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Polonais, Français : frères ennemis ou frères amis ? Le management efficace et les différences culturelles dans l’entreprise Wiola Święcicka Joanna Mikołajczak Varsovie, juin 2004 Bernard Brunhes Polska ul. Smolna 38 m. 3 00 – 753 Warszawa www.brunhes.pl

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Polonais, Français : frères ennemis ou

frères amis ?

Le management efficace et les différences culturelles dans l’entreprise

Wiola Święcicka Joanna Mikołajczak

Varsovie, juin 2004

Bernard Brunhes Polska ul. Smolna 38 m. 3 00 – 753 Warszawa www.brunhes.pl

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Sommaire : Introduction........................................................................3

1. Stéréotypes et attitudes ..................................................6

Polonais, Français – frères ennemis ou frères amis ? ..........7 Les motivations des Français : curiosité ou désir de faire carrière ? ........................................................................7 L’investisseur français : opportunité ou menace ?...............7 Les colonisateurs français.................................................8 La fierté polonaise et le complexe d’infériorité..................11 Ce que les Français ne savent pas sur la Pologne … .........14

2. Communication ............................................................16 La langue pose-t-elle problème ? ....................................17 Est-ce l’attitude qui pose problème ?...............................17 Polonais et Français : sommes-nous arrogants ? ..............20

3. Hiérarchie et leadership.................................................25 Autorité : qu’est-ce que cela signifie ? .............................26 Chef autoritaire ou démocratique ? .................................29 Qui a peur de prendre des décisions ?.............................34 Combien de temps accorder à la concertation ? ...............35 Créativité, initiative et prise de risques ............................37

4. Planification et organisation du travail ............................42 Planification ou action spontanée ? .................................47 Résoudre des problèmes est-il un problème ? ..................52 Travail en équipe ou en solitaire … .................................53

5. Travail et vie privée ......................................................55 Travailler le soir ….........................................................56 Motivation et engagement..............................................61 Travail et savoir-vivre ....................................................63

Conclusions ......................................................................67 Si vous travaillez avec des Français … .............................67 Si vous travaillez avec des Polonais … .............................68

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Introduction Avant tout, s’efforcer de comprendre.

Stephen Covey

Les malentendus entre frères sont profonds, à commencer par le fait que le Polonais prend la question « comment ça va ? » au sérieux et répond en racontant tous ses derniers malheurs (culture du gémissement). Le Français voit dans cette question un signe de courtoisie et n’admet qu’une seule et unique réponse : « ça va » (culture du bonheur). Le Français ne veut pas connaître les malheurs de son prochain. Le Polonais le veut, et pense le devoir. Le Français ne veut pas faire partager ses propres malheurs. Le Polonais le veut, et estime que la sincérité l’impose. Bref, un Polonais à qui l’on aura demandé comment ça va, fera perdre au Français plusieurs heures dont celui-ci ne dispose pas parce qu’il est pressé d’aller déjeuner. Il le mettra mal à l’aise en l’assommant d’une litanie de problèmes auxquels le Français ne peut rien. Le Français va se mettre à éviter le Polonais en se sentant coupable de ne pas l’avoir aidé, sans pour autant savoir comment il aurait pu l’aider, ni vouloir perdre de temps à l’aider. À la question « comment ça va dans l’entreprise ? », le Français répondra « ça va », c’est-à-dire qu’il construira une image positive. Le Polonais récitera toute une liste de problèmes, c’est-à-dire qu’il créera un tableau-catastrophe. On imagine toutes les conséquences qui s’ensuivent dans les deux cas. Pour ma part, j’ai appris à combiner la « culture du gémissement » avec la « culture du bonheur ». A la question « ça va ? », je réponds d’habitude d’un ton gai « très mal, merci », ce que tout le monde prend pour une plaisanterie, même si je meurs de désespoir. (Polonaise, cadre à un poste administratif)

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Ce rapport est consacré aux enjeux du management dans les entreprises et les organisations qui sont à la charnière de deux cultures : la culture polonaise et la culture française. Ce rapport est le fruit d’une étude menée en 2003 par des consultants du cabinet de conseil Bernard Brunhes Polska.

Notre objectif a été de diagnostiquer les différences culturelles entre les Polonais et les Français, les difficultés qu’elles posent et les moyens de les surmonter dans la vie des entreprises et des organisations présentes sur le marché polonais.

Le choix de ce thème a été motivé par la question des différences culturelles, à laquelle nous sommes souvent confrontées, aussi bien parmi nos clients, dont la majorité est constituée d’entreprises à capital polono-français, que parmi nos collègues du Groupe Bernard Brunhes.

Nous nous sommes basées sur nos expériences antérieures et sur les sources écrites disponibles pour mettre au point une première version de questionnaire et d’entretien. En juin et juillet 2003, nous avons procédé à une étude-pilote sur un échantillon d’une trentaine de personnes. Les résultats ont permis d’identifier les principaux enjeux et de préparer une version définitive des questions destinées à l’enquête et à l’entretien individuel. Pendant les trois mois suivants, nous avons envoyé le questionnaires à 240 entreprises et procédé à des entretiens individuels. L’enquête a porté sur des Polonais et des Français employés à divers postes et représentant toutes sortes de spécialités. Au final, nous avons reçu pratiquement 100 questionnaires remplis. Des entretiens individuels ont été effectués avec plus de 50 cadres et chargés de mission de nationalité polonaise et française, travaillant dans divers secteurs de l’économie.

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Avant-propos

Cette étude s’est avérée être un projet difficile. Il a fallu contacter de nombreuses personnes, toutes très occupées, et les faire s’intéresser à un sujet qui n’était pas prioritaire dans leur activité quotidienne. Il a fallu mobiliser des consultants qui, en parallèle, travaillaient sur d’autres dossiers puisque cette étude, plus qu’un projet stratégique pour l’activité de notre cabinet, était d’abord la réalisation d’un de nos rêves. Ce rêve étant devenu réalité, nous vous remettons ce rapport, qui rassemble les conclusions les plus intéressantes de l’étude et les opinions des répondants. Nous espérons que ces résultats aboutiront à un approfondissement de la discussion et de la réflexion sur les différences culturelles, et contriburont ainsi à l’amélioration de la coopération polono-française dans le domaine des affaires et sur le plan culturel.

Nous remercions toutes les personnes et les entreprises qui ont pris part à cette étude. Qu’elles soient ici remerciées pour le temps qu’elles nous ont consacré et leur ouverture d’esprit pendant les entretiens, ainsi que pour la richesse de leurs observations et de leurs réflexions.

Nous remercions particulièrement Monsieur Thierry Lepercq, président de Renault Trucks, qui a bien voulu partager avec nous ses propres expériences et mettre à notre disposition l’étude qu’il prépare dans le cadre du club des cadres français APM.

Nous remercions Vincent Lamort de Gail, qui nous a suggéré des contacts intéressants et a porté un regard critique sur notre initiative, ainsi que Łukasz Byrski pour ses précieuses observations et remarques et pour son soutien dans les moments difficiles.

Nous remercions particulièrement Marion Chailllou, stagiaire française dans notre cabinet, qui a consacré beaucoup d’énergie et d’engagement personnel à cette étude.

Nous remercions enfin notre directeur, Michał Kurtyka, pour sa patience et ses observations critiques lors des étapes successives du travail, et en particulier pour nous avoir permis de réaliser ce projet extrêmement intéressant.

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1. Stéréotypes et attitudes Pour la Pologne, (…) la France est ce premier grand amour, cet amour auquel l’on revient toujours.

Jerzy Turowicz

Est-il vrai que les Polonais aiment les Français ? Pourquoi les Français viennent-ils en Pologne ? Les Français et les Polonais sont-ils satisfaits de leur coopération ? Quelles chances et quelles menaces le capital français investi en Pologne implique-t-il ? Qu’attendent les Polonais des investisseurs français ? Comment les Polonais perçoivent-ils les Français avec lesquels ils travaillent ? Qu’est ce qu’ils apprécient et aiment, et quels sont les traits et comportements qui ne leur sont pas sympathiques ? Comment les Français jugent-ils les Polonais avec lesquels ils travaillent ? Qu’est-ce qui caractéristise les Polonais, et qu’est ce qui distingue les Français ? Les Français et les Polonais ont-ils des traits communs ? Ce chapitre est consacré aux enjeux que recouvrent l’attitude et la perception mutuelle des deux nations. Il pointe les aspects positifs et négatifs de l’image mutuelle des Polonais et des Français.

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Polonais, Français – frères ennemis ou frères amis ?

Les Français comme les Polonais se font une haute idée du niveau de satisfaction donnée par la coopération polono-française. Pas moins de 88 % des Français et 81 % des Polonais interrogés ont qualifié la coopération de « plutôt ou très satisfaisante ». Ce résultat confirme le sentiment général selon lequel les Polonais éprouvent beaucoup de sympathie pour les Français, et réciproquement. Le français est la quatrième langue la plus enseignée en Pologne ; la France occupe la première place des investissements en Pologne depuis plusieurs années. La riche histoire des relations bilatérales entre les deux pays remonte à un passé lointain. Il suffit pour cela de mentionner des personnalités historiques telles que Napoléon, Chopin ou Marie Skłodowska-Curie, connues et appréciées aussi bien en Pologne qu’en France, et qui ont eu une influence sensible sur le devenir et l’histoire des deux pays.

Sympathie mutuelle

Les motivations des Français : curiosité ou désir de faire carrière ?

Les motivations des Français qui viennent en Pologne sont diverses. Nombre d’entre eux, d’origine polonaise, sont désireux de visiter et d’apprendre à connaître le pays de leurs aïeux. Les cadres français sont nombreux à estimer que, en comparaison avec les pays occidentaux, la Pologne offre de meilleures opportunités pour développer ses affaires et faire carrière. Le caractère avantageux, au point de vue financier, du statut d’expatrié constitue une motivation fréquente pour la venue en Pologne. Parmi les facteurs de motivation pour venir ici, certains Français mentionnent aussi la recherche d’un conjoint. Souvent, les motivations des Français influencent voire conditionnent leurs attitudes à leur arrivée en Pologne.

Racines polonaises et opportunités de carrière

L’investisseur français : opportunité ou menace ?

Dans presque toutes les organisations analysées, la coopération franco-polonaise a commencé par une reprise totale ou partielle des parts de la société par des investisseurs français. Face à ce type de situations, deux attitudes extrêmes peuvent être identifiées : de la réticence et de la résistance farouche des employés et des organisations syndicales

Transfert de savoir-faire

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à l’enthousiasme et à l’ouverture au changement. Bien souvent, ces attitudes coexistent et se manifestent avec plus ou moins d’acuité, en fonction de la spécificité et de la situation d’une entreprise donnée. L’approche et les attentes des employés polonais sont étroitement liées à la situation de leur entreprise. La majorité des Polonais perçoit la France comme un pays plus avancé que la Pologne en termes de technologies modernes, de méthodes d’organisation du travail et de management. Les employés polonais des sociétés reprises s’attendent donc à ce que les Français transfèrent leur savoir-faire en technologies, méthodes et modes d’organisation et de management, ainsi qu’à un appui en capitaux de la part des investisseurs. Nombre de Polonais font preuve d’ouverture et ont une approche très amicale envers tout ce que les Français veulent apporter à l’organisation.

En revanche, pour de nombreux employés polonais, les Français en Pologne sont des représentants de l’actionnaire, venus pour mettre en œuvre un processus de changement axé sur l’amélioration de la rentabilité et l’accroissement de la productivité de l’entreprise. Nombre d’employés ressentent l’acquisition de l’entreprise par un investisseur étranger comme la sanction d’un management déficient, ce qui les rend très réservés envers les Français nouveaux arrivants et leur politique. Dans la mesure où, dans la plupart des cas, les réorganisations et les fusions d’entreprises impliquent des réductions d’effectifs, les employés craignent de perdre leur emploi ou de voir leurs conditions de travail modifiées, alors qu’il y a longtemps que le taux de chômage se maintient aux alentours de 18 %.

Appréhension du changement

Les colonisateurs français

… bien entendu, le progrès nécessite une proche coopération entre voisins, à condition toutefois que la coopération ne signifie pas, dans les faits, de se faire absorber par un appareil étatique étranger… (Déclaration de Charles de Gaulle lors de sa visite officielle en Pologne en 1967).

Selon de nombreux répondants polonais ayant pris part à l’étude, la majorité des Français qui viennent en Pologne se sentent investis d’une « mission civilisatrice ». De nombreux

Mission civilisatrice

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Français paraissent convaincus que la France, et tout ce qui est français, est un modèle que les Polonais seraient bien inspirés de suivre et, dans la mesure du possible, de reproduire dans la réalité polonaise. De nombreux Polonais le ressentent comme une attitude de « colonisateurs ».

Les Français viennent en Pologne en pays conquis. Ils exigent que chacun parle français et veulent avoir la même vie qu’ils avaient en France. Ils veulent que les relations entre les gens, les heures des repas et la législation soient les mêmes qu’en France - il y en a qui tombent des nues quand quelque chose s’avère différent. (Polonais, chargé de mission à l’Ambassade de France)

Mes expériences de travail avec les Français, et ça fait 5 ans que j’en côtoie, sont les suivantes. Ils viennent en Pologne et ils croient tout savoir mieux que les autres. En tous cas, si quelque chose a fait ses preuves en France, c’est sûrement que c’est quelque chose de bien. Ils viennent chez nous et veulent tout changer, comme si avant eux rien ne s’était passé ici. Ils veulent tout apprendre à tout le monde, même ce qu’ils ne savent pas faire eux-mêmes. Mais il faut en passer par là et attendre un peu. (Polonais, assistant de direction, secteur énergétique)

Certains de nos répondants polonais affirment avoir le sentiment d’être traités « d’en haut » et de se sentir comme des étrangers dans leur propre pays. Ce sentiment apparaît face à une politique consistant à mettre en place une « France bis », comme peut l’illustrer la situation décrite ci-dessous. Cependant, l’expérience montre qu’une telle approche ne tient pas la route.

Une France bis

Au début de notre activité en Pologne, nous nous efforcions d’avoir recours à des solutions éprouvées en France. Nous produisions des versions polonaises d’émissions françaises, en quelque sorte des équivalents des émissions appréciées en France. Mais l’humour français, fondé sur l’auto-ironie, et l’humour polonais, de type cabaret, n’ont pas grand chose à voir l’un avec l’autre. Ces émissions n’ont pas plu au public polonais. Il en a été de même des films avec doublage par des voix masculines et féminines, comme pratiqué à la télévision française. Les Polonais sont habitués au lecteur monocorde, ce

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qui leur permet d’entendre le son original. Au bout de deux ans, il a fallu abandonner cette idée, car le taux de satisfaction des téléspectateurs polonais ne dépassait pas 25 %. (Français, directeur, secteur de la télévision)

Les Français manquent parfois de respect en France, et il en va de même des Français en Pologne. Certains Français manquent de respect et sont cavaliers envers les Polonais, mais ils ont la même attitude envers d’autres Français. La différence consiste en ce que les Polonais oublient que cela ne résulte pas d’un dédain des Polonais. Ils ressentent ces comportements plus vivement, mais n’en parlent pas, ne l’extériorisent pas, ils répriment leur réaction au lieu d’en parler à haute voix. (Français, cadre, société gérant des centres commerciaux)

Certains Français affirment vouloir partager et transmettre leurs propres expériences tout en se rendant bien compte qu’elles ne peuvent servir que d’inspiration dans le contexte polonais.

L’important est de garder à l’esprit que le marché polonais a sa spécificité et que toutes les solutions ayant bien marché en France ne sont pas automatiquement réalisables en Pologne. Hélas, de nombreux cadres français, notamment au début de leur cursus en Pologne, n’en sont pas complètement conscients. Notre approche et notre attitude doivent convaincre les Polonais que nous traitons notre travail sérieusement, que nous tenons à ce que les entreprises polonaises fonctionnent bien et se développent, et non pas simplement à transférer en France le plus de bénéfices possibles. (Français, directeur, secteur des produits à rotation rapide).

Selon de nombreux répondants français, l’ambiance de travail est une question très importante pour les employés polonais. Les Français soulignent que lorsque les Polonais se sentent en confiance et en sécurité, ils deviennent ouverts et loquaces, même sur des questions difficiles. Pour une coopération satisfaisante et efficace, il importe de gagner la confiance de ses collaborateurs polonais.

Construire un climat de confiance mutuelle

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Quand je suis arrivé en Pologne et que j’ai commencé à travailler avec des Polonais, je n’ai pas tardé à me rendre compte qu’ils n'avaient pas confiance en moi et me traitaient un peu comme un espion. Il a fallu les convaincre que je n’étais pas venu pour les juger ni leur faire rendre des comptes sur ce qui était mauvais, mais pour que, ensemble, en puisant dans mon savoir-faire et mon expérience, nous puissions mettre au point des solutions qui nous permettraient de mieux travailler tous ensemble. Je me suis efforcé de les convaincre que nous étions ensemble et que nous avions un objectif commun. Il a fallu que je montre que je m’étais déjà intégré dans l’entreprise, et que je n’étais pas là pour informer Paris de ce qui était mauvais ou de ce qui ne fonctionnait pas. Les Polonais craignaient de me présenter les dossiers difficiles et de me parler des problèmes. Pour ma part, j’ai été d’accord de travailler avec eux sans porter de jugement sur les résultats obtenus jusqu’à présent et j’ai promis d’être discret envers la maison-mère à Paris. Je crois que c’est cette attitude qui m’a permis de gagner leur confiance ; et ils ont alors commencé à me parler de leurs problèmes. (Français, conseiller du président, secteur énergétique)

Ne pas juger – donner un « crédit de confiance »

La fierté polonaise et le complexe d’infériorité

Selon nos répondants français, les Polonais ressentent un complexe d’infériorité par rapport aux étrangers, complexe qui se manifeste par une sensibilité plus aiguë à l’évaluation. Autant les Polonais souhaitent démontrer leur capacité à prendre des décisions et à être autonomes, autant ils sont très sensibles à toutes observations négatives et souvent incapables de supporter la critique constructive.

C’est dommage que les Polonais manquent de confiance en eux-mêmes. Ils ne sont pas sûrs de leur propre valeur et de leurs compétences. Ils ont souvent besoin qu’on leur confirme que ce qu’ils disent est bon et a du sens. Il faut les féliciter souvent et les conforter dans la conviction que leur travail est nécessaire et utile. (Français, cadre, secteur des télécommunications)

Les Polonais ont une attitude très négative envers eux-mêmes et leur propre entourage. Ils ne sont jamais contents de la situation dans laquelle ils se trouvent. Il y a toujours quelque

Ailleurs = meilleur

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chose qui cloche et on peut au moins parler de ça. C’est quelque chose qui m’a terriblement surpris au début, après mon arrivée. Je n’avais encore jamais vu autant de mécontents et de râleurs. À l’opposé, les Polonais semblent avoir croire de façon magique que tout est mieux et plus beau ailleurs. Un Polonais sera certain que les carottes de son voisin sont plus grosses et ont meilleur goût que celles qu’il cultive lui-même, et, si ce n’est pas le cas, cela peut arriver, sans aucun doute : alors, mieux vaut s’y préparer. Au début, je ne comprenais rien à cette attitude et je ne savais pas comment me comporter dans ce genre de situations au travail. (Français, cadre dans un cabinet de conseil)

Les Polonais ont une attitude très négative envers leur propre environnement, surestiment ce qui se passe ailleurs et n’ont pas confiance envers ce qui est polonais. Chacun croit que ça va mieux ailleurs et que l’autre, à coup sûr, n’a pas autant de problèmes. Or, il suffirait de réfléchir une minute pour se rendre compte que, même si les autres n’ont pas les mêmes problèmes que nous ici, ils ont certainement des problèmes : sans doute pas les mêmes certes, mais pas moins importants ni moins nombreux. (Français, cadre, secteur énergétique)

La plupart des polonais souffrent d’une déchirure bien particulière et difficilement explicable entre, d’une part, le sentiment de n’être bons à rien et, d’autre part, celui d’être compétents et capables d’accomplir des choses très difficiles et compliquées. Ce phénomène est difficile à expliquer et à comprendre. Il se manifeste par le fait que lorsque le supérieur délègue une tâche à l’employé, ce dernier doute de pouvoir y faire face et réagit souvent par des émotions fortement négatives, par exemple de la colère. Mais lorsqu’il parvient à cet objectif et que le supérieur le félicite, l’employé minimise ses mérites et souligne que la tâche n’était pas difficile. Qui plus est, et alors qu’il minimise ses propres mérites, l’employé se serait senti très sous-estimé et frustré si le chef ne lui avait pas montré sa reconnaissance.

Complexe d’infériorité et fierté

Les Polonais vivent dans la conviction que leur courage et leur patriotisme, confirmés par tant de guerres et d’insurrections, que le fait d’avoir combattu « pour Notre et Votre liberté », que leur histoire aussi glorieuse que compliquée leur assurent

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la reconnaissance et le respect des autres. C’est la raison pour laquelle ils croient occuper une place d’exception sur la scène politique et avoir droit à un traitement particulier : c’est bien cela dont se nourrit, au niveau collectif, la fierté nationale polonaise. Le fait que la Pologne soit située au centre de l’Europe est significatif en soi. En revanche, la plupart des Polonais sont conscients de leur faiblesse économique et du fait que c’est la puissance économique qui fait la force politique. Les Polonais ressentent des complexes à ce sujet, trouvent cela injuste et préfèrent ne pas trop en parler.

Au niveau individuel par contre, il est un sentiment répandu, selon lequel, malgré l’absence de technologies de pointe et un matériel moins avancé, nous réussissons souvent à résoudre des problèmes compliqués et à nous débrouiller aussi bien que les riches « occidentaux suréquipés ». Ce mariage particulier de fierté et de complexe d’infériorité donne souvent lieu à des réactions émotionnelles dans la coopération avec les autres nations.

L’expérience a montré que favoriser l’autonomie des employés et les inciter à développer leurs compétences s’avèrent une méthode efficace pour faire face à une telle situation. Il est très important de formuler clairement les attentes et de fournir un retour d’informations sur les missions effectuées, en particulier pour les informations positives.

Pour chaque employé, il existe un descriptif de poste comprenant les missions à réaliser et les compétences requises. En cas de lacunes, des formations peuvent être proposée : faire apprendre le russe à un employé appelé à avoir des contacts avec des Russes par exemple, ou faire apprendre l’utilisation d’un logiciel spécialisé à une comptable. Nous avons mis en œuvre des entretiens annuels avec chaque employé. En nous fondant sur les descriptifs de poste, nous nous penchons sur les succès et sur ce qui reste à améliorer l’année suivante. L’entretien est mené par le hiérarchique direct de l’employé. Au cours de l’entretien, ils élaborent un document qui sert à la progression de l’employé et permet par ailleurs de fixer des critères clairs pour les augmentations. Au début, les employés ne comprenaient pas à quoi servait l’entretien ni comment il devait se passer. Aujourd’hui, cette approche est appréciée car c’est un moment de contact

Faire l’éloge des bonnes pratiques et fixer des objectifs ambitieux

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privilégié avec le chef. Cela vaut vraiment la peine de faire un effort pour parler de certains questions. Cette approche permet d’éviter, ou en tous cas de réduire les éventuels malentendus et non-dits, et de dire, par exemple, que le manque de compétences n’est pas une honte, mais simplement une indication pour orienter le perfectionnement professionnel. Le travail de chacun, quels que soient son poste et sa position dans la hiérarchie, est important et utile : voilà ce qu’il faut faire passer, pour que chaque employé se sente respecté et apprécié dans ses fonctions et qu’il sache quels sont les objectifs et les attentes qu’il doit remplir pour être promu. (Française, directrice financière, BTP)

Ce que les Français ne savent pas sur la Pologne …

Selon les répondants polonais, les Français font souvent preuve de beaucoup d’ignorance sur la Pologne. Les Polonais sont en général surpris du fait que les Français n’ont même pas de connaissances élémentaires sur la Pologne. Ils comprennent cependant que tous les Français ne sont pas obligés de s’intéresser à l’histoire et à la géographie des autres pays, surtout si c’est leur première visite en Pologne. Les réactions de la majorité des répondants polonais sont par contre plus négatives à l’encontre des Français qui viennent en Pologne, mais qui, bien souvent, ne cherche pas à connaître le pays où ils vont travailler pendant longtemps.

La plupart des Français, quand on leur demande où est la Pologne, répondent à peu près : « La Pologne ? Ça doit être quelque part de l’autre côté de l’Oder » et la suite de ce qu’ils disent montre bien qu’ils mettent tous les pays d’Europe centrale et orientale dans le même sac, sans faire de différences entre l’Ukraine, le Roumanie, la Tchéquie ou le Pologne. (Polonais, cadre, secteur automobile)

Je connais des Français qui, malgré plusieurs années passées en Pologne, ne connaissent que le chemin entre leur bureau et leur domicile. (Polonaise, chargée de mission à l’Ambassade de France)

Les Français ne savent souvent presque rien de la Pologne. En plus, les ouvriers saisonniers polonais en France contribuent,

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par leur comportement souvent « déplacé », à donner une mauvaise image des Polonais. Le niveau de vie plus bas en Pologne qu’en France et les sempiternelles jérémiades des Polonais expliquent que les Français se font souvent une assez mauvaise idée des Polonais. (Polonaise, chargée de mission à l’Ambassade de France)

Si la majorité des Français qui viennent en Pologne connaissent peu de choses sur l’histoire et la culture de la Pologne, il existe par contre des personnes qui sont de véritables mordus de la Pologne et des Polonais. Ces personnes affirment que l’hospitalité et l’ouverture des Polonais, malgré les conditions de vie plus difficiles que dans les autres pays européens, les inclinent à rester en Pologne. De nombreux Français installés pour de bon en Pologne font remarquer que les mutations socio-économiques que connaît la Pologne constituent une réelle opportunité pour observer et participer au montage de projets ou lancer des activités, et que cela n’aurait pas été forcément possible dans le contexte économique plus stable des états occidentaux.

Lorsque je suis venu en Pologne pour la première fois, j’’ai été séduit par les gens, leur ouverture, leur hospitalité et par le fait que ici, c’est... si différent... C’est à cette époque-là, pendant ma première visite, tout à fait fortuite, que j’ai décidé de revenir ici et d’y vivre. Je travaille et je vis en Pologne depuis 12 ans déjà. Même si cela n’a pas toujours été rose, j’ai demandé la nationalité polonaise et je suis content de ma décision. (Français, directeur financier, secteur bancaire)

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2. Communication Ce sont les individus qui communiquent, pas les cultures.

Terii Morrison, Wayne A. Conway, George A. Borden

La gestion efficace d’une entreprise passe par une communication efficace. Le consensus ne saurait être obtenu sans communiquer. Mais pourquoi avons-nous tant de mal à communiquer et sommes-nous parfois incapables de nous entendre ? La méconnaissance de la langue empêche-t-elle une communication efficace ? Que faire pour trouver un langage commun et se comprendre ? Ce chapitre s’efforce d’identifier les principales difficultés de communication entre les Polonais et les Français, et les solutions les plus fréquemment mises en œuvre pour résoudre ce type de problèmes.

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La langue pose-t-elle problème ?

Selon de nombreux répondants polonais, la grande majorité des Français qui viennent travailler à des postes de cadres moyens ou supérieurs ne maîtrisent pas la langue polonaise. Les Polonais soulignent la réticence des Français à utiliser l’anglais, alors que, selon les Polonais, l’anglais donne aux deux parties des chances égales et permet une communication directe sans devoir employer d’interprète. Selon les Polonais, les Français rechignent à accepter que les réunions et les entretiens se tiennent en langue étrangère, c’est-à-dire en anglais ou en polonais. Ils pensent que les Français qui séjournent en Pologne pour une longue durée sont peu nombreux à consentir les efforts nécessaires pour maîtriser le polonais. Selon les répondants, un tel effort s’avère pourtant très payant.

Apprendre le polonais, c’est payant.

Le fait qu’un Français entreprenne d’apprendre le polonais et qu’il connaisse les expressions basiques est très apprécié des Polonais. Outre le climat plus amical, cela a d’autres avantages, comme la possibilité de nouer des contacts directs avec le personnel et de mieux maîtriser la situation. Le travail par l’intermédiaire d’un interprète, outre l’aspect financier, entrave la spontanéité dans l’échange d’informations. Souvent aussi, l’intermédiaire d’un tiers conduit à des malentendus supplémentaires, notamment lorsque cet intermédiaire est un traducteur qui n’est pas spécialisé dans le sujet de la discussion. (Français, cadre, secteur énergétique)

Est-ce l’attitude qui pose problème ?

Dans de nombreux cas, la méconnaissance de la langue n’est pas perçue par les Polonais comme un obstacle à la coopération. Aussi bien les Français que les Polonais font remarquer que l’essentiel n’est pas dans la langue, mais dans une attitude positive et dans la volonté de s’entendre.

Il n’y a pas que la langue qui soit décisive pour la communication. La langue n’est qu’un outil, une aide. Il ne faut pas forcément savoir parler pour faire sentir aux gens que l’on est satisfait de leur travail. Il existe d’autres biais ; le climat et l’attitude envers une personne donnée ont aussi leur

Vouloir s’entendre

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importance. (Polonaise, chargée de mission à l’Ambassade de France)

Les Français peuvent apprendre des expressions simples en polonais comme « Co słychać ? » [comment ça va ?], « Dzień dobry » [bonjour], « Cieszę się, że mogłem was poznać » [Heureux d’avoir fait votre connaissance]. Il est important qu’ils viennent saluer les employés et leurs serrent la main. Comme ça, même s’ils ne connaissent pas la langue, ils construisent un climat positif et manifestent leur intérêt. Même si la question n’est pas très bien formulée et si les employés se rendent compte que leur réponse n’a pas due être parfaitement comprise, cela est ressenti positivement. Les gens se sentent remarqués et voient que le chef s’intéresse à eux. Les Polonais comprennent alors que le chef fait des efforts et qu’ils sont importants pour lui. (Polonaise, assistante du président, secteur de la chauffe)

Je ne parle pas polonais, mais je sais écouter. À mon avis, ce n’est pas la méconnaissance de la langue qui pose problème. Je crois plutôt que le problème vient de l’incapacité à écouter, ce qui n’a pas grand-chose à voir avec la langue. Certains Français ne savent pas écouter, et c’est ça qui cause de nombreux conflits : ils ne répondent pas aux questions qu’on leur pose par exemple, et cela conduit à des problèmes de communication et à des malentendus. (Français, directeur, BTP)

J’ai connu un Français qui était le seul Français parmi les cadres dirigeants d’une grande entreprise internationale du secteur automobile. Malgré sa méconnaissance de la langue, et même s’il lui arrivait de laisser éclater sa colère, son attitude ouverte sur les gens lui avait permis de s’attacher un énorme respect de la part du personnel. Cette homme avait beaucoup d’expérience professionnelle, notamment pour avoir travaillé dans d’autres pays. Il avait tellement d’autorité parmi le personnel et faisait l’objet de tellement de respect et de sympathie que 4/5 des employés de l’entreprise, de leur propre initiative, se sont lancés dans l’apprentissage du français pour pouvoir communiquer avec lui. Quand il l’a su, au bout d’un an à peu près, il a décidé de financer des cours de français pour ses employés. Ce directeur français ne parlait pas polonais et travaillait avec une interprète, mais il n’avait pas besoin de

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mots pour exprimer qu’il était satisfait du travail de ses collaborateurs. La conclusion de cela, c’est qu’il n’est pas toujours nécessaire de connaître la langue pour bien communiquer. (Polonaise, spécialiste secteur énergétique)

Selon les répondants français, les jeunes diplômés polonais se rendent compte de la nécessité de maîtriser au moins une langue étrangère et, d’une manière générale, quand ils connaissent une langue étrangère, ils la connaissent bien. Selon les Français interrogés, il en va autrement des gens plus âgés et des employés moins qualifiés. La connaissance de l’anglais est plus répandue que celle du français chez les Polonais. Il y a toutefois plus de Polonais qui connaissent le français (pour l’avoir appris au lycée ou pendant leurs études) que de Français qui maîtrisent le Polonais.

Les Français préfèrent utiliser le français, ce qui est bien compréhensible au demeurant. Si les Polonais étaient dans la même situation et avaient le choix, eux aussi sans doute décideraient d’employer plus souvent leur langue maternelle qu’une langue étrangère. Mais, comme en général, ce sont les Français qui sont aux postes de direction, c’est le français qui est de rigueur.

Lorsque l’on communique en anglais, en tant que langue étrangère pour tous les interlocuteurs, chacun des interlocuteurs se trouve dans la même situation, aussi bien en ce qui concerne l’accent que la connaissance du vocabulaire ou l’aisance à intervenir en public. Tous les participants à la discussion contribuent à la dynamique de celle-ci et affrontent des difficultés communes. Ceci a pour effet d’améliorer le climat de coopération et d’intègrer les interlocuteurs.

Trouver un langage commun

De nombreuses entreprises financent des cours de langues étrangères pour le personnel, de français ou d’anglais par exemple. Il est important, quand cela est possible, que l’apprentissage de la langue ne soit pas obligatoire, surtout lorsqu’il s’agit de faire apprendre le français à des employés polonais. En imposant de telles mesures, on peut se heurter à une certaine résistance et finalement dégrader le climat de travail. Laisser aux employés le choix du cours de langues, c’est faire en sorte que cet enseignement soit suivi par ceux qui

Encourager l’apprentissage

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trouvent cela important et en phase avec leurs objectifs de développement individuel. En accroissant la responsabilité, l’autonomie des salariés et leur motivation à apprendre, cela permet d’accélérer l’apprentissage de la langue étrangère et influe de façon positive sur l’ambiance de travail.

Pour une personne qui ne connaît pas la langue de ses collaborateurs, un bon moyen pour améliorer la communication avec eux consiste à employer un assistant bilingue ou un collaborateur permanent bilingue. Ce qui est avantageux dans cette solution, c’est que de telles personnes, en travaillant au quotidien dans l’entreprise, en connaissent et en comprennent la spécificité et peuvent ainsi aider les autres employés dans les cas de communication difficiles.

Sur tous nos chantiers, il y a au moins un Français qui parle polonais. Par ailleurs, les Français qui ne connaissent pas le polonais sont accompagnés par des assistants qui, à tout moment, peuvent les aider à répondre aux questions posées par des employés polonais ne maîtrisant pas le français. (Français, directeur, BTP)

Les bilingues

Polonais et Français : sommes-nous arrogants ?

Les Français trouvent les Polonais arrogants et vice-versa. Les répondants polonais et français ont fait remarquer que l’un des problèmes dans les relations entre Français et Polonais est l’image que chaque nation a de l’autre : « ils se croient les plus intelligents et croient tout savoir sur tout ». Cet aspect est évoqué aussi bien par les Français que par les Polonais, même si c’est un peu plus fréquent chez les Polonais. La raison en est peut-être que dans la majorité des cas, les Français sont placés plus haut dans la hiérarchie organisationnelle. Cela peut conduire à ce que les opinions qu’ils expriment soient perçues par les Polonais plus comme des recommandations ou des décisions à mettre en œuvre que comme des éléments de discussion ou de réflexion.

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Pendant des siècles, la France était une grande puissance, qui exerçait une influence décisive sur les relations politiques mondiales. Paris a été une capitale de rang mondial et, à de nombreux points de vue, le reste encore. Le français était par excellence la langue des gens instruits et intelligents ; c’était la langue des élites. Pour la majorité des Français, élevés dans ces convictions, les choses n’ont guère changé à cet égard. Compte tenu du contexte historique, l’approche des Français et leur conviction que « français » signifie « meilleur » devient plus compréhensible et justifiable. Il est indéniable que, malgré de nombreux changements, la France tient une place importante sur la scène politique et a une influence considérable sur les relations internationales, en Europe et dans le monde.

Si la fierté nationale polonaise s’est développée à partir d’expériences historiques différentes, il faut cependant constater que les Polonais considèrent qu’ils constituent une nation d’exception, que les autres sont censés admirer.

Quels que soient les mécanismes sur la base desquels se sont constituées les fiertés nationales polonaise et française, il est un fait que Polonais et Français font chacun preuve d’une grande fierté nationale et qu’ils sont très sensibles sur ce point. Cela peut rendre leurs relations difficiles.

La connaissance du contexte culturel, des normes et des usages aide beaucoup à surmonter les stéréotypes que l’on a sur l’autre et à construire un climat favorable à la coopération. Beaucoup de moyens existent pour y parvenir. Certains de nos répondants proposent d’aller visiter l’autre pays.

Connaître et comprendre le contexte culturel

Parfois, une visite en France suffit pour mieux comprendre l’attachement quasi-religieux des Français à la pause de midi et pour renoncer à prendre contact avec la maison-mère en France à l’heure du déjeuner. En tous cas, ça a été comme ça pour moi. (Polonaise, traductrice)

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Parfois, les chefs des services centraux à Paris tombent des nues quand ils viennent en Pologne et s’aperçoivent qu’il n’y a pas de la neige toute l’année. Dans la plupart des cas, on ne trouve pas d’ours blancs dans les rues – à moins qu’il y en ait un qui se soit échappé du zoo – et les charrettes à cheval communément associées à l’image de la Pologne ne sont pas non plus aussi nombreuses que ce qu’ils croyaient. Dans les magasins, les étagères ne sont pas vides ; on peut même y trouver des produits d’origine française. Se rendre compte de ces simples faits permet de comprendre les réactions de notre interlocuteur. Tout d’un coup, celui-ci cesse de nous apparaître comme un étranger étrange, venu d’on ne sait où. (Polonais, directeur, secteur automobile)

Visites en pays étranger

Si chacun d’entre nous faisait un effort pour apprendre à connaître la culture de l’autre, le travail serait plus facile. Quand un de mes amis français m’a demandé pourquoi les Polonais avaient choisi des avions américains, je lui ai tranquillement expliqué les causes de ce choix et l’histoire de la Pologne, au lieu de lui rétorquer de façon patriotique. Si j’ai compris cette question, c’est que je connais le rapport des Français aux Américains. Je n’ai pas pris cette question pour un signe de défiance envers moi ni pour une attitude négative à l’encontre de la Pologne et des Polonais. (Polonaise, chargée de mission à l’Ambassade de France)

Les répondants ont également proposé une autre solution pour connaître et comprendre un contexte culturel différent : cultiver ensemble les traditions.

Dans notre entreprise, nous nous efforçons de célébrer ensemble aussi bien certaines traditions polonaises que certaines traditions françaises. Je crois que, grâce à cela, nous commençons à mieux nous comprendre. À mon avis, les rencontres à l’occasion du Beaujolais Nouveau ou de la Journée de la Femme par exemple, permettent de mieux se connaître et de mieux se comprendre. Ainsi, nous nous comprenons mieux et nous construisons un climat positif. (Polonaise, directrice des relations publiques dans un établissement financier)

Cultiver les traditions ensemble

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Un autre moyen intéressant de rapprocher les employés de cultures différentes consiste à organiser des réunions d’intégration.

J’ai participé à un séminaire sur les différences culturelles et les stéréotypes. L’objectif du séminaire était de mettre au point des principes de coopération et d’intégrer des groupes de projets polono-français. Nous avons eu l’occasion de faire la connaissance de nos collaborateurs, qui pour nous auparavant n’étaient que virtuels. A travers divers exercices, on a pu aborder des questions difficiles, sources de problèmes dans le travail au quotidien. Grâce à ce contact direct et à ce climat tranquille et plein d’humour, on a pu échanger nos idées, confronter notre imaginaire avec la réalité. Ce séminaire m’a amené à réfléchir et à remettre en cause la façon dont j’approchais les gens et les idées préconçues que j’avais. Nous avons eu l’idée d’organiser le séminaire suivant en France. (Polonais, chef d’un projet, secteur des télécommunications)

Organiser des réunions d’intégration

Une bonne idée que nous avons eu pour améliorer le climat, c’était d’organiser un séminaire de formation. Nous en avons mis au point le projet avec nos collaborateurs polonais. Le séminaire s’est tenu en Grande-Bretagne, avec la participation également d’experts venus d’autres pays et dont la présence a été très bien perçue par les employés polonais. Un voyage de 2 semaines dans un autre pays s’est avéré très utile pour comprendre les différences mutuelles et a eu un effet très positif sur le climat de travail. (Français, conseiller au Ministère des Finances)

Accepter les différences mutuelles et veiller à garder une attitude ouverte aident à construire des relations de partenariat.

Il faut apprendre à écouter et à être souple. Il faut apporter ce que l’on a de meilleur, et puiser dans ce que les autres ont de meilleur. Aujourd’hui, dans nos relations avec la maison mère, nous devons respecter la charte graphique, mais à part ça, toutes les émissions sont réalisées par des Polonais pour des Polonais. (Français, spécialiste, secteur de la télévision)

Construire des relations de partenariat

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Il est plus facile de construire des principes de partenariat lorsque les deux parties convergent sur la poursuite d’objectifs communs, importants pour l’une comme pour l’autre.

L’organisation de groupes d’échange d’expériences donne des résultats très positifs. J’ai travaillé dans deux entreprises françaises en Pologne. L’une le faisait de manière informelle, et l’autre de façon formalisée. Nous nous rencontrions plusieurs fois par an, entre comptables de notre groupe international, pour discuter des problèmes rencontrés, des outils employés et des solutions éprouvées chez les uns et les autres. Une telle démarche a un pouvoir unificateur, car elle fixe un objectif commun et donne envie d’apprendre ensemble et de nous développer. L’échange d’expériences est plein d’enseignements, et en même temps elle réduit le fossé entre ressortissants de divers pays. (Française, directrice financière, BTP)

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3. Hiérarchie et leadership Savoir, c’est pouvoir. Mais ne pas savoir, hélas, ne signifie pas encore ne pas pouvoir.

Niels Henrik David Bohr

Chacun a besoin d’une autorité, d’un maître : de quelqu’un à admirer, en qui avoir confiance, qui peut jouer le rôle de l’expert et du guide, aider à trouver le bon chemin. Être une référence signifie jouir de prestige et de respect dans l’entourage. Mais qu’est-ce que cela veut dire dans la pratique ? Que faut-il faire pour que les autres nous considèrent comme une référence ? Qui fait référence pour le Polonais ? et qui pour le Français ? Comment faire pour que le personnel reconnaisse notre autorité et exécute nos ordres ? Quels moyens et quels comportements permettent efficacement de transmettre les connaissances détenues et de perfectionner les compétences des subordonnés ? Qui a peur de prendre des décisions ? et qui est créatif, enclin à prendre des risques ? Dans ce chapitre, nous présentons les différences les plus fréquentes entre les Polonais et les Français sur le plan du leadership.

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Autorité : qu’est-ce que cela signifie ?

La hiérarchie et le leadership sont des domaines qui touchent à l’idée que l’on se fait du rôle et des obligations du supérieur en tant que personne ayant le pouvoir et la fonction, et des relations entre supérieur et subordonné. Les réponses aux questions sur les différences entre les Polonais et les Français dans ce domaine ont indiqué que les opinions sont nettement plus convergentes pour l’évaluation des différences au niveau du rapport aux subordonnés qu’au niveau du rapport aux supérieurs. La plupart des Polonais estiment que les différences entre les Polonais et les Français en ce qui concerne le rapport aux supérieurs sont minimes ou inexistantes (71 % des répondants), alors que pour de nombreux Français, ces différences sont sensibles, voir très sensibles (56 %). Pour ce qui est du rapport aux subordonnés, plus de la moitié des répondants des deux nationalités indiquent qu’il n’y a pas de différences, ou que celles qui existent ne sont pas essentielles pour le fonctionnement professionnel, alors que presque la moitié les trouve sensibles, voir très sensibles.

Pour de nombreux Français, l’approche polonaise envers le pouvoir est marquée par le fait que les titres universitaires et les postes que l’on occupe ont un rôle important et ont beaucoup d’influence sur les relations sociales et le comportement des gens. Dans de nombreux milieux, il est commun de s’adresser aux personnes en mentionnant leur place dans la hiérarchie ou bien leurs titres universitaires (« Monsieur le Président, Directeur, Docteur, Maître de Conférences etc. »), et de placer ce genre d’informations sur les cartes de visite. Mais le titre et la fonction ne sont que des manifestations formelles du respect et de l’autorité. Pour avoir de l’autorité parmi le personnel en Pologne, le titre et la fonction doivent être confirmés par les connaissances et les compétences.

L’autorité vue par les Polonais

Pour les Polonais, le titre et la fonction sur la carte de visite ont beaucoup d’importance. C’est la raison pour laquelle, dans notre entreprise, nous avons décidé de changer les appellations des postes et des fonctions exercées. (Français, directeur, BTP)

La manie des titres

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Selon les Français, si une personne donnée occupe en France un poste élevé, cela signifie qu’elle a la formation, les connaissances et les compétences requises. L’on fait autorité dans un domaine par le simple fait d’exercer une fonction donnée.

Selon les répondants français, les Polonais sont sensibles aux manifestations de respect formelles et, par exemple, peuvent se sentir offensés si leur interlocuteur n’est pas du même rang ou s’ils ne sont pas cités alors que les mérites des autres sont officiellement mentionnés.

Une fois, un jeune contrôleur de gestion français a été envoyé chez un directeur polonais. Il avait pour mission de poser des questions détaillées sur le bilan annuel de l’entreprise (alors qu’un directeur n’est pas censé tout savoir sur chaque poste du bilan). Pour le directeur polonais, c’était une perte de temps et une offense que de se faire questionner par un jeune Français à peine sorti de l’université. (Français, président d’une société d’investissement)

Les Français qui viennent en Pologne n’ont pas toujours un niveau de formation à la hauteur de leurs collègues polonais. Il arrive souvent que, à poste de niveau équivalent, le Polonais ait un niveau de formation plus élevé que le Français. Par exemple, en France on aurait du mal à trouver dans une entreprise de taille moyenne une assistante de direction diplômée d’enseignement supérieur et maîtrisant trois langues. Il arrive parfois que les Polonais réagissent mal à une situation dans laquelle, lors de négociations ou de réunions, leur interlocuteur est un Français placé plus bas qu’eux dans la hiérarchie. Ils le prennent souvent comme du mépris pour leurs connaissances et leurs compétences. (Français, cadre, secteur informatique)

Notre chef a organisé un cocktail à l’occasion de la promotion d’un nouveau produit. Tout le monde participe volontiers à ce genre de réunions, et les invitations sont prises comme une preuve d’estime. Mais le cocktail a donné lieu à de nombreuses controverses, car notre chef a invité la plupart des chefs de services, mais pas tous. En tous cas, les chefs de service qui n’avaient pas été invités se sont sentis humiliés, et les autres

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employés ne se sentaient pas à l’aise non plus. (Polonaise, directrice, secteur automobile).

Selon les Polonais, les Français eux-aussi font confiance aux personnes dont les connaissances et les qualifications sont formellement confirmées, c’est-à-dire aux diplômés d’écoles de renom, aux personnes placées à des postes élevés et bardées de titres. En Pologne, la formation et l’école ne déterminent pas autant la position et le statut qu’en France. Pour les Français, la confiance personnelle compte aussi. S’ils connaissent quelqu’un et lui font confiance, ils sont capables de s’appuyer sur son avis sans vérifier les informations.

L’autorité vue par les Français

J’ai remarqué que les Français ont une véritable prédilection pour les personnes faisant autorité et pour les experts. Ainsi, lorsque l’on veut les convaincre de quelque chose, il est bon d’inviter un expert pour qu’il répète ce que tout le monde sait de toute façon ; mais quand c’est un expert qui le dit, la solution est tout de suite plus facile à accepter pour les Français. (Polonaise, assistante de direction, secteur énergétique)

De profondes différences sont visibles en ce qui concerne la compréhension de la notion de pouvoir et des obligations liées à son exercice. Pour de nombreux Polonais, le fait d’avoir le pouvoir et d’occuper des fonctions signifie le privilège d’être « au-dessus des normes et des règlements applicables ». Aussi bien les cadres que les simples employés paraissent convaincus que certains principes et normes qui s’appliquent aux employés de rang inférieur ne s’appliquent pas au supérieur.

Le supérieur au-dessus des lois

J’ai l’impression que le principe en Pologne est que le pouvoir, ça sert à en profiter, et que c’est évident pour tout le monde … (Polonais, spécialiste, secteur des télécommunications)

En revanche, pour la plupart des cadres français ayant participé à notre étude, le fait d’avoir le pouvoir et d’occuper un poste implique d’être un modèle pour les autres, ce qui, en pratique, est censé se manifester par un respect des normes et des règles encore plus minutieux que pour les simples employés.

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Un supérieur qui se conforme aux normes en vigueur jouit d’autorité et de reconnaissance, son attitude incite à respecter les règles.

Quand je dois téléphoner en France pour des raisons privées, je me sers d’une carte qui débite directement le prix de la communication sur mon compte bancaire. Si la communication m’a pris beaucoup de temps, je reste au travail plus longtemps et je rattrape sur mon temps libre. C’est comme cela, par une discipline personnelle, que l’on construit l’autorité naturelle. Si l’on respecte les règles soi-même, il y a plus de chances que les autres s’y conforment eux-aussi. (Français, consultant senior, secteur des services)

Le management par l’exemple

Il faut fixer des règles claires et définir les sanctions qui seront appliquées pour leur non-respect, et ce quel que soit le niveau hiérarchique. Et bien sûr, il faut s’y tenir. Un jour, en faisant visiter l’imprimerie au directeur d’une entreprise quelconque, je lui ai demandé d’éteindre son cigare avant d’entrer, car il est interdit de fumer dans l’imprimerie. Cela a beaucoup impressionné tout le personnel et mon autorité auprès des salariés s’en est trouvé grandie. (Français, président, secteur des nouvelles technologies)

Chef autoritaire ou démocratique ?

Selon les Français, les Polonais font preuve de beaucoup de respect envers leurs supérieurs et les personnes ayant des titres et exerçant des fonctions plus importantes que les leurs. Ils perçoivent surtout leur supérieur comme un décideur et un contrôleur qui supervise le travail. Pour un employé polonais, le supérieur est celui qui prend les décisions, le rôle de l’employé étant de faire ce qu’on lui dit de faire. Les employés polonais sont habitués au management autoritaire.

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En Pologne, l’on fait preuve de déférence envers son supérieur. En France, ce respect est moins manifeste, ce qui ne signifie pas qu’il n’y en ait pas. La déférence, c’est par exemple le fait que pendant les réunions, les Polonais sont d’accord avec le chef et ne font aucunes observations. Ce n’est qu’en coulisses, une fois la réunion officielle terminée, que commence la vraie discussion et que les gens se mettent à dire ce qu’ils pensent vraiment. Les Polonais sont une ribambelle de flatteurs … (Polonais, traducteur)

Un chef a toujours raison

Pour les Français, les employés sont des partenaires dans la discussion. Ils discutent avec leur chef, posent des questions et parfois expriment en public des avis différents de ceux de leur supérieur, ce qui est un comportement incongru aux yeux de la plupart des employés polonais. Les cadres français sont habitués à un style de management démocratique, où les employés font part de leurs propres opinions et de leurs propres vues en discutant avec le supérieur, et où la plupart des décisions sont prises en tenant compte de l’avis des employés.

Les Polonais ont beaucoup de respect pour ce que dit leur supérieur, alors que les Français sont toujours prêts à discuter, ne serait-ce que pour le principe. Les Français ont le sens de la démocratie dans le sang, ce qui est parfois fatiguant, car ils adorent discuter pendant des heures, alors qu’il y a belle lurette que la décision est prise. C’est la raison pour laquelle le management opérationnel est plus facile avec des Polonais. (Polonais, cadre, secteur des services)

Les Polonais ont peur d’exprimer une autre position que leur chef, un Français dans notre cas, surtout en public. Cette appréhension conduit souvent à des non-dits et à des malentendus, notamment dans les cas de distribution du travail, où personne ne fait opposition et tout le monde est d’accord. Après, il s’avère qu’untel, chargé d’une tâche donnée, ne possède pas les connaissances ni les compétences suffisantes pour s’en acquitter, ou que le délai fixé n’était pas réaliste. Les Polonais sont d’accord parce qu’ils ont peur de poser des questions pour faire préciser ce que l’on attend d’eux. Le résultat est que le travail n’est pas fait et que les attentes des partenaires français ne sont pas satisfaites. (Polonaise, président, secteur des services)

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Les Français sont accoutumés à la discussion et à la prise de décision démocratique. Nombre de Polonais trouvent que le penchant des Français pour la discussion va un peu loin et ne correspond pas toujours aux vrais besoins du moment.

Le sens de la démocratie

Ce qui m’a frappé quand j’ai commencé à travailler ici, c’est que je passe le plus clair de mon temps en réunions. Les Français adorent les discussion interminables. Quand il y a un problème et que l’on ne sait pas quoi faire, on convoque en général une réunion. (Polonais, chef de projet, secteur logistique)

La pratique montre qu’il est efficace, pour surmonter les clivages chef/employé, de construire un climat de confiance mutuelle et des relations fondées sur le partenariat. La réduction de la distance dans les relations rend les Polonais plus ouverts et plus enclins à parler, même de choses difficiles.

Je ne vois aucun besoin à laisser régner une ambiance du genre « Attention, me voici ». Quand je viens au bureau, je laisse la porte ouverte pour que les employés sachent qu’ils sont les bienvenus et que s’ils ont des questions, ils peuvent venir me voir. Il faut éviter de créer une distance inutile, mais faire en sorte au contraire que les employés puissent facilement entrer en contact avec leur chef. Au début, les gens n’avaient pas le courage de m’adresser la parole. Aujourd’hui, ils viennent me voir bien plus souvent (un peu trop, même !) et s’adressent moins souvent à moi en disant « Monsieur le Directeur ». Ça me convient. Nous arrosons les fêtes ensemble à la fin de la journée et c’est tout ça qui construit une ambiance positive, conviviale, et simplifie beaucoup les relations. Pour moi, la relation cadre-employé ne doit pas correspondre à la situation où la direction serait en haut de tout, et tous les autres en bas. (Français, directeur, secteur informatique)

Réduire la distance

Réaliser les missions en commun et chercher ensemble les solutions des problèmes contribue à l’intégration des employés les uns avec les autres et à la prise de conscience du fait que nous formons tous une équipe, qui poursuit des objectifs communs. Associer les employés à la prise de décisions et à leur mise en œuvre contribue à responsabiliser et à dégager un climat positif. Quand nous avons un succès, c’est notre

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succès à tous, et quand c’est l’échec, nous sommes moins tentés de faire porter la faute aux autres.

L’action commune accroît l’importance accordée au travail et prépare l’employé à être autonome la prochaine fois. L’objectif est de faire apprendre les employés. Lorsque les gens ne savent pas comment faire quelque chose, ils me le demandent et nous cherchons ensemble la solution. Ça les rassure : je ne sais pas, mon supérieur non plus, mais nous cherchons la solution ensemble. (Française, directrice financière, BTP)

Je suis conscient que le travail de mes commerciaux est difficile. Souvent, ils ne savent pas faire face au stress dans les relations avec la clientèle. À mon avis, l’important dans ce genre de situations est de leur donner l’assurance qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils peuvent compter sur moi. C’est pourquoi quand nous sommes ensemble chez le client, nous formons toujours une équipe. (Français, directeur commercial, secteur logistique)

Chercher la solution ensemble

Les Polonais et les Français n’ont pas la même compréhension ni la même approche de notions telles que le pouvoir, l’autorité ou la hiérarchie. Ces différences peuvent être s’expliquer par l’histoire. En Pologne, pendant les partages puis pendant le régime communiste, le pouvoir était associé à quelque chose de mal, de contraire à l’éthique. La règle généralisée était de pourvoir les postes suivant les opinions politiques et les relations, et non suivant les connaissances ou les qualifications. Les décisions étaient prises d’en-haut, en fonction de plans et de directives gouvernementales, et non pas suivant les lois du marché. Pendant le communisme, l’économie était centralisée et ce sont les plus hautes instances du parti qui prenaient les décisions relatives à la demande et à l’offre. La mission des entreprises était de produire les quantités de marchandises imposées par les plans. Chaque échelon hiérarchique avait des missions étroitement déterminées. Ce principe n’incitait guère les employés à faire preuve d’initiative, et pour subsister, il fallait se soumettre à la règle. Le système communiste et l’économie de planification centralisée ne laissaient pas de place à la prise de décision démocratique. L’employé était censé réaliser les normes et les instructions données par les supérieurs. Pendant 40 ans en Pologne, l’initiative interne dans

Le pouvoir, c’est mauvais

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les entreprises n’était pas acceptée, du moins officiellement, car elle impliquait trop de prise de risque individuelle.

Dans la plupart des cas, les Français ne savent rien ou pas grand chose des principes de fonctionnement du régime communiste et de l’économie de planification centralisée. Pour les Français, ancrés dans un contexte socio-économique complètement différent, de nombreux comportements et modes de fonctionnement hérités de cette période de l’histoire polonaise sont incompréhensibles. De nombreux Polonais croient que pour avoir du pouvoir et faire carrière, il faut non pas du travail et du talent, mais de bonnes relations, même si ce stéréotype évolue petit à petit.

Les Polonais et les Français n’ont pas la même compréhension du terme « management ». Pour les Français, cela veut dire construire une équipe, donner des missions aux gens et leur assurer les conditions nécessaires, c’est-à-dire la liberté et la lattitude, pour agir. Les Polonais préfèrent le style de management autoritaire. Le chef sélectionne le personnel et prend les décisions, les employés font ce que le chef leur a donné à faire. La fonction, le poste donnent du pouvoir et cette façon de penser des Polonais est difficile à surmonter. Les Français veulent avoir des employés autonomes, faisant preuve d’initiative, alors que l’approche des Polonais est du genre « moi, je fais ce que j’ai à faire ». Chacun fait son travail, sans vision d’ensemble et sans réfléchir à la finalité. (Français, directeur des investissements d’une entreprise du bâtiment)

Les Français et les Polonais divergent par leur approche du management. En France, il y a bien plus longtemps que l’économie de marché fonctionne, si bien que les cadres français ont plus de ressources d’expériences en gestion d’entreprise et d’activité en économie de marché.

Selon les répondants polonais, la Pologne manque de cadres expérimentés et d’écoles dispensant des formations de ce type. En Pologne, les fonctions de cadres sont souvent exercées par des hommes d’affaires ayant développé leurs propres affaires et ayant dû faire face à la nécessité de gérer leur entreprise et d’encadrer des gens sans y avoir été préparés.

Pas de système de formation des cadres

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Effectivement, la Pologne manque d’un système de formation des cadres, et n’a pas de tradition en la matière. Les Français s’étonnent du très faible nombre dans la vie socio-économique polonaise d’associations ou d’organisations rassemblant des gens ayant les mêmes centres d’intérêt professionnels et leur permettant d’échanger des expériences et de nouer des relations d’affaires.

En revanche, les répondants français font remarquer que les Polonais font preuve d’une très haute motivation pour acquérir des connaissances et accroître leurs qualifications. Selon les Français, les Polonais s’approprient très vite les nouveaux enjeux et les nouvelles méthodes de travail, avec plus de souplesse et d’ouverture aux nouveautés que les employés français. Selon les Français, les Polonais développent plus souvent leurs qualifications en prenant des cours ou en suivant des études complémentaires.

Motivation pour apprendre

Qui a peur de prendre des décisions ?

Les répondants français estiment que de nombreux Polonais ont peur de prendre des responsabilités qui impliquent de présenter ses propres opinions et de prendre des décisions. Pas moins de 63 % des Français estiment qu’en terme de prise de décisions, les différences entre les Polonais et les Français sont sensibles, voire très sensibles. Les Polonais sont 55 % à partager cet avis.

Quand il se produit des difficultés techniques ou organisationnelles, l’employé ne les voit pas ou ne veut pas les voir. On reste en attente de la réaction du supérieur. Les Polonais sont d’excellents exécutants une fois la décision prise, mais les instructions, surtout celles qui sont écrites, sont susceptibles d’être acceptées sans critique et il y a là un risque majeur qu’il ne faut surtout pas perdre de vue. Les Polonais, et surtout les employés de base, ont une attitude du genre « je ne suis pas là pour diriger, je suis là pour travailler ». (Français, cadre, secteur des services)

Obéissance aveugle

Sur le chantier, il arrive souvent que les sous-traitants agissent conformément aux directives qu’ils ont reçues. En principe, c’est bien, mais ils suivent les instructions même quand ils savent bien qu’elles sont erronées. Je ne sais pas quelles en

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sont les causes : n’ont-ils pas le courage de faire autrement que ce que disent les directives, ou bien ne réfléchissent-ils pas du tout, ou encore l’effet final ne les intéresse-t-il pas ? (Français, cadre, BTP)

Dans leurs témoignages, les Français mettent souvent le doigt sur la faible idée que se font les Polonais d’eux-mêmes et de leur manque de foi en leurs propres compétences. Ils estiment que c’est une raison fréquente pour laquelle les Polonais esquivent la prise de décisions.

Je m’efforce de faire preuve de confiance et de respect envers les gens. J’ai l’impression que les Polonais ont plus de difficultés à demander quelque chose que les Français. Les Polonais craignent que le fait de ne pas savoir quelque chose, c’est montrer son incompétence. Un jour, à l’issue d’une discussion qui avait duré plusieurs heures, j’ai posé par hasard une question à l’un des mes collaborateurs qui s’était obstiné à défendre une position opposée sur le sujet dont nous avions débattu. Il s’est avéré qu’il avait mal compris l’intervention de l’un de ses collègues et que c’était l’unique raison pour laquelle nous ne pouvions nous mettre d’accord. Depuis, je fais très attention et je souligne, pour que tout le monde le sache, que s’il y a quelque chose qui n’est pas compris, il faut tout de suite poser la question et que je ne porte pas d’appréciation négative là-dessus. Il en va de même de la prise de décision ; un responsable prend 10 décisions par jour disons : 5 bonnes, 3 neutres et 2 mauvaises. Tant pis pour les mauvaises, on peut les corriger ; mais l’important c’est qu’une partie des affaires au moins soient réglées et que grâce à ça, nous avancions. (Français, président, secteur des nouvelles technologies)

Combien de temps accorder à la concertation ?

Selon les répondants polonais, les Français doivent, avant de prendre une décision, consulter quelqu’un, s’assurer que le supérieur approuve la décision. Qui plus est, c’est quand les décisions sont déjà prises et paraissent irrévocables que les Français expriment leurs réserves et les remettent en cause.

C’est dans les entreprises françaises qu’il faut que j’aie le plus de réunions avant de convenir des modalités d’achat. Dans les

La concertation selon les Français

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autres entreprises, il suffit parfois de deux ou trois réunions pour que les décisions soient adoptées et pour que la transaction aboutisse, alors que chez les Français, c’est rarissime. (Polonaise, directrice des achats, secteur des produits à rotation rapide)

Selon nombre de Français, les Polonais ont une tendance à analyser en profondeur les divers aspects de chaque enjeu, ce qui a un effet néfaste sur la durée du processus décisionnel, et parfois même empêche de prendre une décision.

Les analyses faites par les Polonais

Ce qui m’a frappé, c’est la différence d’approche face à certaines choses. Cela se voit très bien par exemple quand on négocie avec des Polonais. Nous, quand nous voulons signer un contrat, nous choisissons les enjeux essentiels et nous voulons convenir d’une position point par point. Par contre, quand les Polonais parlent d’un aspect, ils sont en général incapables de le clôturer vraiment et de passer au point suivant de la négociation, car ils ne peuvent pas s’empêcher de traiter tout de suite les relations de cet enjeu avec les autres. Cela allonge souvent de beaucoup le processus de passation du contrat. (Français, chef d’équipe de négociation, secteur de la chauffe)

En revanche, les Français font remarquer qu’à la différence de la plupart des Français, les Polonais font preuve d’une grande capacité à faire le lien entre des enjeux apparemment éloignés et identifier des interdépendance complexes. Ils sont plus sensibles et ont plus de facilité à « lire entre les lignes », c’est-à-dire à capter les informations et les interdépendances imperceptibles au premier coup d’œil.

Les Polonais devinent bien mieux que les Français – « ils lisent entre les lignes ». Cela a de grands avantages, car ils sont capables de prévoir et de déduire plus en ayant les mêmes données de départ que leur collègue francais. Seulement parfois c’est aussi très gênant, car ils sont toujours à la recherche d’un sens caché, au-delà de la dimension officielle, et ont du mal à admettre que parfois les choses peuvent être simples, tout simplement. Mon expérience me fait dire que la contribution des Polonais est inestimable quand il s’agit de

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prévoir quelles sont les intentions masquées de l’interlocuteur alors que les informations font défaut. (Français, directeur financier, secteur des services)

Créativité, initiative et prise de risques

De nombreux répondants français affirment que les Polonais esquivent les décisions et ne font pas preuve d’initiative, ce que les Français prennent pour un signe de défiance et de manque d’engagement. Les Polonais évitent d’exprimer leurs propres opinions et leurs propres idées en public car ils sont sensibles à la critique et ont peur de la responsabilité de leurs erreurs.

Manque d’implication

En Pologne, il n’est pas coutume de discuter et de poser des questions. En France, le fait de poser des questions difficiles est une valeur. Ainsi, si pendant une réunion les Polonais ne posent pas de questions et ne discutent pas, les Français peuvent en conclure que leurs interlocuteurs ne s’impliquent pas dans la recherche de la solution du problème, ou qu’ils manquent d’arguments. (Français, cadre, secteur des médias)

Les cadres français font remarquer qu’ils souhaiteraient plus d’autonomie en terme de prise de décisions et plus d’initiative de la part des Polonais.

Chacun fait son travail sans se préoccuper de ce que fait le voisin et sans se poser de question sur le sens de ses actions. Par exemple, mes employés collectaient des données en suivant un document joint, qui était un modèle de formulaire. Ce modèle comprenait des erreurs évidentes, mais de nombreuses personnes l’ont rempli et personne n’a osé corriger ses erreurs, si bien que le formulaire a été transmis plus loin avec ses erreurs. (Français, directeur, BTP)

D’une part, les Polonais ont tendance à accepter toutes les tâches, même celles qui vont au-delà de leurs capacités et de leurs possibilités. D’autre part, ils ont peur de poser des questions pour recevoir des directives détaillées. Par conséquent, ils ne sont souvent pas en mesure de réaliser leurs missions correctement, c’est-à-dire de la manière souhaitée par les supérieurs français. Les Français, quant

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à eux, souhaitent que leurs employés soient innovants et créatifs. Lorsqu’ils donnent des missions, ils ne sont bien souvent pas habitués à devoir donner des instructions détaillées et expliquer toutes les étapes du projet. Cette différence d’approche donne lieu à des problèmes et conduit à ce que les uns et les autres soient mécontents. (Polonaise, directrice dans un cabinet de relations publiques)

Les Polonais sont pleins d’idées excellentes, mais ont peur de les réaliser. Ils ont peur de ce que les autres pourraient en penser, ou de se heurter à des critiques et à des protestations. Ces craintes leur font éviter de prendre des décisions. Or, dans les affaires, il y a de nombreuses décisions qu’il faut prendre vite, car il peut ne pas y avoir de deuxième opportunité. De nombreux investisseurs étrangers ont renoncé à coopérer avec des Polonais à cause de leur appréhension à prendre des décisions. (Français, employé de l’Ambassade)

À l’opposé, de nombreux Français font remarquer que le comportement des Polonais est complètement différent en situation de crise. Les Polonais font très bien face aux situations difficiles et imprévisibles. En situation de crise, les employés polonais sont très créatifs pour résoudre les problèmes et font preuve d’une grande initiative et se montrent très engagés.

Comme l’indiquent les résultats de notre enquête, les Polonais et les Français ont dans la plupart des cas des approches différentes en ce qui concerne la prise de décisions, la présentation de leurs propres idées et opinions et la prise de responsabilité. Il est difficile d’en indiquer clairement les causes. On peut cependant dégager un certain nombre d’éléments ayant pu avoir une certaine importance.

Le système éducatif français met l’accent sur le développement et le perfectionnement de la capacité des élèves à synthétiser et à s’exprimer clairement et logiquement. À l’école, les élèves français perfectionnent leur approche suivant la méthode des 3 points : thèse, antithèse, synthèse. C’est ainsi que les Français commentent les enjeux et présentent leurs conclusions. La capacité de traiter un enjeu de manière logique et ordonnée, d’analyser les problèmes point par point, est un élément

L’école française

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intrinsèque de l’école française, où l’esprit cartésien est généralisé. L’approche linéaire des questions et l’analyse successive de problèmes respectifs favorisent et accélèrent la prise de décision.

Le système éducatif polonais insiste moins sur la capacité de synthèse, l’expression logique et cohérente ou bien encore sur la planification et l’organisation. De nombreux enseignants semblent penser que plus une dissertation est longue, meilleure elle est, tandis que le hors-sujet n’est pas pénalisé. On accorde beaucoup d’importance au perfectionnement et au développement de la capacité d’analyse. On porte une grande attention à l’analyse des relations et des liens.

L’école polonaise

La réticence que les Polonais ont à présenter leurs propres opinions et points de vue et leur tendance à éviter de prendre des décisions peuvent provenir en grande partie du système communiste. Les Polonais se sont habitués à une situation dans laquelle les opinions et les points de vue personnels et indépendants étaient cantonnés au cercle de famille et aux amis les plus proches. Par contre, lors de rencontres plus larges ou dans des situations profesionnelles, il valait mieux être d’accord et ne pas poser de questions. Ce genre de comportements était jadis passible de sévères condamnations de la part de l’appareil politique. Ce dualisme particulier du fonctionnement social et politique des Polonais a aussi influencé la sensibilité accentuée des Polonais aux dépendances et aux relations complexes, imperceptibles au premier coup d’œil. La capacité des Polonais à se débrouiller en situations de crise, évoquée par les Français, peut elle aussi avoir été conditionnée par l’histoire. À l’époque des partages de la Pologne, sous l’occupation allemande puis au temps du communisme, les Polonais ont dû apprendre à fonctionner en situations de crise. La survie impliquait bien souvent de résoudre avec créativité les problèmes du quotidien et de fonctionner en-dehors de la réglementation en vigueur, même si, officiellement, toutes les règles étaient respectées. Ces contraintes ont aussi pu influer sur l’importance des relations personnelles et familiales pour la plupart des Polonais. Les hauts et les bas de l’histoire de la Pologne, impliquant de fréquentes périodes de manque de souveraineté et d’instabilité socio-économique, ainsi que la maigre expérience de fonctionnement de l’économie de marché dans la Pologne

L’histoire polonaise

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d’aujourd’hui, sont des facteurs essentiels pour comprendre les lacunes des Polonais en terme de planification et de pensée sur le long terme.

La propension à prendre des risques est un élément essentiel et indissociable de la prise de décisions. 56 % des Français qualifient de sensibles, voir très sensibles les différences entre les Français et les Polonais en ce qui concerne la propension à prendre des risques, alors que 38 % d’entre eux estiment que les différences sont minimes ou qu’il n’y en a pas. Du côté des Polonais, 42 % des personnes interrogées trouvent que les différences sont sensibles, voir très sensibles ; pour 39 %, les différences existent mais sont minimes, et 19 % enfin ne voient aucune différence.

Pour ce qui est de la propension à prendre des risques, ces résultats quantitatifs peuvent s’expliquer par le fait qu’il y a de très fortes différences individuelles. Elles sont dues à la réactivité et au besoin de stimulation de chaque individu. Les gens sont enclins à prendre des risques lorsque leur sentiment de sécurité et leur amour propre sont élevés. Un sentiment de danger, d’instabilité et une médiocre idée de soi-même font percevoir le risque comme plus fort. La médiocrité de la situation socio-économique, l’importance du chômage et la médiocre idée que les Polonais se font d’eux-mêmes diminuent leur propension à prendre des risques.

Risque et incertitude

Une secrétaire voulait mettre au point un formulaire interne pour les demandes de billets d’avion. Ça lui a pris énormément de temps, car l’aspect informatique de son projet la dépassait. Mais l’important, c’est qu’elle mettait en œuvre sa propre idée. Si les gens se sentent en sécurité, ils apprennent peu à peu à prendre des décisions et à devenir plus autonomes. S’ils ont une idée déjà prête, il faut la développer et les aider à la mettre en œuvre. Dans le cas contraire, les gens se diront qu’ils n’ont encore rien compris et perdront leur toute nouvelle confiance en eux-mêmes. (Française, directrice financière, BTP)

Soutenir la mise en œuvre des idées

Un bon moyen d’accroître l’autonomie des employés est de passer, au fur et à mesure du développement de leurs compétences, de la recherche de solutions en commun

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à l’augmentation de l’autonomie puis à la délégation de pouvoirs.

Dans mon travail, je m’efforce d’apprendre aux gens à prendre des décisions et à en prendre la responsabilité. Je détermine une marge de progrès pour la prise de décisions, et je le fais de la manière suivante : au début, avec un subordonné moins expérimenté, je fais l’analyse de 3 premiers CV et je les compare avec un descriptif de poste donné. Si nous validons les CV, mon collaborateur procède à l’entretien téléphonique puis me présente ses conclusions, et je lui dis « oui, je suis d’accord, parce que … » ou « non, je ne suis pas d’accord, pour telle et telle raison … ». Ensuite, l’employé analyse tout seul les autres CV et procède aux entretiens téléphoniques, mais nous continuons à prendre les décisions ensemble et à valider ou non les candidatures. Une fois les décisions prises, l’employé prend rendez-vous avec les personnes choisies et mène les entretiens. À l’issue de chaque rencontre, l’employé me fait un compte-rendu ; je lui dis alors ce qu’il a à mon avis bien fait, pourquoi, quelles sont les remarques de sa part que je trouve justifiées, et là où, au contraire, il a à mon avis commis une erreur et pourquoi il peut ne pas avoir raison sur ce sujet. (Français, consultant senior, conseil en recrutement)

Responsabiliser progressivement

Il est important de faire preuve d’une attitude positive envers les initiatives et les idées formulées par les employés, car cela a un effet positif sur l’amour propre des employés.

Apprendre à penser par soi-même

Lorsque les gens viennent me voir dans mon bureau avec un problème et me demandent comment ils sont censés procéder dans une telle situation, moi aussi je leur pose une question : « Et vous alors, qu’est ce que vous en pensez et qu’est ce que vous proposez ? » Au début, ils étaient surpris par mon attitude, mais avec le temps, ils ont commencé à se préparer à ce genre de questions et venaient me voir avec diverses propositions, en choisissant celle qui leur paraissait la plus opportune. (Français, directeur général, secteur commercial)

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4. Planification et organisation du travail On ne peut pas toujours agir, mais on peut toujours bien réfléchir avant d’agir.

Wang Chung

Les Polonais et les Français sont-ils différents face à la planification et à l’organisation du travail ? Quelles méthodes et quelle approche en la matière sont typiques des Français d’une part, et des Polonais d’autre part ? Les différences d’approche donnent-elles lieu à des problèmes, et si oui, à quels problèmes ? Quels sont les problèmes les plus fréquents aux yeux des Polonais ? Où sont les difficultés selon les Français ? Comment ces problèmes sont-ils résolus ? Comment les Français et les Polonais comprennent-ils le travail en équipe ? Les Français et les Polonais aiment-ils et savent-ils travailler en équipe ? Dans ce chapitre, nous nous efforçons d’indiquer les principales différences entre les Français et les Polonais en termes de planification et d’organisation du travail.

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La planification et l’organisation du travail est l’élément qui a le plus souvent été indiqué par les répondants en tant que différence entre les Polonais et les Français. Seuls 3 % des Polonais et des Français considère qu’il n’y a pas de différences entre nous, tandis que la majorité considère que les différences sont sensibles, voir très sensibles (63 % des Français et 48 % des Polonais). Par ailleurs, la grande majorité des répondants français estime que les Polonais ont une réticence naturelle à la planification et à l’organisation du travail.

Les Polonais ont une approche très instinctive du travail. Ils sont assez récalcitrants et je crois qu’ils ne comprennent pas complètement le sens de tous ces agendas, de ces mémos, de cette programmation des réunions et des plans d’action dont les Français sont si « friands ». Et puis, je n’arrive pas du tout à comprendre que mes collaborateurs aient encore du mal à faire la différence entre l’urgent et l’important. Ils sont incapables de se réserver du temps pour eux-mêmes, ils sont très fatigués, ils n’ont pas le temps de réfléchir et n’arrivent pas à prendre de recul face aux évènements. Ils sont incapables de dire aux commerciaux qui viennent chercher des conseils au service technique qu’ils n’ont pas temps de les recevoir sans rendez-vous. En général, quand quelqu’un vient les voir pour leur demander un conseil alors qu’il n’avait pas du tout rendez-vous, ils ne savent pas lui dire « non » et ils acceptent. Et après, ils s’étonnent d’être très fatigués, ils n’ont plus de force pour rien et ce qu’ils avaient prévu pour aujourd’hui n’est pas fait. (Français, directeur, secteur informatique)

C’est dommage que les Polonais manquent à ce point de confiance en soi, car d’après moi c’est justement ce manque d’assurance qui fait que tout est plus important que leurs propres missions. Il faut leur dire que leur temps de travail est exactement aussi important que le temps de la personne qui vient les rencontrer, et qu’ils devraient demander aux interlocuteurs de prendre rendez-vous pour des réunions, même au sein de la même entreprise. En tant que cadre, je conseille à mes collaborateurs, qui eux aussi animent des équipes, de consacrer un jour par semaine uniquement au travail individuel, à la réflexion, à la pensée conceptuelle sur les projets, et à prendre du recul par rapport aux évènements. De ne prendre aucun rendez-vous ce jour là et de ne rendre visite

Respecter son temps

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à aucuns clients. Cela fait des années que j’applique cette méthode et je trouve qu’elle donne de bons résultats. Elle oblige à choisir les réunions vraiment importantes et permet de prendre du recul par rapport à ce qui se passe. Une telle approche du travail semble beaucoup plus satisfaisante pour tous. (Français, directeur, secteur des télécommunications)

Les opinions des Polonais sur la capacité des Français à planifier et organiser le travail sont très divergentes. Une partie des répondants polonais estiment que les Polonais devraient prendre exemple des Français, car les Français sont hautement efficaces en termes de capacité à planifier et organiser le travail. Ils planifient le travail en détail en établissant des plans d’action et des plannings de déroulement du travail. Ils prévoient le déroulement des réunions, préparent des agendas de réunions, écrivent des compte-rendus synthétiques après les réunions ainsi qu’à l’issue des étapes respectives des travaux.

Les plans et les échéanciers détaillés

Au début, les Polonais perçoivent l’obligation de planifier en détail puis de faire du reporting comme de la bureaucratie, au détriment du vrai travail. Les Polonais ne comprennent pas à quoi bon passer tant de temps à planifier, alors que la réalité réserve tellement de surprises et que tout est changeant. Toutefois, l’approche française s’avère très utile pour la planification des grands projets, où une action systématique est indispensable. Dans notre coopération avec les Français, nous avons finalement apprécié l’établissement des rapports, qui au début nous semblait une corvée. Maintenant, nous savons qu’après chaque évènement il faut un temps pour réfléchir et tirer des conclusions, et que le travail consacré au compte-rendu permet de prendre du recul par rapport à ce qui s’est passé. (Polonaise, directrice, établissement d’éducation)

En revanche, une partie des répondants polonais affirment que les Français certes planifient le travail, mais le font de manière non réaliste. Ils ont un penchant à planifier trop de tâches, sans tenir compte des ressources humaines et matérielles et du temps qu’il faut pour y parvenir. Ils ne respectent pas les plans établis et validés, et malgré leur planification des actions, ils ont une tendance à tout faire au dernier moment. Ils ne

Persévérance dans l’action

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respectent pas les délais impartis pour les réunions et la réalisation des tâches respectives.

Notre chef nous donne souvent des tâches au dernier moment. Ça fait 2 mois que quelque chose est en attente, tout le monde le sait et rien ne se passe, et le voilà tout d’un coup qui téléphone pour dire que c’est urgent. Il faut rester au travail le soir et il faut absolument que ça soit prêt. Moi je ne sais pas pourquoi il ne s’en est pas occupé jusqu’à présent et n’a pas pris de décision à ce sujet, mais je ne suis pas content que moi-même ou l’un de mes collaborateurs devions rester le soir au travail juste parce que le chef a oublié. Vraiment je n’aime pas ça chez lui, ça crée un climat d’énervement et ça a un mauvais effet sur les gens. (Polonais, cadre, secteur des télécommunications)

Souvent, je ne sais pas pourquoi, soudain, quelque chose doit être prêt pour tout de suite. Moi je ne le comprends pas, je suis pourtant directrice moi-même, je dirige du personnel et je sais bien qu’il y a parfois des situations exceptionnelles, mais chez nos supérieurs français, la situation exceptionnelle, c’est tout le temps. Parfois je me dis que tout simplement les Français ne savent pas combien de temps il faut pour régler tel ou tel sujet, et que ça explique un chaos pareil. Tout ce qui est à faire est urgent et il faut s’en occuper tout de suite. Or, il y a aussi une masse d’affaires quotidennes, la routine, dont il faut que je m’occupe pour qu’après, tout aille bien et pour ne pas connaître encore d’autres situations de détresse. Et en plus, après, je découvre que ce qui était si urgent atterrit sur le bureau de quelqu’un, ou carrément à la poubelle, que personne ne le lit et que personne ne s’en souvient. (Polonaise, directrice, secteur automobile)

Le style d’éducation mis en œuvre à l’école française favorise le perfectionnement des capacités de planification et d’organisation. Les Polonais sont une nation d’individualistes, connus pour leur indépendance et leur originalité. La capacité à improviser est très appréciée dans la société polonaise. Une excellente illustration en est le proverbe « 2 Polonais, 3 points de vue ». L’histoire de la Pologne a contribué au développement d’une certaine compétence, celle qui consiste en la «créativité intellectuelle et la résolution des problèmes».

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Aussi bien dans le passé lointain, lorsque le pays était asservi, que dans le passé plus proche de l’époque communiste, les Polonais ont dû se perfectionner dans l’art de résoudre les problèmes avec créativité, par exemple pour parvenir à s’approvisionner en viande pour les fêtes ou en lait pour bébés, ou au contraire à se passer de biens aussi élémentaires que le papier toilette. Résoudre les problèmes avec créativité était indispensable pour affronter la situation socio-économique très compliquée de l’époque. Ce genre d’expériences a sans doute contribué à ce que la notion « d’organiser quelque chose » soit comprise différemment par les Polonais et les Français. Dans le polonais courant, pour de nombreux gens « organiser quelque chose » signifie encore « dénicher », et cela pas toujours conformément à la loi. De nombreux Polonais n’ont toujours pas complètement compris les notions de planification et d’organisation. La grande inconnue est toujours de savoir « ce que l’on attend de moi » et « comment il faut s’y prendre ». Compte-tenu de la grande instabilité sociale et politique et de la situation très changeante, il ne servait à rien pour de nombreux Polonais de faire des plans pour l’avenir. Ce point de vue reste partagé par de nombreux Polonais.

Les informations recueillies pendant les entretiens indiquent que les Polonais et les Français comprennent autrement la délégation de tâches. Les cadres français sont souvent surpris de voir que les employés polonais ne réalisent pas les tâches qui leur sont confiées et ne les en informent pas. Pour leur part, les Polonais sont surpris que les Français attendent des résultats concrets de leur part alors que les tâches en question n’ont pas été expressément déléguées.

Les Polonais ont une approche complètement différente de la délégation des tâches. Ils ne conviennent pas ensemble avec leur supérieur de ce qui est à faire, pour ensuite le réaliser. Les Polonais s’attendent à ce que le chef sache par lui-même ce qui est à faire, prenne les décisions à ce sujet et informe l’employé de ce qui doit être fait et comment, et ensuite repasse pour vérifier l’avancement de la tâche ayant été confiée. Pour moi, dans cette approche, l’employé a bien moins de responsabilité et n’est qu’un simple exécutant. À mon avis cela peut donner lieu à des malentendus entre un chef français et un employé polonais, mais je ne crois pas que cela résulte d’un manque

Délégation des tâches

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d’implication des Polonais dans leur travail, mais seulement d’une accoutumance à certains comportements hérités du régime communiste. (Français, employé ministériel)

Les Polonais et les Français diffèrent par les styles de management et la compréhension de la notion de délégation. Dans la plupart des cas, les employés polonais attendent qu’on leur donne des instructions claires et explicites sur les tâches qui leur sont confiées. Pour la majorité des Polonais, le fait de confier une tâche signifie que le supérieur informe oralement ou par écrit de ce qu’il attend, pour quand, et qui est responsable du résultat. Pour de nombreux Français par contre, il est évident que s’il a été décidé pendant une réunion que certaines actions sont indispensables et qu’un planning d’action a été validé, c’est que ces actions seront effectuées par les employés. Lors du contrôle, les Français ont la surprise de découvrir que rien n’a été fait. Or, pour la majorité des Polonais, il est évident que tant qu’ils n’ont pas reçu d’information claire comme quoi ce sont eux les responsables de la mise en œuvre d’une tâche donnée, ils ne font rien à ce sujet. Les difficultés qui en découlent peuvent conduire à de nombreuses tensions, lorsque les tâches confiées s’avèrent urgentes.

Planification ou action spontanée ?

Pour de nombreux Français, les Polonais manquent de perspective d’action à long terme. L’absence de vision à long terme chez les collaborateurs polonais, que ce soit pour le fonctionnement de l’entreprise ou pour leur développement personnel, induit des difficultés pour déterminer les priorités du moment et donc pour planifier et organiser le travail quotidien. Selon les Français, les Polonais ont une attitude trop créative envers le futur, qui peut se résumer à dire « tout ira bien ».

Est-il vrai de dire que les Français ont un point de vue stratégique de l’entreprise, alors que l’approche des Polonais est opérationnelle ? Peut-être la cause du décalage de perspective entre les Polonais et les Français dans leur fonctionnement professionnel et dans leur rapport à leurs obligations réside-t-elle dans leur position professionnelle

Tout ira bien

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différente, et donc dans les différents niveaux d’accès à l’information. Un point important semble être que, dans la plupart des cas, les Français qui travaillent en Pologne sont à des postes nettement plus haut placés dans la hiérarchie organisationnelle. Un simple ouvrier, un contremaître ou un directeur n’auront pas la même façon de voir les problèmes et le fonctionnement de l’entreprise.

Lorsque l’on travaille sur un dossier, je souhaite que l’on conserve tous les documents ayant servi à mettre au point le résultat final. Ainsi, lorsqu’il faut remettre en cause un élément, je reviens au document sur lequel j’avais fondé mes propres réflexions. Mes collaborateurs ne comprennent pas cette approche, ils trouvent que l’accumulation de documents est une perte de temps, alors que cela permet de gagner du temps plus tard. (Français, président, secteur des services)

Penser sur le long terme

Quoi qu’il en soit, les répondants français tiennent en haute estime les capacités des employés polonais à faire face aux situations difficiles ou imprévues. Dans de nombreux cas, les Français sont surpris da façon positive par l’attitude des Polonais. Selon les Français, les Polonais, dans les situations de détresse, font preuve de beaucoup d’engagement et sont capables de réagir de manière rapide et organisée.

Les étrangers devraient toujours se poser la question de savoir s’il faut s’adapter aux méthodes de travail en cours dans un pays donné. C’est-à-dire à l’organisation du travail, qui pour ce qui me concerne me parait quand même un peu chaotique. Faut-il travailler autrement ? Pour ma part, sur le court terme, je travaille avec les Polonais comme eux. Mais je m’efforce toujours de garder une perspective plus large, sur le long terme, en essayant d’appliquer des outils permettant de tout maîtriser et de montrer aux gens avec lesquels je travaille quels sont les avantages de ce mode de travail. (Français, cadre, secteur des télécommunications)

Être souples

Dans la coopération polono-française, nous pouvons faire converger nos atouts communs au lieu de nous focaliser sur nos défauts. Dans le cas d’un travail en équipes polono-françaises, il faut s’entraider à chaque étape. Les Français sont en pointe lorsque l’on programme de grands projets, où il faut

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de l’action systématique. Les Polonais font très bien leurs preuves dans des situations imprévues ou lorsqu’il faut agir vite. Nous devons associer nos atouts pour atteindre ensemble des objectifs car, au fond, c’est bien cela qui nous tient à cœur. (Polonaise, directrice d’un groupe de sections bilingues, établissement d’éducation)

Les témoignages recueillis au cours de l’étude indiquent que de nombreuses difficultés et malentendus proviennent du fait que les mêmes termes ne sont pas compris de la même façon et signifient autre chose pour différentes personnes, même si elles appartiennent au même secteur.

Au début, nous avions convenu que la partie française nous présenterait les résultats des travaux. À l’issue du projet, nous nous attendions à un gros rapport, mais nous avons reçu une espèce de présentation et quelques pages de descriptif. Nous nous sentions floués et nous ne savions pas du tout pourquoi les Français disaient toutes sortes de chose en réunion mais refusaient après de nous les communiquer. Nous nous demandions si c’était parce qu’ils n’avaient pas le temps de l’écrire, ou s’ils faisaient exprès. Obtenir un rapport comprenant toute la documentation était pour nous très important car cela aurait permis à toutes les personnes n’ayant pas directement participé au projet d’en prendre connaissance. La présentation que nous avons reçue était très insuffisante, car elle ne contenait que les conclusions, très abrégées qui plus est, alors que toutes les données techniques avaient de l’importance. Plus tard, il s’est avéré que les Français ne comprenaient pas du tout pourquoi nous voulions un rapport, alors que nous avions déjà eu la présentation. Ils étaient habitués aux présentations, et nous, aux rapports. Ça nous a pris longtemps pour nous l’expliquer les uns aux autres. D’ailleurs, nous nous sommes aperçus que nous employions les mêmes mots, mais qu’ils ne signifiaient pas les mêmes choses pour nous. (Polonais, chef d’un groupe d’étude polono-français, secteur des télécommunications)

Se mettre d’accord sur les notions

Les Français sont capables de se donner rendez-vous pour un entretien téléphonique avec un ou deux mois d’avance, pour un jour et une heure précise. En principe, ça ne se fait pas avec des Polonais. Les Polonais et les Français ne comprennent

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pas la planification de la même manière. Pour les Français, le plan sert simplement à déterminer les priorités, et il est évident pour eux que le plan n’est jamais réalisé à 100 %. Pour les Polonais, le plan doit être réalisé à 100 %, et même dépassé. (Française, cadre, secteur énergétique)

Pour que le fonctionnement soit efficace, il est important que chaque personne impliquée connaisse son rôle dans l’équipe ou l’organisation et les tâches qu’elle a à réaliser. Dans la coopération franco-polonaise, où aux différences individuelles entre collaborateurs se superposent des différences culturelles, c’est une bonne méthode que de définir précisément les principes de coopération dès le début de la mise en œuvre d’un projet ou d’une mission.

Dans le cadre d’un de nos projets, nous avons mis au point un certain nombre de principes qui nous ont beaucoup simplifié le travail et se sont avérés très utiles malgré leur simplicité. En deux mots, cela se résume à faire des notes à l’issue de chaque réunion. Au début du projet, nous arrêtons l’objectif et nous définissons les actions à effectuer. Ensuite, on désigne un responsable pour la réalisation de chaque tâche. Pendant le déroulement du projet, nous suivons le même schéma à chacune de nos réunions : nous rendons compte de ce qui devait être fait, nous définissons les actions suivantes, leurs responsables et leurs délais de réalisation, ainsi que la date de la réunion suivante. Il en résulte une note grâce à laquelle personne n’a de doute sur ce qu’il a à faire et pour quand. Toutes les personnes qui travaillent au projet reçoivent cette note à l’issue de chaque réunion, si bien que même si elles sont absentes, elles savent où nous en sommes. (Polonais, président d’un cabinet de relations publiques)

Instaurer des principes de coopération clairs

Une bonne méthode pour souder l’organisation et améliorer la coopération en son sein consiste à créer des groupes de travail et des équipes de projet composées d’employés appartenant à des services différents. Le travail en petits groupes orientés sur un objectif concret facilite la circulation des informations et permet d’approfondir la maîtrise des relations à l’intérieur de l’entreprise et du fonctionnement de celle-ci dans sa totalité. Des groupes de travail et des équipes de projet, associant des spécialistes de divers domaines, ont plus de chances de mettre au point des solutions créatives. La diversité des façons dont

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sont envisagés les problèmes en fonction des spécialisations et des fonctions exercées par les uns et par les autres permet d’avoir une image de la situation plus objective et plus globale que si l’on y avait affecté des personnes du même service, dont les connaissances et les approches du problème sont semblables. Par ailleurs, le système des groupes et des équipes de travail a un autre avantage : augmenter les chances de mettre en œuvre efficacement la solution retenue. Les membres des groupes et équipes de travail portent véritablement les changements qu’ils ont mis au point ; tout naturellement, ce sont eux qui, au sein de leurs services, mènent ces changements.

Le directeur qualité est venu me voir pour me faire part de son inquiétude, car il était sans cesse appelé par les services clientèle, qui lui demandaient d’assurer une meilleure qualité des prestations de services. Les Services Clientèle ne se rendaient pas compte du fait que chaque amélioration, même minime, nécessite de consentir des coûts additionnels. Le directeur qualité, lui, en était conscient et il réagissait assez nerveusement aux requêtes des services clientèle. Suite à de longues discussions, j’ai accepté sa proposition de former un groupe de travail composé d’employés des deux services, dont la mission a été d’identifier les coûts et les gains, ainsi que les possibilités de modifier les procédures en place. Grâce à la constitution de ce groupe, les employés du suivi de la clientèle et ceux du contrôle qualité, au lieu de revendiquer, ont senti que leur problème était commun et ont commencé à coopérer les uns avec les autres. La constitution de ce groupe a par ailleurs permis d’informer les employés du marketing que la qualité a un prix ou alors, qu’il faut proposer une option additionnelle payante, plus chère. J’ai alors été convaincu que si un employé fait preuve d’initiative, il faut l’appuyer dans la mise en œuvre des solutions proposées. Par ailleurs, grâce au travail en équipes, les employés échangent leurs expériences et apprennent les uns des autres. (Français, conseiller, secteur des télécommunications)

Groupes de projet

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Résoudre des problèmes est-il un problème ?

À la question de savoir s’il y a entre nous des différences d’approche quant à la résolution des problèmes, la grande majorité des répondants a répondu par l’affirmative (90 % des Polonais et 81 % des Français). 42 % des Polonais et 37 % des Français estiment que ces différences sont sensibles, voir très sensibles. Selon les Polonais, les Français ont une approche plus méthodique de la résolution des problèmes et emploient plus de méthodes et d’outils pour ordonnancer le travail et le rendre plus efficace. Ils consacrent beaucoup plus de temps à la planification du travail.

En revanche, les Français estiment que les Polonais ont une approche intuitive de la résolution des problèmes, et qu’en général ils n’emploient pas beaucoup de méthodes ni d’outils. Les Polonais comme les Français font remarquer que dans la plupart des cas, le comportement typique du Français qui se heurte à un problème est de rechercher de l’aide chez les autres. Le Français convoquera une réunion pour réfléchir ensemble sur ce qui est à faire. Le comportement typique du Polonais sera de se retrancher dans un coin, de se couper des autres, d’amasser des documents, de faire des analyses, bref, d’effectuer des actions qui semblent conduire à la solution du problème.

Résoudre des enjeux complexes implique d’analyser les données disponibles et de tirer des conclusions en se focalisant sur les aspects les plus importants. Une fois les informations recueillies et analysées, la plupart des Français souhaiteront recevoir une synthèse d’une page reprenant les conclusions essentielles. Placés dans la même situation, les Polonais rédigent un rapport épais.

Pour les Français, le mode d’action a beaucoup d’importance. La méthode est pour eux une valeur en tant que telle. Les Polonais se concentrent bien plus sur le contenu et souvent n’attachent guère de poids à la manière de travailler. (Français, président, secteur des services)

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Travail en équipe ou en solitaire …

Comme l’indique une enquête menée par l’Institut Français de Gestion, ni les Français ni les Polonais ne savent, à la différence des anglo-saxons, travailler en équipe. Le travail d’équipe, qui consiste à fixer un objectif commun et à se partager les tâches nécessaires pour l’atteindre, n’est pas le fort ni des Français, ni des Polonais.

Il résulte des données recueillies pendant l’étude que pour la majorité des Polonais et des Français, les différences en terme de travail en équipe sont nulles ou minimes (respectivement 23 % des Polonais et 28 % des Français, et 52 % des Polonais et 34 % des Français). Seuls 25 % des Français et 18 % des Polonais perçoivent ces différences comme sensibles, voir très sensibles.

Dans la culture polonaise, l’individualisme est une valeur prisée ; le système éducatif développe plus les capacités de travail individuel que celles afférentes au travail en équipe. Suivant nombre de Polonais, les Français sont individualistes eux-aussi, même s’ils ont tendance à organiser beaucoup de réunions. De nombreux répondants polonais estiment toutefois que dans la plupart des cas, ces réunions sont peu efficientes, et les Polonais y voient un simulacre de travail en équipe.

Sur les six mois que j’ai passés dans cette entreprise, j’en ai passé trois en réunion. Cette quantité gigantesque de réunions et l’obligation d’assister à chacune d’entre elles ne laissent guère de temps pour mettre en œuvre ce qui y a été décidé. (Polonaise, conseillère financière, secteur automobile)

De nombreux répondants français estiment que le travail d’équipe permet d’élargir la perspective sur les actions, le danger de l’individualisme étant de se focaliser sur un petit fragment du sujet. Selon les Français, les Polonais se concentrent sur un petit fragment du sujet et manquent souvent d’une vue globale sur les enjeux. Selon les Français, cette attitude conduit souvent à perdre de vue l’objectif principal, au détriment de l’intérêt de l’entreprise dans son ensemble.

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« Si ce n’est pas écrit dans mon descriptif de fonction, c’est que je ne suis pas obligé de le faire. À chacun son rôle et il ne faut pas se mêler de ce que quelqu’un d’autre est payé à faire » – voilà comment la majorité des Polonais voient les choses. Mais que faire quand la secrétaire est justement occupée et que le téléphone sonne ? C’est peut-être justement un client important qui appelle ? et si nous le faisons attendre, alors nous perdrons le contact ? parce qu’il risque de ne plus rappeler et d’aller chez la concurrence ? (Français, consultant senior, secteur des services)

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5. Travail et vie privée C’est grâce aux rencontres avec les gens que la vie vaut d’être vécue.

Guy de Maupassant

La différence dans les préférences et les habitudes au niveau de la cuisine ou du mode de vie implique-t-elle des difficultés et des conflits au travail ? Les Polonais et les Français attachent-ils la même importance à la famille et au travail ? Qui s’implique plus dans le travail, les Français ou les Polonais ? Qui fait preuve de plus de motivation pour développer et accroître ses propres compétences ? Comment augmenter la motivation des Polonais au travail et que faire pour motiver les Français ? Quels comportements des Français peuvent être perçus par les Polonais comme malpolis ? Voilà les principaux sujets de ce chapitre.

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Travailler le soir …

En Pologne, la journée de travail commence tôt. La majorité des administrations, des écoles, des institutions et des entreprises commencent le travail vers 8-9 heures et terminent vers 15-17 heures. La pause du déjeuner est une nouveauté, et on ne la trouve guère que dans les entreprises à capital étranger. La majorité des Polonais préfèrent commencer tôt pour finir plus tôt, et pouvoir régler leurs affaires administratives et passer la soirée en famille ou avec leurs amis. Cette situation évolue très légèrement – il est de plus en plus fréquent de « sortir déjeuner » pendant le travail, mais cela concerne surtout les gens jeunes et bien payés, car en Pologne les restaurants sont chers et une grande partie de la population n’a pas les moyens de manger en ville. Il y a peu encore, il était vraiment difficile de trouver un endroit pour manger quelque chose de bon à un prix abordable. Les Français sont connus pour leur amour de la bonne cuisine, leur manière de célébrer les repas et leur penchant à passer leur temps dans les cafés, à discuter avec leurs amis et à faire affaire à table. Mais le fait que quelqu’un préfère manger en famille ou rencontrer des amis à déjeuner est-il important pour son fonctionnement professionnel et peut-il conduire à des malentendus au travail ? Le fait de déjeuner à la maison ou lde se rencontrer au restaurant et au café a-t-il un impact sur la qualité du travail et peut-il conduire à des conflits entre supérieur et subordonné ?

Les données quantitatives recueillies indiquent qu’en ce qui concerne le temps de travail, les Polonais et les Français ne voient pas de différences essentielles, tandis que ceux qui en voient qualifient de minime leur impact sur la vie professionnelle (65 % des Polonais et 75 % des Français). Pourtant, pendant les entretiens, le sujet du temps de travail et des difficultés qui en découlent a très souvent été soulevé, et les répondants ont mentionné de nombreuses situations délicates dues aux rythmes de travail différents des Polonais et des Français.

Les Polonais font remarquer que les cadres et les collaborateurs français ont d’autres rythmes de temps de travail et manquent de souplesse pour changer leurs habitudes. Selon les Polonais, ce sont les Français qui s’attendent à ce que

Travailler tôt / Travailler tard

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les employés polonais adaptent leurs horaires de travail.

Les Français veulent régulièrement fixer des réunions à 18 heures, quand les Polonais veulent partir chez eux. Les Polonais trouvent que c’est un manque de politesse de la part des Français d’oublier que les habitudes de temps de travail des Polonais sont différentes. Les Polonais s’efforcent ne pas téléphoner à des Français à l’heure du déjeuner, car ils savent que c’est sacro-saint, mais ils en attendent autant de la part des Français. (Polonaise, directrice, établissement d’éducation)

Dans notre entreprise, le directeur arrive d’habitude vers 10 heures, alors que, nous, nous sommes au travail depuis 8 heures, mais ce n’est pas ça le problème ; après tout le chef, c’est lui. Le problème commence vers 16 heures quand notre directeur, alors que la plupart d’entre nous s’apprêtent à partir à la maison, nous appelle pour une réunion qui dure jusqu’à 19 ou 20 heures, ou demande des documents ou des rapports qu’il n’y a certainement pas moyen de faire en 10 minutes. Ce n’est pas que tout le monde pense qu’il faille absolument sortir à 16 heures. Nous savons qu’il y a parfois des situations particulières et qu’il faut rester plus longtemps – tout le monde le comprend. Moi aussi, j’ai connu des situations où quelque chose d’urgent est sorti tout d’un coup et il a fallu que plusieurs personnes viennent travailler le samedi et le dimanche, pour que tout soit prêt à temps. Ça n’a posé aucun problème, tout le monde a été d’accord. Mais ce n’est pas normal de devoir rester au travail de 8 à 20 heures juste parce que le chef préfère avoir un autre rythme de travail. (Polonais, directeur, secteur de la chauffe)

Les Français qui viennent en Pologne travaillent souvent dans des entreprises à capital français. Ils voudraient conserver le rythme de travail auquel ils sont habitués et qui, pour la plupart des Français, est quelque chose de naturel. Mais la très grande majorité des personnes avec lesquelles les Français seront appelés à fonctionner dans la vie professionnelle sont des Polonais qui, dans de nombreux cas, ont des coutumes et des habitudes différentes des collaborateurs français

Le bureau est censé être organisé suivant les heures de travail des chefs français. Nous (les Polonais) nous préférons venir

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assez tôt, travailler sans interruption et repartir à la maison. Par contre, les Français arrivent plus tard, font une pause déjeuner puis travaillent tard le soir. Le Directeur exige que le Polonais reste avec lui au bureau aussi longtemps que lui. En ce qui me concerne, je n’aime pas rentrer tard, le transport public n’est pas toujours rapide et ça me coûte cher, car il faut quelqu’un en plus pour garder les enfants. (Polonaise, assistante du président, BTP)

Les Français ont des habitudes de temps de travail différentes des nôtres. En France, l’heure du déjeuner est fixe et il est évident qu’il n’y a personne dans les bureaux à ces heures-là. Les Polonais ne sortent pas déjeuner et sont alors au travail ; mais quand les Français appellent après 17 heures et que personne ne répond au téléphone, ils se fâchent et les ennuis commencent. (Polonaise, assistante de direction, secteur des télécommunications)

Pour un Français, le café du matin et la pause du déjeuner, c’est sacré, pour un Polonais, pas du tout. (Polonais, conseiller juridique)

Une bonne compréhension se fonde sur une communication efficace. Avant d’exiger quelque chose des autres et de juger leur comportement, il est bon de faire un effort pour comprendre pourquoi une personne se comporte de telle façon et pas d’une autre, et d’essayer d’expliquer pourquoi ce que nous exigeons des autres est important.

Pour s’entendre, il faut se parler

J’avais un problème avec une comptable qui sortait à 16 heures 55, que le travail soit fini ou non, en fait quelles que soient les circonstances. Je n’avais pas une très haute estime de cette dame car ça m'énervait de la voir faire passer à ce point-là son intérêt personnel avant tout autre chose. Je me rendais bien compte qu’elle y avait droit, mais je ne comprenais pas son manque d’engagement. Un jour, j’ai dit à cette comptable : « Aujourd’hui, il faut absolument que tu termines toutes les déclarations fiscales, même si ça t’oblige à rester un peu plus longtemps. Tu pourras prendre un taxi aux frais de l’entreprise, mais il faut que ça soit fini aujourd’hui. » Ô surprise, elle a accepté sans faire d’histoires, j’étais vraiment stupéfait. Il s’est avéré qu’elle habitait assez

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loin et que la raison qui la poussait à sortir aussi ponctuellement était l’horaire de son dernier train. A partir de ce moment, ma comptable a été plus souple, et quand il le fallait, il n’y avait aucun problème pour la faire rester au travail plus longtemps. Et moi, j’ai compris que l’essentiel, c’est de parler avec les gens. Je n’avais pas pensé que son manque d’engagement puisse être causé par quelque chose d’aussi banal et n’ait finalement rien à voir avec un réel manque d’engagement. (Française, directrice financière, BTP)

Le travail dans un autre milieu, dans un pays étranger, avec des personnes de milieux et de cultures divers, demande plus de souplesse. Cette souplesse doit aller dans les deux sens : cela signifie que si l’employé a un besoin personnel, le chef doit essayer de le comprendre, même si, au début, cela peut lui paraître bizarre voire carrément absurde. Parfois, il faut permettre à l’employé de sortir plus tôt et de rattraper les heures une autre fois. (Français, cadre dans un cabinet de conseil)

C’est la même approche que lorsque l’on travaille avec des gens de la même nationalité, à la différence près que de nombreuses situations paraissent incompréhensibles. L’important est d’apprendre à être patient et d’essayer de comprendre, même lorsque certains comportements paraissent bêtes et que tu es tout de suite tenté de dire « non ». En tous cas, c’est mon expérience. Grâce au fait que parfois j’accepte certaines choses que les employés me demandent, ou que j’explique que je ne peux pas accepter une attitude pour telle et telle raison. J’ai l’impression que je suis devenu plus humain à leurs yeux et eux aussi ont plus de facilité à faire quelques concessions. Il faut de la souplesse de part et d’autre, l’essentiel étant bien sûr que le travail soit fait. Si quelque chose doit être prêt pour mercredi 14 heures, l’important c’est que ce soit prêt pour mercredi 14 heures, mais si quelqu’un préfère y passer son temps jusqu’à 19 heures le mardi, ou entre 7 et 10 heures mercredi matin, c’est son affaire. (Française, directrice financière, BTP)

Rester ouvert

De nombreux Français font remarquer l’importance des relations personnelles dans le monde des affaires polonais. Selon les Français, la frontière entre la vie privée et la vie

Relations personnelles

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professionnelle est bien moins accentuée chez les Polonais que chez les Français. Les Polonais ont bien plus de relations informelles et personnelles avec les gens avec lesquels ils travaillent, ils les rencontrent en-dehors du travail, ils se rendent visite à la maison les uns les autres. Selon les Français, les Polonais discutent plus souvent de leurs affaires personnelles au travail et ont des relations plus proches avec leurs collaborateurs, ils se parlent de leurs enfants et de leurs proches, de leurs problèmes à la maison. Les Polonais ont aussi plus tendance à parler travail pendant leurs relations extra-professionnelles. Selon les Français, grâce à leurs relations informelles, les Polonais recueillent et transmettent beaucoup d’informations professionnelles importantes.

Selon les Français, les Polonais, dans les situations d’urgence, acceptent plus facilement de rester au travail plus tard ou de travailler le week-end, ce qui est beaucoup plus difficile à faire passer en France. Les Français tiennent à fixer clairement la frontière entre la vie professionnelle et la vie privée, et c’est la raison pour laquelle ils sont plus nombreux que les Polonais à ne pas répondre aux coups de téléphone professionnels après être sortis du travail ou pendant les jours fériés, les week-end ou les vacances. Les répondants français font remarquer que les Polonais se distinguent par leur hospitalité, qui se manifeste dans les situations professionnelles en invitant à la maison des gens connus au travail, ou par le fait que l’on organise les soirées des invités de l’entreprise au lieu de les laisser livrés à eux-mêmes.

Selon les Français, les Polonais font preuve de bien plus de motivation que les employés français pour consacrer leur temps libre à développer leurs qualifications professionnelles. Par exemple, ils sont prêts à aller faire des formations pendant le week-end. Les employés sont partants pou toute sorte de sorties et de réunions d’intégration et de formation.

Pour les Polonais, faire la fête ensemble, c’est très important, ils organisent des réunions au travail et se souhaitent des vœux à l’occasion des fêtes, des anniversaires, ou encore des naissances des enfants. Selon les Français, les Polonais ont plus de facilité à passer au tutoiement. Cela change beaucoup le comportement des Polonais, qui deviennent plus ouverts dans leurs relations et communiquent plus volontiers.

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Selon les répondants français, le modèle de la famille pluri-générationnelle est plus répandu dans la société polonaise qu’en France. Cela signifie que pour les employés polonais, il est aussi important d’aider et de s’occuper de leurs parents que de s’occuper de leurs enfants.

Selon les Polonais, les Français respectent beaucoup leur temps privé et dressent une frontière bien nette entre vie professionnelle et vie privée. En général, ils ne parlent pas de leur vie privée ni de leur famille au travail. Cela les intéresse moins d’avoir des relations extra-professionnelles avec des gens de leur travail ; ils n’ont pas envie de rencontrer leurs collaborateurs dans un cadre extra-professionnel. Lors de leurs réunions conviviales, ils parlent moins souvent de leurs affaires professionnelles que les Polonais.

La famille, une valeur clé

Les Français attachent plus d’importance à la vie privée que les Polonais. Contrairement aux Polonais, ils ne sont pas disposés à consacrer du temps libre pour leur travail professionnel et pour venir au travail ou partir en formation les samedis. D’ailleurs, le travail excessif n’est pas productif et signifie que l’on ne sait pas organiser son travail. (Français, employé de l’Ambassade de France)

Motivation et engagement

Il résulte des informations recueillies pendant les entretiens que les avis des Français sont partagés en ce qui concerne l’engagement et les motivations des employés polonais. Les données quantitatives indiquent toutefois que, de ce point de vue, les différences culturelles sont faibles ou peu importantes. 61 % des Polonais et 78 % des Français indiquent que les différences sont nulles ou estiment que les différences qui existent sont peu importantes. Pourtant, durant les entretiens, les Polonais et le Français signalaient des différences sur ce point.

Une partie des Français estiment que les Polonais manquent de passion et d’engagement dans l’exercice de leurs obligations professionnelles, et que c’est la motivation financière qui est la plus importante pour eux.

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Je suis très déçu de voir cet « appât du gain à court terme » chez de jeunes employés. Si l’on veut développer une affaire sur le long terme, on a mal à trouver des partenaires. Les collaborateurs essayent de tirer un maximum de gains le plus vite possible. On trouve des gens qui négocient un salaire astronomique, mais ne restent qu’un an dans l’entreprise. Après, ils vont dans une autre entreprise et ils négocient à nouveau. Je regrette ce manque de lien émotionnel des Polonais à leur entreprise. En France, les employés se sentent bien plus attachés à leur lieu de travail. À mon avis, le taux de chômage élevé n’a pas grand chose à voir avec ça, en tous cas, ce n’est pas ça qui inquiète ces jeunes diplômés. (Français, cadre, secteur des produits à rotation rapide)

Mais à l’opposé, une partie des Français soulignent l’engagement élevé des Polonais lors des situations de crise, ainsi que leur grande motivation pour accroître leurs qualifications et perfectionner leurs compétences.

On peut parfois se plaindre du fait que les Polonais esquivent la planification et l’organisation, et ensuite manquent de cohérence dans la mise en œuvre des décisions, mais la réactivité est incontestablement leur point fort. Quand il y a quelque chose d’urgent et que je demande que ce soit fait tout de suite, il comprennent et se mettent au travail immédiatement. Il en va de même dans les situations de crise. Les Français se sentent paralysés et baissent les bras, car ils n’avaient pas prévu cette éventualité, alors que les Polonais, après un moment de réflexion, se mettent au travail. (Français, cadre, secteur logistique)

A poste analogue, les Polonais sont en majorité bien mieux instruits que les Français et j’ai le sentiment qu’ils tiennent bien plus à poursuivre leur formation. Ils fréquentent souvent toutes sortes de cours et acceptent beaucoup plus facilement de partir en formation les samedis et les dimanches. La plupart de mes collaborateurs français ne l’aurait jamais accepté. (Française, cadre dans une entreprise du secteur des nouvelles technologies)

En ce qui concerne le fonctionnement professionnel des Polonais, l’ambiance et le sentiment de sécurité ont beaucoup d’influence. Comme l’indique une étude effectuée par une

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association de cadres français (APM – Association Pour le Management), le critère essentiel retenu par les Polonais demandeurs d’emploi dans le choix de leur lieu de travail concerne les relations et l’ambiance dans l’entreprise. Dans la mesure où les relations familiales et amicales sont bien plus présentes dans la société polonaise qu’en France, le climat de travail et le sentiment de sécurité peuvent avoir un impact déterminant sur le sentiment d’engagement des employés. Certains répondants français donnent des exemples de situations où, lorsque les employés polonais se sentent en sécurité, ils font preuve de beaucoup d’engagement, d’initiative et de créativité pour résoudre les problèmes.

Dans notre entreprise, le turn-over est très faible : en 5 ans, seules 4 personnes sont parties et à chaque fois pour des raisons exceptionnelles. Pour moi, c’est le signe que les gens sont attachés à l’entreprise. Les commerciaux veulent avoir le logo de l’entreprise sur leurs voitures, et les chauffeurs demandent des vestes avec un logo plus visible. Les employés consacrent beaucoup de temps à l’entreprise et sont très engagés. Qu’est-ce qui les fait courir ? Ils travaillent dans une entreprise prospère, avec de bons résultats, ils en sont fiers et ils y voient leur succès personnel. Être le meilleur, c’est toujours très motivant. Par ailleurs, les employés se voient proposer une offre de développement professionnel très intéressante.. Les gens sont proches les uns des autres et s’entendent bien. Deux fois par an, nous organisons des fêtes : fin juin, une kermesse en plein-air, très relax, avec tout le personnel, et fin décembre un réception pour les fêtes, plus élégante et officielle. (Française, directrice, secteur logistique)

Construire des valeurs communes

L’engagement des employés peut aussi être augmenté en les impliquant dans la mise au point de la stratégie ou du business plan de l’entreprise, ce qui leur permet d’avoir plus d’influence sur l’avenir de celle-ci.

Chaque année, nous associons tout le personnel à la construction du business plan pour les 5 ans à venir et pour l’année prochaine. Chaque service consacre une journée pour travailler ensemble. Nous nous réunissons, nous échangeons les idées, nous les sélectionnons et nous les hiérarchisons. Je présente les résultats du travail de mon équipe en réunion avec

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les directeurs de tous les services, puis nous arrêtons la version définitive du business plan de toute l’entreprise. Ensuite, notre président présente le plan à l’actionnaire à Paris, puis l’information est communiquée au personnel. C’est très important, car négliger la communication risque de conduire à ce que les gens se sentent comme si leur travail n’avait servi à rien. Ainsi, tous les employés se sentent impliqués dans la construction du futur de l’entreprise. Ce ne sont pas les directeurs en France, qui ne connaissent pas la réalité polonaise, qui décident de l’entreprise, mais les employés. Les gens s’identifient avec l’entreprise et se sentent responsables de son avenir. (Française, directrice financière, BTP)

Partager une vision

Les répondants français font remarquer la forte motivation des employés polonais pour accroître leurs qualifications et développer leurs compétences. L’appui au développement individuel des employés peut avoir un impact bénéfique pour susciter leur engagement et contribue à construire un climat positif.

Dernièrement une jeune femme, employée comme assistante administrative, a été avancée à un poste de chercheur, essentiellement grâce à la motivation dont elle faisait preuve. Son travail n’est pas encore parfait. Elle cherche à expliquer les erreurs qu’elle commet et veut continuer à se développer. Cette approche est très positive. (Français, chef d’une équipe de recherches, secteur des nouvelles technologies)

Travail et savoir-vivre

Les formalités de courtoisie envers les femmes sont bien plus répandues en Pologne qu’en France. En France, des gestes tels qu’ouvrir la porte, faire passer les femmes les premières, passer le manteau ou faire le baise-main ne sont guère courants.

La courtoisie envers les femmes

Pour les femmes en Pologne, ce genre de comportement est normal de la part de quelqu’un de bien élevé. C’est un usage bien ancré chez une large majorité de la population, et de nombreuses femmes prennent l’absence de ces gestes comme un signe de dédain, et même de discrimination. Certaines

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polonaises, après une première phase où elles sont surprises de voir que les Français n’ont pas ces habitudes, s’en font une raison et ne traitent pas ce genre de comportements comme quelque chose de négatif. Mais toutes les Polonaises ne sont pas en mesure d’accepter cette différence culturelle. Les Français traitent les femmes à égalité avec les hommes. Ils ne sont pas chevaleresques : ils ne les laissent pas passer devant, ils n’avancent pas les chaises. On peut s’y habituer, même si certaines femmes se sentent offensées. (Polonaise, assistante de direction, secteur énergétique)

Il me semble que les femmes sont un peu moins bien traitées en France, qu’on les prend moins au sérieux. Par ailleurs, les Français se permettent de faire des plaisanteries d’un type assez lourd, ce qui est inadmissible chez nous ; on ne sait pas trop où se mettre dans ce genre de situation. (Polonaise, directrice d’un cabinet de relations publiques)

Autant les Polonaises sont surprises par l’absence des gestes de courtoisie auxquelles elles sont habituées, autant les Françaises réagissent de façon diverses à ces même gestes. La plupart d’entre elles y voient un geste agréable, mais il faut se souvenir que certaines peuvent être mécontentes de cette différence de traitement.

La première fois que quelqu’un a essayer de me faire un baise-main, c’était à l’occasion d’une rencontre dans le travail, je n’avais aucune idée de quoi il s’agissait et je me suis sentie mal. Mais après, peu à peu, je m’y suis habituée. Et maintenant je dois avouer que je trouve ce geste agréable. (Française, manager, secteur finances)

Pour moi, faire un baise-main est incompréhensible. Je trouve cela bizarre, non fondé et inutile. Pareil pour faire passer les femmes d’abord. Je veux être traitée de la même façon que les autres salariés et je trouve injustifiées les exceptions qui sont faites au seul prétexte que je suis femme. Le sexe n’a rien à voir avec cela. (Française, directrice, secteur services)

Les répondants français attirent l’attention sur le grand nombre de femmes dans la vie politique et économique en Pologne.

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Selon les Français, il y a bien plus de femmes qui occupent des postes à responsabilités élevées en Pologne qu’en France.

Les Français perçoivent les Polonaises comme plus ouvertes et plus débrouillardes, et font remarquer qu’en Pologne se sont plus souvent les femmes qui gèrent le budget familial, alors qu’en France, cette tâche est presque toujours réservée aux hommes.

En France par contre, les coutumes importantes sont liées à la « culture de la table ».

En France, les gens sont jugés suivant leur comportement à table. Si quelqu’un se tient droit, sourit quand il faut et applique l’étiquette, de nombreux Français ont tendance à en déduire que c’est quelqu’un d’instruit et de bien élevé. (Française, cadre, secteur de la publicité)

La culture de la table

Parfois, les comportements incompréhensibles d’étrangers peuvent nous paraître malpolis ou arrogants. Mais pour les Polonais et les Français, les critères suivant lesquels on évalue si quelqu’un est bien élevé ou pas ne sont pas les mêmes. Les Français peuvent ne pas laisser les femmes passer les premières non pas parce qu’ils sont arrogants mais parce qu’ils ont été élevés dans une autre culture. De même, des Polonais pourtant bien élevés peuvent ne pas sourire à table et ne pas se tenir droit, non pas par manque de respect, mais parce que cela n’est pas si important que cela pour eux et qu’ils sortent d’un autre moule culturel. (Polonaise, directrice, secteur des services)

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Conclusions Si vous travaillez avec des Français …

N’ayez pas peur de présenter vos idées et vos propositions de solutions.

Respectez les traditions d’autrui. Expliquez et propagez les vôtres.

En tant que chef, respectez les principes que vous demandez à vos subordonnés de respecter.

Restez patients. Souvenez vous que les Français adorent discuter.

Ne vous lancez pas dans des tâches que vous n’êtes pas capables d’assumer. Expliquez pourquoi et proposez une autre solution.

Faites des plans d’action. Pour un Français, c’est une condition pour que la tâche soit réalisée.

En réalisant une tâche, ne perdez pas de vue son objectif.

Si vous organisez une réunion, préparez un ordre du jour ainsi que des documents sur lesquels discuter et distribuez-les aux participants.

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Si vous travaillez avec des Polonais …

Tenez compte du contexte. Adaptez les solutions françaises à la réalité polonaise.

Pour accroître l’efficacité des employés polonais, construisez un climat de travail positif.

Souvenez vous que tout le monde appréhende l’évaluation, et surtout les Polonais. Soyez patients et donnez un crédit de confiance, surtout au début.

Apprenez aux gens à être autonomes progressivement. Souvenez-vous que les Polonais s’attendent à ce que le chef prenne les décisions.

Donnez des instructions claires sur ce que vous attendez et pour quand. Assurez-vous que l’employé comprend quel doit être le résultat et qu’il sait comment procéder.

Donnez un retour d’information. Dîtes de quoi vous êtes satisfait et ce qui, à votre avis, pourrait être amélioré.

Apprenez le polonais : maîtriser les expressions basiques sera apprécié et facilitera la prise de contact.

Respectez la tradition des autres et encouragez la célébration commune des coutumes polonaises et françaises.

Dans les entretiens et le courrier, souvenez vous que les titres comptent beaucoup pour les Polonais.