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Une chienne tervueren âgée de quatorze mois est référée pour une toux chronique rebelle qui évolue depuis deux mois, associée à un amaigrissement progressif. Des radiographies thoraciques montrent des images compa- tibles avec une bronchopneu- mopathie, dont l’origine reste à déterminer. Une endoscopie respiratoire, associée à un lavage broncho-alvéolaire, est alors réalisée. L’examen cyto- logique du liquide recueilli met en évidence des larves d’Angiostrongylus vasorum. Les mêmes larves sont aussi retrouvées lors d’une copro- scopie simple. Un traitement nématodicide et l’administra- tion de corticoïdes par voie orale entraînent une résolu- tion complète des symptômes. u Résumé Le Point Vétérinaire / N° 238 / Août-Septembre 2003 / 68 L’angiostrongylose est une parasitose responsable de troubles respiratoires et cardiaques chez le chien.L’examen cytologique du lavage broncho- alvéolaire permet souvent d’établir le diagnostic. ne chienne de race tervueren âgée de quatorze mois, qui vit dans les environs de Grenoble, est référée pour une dysorexie et un amaigrissement qui évoluent depuis deux mois et qui sont associés à une toux récidivante. Cas clinique 1. Commémoratifs La chienne est correctement vaccinée et elle est régulièrement vermifugée tous les trois mois (nitroscanate, Lopatol ® ). Aucun antécédent pathologique n’est rapporté par ses propriétai- res depuis son adoption à l’âge de trois mois. 2. Anamnèse L’animal présente depuis deux mois une dysorexie croissante, associée à des épisodes d’abattement durant lesquels une hyperthermie modérée (39,3 à 39,6 °C) a été notée. Un mois après le début de ces symptômes, l’apparition d’une toux de faible intensité, non productive, a motivé la réalisation de radiographies pulmonaires, qui ont révélé la présence d’opaci- fications alvéolaires compatibles avec des foyers de bronchopneumonie. Divers traitements antibiotiques ont été prescrits au cours de cette période sans rémission durable des symptômes. Devant cette toux incœrcible, le vétérinaire traitant décide alors de référer l’animal pour des investigations complémentaires. 3. Examen clinique • À la consultation, la chienne est abattue, anorexique, cachectique et présente un poil terne. Sa température rectale est de 39,2 °C. Elle présente une légère déshydratation estimée à 3 % et ses muqueuses sont congestionnées. • La palpation abdominale permet de déceler un contenu liquidien dans les anses digestives et met en évidence une zone douloureuse dans l’abdomen cranial dorsal. • Une polypnée (90 cycles par minute) est notée. L’auscultation pulmonaire met en évidence des crépitations marquées. La toux est toujours présente, petite et profonde et facilement déclenchable à la palpation de la trachée. • De l’urine est récoltée par cystocentèse. L’examen de l’urine à la bandelette urinaire révèle un pH acide (6 à 6,5), une protéinurie (+) et une hématurie (+) modérées, pour une densité urinaire de 1,037 mesurée au réfractomètre. Le reste de l’examen clinique ne révèle pas d’anomalie ; aucun saignement ou hémorragie n’a pu être objectivé lors de la consultation. 4. Hypothèses diagnostiques À ce stade de la consultation, les principales hypothèses diagnostiques sont : - la présence d’un corps étranger bronchique ou pulmonaire ; - une bronchopneumopathie infectieuse dont l’origine reste à déterminer (bactérienne, virale : maladie de Carré, parasitaire ou fongique) ; - un processus tumoral, peu vraisemblable en raison du jeune âge de l’animal ; - un syndrome éosinophilique ou une fibrose pulmonaire, même si la toux n’est pas constante lors de ces affections. 5. Examens complémentaires En raison de l’état clinique de l’animal, une hospitalisation est décidée afin de permettre la réalisation d’examens complémentaires. ! Analyses sanguines La numération formule sanguine ne présente pas d’anomalie : elle ne permet pas de révéler la présence d’un foyer infectieux pulmonaire. Le bilan biochimique met en évidence une augmentation modérée de l’urémie (11,2 mmol/l, norme : 3 à 9 mmol/l), sans augmentation de la créatininémie (88 µ mol/l, norme : 20 à 110 µmol/l). Cette modification peut être compatible avec une atteinte prérénale secondaire à la déshydratation de l’animal. Aucun bilan de coagulation n’a été effectué. ! Radiographies Des radiographies du thorax sont réalisées afin d’explorer l’affection pulmonaire. Une opacifi- cation pulmonaire de type alvéolaire multifo- cale est visible en région ventrale et caudale du champ pulmonaire, compatible avec une bronchopneumonie infectieuse, une hémorra- gie pulmonaire ou une infiltration tumorale (PHOTOS 1 ET 2). Une hépatomégalie est en outre identifiée grâce à l’examen radiographique. U Prat i quer / CAS CLINIQUE / Un cas d’ angiostrongylose chez une jeune chienne PARASITOLOGIE CANINE par Thomas Chuzel* et Jean-Pierre Cotard** * École nationale vétérinaire de Lyon - BP 83 69 280 Marcy-l’Étoile ** École nationale vétérinaire d’Alfort 7 av. du Général de Gaulle 94700 Maisons-Alfort © Le Point Vétérinaire - Reproduction interdite

Pneumologie angiostrongylose chez une jeune chienne

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Page 1: Pneumologie   angiostrongylose chez une jeune chienne

Une chienne tervuerenâgée de quatorze mois

est référée pour une touxchronique rebelle qui évoluedepuis deux mois, associée àun amaigrissement progressif.Des radiographies thoraciquesmontrent des images compa-tibles avec une bronchopneu-mopathie, dont l’origine resteà déterminer. Une endoscopierespiratoire, associée à unlavage broncho-alvéolaire, estalors réalisée. L’examen cyto-logique du liquide recueilli meten év idence des lar vesd’Angiostrongylus vasorum.Les mêmes larves sont aussiretrouvées lors d’une copro-scopie simple. Un traitementnématodicide et l’administra-tion de corticoïdes par voieorale entraînent une résolu-tion complète des symptômes.

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Résumé

Le Point Vétérinaire / N° 238 / Août-Septembre 2003 / 68

L’angiostrongylose est une parasitose responsable de troubles respiratoireset cardiaques chez le chien. L’examen cytologique du lavage broncho-alvéolaire permet souvent d’établir le diagnostic.

ne chienne de race tervueren âgéede quatorze mois, qui vit dans les environs de Grenoble, estréférée pour une dysorexie et unamaigrissement qui évoluent

depuis deux mois et qui sont associés à unetoux récidivante.

Cas clinique1. CommémoratifsLa chienne est correctement vaccinée et elle estrégulièrement vermifugée tous les trois mois(nitroscanate, Lopatol®). Aucun antécédentpathologique n’est rapporté par ses propriétai-res depuis son adoption à l’âge de trois mois.

2. AnamnèseL’animal présente depuis deux mois unedysorexie croissante, associée à des épisodesd’abattement durant lesquels une hyperthermiemodérée (39,3 à 39,6 °C) a été notée. Un moisaprès le début de ces symptômes, l’apparitiond’une toux de faible intensité, non productive,a motivé la réalisation de radiographiespulmonaires, qui ont révélé la présence d’opaci-fications alvéolaires compatibles avec des foyersde bronchopneumonie. Divers traitementsantibiotiques ont été prescrits au cours de cettepériode sans rémission durable des symptômes.Devant cette toux incœrcible, le vétérinairetraitant décide alors de référer l’animal pourdes investigations complémentaires.

3. Examen clinique• À la consultation, la chienne est abattue,anorexique, cachectique et présente un poilterne. Sa température rectale est de 39,2 °C. Elleprésente une légère déshydratation estimée à3 % et ses muqueuses sont congestionnées.• La palpation abdominale permet de décelerun contenu liquidien dans les anses digestiveset met en évidence une zone douloureuse dansl’abdomen cranial dorsal. • Une polypnée (90 cycles par minute) est notée.L’auscultation pulmonaire met en évidence descrépitations marquées. La toux est toujoursprésente, petite et profonde et facilementdéclenchable à la palpation de la trachée.• De l’urine est récoltée par cystocentèse.L’examen de l’urine à la bandelette urinaire

révèle un pH acide (6 à 6,5), une protéinurie(+) et une hématurie (+) modérées, pour une densité urinaire de 1,037 mesurée auréfractomètre.Le reste de l’examen clinique ne révèle pas d’anomalie ; aucun saignement ouhémorragie n’a pu être objectivé lors de laconsultation.

4. Hypothèses diagnostiquesÀ ce stade de la consultation, les principaleshypothèses diagnostiques sont : - la présence d’un corps étranger bronchiqueou pulmonaire ;- une bronchopneumopathie infectieuse dontl’origine reste à déterminer (bactérienne, virale :maladie de Carré, parasitaire ou fongique) ;- un processus tumoral, peu vraisemblable enraison du jeune âge de l’animal ;- un syndrome éosinophilique ou une fibrosepulmonaire, même si la toux n’est pas constantelors de ces affections.

5. Examens complémentaires En raison de l’état clinique de l’animal, unehospitalisation est décidée afin de permettre laréalisation d’examens complémentaires.

! Analyses sanguinesLa numération formule sanguine ne présentepas d’anomalie : elle ne permet pas de révélerla présence d’un foyer infectieux pulmonaire.Le bilan biochimique met en évidence uneaugmentation modérée de l’urémie (11,2 mmol/l,norme : 3 à 9 mmol/l), sans augmentation de lacréatininémie (88 µmol/l, norme : 20 à110 µmol/l). Cette modification peut êtrecompatible avec une atteinte prérénalesecondaire à la déshydratation de l’animal.Aucun bilan de coagulation n’a été effectué.

! Radiographies Des radiographies du thorax sont réalisées afind’explorer l’affection pulmonaire. Une opacifi-cation pulmonaire de type alvéolaire multifo-cale est visible en région ventrale et caudale duchamp pulmonaire, compatible avec unebronchopneumonie infectieuse, une hémorra-gie pulmonaire ou une infiltration tumorale(PHOTOS 1 ET 2). Une hépatomégalie est en outre identifiée grâceà l’examen radiographique.

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Pratiquer / CAS CLINIQUE /

Un cas d’angiostrongylosechez une jeune chienne

PARASITOLOGIE CANINE

par Thomas Chuzel*

et Jean-Pierre Cotard*** École nationale vétérinaire

de Lyon - BP 8369 280 Marcy-l’Étoile

** École nationale vétérinaire d’Alfort

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! Échographie Afin d’identifier la cause de la douleur abdomi-nale, une échographie abdominale est réalisée.L’hépatomégalie est confirmée, mais le foieprésente une échogénicité normale. Une légèrepyélectasie est observable sur le rein gauche.Le reste de l’examen échographique ne présentepas d’autre anomalie. L’examen échographiquene permet donc pas de déterminer la cause dela douleur à la palpation.

! Endoscopie Une endoscopie respiratoire, suivie d’un lavagebroncho-alvéolaire (LBA), sont réalisés sousanesthésie générale afin de pouvoir détermi-ner avec exactitude l’étiologie de cette atteinterespiratoire. En effet, l’endoscopie permet devisualiser l’arbre respiratoire supérieur maisne permet pas l’exploration de l’appareilrespiratoire profond, secteur qui peut êtreexploré de manière indirecte par la réalisationd’un LBA.La chienne est anesthésiée à l’aide d’uneinjection de midazolam(1) (Hypnovel® à la dosede 0,3 mg/kg par voie intramusculaire enprémédication, suivie quinze minutes plus tardde l’administration par voie intraveineuse d’unmélange propofol/thiopental (Rapinovet®

/Nesdonal®), à la dose respective de 2 et 5 mg/kg.Ce protocole permet une anesthésie de courtedurée adaptée à ce type d’acte rapide.L’endoscopie respiratoire ne met pas enévidence d’anomalie de l’appareil respiratoireprofond. Le LBA est alors réalisé (2 ml/kg desérum salé isotonique stérile sont injectés enbolus par le canal opérateur de l’endoscope puissont ensuite aspirés immédiatement, pour unrendement moyen de 40 à 60 %). Le prélève-ment est ensuite réparti en deux tubes : un secpour la bactériologie et un contenant de l’EDTApour l’analyse cytologique.Le liquide de lavage recueilli est fortement teintéde sang, ce qui suggère des saignements dansle territoire respiratoire profond. Des analysescytologiques et bactériologiques sont effectuéessur l’échantillon recueilli.

! Analyse cytologique L’examen des pastilles de cytocentrifugation duliquide de lavage broncho-alvéolaire révèle unphénomène nettement inflammatoire, caracté-risé par une réaction histiocytaire de typegranulomatose, associée à la présence dequelques larves qui évoquent des larves destrongles. Cette découverte permet d’établir undiagnostic de bronchopneumopathie parasitaire.

! DiagnosticDevant la présence d’éléments parasitaires dansle liquide du lavage broncho-alvéolaire, unecoproscopie simple est demandée. Elle permetla mise en évidence de larves de strongles dansles selles, identifiées comme des larves de stadeL1 d’Angiostrongylus vasorum. Elles se caracté-risent par l’absence d’appareil rhabditoïdevisible et par la présence d’une capsulecéphalique réduite, mais présente. Cettedernière caractéristique permet de les différen-cier de celles d’Oslerus osleri, autre strongle

respiratoire du chien, dont les larves L1 nepossèdent pas de capsule céphalique.Devant les résultats obtenus par la coproscopieet par l’analyse du liquide de lavage broncho-alvéolaire, un diagnostic d’angiostrongylosecardiopulmonaire peut donc être établi.

! TraitementUn traitement à base de fenbendazole(Panacur®, à la dose de 50 mg/kg une fois parjour, est alors instauré pendant cinq jours,associé à l’administration de corticoïdes : !!

PHOTO 1. Radiographie thoracique en vue de profil : Opacification pulmonaire de type alvéolaire multifocale en région caudale du champ pulmonaire

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PHOTO 2. Radiographie thoracique en vue de face : l’opacification pulmonaire de typealvéolaire multifocale est compatible avec une bronchopneumonie infectieuse, une hémorragie pulmonaire ou une infiltrationtumorale.

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(1) Médicament à usage humain.

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prednisolone (Cortancyl®, à la dose de1 mg/kg/jour en deux prises par voie oralependant la même durée. Une réhydratationparentérale à base de soluté cristalloïdeisotonique (NaCl 0,9 %) est en outre mise enplace afin de corriger la déshydratation.Une nette amélioration de l’état général estobservée 48 heures après le début du traitement.La toux disparaît et la température rectale senormalise rapidement.L’animal est rendu à ses propriétaires 72 heuresaprès le début de l’hospitalisation.

! ÉvolutionLa chienne est revue un mois plus tard pour uneconsultation de contrôle. Son état général estjugé satisfaisant : elle a repris 3 kg et sa toux adisparu. Son examen clinique ne permet pas demettre en évidence d’anomalie et la coprosco-pie simple effectuée ce jour-là est négative.Des radiographies pulmonaires de contrôle sontréalisées afin de confirmer l’évolution favora-ble : une opacification interstitielle diffuse esttoujours visible, mais une évolution satisfai-sante est néanmoins notée (PHOTOS 3 ET 4).Quatorze mois après le diagnostic d’angios-trongylose, la chienne se porte bien et est enparfaite santé ; aucune rechute n’est à signaler.

Discussion1. Rappels épidémiologiquesL’angiostrongylose est une helminthose due àla migration, au développement et à l’actionpathogène d’un strongle respiratoire, Angios-trongylus vasorum (appelé également “frenchheartworm” par les Anglo-saxons ou “vermirliton” en France) présent au stade adultedans le cœur droit et dans les ramificationsultimes des artères pulmonaires. Ce parasite,transmis par l’intermédiaire de mollusquesgastéropodes, est responsable d’une insuffisancecardiaque droite, associée à des troublesrespiratoires dus à des lésions d’endartérite.Cette angiostrongylose est parfois appeléestrongylose cardiopulmonaire.Cette parasitose, historiquement remarquéedans les environs de Toulouse [2], semble avoirune répartition géographique plus vaste depuisquelques décennies. Une enquête épidémiolo-gique récente [2], réalisée durant l’année 2000auprès de plus de 220 cliniques vétérinairesfrançaises, a montré que toute la superficie duterritoire français semble touchée par cettemaladie parasitaire, qui s’exprime cliniquementsurtout chez le jeune chien (âgé de moins detrois ans), mais aussi chez le chien adulte âgéde plus de six ans.Cette parasitose a également été décrite dansla plupart des pays européens, la plupart dutemps sous la forme de foyers d’enzootie trèslocalisés [1]. Ainsi, lors d’une étude épidémio-logique rétrospective compilant tous les casdécrits dans la province de Cornouailles auRoyaume-Uni, sept cas sur huit d’angiostron-gylose ont été identifiés dans une zone de dixkilomètres de diamètre autour de la ville deRedruth [5].

2. Classification et cycle parasitaireAngiostrongylus vasorum est un nématode quiappartient à la super famille des Métastrongy-lidés, caractérisée par une capsule buccaleextrêmement réduite et une bourse caudaleatrophiée (caractères des “strongles respiratoi-res”) (PHOTO 5). Après la ponte, les œufs (70 à100 x 40 à 60 µm) sont libérés au niveau descapillaires pulmonaires. Les larves L1 gagnentles alvéoles pulmonaires et remontent le longdu tractus respiratoire avant d’être déglutiespar le chien. Elles passent alors dans le tube

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Pratiquer / CAS CLINIQUE /!!

PHOTO 3. Radiographie thoracique en vue de profil : Une opacification interstitiellediffuse est toujours notée.

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PHOTO 4. Radiographie thoracique en vue de face : une opacification interstitielle diffusepersiste, mais une évolution satisfaisante est néanmoins notée.

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ATTENTIONToute la superficie du territoire françaissemble touchée par cette parasitose,qui s’exprime cliniquementsurtout chez le jeune chien.

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digestif et sont éliminées dans les selles. Ellesinfestent ensuite leur hôte intermédiaire, quiest soit une limace, soit un escargot. Elles s’ytransforment en L2, puis en L3. Le chien se contamine par l’ingestion demollusques, ce qui provoque la libération deslarves dans la lumière digestive. Ces dernièresrejoignent les nœuds lymphatiques mésenté-riques où elles muent en L4, puis en L5immatures. De là, elles empruntent la veineporte, puis la veine cave caudale, pour venirs’emboliser dans les artères pulmonaires (ainsique dans le cœur droit) où se déroulent lafécondation et la ponte.A. vasorum ne parasite pas le chat. Ce dernierpeut toutefois être infecté par une espècevoisine, Aelurostrongylus abstrusus [2].

3. Signes cliniquesAprès une période prépatente d’environ un moiset demi, les symptômes apparaissent le plussouvent de façon lente et progressive, commedans le cas présenté, sur plusieurs semaines,voire plusieurs mois.• La forme d’état classique est dominée parl’association de symptômes respiratoires etcardiaques d’évolution chronique. La présencedes parasites dans les artères pulmonairesinduit l’apparition d’une hypertensionpulmonaire responsable d’une hypertrophie duventricule droit (cœur pulmonaire) et à terme,l’installation d’une insuffisance cardiaquedroite. • Une dégradation progressive de l’état général,un abattement, des vomissements, une perte depoids, une anorexie, un retard de croissance etune intolérance à l’effort, peuvent être notés,associés à une progression des symptômesrespiratoires. La polypnée et la dyspnée peuventêtre permanentes, même au repos, avec untirage costal possible [b]. Un cas de dilatationgastrique, secondaire à l’ingestion d’air engrande quantité, a été décrit comme complica-tion possible [4]. Cette phase correspond àl’établissement de lésions pulmonaires, tellesque de l’emphysème, une pneumonie intersti-tielle ou de la fibrose. Ces lésions entraînent,par une gêne à la circulation artérielle(phénomènes d’hypertension pulmonaire), desrépercussions en amont sur le fonctionnementdu cœur droit, responsables de signes cliniquesd’insuffisance cardiaque : ascite, congestionhépatique, épanchement pleural. En l’absencede traitement, l’issue est souvent fatale. Dans le cas décrit, aucun symptôme d’insuffi-sance cardiaque n’a été noté, sans doute enraison d’une période d’évolution relativementcourte de la maladie depuis les premiers signes(l’atteinte respiratoire précède souvent lessymptômes cardiaques).• De nombreuses autres formes cliniques sontnéanmoins possibles lors de localisationserratiques des parasites. Des signes cliniquesvariés peuvent occulter l’affection causale, cequi constitue un défi diagnostique. Tous ces cas sont dus à la migration de larvesimmatures au travers des capillaires pulmonai-res. Elles atteignent le cœur gauche, où ellesempruntent l’aorte et ses ramifications pour

s’emboliser dans différents organes responsa-bles des symptômes particuliers. Quelques casd’angiostrongylose, avec présence de vers dansle cœur gauche et les veines pulmonaires, ainsique celle de larves embolisées dans la grandecirculation, ont été rapportés. Dans la majoritédes cas, ces larves se retrouvent dans le cerveauou les reins. Il a ainsi été décrit des manifesta-tions neurologiques (parésie ou paralysie desmembres postérieurs, défaut de proprioception)associées à la présence de larves emboliséesdans le cerveau, des hémorragies sous-duralesou des néphrites chroniques, chez des animauxatteints de manière prolongée [1].Une forme oculaire unilatérale, caractériséepar une uvéite granulomateuse, avec uneanisocorie et un myosis, peut être associée à laprésence d’un parasite dans la chambreantérieure [3, a].• D’autres formes cliniques particulières sontnotamment caractérisées par une coagulationintravasculaire disséminée chronique. Unethrombopénie, avec des hématomes, de l’épis-taxis ou une hémoptysie, peuvent être les seulssignes cliniques : ces symptômes mimentparfois une intoxication aux rodenticidesanticoagulants [6].

4. Diagnostic• Le diagnostic de l’angiostrongylose caninerepose sur la mise en évidence des larves L1 d’A. vasorum. Ces dernières sont excrétées dansles selles après passage dans le tractus respira-toire profond. La coproscopie simple, ou mieuxla méthode de Baermann (qui permet deconcentrer les larves présentes dans les selleset ainsi d’augmenter la sensibilité) permettentdonc de mettre le parasite en évidence [5].Comme l’excrétion des larves peut être intermit-tente, l’examen coproscopique peut êtrerenouvelé si le premier examen est négatif, lorsde forte suspicion clinique.• La mise en évidence de larves L1 d’A. vasorumdans le tractus respiratoire profond lors del’examen cytologique des échantillons recueillissuite au lavage broncho-alvéolaire peut (commedans ce cas) permettre d’établir le diagnostic.• Aucune technique sérologique diagnostiquen’est disponible actuellement, bien que certai-nes aient été décrites [1]. La présence de larvesdans le torrent circulatoire n’a pas été rappor-tée (comme lors de dirofilariose, avec la miseen évidence de microfilaires par examenmicroscopique du frottis sanguin).• Les changements biochimiques et hématolo-giques sont variés et non spécifiques : uneéosinophilie et une anémie semblent êtresouvent retrouvées [7, b].• Bien qu’elles ne soient pas pathognomo-niques, les radiographies pulmonaires sontindispensables. Une opacification diffusepéribronchique et interstitielle peut être visibleen début d’évolution. Une opacificationalvéolaire nodulaire diffuse plus marquéeapparaît ensuite progressivement dans les lobespulmonaires caudaux. Des scissures interlo-baires, qui révèlent un épanchement pleural etune lymphadénomégalie périhilaire, sontquelquefois présentes [7]. !!

PHOTO 5. Larve L1d’Angiostrongylus vasorum.

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Points forts! L’angiostrongylose est une parasitose du chiencausée par un nématode :Angiostrongylus vasorum,présent à l’état adulte dans le cœur droit et les artères pulmonaires.

! A. vasorum est responsablede symptômes respiratoireschroniques dominés par latoux et parfois associés à uneinsuffisance cardiaque droite.

! Une opacification alvéolairenodulaire diffuse, plusmarquée dans les lobespulmonaires caudaux, est généralement visible surles radiographies pulmonaireslors de la phase d’état.

! Le diagnostic repose sur la mise en évidence de larves de stade I dans les selles ou dans le liquidede lavage broncho-alvéolaire.

! Le traitement fait appel aux nématodicidesclassiques, en associationavec des anti-inflammatoiresafin de réduire les risquesd’anaphylaxie mortelle.

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Une cardiomégalie droite (image en “D inversé”sur la radiographie pulmonaire de face) et unedilatation des artères pulmonaires peuvent enoutre être observées chez des animaux au staded’insuffisance cardiaque.

5. PathogénieLa pathogénie repose essentiellement sur deuxmécanismes.• Le mécanisme essentiel réside dans laformation de micro-thrombus au sein desartérioles pulmonaires, secondaire aux lésionsd’endartérite qui résultent de l’action irritantedes larves immatures. L’inflammation des tissusqui entourent ces thrombus est à l’origine dessymptômes respiratoires, par l’installation d’unepneumonie interstitielle multifocale caractéri-sée macroscopiquement par les nodules visiblessur la surface des poumons [3]. À la fin de lapériode prépatente, de l’emphysème, deshémorragies ou des granulomes pulmonairespeuvent apparaître, suivis par l’installationd’une fibrose pulmonaire marquée. Cettefibrose pulmonaire est responsable, par l’inter-médiaire de l’hypertension pulmonaireengendrée, de l’insuffisance cardiaque droite etdes signes cliniques associés : épanchementpleural, congestion hépatique et ascite [4].• L’autre mécanisme pathologique, plus rare,impliquerait la libération de facteurs antigé-niques responsables d’une CIVD par consom-mation de plaquettes et des facteurs de coagula-tion (cependant, il n’y a pas toujours de CIVDmalgré l’observation de saignements ; unesimple augmentation du temps de Quick estparfois mise en évidence). Cette thrombopéniepeut être d’origine immunologique, comme le

laisse supposer la présence d’anticorps antipla-quettes retrouvés chez les animaux atteints [8].

6. TraitementLe traitement de cette helminthose estspécifique et symptomatique.• Le traitement spécifique fait essentiellementappel aux benzimidazoles. Les endectocidessont également efficaces, comme l’abamectine(2)

[b] et le lévamisole [a], dont la faible margethérapeutique et le risque d’anaphylaxie [9]rendent l’administration dangereuse (voir leTABLEAU “Principaux anthelmintiques etconditions d’utilisation chez le chien”).• Le traitement symptomatique, associé autraitement anthelminthique est indispensableen raison de l’insuffisance cardiaque et desrisques d’embolie pulmonaire qui résultent dela lyse des vers et peuvent être responsablesd’une exacerbation des symptômes (dyspnée,toux). Il a été aussi décrit d’associer au traite-ment spécifique anthelminthique des anti-agrégants plaquettaires comme l’aspirine(1) (10 à15 mg/kg/j par voie orale) durant les cinq joursqui précèdent l’administration du nématodi-cide, afin de réduire les risques de formationde thrombus [1, b].L’administration concomitante de corticoïdesest conseil lée (prednisolone à la dosed’1 mg/kg/jour en deux prises) pour réduire lesrisques d’anaphylaxie et de formations decomplexes-immuns, observables en début detraitement spécifique et qui peuvent être respon-sables d’un choc hypovolémique grave [9].La prophylaxie de l’angiostrongylose réside surla destruction des mollusques hôtes intermé-diaires aux abords des chenils (peu réalisableen pratique cependant), ainsi que sur ladestruction des selles des animaux atteints oususpects, afin de réduire le risque de transmis-sion [1, 2].

Ce cas illustre la nécessité de préciser l’étiolo-gie d’une bronchopneumopathie afin de mettreen œuvre le traitement adéquat. L’endoscopiede l’arbre respiratoire profond, associée aulavage de ces territoires, permet souvent depréciser la nature de l’atteinte respiratoire grâceaux examens cytobactériologiques. Lorsquel’endoscopie n’est pas disponible, un lavagebroncho-alvéolaire à l’aveugle ou la réalisationde coproscopies répétées sont les autres moyensde mettre en évidence la présence de larves L1d’Angiostrongylus vasorum. ■

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Pratiquer / CAS CLINIQUE /!!

Lévamisole(2) 7,5 mg/kg, 2 injections SC à 10 jours d’intervalle

Mébendazole 50 mg/kg, 2 fois/j PO si < 2 kg pendant 5 jours100 mg/kg 2 fois/j PO si > 2 kg pendant 5 jours

Fendendazole 20 mg/kg 2 fois/j PO pendant 10 jours

Ivermectine(2) 0,2 mg/kg, 2 injections SC à 10 jours d’intervalle

Abamectine(2) 200 µg/kg SC

Anthelminthique Conditions d’utilisation

(2) AMM non validée dans cette espèce pour cette indicationSC : par voie sous-cutanée ; PO : par voie orale.(D’après [2, b])

Principaux anthelmintiques et conditions d’utilisation chez le chien

Bibliographie1 - Bolt G, Monrad J, Koch J et coll. Canineangiostrongylosis : a review. Vet. Record. 1994;135:447-452.2 - Bourboiseau G. Les affections parasitaires respiratoiresdu chien. Dans: Pathologie respiratoire des carnivoresdomestiques. Point Vét. 1995;27:449-458.3 - Bourdoiseau G. L’angiostrongylose cardiopulmonaire.Dans: Parasitologie clinique du chien. Nouv. Ed. Vét. Alim.2000:203-208.4 - Kock J, Jensen A L, Monrad J. Angiostrongylusvasorum infection in a scottish terrier associated withgastric dilation. J. Small Anim. Pract. 1992;33:239-241.5 - Martin M W, Neal C. Distribution of angiostrongylosis

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En savoir plus- Cadoré J.-L, Bourdoiseau G. Le cœur pulmonaire. Point Vét.2002;(n° spécial “Actualitésthérapeutiques en cardiologie du chien et du chat”):84-86.- Cazelles C, Montagner C. Un cas d’angiostrongylose chez une chienne. Point Vét.2000;31(209):425-428.- Bourdeau P. Enquête sur l’angiostrongylose en France(Courrier des lecteurs). Point Vét. 1999;30(199):267.

À lire égalementb - Royer H, Hugnet C.Angiostrongylose canine. ActionVét. 2000;1524:11-15.

Congrèsa - Bourdeau P, Mariette F.Epidemiosurvey ofangiostrongylosis in dogs inFrance : Preliminary results.Proceedings WAAVP. Stresa, Italie.Août 2001.

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Rubrique formation

(1) Médicament à usage humain.

(2) AMM non validée dans cette espèce pour cette indication.

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