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La Presse Médicale - 1579 © 2005, Masson, Paris Presse Med 2005; 34: 1579-83 M ISE AU POINT 19 novembre 2005 • tome 34 • n° 20 cahier 2 Infectiologie Prise en charge des complications de la cirrhose chez les patients VIH co-infectés par une hépatite virale B ou C P.Sogni 1 , D. Salmon-Céron 2 P. Podevin 1 Summary Management of cirrhosis complications in HIV patients coinfected with hepatitis B or C virus • Cirrhosis is a serious complication of viral hepatitis, and its incidence is increasing in HIV patients coinfected with HCV or HBV as they live longer, thanks to effective antiretroviral treatment (Haart). HIV coinfection accelerates the progression of fibrosis in hepatitis. • To implement preventive measures, prompt diagnosis of cirrhosis is important, either by liver biopsy or the noninvasive tests for fibrosis now under wide study (FibroTest, FibroScan, etc.). • Afterwards, assessment of the severity of cirrhosis and screening for complications are both necessary: testing for liver failure (Child- Pugh and MELD scores), portal hypertension (upper gastrointestinal endoscopy), and hepatocellular carcinoma (ultrasound and alpha fetoprotein assay). Careful consideration of drug prescriptions and possible interactions is essential. • Specific treatment for hepatitis B or C virus is possible at this stage of cirrhosis, although more difficult, especially for HCV (results influenced by genotype, additional risk of complications by lactic acidosis or hepatic decompensation). • Management of the complications of portal hypertension must be planned, as for those without HIV infection. Treatment of hepatocellular carcinoma is still disappointing, and liver transplantation, although possible in these patients, must be evaluated. P. Sogni, D. Salmon-Céron, P. Podevin Presse Med 2005; 34: 1579-83 © 2005, Masson, Paris Points essentiels La cirrhose est une complication grave dont l’incidence augmente chez les patients co-infectés VIH-VHC ou VHB en raison des progrès dans les traitements anti-VIH (Haart). L’existence d’une co-infection par le VIH accélère en outre la progression de la fibrose de l’hépatite. Le diagnostic de cirrhose est important afin de mettre en place des mesures préventives, par la réalisation d’une biopsie hépatique ou de tests non invasifs de fibrose maintenant largement étudiés (FibroTest, FibroScan, etc.). La gravité de la cirrhose doit alors être appréciée, avec dépistage des complications : évaluation de l’insuffisance hépatocellulaire (scores de Child-Pugh, MELD), de l’hypertension portale (endoscopie digestive haute) et du carcinome hépatocellulaire (échographie et dosage de l’alpha-fœtoprotéine). Des précautions en termes de prescriptions médicamenteuses associées doivent être respectées. Les traitements spécifiques des hépatites virales B ou C sont possibles à ce stade de cirrhose, bien que plus difficiles à mettre en œuvre notamment pour le VHC (résultats influencés par le génotype, risque supplémentaire de complications de type acidose lactique ou de décompensation hépatique). La prise en charge des complications de l’hypertension portale doit s’envisager comme chez le non-infecté par le VIH. Le traitement du carcinome hépatocellulaire reste décevant et la transplantation hépatique, bien que réalisable chez ces patients, reste à évaluer. 1 - Service d’hépato- gastroentérologie, Hôpital Cochin et Faculté de médecine Paris V, Paris (75) 2 - Service de médecine interne, Hôpital Cochin et Faculté de médecine Paris V, Paris (75) Correspondance : Philippe Sogni, Service d’hépato- gastroentérologie, Hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg Saint Jacques, 75014 Paris philippe.sogni@ cch.ap-hop-paris.fr L a mortalité des patients séropositifs pour le VIH diminue en Europe de l’Ouest et aux États-Unis depuis 1995-1996 grâce aux développements des nouveaux traitements (Haart : highly active anti-retrovi- ral therapy) 1 . De façon concomitante, la part des com- plications hépatiques dans les décès de ces patients a augmenté nettement entre la période 1990-1995 (pré- Haart) et la période 1998-2004 (Haart) 2-7 . Par ailleurs, l’existence d’une co-infection par le VIH accélère la vitesse de progression de la fibrose en cas d’hépatite B ou C chronique.L’importance du diagnostic de cirrhose, de la prévention et du traitement de ses complications devient donc un enjeu majeur de la prise en charge des patients VIH positifs co-infectés par le VHB ou le VHC 8 . Diagnostic de cirrhose Le diagnostic de cirrhose non compliquée se fait classi- quement par la réalisation d’une biopsie hépatique. Pré- dire la cirrhose sur des critères clinico-biologiques semble particulièrement difficile dans cette population : dans une étude récente incluant uniquement des patients co-infectés VIH-VHC, les valeurs prédictives posi- tive et négative de ce type de critères n’étaient que de 28 et 89 % respectivement 9 . Seuls les signes d’hypertension portale à l’échographie avaient une valeur prédictive positive élevée de cirrhose 9 . En raison du caractère invasif de la biopsie et des dis- cussions sur les biais d’échantillonnage, des tests non

Prise en charge des complications de la cirrhose chez les patients VIH co-infectés par une hépatite virale B ou C

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© 2005, Masson, ParisPresse Med 2005; 34: 1579-83 M I S E A U P O I N T

19 novembre 2005 • tome 34 • n° 20 • cahier 2

Infectiologie

Prise en charge des complications de la cirrhose chez les patients VIH co-infectés par une hépatite virale B ou CP. Sogni1, D. Salmon-Céron2

P.Podevin1

Summary

Management of cirrhosis complications in HIV patientscoinfected with hepatitis B or C virus

• Cirrhosis is a serious complication of viral hepatitis, and itsincidence is increasing in HIV patients coinfected with HCV or HBV asthey live longer, thanks to effective antiretroviral treatment (Haart).HIV coinfection accelerates the progression of fibrosis in hepatitis.• To implement preventive measures, prompt diagnosis of cirrhosisis important, either by liver biopsy or the noninvasive tests forfibrosis now under wide study (FibroTest, FibroScan, etc.). • Afterwards, assessment of the severity of cirrhosis and screeningfor complications are both necessary: testing for liver failure (Child-Pugh and MELD scores), portal hypertension (upper gastrointestinalendoscopy), and hepatocellular carcinoma (ultrasound and alphafetoprotein assay). Careful consideration of drug prescriptions andpossible interactions is essential.• Specific treatment for hepatitis B or C virus is possible at this stageof cirrhosis, although more difficult, especially for HCV (resultsinfluenced by genotype, additional risk of complications by lacticacidosis or hepatic decompensation).• Management of the complications of portal hypertension mustbe planned, as for those without HIV infection. Treatment ofhepatocellular carcinoma is still disappointing, and livertransplantation, although possible in these patients, must beevaluated.

P. Sogni, D. Salmon-Céron, P. PodevinPresse Med 2005; 34: 1579-83 © 2005, Masson, Paris

Points essentiels

• La cirrhose est une complication grave dont l’incidence augmentechez les patients co-infectés VIH-VHC ou VHB en raison des progrèsdans les traitements anti-VIH (Haart). L’existence d’une co-infectionpar le VIH accélère en outre la progression de la fibrose del’hépatite.• Le diagnostic de cirrhose est important afin de mettre en placedes mesures préventives, par la réalisation d’une biopsie hépatiqueou de tests non invasifs de fibrose maintenant largement étudiés(FibroTest, FibroScan, etc.). • La gravité de la cirrhose doit alors être appréciée, avec dépistagedes complications : évaluation de l’insuffisance hépatocellulaire(scores de Child-Pugh, MELD), de l’hypertension portale(endoscopie digestive haute) et du carcinome hépatocellulaire(échographie et dosage de l’alpha-fœtoprotéine). Des précautionsen termes de prescriptions médicamenteuses associées doivent êtrerespectées.• Les traitements spécifiques des hépatites virales B ou C sontpossibles à ce stade de cirrhose, bien que plus difficiles à mettre enœuvre notamment pour le VHC (résultats influencés par legénotype, risque supplémentaire de complications de type acidoselactique ou de décompensation hépatique). • La prise en charge des complications de l’hypertension portaledoit s’envisager comme chez le non-infecté par le VIH. Letraitement du carcinome hépatocellulaire reste décevant et latransplantation hépatique, bien que réalisable chez ces patients,reste à évaluer.

1 - Service d’hépato-gastroentérologie,Hôpital Cochin etFaculté de médecineParis V, Paris (75)

2 - Service demédecine interne,Hôpital Cochin etFaculté de médecineParis V, Paris (75)

Correspondance : Philippe Sogni,Service d’hépato-gastroentérologie,Hôpital Cochin, 27, rue du FaubourgSaint Jacques, 75014 [email protected]

La mortalité des patients séropositifs pour le VIHdiminue en Europe de l’Ouest et aux États-Unisdepuis 1995-1996 grâce aux développements des

nouveaux traitements (Haart : highly active anti-retrovi-ral therapy)1. De façon concomitante, la part des com-plications hépatiques dans les décès de ces patients aaugmenté nettement entre la période 1990-1995 (pré-Haart) et la période 1998-2004 (Haart)2-7. Par ailleurs,l’existence d’une co-infection par le VIH accélère lavitesse de progression de la fibrose en cas d’hépatite Bou C chronique.L’importance du diagnostic de cirrhose,de la prévention et du traitement de ses complicationsdevient donc un enjeu majeur de la prise en charge despatients VIH positifs co-infectés par le VHB ou le VHC8.

Diagnostic de cirrhose

Le diagnostic de cirrhose non compliquée se fait classi-quement par la réalisation d’une biopsie hépatique.Pré-dire la cirrhose sur des critères clinico-biologiquessemble particulièrement difficile dans cette population :dans une étude récente incluant uniquement despatients co-infectés VIH-VHC,les valeurs prédictives posi-tive et négative de ce type de critères n’étaient que de 28et 89 % respectivement9.Seuls les signes d’hypertensionportale à l’échographie avaient une valeur prédictivepositive élevée de cirrhose9.En raison du caractère invasif de la biopsie et des dis-cussions sur les biais d’échantillonnage, des tests non

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invasifs de fibrose se sont développés avec une concor-dance assez bonne avec les résultats histologiques etnotamment pour des scores élevés de fibrose(tableau 1). Parmi les tests biochimiques, le FibroTest estcelui qui a été le plus étudié, ayant bénéficié d’uncontrôle de qualité des variables biologiques et d’unevalidation externe. Il a également été validé dans unepopulation de patients co-infectés VIH-VHC avec desrésultats comparables aux patients mono-infectés VHC10.D’autres tests non invasifs comme le FibroScan,permet-tant la mesure de l’élasticité hépatique,sont en cours dedéveloppement avec des résultats encourageants(tableau 1). Même si des algorithmes décisionnelsincluant biopsie du foie et tests non invasifs de fibroserestent à définir, notamment chez les patients co-infec-tés, le point important est de ne pas méconnaître chezces patients le diagnostic de fibrose extensive ou de cir-rhose non décompensée.

Gravité de la cirrhose, surveillance et dépistage des complications

Une fois le diagnostic de cirrhose établi, il est nécessaired’une part d’apprécier le degré d’insuffisance hépato-cellulaire, d’autre part de chercher l’existence ou nond’une hypertension portale à risque et enfin de faire lediagnostic précoce de carcinome hépatocellulaire.Cetteattitude systématique est appliquée quelle que soit l’étio-logie de la cirrhose. Les études portant spécifiquementsur les patients co-infectés VIH-VHC ou VIH-VHB sontrares.

INSUFFISANCE HÉPATOCELLULAIRE

Habituellement apprécié par le taux de prothrombine etl’albuminémie, l’état global de la fonction hépatiquereste évalué par le score de Child-Pugh. Celui-ci com-porte,outre le taux de prothrombine et l’albuminémie,labilirubinémie, la présence d’une ascite ou d’une encé-phalopathie (tableau 2).Plus récemment, le score MELD(Model for End-stage Liver Disease) a été introduit auxÉtats-Unis comme critère d’attribution des greffons en transplan-tation hépatique en raison du caractère prédictif à 3 mois du risquede décès sur la liste de transplantation hépatique (tableau 2). Cescore incluant la bilirubinémie, l’INR et la créatininémie doit êtrevalidé dans les populations européennes ainsi que dans des sous-groupes particuliers comme les patients co-infectés VIH-VHB ouVIH-VHC.

HYPERTENSION PORTALE

Le diagnostic de cirrhose impose la réalisation d’une endoscopiedigestive haute à la recherche de signe d’hypertension portale. Larécente conférence de consensus française sur le traitement del’hypertension portale a rappelé les rythmes de surveillance endo-

scopique et la prévention primaire des hémorragies digestives chezles patients atteints de cirrhose11.Même si des données spécifiquesne sont pas disponibles pour les patients co-infectés, il semblelogique d’appliquer les même recommandations à ces patients.Ces recommandations sont qu’en l’absence de varices œsopha-giennes, l’endoscopie doit être répétée tous les 3 ans. Chez lesmalades ayant des varices œsophagiennes de petite taille, l’inter-valle recommandé est de 2 ans. Il est ramené à 1 an chez lesmalades ayant une cirrhose alcoolique,une insuffisance hépatiquegrave ou en présence de signes rouges. En revanche, en présencede varices œsophagiennes de taille moyenne ou grosse, il n’y aaucun intérêt à poursuivre la surveillance endoscopique et un trai-tement prophylactique spécifique de l’hémorragie digestive doit

Tableau 1

Exemples de tests non invasifs de fibrose testés chez des patients suivis pour une hépatite chronique C etcomparés aux résultats de la biopsie hépatique

Tests Références n Score de fibrose Aire sous Taux deà la biopsie la courbe patients

VIH + (%)

FibroTest (25) 339 METAVIR 0,83 0F0F1 vs F2F3F4

FibroTest (10) 130 METAVIR 0,86 100F0F1 vs F2F3F4

Forns’ (26) 476 Score de Scheuer 0,86 0012 vs 34

APRI (27) 270 Score d’Ishak 0,80 0012 vs 3456

FibroSpect (28) 294 METAVIR 0,83 0F0F1F2 vs F3F4

SB-153 (29) 496 Score de Scheuer 0,77 ?012 vs 34

FibroScan (30) 327 METAVIR 0,91 0F0F1 vs F2F3F4

FibroScan (31) 183 METAVIR 0,90 0F0F1 vs F2F3F4

Tableau 2

Scores de Child-Pugh et MELD (Model for End-stage Liver Disease)

Child-Pugh 1 2 3

Encéphalopathie non confusion coma

Ascite non modérée abondante

Bilurbine totale (µmol/L) < 35 35-50 > 50

TP (%) > 50 40-50 < 40

Albumine (g/L) > 35 28-35 < 28

Score de Child-Pugh : A (5 et 6) ; B (7 à 9) ; C (10 à 15)Score MELD = 0,957 x log créatinine (mg/dL) + 0,378 x log bilirubine (mg/dL) + 1,120 x log INR + 0,643. Accessible sur le site http://www.unos.org

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être initié. Ce traitement consiste soit en l’utilisation debêtabloquants non cardiosélectifs,soit en séances de liga-tures des varices œsophagiennes per-endoscopiques.L’efficacité de l’un ou de l’autre en cas de varices de taillemoyenne ou grosse ou de signes rouges à la surface desvarices a été démontrée par rapport à l’absence de trai-tement en termes de diminution aussi bien du risquehémorragique que de la mortalité. Cependant, lemoindre coût et la simplicité de mise en œuvre faitrecommander le traitement par bêta-bloquants en pre-mière intention.En revanche,chez les malades ayant descontre-indications ou une mauvaise observance auxbêta-bloquants, la prophylaxie primaire par ligature devarices œsophagiennes est recommandée11.

CARCINOME HÉPATOCELLULAIRE

Le dépistage du carcinome hépatocellulaire en cas de cir-rhose repose sur la réalisation habituellement semes-trielle d’une échographie et/ou d’un dosage d’alpha-fœtoprotéine.Cependant, l’efficacité de ce dépistage,sonrythme et la nécessité d’associer le dosage d’alpha-fœto-protéine à l’échographie n’ont pas encore été clairementétablis12.Par ailleurs,ces données,en cours de validationpour les patients mono-infectés par le VHC ou le VHB,n’ont pas été évaluées chez les patients co-infectés. Unrythme de surveillance tous les 4 à 6 mois est habituel-lement proposé aux patients co-infectés.

PRÉCAUTIONS GÉNÉRALES

La vaccination contre le VHA et contre le VHB doit êtreproposée à tout patient VIH positif non immunisé. Uncertain nombre de précautions en termes de prescrip-tion médicamenteuse doivent être respectées, notam-ment en cas de cirrhose décompensée. La prise d’aspi-rine ou d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)augmente le risque d’hémorragie digestive chez cespatients. Par ailleurs les AINS (anti-COX et anti-COX2)augmentent le risque d’insuffisance rénale et de décom-pensation ascitique13.Les aminosides doivent être pros-crits en raison du risque d’insuffisance rénale et le para-cétamol doit être soit évité soit utilisé à dose minorée.Enfin, tous les psychotropes font courir aux patientsatteints de cirrhose un risque majoré d’encéphalopa-thie hépatique.En dehors des médicaments, les indica-tions des examens avec injection de produits iodésdevront se discuter en fonction du bénéfice attendud’une part et des risques rénaux d’autre part chez unpatient hydraté et éventuellement après prescriptionde N-acétyl-cystéine13.Le métabolisme des médicaments inclus dans le Haartpeut être modifié en cas de cirrhose notamment décom-pensée. Le recours à des dosages plasmatiques répétéspermet au mieux d’adapter les posologies14.

L’hépatotoxicité du Haart joue probablement un rôleaggravant dans la progression des lésions hépatiques encas de co-infection VIH-VHC.Ce risque est multiplié par3 en cas de co-infection VIH-VHC15. Il convient d’êtreparticulièrement vigilant sur le risque d’hépatotoxicitéavec le ritonavir et la névirapine15. La toxicité des ana-logues nucléosidiques doit également être prise encompte.Le risque le mieux connu est celui d’acidose lac-tique dans les premiers mois de traitement principale-ment avec l’AZT et le ddI16. L’impact sur l’histoire natu-relle au niveau hépatique,notamment lors de traitementsprolongés, et le rôle du stress oxydatif et de l’atteintemitochondriale qui en est responsable17, restent cepen-dant à évaluer14.

Traitements

TRAITEMENTS SPÉCIFIQUES

Ils ne seront pas détaillés ici mais la prise en charge de lamaladie hépatique causale est indispensable lorsque celaest possible8,18. Le traitement spécifique de l’infectionvirale C est à envisager en cas de cirrhose non décom-pensée. Les résultats des traitements associant l’interfé-ron-alpha pégylé et la ribavirine donnent des taux deréponse virologique prolongée compris entre 27 et40 %, influencés par le génotype et la présence ou nond’une cirrhose19,20. Ces résultats, bien que moins bonsque ceux observés chez les patients mono-infectés VHC,sont encourageants. Cependant, ce traitement doit êtreparticulièrement surveillé chez les patients co-infectésVIH-VHC en raison du risque supplémentaire de com-plications de type acidose lactique, notamment en casde prise conjointe de ddI (et de d4T)19.Par ailleurs, le risque de décompensation hépatique chezles patients co-infectés VIH-VHC au cours du traitementanti-VHC semble élevé et grave en cas de cirrhose :dansl’étude Apricot, ce taux était de 10 % avec plus de 40 %de décès chez ces malades18,21.Pour le virus B, le traitement antiviral doit être envisagéquel que soit le stade de cirrhose en prenant en comptenotamment les résistances acquises du virus B en cas detraitement antérieur par lamivudine pour le VIH22. Lerôle du sevrage en alcool reste un point important pourl’amélioration de la fonction hépatique et probablementla réponse aux traitements anti-VHC.

TRAITEMENTS NON SPÉCIFIQUES

❚ Traitement des complications de l’hypertensionportale Les traitements de l’hypertension portale de l’adulte ontété récemment rappelés lors d’une conférence deconsensus française11.Ces recommandations ont été éta-blies quelle que soit la cause de la cirrhose. Parmi les

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complications habituelles de l’hypertension portale, l’hé-morragie digestive reste grave malgré les progrès réali-sés durant ces 20 dernières années.Le traitement hémo-statique repose à l’heure actuelle sur l’association d’untraitement vasoactif (terlipressine ou analogue de lasomatostatine) et du traitement endoscopique (ligatureendoscopique si possible). Il doit être ensuite poursuivipar un traitement de prophylaxie secondaire.Par ailleurs, associées au traitement hémostatique, plu-sieurs mesures sont maintenant établies :maintien d’unehémoglobine entre 7 et 8 g/dL avec une volémie cor-recte ; antibioprophylaxie systématique ; ponction d’as-cite associée ; prescription d’érythromycine intravei-neuse pour accélérer la vidange gastrique permettantune endoscopie dans de meilleures conditions11.

❚ Traitement du carcinome hépatocellulaireLe traitement du carcinome hépatocellulaire reste déce-vant.En effet, les traitements à visée curative (transplan-tation hépatique,résection chirurgicale,alcoolisation ouradiofréquence) ne sont réalisables que chez une mino-rité de malades avec des taux de récidive élevés. Chezles patients co-infectés VIH-VHC, le carcinome hépato-cellulaire semble survenir à un âge plus jeune (10 à 15ans) et pour une durée d’infection par le VHC pluscourte que chez les patients mono-infectés VHC23,24.Par ailleurs, dans une étude préliminaire, la survie despatients atteints de carcinome hépatocellulaire et co-infectés VIH-VHC semble dépendre du contrôle del’infection VIH puisque les patients avec un boncontrôle de l’infection VIH ont une survie comparable

aux patients mono-infectés VHCatteints de carcinome hépato-cellu-laire24.

❚ Transplantation hépatique et VIHLa transplantation hépatique chez lespatients co-infectés VIH-VHC resteencore limitée en nombre de cas etréservée à des équipes pluridiscipli-naires particulièrement entraînées(tableau 3). Elle doit faire encore lapreuve de son bénéfice et de sesindications spécifiques en cas de co-infection. En cas de cirrhose décom-pensée, une indication de transplan-tation hépatique pourrait être poséesi l’infection VIH est contrôlée et en

l’absence d’antécédent d’infection opportuniste graveou de cancer. Cependant, certains problèmes spéci-fiques restent à résoudre chez le patient co-infecté VIH-VHC dans la situation actuelle de pénurie de greffons :les interactions médicamenteuses et le risque de toxi-cité mitochondriale post-transplantation ; l’équilibreentre immunosuppression et risque infectieux ; lesrisque éventuels associés aux papillomavirus ou auxvirus du groupe herpès ; enfin les risques de récidivegrave du VHC sur le greffon.Ces difficultés potentiellesdoivent faire poursuivre l’évaluation de la transplanta-tion hépatique dans cette pathologie.

Conclusion

La cirrhose est une complication grave dont l’incidences’accroît chez les patients co-infectés en raison des pro-grès dans les traitements anti-VIH. En faire le diagnosticau stade non décompensé est indispensable en raisondes mesures préventives à mettre en place chez cespatients.Une prise en charge au sein d’équipes multidis-ciplinaires permet au mieux un suivi adapté.Par ailleurs, les traitements spécifiques des hépatitesvirales B ou C sont possibles à ce stade, bien que plusdifficiles à mettre en œuvre notamment pour le VHC.La prise en charge des complications de la cirrhosedoit s’envisager comme chez le non-co-infecté VIH.Cependant, la transplantation hépatique,bien que réa-lisable chez ces patients, reste un traitement dont lesmodalités pratiques et les indications spécifiques res-tent à évaluer. ■

Tableau 3

Résultats de transplantations hépatiques chez des patientsVIH + (expérience rapportée supérieure à 10 transplantations)Références Centres n VHC + (%) Survie à 1 an (%)

(32) UCSF 19 100 79(États-Unis)

(33) King’s College 14 50 70(Angleterre)

(34) Pittsburgh 29 83 70(États-Unis)

(35) abstract Espagne 21 90 90(multicentrique)

(36) abstract Hôpital Paul Brousse 23 100 83(France)

Conflits d’intérêt :aucun

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