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Le Pont des Soupirs Opéra-bouffon en 2 actes et 4 tableaux Livret de Crémieux et Halévy Livret de censure Paris 1861 – Première édition provisoire –

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Le Pont des SoupirsOpéra-bouffon en 2 actes et 4 tableaux

Livret de Crémieux et Halévy

Livret de censureParis 1861

– Première édition provisoire –

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Diese Edition ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertungaußerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes istohne Zustimmung des Verlags unzulässig und strafbar. Das giltinsbesondere für die Vervielfältigung auf Papier (außer für denpersönlichen Gebrauch), die Verwendung in Programmheften,Artikeln, Büchern usw., für Übersetzungen sowie für die Wei-terverarbeitung in elektronischen Systemen. DiesbezüglicheAnfragen sind an den Verlag zu richten.

© 2003 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin.Eigentum für alle Länder: Boosey & Hawkes · Bote & Bock

ISMN M-2025-3125-9

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Le Pont des soupirs – Livret de Censure (1861) 1

©2003 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. ISMN M-2025-3125-9

n° 57632_______

Mars 1861

Le pont des soupirs

Le pont des soupirs

Acte 1er

Personnages

Cornarino CornariniFabiano Malatromba (son cousin)Baptiste (son écuyer)Cascadetto (chanteur des rues)Astolfo (bravo)Franrusto (bravo)Le chef des DixAmoroso (page de Catarina)Catarina (épouse de Cornarino)Laodice (nourrice de Catarina)Fiammette (chef des gondolières)

Membres du conseil des dix, Gardes, peuple, Bravi,Gondolières.

La scène se passe a Venise en l’an 1429

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1er Tableau

Le Retour du mari

(Une place a Venise - au fond le canal défendu parun parapet - au milieu de ce parapet, une ouverturesur des marches qui descendent au canal - a gauchele palais Cornarino - a droite des maisons et desrues.

_____ Scène 1re _____

Cornarino, Baptiste

(au lever du rideau, il fait nuit on voit passer aufond, au dessus du parapet les lanternes et le hautdes draperies des gondoles.)

Chœur (dans la coulisse)Ah ! que Venise est belle !Le jour, elle sourit,Le soir, elle étincelleElle chante la nuit !~~~~

(Le chant s’éloigne et s’éteint peu à peu on voitparaître a l’ouverture du parapet la tête de Baptise,puis celle de Cornarino. Baptise a un large bandeausur l’œil droit, Cornarino en a un sur l’œil gauche.)

BaptisteRécitatifNous voici de retour dans Venise la belle,Mais dans quel état tous les deux

CornarinoMon épouse fidèleNous reconnaitra-t-elleAvec ces bandeaux sur les yeux ?

BaptisteEssayons à mi voixLa Barcarolle d’autrefois !

CornarinoDans Venise la belleQue cherchons nous ?

BaptisteUne épouse fidèleA son époux !

Ensemble~~~Tra la la la laDans Venise la belle !~~~BaptisteHélas ! rien ne remue !

CornarinoElle est sourde à ma voix !

BaptisteA cette voix émue

CornarinoQu’elle aimait autrefois.Ô mon fidèle BaptisteC’est une chose bien tristePour un doge Podesta de mon rangDe rentrer dans sa patrie,Près de sa femme chérieSous l’habit d’un mandiant

BaptisteMieux vaut ainsi rentrer, hélas !Monsieur que de n’y rentrer pas !

Reprise Ensemble~~~(à la quelle de réunir le chant lointain desgondoliers)Dans Venise ...Etc etc~~~

CornarinoRien

BaptisteRien !

CornarinoIl est étrange que ma femme ne réponde pas ! ...

BaptistePour Dieu ! monsieur, ne nous compromettons pas...

CornarinoJe voudrais pourtant bien revoir ma Catarina

BaptisteJe le comprends ... mais pas d’imprudence et que Mrme permette de lui rappeler nôtre facheuse position...

CornarinoJe ne la connais que trop, hélas ! mais enfin,remémore remémore puisque tu le veux ... aussibien, je ne sais plus guere ou j’en suis

BaptisteVoilà, monsieur, il y a un an, a été nommé Doge deVenise Grand Podesta civil et militaire de Venise.

CornarinoJe le sais ... triste honneur !

BaptisteMonsieur, il y a deux mois, a pris le commandementde la flotte

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CornarinoJe le sais ... fatal ambition ! ...

BaptisteMonsieur il y a quinze jours a aperçu l’ennemi

CornarinoJe le sais ! funeste rencontre ! ... Je fus taillé enpièces ...

BaptistePas précisément ... c’est a dire que craignant del’être, monsieur a fui ...

CornarinoJe n’ai pas fui, Baptiste, je n’ai pas fui ! Convaincuque ma femme brûlait de me voir, j’ai fait uneretraite personnelle et honorable, te laissant à toi,mon fidèle écuyer, le soin de me tenir au courant detout ce qui se passerait.

BaptisteJe n’ai pas tardé à rejoindre monsieur et a luiapprendre la triste nouvelle que sa flotte étaitdéfinitivement et entièrement coulée ...

CornarinoHélas

Baptiste (à part)Je dois dire que c’est ce que ma affirmé le secrétairede la flotte Paolo Broggino auquel j’avais à mon tourlaissé le soin de tout surveiller pendant que je ...(haut) Voilà ou nous en sommes

CornarinoFâcheuse expédition ! ... c’est alors que pour rentrerdans notre patrie nous avons dû prendre cesdéguisements.

BaptisteMonsieur à coupé sa noble barbe et a mis meshumbles moustaches.

CornarinoNous nous sommes établi sur les yeux, ces machinesnoires qui nous font loucher ... Louche tu, toi ?

BaptisteJe l’avoue ... Et ça me gêne entièrement et après unvoyage rempli plein de péripéties dont le détail vousennuierait, nous tombons ici avec la nuit.

CornarinoNous hélons ma femme

BaptisteQue notre voix ne réveille pas ...

CornarinoQu’allons nous faires, maintenant ?

BaptisteIl peut être dangereux Monseigneur de nous montrerbrusquement, comme cela ... sans être attendu ...

CornarinoQu’est-ce à dire ?

BaptisteEh ! monsieur ! j’ai mes idées la dessus ! Etmonseigneur sait que j’ai toujours blâmé ce mariagelà ...

CornarinoMr Baptiste vous êtes un drôle, et je connaisCatarina.

Baptiste (à mi voix)Moi aussi ! ...

CornarinoAllons ? ... profitons de la nuit ... j’ai sauvé la clef,dans mon désastre ... entrons ...

BaptisteA la grâce de Dieu ! ...

(au moment ou il se dirigent vers la porte, entreamoroso qui, sans les appercevoir, leur enfermel’accès)

_____ Scène 2e _____

Les mêmes, Amoroso

Cornarino (effrayé)Quelqu’un !

BaptisteEn retraite ! ... monsieur, en retraite ! C’est unque nous connaisson, hélas

(ils reculent a l’autre extrémité de la scène pendantce temps, Amoroso décroche une guitare suspendueau mur du palais et chante.)

Amoroso (sous le balcon de Catarina)1Catarina je chante,Je chante, réponds moi,Ou sinon, ma charmante,J’expire devant toi.Tout se tait dans Venise,La briseSur les flots éteint sa chanson !Seul, debout, à cette heure,Je pleureEt soupire sous ton balcon !~~~Catarina je chanteEtc.

2e

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A ma belle captive,

J’arriveEt je brave un cruel tyran !Car pour briser la porteJ’apporteDans mon amour un talisman !Catarina je chanteEtc.

BaptisteSeigneur ! seigneur, que vous disais-je, en verité ?

Cornarino (id)Non, je ne le croirai qu’à toute extrémité !

BaptisteEh bien ! soyez donc satisfait ...Le balcon s’ouvre ! ... elle parait ! ...

_____ Scène 3e _____

Les mêmes, Catarina (au balcon)

(Une lumière parait à la fenêtre du palais, Catarinase montre au balcon)

AmorosoCatarina ! ...

CornarinoDieu ! là voilà !

Catarina1O mon chevalier ne meurs pas,Je suis dans un grand embarras;Mon mari se bat à la guerreUn tyran me tient prisonnièreJe suis dans un grand embarrasO mon chevalier ne meurs pas !

AmorosoCatarina je chante !

Catarina2O mon chevalier ne meurs pas,Garde moi ton cœur et ton bras;Si mon mari meurt à la guerreJe t’aimerai d’amour sincèreGarde moi ton cœur et ton brasO mon chevalier ne meurs pas !

Ensemble~~~CornarinoFort surprenant sur ma paroleA tout ceci je n’entends rienRépondre à cette barcarolleCatarina, ce n’est pas bien.

~~~

BaptisteFort surprenant sur ma paroleA tout ceci je n’entends rienRépondre à cette barcarolleVraiment, monsieur, ce n’est pas bien~~~AmorosoCharmante voix, chère parole,Hors sa chanson je n’entend rienTu réponds à ma barcarolleChère princesse, et tu fais bien.~~~BaptisteMonsieur ! ... un moyen brutal !

CornarinoQuoi ?

BaptisteSi nous le laissions tomber dans le canal ...

CornarinoJ’y songeais vaguement ...

BaptisteAllons ! ...

(au moment ou ils se dirigent vers Amoroso, entreMalatesta qui prend le milieu de la scène)

_____ Scène 4e _____

Les mêmes, Malatesta

CornarinoQuelqu’un encore !

(Ils se cachent précipitamment du côté gauche de lascène)

Catarina (apercevant Malatesta)Prends garde, Amoroso ! C’est lui l’homme fatalDont l’amour me poursuit.

AmorosoQu’importe ! je t’adore ...

Tu m’adores ! ...

CatarinaFuis ! fuis ! Il te ferait du mal.

AmorosoReculer, jamais ! ...

(Il se range du côté opposé)

Cornarino (avec désespoir)Deux ! quel espoir est le nôtre ?

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BaptisteC’est que l’un des deux mange l’autre !

(Pendant ce temps, Malatesta va à son tourdécrocher une guitare et chante)

Malatesta (sous le balcon de Catarina)1Ah ! daigne en ce jourMe payer de retourMa belleNe sois plus ce soirA mon brûlant espoirBebelle~~~En ce momentJe suis ton tyranTra, la, la, la, laMais je seraisSi tu le voulaisTra, la, la, la, la.

Amoroso (de l’autre coté)Catarina, je chante,Je chante, réponds moiOu sinon, ma méchanteJ’expire devant toi !

Malatesta (l’entendant)Que veut dire ceci ?(Il s’en va de l’autre côté. Amoroso prend sa place)Rien ! l’oreille me corne !Je ne vois que silence et sérénité mornes ! ...

IISi je te poursuisC’est que je te chérisMa reineTu peux en ce jourChanger en tendre amourMa haine~~~En ce momentJe suis ton tyranTra, la, la, la, laMais je seraisSi tu le voulaisTra, la, la, la, la

Ensemble~~~MalatestaEn ce momentJe suis ton tyranEtc.

Amoroso CatarinaCatarina je chante O mon chevalier ne meurs pasJe chante, réponds moi Je suis dans un grand embarrasEtc. Etc.

Cornarino et BaptisteDans Venise la belleQue cherchons nousEtc.

(A cet ensemble se mêle le chœur des gondoliers quireprend dans la coulisse)

MalatestaSur ma vie, mon jeune seigneur, vous êtes un enfanthardi de venir chanter sous ces fenêtres ! ...

AmorosoN’y venez-vous pas vous-même ?

MalatestaMoi ? ... Ce n’est pas la même chose.

AmorosoHeureusement pour moi. Ces fenêtres les auriez-vous louées par hasard ?

MalatestaPeut-être ! En tout cas vous m’échauffez les oreilles...

AmorosoTout prêt à vous les rafraichir, si le cœur vous en dit! ... En garde, donc ! mon maitre ! ...

Malatesta (à part)En garde ! ... J’y suis ! ... (Il donne un coup de siffletet au moment ou Amoroso va tirer son épée dessbires paraissent qui le saisissent et le désarment)

CatarinaC’est un guet-à-pens !

Cornarino (à Baptiste)Un de moins ! ... Bravo !

BaptisteVous pouvez dire Bravi ! ... Ils sont plusieurs !

MalatestaQuand on est membre du Conseil des dix en l’an deguerre onze cent vingt-un, et quand et quand onaime la femme de son ami absent, voilà comme onse débarrasse de ses rivaux !

CatarinaAmoroso ... Misérable ! ... C’est ainsi que tu croisvaince ma résistance ... Crois-tu donc que c’est enmarchant sur les cadavres que tu arriveras jusqu’aucœur de Catarina ! ... Je te hais ! ... Lâche ! ...

BaptisteTrès bien ! ... Très bien ! ...

MalatestaJe connais votre opinion sur moi ! ... et si je suisvenu vous chanter cette barcarolle, c’est une pure

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concession a la couleur local ... mais rien ne mecoûtera pour me venger de vos froideurs ! ... Je nevous vois pas; mais je sens que vous palissez,Madame. J’ai maintenant un ôtage entre les mains ...

CatarinaLâche ! ... Lâche encore ! ...

MalatestaJamais ne le lâchez pas qu’on l’entraine et que lessombres plombs de Venise se referment sur lui !Allez ! ...

CatarinaAmoroso !

AmorosoCatarina ! (On entraine Amoroso) tremble, femme ...tremble de pousser a bout un homme qu’on appelleavec effroi dans la lagune le gonfalonnier Fabiano,Fabiani, Malatesta.

Cornarino (à part)Fabiano Fabiani Malatesta ! ... mon cousin paralliance

BaptisteHonneur !

MalatestaHein ! ... Quoi ? ... On a parlé.

Cornarino (à Baptiste)A bas ! ... a bas ! ... et ronfle !

MalatestaIl me semble avoir entendu. (Malatesta heurte dupied Cornarino qui sapplatit de son mieux et quipousse un ronflement a l’unisson avec Baptiste)Quelque mendiant qui dort et qui rêve tout haut ! ...heureuse insouciance (il le crosse du pied. àCatarina) Dans une heure(il sort)

_____ Scène 5e _____

Baptiste - Cornarino

Cornarino (sortant de sa cachette et s’élancant surces traces)Infâme ! ... Traitre et parjure !

Baptiste (l’arrêtant)Pas d’imprudence, monsieur ! ... Et ne criyons pastant que cela.

CornarinoMais tu n’as donc pas entendu ce qu’a dit cethomme ! Dans une heure il sera aux pieds deCatarina ... de ma femme, comprends-tu ?

Baptiste

Oui, monsieur ... mais du calme, au nom du ciel ! ...

CornarinoDu calme ! ... Voilà bien de mes gens qui ne sont pasmariés.

BaptisteJe le serais ... que je dirais la même chose ...D’ailleurs mon père l’était.

CornarinoEt mon plus cruel ennemi est mon ami intime moncousin fabiano Malatesta

BaptisteC’est d’un cousin ...

CornarinoOh ! ... à ce nom, à cette idée, toute ma colère mereflue au cœur ! Oh ! Cet homme n’entrera pas là, ousur mon âme, sur ma part d’éternité, il m’y trouvera

BaptisteQu’allez-vous faire, monsieur ?

CornarinoLa nouvelle de notre désastre n’est pas encoreparvenue jusqu’ici ... Je ne suis pas surveillé ... Jepuis entrer avant cet homme, enlever ma femme, fuiravec elle ... que sais-je ? ... mais, au moins, sauvermon honneur ! ... suis-moi.

BaptisteMonsieur, monsieur, quelle déplorable idée.

CornarinoSuis-moi, te dis-je !

(Le jour est venu pendant la scène. Au moment oùils vont entrer, il sont repoussés par une trouped’enfants, d’hommes et de femmes qui entrent encriant, et entourent Cascadetto. Celui-ci,étrangement vêtu, est précédé de cinq ou sixmusiciens ambulants, tambour, clarinette, hautbois,piston etc. qui exécute une symphonie criarde.)

_____ Scène 6e _____

Les mêmes, Cascadetto, Musiciens, hommes,femmes, et enfants

ChœurEcoutons sur la musiqueDu crieur CascadettoL’histoire très véridiqueDe l’amiral Cornarino !

TousA bas Cornarino !

Cascadetto

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Silence ! Oyez tous l’histoire mélancolique etvéridique de l’amiral Cornarino Cornarini(Cornarino et Baptiste s’arrêtent) Le récit de sadéfaite, de sa fuite honteuse, de sa condamnation àmort par le Conseil des dix, de la promesse de vingtmille sequins à qui le tuera et rapportera au conseil1° l’anneau 2° l’épée les éperons de l’amiral(Cornarino est tombé a moitié évanoui dans les brasde Baptiste) Et maintenant voulez-vous entendre lacomplainte que j’ai composé à son sujet ?

TousOui, oui ...

Baptiste (bas)Partons, monsieur ... il n’est que temps !

Cornarino (id)Non, j’entendrai sa complainte.

Baptiste (id)Ah ! monsieur ! quand donc serez-vous raisonnable !

CascadettoEn avant la musique ! ...IL’amiral cornariniAvec nos vaisseaux est parti !Il trotte, trotte, trotte, trotteLa mer s’ouvre devant lui,Il n’aperçoit pas l’ennemi ...Il flotte, flotte, flotte, flotte ...Amiral en véritéN’a jamais si bien flotté !

TousAmiral en véritéN’a jamais si bien flotté !

CascadettoIIL’amiral CornariniS’avance brillant et hardiIl semble, semble, semble, semble,Que tout fuira devant lui.Mais quand apparait l’ennemiIl tremble, tremble, tremble, trembleAmiral en véritéN’a jamais si bien tremblé !

TousAmiral en véritéN’a jamais si bien tremblé.

Cascadetto3L’amiral CornariniSe dit: il faut prendre un parti.Habile, habile, habile, habileSi mon courage est partiJe m’en vais courir après lui.Il file, file, file, file

Amiral en véritéN’a jamais si bien filé

TousAmiral etc.

Cascadetto4L’amiral CornariniMérite bien d’être puni !On offre, on offre, on offre, on offreA celui qui le prendraUn morceau d’or qui rempliraUn coffre, coffre, coffre, coffreL’amiral en véritéSera bel et bien coffré !

TousL’amiral en vérité etc.

TousBravo ! Bravo ! ...

CascadettoMort à Cornarino.

(Cornarino se redresse brusquement à ce cri, etretombe dans les bras de Baptiste)

CascadettoAvis. On a lieu de penser que l’ex-amiral est caché aVenise. Le devoir de tout citoyen est de le livrer. (ilretourbe une sur le dos de laquelle est leportrait de cornarino) pour en faciliter les moyens àtout un chacun, voici le signalement et le portrait deCornarino, ainsi que celui de son fidèle écuyerBaptiste, également condamné à mort (Baptistetombe a son tour dans les bras de cornarino) Le toutne se vend que deux sous avec la complainte.Demandez, messieurs, qui en veut ?

TousMoi ? Moi ? ...

Cascadetto (à Baptiste et a cornarino dans la fouletremblant tous deux en se soutenant l’un l’autre) Eh! vous autres, la bas, le petit gros, et le grand maigre,vous n’en achetez donc pas ?

Baptiste (bas)Nous sommes perdus.

Cornarino (id)Achète ! Baptiste ! Achète ! ... Il est dit que nousboirons le calice jusqu’à la lie.

Baptiste (achetant la complainte)Elle est charmante, monsieur, cette petite chanson !...

CornarinoEt le portrait est bien resemblant

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CascadettoVous connaissez donc l’amiral ?

CornarinoNous avions été élevés ensemble ... mais je l’aiperdu de vue ...

CascadettoAvec ce taffetas-là sur l’œil, vous avez dû en perdrebien d’autres de vues !

Tous (riant)Ah ! ah ! ah ! ...

Baptiste (pendant que Cascadetto distribue et vand lacomplainte au fond)Fuyons, monsieur, fuyons !

CornarinoAvec quoi je n’ai plus de jambes.

BaptisteJe vous offre les miennes, monsieur quand il y en apour un il y en a pour deux.

CornarinoFuyons ... Adieu ! ... toi que j’aime plus que tout aumonde ...

BaptisteIl y a votre tête aussi, monsieur ... qu’il faut aimer.

(au moment ou ils vont sortir parait Malatesta tenantune énorme clef et se dirige vers la porte du palais)

_____ Scène 8e _____

Les mêmes Malatesta

MalatestaL’heure est écoulée ... Je suis prêt ... entrons ! (ilentre)

CornarinoHorreur ! Lui ! Lui ! Toujours lui ! lui ! lui ! ...

_____ Scène 9e _____

Les mêmes moins Malatesta

BaptisteEh ! bien, monsieur ? ... Vous ne venez pas ? Vousattendez qu’on nous arrête ! ...

CornarinoMais, c’est affreux !!! La mort-là ! ... Le déshonneurici ! ... quel choisir !

BaptisteLe deshonneur, monsieur !

CornarinoLe deshonneur ! ... Mais tu ne sais donc pas ce quec’est ?

BaptisteSi, monsieur. Venez tout de même

CornarinoEh ! bien ! mais une fois dans ma vie, je lui prêteraile courage suis moi !

BaptisteJe ne vous reconnais pas là ?

CornarinoSuis-moi !

Baptisteoù

CornarinoLà

BaptisteQu’allez-vous faire ?

CornarinoJe n’en sais rien ! ... mais le ciel m’inspirera ! ...Viens !

BaptisteOh ! les femmes ! les femmes !

CascadettoEt nous enfants ! ... a la place St Marc !

(reprise de la complainte et du cœur)

2e Tableau

Horloge et Baromètre

Salon dans le palais Cornarino. Au fond, et enpendant l’un à l’autre, un grand baromètre et unegrande horloge à coffre. Porte au fond. Porteslatérales. Entre les portes, un pan coupé, de chaquecôté de la scène, 2 panneaux mobiles (trappesanglaises dans le mur)

_____ Scène 1re _____

Catarina, Laodice, Femmes.

(Au lever du rideau, Catarina est dans un fauteuilaccablée par ses pensées. Laodice tricotte uneéchelle de soie.)

Chœur de femmes.Hélas ! Noble maîtresse !Laisse là la tristesseQui noircit ton beau frontToutes tant que nous sommes

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Nous attendons nos hommesNos hommes reviendront.

Une femmeUn époux à la guerreÇa se voit tous les jours.

Une autreMais ils ne meurent guèreIls reviennent toujours !

Reprise du Chœur

_____ Scène 2e _____

Catarina, Laodice

CatarinaLève-toi, Laodice, et mets les dehors.

LaodiceVoyons, madame maintenant que nous voilà seules,il faudrait bien nous entendre.

CatarinaQue veux-tu dire ?

LaodiceVous me faites tricotter des échelle de soie commeune femme qui aurait des projets ... et voilà que vouspleurez l’absence de votre époux, comme si vous leregrettiez cela manque de logique.

CatarinaNon, non, chère, non, non, tu vas me comprendre.Mais c’est un terrible secret que je vais te révéler.J’aime ! J’aime !

LaodiceVous aimez ? Votre mari ?

CatarinaMon mari ! allons donc ! Je parle sérieusement ! Il a20 ans celui que j’aime, il est beau, il est brave, jesuis sa vie, il est la mienne. Il se nomme Amoroso,et je ne sais rien au monde de plus étincelant que lerayonnement de son jeune front sous la couronne deses blonds cheveux.

LaodiceVous l’aimez ! Mais alors pourquoi désirez-vous leretour de votre époux ?

CatarinaPourquoi ? Ecoute ! Ce matin, avec le jour, Amorosoétait sous mon balcon, il chantait et le ciel s’ouvraitpour moi. Qui ne l’a pas entendu, n’a rien entendu.J’allais lui jeter l’échelle de soie. Tout d’un coup,armés et masqués paraissent quatre bandits. A leurtête Fabriano Fabriani Malatesta. On s’empared’Amoroso, on l’emmène, on l’entraîne. Et voilàpourquoi je regrette mon époux.

LaodiceMais, madame, je ne comprends pas ...

CatarinaMon Dieu ! Es-tu assez nourrice ! Tout celan’arriverait pas si mon mari était ici. Une fois ledoge Cornarino à Venise, qui fait d’Amoroso sonplus intime ami ? Cornarino ! Qui l’invite à diner ?... Cornarino ! A m’accompagner dans ma gondoleet sur ma guitare ? Cornarino ! Cornarino ! Voilà cequ’ont fait et feront toujours les Cornarini ! Et voilàpourquoi je regrette mon époux !

LaodiceA la bonne heure ! Comme cela je comprends !

CatarinaPauvre Amoroso ! Où me l’ont-ils conduit ?

(Pendant la dernière partie de la scène, 2 têtesmasquées sont apparu à 2 panneaux mobiles qui sesont entrouverts. 2 hommes sont entrés et lespanneaux se referment avec un léger bruit)

_____ Scène 3e _____

Les mêmes, 2 hommes masqués (ils ont à la maindeux cartons sur lesquels ils écrivent avecacharnement)

Laodice (se retournant)Ah !

CatarinaQuels sont ces deux hommes ?

LaodiceIls me font peur !

CatarinaQui êtes-vous ? Que cherchez vous ici ?

Les 2 hommesVous !

CatarinaComment vous nommez-vous enfin ?

1er hommeLe silence !

Laodice (à l’autre)Et vous ?

2e hommeLe Tombeau !

LaodiceMme n’en doutez pas ... ce sont des espions de votreinfâme persécuteur

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CatarinaMisérables !

1er hommeTout ce que vous ferez nous le verrons !

2e hommeTout ce que vous direz nous l’entendrons !

Les 2 hommesEt nous le répéterons !

CatarinaEh bien, drôles ! ... Commencez par redire ceci àvotre maître ... que je le hais et le méprise. Que sonâme est aussi noire que son visage ! ...

LaodiceEt que jamais nous ne tromperons notre mari avecpour un homme aussi laid que ça !

CatarinaBien dit ! Laodice ! Viens, et retirons nous dans leboudoir olive.(elles sortent)

_____ Scène 4e _____

Les 2 hommes masqués

1er hommeDis donc ?

2e hommeHein ?

1er hommeDans le boudoir olive, Asthopho !

2e hommeOui, dans le boudoir olive Franrusto !

1er homme (riant)Oh ! oh ! oh !

2e homme (id)Oh ! oh ! oh !

1er hommeLa malheureuse ! C’est là que l’attend ... notreMaître

2e hommeOui, ma foi !

1er hommeDis donc Astolpho !

2e hommeFranrusto !

1er homme

Risquerais tu beaucoup de sequins sur la vertu decette femme-là ?

2e hommePas plus que sur notre chance de mourir dans notrelit Franrusto !

1er hommeRude métier que le nôtre en effet !

2e hommePetits profits et grosses chances !

1er hommeHeureusement qu’on se rattrape sur l’honorabilité

2e homme (riant)Oh ! oh ! oh !

1er homme (id)Oh ! oh ! oh !

2e hommeChut !

1er hommeQuoi donc ?

2e hommeN’entends-tu pas ?

1er hommeQuoi donc ? Si fait !

2e hommeOn marche dans ce mur !

1er hommeLe panneau s’agite !

2e hommeIl s’entr’ouvre !

1er hommeUn homme !

2e homme2 hommes !

_____ Scène 5e _____

Les mêmes, Cornarino Baptiste (entrant à pas deloup par 2 autres panneaux mobiles)

Quatuor.Ensemble

Les 2 hommes Cornarino BaptisteHélas ! mon dieu ! que vont-ils faire Hélas ! mon dieu que faut-il faire ?Vont-ils parler ? vont-ils se taire ? Faut-il parler faut-il se taire ?

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Je ne sais pas quels sont ces gens ! Je ne sais pas quels sont ces gens !Mais à coup sûr, ils sont gênants ! Mais à coup sûr ils sont gênants !

Cornarino (à Baptiste)Avancons-nous à pas de loup !

Les 2 EspionsIls s’avancent à pas de loup !

Cornarino et BaptisteQuels sont ces deux hommes là bas ?

Les 2 EspionsIls dirigent vers nous leurs pas !

Cornarino et BaptisteObservons-les bien !

Les 2 EspionsIls ne disent rien !

BaptisteMonsieur, si nous quittons la place,Je manque tout à fait d’audace !

Cornarino (tremblant)C’est le moment d’avoir du cœurIl faut parler ... (aux hommes)Seigneur !

Les 2 hommesSeigneur !

(Ils tremblent tous et s’ecartent les uns des autres.)

Reprise de l’ensemble_____

CornarinoJ’aurais peur s’ils n’avaient pas peur !

BaptistePuisqu’ils ont peur, ayons du cœur !

1er EspionAllons ! montrons du caractère !

2e EspionEn les attaquant par derrière !

Cornarino (bas à Baptiste tirant son poignard)Tu m’as compris !

Baptiste (id)Ma dague est prête !

1er EspionLes voilà pris ! (id)

2e Espion (id)L’affaire est faite !

EnsembleDsing ! dsing ! préparons-nous !Abattons les à nos genoux !Dsing ! dsing !

(Ils s’avancent les uns contre les autres les poignardslevés)

Les 2 EspionsOh ! Bah ! Oui dà !

Cornarino et BaptisteC’est comme ça !

1er EspionTiens donc, pendard !

CornarinoTiens donc coquin !

2e EspionA toi, brigand !

BaptisteA toi, gredin !

1er EspionA toi !

CornarinoA toi ! ça ne mord pas !

BaptisteA toi !

CornarinoA toi !

1er EspionQuel matelas !

2e EspionIl a sa cuirasse !

1er EspionIl a son haubert

CornarinoIl devient tout vert !

BaptisteIl fait la grimace !

(Les 2 Espions tombent)

BaptisteC’est un beau fait d’armes

CornarinoPour moi surtout qui n’en fais pas !

Les 2 Espions

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Voyons quelques larmesSur notre trépas !

Ensemble

Cornarino et BaptisteDsing ! dsing ! Les voilà morts !C’est nous qui sommes les plus forts !Les voilà morts !

Les 2 EspionsCouic ! couic ! faisons les mortsNous ne serions pas les plus fortsFaisons les morts !

CornarinoEt maintenant, vite leurs costumes, leurs masques etprenons leurs places ... (il entrouvre la robe du 1erhomme et on voit sur sa poitrine la marque CDX.)Des espions du Conseil ! ... J’en étais sûr ! ... à lasolde de mon lâche cousin ! (on entend du bruit àl’extérieur) du bruit ! dépouille ! dépouille Baptisteet emporte ces deux corps !

BaptisteMais où, mais comment, Mr, deux espions duConseil des dix ! ça ne s’emporte pas comme deuxbouteilles de vin !

CornarinoDans un panier, sur mon âme, tu as dit vrai ! ... Ah !tiens ! cette horloge ... ce baromètre ! ... Le tien ici !... Le mien là ! ...

BaptisteOui, Mr. Oui ! (Ils posent les 2 corps dansl’horologe et le baromètre)

CornarinoBaptiste, prends garde ! Tu les cognes ! ... (ilsferment les coffres passent les 2 robes et mettent les2 masques) Maintenant, nous avons le droit de resterici ... Je ne sais au juste à quel titre, mais la suitenous le dira ...

Catarina (dans la coulisse)Non, jamais, laissez-moi, seigneur ! (elle entreprécipitamment en scène)

_____ Scène 6e _____

Les mêmes, Catarina puis Malatesta

Catarina (se jetant entre Bap et Corn)Ah ! je vous en supplie, qui que vous soyezdéfendez-moi contre cet homme ! (Malatesta entre etjette un éclat de rire satanique)

Cornarino (à part)C’est ma femme ! ... et ne pouvoir !

Malatesta

Toutes mes précautions sont bien prises, elle ne peutm’échapper

CatarinaOui ... Ils vous appartiennent, les misérables (à Bapet à Corn) Vous êtes hommes cependant, peut-êtreavez vous une mère ? Eh bien ! c’est en son nom queje vous implore. Je suis Catarina Cornarino, lafemme du Doge Podesta, de votre Doge Podestaaprès tout ! Et celui-ci (montrant Malatesta) savez-vous ce qu’il médite ? pendant que mon noble épouxse bat pour la patrie ! ... (second éclat de rire deMalatesta)

MalatestaEn vous voyant, belle dame, je suis sûr qu’ilsdevinent et qu’ils m’excusent ...

BaptisteQuelle position pour Mr !

CatarinaOh ! le monstre ! (elle prend la main de Cornarinoqui tremble comme une feuille) Ecoute-toi, monami, oui, mon ami, pourquoi ne serais-tu pas monami ? Il faut que tu me défendes ... Ah ! il le faut ! ...ne réponds pas ... c’est inutile ... Il te paie bien ! Je tepaierai mieux ! L’argent ! Tu aimes l’argent n’est-cepas ? Je t’en donnerai et beaucoup ! J’en ai là chezmoi dans un coffre et des bijoux aussi, ils sont à toi,tous ... tous, d’ailleurs tu es bon j’en suis sûre. Il estidiot ! Ecoute toi ... Tu dois avoir une femme unemère une soeur ! ma cause est la tienne, alors, en medéfendant, c’est ta femme, ta mère, ou ta soeur, quetu défends, comprends-tu ? Il est encore plus bêteque l’autre ... mais, alors, il ne me reste plus qu’àm’évanouir ! Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! je vaism’évanouir; que je ne le retrouve plus à mon réveil !... ah ! (elle tombe dans un fauteuil)

BaptisteMr Elle est évanouie !

Malatesta (poussant un éclat de rire)Ah ! ah ! ah ! c’est à des murs que vous parlez !

Cornarino (avec rage)Oh ! (plus calme) Pourtant seigneur ...

MalatestaEh ! bien que signifie ! ... mes espions ordinaires !Deviendrons nous sensibles ? nous nous serionsdécouvert tout-à-coup de petites entrailles ... ceserait bouffon et presque merveilleux maîtres drôles! D’un mot, je puis vous faire pendre ! ... nel’oubliez pas !

Cornarino (à part)Hélas !

BaptisteIl ne croit pas dire si vrai !

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MalatestaAllons ! sortez ! tous deux !

CornarinoHein ? sortir ... jamais !

BaptisteJamais !

CornarinoNotre devoir est de veiller sur vous !

BaptisteSur vos précieux jours !

MalatestaAu fait ! ... si quelque audacieux tentait ... (àCornarino) Eh ! bien, cachez-vous et tenez vousprêts au cas où j’aurais besoin de vous

CornarinoSeigneur, pourquoi nous éloigner ?

BaptisteQuelle imprudence !

MalatestaCela me regarde !

CornarinoMais ...

MalatestaSilence ! vous me gênez m’enervez que diable !vous devriez le comprendre ... cachez-vous allezvous ! allez vous cacher.

CornarinoMais où ?

BaptisteOui, où ?

MalatestaAh ! où ? là ... là ... ou là ... Ah ! tenez dans cettehorloge !

Cornarino (épouvanté)L’horloge !

MalatestaEt dans ce baromètre !

BaptisteLe baromètre !

Cornarino (bas à Baptiste)Horreur ! Baptiste, si tu veux me faire un plaisir, tuprendras le baromètre, c’est le mien qui est dedans jene veux pas le voir ...

BaptisteOui, M, pourvu qu’ils soient bien morts !

CornarinoBaptiste as-tu des cartes au moins ?

BaptistePourquoi faire ?

CornarinoUn Whist !

BaptisteAvec un mort !

MalatestaMais allez donc ! (ils entrent dans les 2 cachettesMalatesta revient à Catarina évanouie)

_____ Scène 7e _____

Catarina, Malatesta, Baptiste et Cornarino (dans les2 cachettes)

MalatestaA nous deux, mignonne, Et maintenant, toutes mesprécautions sont bien prises ... toujours évanouie !quelle est belle ainsi ! (Il arrache une plume de satoque et chatouille Catarina sous le nez)

CornarinoChatouiller sa cousine par alliancedans un pareil moment !

BaptisteCet homme ne recule devant aucune cascade !

MalatestaElle frétille sourit ! ...ça lui va bien de frétillersourire ! (il la chatouille de nouveau) cela m’amusede jouer avec ma victime ! c’est honteux ! mais çam’amuse

Catarina (revenant à elle même)Où suis-je ? Où suis-je ?

Malatesta (la chatouillant toujours)Elle ne pouvait pas dire autre chose ! Quand unefemme sort d’un long évanouissement, elle s’écrie:Où suis-je ? Oh ! mon Dieu qu’elle est belle !

CatarinaLui ! ... Lui encore !

MalatestaOui, je suis lui !

CatarinaVous me faites horreur !

Malatesta

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Pas de marivaudage ! Tu as bien tout, va ! jamaisbluet dans les blés, jamais grillon dans la campagne,jamais ramier dans le boccage, jamais berger sur lafougère, jamais en un mot la nature, au printemps,ne chanta l’amour comme je l’aurais chanté à tespieds si tu l’avais voulu ! C’était une féerie, un rêve!

BaptisteSi on peut jouer ainsi avec les guitares les plussacrées !

CornarinoIl mérite la corde !

MalatestaVoilà mon rêve ! ... Etes-vous charmée ?

CatarinaMoi, charmée ! ... misérable !

MalatestaAh ! c’est comme ça ! Eh bien, je l’aime autant. Plusde barcarolles ! Aussi bien ! ... Je les chante sansconviction ! ... en avant les moyens violents décisifs!

CatarinaLes moyens violents décisifs ?

Cornarino (passant la tête)Bigre !

BaptisteCremâtin !

MalatestaToutes mes précautions sont prises ! Votre marin’est pas là ! Et plût au ciel qu’il y fût ! ... Je leferais expirer dans les tortures les plus odieuses ! ...

Cornarino (rentrant sa tête vivement)Sapristi !

BaptisteSac à papier !

MalatestaMais il me reste encore le petit page qui vous aimevous savez ?

Catarina (vivement)Amoroso !

MalatestaEt je vous tiens par là ! ... vous pâlissez, mad !

CatarinaEh bien ?

Malatesta

Il est en lieu sûr ! ... sous les plombs ... L’été estchaud il est délicat le cher enfant ! ... Il cuit ! ...

CornarinoPauvre jeune homme ! Je l’aimais déjà ! Il mesemble qu’il me voulait du bien !

CatarinaAmoroso ! ... Je ne l’aime pas ! Grâce !

MalatestaSa grâce, mais elle dépend de vous ! ... Je viens vousla demander à genoux !

CatarinaOh ! quelle horrible situation !

CornarinoEt je suis dans la pendule !

BaptisteQuelle position pour Mr !

MalatestaAllons un bon mouvement !

CornarinoEt je suis dans la pendule !

Catarina (à part)Gagnons du temps (haut et jouant la folie) Ah ! matête s’égare ! mon Dieu ! mon Dieu ! mais vousvoyez bien que je deviens folle !

MalatestaMais moi aussi je suis fol ... de toi !

CornarinoIl me la rendra idiote !

BaptisteIls sont toqués tous les trois !

CatarinaOh ! le Doge ! Venise ! ... oh ! les plombs ! ... Lecanal Arfano ! L’adriatique ! c’est fini ! ... je suisfolle !

Duo

CatarinaMon ami, mon amiLaisse moi t’appeler ainsi

MalatestaJe le veux bien !

CatarinaNe me réponds pas, ne me dis rien !Ne trouble par aucune phraseLa divine extaseOù je suis.

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J’ai vu des hommes bien jolisMais jamais cher ange crois-moi !Jamais, aussi jolis que toiJ’irai plus loin, j’avouerai mêmeO mon chevalier, que je t’aime !

MalatestaTu m’aimes !

CatarinaJe t’aime !

MalatestaEh bien ! partons ensemble !

CatarinaOui oui quittons ces lieux !

CornarinoLes laisser partir tous les deux !

EnsembleCatarina et MalatestaPartons ! Dérobons-nousA tous les yeux jaloux !

Cornarino et BaptistePartir, partir sans nous !Dieux ! quel tableau pour un époux !

(Pendant l’ensemble elle se livre à des exercices lesplus extravagants attrapant des mouches sur le nezde Cornarino, dansant, sautant etc.)

MalatestaS’il en est ainsi ma princesseSi tu réponds à ma tendresseSans plus tarder ...

CatarinaJe te comprends !Mais donne moi quelques instantsPour te chanter une ballade

Baptiste (à Cornarino)Monsieur, madame est bien malade !

Catarina (parlé)Le Doge et Encore quelque chose l’Adriatique ...rêverie ...

CornarinoJe l’ai assez entendue, elle m’endormait avec !

1er CoupletUn jour la ville de VeniseEntendit la briseDire à Marino FalieroVois cette plaine, c’est de l’eau !Cette eau bleue où ma voix magiqueVient se briserC’est l’Adriatique

Veux-tu l’épouser ?

2e CoupletAlors le Doge de VeniseRépond à la briseCette union me convient fortVa lui porter mon anneau d’orElle n’osera je m’en piqueLe refuserC’est l’AdriatiqueJe vas l’épouser !

MalatestaMaintenant, partons !

Baptiste (parlé) CornarinoElle y va, Mr ! Elle s’en va ! Baptiste

Cornarino BaptisteOui, mais pas de bon cœur !

Reprise de l’Ensemble

MalatestaViens ! viens ! Je triomphe !

Amoroso (entrant)Pas encore !

_____ Scène 9e _____

Les mêmes, Amoroso

Catarina ( dans les bras d’Amoroso)Amoroso ! Ah ! je savais bien moi que le ciel étaitjuste ! Et que tu m’entendrais, et que tu répondrais àma voix ! Amoroso !

AmorosoCatarina !

Malatesta (atteré)Malédiction !

BaptisteMr c’est toujours le petit de ce matin !

CornarinoIl sera le gardien de mon honneur !

Baptiste (à mi-voix)Jusqu’à nouvel ordre !

Amoroso (à Malatesta)Ah ! felon ! ... Lâche ! ... et parjure ! ... tu nem’attendais pas, n’est-ce pas ? ... crois-tu donc quepour un cœur bien épris, il y ait des grilles, ou desprisons ! Vrai Dieu ! mon maître, pour les geoliersou de l’or ... pour les assasins et les traîtres, entends-tu monsgr ! Il y a du fer (il tire son épée) Allons !Tes sbires ne sont plus là ! ... voyons ce que lacrainte de mourir pourra te donner de courage !

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BaptisteIl y a du cœur dans sa tartine !

CornarinoDu beurre ?

BaptisteDu cœur !

CornarinoAh ! si je pouvais je l’aimerais le petit !

BaptistePas de bêtise, Mr et la mort !

Malatesta (ricanant)Ah ! ah ! ah ! ... tu me crois seul, mais toutes mesprécautions sont prises. A moi, vous autres !

CatarinaPrends garde, Amoroso ! ... cette maison est pleined’espions et d’assasins

Cornarino (à Baptiste)Fais le mort, Baptiste !

BaptisteJ’ai un bon exemple sous les pieds !

AmorosoS’ils ne se pressent pas davantage, monsgr tes valetsvont te laisser tuer comme un chien.

MalatestaFranrusto ! ... Astolpho ! ... Ils dorment donc ! ... àmoi ! à moi ! ...

AmorosoEn garde, te dis-je ! car si tu ne veux pas que te tuevrai Dieu, je t’assasine

CatarinaAmoroso ! Tue-le !

MalatestaMais c’est atroce ! ... mais je suis abandonné à moimême comme le dernier des honnêtes gens ! c’estaffreux !

AmorosoEh bien ?

Malatesta (tirant son épée)Puisque tu ne rougis pas d’attaquer un homme seul...(Il tombe en garde Catarina tombe à genoux)

CatarinaSeigneur, prolonger les jours de mon chevalier etdiminuez ceux de mon tyran

CornarinoC’est un élève de Ponsino, je reconnais sa garde, jesuis tranquille (les 2 hommes se battent)

Baptiste (poussant un cri)Ah !

CornarinoQuoi donc ?

BaptisteMr il remue !

CornarinoQui ?

BaptisteMon mort !

CornarinoAllons donc ! Tu es fou ! (poussant un cri) Ah !

BaptisteQuoi donc ?

CornarinoLe mien qui remue aussi !

BaptisteLà, voyez-vous il me chatouille

CornarinoIl me pince !

BaptisteQue c’est bête ! Finissez donc ! ... (il rit) Ah ! ah ! ah!

CornarinoOh ! oh ! oh ! Assieds-toi dessus, fais comme moiétouffe-le !

Catarina, Amoroso, MalatestaAh !

Cornaro, Baptiste Les 2 hommes (poussant desgémissements dans les coffres)Aie ! aie ! aie ! (Les 2 armoires s’ouvrent - le duels’interrompt les 4 hommes sortent en se battant)

Final

MalatestaUn !

AmorosoDeux !

CatarinaTrois !

Malatesta

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Quatre ! c’est prodigieux !Je mets deux hommes dans l’armoire !J’en trouve quatre au lieu de deux !C’est à n’y pas croireC’est prodigieux !

TousC’est prodigieux !Mettre deux hommes dans l’armoireEn trouver quatre au lieu de deux !C’est à n’y pas croire !C’est prodigieux !

MalatestaMe dira-t-on quels sont ces gens ?

Les 2 EspionsCe sont d’infâmes sacripantsIls nous ont assailli de coups (montrant leur cotte demailles)Sans cela, c’était fait de nous !

Cornarino et BaptisteDes cuirasses !

MalatestaPourquoi ce crime enfin ? Parlerez vous ?

CornarinoCet interrogatoireMe lasse à la fin ! - sans tremblerEcoutez donc notre histoireNous verrons qui des deux aura droit de parler !

BaptisteMonsieur qu’allez-vous dire ?

CornarinoAssez de crainte vaine

TousQue va-t-il dire ?

CornarinoOui parlons sans feinte !Apprenez que je suis ...

TousParlez !

CornarinoJe suis ...

(On entend éclater au dehors le refrain de lacomplainte du 1er acte - L’amiral Cornarino)

BaptisteEncor !Monsieur, réfléchissez, c’est votre chant de mort !

MalatestaEh bien ?

TousEh bien ? (Cornaro et Baptiste se taisent)

MalatestaVous ne répondez pas ! (il court à la fenêtre)A moi mes sbires gardes ! mes soldats ! mes espions!Et la police tous les sbiresde Venise !!

(On entend un chœur sourd - les murs se fendent -des trappes s’ouvrent un à un paraissent des sbires,des espions, des soldats. Les femmes de Catarinaentrent par la gauche Le théâtre se remplit)

Chœur de soldatsDans Venise la belle,Nous faisons sentinelleDans les murs jour et nuit,Nous nous glissons sans bruit !

Chœur de femmesQuel bruit et quel vacarme !Pourquoi ces hommes d’armesJusqu’en notre maisonNous assassine-t-on ?

MalatestaQu’on arrête ces gens et qu’on me les conduiseDans les cachots les plus profonds !

CornarinoPourquoi ?

ChœurEn prison ! en prison !Sans plus de rébellion !En prison !

CornarinoPourquoi ce sort ?

MalatestaPourquoi ? L’audace est forte !Parce que tous deux vous êtes des bravi !

Baptiste (à part à Cornarino)Ah ! quelle idée ! (haut à Malatesta)Eh bien, qu’importe !Si ces braviA ta cause fidèlesT’apportaient des nouvellesDe Cornarini ! ...

TousDe Cornarini !

BaptisteLe Doge Podesta est mort !

MalatestaMort ! elle à moi !

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Cornarino (bas à Baptiste)Mort ! que dis-tu la ?

Baptiste (de même)Je me sauve, monsieur, quand il vous croiront mort,ils ne chercheront plus à vous pendre et ils vouslaisseront vivre tranquille. Dites comme moi.

Catarina (avec désespoir)Cornarino mort !

Malatesta (avec joie)Mort ! elle est à moi !Et je suis doge ! a vous miséricorde !

CatarinaOh ! non ! c’est impossible ! Il ment ! et cette voiA fait vibrer en moiJe ne sais quelle corde !

AmorosoCatarina ! console toi !

(Catarina lui parle bas)

MalatestaA vous la récompenseAu lieu de la potenceMais les preuves ?

CornarinoSeigneur, nous les avons

BaptisteC’est au conseil des dix que nous les donnerons

MalatestaAu conseil donc, messieurs ! nous vous y trouverons

Catarina et AmorosoEt nous aussi, nous y serons !

MalatestaAh ! messieurs ! un dernier adieu avant de partir,pleurons le doge, le voulez vous !

ChœurPleurons le doge Pleurons en sommeLe doge est mort ! Le PodestaQue son éloge Un bienSoit dans la mort un bon soldatSi dans la vieIl n’a point euNi d’énergieNi de vertuQue son élogeSoit dans la mortPleurons le doge en sommeLe doge est mort ! Le podesta

(Catarina est dans les bras d’Amoroso, ses femmesl’entourent. Malatesta se dirige vers le fond enfaisant signe à Baptiste et à Cornarino de le suivre.)_____

Acte 2e

3e Tableau

_____ Scène 1ère _____

Le Conseil des dix_____

Les conseillers

(Au lever du rideau, les conseillers sont tousendormis)

Le chef des dix (terminant un discours)Voilà, messieurs, le résumé consciencieux desmalheurs de la patrie de nos debats auxquels vousvous intéressez si manifestement. Les Matamosses àrepousser, un doge podesta à élire puisque le nôtrene vaut plus rien, et enfin ... (Bigolo ronfle)N’interrompez pas ! Et enfin ! (Gibetto ronfle)N’interrompez pas ! Enfin (Les ronflementscouvrent la voix de l’orateur) Et dire que c’est tousles jours la même chose ! Heureusement l’austèreFabiano, Malatromba n’est pas là ? J’ai un moyen deréveiller leur attention ! ... Messieurs, c’est demainque commence le carnaval ...

Bigolo (s’éveillant)Le carnaval ! qui a parlé de carnaval

Le chef des dixDe charmantes jeunes filles ... les plus jolies duLido.

PaillumidoDes jeune filles ? Qui a parlé de jeunes filles ?

Le chef des dixNous ont demandé audience. Elles sollicitent pour ladurée du carnaval, le privilège des gondolesvenitiennes. Voulez vous les recevoir ?

TousQu’elles entrent !

BigoloCette question est de la plus grande importance.

TousOui, oui.

Le chef des dixD’ailleurs, un ancien l’a dit avant moi, le chant, ladanse et la conversation des femmes - mulierumconversatio -adoucissent les moeurs - qu’elles entrent !

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_____ Scène 2e _____

Les mêmes, les Gondolières

Les GondolièresVole, vole, vole,Ma gondoleMon chant te bercera sur les flots.Vole, vole, vole,Ma gondoleVole, vole, vole sur les eaux.

Une gondolièreNous prenons la placeDe la triste raceA juteuse faceDe vos gondoliers.Lestes et pimpantesMines provocantesVoici vos servantesSeigneurs cavaliers.

Une gondolièrePlace à nos gondolesQuand les barcarollesJoyeuses et follesChantent nuit et jour !Charmante entrepriseTout la favoriseLe cœur et la briseLes flots et l’amourEnsembleVole, vole, vole etc.

Une GondolièreAu signalDu gai carnavalNous léveronsNos avironsSur les flotsNos jolis canotsSeront muetsSeront discretsEnsembleVole, vole, voleEtc.

Une GondolièreNous mettronsSur nos pavillonsLes jolis nomsDe vos tendronsLes couleursDes chers petits cœursFlotteront gaimentAu gré du ventEnsembleVole, vole, vole,Etc.

Une GondolièreAu milieu du bruitVoguant dans la nuitNous nous glisseronsAu pied des balconsDe vos demoiselles.Discrètes, fidèles,Nous vous attendrons,Nous promèneronsLes jolis garçonsEt les jeunes belles.EnsembleVole, vole, vole,Etc.

TousBravo ! Bravo !

Le chef des dixMais je ne vois pas votre reine, la jolie Fiametta ?

ToutesLa voici ! Vive Fiametta !

_____ Scène 3e _____

Les mêmes. Fiametta

FiamettaJe suis la gondolièreQui chante nuit et jourEt ma barque légèreMême au pays d’amour

Holà ! la jeune amanteToi qui passes tremblanteAvec ton adoré !Je sais ou ton cœur voleMonte dans ma gondoleEt je t’y conduirai !

Je suis la gondolièreEtc.

Je suis une retraiteInconnue et discrèteUn vrai nid berceau d’amoureux !Caché dans la fougèreNe prenant sa lumièreQu’aux étoiles des cieux

Je suis la gondolièreEtc.

TousBravo ! Bravo ! Vive Fiammetta !

Reprise en chœur~~~~Voici la gondolièreEtc.

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_____ Scène 4e _____

Les mêmes - Malatromba

Malatromba (entrant pendant le chœur)Très joli ! très joli ! (Effroi général)

Le chef des dixIlaïgue ! L’austère Malatromba !

MalatrombaQuoi ! je vous trouve roucoulant aux pieds de cescolombes (aux gondolières) Et vous jeune filles, quefaites vous ici ? Depuis trop longtemps, votreconduite est un scandale public. Rangez vosgondoles, mes demoiselles, place aux honnêtesfemmes qui vont à pied.

Les gondolièresFabiano, mon petit Fabiano !

MalatrombaIl n’y a pas de mon petit Fabiano ! Vous faites demes collègues un tas d’arlequins !

TousOh !

Le chef des dixMalatromba ! comment nous avez vous appelés ?Pas de charles-quints ?

MalatrombaJ’ai dit: tas d’arlequins !

Le chef des dixA la bonne heure ! Nous admettons vos loyalesexplications

PaillumidoLe chef des dix est ferme, c’est un beau caractère.

Le chef des dixApprenez que vous nous auriez injustement attaqués.Ces aimables jeunes filles étaient ici pour affairessérieuses. Elles sollicitent le monopole del’exploitation des gondoles vénitiennes.

MalatrombaEt leur avez vous accordé ?

Le chef des dixSans hésiter

MalatrombaEh bien donc, qu’elles se retirent et nous laissentcauser de l’importante affaire qui m’amène auprèsde vous.

(Reprise à l’orchestre du chœur des gondolières)

_____ Scène 5e _____

Le chef des dix, Les conseillers, Malatromba

Le chef des dixA quelle journée ! Quelle journée ! (regardantMalatromba) Trouble fête, va !

MalatrombaVite, messieurs, je vous apporte de grandesnouvelles.

Le chef des dixNouvelles de qui ? nouvelles de quoi ?

MalatrombaDe celui qui a si piteusement compromis la gloire denotre patrie, de celui que je rougis d’appeler moncousin, de l’amiral Cornarino Cornarini.

TousBah ! Eh bien ? Qu’est-il devenu ?

MalatrombaC’est ce que vont vous dire deux hommes que j’airencontrés ce matin dans une des nombreusestournées que je fais pour le bonheur de l’état ... ceshommes sont là, voulez vous les entendre ?

Le chef des dixSans doute ! des nouvelles de Cornari-Cornarino.Qu’ils enterent ! ... Et nous, messieurs, soyonsgraves ...

MalatrombaÔ ambition ! ... ma mignomie ! ... patience ! ... si ceshommes ont dit vrai ! ... tu touches au but !

_____ Scène 6e _____

Les mêmes, Baptiste, Cornarino (Les conseillerssont assis, Baptiste et Cornarino sont debout àl’autre extrémité de la scène)

Cornarino (bas à Baptiste)Me voilà donc dans cette enceinte, où j’ai si souventparlé en maître !

Baptiste (de même)Triste retour des choses d’ici-bas ! courage ! Il s’agitde sauver notre tête.

PaillumidoIls sont bien laids.

BigoloCroyez vous qu’ils nous fassent rire ?

GibettoInterrogeons les !

Le chef des dixQui êtes vous ?

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CornarinoDeux vieux loups de terre et de mer.

BigoloDe père et de mère ? (à son voisin) Aimez vous lesapproximatifs ?

PaillumidoOui, mais je ne les comprends pas.

BigoloMa femme en raffole, son petit cousin

PaillumidoUn petit cousin est le plus charmant desapproximatifs.

MalatrombaSilence, messieurs !

Le chef des dixParlez ... mais d’abord otez ces cravates.

BaptisteCe ne sont pas des cravates.

CornarinoCe sont des bandeaux

Le chef des dixSoit ... alors otez ces bandeaux

BaptisteC’est impossible

PaillumidoIls ont peut-être mal à l’œil ...

CornarinoEn effet nous avons des cornpères Loriot

Le chef des dix (à son voisin)Quand j’étais petit, j’avais des cornpères Loriot, mamère me bassinait l’œil avec de l’eau de Plantin

BigoloVous aviez une bonne mère

PaillumidoMoi, j’avais des engelures

MalatrombaMessieurs, je vous en prie, laissez parler ces gens,vous vous éloignez de la question

Le chef des dixC’est bien possible ! Mais si l’on ne s’éloignait pasde la question, on n’aurait aucun mérite à y revenir

Malatromba

Cet homme a parfois des pensées d’une profondeurétonnante !

PaillumidoLe chef des dix est ferme ... c’est un beau caracère ...

Le chef des dixRevenons y cependant à la question. Qu’est-cequ’on disait ?

MalatrombaCes hommes vous annonçaient des nouvelles dedoge Cornarino

CornarinoOui !

Le chef des dixAh ! et sa

Cornarino s’oubliantMerci, pas mal et v ...

Baptiste (vivement)Il est mort !

Tous (se levant)Mort ! Cornarino, mort !

BaptisteMort !

TousMort !

Le chef des dixMort ! chose étrange que la vie. Aujourd’hui, je suischef des dix. Je vais, je viens, je me promène, jecause de choses et d’autres et demain peut-être ...chose étrange que la vie ... Et comment savez vouscela ?

BaptisteNous le savons parceque nous l’avons tué.

Le chef des dixHein ?

CornarinoAu coin d’un bois sans haine, sans colère et sanspassion, seulement pour obtenir les 10,000 sequinspromis par vous en récompense !

Le chef des dixC’est une belle somme et un beau trait ! ... dites moi? et comment avez vous fait ?

Baptiste (faisant le geste de donner un coup depoignard)Nous avons fait comme cela, haigne !

Cornarino

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Il n’en faut quelquefois pas plus pour tuer un homme... surtout quand il est au coin d’un bois !

Le chef des dixIl était vaincu ! Il était sans défense ! c’est bien ceque vous avez fait là ! Il faut toujours frapperl’homme qui tombe

MalatrombaVous le voyez, messieurs, Cornarino n’est plus

Le chef des dixAh ! pardon ! Un mot encore ! on rencontre commecela des gens qui vous disent: nous avons tué ledoge, et ils n’ont pas tué le doge du tout ! soncadavre, ou est il ?

Baptiste (embarrassé)Nous l’avons jeté à la mer qui passait par là

Le chef des dixQuelles preuvez en avons nous ?

CornarinoLa mer ! Fouillez là !

BaptisteFarfouillez là !

Le chef des dixC’est profond !

PaillumidoSans doute ! Mais la mer aussi est profonde

Le chef des dix (a ses collègues)Hein ? ... (à Cornarino) Si vous n’avez pas d’autrespreuves ? Nous avons demandé l’anneau et leséperons de l’amiral

BaptisteNous les avons - voici d’abord l’anneau de l’amiral

Couplet1Cet anneau d’or que votre républiqueA l’amiral triomphant présentaCet anneau d’or que dans l’adriatique présenterelique Cornarino jeta;Qui fut si chère à votre podestaCet anneau d’or, signe de sa puissance,Gage d’amour dont il était jaloux,Cet anneau d’or, son alliance,Cet anneau d’or le reconnaissez vous ?

Le chef des dix (parlé)Parfaitement. Je ne l’avais jamais vu, mais je crois lereconnaître.

Cornarino (bas à Baptiste)Baptiste, mes éperons !

Baptiste (tire de sa poche d’énormes éperons qu’ildonne à Cornarino)

CornarinoVoici maintenant les éperons de l’amiral

2Ces éperons, ces compagnons de gloireCes éperons noircis dans les combatsCes éperons, grande page d’histoireQue barina le sang de nos soldats !Ces éperons, l’effroi des MatalossesAvant que mars se tournait contre nousCes éperons, ces fers colosses,Ces éperons les reconnaissez vous ?

MalatrombaAh ! ces éperons ! Ils me poursuivent comme unremords ! Allons Fabiano ! pas de faiblesse ! tutouches à ton but ... cet anneau, c’est Catarina ! ceséperons, c’est le pouvoir, et puisqu’il ne peut plusles porter, c’est à toi qu’ils appartiennent.

Le chef des dixC’est bien ! Je déclare que vous avez bien mérité dela patrie et que vous avez droit aux 10,000 sequinspromis pour la tête de Cornarino.

Cornarino et BaptisteSauvés !

Malatromba (à part)Le doge n’est plus, je suis doge !

_____ Scène 7e _____

Les mêmes, un Huissier

L’huissier (au chef des dix)Seigneur, un messager couvert de poussière apporteà franc étrier ce pli très pressé du secrétaire de laflotte - Paolo Broggino.

Baptiste (à part)Celui a qui j’avais confié le soin de ...

Cornarino (à part)Pourvu que cela ne vienne pas compliquer lasituation.

Le chef des dixUne lettre, merci, je vais la lire.

L’huissierCe n’est pas tout. Deux hommes masquésdemandent a être introduis.

Le chefDeux hommes masqués ...

L’huissier

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Ils apportent disent ils, des nouvelles de Cornarino,Cornarini.

Cornarino et BaptisteHein ?

Le chef des dixEncore ! Ah ! ça cela devient une manie. Qu’ilsentrent, cependant !

Malatromba (à part)Serait ce quelque trahison ? (haut) Le premierrapport suffisait.

PaillumidoNon, il faut les entendre également !

Le chef des dixEt puis les premiers ne nous ont pas fait rire. Lesautres qui sont masqués seront peut être plusamusants. Qu’ils entrent !

_____ Scène 8e _____

Les mêmes, Amoroso, Catarina

Le chef des dixParlez, jeunes gens, parlez ! Et d’abordnaturellement, qui êtes vous ?

AmorosoQui nous sommes ?

Couplets

Amoroso1Nous sommes deux aventuriersDe tout tirant ressource

CatarinaFaisant un peu tous les métiersSans remplir notre bourse

EnsembleTra la la, tra la laClic, clacClic, clac

AmorosoOn nous voit partoutClic, clac

CatarinaRiant de toutTra la la la

EnsembleOui voici les aventuriersLes porteurs de nouvellesAccourant à francs étriersVous en dire de belles

CatarinaC’est une chose merveilleuseEt curieuse

AmorosoEtonnate et prodigieuseQue nous venons vous dire ici

CatarinaDe cette chose merveilleuseEt envieuse

AmorosoEtonnante et prodigieuseChacun de vous sera saisi

CatarinaLes uns en pleurant

AmorosoLes autres en riant

CatarinaSelon le sentiment

AmorosoQui les agite en ce moment

EnsembleNous sommes deux aventuriersEtc

Le chef des dixFort bien ! Mais quel rapport entre cette mélodie etCornarino ? ... (attention générale)

AmorosoNous venons de vous donner de ses nouvelles !

Le chef des dixNous en avons déjà et des plus mauvaises

CatarinaPar qui ?

Le chef des dixPar ces deux messieurs qui l’ont tué !

Amoroso (vigoureusement)Ces deux hommes disent qu’ils ont tué Cornarino ...ce sont des imposteurs, Cornarino est vivant !

TousVivant !

Baptiste et CornarinoC’est faux !

Amoroso (bas à Catarina)Ils tremblent !

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CatarinaC’est votre récit qui est faux ! (montrantMalatromba) Et voilà l’homme qui vous aura payéspour le faire.

MalatrombaMoi ! on m’attaque dans ma loyauté !

CornarinoMoi, faire alliance avec lui ! Vous ne me connaissezpas !

Baptiste (à part)Heureusement pour nous !

MalatrombaChef des dix, faites les taire !

Le chef des dixDans un instant, ils m’intéressent !

Catarina (montrant Cornarino)Comment pouvez vous croire à de semblables minesde coquins ? Voyez donc ce regard louche ...

Le chef des dixPermettez ... un cornpère Loriot n’est pas forcémentle signe d’une conscience troublée ...

Amoroso (montrant le bandeau de Cornarino)Si fait, lorsque ce bandeau à droite le matin, est àgauche le soir ... (Ils arrachent les bandeaux)

Catarina et AmorosoAh ! ciel !

Cornarino et BaptisteAh !

Les conseillersQuoi donc !

CatarinaAh ! mon mari !

Le chef des dixSon mari ! Il est marié, qu’est-ce qu’il dit ?

CornarinoEh ! bien, oui ... je le dis hardiment maintenantqu’on le sait ... voilà assez longtemps que çam’étouffe ! Je suis ... Cornarino !

TousCornarino !

MalatrombaCornarino vivant !

Le chef des dixJe le savais ! Je n’y comprends absolument rien ! Ilsl’ont tué ... il vit toujours ! ... et il est marié avec le

petit ! C’est égale - c’est bien Cornarino ? Qued’incidents ! Je vais le saluer (Il va s’approcher deCornarino. Malatromba l’arrête et lui parle bas)C’est juste ! ... cependant je voudrais bien le saluer !(Il marche vers Cornarino)

Malatromba (l’arrêtant)Venez donc ! venez donc vite ! (Les conseillers seretirent)

_____ Scène 9e _____

Baptiste, Cornarino, Amoroso, Catarina

CornarinoChère femme !

CatarinaCher époux !

CornarinoTu m’as perdu !

CatarinaEn voulant te sauver - oh ! c’est affreux ! c’estaffreux ce que j’ai fait là.

Baptiste (qui depuis la reconnaissance n’a pas dit unmot, mais n’a pas cessé de manifester une sourdecolère)Ce n’est pas affreux ! c’est stupide !

CornarinoHein !

BaptisteJ’avais toujours été contre ce mariage là ...

AmorosoHélas ! pouvions nous soupçonner que sous ceshabits ?

Cornarino (se retournant à la voix d’Amoroso)Quel est ce jeune garçon ?

CatarinaAh ! au fait ! (les présentant l’un à l’autre) Le dogele Podesta, mon mari - Amoroso ... un page que j’aipris à mon service depuis votre départ.

CornarinoIl est charmant ! Amoroso, voulez vous être monami ?

CatarinaIl l’est déjà ... il m’a défendu contre Malatromba.

Cornarino (prenant la main d’Amoroso)Quoi ! c’était lui !

Baptiste (regardant Catarina à part)Pintade, va ! (haut) Silence !

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(Rentrent les conseillers)

_____ Scène 10e _____

Les mêmes, le conseil, des gardiens, des Venitiens,le bourreau (marche à l’orchestre)

CornarinoJ’ai entendu lire bien des arrêts de mort, mais jamaisavec une pareille émotion

L’huissierSilence !

Le chef des dixLa mort ! Est-ce le néant, est-ce un monde meilleur ?Si c’est un monde meilleur, Quand on a tourné ledernier feuillet de son existence y a t’il un secondJ’aurai tourné le dernier feuillet de mon existenceserai-je toujours chef du conseil des dix. Lirai-jeencore aux autres des arrêts de mort ? Cruelleincertitude ! Le doute, toujours le doute !

Malatromba (bas)L’arrêt ! l’arrêt !

Le chef des dix (trouvant la lettre de Paolo sous samain)C’est juste ! De qui parlait-on ? Qu’est-ce que cela ?Ah ! cette lettre que je devrais peut être lire ...

Les conseillersL’arrêt, l’arrêt d’abord !

Le chef des dixEnfin, je la lirai après. Cornarino, vous vous êteslaissé battre honteusement, et puisque vous n’êtespas mort, vous allez être pendu.

CornarinoPendu !

BaptisteQuelle position pour monsieur !

Le chef des dixLa même faveur est réservée à votre fidèle écuyerBaptiste. Une chose doit vous consoler, Cornarino,c’est que le successeur que nous vous avons choisiest Fabiano Fabiani Malatromba ... comme cela, çane sort pas de la famille ! Et maintenant, qu’on fasseentrer les invités.(Entrent le bourreau, ses gardes, des pénitents)

Chœur (1er acte)L’amiral CornariniMérite bien d’être puniEtc.

Le chef des dix (à Cornarino)

On vous attend, cher ami, vous ne m’en voulez pas ?Il y a des exigences ... vous savez ...

CornarinoL’instinct ne trompe jamais, j’avais toujours eu pourla mort une grande répugnance - allons viensBaptiste

BaptisteJe vous suis, monsieur, sans enthousiasme.

CornarinoAdieu ! adieu ! (au bourreau) Monsieur de Venise,tu vois bien ces deux belles et nobles têtes, ces deuxtêtes qui nous étaient si chères à Baptiste et à moi (aBaptiste) Y tenais tu, toi ?

BaptisteAh ! monsieur, je ne croyais pas y tenir tant que ça.

Cornarino (au bourreau)Eh ! bien elles sont à toi, je te les donne ! Hélas !Hélas ! J’aimais pourtant bien la vie ! La vie, c’estencore ce que nous avons de meilleur en ce monde.

BaptisteOn cherchera bien longtemps avant de trouverquelque chose qui vaille ça.

Le bourreauAllons !

CornarinoAh ! que ça m’ennuie de sortir maintenant. Je suissûr qu’il pleut. Enfin ! Adieu Catarina. Amoroso, nela quitte pas, ne la quitte jamais

BaptisteAmoroso, ne la quitte jamais ...

CornarinoAu revoir, Malatromba, tu triomphes.

MalatrombaAdieu Cornarino

CornarinoAllons !

Reprise du chœur

(Cornarino et Baptiste, Catarina et Amoroso sortentavec les gardes)

_____ Scène 11e _____

Les mêmes, moins Cornarino, Baptiste, Amoroso etCatarina

Malatromba (remontant au milieu des conseillers quile félicitent)Messieurs, je vous remercie.

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PaillumidoComment donc, cher ami, mais cela vous était dû

BigoloVotre austérité ...

Le chef (qui est redescendu)Quelle journée ! que d’incidents ! On a des semainesentières où l’on a rien à faire ... et puis un jour on atout à la fois; on si dit alors ... Ah ! c’est trop ! Etpuis, il y a d’autres jours où c’est mélangé ...Cependant voyons un peu ce que devient ce braveCornarino ... (se fouillant) Ah ! je regrette bien de nepas avoir apporté mes jumelles ... (Ilva à la table, prend le rouleau qu’on lui a apporté aucommencement de la scène et s’en sert commed’une lorgnette) Ah ! ceci ... cette lettre de PaoloBroggino, que j’aurais dû lire depuis longtemps ...Venez donc voir ... Ah ! je vois très bien ... Ils’avance ... Baptiste en plus grand, il se voit mieux... ah ! ciel ! que vois-je ? ...

Tous (redescendant)Qu’est-ce que c’est ?

Le chefArrêtez ! arrêtez ! Il est vainqueur !

MalatrombaComment il est vainqueur ?

Le chefOui, vainqueur ! Il a battu les Matalosses ...

MalatrombaOu voyez vous ça ?

Le chef (montrant le bout de sa lorgnette)Là ! là ! dans ma lorgnette !

MalatestaOu ça ! il est fou !

Le chefJe vous dis que c’est écrit là dans la lettre de PaoloBroggino (Il la déroule) Tenez ! Lisez ! La fuite,ruse de guerre ... admirable manoeuvre qui a trompéles Matalosses ! Fausse retraite ! Victoire complète !Et il ne disait pas, quelle modestie !

Tous (lisant)C’est vrai ! (Tous les conseillers se passent la lettreet la lisent de la même façon)

MalatrombaFatalité ! c’est donc Satan qui s’en mêle !

Tous (à la fenêtre)Arrêtez ! arrêtez ! qu’on le dépende !

(Tumulte à l’intérieur et cris à l’extérieur)

PaillumidoOn ne nous entend pas !

Le chefC’est affreux !

BigoloLe pauvre homme !

Le chefQue d’incidents ! courons y nous mêmes et allons lesaluer s’il en est temps encore !

TousOui, oui ! (Ils courent vers la porte)

Malatromba (les arrêtant)Mais vous n’en avez plus le droit ! Je suis dogepodesta à présent ! vous m’avez élu doge podesta etje commande ...

TousC’est vrai !

Le chefDeux doges Deux podesta, maintenant ! Quellecomplication ! Nous avons nommé deux doges deuxpodesta ! on va se moquer de nous ! ... C’est égal,commençons par dépendre Cornarino !

ChœurCourons en diligenceRécrocher ce vainqueur !Sauvons de la potenceUn grand triomphateur !

Malatesta (barrant le passage)Il faudra pour aller dehorsIl faudra marcher sur mon corps.

PaillumidoIl nous reste un moyen peut-êtreC’est de passer par la fenêtre

Reprise du chœur~~~~

(Ils enjambent la fenêtre les uns après les autrespendant que Malatromba tombe assis dans unfauteuil en disant)

MalatestaToutes mes précautions étaient pourtant bien prises !_____

4e Tableau___

Le carnaval de Venise

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____

Le pont des soupirs

4e Tableau

Le Lido___

Scène 1ere___

Entrée des masques

ChœurEn avant Pierrots et PierrettesBattez tambours, sonnez trompettesDonnez votre joyeux signalVive vive le carnaval

Un masque (entrant au milieu du bruitFaites place, faites placeUne mascarade s’avance

TousFaisons place, faisons silence

(Entrent six femmes portant les costumes deCassandre, d’Isabelle, de Pierrot, d’Arlequin, deColombine et de Léandre)

Les six femmes (saluant)Nous sommes tous mes seigneursVos très humbles serviteurs

CassandreLe vieux Cassandre

LéandreLe beau Léandre

PierrotCe pauvre sotde Pierrot

ArlequinCe grand coquind’Arlequin

IsabelleMademoiselleIsabelle

ColombineEt la divineColombine

RefrainNous sommes tous mes seigneurs etc.____

Leandre à Isabelle

Que ce cœurTrop rêveurS’éveille, mon IsabelleDu montantDu mordantEt vive la bagatelle

Le chœurQuel luron

LéandreAh ! crois moi, mon Isabelle

Le chœurQuel luron

LéandreCrois moi mon conseil est bon

IsabelleNe dis rienTu sais bienQue je t’aime, ô mon LéandreMais ma voixSur les toitsCrierait mal un mot si tendre

Le chœurTrès bien dit

IsabelleIl ne comprend mon Léandre

Le chœurTrès bien dit

IsabelleMon Léandre a de l’esprit

Colombine (à Pierrot)Mon PierrotMon magotAvec ou sans ta farineJe prometsQue jamaisTu n’obtiendra Colombine

Le chœurC’est Pierrot

ColombineQui n’aura pas Colombine

Le chœurPauvre sot

ColombinePauvre sot de Pierrot

Pierrot (a Colombine)Œil d’azurMais plus dur

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Que celui d’une tigresseMarcher surTon arthurCe n’est pas bien ma princesse

Le chœurTiens Pierrot

PierrotDit son fait à sa maitresse

Le chœurAh ! Pierrot

PierrotPierrot n’est pas si sot

Cassandre (a arlequin)ArlequinMon voisinVeux tu me prêter ta triqueJe voudraisDe tout prèsT’en apprendre la pratique

Le chœurTiens ! Tiens ! Tiens !

CassandreDieu ! que tu m’es sympathique !

Le chœurTiens ! Tiens ! Tiens !

CassandreJe veux te casser les reins !

Arlequin (à Cassandre)A tes voeuxÔ mon vieuxJe suis prêt à condescendreCe bâtonEst fort bonSi tu le veux viens le prendre

Le chœurVas y donc

ArlequinViens y donc mon bon Cassandre

Le chœurVas y donc

ArlequinLe voici, prends le donc !

ChœurVas y donc etc.

Reprise du chœurEn avant Pierrots et PierrettesEtc etc.

La fouleBravo ! Bravo !

( Trompes dans la coulisse)

_____ Scène 3e _____

Les mêmes, Cascadetto

Cascadetto (entrant une pancarte à la main, deuxjoueurs de trompe avec lui)

CascadettoPlace ! Place !

TousCascadetto !

LeandreEh ! bien quelles nouvelles ?

CascadettoLes nouvelles les plus curieuses ! ( ) PauvreCornarino ! il l’a échappé belle ! ... Cinq minutesplus tard cuic ! ...

PierrotQu’a-t-on résolu enfin ?

CascadettoArlequinLequel des deux l’emporte !

CascadettoPour le moment ni l’un ni l’autre ! Ecoutez (il lit)Par un malentendu bizarre et peu communLe conseil a nommé deux doges podesta pour unPour mettre un terme à leur discordeLe conseil des dix leur accordeLe droit selon l’antique loiDe se mesurer en tournoiLe combat aura lieu dans une heure à la lanceAu canal Orfano près de la place St MarcSi bien que par un doux et singulier hasardCe combat complétant notre réjouissanceVa donner un attrait nouveauA notre gai carnaval

TousBien jugé, bien jugé

Cascadetto (parlant avec les 2 joueurs de trompeAllons mes amis, allons porter partout cette grandenouvelle.(il sort suivi d’une partie de masques, les autresrestent en scène allant et venant au fond du théâtre)

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_____ Scène 4e _____

Amoroso, masqué en domino noir - Un hommemasqué.

L’homme (entrant)A midi, au Lido, il est l’heure, et c’est bien ici.

Amoroso (entrant)Voici probablement l’homme que je cherche ! Etl’ami !

L’hommeQue voulez vous ?

AmorosoJe suis celui qui vient pour ce que tu sais.

L’hommeAlors donnez deux cents sequins.

Amoroso (lui jetan une bourse)Non, la moitié seulement, le reste après le combat !

L’hommeSoit.

AmorosoTout est prêt

L’hommeOui.

AmorosoTu réponds du succès.

L’hommeOui.

(grand cri au dehors)

Amoroso (à part)Catarina ! (haut) C’est bien laisse moi !

(l’homme sort)

Scène 5e

Catarina, Amoroso

Catarina (à Amoroso)Tu viens d’entendre ! Eh bien.

Amoroso (à Catarina)Ne crains rien ! Pas de crainte ! Je connaissais ladécision prise. J’ai fait ce qu’il fallait faire ...

CatarinaMalatromba ...

AmorosoSera vaincu.

CatarinaJe pourrais garder mon époux et mon page.

AmorosoQui lui te vous gardera son cœur !

CatarinaEt il y aura encore de beaux jours pour Cornarino.

Amoroso (avec feu)Oh ! oui ... mais ou est-il ?

(grands cris à droite, vive Cornarino)

CatarinaEntendre ces cris ! Vive Cornarino. C’est lui avecses tenants qui l’accompagnent ...

AmorosoMais lui ?

CatarinaTiens Tenez ... au milieu d’eux ...

AmorosoQuoi ? sous ce costume ...

CatarinaOui, c’est une fantaisie du conseil des dix qui par cemoyen à voulu faire de ce terrible combat un desdivertissements du carnaval.

(cris a gauche, vive Malatromba)

AmorosoVoici son adversaire ! ... rengeons nous et attendons

(marche à l’orchestre)

_____ Scène 6e _____

Les mêmes, Le Conseil (entrant avec son cortège etva s’asseoir a gauche. Puis entrent de chaque coté dutheatre une voiture de masques. Dans l’uneCornarino en arlequin entouré d’une demi douzained’enfants en costumes semblables au sien. Dansl’autre Malatromba en pulcinello, entouré aussi demarmots en polichinelles. Au fond entre Baptiste enPierrot à cheval ayant en croupe trois enfants enpetits Pierrots assis par rang de (marche

Cris a droiteVive Cornarino !

Cris à gaucheVive Malatromba !

BaptisteCousin parjure et traitreFelon Malatromba,Cornarino, mon maitre,

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Viens t’offrir le combat !Doge par-ci doge par là Deux Podesta, c’est tropoui-dà !On n’avait jamais vu celaDoge par ci, doge par là Deux Podesta, c’est tropoui-dà !Il faut régler ce compte là

ChœurDoge par ci, doge par là Deux Podesta, c’est tropoui-dà ! Etc.

2MalatrombaJ’accepte à toute outranceLe combat ce dussus

CornarinoAu chant à la danse

MalatrombaSur tous les airs connus

ChœurDoge par ci doge par là Deux podesta, c’est trop ouidà !On n’avait jamais vu celaDoge par ci, doge par là Deux podesta, c’est trop ouidà !Il faut régler ce compte là

ChœurDoge par ci, doge par là Deux podesta, c’est trop ouidà !Etc.

Malatromba (à Cornarino)Voyons, nous pourrions peut-être arranger l’affaire ?

Cornarino (furieux)Un arrangement ! Tiens ! voila ma réponse(il lui jette de la farine et des oeufs. Les enfantsl’imitent. Malatromba et les siens ripostent - ilsfinissent par le jeter à la tête des enfants qui sont àcoté d’eux.

Baptiste joie et Cornarino, a la(il prend les enfants qui le suivent en croupe et lesjette sur les de Malatromba - melée genérale.

Le chef des dix (appaludissant)Très bien ! très bien ! de part et d’autre ... courage,enfants ! ... un acte amino, génerose puer ! ...

CornarinoEt je te defie de même à tous les exercices de force,d’adresse ou de grace, à la danse, à la rame, àl’aviron de coupe, à l’aviron de pointe, à la musiquevocale ou instrumentale ...

Malatromba

Nous verrons bien !

BaptisteEn avant les mélodies nationales de la sérénissimerépublique !

TousOui ! oui ! en avant !

(un couple sort des cornarinistes - Catarina etAmoroso - Un autre couple des rangs desmalatrombistes - Fiametta et Violetta

VariationsLe carnaval commenceUne rumeur immenseEclate et jusque aux cieuxPorte des cris joyeux.De plaisir on est ivreOn veut aimer et vivre.Les amours sont en jeu,Et les cœurs sont en feu !C’est comme une rageDe tapageEt de bruitOu la foule ardenteFrémissanteChante et rit.

TousBravo ! ...

Le chef des dixPlaudite ! - Je suis fort embarrassé - Impossiblede déclarer encore un vainqueur ! ... allons ! latroisième et dernière épreuve - L’épreuve nautique -En barque messieurs !

Le chef des dixQu’on apporte les armes.(Deux apportent deux longues lances dejouteurs)Qu’on mesure les lances ! Elles sont égales ! C’estbien ! allez !

(on remet une lance à chacun des adversaires - ilsdisparaissent dans la coulisse pendant le chantsuivant

ChœurL’instant est vraiment solennelLequel des deux va tomber l’autreÔ ciel, o ciel, o ciel, o ciel !Si ça pouvait être le nôtre !

Catarina à AmorosoHélas ! J’ai peur !

Amoroso (id)Ne craignez rienMon homme est là ! tout ira bien !

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1e mascaradeIls s’avancent !

2e mascaradeObservons !

1e mascaradeIls s’approchent !

2e mascaradeRegardons !

TousMon Dieu ! que va-t-il se passer ?

(les deux barques se sont avancées l’une contrel’autre - au moment ou les deux doges vont seheurter, le bateau de Malatromba sombre et disparait

ChœurVive vive Cornarino !Son rival est tombé dans l’eauVive ! vive Cornarino !

BaptisteSon vient de s’enfoncerEt le ciel vient de prononcer

Amoroso (à Catarina)Le drôle a tenu sa promesse !

Catarina (a Amoroso)Il me conserve à ta tendresse !

Cornarino (redescendant en scène)Je suis vainqueur. Je suis vainqueur !(prenant Amoroso et Catarina dans ses bras)Ah ! Venez tous deux sur mon cœur !

ChœurVive vive CornarinoSon rival est tombé dans l’eauVive, vive Cornarino.

(malatesta est ramené trempé par des gardes.

MalatestaJe suis vaincuJe suis perdu

Cornarino (s’approchant de luiMon cousin je ne t’en veux pas !Plus de discordes, plus de haineJe t’ouvre mon cœur et mes bras !

(Etonnement général. Malatesta ravi tombe dans sesbras long embrassement)

Cornarino (se redressant)Et maintenant qu’on le charge de chaines.

Le chef des dix (parlé)

Que ceci, nous serve à tous de leçon, et avant decélébrer ce beau jour par des danses et des chantsd’allégresse, laissez moi vous rappeler ce mot d’unancien: le crime est toujours puni, et la verturécompensée ! ... (il embrasse Cornarino) J’ai finipar le saluer !

(Ballet)

fin