27
Pour en finir avec la notion de « réfugiés environnementaux » : Critique d’une approche individualiste et universaliste des déplacements causés par des changements environnementaux Benoît Mayer * * Doctorant à l’Université Nationale de Singapour ; LL.M. (McGill) ; Master (Sciences Po Lyon) ; Maîtrise de droit public (Paris 1 Panthéon-Sorbonne). Je tiens à remercier le professeur Markus Gehring pour ses suggestions, Bill Shipley pour ses encouragements, ainsi que l’équipe éditoriale du McGill JSDLP pour leurs précieux conseils et corrections. e notion of « environmental refugee » is not only an elusive and inapplicable one that has no legal basis in today’s international law. More fundamentally, this article argues that it has led to an incorrect conception of migration induced by environmental changes—the result being that such migrations are essentially seen as analogous to political asylum. An adequate framework for the protection of people affected by an environ- mental change should go beyond human rights guarantees, which would be insufficient given the great diversity of situations at issue. Because the causal relationship between environmental change and migration is most often indirect, a collective approach that would be tailored to each particular environmental migration sce- nario is necessary. Ad hoc solutions, adopted after regional or even bilateral negotiations, are preferable to the monolithic approach of a single, universal convention that would merely copy the Geneva Convention Relating to the Status of Refugees. La notion de « réfugié environnemental » n’est pas seulement infondée en l’état actuel du droit, indéfinissable et impraticable. Plus fondamen- talement, cet article montre qu’elle a mené à une conception erronée des migrations induites par un changement environnemental, lesquelles ont essentiellement été perçues par analogie avec l’asile politique. Or, une réponse spécifique à la protection des personnes affectées par les change- ments environnementaux ne doit pas se résumer à une protection des droits fondamentaux indi- viduels, une telle protection ne pouvant qu’être de peu d’aide face à la grande diversité des migrations en question. Au contraire, le carac- tère souvent indirect du lien de causalité entre changement environnemental et migrations nécessite une approche collective et au cas par cas des différents flux migratoires induits par des changements environnementaux. Des solutions ad hoc, adoptées dans des cadres régionaux, voire bilatéraux, seraient ainsi préférables à l’approche monolithique d’une convention universelle et unique sur le modèle de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés.

Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

  • Upload
    others

  • View
    3

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

Pour en finir avec la notion de « réfugiés environnementaux » : Critique d’une approche

individualiste et universaliste des déplacements causés par des changements environnementaux

Benoît Mayer*

* Doctorant à l’Université Nationale de Singapour ; LL.M. (McGill) ; Master (Sciences Po Lyon) ; Maîtrise de droit public (Paris 1 Panthéon-Sorbonne). Je tiens à remercier le professeur Markus Gehring pour ses suggestions, Bill Shipley pour ses encouragements, ainsi que l’équipe éditoriale du McGill JSDLP pour leurs précieux conseils et corrections.

The notion of « environmental refugee » is not only an elusive and inapplicable one that has no legal basis in today’s international law. More fundamentally, this article argues that it has led to an incorrect conception of migration induced by environmental changes—the result being that such migrations are essentially seen as analogous to political asylum. An adequate framework for the protection of people affected by an environ-mental change should go beyond human rights guarantees, which would be insufficient given

the great diversity of situations at issue. Because the causal relationship between environmental change and migration is most often indirect, a collective approach that would be tailored to each particular environmental migration sce-nario is necessary. Ad hoc solutions, adopted after regional or even bilateral negotiations, are preferable to the monolithic approach of a single, universal convention that would merely copy the Geneva Convention Relating to the Status of Refugees.

La notion de « réfugié environnemental » n’est pas seulement infondée en l’état actuel du droit, indéfinissable et impraticable. Plus fondamen-talement, cet article montre qu’elle a mené à une conception erronée des migrations induites par un changement environnemental, lesquelles ont essentiellement été perçues par analogie avec l’asile politique. Or, une réponse spécifique à la protection des personnes affectées par les change-ments environnementaux ne doit pas se résumer à une protection des droits fondamentaux indi-viduels, une telle protection ne pouvant qu’être

de peu d’aide face à la grande diversité des migrations en question. Au contraire, le carac-tère souvent indirect du lien de causalité entre changement environnemental et migrations nécessite une approche collective et au cas par cas des différents flux migratoires induits par des changements environnementaux. Des solutions ad hoc, adoptées dans des cadres régionaux, voire bilatéraux, seraient ainsi préférables à l’approche monolithique d’une convention universelle et unique sur le modèle de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés.

Page 2: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

1. INTRODUCTION 35

2. L’INVENTION DU « RÉFUGIÉ ENVIRONNEMENTAL » PAR ANALOGIE AVEC LE RÉFUGIÉ POLITIQUE

38

2.1 La divergence entre le discours et le droit : l’absence de base juridique à la notion de « réfugié environnemental »

38

2.2 Une notion militante : l’analogie comme outil du progrès juridique ? 40

3. L’INADÉQUATION DE LA NOTION DE « RÉFUGIÉ ENVIRONNEMENTAL » À LA RÉALITÉ DES DÉPLACEMENTS INDUITS PAR DES CHANGEMENTS ENVIRONNEMENTAUX

43

3.1 L’introuvable définition du « réfugié environnemental » 43

3.2 Une réalité inexistante ? 46

4. DES VOIES ALTERNATIVES VERS DES SOLUTIONS NÉGOCIÉES ET DIFFÉRENCIÉES, ADAPTÉES À DIFFÉRENTES CIRCONSTANCES, ET PROGÉGEANT LES DROITS COLLECTIFS

49

4.1 La nécessité et l’insuffisance des standards universels 50

4.2 La nécessité d’une approche collective et différenciée des change-ments environnementaux comme facteurs de déplacements

54

5. CONCLUSION 57

Page 3: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

Mayer Volume 7: Issue 1 35

Au cours des dernières années, un discours militant en faveur d’un régime international de protection des « réfugiés environnementaux »1 (ou « climatiques »)2 s’est rapidement développé. En particulier, plusieurs articles ont exploré l’éventualité d’une convention

pour protéger ces personnes vulnérables, qui pourrait consister en un protocole de la Convention

1 Voir notamment Essam El- Hinnawi, Environmental Refugees, Nairobi, United Nations Environmental Programme, 1985 à la p 4 ; Jeanhee Hong, « Refugees of the 21st Century: Environmental Injustice » (2001) 10 Cornell JL & Pub Pol’y 323 ; Dana Zartner Falstrom, « Stemming the Flow of Environmental Displacement: Creating a Convention to Protect Persons and Preserve the Environment » (2002) 13 Colo J Int’l Envtl L & Pol’y 1 ; Bonnie Docherty et Tyler Giannini, « Confronting a Rising Tide: A Proposal for a Convention on Climate Change Refugees » (2009) 33 Harv Envtl L Rev 349 ; Norman Myers, « Environmental Refugees: a Growing Phenomenon of the 21st Century » (2002) 357 Philosophical Transactions of the Royal Society 609 ; Steffen Bauer, « ‘Climate Refugees’ beyond Copenhagen: Legal Concept, Political Implications, Normative Consideration » (mars 2010), en ligne : Brot für die Welt <http://www.brot-fuer-die-welt.de>. Voir aussi Philippe Boncour et Bruce Burson, « Climate Change and Migration in the South Pacific Region: Policy Perspectives » dans Bruce Burson, dir, Climate Change and Migration: South Pacific Perspectives, Wellington, Institute of Policy Studies, 2010, 5 aux pp 17-18 ; Christel Cournil, « The Protection of ‘Environmental Refugees’ Within the Light of International Law » dans Etienne Piguet, Antoine Pécoud et Paul de Guchteneire, dir, Migration and Climate Change, Paris, UNESCO, 2011, 355 à la p 356.

2 Voir notamment Emma Brindal, « Asia-Pacific: Justice for Climate Refugees » (2007) 32 Alt LJ 240; Angela Williams, « Turning the Tide: Recognizing Climate Change Refugees in International Law » (2008) 30 Law & Pol’y 502 ; Sumudu Atapattu, « Climate Change, Human Rights, and Forced Migration: Implications for International Law » (2009) 27 Wis Int’l LJ 607 ; Frank Biermann and Ingrid Boas, « Protecting Climate Refugees: The Case for a Global Protocol » (2008) 50(6) Environment: Science and Policy for Sustainable Development 8 ; Oli Brown, Migration and Climate Change, 2008, en ligne : Organisation internationale pour les migrations <http://www.iom.int> aux pp 13-15. Voir aussi Robert McLeman, « Climate Change Migration, Refugee Protection, and Adaptive Capacity-Building » (2008) 4 RDPDD McGill 1 aux pp 12-13.

Page 4: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

36 JSDLP - RDPDD Mayer

relative au statut des réfugiés (Convention de Genève)3 étendant le champ d’application de celle-ci4, ou en un nouvel instrument inspiré par cette convention5.

Cet article soutient que la notion de « réfugié environnemental », bien que n’ayant aucune reconnaissance juridique, a conduit à une conception simpliste et souvent trompeuse des migra-tions induites par des changements environnementaux et, par conséquent, des besoins de pro-tection des personnes concernées. Si de nombreux auteurs ont refusé de qualifier ces personnes de « réfugiés »6 et proposé des appellations alternatives telles que « migrants »7 ou « déplacés »8, l’approche reste cependant inspirée par une analogie persistante, au moins implicite9, avec la situation des réfugiés politiques.

3 28 juillet 1951, 189 RTNU 137, RT Can 1969 n° 6 (entrée en vigueur : 22 avril 1954) [Convention de Genève].

4 Voir notamment Biermann & Boas, supra note 2 à la p 8 citant Republic of the Maldives, Ministry of Environment, Energy and Water, Report on the First Meeting on Protocol on Environmental Refugees: Recognition of Environmental Refugees in the 1951 Convention and 1967 Protocol Relating to the Status of Refugees (14-15 août 2006) ; Hong, supra note 1 ; Véronique Magnigny, « Des victimes de l’environne-ment aux réfugiés de l’environnement », en ligne : (novembre 2008) 6 Revue Asylon(s) 3 < http://www.reseau-terra.eu/article845.html >.

5 Docherty & Giannini, supra note 2 à la p 363; Environtmental Justice Foundation, No Place Like Home, 2008, en ligne : Environmental Justice Foundation <http://www.ejfoundation.org/pdf/climate_refu-gees_final.pdf>; David Hodgkinson et al, « Towards a Convention for Persons Displaced by Climate Change: Key Issues and Preliminary Responses », en ligne : (2008) 8 The New Critic 5 <http://www. http://www.ias.uwa.edu.au/new-critic>; Emma Brindal, supra note 2 à la p 240.

6 Voir notamment Koko Warner, « Global environmental change and migration: Governance challenges » (2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer Afifi et Jill Jäger, dirs, Environment, Forced Migration and Social Vulnerability, Berlin, Springer, 2010 à la p 1.

7 Voir notamment Fabrice G Renaud et al, « A Decision Framework for Environmentally Induced Migration » (2011) 49 International Migration, supplement 1, e5 aux pp e12-e14.

8 Voir en particulier CRIDEAU, CRDP, OMIJ et CIDCE, « Projet de convention relative au statut inter-national des déplacés environnementaux », en ligne : (2008-09) 39 RDUS 451 < http://www.usher-brooke.ca/droit/fileadmin/sites/droit/documents/RDUS/volume_39/39-12-convention.pdf > aux pp 461-62 [Premier projet de Limoges]. Notons que le terme de « déplacé » est souvent utilisé dans un contexte francophone. Cela peut être expliqué par le fait que, en français, un « migrant » est, par défi-nition, une personne qui traverse des frontières ; tandis que l’anglais comprend le terme « migrant » comme désignant toute personne déplacée, même à l’intérieur d’un État. La notion de déplacé est donc sans doute une meilleure traduction du terme anglais « migrant ». Elle fait ainsi référence à la notion de « déplacés internes », mais ne s’y limite pas : le projet de Limoges inclut ainsi également les personnes déplacées dans un autre État. Sur l’usage respectif des notions de « migrants » et de « déplacés » environ-nementaux, voir Christel Cournil, « Emergence et faisabilité des protections en discussion sur les ‘réfugiés environnementaux’ » (2010) 204 Revue Tiers Monde 35 à la p 42.

9 Voir généralement Kara K Moberg, « Extending Refugee Definitions to Cover Environmentally Displaced Persons Displaces Necessary Protection » (2009) 94 Iowa L Rev 1107 aux pp 1135-1136. Moberg sou-Moberg sou-ligne que la protection des personnes déplacées par des changements environnementaux doit être distin-guée de la protection des refugiés politiques, mais propose un régime de protection peu différent de celui offert aux refugiés politiques. Voir aussi Premier projet de Limoges, supra note 8 à la p 461 – cependant, le titre et la structure du projet de convention ne sont évidemment pas sans rappeler la Convention de Genève.

Page 5: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

Mayer Volume 7: Issue 1 37

Cet amalgame10, qu’il passe ou non par une analogie explicite, mène à une approche qui reste marquée par, au moins, certains des éléments caractéristiques de la protection des réfugiés politiques (et, plus largement, des droits fondamentaux) : une protection individualiste, uni-versaliste et unique, centrée sur les besoins des personnes déplacées par des changements envi-ronnementaux plutôt que des communautés, sociétés ou institutions politiques concernées. En d’autres mots, alors même que le terme de « réfugié » a souvent été écarté au juste motif qu’il « accréditerait l’idée fausse selon laquelle il suffirait de transposer mutadis mutandis les règles de la Convention de Genève »11, le vocable de « déplacé » a aussitôt pris la relève, perpétuant une même analyse des mouvements de populations liés à des changements environnementaux.12 A ce titre, les conclusions de la Conférence de Nansen sur le changement climatique et les déplacements au XXIème siècle sont révélatrices d’une tendance à changer les termes mais à garder les idées. Soulignant que « [l]es termes ‘réfugiés climatiques’ et ‘réfugiés environnemen-taux’ devraient être évités, car, d’un point de vue juridique, ils sont inexacts et trompeurs »13, le résumé de la présidence a tout de même considéré qu’« il est […] besoin de clarifier la terminol-ogie du déplacement lié au changement climatique ou à d’autres risques naturels » et a suggéré « de se référer aux ‘déplacés environnementaux’ »14. Le besoin pressant de remplacer aussitôt le terme de « réfugié environnemental » par un terme équivalent (« déplacé environnemental ») reflète une certaine pesanteur de l’approche individualiste des migrations environnementales.

Ainsi, le présent article ne vise pas tant à dénoncer le terme de « réfugié environnemental », dont le caractère inapproprié est généralement reconnu, qu’à dénoncer une certaine notion (une « action d’apprendre à connaître »15) des migrations environnementales, c’est-à-dire une certaine approche de ce phénomène migratoire qui est certes induite et portée par un terme, mais qui peut persister au-delà de l’abandon de ce terme. Au-delà d’un changement de vocabu-laire déjà largement admis, l’auteur plaide alors pour une approche alternative, qui serait col-lective et différenciée à différents contextes où des changements environnementaux peuvent avoir des conséquences sur des déplacements de population. En conséquence, plutôt qu’à une convention internationale unique et à vocation universelle, cette approche en appelle à la mise en œuvre de politiques régionales, voire bilatérales.

La deuxième partie de cet article analyse la notion de « réfugié environnemental » d’un point de vue juridique comme la proposition, souvent implicite, d’une analogie entre les

10 Voir en général Luc Legoux, « Les migrants climatiques et l’accueil des réfugiés en France et en Europe » (2010) 204 : 4 Revue Tiers Monde 55.

11 Premier projet de Limoges, supra note 8 à la p 461.12 En effet, on voit guère en quoi, dans le premier projet de Limoges, le terme de « déplacé » pourrait

« mieux [rendre] compte du caractère non seulement personnel, mais surtout collectif et indifférencié des mouvements de population » : Premier projet de Limoges, supra note 8 à la p 462. Ce projet de conven-tion rappelle, à mains égards, la Convention de Genève. En particulier, il énumère aux pp 471-475 une liste des droits, principalement individuels, définis aux arts 5-8 de la Convention de Genève.

13 Nansen Conference on Climate Change and Displacement in the 21st Century, « Chair’s Summary » (5-7 juin 2011) en ligne : Nansen Conference <http://www.nansenconfernce.no> au para 21 [notre traduction].

14 Ibid.15 Etymologie du terme « notion » d’après le dictionnaire de l’académie française, en ligne: « Notion »

(2011), en ligne : Analyse et traitement informatique de la langue française < http://atilf.atilf.fr/acade-mie9.htm >.

Page 6: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

38 JSDLP - RDPDD Mayer

personnes déplacées par des changements environnementaux et les réfugiés politiques. La troisième partie montre cependant que les difficultés rencontrées pour adopter une définition consensuelle du « réfugié environnemental » reflètent, plus fondamentalement, une inadéqua-tion de cette notion à la réalité des déplacements induits par les changements environnemen-taux. Enfin, une quatrième partie propose une autre perspective qui permettrait d’encadrer les migrations environnementales plutôt que de protéger les migrants climatiques. Elle plaide ainsi pour une approche différenciée en fonction des situations locales, plutôt qu’une approche universelle en termes de protection des « réfugiés » mal-adaptée car trop abstraite.

2. L’INVENTION DU « RÉFUGIÉ ENVIRONNEMENTAL » PAR ANALOGIE AVEC LE RÉFUGIÉ POLITIQUE

L’invention de la notion de « réfugié environnemental », en dépit du fait que cette notion n’est pas reconnue dans l’état actuel du droit 2.1, résulte d’un discours militant qui vise à étendre aux personnes déplacées par un changement environnemental le régime de protection des réfugiés politiques 2.2.

2.1 La divergence entre le discours et le droit : l’absence de base juridique à la notion de « réfugié environnemental »

Les « réfugiés environnementaux » ne sont pas des réfugiés, du moins pas au sens de la pro-tection internationale des réfugiés mise en place par la Convention de Genève sur le statut des réfugiés de 195116 et par son protocole de 196717, ratifiés par 145 États18 et mis en œuvre avec le soutien du Haut Commissariat pour les Réfugiés19, ainsi que par certains instruments région-aux20. La définition du réfugié par la Convention de Genève demande en effet, parmi d’autres conditions, que la personne ait des raisons de craindre « d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques »21. Une telle persécution est absente, en principe, si la migration est causée par un changement environnemental.

16 Convention de Genève, supra note 3. 17 Protocole relatif au statut des réfugiés, 31 janvier 1967, 606 RTUS 267, RT Can 1969 n° 29 [Protocol].18 La Convention de Genève, supra note 3 a été ratifiée par 144 États ; son Protocole, supra note 18, par

145 États. Voir Collection des Traités des Nations Unies, « Convention relatif au statut des réfugiés » et « Protocole de la convention relatif au statut des réfugiés », en ligne : < http://treaties.un.org/ >, consulté le 4 juin 2011.

19 Voir notamment Convention de Genève, supra note 3, à l’art 35. Pour une introduction générale au droit d’asile et à la protection des réfugiés, voir généralement Anicet Le Pors, Le Droit d’Asile, Paris, Presses Universitaires de France, 2011.

20 Voir Convention de l’Organisation de l’Unité Africaine régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, 10 septembre 1969, 14691 RTUN 45, CAB/LEG/24.3, à l’art 1 (s’inspire de la définition des réfugiés dans la Convention de Genève, supra note 3 à l’art 1 et son Protocole, supra note 17) ; Voir aussi Coloquio sobre la protección internacional de los refugiados en América Central, México y Panamá: Problemas jurídicos y humanitarios, Déclaration de Carthagène sur les réfugiés, 22 novembre 1984 [Déclaration de Carthagène] troisième conclusion (élargit la définition des réfugiés aux personnes fuyant certains troubles graves à l’ordre public, qui ne semblent pas inclure, en principe, la situation d’un changement environnemental).

21 Convention de Genève, supra note 3, à l’art 1(A)2.

Page 7: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

Mayer Volume 7: Issue 1 39

Il peut bien sûr arriver qu’une personne migre en raison d’un changement environnemen-tal et d’une persécution ; ou qu’une persécution soit exercée sur les personnes déplacées par des changements environnementaux. Toutefois, à moins d’une telle coïncidence de facteurs poli-tiques et environnementaux, les personnes déplacées par des changements environnementaux ne peuvent pas se voir reconnaître le statut protecteur de réfugié22. Un auteur23 a même cru déceler dans les travaux préparatoires de la Convention de Genève une certaine conscience que des calamités naturelles pouvaient causer des migrations humaines, et une volonté délibérée d’exclure de tels déplacements du champ d’application de la Convention.

Des mécanismes subsidiaires existent cependant qui pourraient profiter aux « réfugiés environnementaux ». Tel est le cas en Finlande et en Suède, dont la législation interne permet à une personne qui aurait quitté son pays et qui, « en raison d’une catastrophe environnemen-tales, ne [pourrait] pas retourner dans son pays d’origine »24, de bénéficier d’une protection analogue à celle des réfugiés politiques.

Dès lors, il va de soi que le discours sur les « réfugiés environnementaux » n’est pas neutre : tout en signalant l’existence et les dangers du changement climatique anthropogénique25, il prend partie pour une réforme du droit qui tendrait à apporter une certaine protection légale et internationale à certaines personnes affectées par des changements environnementaux. L’argument pour une protection des « réfugiés environnementaux » est basé sur une analogie entre réfugiés politiques et « réfugiés environnementaux »26 et il s’appuie sur le principe moral selon lequel des situations similaires devraient être traitées de manière similaire.

22 Voir notamment Ruud Lubbers, « Refugees and Migrants: Defining the Difference » BBC News (5 avril 2004), en ligne : BBC News < http://news.bbc.co.uk/2/hi/in_depth/3516112.stm >. Voir aussi UNHCR, Handbook on Procedures and Criteria for Determining Refugee Status under the 1951 Convention and the 1967 Protocol relating to the Status of Refugees, Geneva, UNHCR, au para 39.

23 Hong, supra note 1 à la p 332.24 Suède, Loi des étrangers, 2005, SFS 2005:716, chapitre 4, article 2, paragraphe 3, en ligne : Gouvernement

suédois < http://www.sweden.gov.se/content/1/c6/06/61/22/bfb61014.pdf > (traduction officielle en anglais) [notre traduction] [Loi suédoise des étrangers]. Voir aussi : Finlande, Loi des étrangers, 301/2004, article 88a(1), en ligne : Ministère de l’intérieur, Finlande < http://www.finlex.fi/en/laki/kaannok-set/2004/en20040301.pdf > (traduction non officielle en anglais) [Loi finlandaise des étrangers].

25 Voir généralement François Gemenne, « Tuvalu, un laboratoire du changement climatique ? Une critique empirique de la rhétorique des ‘canaris dans la mine’ » (2010) 204 Revue Tiers Monde 89.

26 Sur l’origine de cette analogie dans un discours militant porté par certaines ONG, voir généralement : Sylvie Ollitrault, « De la sauvegarde de la planète à celle des réfugiés climatiques : l’activisme des ONG » (2010) 204 Revue Tiers Monde 19 aux pp 38-42. Voir aussi Christel Cournil, « Les défis du droit inter-national pour protéger les ‘réfugiés climatiques’ : Réflexions sur les pistes actuellement proposées » dans Christel Cournil et Catherine Colad Fabregoule, dir, Changements climatiques et défis du droit, Bruxelles, Bruylant, 2010, 345 aux pp 347-348.

Page 8: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

40 JSDLP - RDPDD Mayer

2.2 Une notion militante : l’analogie comme outil du progrès juridique ?

L’analogie est l’une des figures majeures du raisonnement juridique27. Pourtant, contrairement à des raisonnements déductifs28, l’analogie « n’est pas suffisante pour établir la vérité de ses con-clusions même si toutes les prémisses sont vraies : au mieux, de tels arguments montrent seule-ment que les conclusions sont plus probablement vraies que fausses »29. En droit, l’argument est donc relativement faible car il laisse une marge de manœuvre au décideur. La plupart du temps, plusieurs analogies alternatives sont possibles, qui mènent à des conclusions très dif-férents : dès lors, l’argument semble difficilement suffisant pour justifier que le régime de pro-tection des réfugiés politiques soit appliqué aux « réfugiés environnementaux ». Mais, sortant de la sphère de l’interprétation du droit, l’argument peut rebondir dans la sphère politique et nourrir des revendications sur le thème de l’égalité de traitement.

Il convient alors d’analyser l’argument politique selon lequel, en raison de l’analogie de leur situation avec celle des réfugiés politiques, les « réfugiés environnementaux » devraient bénéficier d’un régime de protection au moins analogue, sinon identique, à ceux-ci. Mais peut-on vraiment justifier une analogie entre les réfugiés politiques et les personnes déplacées suite à un changement environnemental ? L’analogie perçoit ces derniers comme des migrants « forcés », au même titre que les réfugiés politiques, et non comme des migrants « volon-taires » ou « économiques » – alors même que, bien souvent, c’est par le biais de ses retombées économiques qu’un changement environnemental conduit à des migrations30.

De manière générale, une analogie peut être décrite simplement comme la suite de trois opérations consistant à (1) identifier une similarité entre deux situations, (2) identifier une règle applicable à la première situation, et (3) rendre cette règle applicable à la deuxième situation31. Alors que les raisonnements déductifs reposent sur l’appartenance d’une situation concrète à l’ensemble abstrait des situations auxquelles une règle est applicable, l’analogie se contente d’une similitude de deux situations, c’est-à-dire de l’identification de caractéristiques communes jugées pertinentes au regard de la règle à élargir. Bien entendu, les deux situations analogues diffèrent de par leurs autres caractéristiques respectives. Une marge de manœuvre existe alors, dans l’« invention » d’une analogie, au stade de l’identification d’éléments communs pertinents pour l’application d’une certaine règle.

L’analogie suppose donc une interprétation téléologique, souvent implicite, de la règle applicable à la première situation, comme visant un objectif qui devrait également être atteint

27 Voir par ex Edward H Levi, An Introduction to Legal Reasoning, Chicago, University of Chicago Press, 1948 à la p 1-2; Jürgen Hollatz, « Analogy Making in Legal Reasoning with Neural Networks and Fuzzy Logic » (1999) 7 Artificial Intelligence & L 289 à la p 289 ; Jerzy Stelmach et Bartosz Brozekp, Methods of Legal Reasoning, Dordrecht, Springer, 2006 à la p 156.

28 Martin Golding, « The Logical Force of Arguments by Analogy in Common Law Reasoning » (1985) 3:2 Duke Law Magazine 34 à la p 34 (montrant que les arguments déductifs, tels que le syllogisme juridique, « prétendent que leurs prémisses sont suffisants pour établir la vérité de ses conclusions, et tel sera le cas si tous les prémisses sont vrais et si l’argument est formellement valide »).

29 Golding, ibid à la p 34 [notre traduction].30 Koko Warner et al, In Search of Shelter : Mapping the Effects of Climate Change on Human Migration and

Displacement, (2009) en ligne : Center for International Earth Science Information Network <http://ciesen.columbia.edu> à la p 2.

31 Levi, supra note 27 aux pp 1-2.

Page 9: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

Mayer Volume 7: Issue 1 41

dans la seconde situation. Ainsi, un tribunal peut considérer un navire comme une « auberge flottante » pour ce qui concerne le régime de la responsabilité du prestataire de services pour les vols de biens appartenant aux clients32 : ce qui apparaît comme une présomption de culpabilité de l’aubergiste en cas de vol du pensionnaire, visant à contrer la « tentation du patron »33 de prendre avantage du sommeil de ce pensionnaire, peut facilement s’appliquer au propriétaire du navire, où existe la même relation de dépendance à la bonne foi d’une personne générale-ment inconnue du client. Pour autant, si le navire venait par exemple à couler, cette analogie n’aurait plus guère de sens : le navire serait plus facilement comparé à un autre moyen de trans-port de personnes et de biens dont le propriétaire est tenu d’assurer la sécurité. Un débat histo-rique sur l’application de l’interdiction des violences volontaires aux esclaves peut être compris comme une discussion de la validité de l’analogie de l’esclave à un bien dont le propriétaire peut disposer librement34, ou de celle assimilant l’esclave à la personne libre.

Evidemment, une certaine analogie est généralement choisie dans l’intention d’atteindre une certaine conclusion propice à certains intérêts poursuivis. La personne accusée de violences sur un esclave mettra volontiers en avant l’analogie de l’esclave avec un bien de propriété dans l’intention de voir reconnaître le droit d’abusus, donc de se disculper. La propriétaire du navire argumentera, en revanche, qu’il n’est pas dans une situation entièrement similaire à celle de l’aubergiste parce que la location de chambres n’est qu’un accessoire de son activité, qui con-siste principalement dans le transport de passagers. L’analogie fait ainsi partie d’un discours réformateur. De la part de certains militants, identifier les migrants climatiques à des réfugiés politiques vise une fin évidente : appliquer le régime international de protection des réfugiés politiques pour protéger les personnes déplacées en raison d’un changement environnemental.

Il convient alors de s’intéresser au contenu de cette protection qu’une analogie entre réfugiés politiques et « réfugiés environnementaux » permettrait d’étendre à ces derniers. D’abord, la Convention de Genève affirme un certain nombre de droits fondamentaux « généraux » qui, au moment de son adoption, n’étaient reconnus que dans la Déclaration universelle des droits de l’homme35 – un instrument juridique non contraignant. L’utilité de la reconnaissance de ces droits a considérablement baissé depuis que les Pactes des Nations-Unies sur les droits civils et politiques36 et sur les droits economiques, sociaux et culturels37 ont été adoptés. Le Comité des droits de l’homme a souligné à plusieurs reprises que la jouissance des droits, « loin d’être limitée aux citoyens des États parties, doit être accordée aussi à tous les individus, quelle que soit leur nationalité ou même s’ils sont apatrides, par exemple aux demandeurs d’asile, réfugiés,

32 Voir par ex Adams v New Jersey Steamboat Co, 151 NY 163, 45 NE 369 (1896) [Adams] (considérant que « la relation qui existe entre la compagnie de navires à vapeur et ses passagers, qui ont obtenu des salles de réception pour leur confort pendant le voyage, ne diffère en aucun élément essentiel de celle qui existe entre l’aubergiste et ses pensionnaires » [notre traduction]). Voir aussi Golding, supra note 28 à la p 34.

33 Golding, ibid citant Adams, supra note 32 aux pp 166- 167, juge O’Brien.34 Voir par ex State v Hale, 9 NC 582, 1823 WL 266 (NC). Voir aussi John V Orth, « When Analogy Fails:

The Common Law & State v. Mann » (2009) 87 NCL Rev 979 à la p 980.35 Déclaration universelle des droits de l’homme, Res AG 217 (III), Doc off AGNU, 3e sess, supp no 13, Doc

NU A/810 (1948) 71 [Déclaration universelle].36 Pacte international relative aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, 999 RTNU 171, RT Can

1976 no 47, 6 ILM 368 (entreé en vigeur : 23 mars 1976) [PIDCP].37 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 19 décembre 1966, 999 RTNU 3, RT

Can 1976 no 46, 6 ILM 360 (entrée en vigueur le 3 janvier 1976) [PIDESC].

Page 10: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

42 JSDLP - RDPDD Mayer

travailleurs migrants et autres personnes qui se trouveraient sur le territoire de l’État partie ou relèveraient de sa compétence »38. Ces droits s’appliquent donc sans discrimination à tout migrant, qu’il soit ou non protégé par un régime particulier tel que la Convention de Genève. Tout au plus, dans certains cas, la Convention de Genève demande à l’État d’étendre au réfugié politique « le traitement le plus favorable accordé aux ressortissants d’un pays étranger dans les mêmes circonstances »39.

Dès lors, l’élément central de la protection des réfugiés politiques est, plus que jamais, le droit à une certaine protection du séjour sur le territoire d’un État partie. L’article 31 de la Convention de Genève interdit à l’État d’accueil de sanctionner l’arrivée sans autorisation du réfugié sur son territoire40. De plus, les articles 32 et 33 interdisent aux États de refouler ou d’expulser un réfugié, sauf pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public41. Enfin, l’article 34 impose aux États de « faciliter […], dans toute la mesure possible, l’assimilation et la naturalisation des réfugiés »42. Ces éléments forment la colonne vertébrale de la protection internationale des réfugiés.

Pour autant, là encore, les avancées du droit international des droits de l’homme depuis l’adoption de la Convention de Genève ont créé des mécanismes semblables43. Il en est ainsi, en particulier, de la Convention contre la torture, qui prévoit qu’« aucun État partie n’expulsera, ne refoulera, ni n’extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture »44. Cette disposition est à la fois plus large que

38 Comité des droits de l’homme, Rapport du comité des droits de l’homme, Doc off AGNU, 59e sess, supp no 40, Doc NU A/59/40 vol I, annexe III (2004), à l’observation générale n° 31« La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte », §10 [Rapport du comité des droits de l’homme]. Voir aussi Comité des droits de l’homme, Rapport du comité des droits de l’homme, Doc off AGNU, 41e sess, supp no 40, Doc NU A/41/40 (1966) à l’observation générale n° 15, « Situation des étrangers au regard du Pacte » au para 2.

39 Convention de Genève, supra note 3, à l’art 15 (droit d’association) et art 17.1 (professions salariées). Voir aussi le standard du traitement « non moins favorable que celui accordé, dans les mêmes circonstances, aux étrangers en général » : ibid à l’art 18 (professions non salariées) et art 19.1 (professions libérales).

40 Ibid à l’art 31.1 : « Les États contractants n’appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l’article premier, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autori-sation, sous la réserve qu’ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières ».

41 Ibid à l’art 32.1 : « Les États contractants n’expulseront un réfugié se trouvant régulièrement sur leur territoire que pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public ». Voir aussi ibid à l’art 33.1 : « Aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ».

42 Ibid à l’art 34.43 Voir généralement CW Wouters, International Legal Standards for the Protection from Refoulement: A Legal

Anlysis on the Prohibitions on Refoulement Contained in the Refugee Convention, the European Convention on Human Rights, the International Covenant on Civil and Political Rights, and the Convention Against Torture, Antwerp, Intersentia, 2009.

44 Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, 1465 RTNU 113, 23 ILM 1027 (entrée en vigueur 26 juin 1987) [Convention contre la torture] à l’art 3.1.

Page 11: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

Mayer Volume 7: Issue 1 43

la Convention de Genève car elle ne prévoit aucune dérogation, même pour cause de sécurité nationale ou d’ordre public, et plus étroite car elle se limite au seul risque de torture, excluant ainsi d’autres formes de persécution. De plus, le Comité des droits de l’homme a interprété le Pacte international sur les droits civils et politiques comme fondant une obligation des États « de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi ou dans tout pays vers lequel la personne concernée peut être renvoyée par la suite »45. Le refoulement proprement dit, c’est-à-dire le fait de rejeter une personne à son arrivée à un poste frontalier, n’est cependant pas mentionné dans cette interprétation.

Néanmoins, il ne fait guère de doutes que l’interdiction générale du refoulement reste l’une des grandes réalisations du droit international de la protection des réfugiés. Plus encore que son caractère systématique (s’appliquant à tout réfugié), c’est la qualification ex ante de la personne vulnérable comme « non déportable » qui assure le succès relatif de la protection des réfugiés. En comparaison, il est arrivé que certains États, en particulier le Canada, refusent de reconnaître un caractère suspensif à une procédure de recours contre une mesure d’expulsion potentiellement contraire à la Convention contre la torture46.

L’analogie entre réfugiés politiques et « réfugiés environnementaux » présume que cer-taines caractéristiques des personnes déplacées par des changements environnementaux sont similaires à certaines caractéristiques des réfugiés politiques, et que cette similitude justifie l’extension du régime de protection des réfugiés politiques aux « réfugiés environnementaux ». La force de l’argument dépendra donc, en très grande partie, de la définition des « réfugiés environnementaux ». Celle-ci doit comprendre des caractéristiques communes à la définition des réfugiés politiques, mais, pour être opérante, elle doit aussi être un reflet fidèle de la réalité des migrations environnementales. La troisième partie de cet article montre qu’une définition des « réfugiés environnementaux » ne peut pas parvenir à réconcilier ces deux exigences.

3. L’INADÉQUATION DE LA NOTION DE « RÉFUGIÉ ENVIRONNEMENTAL » À LA RÉALITÉ DES DÉPLACEMENTS INDUITS PAR DES CHANGEMENTS ENVIRONNEMENTAUX

La persistance du débat sur la définition du « réfugié environnemental » 3.1 reflète une mau-vaise adéquation de la notion avec la réalité qu’elle vise à refléter 3.2.

3.1 L’introuvable définition du « réfugié environnemental »

L’une des premières études de la notion de « réfugié environnemental » se trouve au sein du rapport éponyme d’El-Hinnawi publié par l’UNEP en 1985. Les « réfugiés environnemen-taux » sont alors définis comme « les personnes qui ont été forcées de quitter leur habitat traditionnel, temporairement ou de manière permanente, en raison d’un bouleversement envi-ronnemental marqué (naturel et/ou déclenché par l’homme) qui met en péril leur existence et/

45 Rapport du comité des droits de l’homme, supra note 38 à l’observation générale n°31 au para 12.46 UN Committee Against Torture, TPS v Canada (4 September 2000) CAT/C/24/D/99/1997 au para

15.6. Voir aussi Gino J Naldi, « Interim Measures in the UN Human Rights Committee » (2004) 53 ICLQ 445 aux pp 452-453.

Page 12: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

44 JSDLP - RDPDD Mayer

ou affecte sérieusement la qualité de leur vie »47. Or, cette première définition a ouvert le débat plutôt que de le sceller : en vingt-cinq ans, mais plus particulièrement au cours des dernières années, de multiples questions se sont incessamment posées quant à la définition du « réfugié environnemental »48.

D’abord, les définitions proposées identifient différentes causes de déplacement. Un projet de Convention franco-québécois publié en 2009 (« premier projet de Limoges »)49, modifié en 2010 (« deuxième projet de Limoges »)50, reconnaît à titre exemplatif une large gamme de causes, incluant « les changements climatiques et/ou la perte de diversité biologique, la sécher-esse, la désertification, le déboisement, l’érosion des sols, les épidémies, les conflits armés et, plus généralement, les risques naturels et technologiques »51. D’autres définitions des « réfugiés climatiques » requièrent l’existence d’un lien de causalité entre ce changement environnemen-tal à l’origine d’un déplacement et le réchauffement planétaire d’origine anthropogénique52. Il va sans dire qu’un tel lien de causalité pourrait être particulièrement difficile à établir dans la pratique. D’abord, quel serait le standard de certitude requis ? Mais, surtout, comment prouver, par exemple, que la dégradation d’une région côtière ou de sols situés en périphérie d’un désert est causée par le changement climatique, et non par des activités humaines des pop-ulations locales, voire des phénomènes entièrement naturels ? L’évacuation des îles Carteret, en Papouasie Nouvelle-Guinée, résulte ainsi non seulement d’une montée du niveau de la mer

47 El-Hinnawi, supra note 1 à la p 4 [notre traduction].48 Voir par exemple Organisation internationale pour des migrations, « Discussion Note: Migration and the

Environment » Document MC/INF/288 (1er novembre 2007) en ligne : Organisation international pour des migrations < http://www.iom.int/jahia/webdav/shared/shared/mainsite/about_iom/en/council/94/MC_INF_288.pdf > à §6-7 ; Organisation internationale pour des migrations, « Migration, Climate Change and Environmental Degradation: Definitional Issues », en ligne : Organisation international pour des migrations < http://www.iom.int/jahia/Jahia/activities/by-theme/migration-climate-change-environmental-degradation/definitional-issues > ; Olivia Dun et François Gemenne, « Defining ‘environ-mental migration’ » (2008) 31 Forced Migrations Rev 10. Voir aussi CCNUCC, Les accords de Cancún: Résultats des travaux du Groupe de travail spécial de l’action concertée à long terme au titre de la Convention, décision 1/CP.16, dans doc FCCC/CP/2010/7/Add.1 à la p 2, §14(f ) (mentionnant « les déplacements, les migrations et la réinstallation planifiée par suite des changements climatiques », pour la première fois dans une décision de la COP).

49 Premier projet de Limoges, supra note 8.50 CRIDEAU, CRDP, ONIJ et CIDCE, « Projet de convention relative au statut international des

déplacés environnementaux », deuxième version, 2010, en ligne : CIDCE < http://www.cidce.org/ReseauDeplaces/index.htm > (« Deuxième projet de Limoges »).

51 Premier projet de Limoges, supra note 8, le préambule, 2ème considérant, à la p 464. 52 C’est ce qui apparaît par exemple, au moins implicitement, dans de nombreux articles qui relient les droits

des « réfugiés environnementaux » (ou, plus souvent, des « réfugiés climatiques ») avec les efforts interna-tionaux d’atténuation du changement climatique. Voir par exemple David Hodgkinson et al, « Towards a Convention for Persons Displaced by Climate Change: Key Issues and Preliminary Responses », en ligne : (September 2008) 8 The New Critic 5 < http://www.ias.uwa.edu.au/new-critic/eight/hodgkinson > ; Emma Brindal, supra note 2. Voir aussi Docherty & Giannini, supra note 1 à la p 350 (définissant « les réfugiés du changement climatique comme les gens que le changement climatique force à se déplacer au travers de frontières internationales » [notre traduction]). Voir généralement Benoît Mayer, « Fraternity, Responsibility and Sustainability: The International Legal Protection of Climate (or Environmental) Migrants at the Crossroads » dans Marie-Claire Cordonier Segger, Pierre Gonthier et Michel Morin, dir, Responsibility, Fraternity, and Sustainability in Law A Legal Symposium in honour of Justice Charles D. Gonthier, numéro spécial du Sup Ct L Rev [à paraître, 2012].

Page 13: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

Mayer Volume 7: Issue 1 45

due au changement climatique, mais aussi, sans doute, d’une pratique de pêche à la dynamite et d’un mouvement des plaques tectoniques53. Comment cette contribution du changement climatique à un phénomène causé par une conjonction de plusieurs facteurs pourrait-elle être intégrée dans un régime, tel que le statut des réfugiés politiques, qui ne connaît qu’une clas-sification binaire entre personnes protégées et personnes non protégées ?

Certains auteurs54 ont cru bon de distinguer deux types de causes de migrations envi-ronnementales : des désastres soudains (par exemple l’ouragan Katrina, qui a déplacé plusieurs centaines de milliers de personnes de la région de New Orléans en 200555), et des change-ments lents (par exemple la dégradation des terres et l’avancée du désert dans le Sahel56 ou au Mexique57). À cette première distinction s’en ajoute une autre, à savoir la mesure dans laquelle les migrants sont « contraints » à se déplacer. Ainsi, Gemenne a proposé de « dis-tinguer entre migrants environnementaux, dont le mouvement est volontaire et proactif, et déplacés environnementaux, dont le mouvement est forcé et réactif »58. De manière similaire, le « premier projet de Limoges » propose de protéger les « déplacés environnementaux », dont le déplacement est « rendu inévitable par le bouleversement environnemental »59. Refusant cependant la dichotomie stricte entre migrations forcées et volontaires, ce projet se base sur l’idée que l’ensemble de ces déplacements constitue une forme de « migration subie »60. Allant plus loin, Renault et autres ont proposé une distinction complexe entre « migrants motivés

53 Voir par ex Brown, supra note 2 à la p 26.54 Voir par ex ibid à la p 19 ; Docherty & Giannini, supra note 1 à la p 366. Voir aussi Diane C Bates,

« Environmental Refugees? Classifying Human Migrations Caused by Environmental Change » (2002) 23 Population & Environment 465 aux pp 469-475 ; Walter Kälin, « The Climate Change - Displacement Nexus », ECOSOC Panel on Disaster Risk Reduction and Preparedness: Addressing the Humanitarian Consequences of Natural Disasters, presenté au Conseil économique et social des nations unies, 16 juillet 2008, transcription disponible en ligne : Brookings < http://www.brookings.edu/speeches/2008/0716_climate_change_kalin.aspx >.

55 Kate Zernike et Jodi Wilgoren, « The Displaced, In Search of a Place to Sleep, and News of Home » New York Times (31 août 2005), en ligne : < http://www.nytimes.com/2005/08/31/national/nationalspecial/31stranded.html?_r=1&scp=1&sq=katrina+displaced&st=nyt >.

56 Voir par ex Brown, « “Eating the Dry Season”: Labour mobility as a coping strategy for climate change » (June 2007), en ligne : International Institute for Sustainable Development < http://www.iisd.org/pdf/2007/com_dry_season.pdf >.

57 Voir par ex Shuaizhang Feng, Alan B Krueger et Michael Oppenheimer, « Linkages among climate change, crop yields and Mexico–US cross-border migration » (2010) 17:32 Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America 14257, en ligne : < http://www.pnas.org/content/early/2010/07/16/1002632107 >.

58 François Gemenne, « Environmental Migration » (2008), en ligne : Knol < http://knol.google.com/k/environmental-migration# > [notre traduction]. Voir aussi Olivia Dun, François Gemenne et Robert Stojanov, « Environmentally Displaced Persons: Working Definitions for the EACH-FOR Project » (11 octobre 2007) [non publié], en ligne : Environmental Change and Forced Migration Scenario Project (EACH-FOR) < http://www.each-for.eu/documents/Environmentally_Displaced_Persons_-_Working_Definitions.pdf >.

59 Premier projet de Limoges, supra note 8 à la p 469 (art 2.3).60 Ibid à la p 462.

Page 14: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

46 JSDLP - RDPDD Mayer

par des raisons environnementales », « migrants forcés par des raisons environnementales » et « réfugiés environnementaux »61.

Une troisième distinction, qui devrait également avoir des conséquences importantes si un régime international de protection des « réfugiés environnementaux » devait être établi, concerne la durée du déplacement. Alors que les déplacés de la Nouvelle Orléans ont souvent pu retourner à leurs domiciles après quelques semaines62, d’autres formes de déplacement sont, par nature, définitifs63. Le Premier projet de Limoges distingue ainsi les droits des « déplacés environnementaux temporaires » et des « déplacés environnementaux définitifs »64.

Surtout, le déplacement peut être interne à l’État65 ou international. Le premier projet de Limoges, tout comme Biermann et Boas, refuse de distinguer entre migrants internes et internationaux, au motif que les deux ont des besoins de protection66. Pourtant, les besoins sont sans doute très différents : protéger des migrants internationaux appelle avant tout à une limitation du pouvoir des États d’accueil potentiels de contrôler leurs frontières, tandis que protéger des déplacés internes peut appeler, à l’échelle internationale, à des formes de soutien financier et technique.

3.2 Une réalité inexistante ?

La notion de « réfugié » reflète et, à la fois, entretient une certaine conception des personnes déplacées par des changements climatiques. La persécution à l’origine de l’asile politique suppose une certaine permanence de la cause du déplacement – celle du maintien au pouvoir d’un certain régime politique. Les réfugiés politiques sont ainsi déplacés pour une durée en principe temporaire, mais longue : la Convention de Genève prévoit le retour volontaire du réfugié67 ou la cessation de sa protection si les conditions ayant mené à la reconnaissance du statut de réfugié cessent68. Ils sont, par définition, des migrants internationaux, non des déplacés internes. Surtout, les réfugiés politiques fuient une persécution en raison de leur

61 Fabrice Renaud et al, « Control, Adapt or Flee: How to Face Environmental Migration? », UNU-EHS no 5/2007, Bonn, United Nations University Institute for Environment and Human Security, 2007 à la p 29.

62 Mollyann Brodie et al, « Experiences of Hurricane Katrina Evacuees in Houston Shelters: Implications for Future Planning » (août 2006) 96 : 8 American Journal of Public Health 1402.

63 Tel est par exemple le cas lors de l’évacuation de régions côtières inondées ou d’îles submergées : voir généralement Ilan Kelman, « Island Evacuation » Forced Migration Online 31 (octobre 2008) 20 en ligne : < http://www.fmreview.org/FMRpdfs/FMR31/20-21.pdf >.

64 Premier projet de Limoges, supra note 8 aux pp 473-474 (art 6 et 7 respectivement). Pour une vue contraire, voir Frank Biermann et Ingrid Boas, « Preparing for a Warmer World: Towards a Global Governance System to Protect Climate Refugees » (février 2010) 10 : 1 Global Environmental Politics 60 aux pp 65-66.

65 Pour un exemple de déplacement de personnes à quelques kilomètres seulement de leur lieu d’origine, voir Warner, supra note 30 aux pp 5-15.

66 Biermann & Boas, supra note 64 à la p 66. Voir aussi « Deuxième projet de Limoges », supra note 50 à l’art 2(2) et 3.

67 Convention de Genève, supra note 3 à l’art 1(C)4 et 1(C)6.68 Ibid à l’art 1(C)5.

Page 15: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

Mayer Volume 7: Issue 1 47

« appartenance à un certain groupe social ou de [leurs] opinions politiques »69 : un groupe est ainsi clairement délimité, dont les seuls membres peuvent, sous certaines conditions, prétendre au droit d’asile politique.

Ainsi les réfugiés politiques forment-ils une catégorie juridique opérante, c’est-à-dire un groupe de personnes facile à distinguer du reste de la population, du moins en théorie – en pratique, bien entendu, de multiples difficultés peuvent se poser, particulièrement en matière de preuve de la persécution. L’interprétation de la Convention de Genève a, depuis plus d’un demi-siècle, opposé les migrants « volontaires » et les migrants « forcés », et a considéré les réfugiés politiques comme l’archétype, sinon l’unique représentant de ce dernier genre. D’après cette analyse courante, c’est parce qu’ils ne peuvent vivre en dignité dans leur État d’origine que les réfugiés doivent être autorisés à rester dans un État tiers70. La distinction est fragile : dans des situations extrêmes d’absence d’« opportunités économiques » dans leur région d’origine, il est évident que certaines personnes ne peuvent vivre en dignité dans leur État d’origine. L’intervention sur place de la communauté internationale, en particulier au travers d’une aide internationale au développement ou d’une aide humanitaire, reste souvent insuffisante pour rétablir des conditions de vie décentes, du moins sur le court ou moyen terme. Dès lors, la distinction entre réfugié politique et migrant économique doit être comprise dans le contexte d’un ascendant marqué des droits civils et politiques sur les droits économiques, sociaux et culturels : la migration est vue comme « forcée » si elle est causée par une violation des droits civils et politiques, mais elle est « volontaire » dès lors qu’elle n’est causée « que » par une viola-tion des droits économiques, sociaux et culturels.

Or, le changement environnemental se répercute précisément sur les droits économiques et sociaux bien plus que sur les droits civils et politiques. Dun et Gemenne ont ainsi soutenu que « la migration environnementale se présente généralement comme une décision économique prise dans des situations où les populations sont directement dépendantes de l’environnement pour assurer leur subsistance, et où un changement progressif de cet environnement est à l’œuvre, comme dans le cas de la désertification »71. Ainsi, c’est la diminution de la productivité des champs qui pousse les habitants du Sahel à se déplacer vers les villes ou vers des terres plus riches72. En d’autres termes, la cause environnementale des migrations climatiques est plus indirecte ; la réalité des « migrations environnementales » est plus fuyante. En outre, les per-sonnes déplacées ne sont pas clairement définissables : l’appauvrissement des ressources peut avoir un effet diffus, alors que, justement, la persécution politique est dirigée contre des per-sonnes appartenant à un groupe distinct. Là aussi, la communauté internationale apporte une aide sur place, via le financement de l’adaptation au changement climatique et l’aide humani-taire déployée en cas de catastrophe environnementale. Cependant, là aussi, l’aide peut être insuffisante, ou insuffisamment durable, voire même technologiquement impossible. Dans ces

69 Ibid à l’art 1(A)2.70 Voir par ex David Turton, Conceptualising Forced Migration, Oxford, Refugee Studies Center Working

Paper Series, no 12, 2003 aux pp 7 et 10, en ligne : < http://law.wustl.edu/Library/cdroms/refugee/data/Working%20Papers%5CRSCworkingpaper12.pdf >.

71 Olivia Dun et François Gemenne, « Defining environmental migration : Why it matters so much, why it is controversial and some practical processes which may help move forward », en ligne : (novembre 2008) 6 Revue Asylon(s) 1 < http://www.reseau-terra.eu > [notre traduction].

72 Voir Brown, supra note 56 à la p 1.

Page 16: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

48 JSDLP - RDPDD Mayer

conditions, l’approche d’une protection des « réfugiés » est basée sur une distinction artificielle entre « déplacés forcés » et autres personnes apparemment non affectées. Les « déplacés forcés » sont considérés comme des sujets passifs, auxquels est niée toute capacité d’adaptation in situ73.

Ces doutes théoriques sont confirmés par l’échec observé après la mise en œuvre d’une protection juridique de certains « réfugiés environnementaux » sur le modèle du régime inter-national des réfugiés politiques. Comme indiqué plus haut74, la Suède et la Finlande ont, dès le milieu des années 2000, accordé une protection subsidiaire ou humanitaire aux personnes qui ne peuvent retourner dans leur pays d’origine en raison d’une catastrophe environnementale. Or, les statistiques sur la nationalité des personnes admises à l’asile dans chacun de ces deux pays ne montrent aucune différence notable avec les statistiques d’autres pays qui n’accordent pas de protection subsidiaire aux « réfugiés environnementaux ». Ainsi, en Finlande, les trois premières destinations d’origine des réfugiés admis en 2010 étaient, sans surprise, la Somalie, l’Iraq et l’Afghanistan75. Concernant plus particulièrement le programme de protection humanitaire, que les autorités finlandaises peuvent octroyer pour des raisons de sécurité ou de conflits aussi bien que suite à une catastrophe environnementale76, il avait été accordé à des personnes originaires d’Afghanistan, du Congo, d’Irak, de Somalie et du Sri Lanka77 – des pays touchés par des conflits, non par des catastrophes environnementales. Le même observation se tient en Suède, où les principaux pays d’origine des personnes admises à la protection subsidi-aire en 2010 étaient la Somalie, l’Afghanistan et l’Erythrée78.

Il se peut que le faible succès de l’expérience scandinave soit, en partie, expliqué par l’étroitesse de la définition du « réfugié environnemental » dans les lois de ces pays : seules peuvent être protégées les personnes qui se trouvent sur le territoire d’un de ces États scandi-naves et dont l’État d’origine est touché par une catastrophe environnementale79. Mais, plus fondamentalement, il convient de s’interroger sur l’adéquation d’une extension du régime de la protection internationale des réfugiés politiques à la diversité des situations et des besoins des personnes déplacées par un changement environnemental. Cet « exemple » scandinave est

73 Voir en particulier Gemenne, supra note 25 aux pp 17-23.74 Voir ci-dessus à la partie 2.1.75 Finnish Immigration Service, « Decisions on Asylum 2010 », en ligne : <http://www.migri.fi>.76 Loi finlandaise des étrangers, supra note 24 à l’art 88a(1).77 Finish Immigration Services, supra note 76.78 Anthony Albertinelli, « Asylum applicants and first instance decisions on asylum applications in 2010 »,

Eurostat - Population and social conditions (mai 2011) en ligne : Eurostat < http://epp.eurostat.ec.europa.eu>, à la p 10. Les statistiques nationales diffusées par les autorités suédoises indiquent la même information : les premières nationalités à avoir bénéficié en 2010 de décisions favorables d’admis-sion à l’asile seraient, par ordre décroissant, la Somalie, l’Afghanistan, l’Erythrée, l’Irak, l’Iran, la Russie, le Kosovo, la Serbie, et la Macédoine (Migrationsverket, « Asylum decisions, Swedish Migration Board, 2010 », en ligne : < http://www.migrationsverket.se/download/18.46b604a812cbcdd7dba80008284/Avgjorda+asyl%C3%A4renden+2010.pdf >). La conclusion est la même : les réfugiés en provenance des pays concernés fuient une certaine situation politique, telles que des conflits, et aucun de ces États ne semble avoir été touché par une catastrophe environnementale en 2010 ou dans les années précédentes.

79 Voir Loi suédoise des étrangers, supra note 24, et Loi finlandaise des étrangers, supra note 24.

Page 17: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

Mayer Volume 7: Issue 1 49

abondamment cité par la littérature sur la protection des « réfugiés environnementaux »80, mais il semble inconnu des acteurs locaux spécialisés dans le domaine des migrations. Comment un régime inspiré de la protection des réfugiés pourrait-il protéger des personnes qui souhaitent anticiper une catastrophe probable, ou qui souhaitent fuir un changement lent mais drastique des conditions environnementales les affectant graduellement ? Et, même après une catastro-phe, comment pourrait-il protéger les personnes qui se trouvent sur un territoire affecté, mais ne peuvent, faute de visa, atteindre le territoire de la Suède ou de la Finlande pour y demander une protection ?

4. DES VOIES ALTERNATIVES VERS DES SOLUTIONS NÉGOCIÉES ET DIFFÉRENCIÉES, ADAPTÉES À DIFFÉRENTES CIRCONSTANCES, ET PROTÉGEANT LES DROITS COLLECTIFS

Après avoir démontré l’inadéquation d’une approche en termes de « réfugiés environnemen-taux », cette quatrième partie suggère quelques pistes de réflexion sur des voies alternatives permettant de protéger les droits fondamentaux des personnes affectées par des déplacements liés à des changements environnementaux. En particulier, des approches qui ne se baseraient pas sur une analogie entre personnes déplacées par des changements environnementaux et refugiés politiques pourraient viser une protection des groupes, plutôt que des seuls indivi-dus.81 Il s’agirait ainsi d’encadrer et de soutenir les populations affectées par un changement environnemental qui envisagent ou entreprennent une politique d’émigration ou subis-sent des flux d’émigration, ainsi que les populations et les États ou collectivités locales qui envisagent ou entreprennent une politique de soutien à l’immigration ou subissent des flux d’immigration en provenance d’un pays ou d’une région affectés par un changement envi-ronnemental. L’accompagnement des migrations par les acteurs internationaux serait le résultat d’un équilibre complexe et négocié, qui tiendrait compte des besoins migratoires, des capacités d’accueil (sociales, économiques, financières ainsi qu’environnementales), mais aussi des pos-

80 Voir par ex Christel Cournil, supra note 26 à la p 359 ; Nicole de Moor et Prof An Cliquet, « Environmental Displacement: A New Security Risk for Europe? », Conférence international « Security, Insecurity and Migration in Europe », présentée au département de science politique et relations inter-nationales, Université de Leicester, 18-19 September 2009 [non-publiée] en ligne : Université de Gent < http://biblio.ugent.be/input/download?func=downloadFile&fileOId=923105 > aux pp 15-16 ; Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, « Forced Displacement in the Context of Climate Change: Challenges for States Under International Law », note soumise par l’Haut Commissariat en coo-pération avec le Conseil Norvégien des Réfugiés, le Représentant du Secrétaire général pour les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays et l’université des nations-unies, lors de la sixième session du Groupe de travail spécial de l’action concertée à long terme au titre de la Convention (AWG-LCA 6), 20 mai 2009, en ligne : HCR < http://www.unhcr.org/refworld/docid/4a2d189ed.html > aux p. 12-13. Voir aussi : Vikram Kolmannskog et Finn Myrstad, « Environmental Displacement in European Asylum Law » (2009) 11 Eur J Migr & L 313 aux pp 322-323.

81 La reconnaissance des droits collectifs des « déplacés environnementaux » apparaît d’ailleurs dans le « Deuxième projet de Limoges », supra note 50, qui propose de reconnaître non seulement aux personnes, mais aussi à « toute famille et toute population », le droit à l’information et à la participation (art 8(1) et art 8(2)) et le droit à être secouru (art 11(1)). Cependant, ce projet ne définit pas clairement les notions de « famille » et de « population ». Alors que l’article 13 du projet prévoit la reconnaissance du statut à « toute personne répondant à la définition de déplacé environnemental », rien de semblable n’est prévu pour les « familles » et « populations ». Dès lors, rien ne permettrait d’assurer une protection effective des droits collectifs des « déplacés environnementaux ».

Page 18: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

50 JSDLP - RDPDD Mayer

sibilités d’adaptation dans l’État d’origine. Tout autant que des standards juridiques et abstraits en matière de droits fondamentaux 4.1, un engagement des acteurs serait alors indispensable à la mise en œuvre d’une approche négociée dans un cadre régional ou bilatéral et différenciée afin de répondre de manière adéquate aux besoins spécifiques de différents mouvements de populations potentiels ou réels 4.2.

4.1 La nécessité et l’insuffisance des standards universels

Le droit international des droits de l’homme pose déjà les principes fondamentaux d’une protection des personnes affectées par les changements climatiques. Il met à la charge des États non seulement de respecter les droits des individus, mais aussi de « garantir » les droits civils et politiques82 et, concernant les droits économiques et sociaux, d’« agir, tant par [leur] effort propre que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum de [leurs] ressources disponibles, en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés »83. Les changements environnementaux peuvent affecter multitude de ces droits84. Des catastrophes environnementales ou des dégradations lentes de l’environnement peuvent mettre en péril non seulement des droits civils et politiques comme le droit à la vie85 ou le droit à ne pas subir de traitements inhumains ou dégradants86, mais aussi à peu près tous les droits sociaux, économiques et culturels, allant du droit « d’obtenir la possibilité de gagner sa vie »87 au droit « à un niveau de vie suffisant […] y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants »88. Des politiques hostiles aux mouvements de population enfreindraient probablement la liberté de circulation et de résidence à l’intérieur d’un État89 et le droit de quitter « n’importe quel pays, y compris le sien »90, voire même le droit à une protection de la famille91 en cas de séparation. Enfin, l’insertion de la personne déplacée au sein d’une nouvelle

82 PIDCP, supra note 36 à l’art 2.1.83 PIDESC, supra note 37 à l’art 2.1.84 Voir généralement Benoît Mayer, « International Law and Climate Migrants: A Human Rights

Perspective » (mars 2011), en ligne : International Development Law Organization- Centre for International Sustainable Development Law < http://www.idlo.int/Publications/8_MayerBenoit_InternationalLawandClimateMigrants.pdf > aux pp 7 sq.

85 PIDCP, supra note 36 à l’art 6.1.86 Ibid art 7.87 PIDESC, supra note 37 à l’art 6.1.88 Ibid à l’art 11.1.89 PIDCP, supra note 36 à l’art 12.1.90 Ibid à l’art 12.2. Comme pour le premier alinéa, des restrictions peuvent être prévues par la loi si elles

sont « nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui, et compatibles avec les autres droits reconnus par le présent Pacte » (ibid à l’art 12.3. Voir aussi ibid à l’art 12.4).

91 Voir ibid art 17 et 23.1 et 23.4 ; PIDESC, supra note 37 à l’art 10.

Page 19: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

Mayer Volume 7: Issue 1 51

société implique de relever des défis quant à la protection des droits à la non-discrimination92, de droits culturels93, voire même le droit à une nationalité94.

Des instruments spécifiques existent également qui diffèrent selon que la personne soit déplacée à l’intérieur d’un État ou vers un autre État. La protection des déplacés internes s’organise autour d’un instrument non contraignant : les principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays95. Cet instrument définit les per-sonnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays comme « des personnes ou des groupes de personnes qui ont été forcés ou contraints à fuir ou à quitter leur foyer ou leur lieu de résidence habituel, notamment en raison […] de catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme ou pour en éviter les effets »96, et devrait donc s’appliquer à toutes les personnes déplacées pour des motifs environnementaux – qu’elles soient déplacées par une catastrophe ou par des changements environnementaux progressifs, la liste des causes n’étant pas exhaustive. Ces principes mettent en avant l’égalité des droits des déplacés internes avec ceux des autres per-sonnes de la compétence de l’État97, la responsabilité des autorités nationales de protéger les droits des déplacés internes98, le droit à une protection contre le déplacement99 et au cours du déplacement100 et le droit à une aide humanitaire101. La Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique, signée à Kampala par dix-sept États

92 En particulier : PIDCP, supra note 36 à l’art 2.1 ; PIDESC, supra note 37 art 2.2.93 Voir notamment PIDCP, supra note 36 à l’art 27. Voir aussi Conseil de l’Europe, Convention-cadre pour

la protection des minorités nationales (Conseil de l’Europe), 1er février 1995, RT Eur 157, 1995 aux arts 5, 6 et sq [Convention européenne pour la protection des minorités].

94 Déclaration universelle, supra note 35 art 15.1. Il est cependant à remarquer que l’existence de ce droit n’est pas confirmée par les Pactes internationaux et manque dès lors de base juridique contraignante. Sur la question de l’apatridie qui pourrait résulter de changements environnementaux, en particulier en cas de disparition d’un petit État insulaire (Maldives, Tuvalu), voir généralement Jane McAdam, « ‘Disappearing States’, Statelessness and the Boundaries of International Law » dans Jane McAdam, dir, Climate Change and Displacement: Multidisciplinary Perspectives, Oxford, Hart Publishing, 2010, 105 ; Lilian Yamamoto et Miguel Esteban, « Vanishing Island States and sovereignty » (2010) 53 Ocean & Coastal Management 1, 3.

95 Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays, dans Rapport du Représentant du Secrétaire général, Doc NU E/CN.4/1998/53/Add.2, annexe 6 [Principes directeurs sur les déplacés internes]. Voir aussi : Declaration of International Law Principles on Internally Displaced Persons, (29 juillet 2000), en ligne : International Law Association < http://www.unhcr.org/refworld/docid/42808e5b4.html >.

96 Principes directeurs sur les déplacés internes, supra note 95 à l’introduction, para 2 [nos italiques].97 Ibid aux principes 1, 2 et 4.98 Ibid au principe 3.99 Ibid aux principes 5-9.100 Ibid aux principes 10-23.101 Ibid aux principes 24-27.

Page 20: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

52 JSDLP - RDPDD Mayer

le 23 octobre 2009102, vise à donner un caractère contraignant à ces principes ; elle n’entrera cependant en vigueur qu’après sa ratification ou accession par quinze États103. Quant au cas de déplacements transfrontaliers, la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille104 offre une réponse importante en termes de droits couverts105, mais dont l’application est limitée, justement, aux seuls « travailleurs migrants et membres de leurs familles »106 et, surtout, à la compétence des seuls États ayant ratifié la convention : 44 États en mai 2011, dont aucun État du « Nord global »107.

Dès lors, la défaillance essentielle du système de protection des droits individuels face aux changements environnementaux réside dans l’incapacité prévisible, mais insurmontable, de certains États à remplir leurs obligations. Là encore, les migrations environnementales dif-fèrent de l’asile politique, qui est causé par un manque de volonté (ce qui est souvent un euphémisme) de l’État de protéger une population persécutée. Un scénario extrême de migra-tions environnementales internationales est celui d’un État amené à disparaître et qui devrait être « évacué »108. Un scénario sans doute plus fréquent est celui où l’évacuation de régions entières ou de larges pans d’une population amènerait, dans des régions voisines, une aug-mentation de la densité de population démesurée au vu des ressources environnementales dis-

102 Union Africaine, Convention de l’Union Africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique, adoptée lors du sommet spécial de l’Union Africaine à Kampala, le 22 octobre 2009, en ligne : HCR < http://www.unhcr.org/4ae9bede9.html > (pas encore entrée en vigueur) [Convention de Kampala]. Voir généralement ECOSOC, Rendre la convention de Kampala opérationnelle pour les personnes déplacées Guide pour la société civile : Appui à la ratification et à la mise en œuvre de la Convention sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (juillet 2010), en ligne : IDMC < http://www.internal-displacement.org >.

103 Convention de Kampala, supra note 103 à l’art 17.1. Le 15 mars 2011, seuls sept États avaient ratifié la convention. Voir Union Africaine, communiqué n°018/2011, « The African Union calls on Member states to ratify the Convention for the Protection of Internally Displaced Persons in Africa » (15 mars 2011), en ligne : African Union < http://www.au.int/en/dp/pa/content/african-union-calls-member-states-ratify-convention-protection-internally-displaced-persons- >.

104 Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, 18 décembre 1990, 2220 RTNU 3 (entrée en vigueur : 1er juillet 2003) [Convention sur les droits des travailleurs migrants].

105 Sur la portée de cette convention, voir généralement Linda S Bosniak, « Human Rights, State Sovereignty and the Protection of Undocumented Migrants under the International Migrant Workers Convention » (1991) 25 : 4 Int’l Migr Rev 737 ; James A R Nafziger et Barry C Bartel, « The Migrant Workers Convention: Its Place in Human Rights Law » (1991) 25 : 4 Int’l Migr Rev 771 ; Chantal Thomas, « Undocumented Migrant Workers in a Fragmented International Order » (2010) 25 Md J In’l L 187 aux pp 201-202 et 207.

106 Les travailleurs migrants sont définis comme « les personnes qui vont exercer, exercent ou ont exercé une activité rémunérée dans un État dont elles ne sont pas ressortissantes » (Convention sur les droits des travailleurs migrants, supra note 104 à l’art 2.1).

107 Nations Unies, « Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille », en ligne : Collection des traités des Nations-Unies < http://treaties.un.org/ >, consulté le 4 juin 2011. Voir aussi Antoine Pécoud, « The UN Convention on Migrant Workers’ Rights and International Migration Management » (2009) 23 Global Society : Journal of Interdisciplinary International Relations 333.

108 Voir par ex Kelman, supra note 63.

Page 21: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

Mayer Volume 7: Issue 1 53

ponibles, contraignant alors de nombreux individus à une migration comme seul espoir de voir leur dignité et leurs besoins essentiels respectés.

Le système de protection des droits fondamentaux se fonde sur l’obligation des États de protéger les droits des personnes qui se trouvent sous leur juridiction109. Les instruments de protection de droits catégoriels ne se départissent pas de cette approche : la protection des déplacés internes repose « en premier lieu » sur les « autorités nationales »110, de même que les États signataires de la Convention sur les travailleurs migrants ne s’engagent à protéger et garantir les droits de ceux-ci que lorsqu’ils se trouvent sur leur territoire et relèvent de leur juridiction111. La Convention de Genève, plus paradoxalement, suit, elle aussi, cette approche : seules les per-sonnes qui se trouvent hors de leur pays d’origine sont protégées112 et seulement dans la mesure où elles se trouvent sur le territoire d’un État contractant113.

Au plus, l’article 33 de la Convention de Genève interdit le refoulement du « réfugié » qui est « sur les frontières des territoires » d’origine. Cependant, au-delà du droit au non-refoulement, cette convention ne reconnaît pas l’intégralité du « droit d’asile » comme le droit du demandeur d’asile de se déplacer en-deçà d’une frontière pour venir s’établir dans un pays d’accueil114. Ce droit de venir jusqu’à une frontière est nettement plus large que le droit à ne pas être expulsé une fois sur le territoire de l’État d’accueil, ou refoulé à la frontière de celui-ci. D’une part, l’expression explicite et intégrale du « droit d’asile » clarifierait ce qui est, autrement, du domaine flou d’une obligation de bonne foi de l’État : l’obligation négative de ne pas entraver le voyage ou l’arrivée de demandeurs d’asile potentiels, par exemple en mettant un contrôle anticipé des frontières à la charge des transporteurs aériens et maritimes. Mais surtout, le « droit d’asile », en tant que tel, pourrait se traduire par des obligations positives de l’État d’accueil, telles que l’obligation de faciliter ou d’organiser le déplacement des demandeurs d’asile depuis leur pays. Le droit au non-refoulement de l’article 33 de la Convention de Genève peut ainsi être interprété comme une application purement territoriale d’un droit plus ample, le droit d’asile

109 Voir notamment Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 RTNU 221, STE 5 à l’art 1 [Convention européenne des droits de l’homme]; PIDCP, supra note 36 à l’art 2.1.

110 Principes directeurs sur les déplacés internes, supra note 95 au principe 3§1 (« [c]’est aux autorités nationa-les qu’incombent en premier lieu le devoir et la responsabilité de fournir une protection et une aide aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays qui relèvent de leur juridiction »).

111 Convention sur les droits des travailleurs migrants, supra note 104 à l’art 7.112 Convention de Genève, supra note 3 à l’art 1(A)2.113 Voir notamment ibid à l’art 4 (« réfugiés sur leur territoire ») ; à l’art 7.2 (« sur le territoire des États

contractants ») ; à l’art 10.1 (« sur le territoire de l’un des États contractants ») ; à l’art 14 (« Dans le territoire de l’un quelconque des autres États contractants ») ; à l’art 15 (« réfugiés qui résident régulière-ment sur leur territoire ») ; à l’art 16.1 (« sur le territoire des États contractants ») ; à l’art 17.1 (« résidant régulièrement sur leur territoire ») ; à l’art 19.1 (« réfugiés résidant régulièrement sur son territoire ») ; à l’art 21 (« réfugiés résidant régulièrement sur leur territoire ») ; à l’art 23 (« réfugiés résidant régulièrement sur leur territoire ») ; à l’art 24.1 (« réfugiés résidant régulièrement sur leur territoire ») ; à l’art 25.1 (« les États contractants sur le territoire desquels [le réfugié] réside ») ; à l’art 26 (« réfugiés se trouvant réguliè-rement sur son territoire ») ; à l’art 27 (« réfugié se trouvant sur leur territoire ») ; à l’art 28.1 (« réfugiés résidant régulièrement sur leur territoire » ; « tout autre réfugié se trouvant sur leur territoire ») ; à l’art 32.1 (« réfugié se trouvant régulièrement sur leur territoire »). Voir aussi art 40.

114 Voir en particulier Guy S Goodwin-Gill et Jane McAdam, The Refugee in International Law, 3e éd, Oxford University Press, 2007, aux pp 206-08.

Page 22: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

54 JSDLP - RDPDD Mayer

proprement dit. Or, le droit d’asile, tel que nous le définissons, ne semble reconnu dans aucun instrument juridique contemporain et serait sans doute difficilement acceptable d’un point de vue politique, du moins dans son expression générale et inconditionnelle115.

Ainsi, le problème n’est sans doute pas tant l’identification des droits concernés, que leur mise en œuvre concrète – c’est-à-dire l’identification des obligations corolaires et de leurs détenteurs. À cela, une approche universaliste ne peut répondre aussi certainement qu’un système international d’encouragements de négociations régionales et bilatérales.

4.2 La nécessité d’une approche collective et différenciée des changements envi-ronnementaux comme facteurs de déplacements

Le régime actuel de protection des réfugiés défend les droits individuels des réfugiés, mais aucune mesure ne vise spécifiquement à protéger, dans l’État d’accueil, le maintien de leur appartenance à une communauté culturelle, religieuse ou même nationale spécifique. Tout au plus, l’article 4 de la Convention de Genève commande « un traitement au moins aussi favorable que celui accordé aux nationaux en ce qui concerne la liberté de pratiquer leur religion et en ce qui concerne la liberté d’instruction religieuse de leurs enfants »116. Le droit à la réunifica-tion familiale n’est pas reconnu dans le régime international de la protection des réfugiés – il a cependant été affirmé dans la Déclaration de Carthagène, un instrument non contraignant adopté dans le cadre de l’Organisation des États Américains117, et mis en œuvre par certains régimes régionaux de protection des droits fondamentaux118. En comparaison, la Convention sur les travailleurs migrants reconnaît des droits culturels à tous les travailleurs migrants (même clandestins)119, et, pour les travailleurs migrants réguliers, le droit à une protection de l’unité

115 Le « Deuxième projet de Limoges », supra note 50 ne reconnaît pas l’intégralité du droit d’asile. Le statut des « déplacés environnementaux » est reconnu par les « [c]ommissions nationales des déplacés environ-nementaux » (ibid, art 17). Aucun mécanisme ne prévoit, par exemple, une reconnaissance d’un droit au déplacement avant le départ. Cela pourrait se traduire en une double forme d’insécurité du point de vue du candidat au déplacement dans un pays tiers : d’une part, parviendra-t-il à accéder au territoire ou, au moins, au poste frontière de l’État de destination ? D’autre part, cet État lui reconnaîtra-t-il son statut de déplacé environnemental ?

116 Convention de Genève, supra note 3 à l’art 4.117 Déclaration de Carthagène, supra note 20 au para 13.118 Voir en particulier Convention européenne des droits de l’homme, supra note 109 à l’art 8. Voir par ailleurs,

concernant l’Union Européenne, CE, Règlement (CE) 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers, [2003] JO, L 50/1; CE, Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, [2003] JO, L 251/12.

119 Convention sur les droits des travailleurs migrants, supra note 104 à l’art 17.1 et 31.

Page 23: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

Mayer Volume 7: Issue 1 55

de sa famille120. Les droits à la protection de la famille et les droits culturels peuvent également découler de certaines conventions générales qui s’appliquent, notamment, aux réfugiés121.

Cependant, l’approche individualiste de la protection des réfugiés ne résulte pas seule-ment de l’absence de dispositions sur les droits familiaux ou culturels. D’ailleurs, une nouvelle convention sur les « réfugiés environnementaux » pourrait sans doute contenir des dispositions similaires à celles de la Déclaration de Carthagène, ou même de la Convention sur les travailleurs migrants – c’est par exemple ce que le premier projet de Limoges suggère122. Plus fondamentale-ment, cependant, c’est l’approche même de la Convention de Genève qui postule que les indivi-dus fuyant une persécution en raison d’une appartenance à un groupe voyagent seuls et doivent être accueillis au cas par cas. Plutôt que des « animaux politiques »123, les membres persécutés sont vus comme des atomes isolés, qu’un régime intolérant a arrachés à toute appartenance sociale.

De toute évidence, cette approche prônant une protection essentiellement individuelle, la seule qui puisse aisément être mise en œuvre par voie d’un traité universel et « abstrait » mais directement applicable, n’est pas la meilleure qui puisse être offerte aux personnes déplacées par des changements environnementaux, dont la protection peut, très souvent, être prévue et organisée bien à l’avance. Le lien de l’individu à la communauté peut et doit alors être protégé, tout autant que les droits individuels. Il ne s’agit pas ici de défendre une idée abstraite et con-servatrice des droits d’une communauté à se maintenir, mais de défendre les droits concrets dont l’individu ne peut jouir que lorsqu’il est inséré à l’intérieur d’un groupe – car, selon Newman par exemple, « certains droits individuels […] ne peuvent pas être séparés des droits collectifs ».124 Et c’est bien là la crainte, sans doute fondée, que de potentiels « réfugiés envi-ronnementaux » expriment à l’égard de certains projets de protection : perdre leur identité culturelle et terminer leur vie dans des bidonvilles, incapables de s’adapter, isolément, à des

120 Ibid à l’art 44.1. Il est à noter que cette convention ne s’applique pas aux réfugiés politique, en application de son article 3(d). Les « réfugiés environnementaux » n’étant pas considérés comme des réfugiés politi-ques, ils ne sont pas concernés par cette exclusion et, dès lors qu’ils « vont exercer, exercent ou ont exercé une activité rémunérée dans un État dont [ils] ne sont pas ressortissant[s] » (ibid. art. 2.1), ils entrent généralement dans le champ d’application de la convention sur les droits des travailleurs migrants.

121 C’est en particulier le cas en Europe, où la Convention européenne des droits de l’homme, supra note 109 à l’art 8 protège le droit à une vie familiale, tandis que les droits culturels des minorités sont protégés par de nombreux articles de la Convention européenne pour la protection des minorités, supra note 93, en particulier arts 5, 6).

122 Premier Projet de Limoges, supra note 8 à la p 474 (art 8.1) : « Les familles déplacées ont le droit à la préservation de leur unité » et à la p 475 (art 8.2) : « Les populations déplacées bénéficient, dans le pays d’accueil, de droits équivalents à ceux reconnus pour les minorités par les conventions internationales et notamment le droit de se constituer en groupement représentatif et celui d’agir collectivement en justice ».

123 Aristote, La Politique, livre I, chapitre 2 (« … toute cité est un fait de nature, s’il est vrai que les premières communautés le sont elles-mêmes. Car la cité est la fin de celles-ci et la nature d’une chose est sa fin, puisque ce qu’est chaque chose une fois qu’elle a atteint son complet développement, nous disons que c’est là la nature de la chose. Ces considérations montrent donc que la cité est au nombre des réalités qui existent naturellement, et que l’homme est par nature un animal politique. »).

124 Dwight G Newman, « Collective Interests and Collective Rights » (2004) 49 Am J Juris 127 à la p 162 [notre traduction]. Sur la nature générale des droits collectives, voir généralement Peter Jones, « Human Rights, Group Rights, and Peoples’ Rights » (1999) 21 Hum Rts Q 80.

Page 24: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

56 JSDLP - RDPDD Mayer

milieux sociaux, économiques, culturels et linguistiques fondamentalement différents125. Et c’est aussi, dans une large mesure, ce qui pousse les États de destination à craindre des flux de « réfugiés environnementaux », les considérant principalement comme des charges pour la société.

En outre, afin de répondre à des formes extrêmement différentes de déplacements internes et de migrations transfrontalières causés par différents facteurs environnementaux, la protec-tion des personnes affectées par des changements environnementaux doit être différenciée dans chaque circonstance où un changement environnemental peut entraîner des mouvements migratoires. Ce type d’approche éviterait d’assimiler des situations très différentes à un régime unique – les déplacés de la Nouvelle Orléans et les relocalisés des Maldives, les fermiers nigéri-ens allant travailler à Niamey pendant les sécheresses et les Haïtiens tentant de migrer en République Dominicaine pour fuir un pays touché par un séisme, un ouragan et une épidémie de choléra. En effet, si une leçon peut être tirée du caractère infructueux des débats sur la définition des « réfugiés environnementaux », c’est sans doute que, dans l’immense majorité des cas, les quelque 250 millions de « réfugiés environnementaux » annoncés pour 2050126 ne pourront pas être distingués, individuellement, des (autres ?) migrants économiques127. Il existe bien entendu quelques cas très particuliers, tels que la possible relocalisation de l’ensemble de la population de petits États insulaires, dont la forte médiatisation pourrait d’ailleurs être d’une aide considérable. Dans ces cas-là et dans d’autres, une intervention internationale peut se révéler nécessaire, mais, justement, la protection des réfugiés – une protection réactive, limitée aux seules personnes qui sont déjà sur le territoire du pays de destination – semble bien peu adéquate. Les déplacements, en particulier, devraient être anticipés aussitôt que possible, en protégeant la population dans son ensemble ainsi que ses spécificités culturelles128.

Il est important de prendre en compte le fait que, contrairement à ce qui prévaut en matière d’asile politique, les États touchés par un changement environnemental peuvent être prêts à coopérer activement avec un ou plusieurs pays d’accueil pour aider une partie de leur popula-tion à réaliser un projet migratoire. C’est justement ce projet migratoire collectif, adopté par un groupe de population en fonction de certaines circonstances environnementales, culturelles, sociales et économiques, qui devrait être pris en compte par le biais d’une approche différenciée de chaque flux migratoire trouvant son origine dans un changement environnemental, plutôt que via un régime monolithique, abstrait et universel se contentant de proclamer à nouveau des droits dont la liste idéale est déjà bien connue.

125 Cette crainte fut par exemple exprimée par Apisai Ielemia, ancien premier ministre de Tuvalu : « Tuvalu est une nation avec une langue et une culture uniques. Une relocalisation détruirait la fabrique même de notre identité nationale et de notre culture » (Apisai Ielemia, « A Threat To Our Human Rights: Tuvalu’s Perspective On Climate Change » (2007) 44 UN Chronicle 18) [notre traduction].

126 Voir l’entrevue de Norman Myers par Christian Aid, (14 mars 2007) dans Rachel Baird et al, Human Tide: The Real Migration Crisis, (mai 2007) en ligne : <http://www.christianaid.org.uk/Images/human-tide.pdf> à la note 10 ; Voir aussi Norman Myers, « Environmental Refugees: An Emergent Security Issue », La 13ème forum économique de l’OSCE, présentée à Prague, 23 mai 2005, en ligne : < http://www.osce.org/documents/eea/2005/05/14488_en.pdf > .

127 Dun & Gemenne, supra note 71 (section sur « les raisons de l’absence de définition »).128 Pour les principes applicables à la relocalisation d’une population, voir notamment Biermann & Boas,

supra note 64 aux pp 75-76.

Page 25: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

Mayer Volume 7: Issue 1 57

Une telle approche, collective et différenciée, des mouvements de populations liés aux changements environnementaux, plutôt qu’une approche des mouvements individuels, per-mettrait en outre d’éviter nombre de questions techniques insurmontables dans une approche individualiste, telles la distinction entre « migrant économique » et « réfugié environnemental », ou entre différents niveaux de contrainte, souvent adressées de manière arbitraire. Il suffirait en effet de constater un changement environnemental capable d’induire des flux migratoires et l’ampleur de ces flux, pour chercher une réponse négociée dans un cadre international, régional ou même bilatéral. Cette réponse pourrait notamment consister en un soutien à l’adaptation au changement environnemental ou à l’accompagnement de déplacements internes, voire en des concessions migratoires : programmes de migration temporaire et/ou permanente librement accepté par un État tiers, lequel pourrait être encouragé par un financement international.

De toute évidence, l’approche décrite ici ne pourrait pas être mise en place par une con-vention internationale unique. Au contraire, elle en appellerait à des mesures spécifiques prises au cas par cas, dans le cadre de négociations bilatérales ou régionales129 réunissant les dif-férents États concernés : État d’origine d’un flux potentiel ou réel de migrants causé entière-ment ou partiellement, directement ou indirectement par un changement environnemental, et État(s) de destination potentiel(s) ou réel(s). Seules des négociations entreprises dans un tel cadre pourraient amener à des concessions mesurées et adaptées en termes de contrôle des frontières. Pour autant, il ne s’agit pas de borner le rôle du droit international des migrations environnementales à la seule fixation de standards abstraits en matière de droits fondamentaux. Le droit international des migrations environnementales doit aussi encadrer et encourager les négociations régionales et bilatérales afin d’assurer leur capacité à adopter et réaliser des politiques ambitieuses et anticipées. Un tel encadrement pourrait faire appel à une institution qui aurait pour rôle de rendre des avis scientifiques, d’une manière impartiale, sur la néces-sité d’une migration et la capacité de pays d’accueil potentiels d’accueillir ces migrations. Un financement international, possiblement basé sur les contributions volontaires des États130, serait également essentiel pour permettre d’encourager les négociations bilatérales ou région-ales et la réalisation, par les États d’accueil, de leurs obligations, mais aussi pour soutenir des politiques nationales relatives aux déplacements internes.

5. CONCLUSION

Cet article a montré qu’il est permis de s’interroger sur l’opportunité d’étendre, ou même d’adapter, le régime de protection des réfugiés politiques, qui concerne aujourd’hui quelque 15 millions de personnes131, à la situation extrêmement hétérogène d’environ 250 millions132 de « réfugiés environnementaux ». La notion de « réfugiés environnementaux » est à la fois indéfinissable et inapplicable. Mais au-delà, l’ensemble de l’approche individualiste, qu’elle soit

129 Pour une proposition de gouvernance des migrations climatiques à l’échelle régionale, voir en particulier : Williams, supra note 2.

130 Pour une synthèse des propositions en matière de gouvernance des migrations environnementales : Cournil, supra note 26.

131 L’Haute Commissariat des Nations Unies pour des réfugiés estime à 10.4 millions la population de réfu-giés de sa compétence, auxquels il convient d’ajouter les 4.7 millions de réfugiés palestiniens de la com-pétence de l’UNRWA (HCR, « Refugee Figures », en ligne : < http://www.unhcr.org/pages/49c3646c1d.html > (consulté le 4 juin 2011).

132 Voir l’entrevue de Norman Myers, supra, note 126.

Page 26: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer

58 JSDLP - RDPDD Mayer

formulée en termes de droits fondamentaux des « réfugiés », des « migrants » ou des « dépla-cés » environnementaux, semble insuffisante. Elle implique une protection des droits fonda-mentaux, qui, certes, est nécessaire, mais ne peut apporter une protection complète et opérante des droits fondamentaux d’individus membres de communautés. En particulier, l’assise ter-ritoriale de la protection des droits fondamentaux est si forte qu’il semble impossible de la mettre à l’écart, là où, précisément, les droits ne pourraient être pleinement garantis que par une forme de coopération internationale. Seule une telle coopération pourrait mener à de concessions migratoires à l’égard des États affectés, de pair avec le financement de mesures d’accompagnement des déplacements internes ou internationaux, temporaires ou définitifs, telles que nécessitées par des circonstances concrètes et spécifiques.

Dès lors, des mécanismes spécifiques doivent être inventés pour assurer la protection des personnes affectées, directement ou indirectement, par des déplacements de populations causés eux-mêmes, directement ou indirectement, par des changements environnementaux ou par l’anticipation de ceux-ci. Plutôt qu’une approche universelle, unique et individualiste des « réfugiés politiques », ces mécanismes doivent préférer une approche collective et différenciée, passant par des négociations régionales ou nationales sur des facteurs spécifiques de migrations, qui seraient encadrées par des standards internationaux et un fonds mondial.

Page 27: Pour en finir avec la notion de « réfugiés ...(2010) 20 Global Environmental Change 402 à la p 404 ; Tamer Afifi et Jill Jäger, « Defining the Terms: Introduction » dans Tamer