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Prescription diététique dans les dyslipémies Dietary guidance in dyslipemia V. Rigalleau (Professeur des Universités, praticien hospitalier) *, H. Gin (Professeur des Universités, praticien hospitalier) Service de nutrition-diabétologie, USN, Hôpital Haut-Lévêque, 1, avenue de Magellan, 33600 Pessac, France MOTS CLÉS Hypercholestérolémie ; Hypertriglycéridémie ; Risque cardiovasculaire ; Lipides alimentaires KEYWORDS Hypercholesterolemia; Hypertriglyceridemia; Cardiovascular risk; Dietary fat Résumé Réduire les apports en graisse saturée d’origine animale terrestre. Conseiller une diététique du risque vasculaire. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Decreasing the dietary intake of saturated fats from land animals. Nutritional recommendations for reducing the risk of cardiovascular disease. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Introduction Les dyslipémies sont des pathologies métaboliques très fréquentes : on estime qu’en France 17 % des adultes 2 présentent une cholestérolémie supé- rieure à 2,5 g/l, et 10 % une hypertriglycéridémie. 1 Visant à diminuer la concentration plasmatique des lipides à jeun, la prise en charge dépend du dia- gnostic précis de la dyslipémie. Mais la réduction du risque d’accident cardiovasculaire des sujets concernés nécessite aussi d’apprécier ce risque. La prescription diététique est donc basée sur des no- tions physiopathologiques, pour porter un diagnos- tic, et épidémiologiques, pour évaluer le pronostic. Physiopathologie et diagnostic des dyslipémies Transport des lipides Provenant de l’alimentation (à l’état postprandial) ou d’une synthèse endogène hépatique (à jeun), les lipides doivent être transportés vers les cellules pour être stockés (triglycérides au niveau du tissu adipeux ou musculaire), incorporés dans les mem- branes (cholestérol, phospholipides), utilisés comme précurseurs (synthèse d’hormones stéroï- des, d’eicosanoïdes). Les triglycérides finissent par être oxydés pour fournir de l’énergie, en revanche le cholestérol en excès doit suivre une « voie de retour » au foie pour y être catabolisé et éliminé dans les sels biliaires. Le transport des lipides non hydrosolubles dans le plasma, milieu aqueux, implique leur association à des apoprotéines qui permettent la cohésion des lipoprotéines, et leur interaction avec des récep- teurs ou des enzymes spécifiques. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (V. Rigalleau). EMC-Médecine 1 (2004) 42–45 www.elsevier.com/locate/emcmed © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/S1762-4193(03)00014-6

Prescription diététique dans les dyslipémies

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Prescription diététique dans les dyslipémies

Dietary guidance in dyslipemia

V. Rigalleau (Professeur des Universités, praticien hospitalier) *,H. Gin (Professeur des Universités, praticien hospitalier)Service de nutrition-diabétologie, USN, Hôpital Haut-Lévêque,1, avenue de Magellan, 33600 Pessac, France

MOTS CLÉSHypercholestérolémie ;Hypertriglycéridémie ;Risquecardiovasculaire ;Lipides alimentaires

KEYWORDSHypercholesterolemia;Hypertriglyceridemia;Cardiovascular risk;Dietary fat

Résumé Réduire les apports en graisse saturée d’origine animale terrestre. Conseillerune diététique du risque vasculaire.

© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract Decreasing the dietary intake of saturated fats from land animals. Nutritionalrecommendations for reducing the risk of cardiovascular disease.

© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction

Les dyslipémies sont des pathologies métaboliquestrès fréquentes : on estime qu’en France 17 % desadultes2 présentent une cholestérolémie supé-rieure à 2,5 g/l, et 10 % une hypertriglycéridémie.1

Visant à diminuer la concentration plasmatique deslipides à jeun, la prise en charge dépend du dia-gnostic précis de la dyslipémie. Mais la réduction durisque d’accident cardiovasculaire des sujetsconcernés nécessite aussi d’apprécier ce risque. Laprescription diététique est donc basée sur des no-tions physiopathologiques, pour porter un diagnos-tic, et épidémiologiques, pour évaluer le pronostic.

Physiopathologie et diagnosticdes dyslipémies

Transport des lipides

Provenant de l’alimentation (à l’état postprandial)ou d’une synthèse endogène hépatique (à jeun), leslipides doivent être transportés vers les cellulespour être stockés (triglycérides au niveau du tissuadipeux ou musculaire), incorporés dans les mem-branes (cholestérol, phospholipides), utiliséscomme précurseurs (synthèse d’hormones stéroï-des, d’eicosanoïdes). Les triglycérides finissent parêtre oxydés pour fournir de l’énergie, en revanchele cholestérol en excès doit suivre une « voie deretour » au foie pour y être catabolisé et éliminédans les sels biliaires.Le transport des lipides non hydrosolubles dans

le plasma, milieu aqueux, implique leur associationà des apoprotéines qui permettent la cohésion deslipoprotéines, et leur interaction avec des récep-teurs ou des enzymes spécifiques.

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

(V. Rigalleau).

EMC-Médecine 1 (2004) 42–45

www.elsevier.com/locate/emcmed

© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi: 10.1016/S1762-4193(03)00014-6

Métabolisme des lipoprotéines à jeun

Des perturbations du métabolisme lipidique post-prandial jouent probablement un rôle importantdans l’athérosclérose, mais à ce jour les anomaliesles mieux identifiées concernent la situation après12 heures de jeûne, le matin au réveil (Fig 1) :

• les triglycérides sont alors exclusivementtransportés dans les very low density lipopro-teins (VLDL) secrétées par le foie : la présencede chylomicrons d’origine intestinale est rareet pathologique. Comme les VLDL contiennent1 g de cholestérol pour 5 g de triglycérides, leshypertriglycéridémies notables s’accompa-gnent d’une hypercholestérolémie. Elles s’as-socient aussi à un abaissement du high densitylipoprotein (HDL)-cholestérol, car la protéinede transfert des esters de cholestérol (CETP)échange ce cholestérol contre des triglycéridesdes VLDL ;

• le cholestérol contenu dans les low densitylipoproteins (LDL) peut, s’il est en excès, êtredévié de son métabolisme normal pour êtreincorporé dans des macrophages qui devien-dront des cellules spumeuses, présentes dansles lésions athéromateuses débutantes. Laconcentration (en g/l) de ce cholestérol athé-rogène peut être calculée par la formule deFriedwald, à partir de la cholestérolémie to-tale, du HDL-cholestérol, et des triglycérides sileur taux est inférieur à 4 g/l : LDL-C = CT(HDL-C + TG/5).

Diagnostic des dyslipémies

Conformément aux recommandations de l’Agencefrançaise de sécurité sanitaire des produits desanté (Afssaps),7 le diagnostic est porté sur lesrésultats de l’exploration d’une anomalie lipidi-que :

• hypertriglycéridémie si les triglycérides sontsupérieurs à 2,0 g/l ;

• hypercholestérolémie si le LDL-cholestérol estsupérieur à 1,6 g/l.La possibilité d’une forme secondaire à un dia-

bète, une néphropathie, une endocrinopathie ouune prise médicamenteuse doit toujours être envi-sagée.

Épidémiologie et pronosticdes dyslipémies

Hypertriglycéridémie

L’hypertriglycéridémie majeure (> 10 g/l, et sou-vent beaucoup plus) expose au risque de pancréa-tite aiguë, rare mais redoutable. Le rôle de cettedyslipémie dans l’athérogenèse n’est en revancheévident que si l’on tient compte de l’abaissementde la concentration du HDL-cholestérol qui l’ac-compagne en général, ou dans certaines popula-tions comme les diabétiques de type 2.

Hypercholestérolémie

L’élévation du LDL-cholestérol est associée de fa-çon certaine à un risque cardiovasculaire accru, etsa réduction diminue ce risque, mais il n’y a pas deseuil à partir duquel le risque apparaît. Le niveau àpartir duquel une intervention est nécessaire estdéfini en fonction des facteurs de risque cardiovas-culaires associés :

• âge et sexe : supérieur à 45 ans chez l’hommeet 55 ans (ou ménopause précoce) chez lafemme ;

• antécédents cardiovasculaires chez des appa-rentés au 1er degré survenus précocement :avant 55 ans chez le père, 65 ans chez la mère ;

• tabagisme actif ;• hypertension artérielle (> 14/9 ou traitée) ;• diabète ;• HDL-cholestérol inférieur à 0,35 g/l (un HDL-cholestérol supérieur à 0,60 g/l est aucontraire protecteur et doit être retranché desfacteurs de risque).Les recommandations actuelles sont d’intervenir

par la diététique lorsque le LDL-cholestérol estsupérieur à 2,20 g/l, mais dès 1,60 g/l s’il existe unfacteur associé, et 1,3 g/l s’il y en a deux ou si lerisque s’est déjà exprimé par un accident cardio-vasculaire.

Mesures diététiques en casd’hypertriglycéridémie

Les mesures les plus efficaces sont la réductionpondérale et l’arrêt de l’alcool,5 ainsi que la sup-

HDL

VLDL

IDL

LDL

Foie

Bile

Cellulespumeuse

Cellulepériphérique

CHOL TGAG

LPL

LH

Figure 1 Métabolisme des lipoprotéines à jeun. HDL : highdensity lipoprotein ; VLDL : very low density lipoprotein ; LDL :low density lipoprotein ; LPL: lipoprotéine lipase ; TG: triglycé-rides ; LH : hormone lutéinisante; IDL : lipoprotéine de densitéintermédiaire.

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pression des sucres dits « rapides ». L’importancede la diététique face à l’hypertriglycéridémie esttout à fait particulière, par deux aspects :

• c’est une véritable urgence, et la mesure laplus efficace, lorsque l’hypertriglycéridémiemajeure (> 10 g/l) expose à la pancréatite ;

• elle peut avoir une valeur diagnostique, défi-nissant dans certains cas des hypertriglycéridé-mies alcoolo- ou glucidodépendantes.

Graisses alimentaires

Les triglycérides en excès sont endogènes, la réduc-tion des graisses alimentaires n’a un effet directque si elles sont présentes dans le sang sous formede chylomicrons. Réduire les apports lipidiques esten revanche utile dans le cadre de l’alimentationhypocalorique proposée si l’hypertriglycéridémieest pléthorodépendante, secondaire à une obésité.Les huiles de poisson riches en acides gras oméga-3polyinsaturés ont un effet hypotriglycéridémiantsignificatif, la consommation de poisson trois foispar semaine est donc conseillée.

Boissons alcoolisées

L’arrêt des boissons alcoolisées peut être très rapi-dement efficace, définissant l’hypertriglycéridé-mie alcoolodépendante, possible en l’absenced’obésité. La sensibilité à l’alcool est souvent évi-dente, elle peut en cas de doute être démontréelors d’une réintroduction très prudente. Lorsque cediagnostic est acquis, le meilleur conseil médicalest l’éviction totale et définitive de l’alcool.

Glucides alimentaires

La consommation d’aliments à index glycémiqueélevé (sucreries, confiseries, pâtisseries, boissonssucrées) ou riches en fructose (fruits en abondance)joue un rôle important dans certaines hypertrigly-céridémies, là aussi démontrable par leur éviction(et limitation à deux fruits par jour) et éventuelle-ment leur réintroduction prudente.

Mesures diététiques en casd’hypercholestérolémie

La modification des graisses alimentaires (matièresgrasses mais aussi graisses « cachées ») est déter-minante.

Cholestérol alimentaire

Son influence sur la cholestérolémie est assez fai-ble, car la majorité du cholestérol circulant pro-vient d’une synthèse endogène. Il faut cependantlimiter la consommation des aliments les plus ri-ches en cholestérol : œufs (un jaune d’œufcontient 300 mg de cholestérol), beurre(125 g/semaine), abats, chocolat.

Réduction des graisses saturées

Les graisses saturées, d’origine animale terrestre,élèvent le LDL-cholestérol. Il faut limiter laconsommation des aliments concernés :

• charcuterie une fois par semaine ;• fromage une fois par jour ;• viande une fois par jour, en préférant les vian-des blanches plus maigres ;

• beurre, crème. Les produits laitiers restentcependant nécessaires pour leur apport calci-que, sous forme de lait demi-écrémé ou deyaourts.

Choix des matières grasses

Des impératifs culinaires et nutritionnels (apportsd’acides gras essentiels et de vitamines liposolu-bles) les font maintenir, mais leur composition doitsouvent être modifiée.Les margarines d’origine végétale, concrètes,

peuvent remplacer le beurre, si leur hydrogénationindustrielle ne les enrichit pas trop en isomères« trans » d’acides gras insaturés qui élèvent leLDL-cholestérol. Les margarines disponibles en Eu-rope contiennent actuellement 1 % d’acides grastrans contre 6 % dans les années 1980, ce quipourrait contribuer à la réduction de la mortalitécardiovasculaire.6 Les margarines enrichies en phy-tostérols réduisent de 10 % le LDL-cholestérol enentravant l’absorption du cholestérol alimentaire.Utilisables pour l’assaisonnement (colza, soja,

noix) ou la cuisson (tournesol, olive, maïs, ara-chide), les huiles végétales sont insaturées (à l’ex-ception de l’huile de palme) et font baisser leLDL-cholestérol. Il faut cependant distinguer lespolyinsaturées (tournesol, soja, maïs, pépins deraisin) qui abaissent aussi le HDL-cholestérol, desmono-insaturées (olive, colza, arachide) qui n’ontpas cet effet indésirable.

Diététique du risque vasculaire

Les interventions diététiques qui ont eu les résul-tats les plus remarquables sur la morbimortalité en

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prévention secondaire après infarctus du myo-carde, comme dans la Lyon Heart Study4 ou l’essaiDART,3 n’ont pas concerné des sujets dyslipémi-ques. Les effets antiaggrégants et antiarythmiquesdes acides gras oméga-3, les effets antioxydants etréducteurs de l’homocystéinémie des vitaminescontenues dans les fruits et légumes, la réductiondu risque vasculaire avec la consommation de fibreset de glucides complexes contenus dans les céréa-les, et d’alcool en quantité modérée, peuvent ainsirendre compte du bénéfice apporté par un régimede type « méditerranéen ». Ces effets de l’alimen-tation ne font pas directement partie de la pres-cription diététique dans les dyslipémies : ils n’in-fluencent pas notablement le bilan lipidique. Mais ilfaut les prendre en compte : à quelques exceptionsprès (grandes hypertriglycéridémies alcoolo- ouglucidodépendantes), ils sont compatibles avec lesmesures précédemment citées, et s’y intègrentnaturellement quand l’objectif thérapeutique estla réduction du risque d’accident cardiovasculaire,donc dans la grande majorité des cas.

Conclusion

Réduire une hyperlipémie par des mesures diététi-ques adaptées est possible : en moyenne de 30 %pour les hypertriglycéridémies, et de 15 % pour leshypercholestérolémies. De telles réductions sontutiles : rien ne remplace la correction urgente deserreurs responsables d’une hypertriglycéridémiemajeure, et à ce jour aucun médicament hypocho-lestérolémiant n’a fait la preuve d’un effet sur lamorbimortalité cardiovasculaire sans que des me-sures diététiques n’y soient associées. L’effet pro-pre de la diététique hypocholestérolémiante seulesur le risque cardiovasculaire est difficile à mettreen évidence par des essais contrôlés, mais uneméta-analyse de 29 essais8 est cependant en faveurd’une réduction significative de la mortalité totale(- 6 %) et des accidents coronariens (- 13 %).

La prescription ne se limite cependant pas àcette diététique, puis à l’ajout d’un médicament sien quelques mois l’effet hypolipémiant n’a pas étésuffisant :

• d’autres mesures concernant l’hygiène de vie(activité physique, arrêt du tabac) ont un effetfavorable sur les dyslipémies et le risque car-diovasculaire ;

• la diététique elle-même influence ce risqueindépendamment de ses effets hypolipé-miants, justifiant en général l’orientation versune alimentation « méditerranéenne », richeen produits d’origines végétale et marine.

Références

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2. Bruckert E, Dejager S, Chapman MJ. Influence d’une cam-pagne d’information sur les facteurs de risque cardiovas-culaire dans une ville française (Épernon ville d’étude).Rev Epidémiol Santé Publique 1994;42:128–137.

3. Burr ML, Fehily AM, Gilbert JF, Roger S, Holliday RM,Sweetnam PM, et al. Effects of changes in fat, fish andfiber intake on death and myocardial reinfarction: diet andreinfarction trial (DART). Lancet 1989;334:757–761.

4. De Lorgeril M, Renaud S, Mamelle N, Salen P, Martin J,Montaud I, et al. Mediterranean alpha-linolenic acid-richdiet in secondary prevention of coronary heart disease.Lancet 1994;343:1454–1459.

5. De Man FH, Van der Laarse A, Hopman EG, Gevers Leu-ven JA, Okenhout W, Dallinga-Thie GM, et al. Dietarycounselling effectively improves lipid levels in patientswith endogenous hypertriglyceridemia: emphasis onweight reduction and alcohol limitation. Eur J Clin Nutr1999;53:413–418.

6. Oomen CM, Ocké MC, Feskens EJ, Van Erp-Bart MA, Kok FJ,Kromhout D. Association between trans fatty acid intakeand 10-year risk of coronary heart disease in the ZutphenElderly Study: a prospective population-based study. Lan-cet 2001;357:746–751.

7. Recommandations de l’AFSSAPS. Prise en charge thérapeu-tique des patients dyslipémiques. Septembre 2000.

8. Truswell AS. Review of dietary intervention studies: effecton coronary events and on total mortality. Aust NZ J Med1994;24:98–106.

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