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Prescription diététique dans les obésités Dietary guidance in obesity V. Rigalleau (Professeur des Universités, praticien hospitalier) *, H. Gin (Professeur des Universités, praticien hospitalier) Nutrition-diabétologie, USN, Hôpital Haut-Lévêque, 1, avenue de Magellan, 33600 Pessac, France Reçu le 12 mai 2003 ; accepté le 10 septembre 2003 MOTS CLÉS Obésité ; Diététique ; Dépense énergétique ; Comportement alimentaire ; Lipides ; Glucides ; Protéines ; Composition corporelle KEYWORDS Obesity; Nutrition; Energy expenditures; Eating behaviors; Lipids; Carbohydrates; Proteins; Body composition Résumé Les mesures diététiques ne seront efficaces de façon durable que si elles sont modérées, équilibrées, personnalisées. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Dietary measures provide lasting effects only when they are moderate, balan- ced, and personalized. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Introduction L’obésité concerne 10 % des adultes en France. Cette prévalence est en nette augmentation, no- tamment pour les formes les plus sévères. 5 L’évo- lution de l’indice de masse corporelle (IMC) des enfants français fait penser que cette situation va encore s’aggraver. Les conséquences de cette « épidémie » sont importantes : la morbidité et la mortalité des sujets obèses sont accrues ; leur mal-être est certain ; les dépenses de santé et le coût social sont considérables. La prescription diététique est la première et parfois la seule intervention médicale face à un excès pondéral. Ses fondements sont logiques, son effet favorable est démontré, mais ses limites sont aussi évidentes et la conditionnent. L’efficacité insuffisante à long terme des mesures diététiques amaigrissantes doit y faire associer d’autres moyens : activité physique à chaque fois que possi- ble, médicaments dans certains cas. Pour cette raison aussi, il ne faut pas attendre l’obtention * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (V. Rigalleau). EMC-Médecine 1 (2004) 93–97 www.elsevier.com/locate/emcmed © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/S1762-4193(03)00015-8

Prescription diététique dans les obésités

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Prescription diététique dans les obésités

Dietary guidance in obesity

V. Rigalleau (Professeur des Universités, praticien hospitalier) *,H. Gin (Professeur des Universités, praticien hospitalier)Nutrition-diabétologie, USN, Hôpital Haut-Lévêque, 1, avenue de Magellan, 33600 Pessac, France

Reçu le 12 mai 2003 ; accepté le 10 septembre 2003

MOTS CLÉSObésité ;Diététique ;Dépense énergétique ;Comportementalimentaire ;Lipides ;Glucides ;Protéines ;Compositioncorporelle

KEYWORDSObesity;Nutrition;Energy expenditures;Eating behaviors;Lipids;Carbohydrates;Proteins;Body composition

Résumé Les mesures diététiques ne seront efficaces de façon durable que si elles sontmodérées, équilibrées, personnalisées.© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract Dietary measures provide lasting effects only when they are moderate, balan-ced, and personalized.© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction

L’obésité concerne 10 % des adultes en France.Cette prévalence est en nette augmentation, no-tamment pour les formes les plus sévères.5 L’évo-lution de l’indice de masse corporelle (IMC) desenfants français fait penser que cette situation vaencore s’aggraver. Les conséquences de cette« épidémie » sont importantes : la morbidité et la

mortalité des sujets obèses sont accrues ; leurmal-être est certain ; les dépenses de santé et lecoût social sont considérables.

La prescription diététique est la première etparfois la seule intervention médicale face à unexcès pondéral. Ses fondements sont logiques, soneffet favorable est démontré, mais ses limites sontaussi évidentes et la conditionnent. L’efficacitéinsuffisante à long terme des mesures diététiquesamaigrissantes doit y faire associer d’autresmoyens : activité physique à chaque fois que possi-ble, médicaments dans certains cas. Pour cetteraison aussi, il ne faut pas attendre l’obtention

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

(V. Rigalleau).

EMC-Médecine 1 (2004) 93–97

www.elsevier.com/locate/emcmed

© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi: 10.1016/S1762-4193(03)00015-8

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d’un hypothétique poids idéal pour prendre encharge les complications.1 Enfin, les mesures diété-tiques ne seront efficaces de façon durable que sielles sont appliquées définitivement : cela imposequ’elles soient modérées, équilibrées, personnali-sées, pour être sans danger et acceptées.

Diagnostiquer l’obésité

Le diagnostic de l’obésité est porté sur la mesure dupoids et de la taille, permettant le calcul de l’IMC :poids (kg) /taille (m) au carré. Ce dernier permetde classer l’obésité par degré de sévérité (Fig. 1) : ilest corrélé à la masse grasse dont l’excès définitl’obésité, et associé au risque de mortalité quidouble lorsque l’IMC passe de 25 à 30 et évolueau-delà de façon ascendante exponentielle.La répartition androïde ou gynoïde de la sur-

charge est le second renseignement indispensablepour apprécier le risque de complication métaboli-que et cardiovasculaire, augmenté seulement dansle premier cas. Elle est évaluée par le rapporttaille/hanche (supérieur à 0,85 chez la femme et1 chez l’homme lorsque la répartition est an-droïde), ou plus simplement par le tour de taille(supérieur à 90 cm chez la femme et 100 cm chezl’homme).

Négativer la balance énergétique

La prise de poids qui définit l’obésité dynamiquenécessite que les apports caloriques soient supé-

rieurs à la dépense énergétique (DE) totale, et lemaintien de l’obésité statique suppose l’équilibreentre ces deux postes. La DE a trois composantsprincipaux (Fig. 2).

Dépense énergétique de repos

Elle représente habituellement 70 % de la DE to-tale. Elle correspond à l’énergie nécessaire à l’en-tretien de la vie (maintien des potentiels membra-naires cellulaires, contractions musculairescardiaques et respiratoires, coût énergétique durenouvellement protéique) et est à 90 % condition-née par la masse maigre. L’organisme dépense30 kcal/kg de masse maigre par jour, avec unevariabilité interindividuelle en partie d’origine gé-nétique qui peut rendre compte de l’inégalité desindividus face à la prise de poids avec des rationsalimentaires similaires. La masse maigre dépend dela taille, de l’âge, du sexe et du poids. La DE derepos peut être prédite à partir de ces données, parles équations de Harris-Benedict :

• chez les femmes : 655 × (9,6 × poids en kg) +(1,8 × taille en cm) − (4,7 × âge en ans) ;

• chez les hommes : 66 × (13,7 × poids en kg) +(5 × taille en cm) − (6,8 × âge en ans).Au cours de l’obésité, 30 % de l’excès pondéral

est de la masse maigre. La DE de repos est donc engénéral supérieure à celle de sujets normopondé-raux, mais l’amaigrissement la réduira, conduisantprogressivement à un nouvel équilibre et à l’arrêtde la perte de poids, même si la diminution desapports caloriques est maintenue à long terme.

Thermogenèse liée à l’alimentation

Elle représente environ 10 % de la DE totale. Ellecorrespond au coût énergétique de la digestion etsurtout du métabolisme des nutriments (stockage,interconversion), et varie fortement selon leur na-ture : les lipides alimentaires sont stockés à très

40

35

30

25

18,5

Dénutrition

Poids normal

Surpoids

Obésité modérée

Obésité sévère

Obésité massive

IMC

Figure 1 Classification de l’obésité en fonction de l’indice demasse corporelle (IMC).

Activité physique

Thermogenèse

Dépense énergétique de repos

}

}}}

± variablevolontairement

Dépendant desnutriments ingérés

Variationsinterindividuelles

Dépendant de lamasse maigre

Énergie (kcal)

Figure 2 Principaux composants de la dépense énergétique.

94 V. Rigalleau, H. Gin

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faible coût (3 % de l’énergie ingérée) par rapportaux glucides (10 %) ou aux protéines (25 %).

Dépense énergétique liée à l’activitéphysique

Elle représente dans les conditions habituelles devie 20 % de la DE totale. Elle varie fortement enfonction du mode de vie, de la profession, et peutsouvent être volontairement modifiée. Mais de for-tes tendances sociales tendent à la réduire : onestime que la réduction d’activité physique de-puis 1920 représente un gain de 600 kcal/j enmoyenne, ce qui peut en bonne part rendrecompte de la prévalence croissante de l’obésité.

Apports énergétiques

Face à ces dépenses, l’organisme reçoit quotidien-nement un apport énergétique sous forme de nutri-ments de valeur calorique très différente (Ta-bleau 1) : les lipides (9 kcal/g) et l’alcool (7 kcal/g)ont une densité énergétique bien supérieure à celledes glucides et des protéines (4 kcal/g). Ces ap-ports peuvent être appréciés par l’enquête alimen-taire, réalisée par une diététicienne, mais le simpleinterrogatoire médical apporte déjà d’importantesindications.

Modifier les apports quantitativement

Le niveau auquel les apports caloriques permettentun amaigrissement peut être chiffré à partir :

• de l’enquête alimentaire ; une réduction de30 % est alors recommandée ; mais plus encoreque les sujets de poids normal, beaucoupd’obèses tendent à sous-estimer leurs apportsalimentaires, notamment concernant les grais-ses ;3 ceci légitime une prescription au niveaud’apports allégué, si des changements pro-fonds concernant la proportion des nutrimentset les habitudes culinaires sont réalisés ;

• des dépenses énergétiques, évaluées par laformule de Harris-Benedict ; comme la dé-pense de repos représente environ 70 % de la

DE totale, la réduction de 30 % fait prescrireune ration calorique au niveau de cette dé-pense de repos ; une telle prescription ne tientcependant pas compte de la variabilité interin-dividuelle de la DE ;

• de la mesure directe de la DE de repos parcalorimétrie indirecte, comme certains servi-ces spécialisés peuvent le réaliser ; cette me-sure peut apporter une aide à la prescriptiondans certains cas, mais il n’est pas démontréqu’elle soit nécessaire pour obtenir demeilleurs résultats en pratique clinique.

La réduction doit être modérée pour être réali-sable sans danger à long terme. Les apports desécurité en protéines (0,8 g/kg/j) doivent être res-pectés pour préserver la masse maigre. Une pres-cription inférieure à 1 200 kcal/j n’est pas proposéehabituellement, car elle peut exposer à des caren-ces en vitamines et oligoéléments à long terme.

Modifier les apports qualitativement4

Réduire les aliments riches en calories

Ce sont surtout les aliments lipidiques :• purs ; ce sont les matières grasses animales(beurre, crème et donc sauces) et végétales(huiles, margarines), ce qui conduit à des mo-difications importantes concernant les modesde cuisson (nature, à la vapeur, au four) etl’assaisonnement ;

• sous forme de graisses cachées dans des ali-ments protéinolipidiques (charcuteries, vian-des grasses, fromages) ou glucidolipidiques(pâtisseries et viennoiseries, biscuits, crèmesglacées mais aussi frites, chips).

La consommation d’alcool joue dans certains casun rôle important : un verre de boisson alcooliséeapporte en moyenne 10 grammes d’alcool, soit70 kcal. Les boissons sucrées (sodas, jus de fruit,sirops) sont parfois aussi un apport calorique nonnégligeable.

Tableau 1 Principaux nutriments : implications dans l’excès pondéral.

Protéines Glucides LipidesRassasiement + + + + + ±Apport énergétique (kcal/g) 4 4 9Pourcentage des apports quotidiens + + + + + +Capacités de stockage ± + + + +Conversion vers un autre type de nutriment + + -Autorégulation (oxydation accrue si apport accru) + + + + + -

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Privilégier les aliments à faible densitéénergétique, riches en minéraux,micronutriments et en fibres

Ce sont les fruits et légumes, les produits laitiers.Les légumes crus (en limitant l’assaisonnement)

ou cuits (nature) doivent être consommés plusieursfois par jour, occuper la moitié de l’assiette du platprincipal, être utilisés en soupes.Les fruits sont un dessert privilégié, aussi utilisa-

bles en entrée ou en collation.Le yaourt nature peut aussi être un dessert ou

une collation. Le lait est un aliment complet, richeen calcium, dont la teneur en lipides est réduite s’ilest semi-écrémé ou nulle s’il est écrémé.

Maintenir un apport en glucides et enprotéines maîtrisé

Outre les fruits, les céréales (donc le pain), lespommes de terre et les légumineuses gardent uneplace, d’autant que leur apport calorique est quan-tifié de façon assez fiable (50 % de glucides dans lepain, 20 % dans les féculents).Un apport protéique suffisant est facilement ob-

tenu ; l’objectif est de limiter les lipides l’accom-pagnant en privilégiant :

• les protéines végétales (légumineuses, tofu) ;• le poisson, moins gras que la viande ;• les viandes maigres (viandes blanches, cheval,morceaux choisis du bœuf ou du porc).

Modifier le comportement alimentaire

Si des pathologies majeures du comportement ali-mentaire (boulimies) sont rarement impliquéesdans la survenue d’une obésité, certains troubles ysont fréquents :

• l’absence de petit déjeuner accroît les prisesalimentaires suivantes ; son rétablissement aun effet favorable démontré sur le poids ;

• dans la majorité des cas, des grignotages etcompulsions alimentaires extraprandiauxcontribuent fortement à l’excès calorique ;leur reconnaissance (par la tenue d’un carnetalimentaire), la gestion des situations de stressou d’ennui par d’autres moyens (sortir, télé-phoner, se baigner...) et le retour à une ali-mentation contrôlée (à heures précises, assis àtable, avec des couverts, une nappe...) sontfavorables ;

• l’hyperphagie prandiale peut être réduite parun ensemble de mesures préventives et com-portementales simples : avoir des petites as-

siettes, ne pas les finir, ne pas se resservir,poser la fourchette entre chaque bouchée.À l’inverse, une prescription trop hypocalorique

entraîne un syndrome de restriction cognitive avecune hypersensibilité aux stimuli externes (aliments)et internes (faim) favorisant la survenue de com-pulsions alimentaires, mais aussi de troubles dusommeil, de l’humeur. Le « régime » est alorsinefficace sur le poids et néfaste pour le sujet.

Envisager une aide spécialisée

Le médecin généraliste consulté pour une obésitéou une demande d’amaigrissement a la formationnécessaire pour gérer cette consultation et réaliserune prescription diététique de première intention.Le temps et la compétence qu’y consacrera unediététicienne seront une aide précieuse dans ungrand nombre de cas.L’orientation vers un spécialiste peut être moti-

vée par :• une pathologie psychiatrique (dépression,trouble grave du comportement alimentaire)qui rend illusoire ou dangereux le changementde mode de vie nécessaire pour négativer lebilan énergétique ;

• une complication somatique limitant les possi-bilités de modifier le bilan énergétique, ce quiinstalle un cercle vicieux entre l’obésité et sesconséquences ; il faut solliciter le rhumatolo-gue ou l’orthopédiste si l’arthrose d’une arti-culation portante entrave la marche, le diabé-tologue si les hypoglycémies sous sulfamides,hypoglycémiants ou insuline empêchent demodérer les apports alimentaires, le cardiolo-gue si la dyspnée ou les douleurs angineusesentravent l’activité physique ;

• une obésité massive ou rebelle, justifiant laprise en charge par un médecin nutritionniste.

Conclusion

La prescription diététique dans les obésités relèvebien des compétences d’un médecin : elle supposeun interrogatoire, un examen clinique, une ré-flexion personnalisée quant aux enjeux, la déli-vrance d’informations diététiques mais aussiconcernant l’activité physique, pour lesquelles lesmédecins sont formés, et elle justifie parfoisl’orientation vers un spécialiste.Elle a pourtant des spécificités qui l’éloignent de

certains modes d’exercice : elle ne peut pas êtreune réponse simplement médicamenteuse, lorsd’une consultation hâtive. Le patient attendant de

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recevoir passivement ce type de prestation estforcément déçu quand c’est un changement actifde son mode de vie, aux implications psychologi-ques importantes, qui lui est conseillé. Reflétant cedécalage, beaucoup de médecins généralistes ontun vécu pénible, bien compréhensible, de laconsultation de nutrition.2 Des évolutions socialeslourdes (sédentarité, accès facile à une alimenta-tion riche), l’ambiguïté des médias (encourageantla consommation et participant au culte de la min-ceur), aggravent cette difficulté.L’échec à long terme de restrictions caloriques

sévères (retour au poids initial dans 95 % des cas9 ans après) ne doit pas faire oublier les bénéficesde l’amaigrissement volontaire maintenu de façonprolongée. Maintenir une perte de seulement 5 kgpendant 5 ans améliore la tension artérielle, laglycémie et le risque de diabète, le bilan lipidique,la fonction respiratoire, la qualité de vie :1 il s’agitde recommandations de bonne pratique. Des objec-

tifs réalistes sont compatibles avec des résultatspositifs et justifient le temps consacré à la pres-cription diététique.

Références

1. AFERO, ALFEDIAM, SNDLF. Recommandations pour le diag-nostic, la prévention et le traitement de l’obésité.Diabètes Métab 1998;24(suppl2):1–48.

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3. Goris AH, Westerterp P, Plantenga MS, Westerterp KK.Undereating and underrecording of habitual food intake inobese men: selective underreporting of fat intake. Am JClin Nutr 2000;71:130–134.

4. Lecerf JM. Poids et obésité. Paris: John Libbey Eurotext;2001. p. 157–163.

5. Oppert JH, Roland Cachera MF. Prévalence, évolution dansle temps et conséquences économiques de l’obésité.Méd/Sci 1998;14:939–943.

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