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Table ronde © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2014;21:149-150 149 Prise en charge pluridisciplinaire des déformations du tronc chez l’enfant et l’adolescent polyhandicapé R. Vialle*, A. Dubory, H. Bouloussa, P. Mary, S. Zakine Service de chirurgie orthopédique et réparatrice de l’enfant, AP-HP, hôpital Trousseau, université Pierre-et-Marie-Curie – Paris 6, 26, avenue du Docteur-Arnold-Netter, 75012 Paris, France *Auteur correspondant. e-mail : [email protected] Polyhandicap : prise en charge pluridisciplinaire (GFHGNP, SoFOP) 1. Introduction et spécificités anatomo-cliniques Les déformations du rachis représentent un problème important de la prise en charge de nombreuses affections neurologiques ou musculaires. Ces déformations, souvent importantes, sont liées à la faiblesse ou au mauvais contrôle des muscles du tronc. La prise en charge globale de ces patients est complexe mais fondamentale. La prévalence est de 25 % à 100 % en fonction de l’étiologie (Tableau 1). Une longue courbure thoraco-lombaire s’étendant jusqu’au bassin et responsable d’une obliquité pelvienne est une forme très clas- sique de déformation rachidienne d’origine neuromusculaire. Cette asymétrie du tronc, associée aux rétractions musculaires, génère une position vicieuse du bassin en position assise également appe- lée « obliquité pelvienne ». L’appui asymétrique sur les ischions est alors responsable de zones d’hyper-pression et d’escarres. L’examen clinique doit être réalisé dans la position habituelle de fonction, c’est-à-dire le plus souvent dans le fauteuil roulant ou l’appareillage de jour (siège moulé). Cet examen permet d’ana- lyser le retentissement de la déformation du rachis et du tronc dans son ensemble sur la position assise. L’examen en position allongée doit être pratiqué chez tous les patients, qu’ils soient ou non capables de se tenir debout ou assis au fauteuil. Le patient est couché sur le ventre en bout de table, les membres inférieurs en flexion. On peut ainsi apprécier les courbures qui persistent après avoir éliminé les éventuelles anomalies de longueur des membres inférieurs, les asymétries du bassin et l’effet de la pesanteur. On peut à nouveau apprécier la réductibilité des différentes courbures en inclinaison latérale et la souplesse des angles ilio-lombaires. 2. Évaluation et prise en charge globale L’évaluation respiratoire doit être attentive chez tout patient porteur d’une déformation du rachis d’origine neurologique ou musculaire pour 3 raisons : • la déformation rachidienne, d’autant plus qu’elle est impor- tante, est susceptible de retentir sur la mécanique ventila- toire ; • l’affection neurologique causale peut, de par ses caractéris- tiques propres ou son évolution, avoir un effet délétère sur la ventilation ; • le traitement, orthopédique ou chirurgical, peut avoir des conséquences immédiates mais pouvant être prolongées, voire définitives, sur la fonction respiratoire du patient. La ventilation non invasive (VNI) permet d’améliorer la qualité de la ventilation spontanée par une aide mécanique à la ven- tilation, au moyen d’un masque buccal ou nasal raccordé à un appareil d’assistance respiratoire. Le recours à une ventilation non invasive est possible à l’approche d’une chirurgie lourde et durant les quelques mois postopératoires chez les patients les plus fragiles [1]. Chez ces patients, l’évaluation préopératoire et l’éducation de l’entourage permettent de mettre en place ce dispositif dans de bonnes conditions. L’évaluation et la prise en charge nutritionnelle sont impératives dans les mois qui précèdent la prise en charge chirurgicale d’une déformation rachidienne. Dans les cas les plus difficiles où il existe une dénutrition ancienne et une coopération limitée du patient, un gavage nocturne par sonde naso-gastrique, voire la décision de recourir à cette supplémentation au moyen d’une gastrostomie pourront être discutés. Tableau I Prévalence des scolioses dans la population en fonction de l’étiologie Étiologie Prévalence (%) Paralysie cérébrale 25 Myélodysplasie 60 Amyotrophie spinale 67 Ataxie de Friedreich 80 Myopathie de Duchenne de Boulogne 90 Lésion médullaire (avant l’âge de 10 ans) 100

Prise en charge pluridisciplinaire des déformations du tronc chez l’enfant et l’adolescent polyhandicapé

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Table ronde

© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.Archives de Pédiatrie 2014;21:149-150

149

Prise en charge pluridisciplinaire des déformations du tronc chez l’enfant et l’adolescent polyhandicapéR. Vialle*, A. Dubory, H. Bouloussa, P. Mary, S. ZakineService de chirurgie orthopédique et réparatrice de l’enfant, AP-HP, hôpital Trousseau, université Pierre-et-Marie-Curie – Paris 6, 26, avenue du Docteur-Arnold-Netter, 75012 Paris, France

*Auteur correspondant. e-mail : [email protected]

Polyhandicap : prise en charge pluridisciplinaire (GFHGNP, SoFOP)

1. Introduction et spécificités anatomo-cliniquesLes déformations du rachis représentent un problème important de la prise en charge de nombreuses affections neurologiques ou musculaires. Ces déformations, souvent importantes, sont liées à la faiblesse ou au mauvais contrôle des muscles du tronc. La prise en charge globale de ces patients est complexe mais fondamentale. La prévalence est de 25 % à 100 % en fonction de l’étiologie (Tableau 1).Une longue courbure thoraco-lombaire s’étendant jusqu’au bassin et responsable d’une obliquité pelvienne est une forme très clas-sique de déformation rachidienne d’origine neuromusculaire. Cette asymétrie du tronc, associée aux rétractions musculaires, génère une position vicieuse du bassin en position assise également appe-lée « obliquité pelvienne ». L’appui asymétrique sur les ischions est alors responsable de zones d’hyper-pression et d’escarres.L’examen clinique doit être réalisé dans la position habituelle de fonction, c’est-à-dire le plus souvent dans le fauteuil roulant ou l’appareillage de jour (siège moulé). Cet examen permet d’ana-lyser le retentissement de la déformation du rachis et du tronc dans son ensemble sur la position assise. L’examen en position

allongée doit être pratiqué chez tous les patients, qu’ils soient ou non capables de se tenir debout ou assis au fauteuil. Le patient est couché sur le ventre en bout de table, les membres inférieurs en flexion. On peut ainsi apprécier les courbures qui persistent après avoir éliminé les éventuelles anomalies de longueur des membres inférieurs, les asymétries du bassin et l’effet de la pesanteur. On peut à nouveau apprécier la réductibilité des différentes courbures en inclinaison latérale et la souplesse des angles ilio-lombaires.

2. Évaluation et prise en charge globale

L’évaluation respiratoire doit être attentive chez tout patient porteur d’une déformation du rachis d’origine neurologique ou musculaire pour 3 raisons :• la déformation rachidienne, d’autant plus qu’elle est impor-

tante, est susceptible de retentir sur la mécanique ventila-toire ;

• l’affection neurologique causale peut, de par ses caractéris-tiques propres ou son évolution, avoir un effet délétère sur la ventilation ;

• le traitement, orthopédique ou chirurgical, peut avoir des conséquences immédiates mais pouvant être prolongées, voire définitives, sur la fonction respiratoire du patient.

La ventilation non invasive (VNI) permet d’améliorer la qualité de la ventilation spontanée par une aide mécanique à la ven-tilation, au moyen d’un masque buccal ou nasal raccordé à un appareil d’assistance respiratoire. Le recours à une ventilation non invasive est possible à l’approche d’une chirurgie lourde et durant les quelques mois postopératoires chez les patients les plus fragiles  [1]. Chez ces patients, l’évaluation préopératoire et l’éducation de l’entourage permettent de mettre en place ce dispositif dans de bonnes conditions.L’évaluation et la prise en charge nutritionnelle sont impératives dans les mois qui précèdent la prise en charge chirurgicale d’une déformation rachidienne. Dans les cas les plus difficiles où il existe une dénutrition ancienne et une coopération limitée du patient, un gavage nocturne par sonde naso-gastrique, voire la décision de recourir à cette supplémentation au moyen d’une gastrostomie pourront être discutés.

Tableau IPrévalence des scolioses dans la population en fonction de l’étiologie

Étiologie Prévalence (%)

Paralysie cérébrale 25

Myélodysplasie 60

Amyotrophie spinale 67

Ataxie de Friedreich 80

Myopathie de Duchenne de Boulogne 90

Lésion médullaire (avant l’âge de 10 ans) 100

150

R. Vialle et al. Archives de Pédiatrie 2014;21:149-150

importante, avec plus de 17 % de complications générales ou infectieuses et un risque de mortalité d’environ 1 %.Le traitement chirurgical est une solution radicale mais efficace pour traiter ces déformations. Ce n’est pas un « acharnement thérapeutique », comme cela est encore parfois perçu par les médecins de rééducation ou des kinésithérapeutes. Il assure un bénéfice réel pour le patient, tant sur le plan fonctionnel que sur l’amélioration des douleurs [4]. Toutefois, le traitement chirurgical n’est que l’aboutissement d’une longue période de préparation et d’évaluation mettant en balance ce bénéfice avec des risques, le plus souvent maîtrisés.

Références[1] Fauroux B, Guillemot N, Aubertin G, et al. Physiologic benefits of

mechanical insufflation-exsufflation in children with neuromus-cular diseases. Chest 2008;133:161-8.

[2] Zahi  R, Vialle  R, Abelin  K, et  al. Spinopelvic fixation with ilio-sacral screws in neuromuscular spinal deformities: results in a prospective cohort of 62 patients. Childs Nerv Syst 2010;26:81-6.

[3] Zahi R, Thevenin-Lemoine C, Rogier A, et al. The « T-construct » for spinopelvic fixation in neuromuscular spinal deformities. Preliminary results of a prospective series of 15 patients. Childs Nerv Syst 2011;27:1931-5.

[4] Vialle  R,  Khouri  N, Glorion  C, et  al. Lumbar hyperlordosis of neuromuscular origin: pathophysiology and surgical strategy for correction. Int Orthop 2007;31:513-23.

3. Traiter une déformation rachidienne d’origine neuromusculaire, c’est d’abord la prévenir !

La prévention des rétractions et des postures vicieuses du tronc mais aussi et surtout des membres est la base de cette prise en charge « orthopédique » globale. Ainsi, la lutte contre les postures asymétriques (« coup de vent ») de hanche est le moyen le plus efficace pour contrer le développement d’une obliquité pelvienne.Dans certaines maladies entraînant un déficit important de la force musculaire (tétraplégies, amyotrophies spinales de type 1 et 2), le traitement orthopédique est très précoce. Il repose en premier lieu sur la réalisation de corsets de types « passifs » où la correction de la colonne vertébrale est obtenue par la réalisation d’une traction exercée par un corset de type « Garchois » entre 2 points fixes que sont le bassin et le crâne de l’enfant.Dans la majorité des cas, le traitement orthopédique d’une déformation rachidienne d’origine neurologique ou musculaire n’est qu’un traitement d’attente avant une future arthrodèse vertébrale ; il reste cependant une arme efficace pour limiter les conséquences de la déformation, notamment la restriction de la fonction et du développement pulmonaire, et ainsi proposer le traitement chirurgical le plus simple et le plus limité possible.

4. Le but du traitement chirurgical est d’obtenir un équilibre global satisfaisant du tronc

L’amélioration des techniques chirurgicales, mais d’abord et avant tout réanimatoires, pneumologiques, cardiologiques et anesthé-siques, permet de proposer des solutions chirurgicales plus ou moins complexes à un très grand nombre de patients, y compris les plus fragiles. Plusieurs études ont démontré le caractère objec-tif de l’amélioration fonctionnelle postopératoire de ces patients au travers d’auto-questionnaires de qualité de vie. Il s’agit là d’une confirmation du bénéfice que l’on peut tirer de ce type de prise en charge chirurgicale, y compris chez les patients les plus lourds.La multiplication des ancrages et la pose d’implants à chaque niveau vertébral arthrodésé est une bonne réponse à la médiocre qualité osseuse et donc au risque de faillite mécanique du mon-tage chez ces patients ostéoporotiques. La correction par cin-trage progressif des tiges est une technique efficace qui permet alors d’optimiser la correction en répartissant les contraintes sur l’ensemble des niveaux implantés. Le but à atteindre est un alignement frontal de la ceinture pelvienne et de la ceinture sca-pulaire. La correction de l’obliquité pelvienne nécessite l’exten-sion du montage rachidien jusqu’au bassin [2,3]. Les techniques chirurgicales décrites sont nombreuses et leur maîtrise complète reste délicate dans les cas les plus complexes (Fig. 1).La morbidité induite par les interventions chirurgicales de cor-rection des déformations rachidiennes neuromusculaires reste

Figure 1. Traitement chirurgical d’une scoliose thoraco-lombaire gauche dans le cadre d’une myopathie congénitale. A : Cliché de face préopératoire avec une scoliose de 114° et une importante obliquité pelvienne. B : Cliché postopératoire montrant la correction de la scoliose à 34° et la correction complète du déséquilibre pelvien.