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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2008) 135, 606—609 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com CAS POUR DIAGNOSTIC Plaques verruqueuses linéaires du tronc et des membres Linear verrucous lesions of the trunk and limbs S. Youssef a,, M. Ben Abdallah a , I. Hanchi a , M.R. Dhaoui a , K. Jaber a , A. Bouziani b , N. Doss a a Service de dermatologie, hôpital militaire principal d’instruction de Tunis, 1089 Montfleury, Tunis, Tunisie b Service d’anatomie pathologique, hôpital militaire principal d’instruction de Tunis, Tunisie Rec ¸u le 6 juillet 2007 ; accepté le 29 janvier 2008 Disponible sur Internet le 10 avril 2008 Un patient âgé de 20 ans, épileptique, sous carbamazépine depuis dix ans, consultait pour une dermatose modérément prurigineuse du tronc et des membres évoluant progressive- ment depuis l’âge de 12 ans. L’anamnèse ne trouvait pas de cas similaires dans la famille. L’examen physique montrait des lésions papuleuses, érythématoviolacées, kératosiques et verruqueuses se dis- posant de fac ¸on linéaire et grossièrement symétrique le long des faces externes des bras et remontant au haut du dos (Fig. 1). Des lésions identiques dessinaient des plaques arrondies au niveau de l’abdomen, de la racine des cuisses et aux organes génitaux externes (Fig. 2 et 3). Par ailleurs, un aspect de dermatite séborrhéique était constaté sur le visage. L’examen des phanères, des muqueuses ainsi que le reste de l’examen somatique était sans particularité. Une biopsie au niveau d’une papule cornée était réalisée (Fig. 4). Auteur correspondant. Adresse e-mail : soumaya [email protected] (S. Youssef). Figure 1. Lésions papuleuses érythématoviolacées, kératosiques, verruqueuses et linéaires du bras. 0151-9638/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annder.2008.01.009

Plaques verruqueuses linéaires du tronc et des membres

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nnales de dermatologie et de vénéréologie (2008) 135, 606—609

Disponib le en l igne sur www.sc iencedi rec t .com

AS POUR DIAGNOSTIC

laques verruqueuses linéaires du tronct des membres

inear verrucous lesions of the trunk and limbs

S. Youssefa,∗, M. Ben Abdallaha, I. Hanchia,M.R. Dhaouia, K. Jabera, A. Bouzianib, N. Dossa

a Service de dermatologie, hôpital militaire principal d’instruction de Tunis,1089 Montfleury, Tunis, Tunisieb Service d’anatomie pathologique, hôpital militaire principald’instruction de Tunis, Tunisie

pté le 29 janvier 20080 avril 2008

Recu le 6 juillet 2007 ; acceDisponible sur Internet le 1

n patient âgé de 20 ans, épileptique, sous carbamazépineepuis dix ans, consultait pour une dermatose modérémentrurigineuse du tronc et des membres évoluant progressive-ent depuis l’âge de 12 ans.L’anamnèse ne trouvait pas de cas similaires dans la

amille.L’examen physique montrait des lésions papuleuses,

rythématoviolacées, kératosiques et verruqueuses se dis-osant de facon linéaire et grossièrement symétrique leong des faces externes des bras et remontant au haut duos (Fig. 1). Des lésions identiques dessinaient des plaquesrrondies au niveau de l’abdomen, de la racine des cuissest aux organes génitaux externes (Fig. 2 et 3). Par ailleurs,

n aspect de dermatite séborrhéique était constaté sur leisage. L’examen des phanères, des muqueuses ainsi que leeste de l’examen somatique était sans particularité.

Une biopsie au niveau d’une papule cornée était réaliséeFig. 4).

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : soumaya [email protected] (S. Youssef).

Figure 1. Lésions papuleuses érythématoviolacées, kératosiques,verruqueuses et linéaires du bras.

151-9638/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droitsoi:10.1016/j.annder.2008.01.009

réservés.

Plaques verruqueuses linéaires du tronc et des membres 607

Figure 2. Plaques arrondies verruqueuses de la racine de lacuisse.

Figure 3. Plaques verruqueuses de la verge.

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Quelles sont vos hypothèsesdiagnostiques ?

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ypothèses du comité de rédaction

es hypothèses du comité de rédaction sont les suivants :lichen plan verruqueux ;kératose lichénoïde.

ommentaires

’examen anatomopathologique du prélèvement biopsiqueontrait une acanthose avec hyperkératose orthokérato-

ique au niveau de l’épiderme associée à un infiltratymphohisticytaire dermique superficiel. Cet infiltrat déter-ine une exocytose focale dans les couches profondes du

orps muqueux de Malpighi avec quelques corps hyalinsFig. 4).

Le diagnostic de lichen plan verruqueux était alorsetenu devant l’aspect clinique : papules cornées kérato-iques à disposition linéaire, plaques multiples d’aspecterruqueux d’évolution chronique et l’aspect histologique’un lichen plan hypertrophique.

Le lichen est une affection cutanéomuqueuse fréquente,ui survient sans préférence de sexe, tardivement à’adolescence ou à l’âge adulte, mais de rares cas débu-ant à l’enfance ont aussi été rapportés [1]. Il se présenteous divers aspects cliniques qui ne peuvent souvent êtrentégrés dans le cadre nosologique du lichen que sur desritères histopathologiques. En effet, les différentes formesliniques ont en commun avec le lichen typique, avec desariations d’intensité, les trois altérations histologiques fon-amentales [2].

Le lichen verruqueux (hypertrophique, corné) est uneorme clinique du lichen plan, caractérisée par des lésionsutanées, souvent localisées, faites de plaques uniques ouultiples de coloration rosée ou rouge bistre, prurigineuses,ui peuvent avoir un aspect verruqueux, siégeant préfé-entiellement aux membres inférieurs en particulier sur lesrêtes tibiales et les chevilles. Généralement, elles per-istent durant plusieurs années. Elles laissent ensuite place àne pigmentation cicatricielle résiduelle, parfois atrophique3].

L’histologie montre, dans cette forme, une acanthoserès épaisse, souvent papillomateuse endo- et exophytique,ne hypergranulose et une hyperkératose orthokératosique2]. Quand l’hyperplasie épidermique est majeure, elle peutimer un carcinome épidermoide [4]. Les lésions jonc-

ionnelles sont caractérisées par une vacuolisation focalees cellules basales, avec exocytose et incontinence pig-entaire. Au niveau du derme, l’infiltrat lichénien nerend pas l’aspect habituel d’une bande sous-épidermiqueais il forme des coiffes cellulaires compactes autour des

rêtes épidermiques épaissies descendant dans le derme2]. L’infiltrat inflammatoire est composé essentiellemente cellules mononucléées, quelques éosinophiles peuventtre observées dans le lichen induit. La présence de cel-ules xanthomatiques dermiques a été rapportée chez desatients atteints d’une dyslipidémie secondaire [5] : c’est

n exemple d’une xanthomisation dystrophique.

Comme ces lésions sont très prurigineuses, on trouve sou-ent des lésions secondaires de grattage : excoriation deslateaux suprapapillaires, foyers de parakératose, fibroseicatricielle et néovascularisation des papilles.

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S. Youssef et al.

Le diagnostic différentiel se pose essentiellement aveca kératose lichénoide chronique qui est, parfois, consi-érée comme une variété du lichen plan dans une formeinéaire et hypertrophique. Cette dermatose est une affec-ion extrêmement rare, se présentant sous forme de lignesnflammatoires kératosiques touchant le dos des mains, leslis des coudes, le cou, la face interne des cuisses, les creuxxillaires et les plis des genoux. Cette affection est inten-ément prurigineuse. Elle peut s’accompagner de tumeurse la région cervicale. Il s’agit d’une dermatose qui n’est niéritablement lichénienne, ni psoriasiforme. C’est l’examenistopathologique qui permet de poser le diagnostic en mon-rant une alternance d’atrophie épidermique et d’acanthosevec des foyers de parakératose et un infiltrat dense quiomble les papilles. Le diagnostic histologique reste cepen-ant très difficile [6,7].

D’autres diagnostics pouvant être évoqués sont plusacilement éliminés par la clinique et l’histologie, notam-ent l’hamartome épidermique verruqueux inflammatoire

inéaire (HEVIL) et le psoriasis linéaire.Glass et Apisarnthanarx ont décrit un cas de sarcoïdose

erruqueuse simulant un lichen plan hypertrophique dont laiopsie a montré des granulomes sans nécrose caséeuse [8].

La transformation maligne d’un lichen plan est excep-ionnelle. Cependant, le potentiel de transformationaligne d’un lichen verruqueux d’évolution chronique est

onsidérable, notamment chez le sujet jeune. Approxima-ivement, 40 observations de carcinome épidermoide (CE)urvenants sur des lésions de lichen plan ont été rappor-és. Le plus souvent, cette transformation maligne touchaites lésions chroniques de lichen plan hypertrophique desembres inférieurs [9,10]. Le lichen plan hypertrophiqueeut également se compliquer de corne cutanée ou deératoacanthome [11].

Le lichen verruqueux a été également rapporté chezlusieurs patients atteints de virus d’immunodéficienceumaine, Rippis et al. ont montré, à travers trois cas, que lesésions cutanées du lichen verruqueux sont plus extensiveshez les sujets VIH positifs que chez les immunocompétents12].

Ainsi, l’évolution du lichen plan verruqueux est chroniquevec un risque de dégénérescence secondaire nécessitantne surveillance régulière [13].

Le traitement de première intention du lichen verru-ueux associe le plus souvent une corticothérapie locale àn traitement émollient plus ou moins associé à un traite-ent antihistaminique. Le traitement des formes d’embléelus sévères est la corticothérapie générale de courteurée dont l’arrêt peut induire un rebond [14]. En raisone la tératogénicité et de l’obligation d’une contracep-ion pendant deux ans, associés à l’acitrétine, il sembleicite de ne le prescrire qu’en deuxième intention [15].a puvathérapie peut également être un traitement deeuxième intention [16]. La re-puva est également unelternative thérapeutique possible dans les lichens plansévères. Récemment, un succès thérapeutique a été obtenuous ciclosporine [17]. Notre patiente a été traitée par

es émollients (vaseline neutre, vaseline salicylée 10 %,uis 30 %), des dermocorticoïdes de niveau II (Dermosone®

t Diprosone®) et des antihistaminiques (loratadine etesloratadine) pendant trois mois sans améliorationotable.

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Plaques verruqueuses linéaires du tronc et des membres

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