'idal et lesvaleurs sont donc du mme ordre que ceux de latotalit etdesrelations,etcelavadesoi,puisquel'idaln'estquela formenonencoreatteinted'quilibredestotalitsrelleset que les valeurs ne sont autre chose que des relations de moyens fins subordonnes ce systme.Lafinalit est ainsi concevoir, non pascomme unecatgoriespciale,maiscommelatraduc-tion subjective d'un processus de mise en quilibre, lequel n'im-pliquepaslui-mmelafinalit,maissimplementladistinction gnraleentrelesquilibresrelsetl'quilibreidal.Unbon exemple estcelui des normes de cohrence et d'unit,propres lapense logique,quitraduisentceperptueleffortd'quilibre destotalitsintellectuelles,qui dfinissentdoncl'quilibre idal jamaisatteintparl'intelligence etcommandent les valeursparti-culiresdu jugement.C'estpourquoinousappelonsfonction rgulatricelesoprationsrelativeslatotalitetauxvaleurs, par opposition aux fonctions explicatrice et implicatrice. 1Commentconcevoirmaintenantlescatgoriesliesl'adapta-tion,c'est--dire l'assimilation et l'accommodation.Parmi les ca-tgoriesde lapense,il en est,selon l'expression de Hffding,de plus relles (celles qui impliquent, outre l'activit de laraison, un hic etun nuncinhrentsl'exprience,comme lacausalit, lasubs-tanceouobjet,l'espace etletemps,dontchacuneopre unesyn-thse indissociable de donn et de dduction) et de plus formel-les (celles qui, sans tre moins adaptes, peuvent cependant donner lieu une laboration dductive indfinie,comme les relations logi-ques et mathmatiques).Ce sontdonc les premires qui expriment davantage le processus centrifuge de l'explication etde l'accommo-dation et les secondes qui rendent possibles l'assimilation des choses l'organisation intellectuelle et la construction des implications.Lafonction implicatrice comporte de son ct deuxinvariants fonctionnels que l'on retrouve tous les stades, l'un correspondant la synthse des qualits,c'est--dire aux classes(conceptsou sch-mes),l'autrecelle desrapportsquantitatifsou des nombres.Ds les schmes sensori-moteurs, en effet, ces instruments lmentaires de l'intelligence rvlent leur dpendance mutuelle. Quant la fonction explicatrice,elleconcernel'ensembledesoprationsquipermet-tentde dduire le rel,autrement ditde lui confrerune certaine permanencetouten fournissantlaraison de sestransformations. Decepointdevue deuxaspectscomplmentairespeuventtre distingus en toute explication,l'un relatifl'laboration des objets, l'autre relatif la causalit, ceux-l tant la fois le produit de celle-ci et la condition de son dveloppement. D'o le cercle objet " espace1Dans Le Langage etla Pense chez l'Enfant(p.309),nousappelions fonc-tion mixtecettesynthsede l'implicationet de l'explication,que nouslions aujourd'huil'ide d'organisation. Mais cela revient au mme puisque celle-ci suppose une synthse de l'assimilation et de l'accommodation.16LA NAISSANCE DE L'INTELLIGENCELE PROBLME BIOLOGIQUE17etcausalit "tempsdanslequell'interdpendance desfonctions se complique d'une relation rciproque de matire forme.Onvoitainsi combienlescatgoriesfonctionnellesde con-naissanceconstituentuntoutrelquisemoule surlesystme desfonctionsdel'intelligence.Cettecorrlationservleplus claire encore l'analyse des rapportsque soutiennententre elles l'organisationetl'adaptation,d'unepart,l'assimilationetl'ac-commodation, d'autre part.Nousl'avonsvu,eneffet,l'organisationestl'aspectinternede l'adaptationlorsquel'onconsidre,nonpasle processusadaptatif enactemaisl'interdpendance deslmentsdjadapts.D'autre part, l'adaptation n'estque l'organisation aux prises avec les actions du milieu.Or cette mutuelle dpendance se retrouve, sur le plan de l'intelligence,nonseulementdansl'interactiondel'activitration-nelle (organisation) etde l'exprience (adaptation),donttoute l'his-toire de la pense scientifique montre qu'elles sont insparables mais encoredanslacorrlationdescatgoriesfonctionnelles:aucune structure spatio-temporelle objective et causale n'est, en effet, possi-blesansunedductionlogico-mathmatique,cesdeuxsortesde ralits se constituant ainsi en systmes solidaires de totalits et de relations.Quantau cercle de l'accommodationetde l'assimilation, c'est--dire de l'explication etdel'implication,le problme soulev par Hume propos de lacausalit l'illustre clairement.Comment la notion de cause peut-elle tre la fois rationnelle et exprimentale ? Si l'on ramne lacausalit une pure catgorie formelle,le rel lui chappe (comme E. Meyerson l'a admirablement montr) et sion la rduit au rang de simple squence empirique, sa ncessit s'vanouit. D'o lasolution kantienne repriseparBrunschvicgselonlaquelle elle est une analogie de l'exprience ,c'est--dire une interaction irrductibleentrelerapportd'implicationetledonnspatio-temporel. On en peutdire autant desautres catgories relles : toutessupposentl'implicationbienqueconstituantautantd'ac-commodationsaudonnextrieur.Inversementlesclassesetles nombresne sauraientse construire sansconnexionavecles sries spatio-temporelles inhrentes aux objets et leurs relations causales.Il nousreste,pour terminer,noter que,sitoutorgane d'un corps vivantest lui-mme organis, de mme tout lment d'une organisationintellectuelleconstitueluiaussiuneorganisation. Dslors les catgoriesfonctionnellesde l'intelligence,touten se spcialisantdanslesgrandesligneseu gardauxmcanismes essentiels de l'organisation,de l'assimilation etde l'accommoda-tion peuvent comporter en elles-mmes des aspects correspon-dantcestroisfonctions,d'autantplusque celles-cisontassu-rment vicariantesetchangentainsi sans cesse de pointd'appli-cation.Quantlamaniredontlesfonctions,quicaractrisent ainsilesprincipalescatgoriesdel'esprit,crentleursorganes propresetsecristallisentenstructures,c'estluneautreques-tion,quenousn'avonspasaborderdanscetteintroduction, puisquetoutcetouvrageestconsacrl'tudedesdbutsde cetteconstruction.Ilconvientsimplementpourprparercette analyse de dire encore quelques mots des structures hrditaires qui rendent possible cette structuration mentale. 3. LES STRUCTURES HRDITAIRES ET LES THORIES DE L'ADAPTATION. Il existe, avons-nous vu,deux sortes de ralitshrditairesintressantledveloppementdelaraison humaine :lesinvariants fonctionnels lis l'hrdit gnrale de lasubstancevivanteetcertainsorganesoucaractresstructu-raux,lisl'hrditspcialedel'hommeetservantd'instru-mentslmentairesl'adaptation intellectuelle.Il convient donc maintenantd'examinercommentlesstructureshrditairespr-parentcettedernireetenquoilesthoriesbiologiquesde l'adaptation sont susceptibles d'clairer la thorie de l'intelligence.Les rflexes et lamorphologie mme des organes auxquels ils sont lisconstituent une sorte de connaissance anticipe du mi-lieu extrieur, connaissance inconsciente ettoute matrielle, il va de soi, maisindispensable au dveloppement ultrieur de lacon-naissance effective. Comment une telle adaptation des structures hrditaires est-elle possible ?Ceproblmebiologiqueestactuellementinsoluble,maisun brefrappeldesdiscussionsauxquellesiladonnetdonne tou-jourslieu nous paratutile,car lesdiffrentes solutionsque l'on a fourniessontparallles auxdiversesthories de l'intelligence elle-mme et peuvent ainsi clairer ces dernires en dgageant la gn-ralitdeleurmcanisme.Il existe,eneffet,cinqpointsdevue principaux sur l'adaptation etchacun correspond, mutatis mutandis, l'unedesinterprtationsdel'intelligence comme telle.Cen'est pas dire, naturellement,que telauteur choisissant l'une des cinq doctrinescaractristiques que l'on peut distinguer en biologie soit par l mme contraint d'adopter l'attitude correspondante en psycho-logie ; mais, quelles que soient les combinaisons possibles quant aux opinions desauteurs eux-mmes,il existe d'indniables mcanis-mescommunsentre lesexplicationsbiologiques etlesexplica-tions psychologiques de l'adaptation gnrale et intellectuelle.18LA NAISSANCE DE L'INTELLIGENCELE PROBLME BIOLOGIQUE19Lapremiresolutionestcelledulamarckisme,selonlaquelle l'organismeestfaonndu dehorsparle milieu,lequel,par ses contraintes,entranelaformation d'habitudes ou d'accommoda-tionsindividuellesqui,ensefixanthrditairement,faonnent les organes. Or, cette hypothse biologique du primat de l'habi-tudecorrespondenpsychologie l'associationnisme,pourlequella connaissance rsulte elle aussi des habitudes acquises sans qu'au-cuneactivitinternequiconstitueraitl'intelligencecomme telle ne conditionne ces acquisitions.Levitalismeinterprteparcontrel'adaptationenattribuant l'tre vivant un pouvoir spcial de construire des organes utiles. De mmel'intellectualismeexpliquel'intelligenceparelle-mmeenlui prtant une facult inne de connatre et en considrant son activi-t comme un fait premier d'o tout drive sur le plan psychique.Pourleprformisme,lesstructuresontuneoriginepurement endogne, les variations virtuelles s'actualisant simplement au con-tact du milieu qui ne joue ainsiqu'un rle de dtecteur . C'est en raisonnant de lamme manire que lesdiverses doctrines pist-mologiquesetpsychologiquesquel'onpeutgroupersousl'ti-quettedel'apriorismeconsidrentlesstructuresmentalescomme antrieuresl'exprience,celle-cileurfournissantsimplement l'occasiondesemanifestersanslesexpliquerenrien.Queles structuressoientconues,aveclesinnistesclassiques,comme psychologiquementinnes,ousimplementcommelogiquement ternelles, subsistant en un monde intelligible dont participe la raison, peu importe le dtail : elles sont prformes dans le sujet et non pas labores par lui en fonction de son exprience. Les excs lesplusparalllesontt commiscetgarden biologieeten logique :de mme qu'on afait l'hypothse d'une prformation de tous les gnes qui se sont manifests au cours de l'volution y compris les gnes nuisibles l'espce de mme Russell en est venusupposerquetouteslesidesgermantennoscerveaux existaient de toute ternit, y compris les ides fausses !On pourrait faire une place part la doctrine biologique de I' mergence , selon laquelle les structures apparaissent comme dessynthses irrductiblesse succdantlesunesauxautrespar unesortedecration continue,etlamettreen parallle avec la thorie des formesou Gestalt en psychologie.Maisil ne s'agitenfaitque d'un apriorismeplusdynamique d'intention et qui,danssesexplicationsparticulires,revientl'apriorisme proprementditdanslamesureoilnes'orientepasfranche-ment vers la cinquime solution.Lequatrime pointdevue,auquelnousrserveronslenom de mutationnismeest celui des biologistes qui, sans tre prformis-tes,pensentgalementquelesstructuresapparaissentparvoie purement endogne, mais les considrent alors comme surgissant au hasard destransformationsinternesetcommes'adaptantau milieu grce une slection aprscoup.Or,si l'on transpose sur le plan des adaptations non hrditaires ce mode d'interprtation, on le trouveparallle au schme desessais eterreurspropre au pragmatismeouauconventionnalisme:selonceschme,l'ajuste-mentdesconduitess'expliquegalementparlaslectionaprs coup de comportementssurgissantau hasard par rapport au mi-lieuexterne.Parexemple,selonleconventionnalismel'espace euclidien troisdimensions,qui nous paratplus vrai que les autrescause de lastructure de nosorganesde perception,est simplementplus commode , parce que permettant un meilleur ajustement de ces organes aux donnes du monde extrieur.Enfin,selonunecinquimesolution,l'organismeetlemilieu constituentuntoutindissociable,c'est--direqu'ctdesmuta-tionsfortuitesil fautfairelapartdevariationsadaptativesimpli-quant la fois une structuration propre l'organisme et une action dumilieu,lesdeuxtermestantinsparablesl'undel'autre.Du pointde vue de laconnaissance,celasignifie que l'activit du sujet est relative la constitution de l'objet, de mme que celle-ci implique celle-l : c'est l'affirmation d'une interdpendance irrductible entre l'exprience et la raison. Le relativisme biologique se prolonge ainsi en doctrine de l'interdpendance du sujet et de l'objet, de l'assimilation de l'objet par le sujet et de l'accommodation de celui-ci celui-l.Leparallleentrelesthoriesdel'adaptationetcellesde l'intelligenceainsiesquiss,ceseranaturellementl'tudedu dveloppement de celle-ci dterminer le choix qu'il convient de faireentrecesdiffrenteshypothsespossibles.Toutefois,afin deprparercechoixetsurtoutafind'largirnotrenotionde l'adaptation,tantdonneslacontinuitdesprocessusbiologi-ques et l'analogie des solutions que l'on a tent de fournir sur les diffrents plans sur lesquels le problme se retrouve,nous avons analys, sur le plan de lamorphologie hrditaire de l'organisme, un cas de cintognse propre illustrer les diffrentes inter-prtations que nous venons de cataloguer 1.1Voir, pour l'expos dtaill des faits, nos deux articles : 1) Les races lacustres de la Limnaea stagnalis . Recherches surles rapports de l'adaptationhriditaire avecle milieu. Bulletin biologique de la France et de la Belgique, vol. LXIII (1929), pp. 424-455,et 2) L'adaptationde la Limnaea stagnalis aux milieux lacustres de la Suisse romande. Revue suisse de Zoologie, vol. 36, pp. 263-531, pl. 3-6.20LA NAISSANCE DE L'INTELLIGENCELE PROBLME BIOLOGIQUE21Dans presque tous les marais d'Europe et d'Asie existe un mol-lusqueaquatique,laLimnaea stagnalis(L.),dontlaformeesttypi-quement allonge. Or, dans les grands lacs de Suisse, de Sude, etc., cette espce prsente une varit lacustris,contracte et globuleuse, dontlaformations'explique aismentparl'accommodationmo-trice de l'animal, durant toute sacroissance, aux vagues et l'agita-tion de l'eau.Aprsavoirvrifiexprimentalementcette explica-tion, nous sommes parvenu tablir, grce de nombreux levages en aquarium, que cette varit contracte, dont on peut suivre l'his-toire gologiquedepuisle palolithiquenosjours,taitdevenue hrditaire et parfaitement stable (ces gnotypes obissent en parti-culier auxlois de la sgrgation mendlienne),dansles milieux les plus exposs aux vents des lacs de Neuchtel et de Genve.Ilsembledonc,premirevue,quelasolutionlamarckienne s'impose en un tel cas : les habitudesde contraction acquises sous l'influencedesvaguesauraientfiniparsetransmettrehrditaire-mentenunensemble morphologico-rflexe constituantune nou-velle race. En d'autres termes, le phnotype se transformerait insen-siblementengnotypeparl'actiondurabledu milieu.Malheureu-sement,dansle cas desLimnes comme dans tous lesautres,l'ex-prience enlaboratoire (l'levage enagitateur produisantune con-traction exprimentale) ne montre pas trace de transmission hrdi-taire descaractres acquis.D'autre part,leslacs de moyenne gran-deurneprsententpastousdesvaritscontractes.S'ilyain-fluence du milieu dans la constitution de lacontraction hrditaire, cette influence estdonc soumise des seuils (d'intensit, de dure, etc.)etl'organisme,loin de lasubir passivement,ragitactivement par une adaptation qui dpasse les simples habitudes imposes.Quant laseconde solution,le vitalisme ne sauraitexpliquer le dtail d'aucune adaptation. Pourquoi l'intelligence inconsciente de l'espce,si elleexiste,n'intervient-elle paspartouto elle se-rait utile ? Pourquoi la contraction a-t-elle mis des sicles appa-ratredepuislepeuplementpost-glaciairedeslacsetn'existe-t-elle pas encore dans toutes les nappes lacustres ?Lesmmesobjectionss'adressentlasolutionprformiste du problme.Par contre,laquatrime solutionprsente une position inat-taquableenapparence.Selonlemutationnisme,eneffet,les structurescontracteshrditairesseraientduesdes variations endognesfortuites(c'est--diresansrelationaveclemilieuni aveclesadaptationsindividuellesphnotypiques)etceserait aprs coup que ces formes, mieux pradaptes que d'autres auxzones agites des lacs,se multiplieraient aux endroits mmes d'o lesformesallongesseraientexcluesparslectionnaturelle.Le hasardetlaslectionaprscouprendraientdonccomptede l'adaptation sans action mystrieuse du milieu sur latransmission hrditaire,tandisquel'adaptationdesvariationsindividuelles nonhrditaires demeureraitlie l'action ambiante.Mais,dans le cas denosLimnes,deuxobjectionstrsfortespeuventtre adresses une telle interprtation. En premier lieu si les formes allonges de l'espce ne sauraient pas subsister comme telles dans lesendroitsdes lacso l'eau estla plusagite, par contre les g-notypes contracts peuventvivre dans touslesmilieuxdans les-quelsl'espceestreprsente,etnousenavonsacclimats,de-puisdesannes,dansune marestagnante du Plateausuisse.S'il s'agissaitdoncdemutationsfortuites,cesgnotypesdevraient tre rpandus indiffremmentun peu partout :or,en fait,ilsne sont apparus que danslesmilieuxlacustres,etencore dans ceux qui sont les plusexposs au vent,lprcisment o l'adaptation individuelle ou phnotypique aux vagues est la plus vidente ! En second lieu,la slection aprs coup est,dans le casdes Limnes, inutileetimpossible,carlesformesallongespeuventdonner lieu, elles-mmes, des variations contractes non ou non encore hrditaires.Onne sauraitdonc parler ni de mutationsfortuites ni de slection aprs coup pour expliquer une telle adaptation.Ilnerestedoncqu'unecinquimeetderniresolution:c'est d'admettrelapossibilitd'adaptationshrditairessupposantla fois une action du milieu et une raction de l'organisme autre que la simple fixation des habitudes. Sur le plan morphologico-rflexe dj, il existe ainsi des interactions entre le milieu et l'organisme telles que celui-ci, sans subir passivement la contrainte de celui-l, nise borner manifester son contactdes structuresdjprformes, ragisse par une diffrenciation active des rflexes (dans le cas particulier par un dveloppement des rflexes d'adhrence pdieuse etde contrac-tion) etparune morphogense corrlative.Autrementdit,lafixa-tionhrditairedesphnotypesouadaptationsindividuellesn'est pas due la simple rptition des habitudes qui leur ont donn nais-sance, mais un mcanisme sui generis qui, par rcurrence ou antici-pation, aboutit au mme rsultat sur le plan morphologico-rflexe.En ce quiconcerne leproblme de l'intelligence,lesleons d'un tel exemple nous paraissentlessuivantes.Dsses dbuts, l'intelligencesetrouveengage,grce auxadaptationshrdi-taires de l'organisme,dansunrseau de relations entrecelui-ci et le milieu. Elle n'apparat donc pas comme une puissance de22LA NAISSANCE DE L'INTELLIGENCELE PROBLME BIOLOGIQUE23rflexionindpendantedelasituationparticulirequ'occupe l'organisme dans l'univers, mais elle est lie, ds l'abord,par des a priori biologiques :elle n'a rien d'un absolu indpendant, mais est une relation parmi d'autres, entre l'organisme et leschoses. Or si l'intelligence prolonge ainsi une adaptationorganique qui lui est antrieure, le progrsde la raison consiste sans doute en une prise deconscience toujourspluspousse del'activitor-ganisatriceinhrentelavieelle-mmeetlesstadesprimitifs dudveloppementpsychologiqueconstituentseulement les prisesde consciencelesplussuperficiellesde cetravail d'orga-nisation.Afortiorilesstructuresmorphologico-rflexesdont tmoigne le corpsvivant, et l'assimilation biologiquequi est au pointde dpartdesformeslmentairesdel'assimilationpsy-chique, ne seraient autre chose que l'bauchelaplusextrieure et la plusmatrielle de l'adaptation dont les formes suprieures d'activitintellectuelleexprimeraienttoujoursmieuxlanature profonde.Onpeutdoncconcevoirquel'activitintellectuelle, partantd'unrapportd'interdpendanceentrel'organismeetle milieu, ou d'indiffrenciation entrele sujet et l'objet, progresse simultanment dansla conqutedeschosesetlarflexionsur elle-mme,ces deux processusde direction inverse tant corr-latifs. Decepoint devue, l'organisationphysiologique et ana-tomique apparat peu peu la conscience comme extrieure elle et l'activit intelligente se prsente pour autant comme l'es-sence mme de notre existence de sujets. D'o le renversement quis'opredanslesperspectivesaufuretmesuredudve-loppementmentalet qui expliquepourquoilaraison,touten prolongeantles mcanismes biologiquesles pluscentraux, finit parlesdpasserlafoisenextrioritetenintrioritcom-plmentaires.PREMIRE PARTIELES ADAPTATIONS SENSORI-MOTRICESLMENTAIRESL'intelligence n'apparat nullement, un moment donndu dveloppementmental,commeunmcanismetout mont,et radicalementdistinctdeceuxquil'ontprcd. Elleprsente, aucontraire,unecontinuitremarquableaveclesprocessus acquisou mme inns ressortissant l'associationhabituelle et au rflexe,processussurlesquelsellereposetoutenlesutili-sant.Ilconvientdonc,avantd'analyserl'intelligencecomme telle,derecherchercommentlanaissancedeshabitudeset mmecommentl'exercicedurflexeenprparentlavenue. C'est ce que nous allonsfaire danscette premire partie, en at-tribuant un chapitre au rflexe et aux questionspsychologiques qu'il soulve et unsecondchapitre aux diffrentes associations acquises ou habitudes lmentaires.24LA NAISSANCE DE L'INTELLIGENCE