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8/12/2019 Proclus La Liberte http://slidepdf.com/reader/full/proclus-la-liberte 1/461  La liberté dans la philosophie de Proclus Thèse présentée à la Faculté des lettres et sciences humaines Institut de philosophie Université de Neuchâtel Pour l’obtention du grade de docteur ès lettres Par Jean-Pierre Schneider Acceptée sur proposition du Jury : Dominic O’Meara, professeur émérite de l’Université de Fribourg, co- directeur de la thèse Daniel Schulthess, professeur à l’Université de Neuchâtel, co-directeur de la thèse Philippe Hoffmann, professeur à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris Michael Erler, professeur à l’Université de Würzburg Carlos Steel, professeur à la Katholieke Universiteit Leuven Soutenue le vendredi 2 juillet 2010 Université de Neuchâtel 2010

Proclus La Liberte

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    La libert dans la philosophie de

    Proclus

    Thse prsente la Facult des lettres et sciences humaines

    Institut de philosophie

    Universit de Neuchtel

    Pour lobtention du grade de docteur s lettres

    Par

    Jean-Pierre Schneider

    Accepte sur proposition du Jury :Dominic OMeara, professeur mrite de lUniversit de Fribourg, co-

    directeur de la thse

    Daniel Schulthess, professeur lUniversit de Neuchtel, co-directeur

    de la thse

    Philippe Hoffmann, professeur lEcole Pratique des Hautes Etudes,

    Paris

    Michael Erler, professeur lUniversit de WrzburgCarlos Steel, professeur la Katholieke Universiteit Leuven

    Soutenue le vendredi 2 juillet 2010

    Universit de Neuchtel

    2010

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    Rsum

    La question, philosophique et historique qui est lorigine de ce travail est la

    suivante : comment peut-on concilier l'acte prtendument libre que semble exiger

    toute doctrine morale fonde sur la notion de rtribution avec un ordre des choses

    dtermin par une causalit universelle. Or, dans la philosophie platonicienne

    d'poque tardive que nous appelons noplatonisme , la question de la libert

    humaine s'inscrit dans un systmephilosophique qui se prsente comme un monisme

    radical, o tout ce qui participe d'une quelconque faon l'tre dpend d'un principe

    premier unique.

    Le prsent travail est essentiellement consacr la philosophie de Proclus,

    philosophe grec platonicien du Ve s. ap. J.-C., paen dans un monde officiellement

    chrtien ; et cela pour deux raisons, l'une dogmatique ou systmatique, l'autre plutt

    contingente ; la premire, parce que le Diadoque construit, dans la tradition

    platonicienne, le type de monisme radical que nous cherchions, et qu'il le fait sur un

    mode principalement rationnel. La seconde raison est lie la conservation des

    oeuvres, en particulier d'un opuscule traitant spcifiquement de la question de la

    libert, dont le titre peut se traduire ainsi: Sur la providence, la fatalit et ce qui

    dpend de nous (!"#$ %#&'&()* +)$ ",)#-'.* +)$ /&0 123 45', en abrg, Deprovidentia). Le hasard de la transmission des textes a voulu que cet ouvrage nous

    parvienne dans une traduction latine mdivale due au dominicain flamand Guillaumede Moerbeke au XIIIe sicle. La littralit de cette traduction en rend la lecture

    difficile, souvent incertaine ; en effet, un mot grec est gnralement traduit par un mot

    latin, dune faon qui peut paratre assez mcanique. Nous avons entrepris la

    rtroversion partielle du texte latin en grec pour tous les passages que nous discutons,

    avec leur contexte. Ce travail figure dans un dossier philologique comprenant les

    rtroversions accompagnes de justifications.

    La partie historique et philosophique se dveloppe selon un plan qui part dequestions plutt logiques : il convenait en effet d'aborder des problmes relatifs aux

    modalits, en particulier le ncessaire et le contingent, et montrer que le contingent

    nest pas un vain mot ; il fallait s'arrter ensuite la physique o ces modalits

    trouvent leur expression dans le monde objectif ; examiner la notion dheimarmn

    ou fatalit, dont lorigine stocienne risque dimposer une lecture dterministe du

    sensible ; or, la distinction hirarchique quopre le noplatonisme entre la fatalit et

    la providence divine assure la tlologie sa dtermination par le bien. Ensuite, il

    s'agissait de passer la psychologie o les questions relatives la libert ont leur lieu

    propre et partir de quoi elles trouvent leur sens ; le statut ontologique de lme,

    substance intermdiaire entre lintelligible et le sensible, fait de celle-ci une ralit

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    mobile, amphibie. Il fallait enfin replacer chacune des thses partielles logique,

    physique, psychologique au sein du Tout et les intgrer dans le systme

    mtaphysique.

    Notre recherche a montr que le problme de la libert se posait, chez Proclus,

    sur deux plans hirarchiss: dune part, celui de la responsabilit morale de lhomme

    dans ses choix concrets sans cesse renouvels, qui guident son agir non seulement

    dans cette vie terrestre, mais aussi en-de de celle-ci et au-del ; dautre part, celui

    du salut mtaphysique de lme, sous la dtermination du bien, auquel nous rservons

    le nom de librationplutt que celui de libert, dont la possibilit mme sinscrit dans

    lexistence d'une facult propre de choix dlibr ou rationnel, la %#&)(#"67*.

    La structure de la thse se prsente donc comme suit :

    Introduction gnrale

    Chapitre 1: Le De providentia

    Chapitre 2: Le contingent

    Chapitre 3: L heimarmn

    Chapitre 4: Lme

    Chapitre 5 : La libert

    Conclusion gnrale

    Dossier philologique (rtroversions)

    Bibliographie

    Mots cls franais / english

    Philosophie ancienne / ancient philosophy

    Antiquit tardive / late antiquity

    Noplatonisme / neoplatonism

    Proclus / Proclus

    Libert / freedom, liberty

    Contingence / contingence

    Dterminisme / determinism

    Fatalit oudestin / fate

    Ame / soul

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    1

    Sommaire

    N O T E L I M I N A I R E

    . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . .4

    I N T R O D U C T I O N G E N E R A L E

    . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. 7 La mthode suivie ..................................................................................................................................13Platonisme et noplatonisme ................................................................................................................15Philosophie et thologie : mthode et sources de Proclus .................................................................15Le corpus des textes examins..............................................................................................................17Pourquoi la libert chez Proclus ?....................................................................................................21Division de la prsente tude ................................................................................................................24Abrviations et sigles utiliss................................................................................................................26Explication des signes utiliss dans les traductions............................................................................28Explication des signes diacritiques utiliss dans le texte grec des Tria opuscula............................29Explication des rfrences abrges utilises dans les notes sur le texte grec des Tria opuscula..29

    C H A P I T R E 1 . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. . 31

    LE DE PROVIDENTIA DE PROCLUS ..............................................................................................................31 A. Analyse gnrale et structure du De providentia...........................................................................31

    1. Les trois questions pralables ....................................................................................................................... 332. Les sept apories proposes par Thodore lattention de Proclus............................................................ 35

    B. La polmique : rtroversion et traduction .......................................................................................39...........................44

    (a) Prsentation gnrale de la thse ................................................................................................................ 44

    (b) ....................................................................................................................... 48(c) ...................................................................................................................50(d) Conclusion ( 66,1-8)................................................................................................................................... 55

    C H A P I T R E 2

    . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. . 58

    LE CONTINGENT ...........................................................................................................................................58 Les interprtations..................................................................................................................................58

    1. Alexandre dAphrodise ................................................................................................................................. 712. ps.-Plutarque ................................................................................................................................................... 843. Alcinoos ou Alcinous (Albinus) ...................................................................................................................854. Ammonius.......................................................................................................................................................875. Proclus...........................................................................................................................................................100

    a. Existence du contingent .........................................................................................................................100b. Nature du contingent ..............................................................................................................................101 c. Lieu du contingent .................................................................................................................................. 104d. La connaissance divine des contingents ...............................................................................................106 e. La connaissance humaine des indtermins ........................................................................................114 f. Contingence et cause formelle intelligible ............................................................................................117g. Laspect logique de la question du contingent ....................................................................................119h. Le contingent et le ncessaire ............................................................................................................... 120

    Conclusion ........................................................................................................................................................126

    C H A P I T R E 3

    . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . 131 LHEIMARMENE .........................................................................................................................................131

    A. La doxographie critique du Commentaire sur le Time..............................................................132

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    Sommaire2

    1. La fatalit comme nature particulire : Alexandre dAphrodise et certains pripatticiens................. 1342. La fatalit comme lordre dpendant des cycles cosmiques : Aristote ................................................... 1353. La fatalit comme me en relation : Thodore dAsin (env. 275-360) .............................................1424. La fatalit comme pure nature : Porphyre ................................................................................................. 142Le cadre gnral du problme .........................................................................................................................145

    La notion de nature........................................................................................................................................... 165La fatalit comme nature pntre de divin................................................................................................... 168Lunit de la fatalit ......................................................................................................................................... 172Providence et fatalit ........................................................................................................................................ 174Remarques complmentaires sur la ncessit ...............................................................................................181 Remarques sur la causalit ..............................................................................................................................183

    Conclusion ............................................................................................................................................193

    C H A P I T R E 4

    . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . 199

    LAME .........................................................................................................................................................199 PREMIERE PARTIE ......................................................................................................................................199

    Le statut ontologique de la !"#$........................................................................................................199 L%&'() de lme particulire.............................................................................................................201

    Limmutabilit .................................................................................................................................................. 201Lme humaine affecte dans son essence.....................................................................................................206

    Le statut ontologique de lme rationnelle humaine selon Proclus ................................................219Lautoconstitution de lme ................................................................................................................224Ncessit logico-ontologique de lexistence de lme .....................................................................227Essence psychique et activit pratique...............................................................................................235

    DEUXIEME PARTIE .....................................................................................................................................237 Les deux mes..................................................................................................................................237

    1. La doctrine des deux mes...................................................................................................................... 2382. Ame sparable et me insparable ............................................................................................................. 2413. Lme sparable ........................................................................................................................................... 2464. La solution proclienne ................................................................................................................................. 2505. Perspectives morales .................................................................................................................................... 253

    Conclusion ............................................................................................................................................255

    C H A P I T R E 5

    . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . 257

    LA LIBERTE.................................................................................................................................................257 Introduction...........................................................................................................................................257

    1. Libert et responsabilit ..................................................................................................................261/8 123 45'......................................................................................................................................................... 263/8 )9/":&;67&'................................................................................................................................................. 2654 %#&)(#"67* ..................................................................................................................................................... 265

    2. Le choixdes types de vies et ..........................................................................................................274la descente de lme dans le sensible .................................................................................................2743. Solution de Proclus..........................................................................................................................2784. Providence, heimarmn et prohairesis .........................................................................................283La triple causalit .................................................................................................................................283

    (a) Lheimarmn (rappel) ..............................................................................................................................284(b) Les trois causes ........................................................................................................................................... 287

    Conclusion ............................................................................................................................................298

    C O N C L U S I O N G E N E R A L E

    . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . 302

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    Sommaire 3

    D O S S I E R P H I L O L O G I Q U E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .314

    Introduction......................................................................................................315

    De decem dubitationibus circa providentiam..................................................319

    De providentia..................................................................................................331

    De malorum subsistentia.................................................................................394

    B I B L I O G R A P H I E . . . . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . ..

    397

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    4

    N o t e l i m i n a i r e

    Le travail que nous prsentons sur La libert dans la philosophie de Proclusest

    laboutissement dune recherche entreprise il y a vingt-cinq ans sous la direction de

    feu Fernand Brunner, professeur dhistoire de la philosophie lUniversit de

    Neuchtel1. Nous collaborions alors rgulirement aux travaux du CEPAM (Centre

    dEtude de la Philosophie Antique et Mdivale), dirigs par F. Brunner. Lquipe du

    CEPAM travaillait une traduction commente du De decem dubitationibus circa

    providentiamde Proclus, lorsquelle apprit quun volume de la collection Bud allait

    paratre aux Belles Lettres. Il sagissait de D. Isaac, Proclus, Trois tudes sur la

    Providence, texte tabli et traduit par D. I., t. I : Dix problmes concernant la

    Providence, Paris, 1977. Finalement, aprs encore quelques annes de travail sur cet

    opuscule, le CEPAM dcida de consacrer ses efforts un autre texte non encore

    traduit. Par intrt pour les questions touchant la notion de contingence, nous avonsalors suggr de consacrer dornavant nos efforts communs ltude du

    CommentairedAmmonius sur le chapitre 9 du De interpretatione. Aprs le dcs de

    F. Brunner le 1er novembre 1991, ces travaux prparatoires sur Ammonius ont t

    repris et prolongs plus particulirement par G. Seel et nous-mme, et, enrichis de

    diverses contributions, ont abouti une publication en anglais, dite chez W. de

    Gruyter : G. Seel (ed.), Ammonius and the Seabattle. Texts, Commentary and Essays,

    edited by G. S. in collaboration with J.-P. Schneider and D. Schulthess, philosophical

    commentary by G. S., essays by M. Mignucci and G. S., Berlin / New York, 2001.

    Dans le travail que nous prsentons ici, nous avons parfois utilis certaines

    1 Sur Fernand Brunner, on consultera les deux volumes dhommages suivants :Dialectica 47, fasc. 2-3 (1993) et Le dpassement de soi dans la pensephilosophique, Neuchtel, 1994 ( Bibliographie de Fernand Brunner , p. 137-162, quoi il faut ajouter F. Brunner, Introduction la philosophie, Zurich, 1995 et

    Mtaphysique dIbn Gabirol et de la tradition platonicienne, Aldershot / Brookfield,1997 [cf., en particulier, la notice de A. de Libera, Fernand Brunner, historien de laphilosophie , p. XI-XIV]). Voir aussi D. Schulthess, Revue de Thologie et dePhilosophie124 (1992), p. 1-3.

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    traductions en particulier du Commentaire dAmmonius sur le De interpretatione

    , qui avaient t discutes lpoque en commun ; nous les avons toujours revues et

    souvent profondment modifies.

    Pour notre recherche, nous avons souvent d travailler sporadiquement,

    pendant le temps libre que nous laissaient une charge denseignement au Lyce et

    lUniversit ainsi que de multiples autres engagements. En vingt ans, ltat de la

    recherche sur le noplatonisme et sur Proclus a beaucoup volu. Les ditions, les

    traductions et les monographies se sont multiplies, particulirement ces dernires

    annes. Une partie des traductions que nous proposons dans cet ouvrage tait

    nouvelle lpoque ; nous avions senti alors le besoin non seulement de donner les

    textes originaux, mais aussi de les traduire, en respectant leur caractre technique.

    Dans la mesure du possible, nous avons tenu compte des travaux rcents qui utilisent

    certains documents textuels sur lesquels repose le prsent travail2. Il a fallu souvent

    actualiser les rfrences aux ditions nouvelles3 et intgrer les matriaux des

    publications reposant sur des recherches parallles aux ntres. Ces remarques ne sont

    videmment pas destines justifier les particularits du prsent travail, mais

    seulement en expliquer, partiellement, lorigine.

    2 Nous pensons en particulier la traduction commente du De providentia paruedans la srie des Ancient Commentators on Aristotledirige par R. Sorabji : C. Steel,Proclus, On Providence, translated by C. S., ACA, London, 2007.3En particulier, ldition scientifique du Commentaire sur le Parmnide, parue dansla srie des Oxford Classical Texts : C. Steel (ed.), Procli In Platonis Parmenidem

    Commentaria, t. I libros I-III continens, rec. C. Steel, C. Mac, p. dHoine, Oxford,2007 ; t. II libros IV-V continens, rec. C. Steel, A. Gribomont, p. dHoine, Oxford,2009 ; t. III libros VI-VII et indices continens, rec. L. Van Campe et C. Steel, ultimampartem ex latino in graecum vertit C. Steel, Oxford, 2009.

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    R e m e r c i e m e n t s

    Un travail de cette nature, labor sur une priode si longue, ne se fait pas sans

    le concours et le soutien de nombreuses personnes. Nous devons nous limiter ici

    mentionner celles qui ont jou un rle dterminant lorigine de cette recherche et

    celles qui en ont permis finalement la ralisation. Fernand Brunner, professeur

    d'histoire de la philosophie lUniversit de Neuchtel, spcialiste du platonisme

    sous ses formes antiques et mdivales, nous a initi au noplatonisme, celui de

    Plotin d'abord, puis celui de Proclus. C'est sous sa direction que nous avons entrepris

    la prsente recherche. Malheureusement, il devait dcder quelques jours avant que

    nous prsentions nos premiers rsultats devant la Section neuchteloise de la Socit

    romande de philosophie4. Notre reconnaisance sadresse aussi Walter Spoerri,

    professeur ordinaire de langue et civilisation grecques dans la mme Universit. Il

    nous a toujours soutenu dans notre parcours acadmique. A lautre bout, nos deux co-

    directeurs de thse, les professeurs Daniel Schulthess et Dominic OMeara ont jou

    tous deux un rle dcisif dans le processus qui a conduit la soutenance de la thse.

    Une reconnaissance toute particulire sadresse D. Schulthess qui a, en outre, pris

    en main toute lorganisation du travail sur le plan administratif en russissant

    imposer une planification qui pouvait sembler impossible. Finalement, nous restons

    en dessous de la vrit en disant que sans les remarques, les suggestions, les

    questions et les critiques constructives de tous les membres du jury, le prsent travail

    serait encore plus imparfait.

    4 La confrence sintitulait Le destin de l'homme entre la libert et la servitude:considrations sur la philosophie de Proclus (13 novembre 1991).

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    7

    I n t r o d u c t i o n g n r a l e

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    Introduction8

    que ces difficults ne sont pas seulement celles qui se posent au lecteur moderne de

    luvre proclienne, mais quelles se trouvent dj thmatises, comme telles, par

    Proclus lui-mme dans son effort pour les surmonter.

    Cependant, comme nous avons affaire chez Proclus un systme qui se veutradicalement moniste et continuiste5, linterprtation de la relation de lme au

    sensible, comme la considration du sensible lui-mme, exige de lexgte quil

    prenne aussi en compte la relation de chacun de ces niveaux dtre avec les niveaux

    suprieurs et quil inscrive chacun dans ses relations avec le Tout.

    En termes modernes, notre problme peut se poser sous la forme gnrale

    (non encore dfinie) du rapport entre dterminisme (physique) et libert humaine.

    Cependant, la mthode utilise ici sera la mthode historique et celle-ci nous interdit

    de projeter demble sur la doctrine tudie des catgories qui pourraient bien, par

    anachronisme, se rvler inadquates.

    Ainsi donc se pose, pour nous, la question pralable des termes ou des

    concepts utiliss dans cette discussion, mme si on constate que nombre de travaux

    modernes utilisent de faon non critique les termes de dterminisme et de libert dans

    ltude des philosophies antiques. Or, le grec na de terme spcifique ni pour

    dterminisme ni pour libert (au sens gnral)6. De plus, dans ce genre de dbat,

    nous rencontrons aussi constamment le terme de libre arbitre, frquent aussi bien

    dans les discussions contemporaines que dans les traductions en langues modernes

    dauteurs grecs, o il rend en gnral lexpression /8 123 45' ou /8 )9/":&;67&'7.Nous lutiliserons notre tour en soulignant toutefois quil ne sagit pas proprement

    parler dune traduction, mais dun choix de commodit. En effet, le terme de libre

    5 A la lecture de louvrage aujourdhui classique de A. O. Lovejoy, The GreatChain of Being (Cambridge, Mass., 1936), on a souvent le sentiment que ses thses

    fondamentales sont directement empruntes au systme proclien, en particulier lestrois principes, de plnitude (p. 52 ; 340), de continuit (p. 55 ; 58 ; 59 ; 61) et degradation (p. 59 ; 61) ; il faut dire que lauteur a lu et mdit attentivement Plotin(p. 61 sqq.).6 Le terme classique dsignant la libert, 4 1C"@B"#() (et les mots de la mmefamille), appartient essentiellement au domaine socio-politique o il entre enopposition 4 F&@C"() (et les mots de la mme famille). Par mtaphore, il peutvidemment prendre un sens figur et sappliquer au domaine de lthique ou de lamtaphysique, mais son emploi reste limit. Cf. infra, chapitre 5.7Le terme /8 )9/":&;67&'est moins frquent et apparat dans les discussions sur lalibert ds lpoque impriale. On le rencontre aussi bien chez les philosophes grecsque chez les auteurs chrtiens. Notons que, dans les Tria opuscula, Guillaume de

    Moerbeke traduit gnralement le substantif /8 )9/":&;67&' par libertas arbitrii (cf.Boese, Index, s.v. arbitrium et autexusios) ; cf. aussi M. Spanneut, Commentaire surla Paraphrase chrtienne duManuel dEpictte, SC, Paris, 2007, p. 61 ()9/":&;67&* :dou de libre arbitre ; cf. encore, p. 183).

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    Introduction 9

    arbitre8 et a fortiori ses correspondants anglais ( free will) et allemand (der freie

    Wille) , vhicule une notion de volont, considre gnralement comme distincte

    de lentendement dans la philosophie moderne, qui ne semble pas convenir

    proprement la philosophie ancienne9

    . Ces remarques, videmment, ne veulent paslaisser entendre que les Grecs ne possdaient pas les notions qui correspondent aux

    termes dterminisme et libert (une fois dfinis). Par ailleurs, la difficult saccrot

    encore du fait que, pour nous, le terme dterminisme nest pas univoque et que la

    libert ne rpond pas une dfinition indpendante de toute thorie. Nous

    commencerons donc par donner une dfinition gnrale et volontairement vague de

    ce que nous entendons par dterminisme. La notion de libert se construira et se

    dfinira, elle, au fil de notre enqute, dans son opposition mme la notion de

    dterminisme.

    La question se posera alors sil vaut mieux dfinir le dterminisme par la

    notion de ncessit voire dinvitabilit, dindcidabilit ou par celle de cause.

    Pour viter lobjection danachronisme, nous nous garderons de dfinir cette notion

    par rapport aux dbats issus de la science moderne, quil sagisse de physique

    classique (dterminisme de type laplacien) ou de physique quantique (dterminisme

    probabiliste). Nous prendrons le dterminisme, dans un sens encore prciser,

    comme la thorie qui affirme gnralement que tous les vnements (nous ne

    distinguons pas ici les vnements des actions) se produisent ncessairement ou

    invitablement : un vnement e est dtermin si, et seulement si, il ntait pas

    possible quelle que soit la raison de cette impossibilit, quil ne se produise pas,

    quel que soit le type de causalit qui rende compte de sa production10. Cette

    8Le terme arbitriumnest sans doute pas en lui-mme un synonyme de volont, maisdans lhistoire, il tend le devenir ; cf. le Nouveau Petit Robert (1993), s.v. ARBITRE 2 , qui explique le terme darbitre, dans lexpression libre arbitre, parvolont.9 La littrature sur cette question est abondante. Cf., par exemple, A. Dihle, TheTheory of Will in Classical Antiquity, Berkeley / Los Angeles / London, 1982, p. 144,

    o lauteur conclut que cest Augustin qui est linventeur de notre concept modernede volont which he conceived for the needs and purposes of his specific theology ;A. Solignac (s. j.), Vouloir et volont chez les philosophes grecs , dans : L.Jerphagnon, J. Lagre, D. Delattre (ds), Ainsi parlaient les Anciens, Mlanges inhonoremJ.-P. Dumont, Lille, 1994, p. 101-112 : lauteur insiste sur la formation de lanotion de volont chez Platon, Aristote et les stociens, avant sa constitution commepuissance distincte de lme chez Augustin ; cf., dans une perspective plus large, Ch.H. Kahn, Discovering the Will. From Aristotle to Augustine , dans : J. M. Dillonand A. A. Long (eds), The Question of Eclecticism. Studies in Later GreekPhilosophy, Berkeley / Los Angeles / London, 1988, p. 234-259 (on trouvera une utiletypologie des conceptions modernes de la volont aux pages 235-236).10Cf. la dfinition opratoire que donne R. Sorabji (1980), p. IX : Par dterminisme,

    jentendrai la conception selon laquelle tout ce qui arrive a t tout au long ncessaire,cest--dire fix ou invitable (By determinismI shall mean the view that whateverhappens has all along been necessary, that is, fixed or inevitable) ; cette dfinition estreprise sans modifications significatives dans : D. Blank and N. Kretzmann (eds.), On

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    Introduction10

    dfinition est encore suffisamment vague elle ne dit rien du type de ncessit mis en

    jeu ni du type de causalit oprant , pour permettre dembrasser les distinctions

    souvent faites par les modernes, propos de laction humaine, entre dterminisme,

    ncessitarisme et fatalit11

    .A partir de cette conception trs gnrale se posera le problme du statut de

    laction humaine : laction se distingue-t-elle de lvnement ou nest-elle quun

    vnement particulier dont lorigine, au moins immdiate, est lhomme ?

    Pour clarifier le dbat, il ne nous apparat pas inutile de commencer par

    dessiner grands traits ce quon peut qualifier comme des solutions globales la

    problmatique esquisse, telles quon peut les trouver dans la philosophie antique.

    Dans lhistoire de la philosophie grecque on pourrait distinguer trs

    schmatiquement les positions comme suit. Platon pose que lhomme est responsable

    ()J/7&*) de ses actes, de ses choix : cest du moins ce que le philosophe exprime parle truchement dun mythe, le mythe dEr le Pamphylien, expos dans le dixime livre

    de la Rpublique ( Resp. X 614b sqq.). Mais on ne trouve pas chez lui de discussion

    thorique dveloppe sur la question du dterminisme dans la nature sensible. Le

    terme, qui dans les philosophies postrieures sera au centre de ce dbat, celui

    d",)#-'. (traduit par fatalit ou destin, rendu quelques fois par son quivalentlatin fatum), na pas encore chez lui de valeur technique ; il semble bien en effet

    dsigner en gnral, comme dj chez Homre, le moment fixde la mort 12.

    De son ct, le disciple de Platon, Aristote, laborera dans ses recherches

    thiques un concept de responsabilit prcis et complexe, mais on ne trouvera pas

    non plus chez lui de doctrine de l",)#-'.. Pourtant, dans le chapitre 9 du De

    Determinism. Ammonius, On Aristotle On Interpretation 9, translated by D. B., withBoethius, On Aristotle On Interpretation 9 first and second commentaries, translatedby N. K., with essays by R. Sorabji, N. Kretzmann and M. Mignucci, ACA, London,1998, p. 3 ; voir aussi Seel (2001), p. 16 (cf. p. 19) : Determinism is the position thatevery event or occurrent in the real world is predetermined from eternity in such away that there is no moment in the history of the world at which it is undecided

    whether or not the event will occur.11Cf. par exemple Sharples (1983), p. 10, n. 50 et p. 150-151 :

    Fatalisme: (df.) the belief that the fortune cannot be affected by any of ouractions ;

    Dterminisme : (df.) affirme only that it is already predetermined whichactions we will choose to perform. Donc, le dterminisme nimplique pas que nosactions ne peuvent affecter le cours des vnements (confusion frquente dans lacritique du stocisme). Cf. R. Taylor (article Determinism dans The Encyclopediaof Philosophy, ed. by P. Edwards, 1967), p. 368, et D. J. OConnor, Free Will, p. 13sqq.12Cf., e. g.E. R. Dodds (ed.), Plato, Gorgias, Oxford, 1959, p. 350 (The term neverstands in Plato, as it did in stoicism, for ageneralprovidence). Cf. aussi H. Doerrie

    und M. Baltes, Der Platonismus in der Antike, Bd. III : Der Platonismus im 2. und 3.Jahrhundert nach Christus, Bausteine 73100 : Text, Uebersetzung, Kommentar,StuttgartBad Cannstatt, 1993, p. 320 (la section 94 est intitule : Ueber Schicksalund Vorsehung).

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    Introduction 11

    interpretatione, la notion de dterminisme, telle que nous lavons esquisse, est

    discute et la thse dterministe dans son sens ncessitariste rfute. Il faut

    attendre les philosophies hellnistiques pour rencontrer notre problmatique, expose

    et analyse pour elle-mme. Ce sont elles qui vont dessiner le cadre dans lequellevont sinscrire les discussions menes au sein des philosophies ultrieures,

    principalement aristotlicienne et noplatonicienne. Les stociens surtout, mais aussi

    les picuriens13, les cyniques14 et les sceptiques 15, joueront un rle de premier plan

    dans llaboration des arguments relatifs cette discussion. Les concepts essentiels de

    cette problmatique sont ceux d ",)#-'.et d 123 45'. Mais ces concepts ne sontpas invents de toutes pices par les stociens qui semblent tre les premiers les

    utiliser massivement dans ce dbat. Comme on la vu, dj Platon utilise

    sporadiquement le terme d",)#-'., et Aristote fait de lexpression 123 45' unterme technique dans la discussion sur la notion de responsabilit dans sesEthiques16.

    Il reste que linitiative du dbat revient sans doute aux stociens. Dailleurs, les

    platoniciens plus rcents se sentiront tenus de ragir aux thses stociennes ; ce sera

    surtout la tche de Carnade17. Mais il faut attendre le moyen-platonisme pour

    trouver des textes appartenant au courant platonicien, et qui engagent le dbat sur le

    terrain dfini par le stocisme. Le trait du pseudo-Plutarque intitul justement !"#$ ",)#-'.*forme, pour nous, un maillon essentiel dans la chane des dbats sur cetteproblmatique dans lcole platonicienne (fin du IIe s.) 18. Et il semble bien que

    largumentation soit fixe dans ses grandes lignes au IIes. ap. J.-C. En effet, Alcinoos,

    Numnius (dpendant peut-tre du platonicien Gaios) prsentent dj un ensemble de

    13 Cf. par exemple Diognien [picurien du II e s. ?], ap. Eus. P.E. IV 3 et VI 8 :(contre la doctrine du fatumde Chrysippe) ; rappelons que cet auteur est prsent parEusbe comme pripatticien. Sur ce philosophe, cf. T. Dorandi, dans : DPhA t. II(1994), art. Diognianos , D 152 ; H. O. Schrder, art. Fatum (heimarmene) ,RAC VII (1969), col. 524-636, col. 550-551 sur Diognien ; voir aussi, M. IsnardiParente, Diogeniano, gli epicurei e la /;S., dans : ANRWII 36.4 (1990), p. 2424-2445.14Cf. par exemple Oinomaos [cynique du II eou III es. ap. J.-C.], dans sa critique des

    oracles [X&T/L' 2E#) Les charlatans dmasqus], ap. Eus. P.E. V 19-37 et VI 7.Sur ce philosophe, cf. M.-O. Goulet-Caz, dans : DPhAt. IV (2005), art. Oinomaosde Gadara , O 9.15Par exemple, lacadmicien sceptique Carnade (cf. D. Amand, Fatalisme et libertdans lAntiquit grecque, Louvain, 1945 [rimpr. Amsterdam, 1973]).16 Cf. E. Eliasson, The Notion of That Which Depends On Us in Plotinus and ItsBackground, Leiden / Boston, 2008, p. 47-61.17 Le sous-titre de la thse de Don David Amand mentionne ci-dessus estprcisment : Recherches sur la survivance de largumentation morale antifatalistede Carnade chez les philosophes grecs et les thologiens chrtiens des quatrepremiers sicles .18Cf. J. den Boeft, Calcidius On Fate, p. 10, qui reprend la thse de Valgiglio (19932),

    p. 41 : lauteur appartient au moyen platonisme et le trait date de la seconde moitidu IIe sicle ap. J.-C. Cf. H. Doerrie und M. Baltes, Der Platonismus in der Antike,Bd III : Der Platonismus im 2. und 3. Jahrhundert nach Christus, Bausteine 73100 :Text, Uebersetzung, Kommentar, Stuttgart / Bad Cannstatt, 1993, p. 324-325.

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    Introduction12

    solutions au problme du rapport entre la fatalit et la libert qui formera le noyau des

    discussions plus tardives sur la question19. Un cas particulier est celui de Calcidius,

    platonicien et chrtien du IVe s. On a pu montrer que le fond de son trait sur la

    fatalit contenu dans son commentaire sur le Time de Platon, malgr sa datetardive, remonte au moyen-platonisme, sans doute travers le commentaire de

    Porphyre sur le mme texte platonicien20.

    Avec lavnement du noplatonisme, la problmatique va se dvelopper et se

    prciser au sein dun systme mtaphysique de plus en plus complexe. Dj Plotin et

    son disciple immdiat, Porphyre, consacreront plusieurs textes cette question21. Un

    autre maillon important dans la chane de ces discussions est fourni par le philosophe

    pripatticien Alexandre dAphrodise dans une monographie consacre ces

    questions : le !"#$ ",)#-'.* ( De fato). Les noplatoniciens tardifs hriteront doncde tout un corpus darguments et de contre-arguments ; de son ct, Proclus en

    assurera la reprise en lintgrant dans lensemble de son systme philosophique.

    En ce qui concerne le vocabulaire utilis par Proclus dans le cadre de cette

    problmatique, il faut souligner quil est pour lessentiel emprunt la Stoa. Il ny a

    point l doriginalit de sa part ; le lexique auquel ont recours les philosophes grecs

    de la priode impriale dans leur discussion sur la libert est fix et peu prs

    constant. Mais cela ne signifie videmment ni que les concepts soient identiques ni

    que les solutions proposes soient les mmes. Nous montrerons en effet que, bien que

    le vocabulaire technique li notre problmatique soit essentiellement stocien, la

    solution proclienne au problme est pleinement (no)platonicienne.

    A premire vue, on pourrait estimer que le thme de cette enqute relve

    dune approche quelque peu marginale de la pense de Proclus. Pour dire vrai,

    cependant, il nen est rien. En effet, lme, par le rang quelle occupe dans le systme

    ontologique, comme mdit ou mdiation ("6=/.*) entre lintelligible et le sensible,et par laccs oblig au rel quelle offre pour nous, se trouve aussi ncessairement,

    thmatiquement ou non, au centre de toute recherche. Toute thorie trouve ainsi son

    19 J. Dillon, Alcinous, The Handbook of Platonism, translated with an introductionand commentary by J. D., Oxford, 1993, p. 160-164.20Cf. J. den Boeft, Calcidius on Fate. His Doctrine and Sources, Leiden, 1970, p. 128-137.21Cf. surtout Enn. III 1 [3] (!"#$ ",)#-'.*selon Porphyre) ; sur cette Ennade, onconsultera M. Chappuis, Plotin, Trait 3 (III 1), Introduction, traduction,commentaires et notes par M. C., Paris, 2006 ; pour Porphyre, il faut consulter les

    fragments de son commentaire sur le Timedans : A. R. Sodano, (d.) Porphyrii inPlatonis Timaeum Commentariorum fragmenta, Napoli, 1964 ; voir aussi lesfragments conservs de son trait !"#$ /&0 123 45' (Smith, Fragmenta [1993],n268-271).

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    Introduction 13

    point de dpart ncessaire dans lacte humain de philosopher22, suppos libre. La

    question de la libert occupe alors une place que lon peut qualifier de centrale

    dans le systme de Proclus. En effet, non seulement la libert est prsuppose par le

    travail philosophique en gnral23

    , mais elle est aussi, plus particulirement, lacondition de possibilit de la mise en uvre de linjonction socratique reposant sur

    le prcepte delphique du connais-toi toi-mme (P'YB7 6)@/=')24 et laconsquence spirituelle de cette ascse.

    L a m t h o d e s u i v i e

    Dans cette tude, nous nous proposons de (re)construire la rponse

    proprement proclienne la question du rapport entre dterminisme et libert. Notre

    dmarche sera plutt synchronique, mme si nous avons souvent recours lhistoire

    des notions discutes. Nous chercherons donc dfinir la position de Proclus sur la

    problmatique esquisse, sans nous interdire dexaminer telle ou telle solution

    antrieure ou mme postrieure, si cette rfrence permet de jeter une lumire

    nouvelle sur le sujet. Dautre part, nous traiterons les textes de Proclus sans nous

    proccuper de chronologie. Comme la plupart des commentateurs modernes, nous

    considrons que, de faon gnrale, la pense de Proclus nest pas soumise une

    volution transformante, tout au plus, peut-tre, un approfondissement et une

    complexification croissante25. Les diffrences quon peut relever dun texte lautrese comprennent en gnral comme leffet dun changement de perspective. Il faut

    tenir aussi compte de la place quoccupe un texte dans le cursus des tudes. Les

    noplatoniciens, en dignes successeurs de Platon, ont en gnral t trs sensibles aux

    questions pdagogiques, et ils taient tous des professeurs de philosophie

    22Cf. J. Trouillard, Lun et lme selon Proclos, Paris, 1972, p. 28 : Cest dans lmequil faut chercher le centre de la philosophie de Proclus.23 De Prov.66,6-9. Que la libert soit requise par lexercice de la philosophie, marquedj que cette dernire nest pas seulement une recherche pure de la vrit, mais aussiun exercice spirituel.24Cf. Procl. In Alc. 11,1-5 Segonds : 1'/"0B"' W#+/-&' /Z* M)@/Y' /"C"7E6"L*, W%8/Z* M)@/Y' +)B)#[* P'E6"L*. \#SQ F- 16/7' &H/&* A F7KC&P&* ]%K6.* 27C&6&2()*,^6%"# FQ +)$ 4 M)@/Y' P'Y67*: il faut commencer son propre perfectionnement partir de la connaissance pure de soi. Et le prsent dialogue est le commencement detoute philosophie, comme lest prcisment aussi la connaissance de soi . Pour laconnaissance de soi comme dbut de la philosophie pour Socrate (et pour Platon),cf. ibid. 5,15-16 Segonds: _`/. /&('@' ?6/L +)$ 27C&6&2()* W#SQ +)$ /Z* !CK/L'&*F7F)6+)C()*, 4 M)@/Y' P'Y67*; voir aussi Olymp. In Alc. 4,6-7 Westerink : C-P"/)7 FG %#8* 27C&6&2()' 1CB"5' 1+ /&0 !@B7+&0 P#K)/&* /&0 P'YB7 6)@/='; 11,2-3 :

    C-P"/)7 FG A aL+#K/.* 1+ /&0 P'YB7 6)@/8' 1%$ 27C&6&2()' 1CB"5'.25 Notons cependant que cette hypothse est difficilement dmontrable. Uneprsentation plus complexe du systme peut sexpliquer par les circonstances depublication, par la nature du destinataire, etc.

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    Introduction14

    (27C=6&2&7)26; or les ouvrages destins aux dbutants, comme l Alcibiade27, neprsentent videmment pas toute la complexit du systme dans ses ultimes dtails.

    Afin de bien saisir limportance de ces proccupations mthodologiques pour

    lhistoriographie philosophique, on se reportera louvrage dsormais classique deI. Hadot sur Hirocls et Simplicius28.

    Cest dire quon ne trouvera pas dans ce travail un expos systmatique de la

    philosophie de Proclus il en existe dexcellents29, mais seulement lexamen dun

    problme particulier au sein dun systme dont la structure englobante en rend la

    solution dlicate, et pourtant urgente. En effet, comme on la dit, le systme de

    Proclus se veut radicalement moniste30. Or la question se pose de savoir comment une

    exigence thique et sotriologique, constamment raffirme, peut trouver sinsrer

    26Sur ce sens tardif du terme 27C=6&2&*, cf. M. Richard, \%8 2L'Z*, Byzantion,20 (1950), p. 191-222 (reproduit dans : M. Richard, Opera minora, t. III, Turnhout /Leuven, 1977, n 60).27Pour le connais-toi toi-mme comme principe non seulement de lenseignementde Platon, mais aussi de la philosophie, cf. Procl. In Alc. 5,15-16 (Segonds) : _`/./&('@' ?6/L +)$ 27C&6&2()* W#SQ +)$ /Z* !CK/L'&* F7F)6+)C()*, 4 M)@/Y'P'Y67* : Admettons donc que la connaissance de soisoit non seulement le principede la philosophie, mais aussi de lenseignement de Platon ! ; et ibid. 11,3-5(Segonds) : \#SQ F- 16/7' &H/&* A F7KC&P&* ]%K6.* 27C&6&2()*, ^6%"# FQ +)$ 4M)@/Y' P'Y67* : Ce dialogue, comme aussi la connaissance de soi est le principe

    [= le commencement] de toute philosophie ; Anon. Proleg. 26, 23-26 (Westerink-Trouillard-Segonds). Cf. aussi A. Ph. Segonds (d.), Proclus, Sur le Premier Alcibiadede Platon, t. I, Paris, 1985, p. XII-XIII. Voir aussi ce que dit sur cette questionI. Hadot propos du commentaire plus tardif (VIe s.) de Simplicius sur le ManueldEpictte : I. Hadot, Simplicius, Commentaire sur le ManueldEpictte, Introductionet dition critique du texte grec par I. H., Leiden, New York, Kln, (Brill) 1996, p. 51-60, et I. Hadot, Simplicius, Commentaire sur le Manuel dEpictte, texte tabli ettraduit par I. H., t. I, chapitres I-XXIX, Paris (Les Belles Lettres), 2001, p. XLIII-XLIV.28Hadot, I., Le problme du noplatonisme alexandrin. Hirocls et Simplicius, Paris,1978.29Pour un expos global du systme de Proclus, on se rfrera aux ouvrages suivants :L. J. Rosn, The Philosophy of Proclus. The Final Phase of Ancient Thought, New

    York, 1949 ; R. Beutler, art. Proklos 4, RE23 (1957), col. 186-247 ; G. Martano,dans : E. Zeller-R. Mondolfo, La filosofia dei Greci nel suo sviluppo storico, ParteIII : La filosofia post-aristotelica, vol. VI : Giamblico e la Scuola di Atene a cura diG. M., Firenze, 1961, p. 118-196 ; J. Trouillard, Le noplatonisme , dans : Histoirede la philosophie, sous la direction de B. Parain, t. I : Orient-Antiquit-Moyen Age,Paris, 1969, p. 912-928 ; G. Martano, Proclo di Atene. Lultima voce speculativa delgenio ellenico, Napoli, 1974 [nouvelle dition, corrige et augmente, de Luomo eDio in Proclo, Napoli / Roma, 1952] ; W. Beierwaltes, Proklos. Grundzge seinerMetaphysik, Frankfurt, 1965 (19792) (cf. en traduction italienne : W. Beierwaltes,Proclo. I fondamenti della sua metafisica, Traduzione di N. Scotti, introduzione di G.Reale, Milano, 1988) ; G. Reale, Introduzione a Proclo, Roma / Bari, 1989 ; L.Siorvanes, Proclus. Neo-Platonic Philosophy and Science, New Haven / London,

    1996.30 On trouvera une synthse magistrale sur la question de lunit des systmesmonistes dans larticle de J. Trouillard, Un (Philosophies de l) , dans :Encyclopaedia universalis, 1968, p. 461-463.

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    Introduction 15

    dans la totalit parfaite du Tout, en revendiquant en mme temps un espace pour la

    libert. La rponse que nous dgagerons pourrait se prsenter comme une des

    solutions possibles, quoique toujours problmatique, aux systmes fonds sur des

    principes et des structures analogues.

    P l a t o n i sm e e t n o p l a t o n i s m e

    Comme on le sait, lappellation de noplatonisme est moderne31 et Proclus,

    comme tous les autres noplatoniciens anciens, ne se pense pas comme un

    innovateur au sein du mouvement platonicien. Proclus est platonicien, parce que cest

    Platon qui, principalement sur le mode philosophique, a transmis aux hommes la

    vrit sur la ralit dans sa totalit 32. Or les problmes qui seront discuts dans le

    prsent ouvrage ne sont pas des problmes examins en tant que tels par Platon.

    Comme nous lavons vu, la question du rapport entre le dterminisme et la libert

    napparat comme telle qu partir des philosophies hellnistiques, dans lpicurisme

    et surtout dans le stocisme. La majeure partie des termes voire des concepts ,

    centraux de ce dbat sont emprunts au stocisme. Cependant, llaboration de la

    problmatique et des solutions qui y sont apportes au sein du noplatonisme en

    gnral et chez Proclus en particulier se font explicitement contre la philosophie du

    Portique et, en partie, contre celle du Pripatos. Nous verrons toutefois que nombre

    de thses stociennes sont reprises par Proclus ; mais, intgres dans un systme depense tranger leur origine, elles se revtent dun sens radicalement nouveau.

    P h i l o s o p h i e e t t h o l o g i e : m t h o d e e t s o u r c e s d e P r o c l u s

    Il est habituel de parler de la philosophie de Proclus. On aurait aussi de

    bonnes raisons duser du terme de thologie, voire de thosophie. Mais certaines

    distinctions savrent ncessaires. Du point de vue de la mthodeutilise par Proclus,

    le mode dexposition dmonstratif de sa pense rclame lappellation de philosophie ;Nous suivrons dailleurs en cela lhabitude de Proclus lui-mme. Du point de vue du

    31Elle remonte lhistoriographie philosophique allemande du XVII es ; cf. A. Magris(1986), p. 187.32 Proclus aime souligner laccord entre la pense de Platon ( 4 /&0 !CK/L'&*F7K'&7)) et la ralit objective (4 /Y' %#)PK/L' [CTB"7)) ; cf. e. g. TPII, p. 31,13-14 ; p. 59,5-6 ; IV, p. 21,11-12 ; p. 78,2-3 ; TP VI, p. 36,20-21. La vrit a encoresuivi des voies diverses pour parvenir aux hommes : elle sest exprim en particulierpar le truchement dHomre, dHsiode, dOrphe (= A /Y' bCCT'L' B"&C=P&*,TPV, p. 33,22-23), de Pythagore, des deux Julien (le Thurge et le Chalden = &,

    cK#c)#&7, cf. TPVI, p. 51,25 et n. 7, p. 151-152 ; 4 cK#c)#&* B"&6&2() In Remp. II225,4 ; 255,21; &, B"=6&2&7, TPVI, p. 64,3); les trois premier sont souvent dsignscomme &, B"&C=P&7, &, %)#3 dCC.67 B"&C=P&7 et reprsentants de 4 bCC.'7+Q B"&C&P().

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    Introduction16

    contenude cette pense et dune partie des sourcesdont elle se nourrit, lappellation

    de thologie ou de thosophie semble mieux convenir. En effet, pour le

    Diadoque, avant mme Platon, les potes Homre, Hsiode, Orphe33 ceux quil

    nomme les Thologiens grecs ont exprim la vrit dune bouche inspire ;Pythagore34, influenc par l Orphisme, est considr comme une des sources de

    Platon ; et, bien postrieures Platon (pour nous), les rvlations des Oracles

    chaldaques reprsentent elles aussi une manifestation divine de la vrit. Or, si on

    met part le Pythagorisme dont le mode dexposition de la vrit est spcifique35,

    nous voyons quune part importante des rfrences procliennes est dordre clairement

    thologique, la fois par leur contenu et par leur mode dexposition. Dans lexamen

    des questions qui forment lobjet de la prsente enqute, nous ne nous arrterons

    quoccasionnellement cet aspect particulier des sources de la pense proclienne.

    Quoi quil en soit, Proclus, en tant que philosophe, nutilise gnralement les textes

    orphiques ou chaldaques que pour confirmer, par linterprtation quil en donne,

    linterprtation de Platon qui reste la base de llaboration rationnelle de sa

    doctrine36.

    Le problme est quelque peu diffrent quand il sagit de linterprtation des

    mythes platoniciens. Par rapport notre enqute, il nest gure possible de ngliger

    linterprtation rationalisante que Proclus nous donne du mythe dEr au dixime livre

    de la Rpublique. Nous en tirerons en effet tous les lments utiles une meilleure

    comprhension de la position philosophique de Proclus relative notre sujet.

    On pourrait raisonnablement se demander si, en marginalisant laspect

    proprement thologique au sens o Proclus est dit vouloir embrasser toute la

    thologie grecque , on ne nglige pas un aspect essentiel de sa pense ou, pire

    encore, si on ne fausse pas la comprhension de celle-ci. Quen suivant uniquement

    cette mthode on ne respecte pas entirement lintention profonde du Diadoque, pour

    qui la vrit est une, cest indniable. Il reste que sa pense veut dabord sexprimer

    par des arguments rationnels ou scientifiques, quelle se veut dmonstrative au sens

    o la philosophie grecque a toujours cherch ltre.

    33 Les guillemets simposent videmment. LOrphisme auquel Proclus se rfrecomprend des textes de date rcente, mme si ces derniers se dveloppent sur un fondplus ancien. Cf. L. Brisson (1987).34 Comme pour lOrphisme, le Pythagorisme de Proclus est de date rcente etcomprend des textes de nature trs varie. Cf. OMeara (1989), p. 145-152.35 Proclus distingue soigneusement les diffrents modes de discours sur le divin enparticulier ; pour les pythagoriciens, cf. In Parm. 646, 20-21 Steel : /&5* FG F7

    "e+='L' )9/N %#&B"-'&7* 1:)PP-CC"7', F7 D'&K/L' )B.)/7+Y'. Cf. Luna-Segonds (2007), In Parm. t. I 2, p. 221-222.36Nous ne voulons pas dire par l que la tradition thologique nest pas son tour lorigine de certaines interprtations de Platon.

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    Introduction 17

    Dailleurs, en tant que la pense de Proclus se prsente nous comme une

    thologie rationnelle, cet aspect de saphilosophiedoit entrer de plein droit dans notre

    recherche. Et comme on le verra, des notions aussi importantes pour notre enqute

    que celles dheimarmn, de nature, dordre, de fin, ne se comprennent plus si on lesprive de leur contenu thologique. Et si on peut dire que lessentiel de notre

    recherche concerne les parties traditionnelles de la philosophie que sont la

    physique y compris pour une part la psychologie , et lthique, il faut prciser

    que pour un noplatonicien celles-ci comportent toujours une rfrence au

    thologique. Il ny a l rien dtonnant, puisque nous savons que le systme est

    radicalement moniste et que son principe qui est principe absolu du rel , est le

    Bien identique lUn, quoi toute ralit se ramne sous quelque mode que ce soit.

    Cest dire quon ne trouvera pas chez Proclus une physique au sens o lont pratique

    les prsocratiques ou mme Aristote. Il suffit de lire quelques pages seulement du

    commentaire sur le Time pour sen rendre immdiatement compte 37. La mme

    remarque vaut galement pour lthique. Si Proclus emprunte par ailleurs beaucoup

    lthique aristotlicienne, on chercherait vainement chez lui un expos de mme

    nature. En effet, son thique, que lon doit reconstruire partir de diffrents textes, se

    caractrise essentiellement comme sagesseet sotriologie. Il serait donc fallacieux et

    illusoire de sparer radicalement dans notre analyse un aspect purement

    philosophique dun aspect plutt thologique. Tout est plein de dieux %K'/)

    %CT#. B"Y'38: cet apophtegme, volontiers rpt par Proclus, doit tre pris la lettre,comme signifiant que lunivers proclien est rellement comme satur de dieux. La

    conscience de ce fait conduira donc linterprte moderne prendre avec la prudence

    qui simpose des notions aussi communes que celles de nature (2;67*) ou de loi('=&*) par exemple.

    L e c o r p u s d e s t e x t e s e x a m i n s

    Pour lexamen de la question que nous allons traiter, les textes pertinents sontpour une part disperss dans les grands commentaires principalement celui sur le

    Time et celui sur la Rpublique, pour une autre part, plus importante encore,

    37 Ces deux aspects indissociables sont bien mis en lumire dans A. Lernould,Physique et thologie. Lecture du Time de Platon par Proclus, Villeneuve dAscq(Presses Universitaires du Septentrion), 2001.38Cf. TPIII, p. 98,23 ; El. th. prop. 145, p. 128,20 : "6/N FG %K'/) B"Y'(cf. la notede Dodds, p. 276) ;De dec. dub. 16,9-10 : %K'/) FG "f')7 "6/N gB"Y'h( /&0 B"&0 Is.Seb. ; %CT#.Boese) ; cf. Plat. Leg. X 899b9 : ?6B' i6/7* /)0/) A&C&PY' j%&"'"5

    Q B"Y' "f')7 %CT#. %K'/); cf. encore Plat. Epin. 991d4 : /8 B"Y' "f')7 %K'/) %C-).Dans cet apophtegme, attribu souvent Thals (Arist. De an. I 5, 411a8), Procluscomprend B"&( au sens large, comme embrassant tous les genres suprieurs nous,voire mme les vivants mortels (TPIII, loc. cit.).

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    Introduction18

    contenus dans deux petits opuscules traitant de questions particulires, le De decem

    dubitationibus circa providentiam ( Dix questions concernant la providence) et,

    davantage encore, leDe providentia et fato et eo quod in nobis (Sur la providence, la

    fatalit et ce qui dpend de nous)39

    . De ces deux opuscules, dont le texte original estperdu, nous possdons une traduction latine mdivale due Guillaume de Moerbeke

    et date de 1280 ainsi quun dmarquage byzantin40 de la fin du XI e s. d Isaac

    Sbastocrator41. La traduction latine est trs littrale, le plus souvent ad verbum, et

    souvent pour cette raison de comprhension difficile ; toutefois, nous connaissons par

    ailleurs assez prcisment la technique de traduction de Guillaume grce aux trs

    nombreux travaux que nous avons conservs de lui42. De ce fait, nous avons jug

    utile, et ncessaire, de proposer une rtroversion en grec43 pour tous les textes sur

    lesquels se fonde notre analyse. Le but idal de cet exercice serait videmment de

    retrouver le texte grec perdu de Proclus. Mais il faut tre conscient quune entreprise

    de ce genre ne peut aboutir des certitudes absolues et que le travail philologique

    ralis laisse une certaine place au probable. Nous sommes cependant convaincu

    quen suivant cette voie nous pouvons esprer atteindre une connaissance plus

    prcise du texte. Pour allger quelque peu le texte principal de notre tude, nous

    avons choisi de faire figurer dans un dossier philologique spar les passages

    discuts avec leur contexte. Nous y ajoutons, en notes, tous les commentaires

    proprement philologiques, les justifications et les alternatives possibles. Les textes

    intgrs dans le corps mme de ltude peuvent tre ainsi dbarrasss de leur appareil

    philologique, et nous invitons le lecteur se rfrer constamment au dossier en

    question. En gnral, nous avons tenu traduire les textes que nous citons, parce que

    nous pensons que le sens nest souvent quillusoirement obvie et que tout traduction

    39On se rfre aussi cet opuscule sous le titre Providence, fatalit et libre arbitre.40Sur les caractristiques de ce dmarquage, cf. W. Spoerri (1977), p. 134-136. Pourun dmarquage analogue antrieur, on pourra voir, par exemple, un opuscule deMichel Psellus (XIe s.), dans lequel le Byzantin utilise, souvent littralement, un

    passage du Commentaire sur le De interpretatione dAmmonius (Michaelis Pselli,Philosophica minora, t. II : Opuscula psychologica, theologica, daemonologica, ed.D. J. OMeara, Leipzig, 1989, opusc. 44).41Sur lidentit de ce personnage, le frre an de lempereur Alexis I erComnne ouson troisime fils, cf. D. Isaac, Proclus, Trois tudes sur la Providence, texte tabli ettraduit par D. Isaac, t. I : Dix problmes concernant la Providence, Paris, 1977, p. 23-28 ; W. Spoerri (1977), p. 128 et n. 3 ; M. Erler, Proklos Diadochos, Ueber dieVorsehung, das Schicksal und den freien Willen an Theodoros, den Ingenieur(Mechaniker), nach Vorarbeiten von Theo Borger bersetzt und erlutert von M.Erler, (Beitrge zur klass. Philologie, Heft 121), Meisenheim am Glan, 1980, p. VII,n. 1.42 Cf. la bibliographie donne dans : C. Luna et A.-Ph. Segonds, Proclus,

    Commentaire sur le Parmnidede Platon, t. I, 1re

    partie : Introduction gnrale, Paris,2007, p. CCLXXVI, n. 2.43Cette exigence a dailleurs souvent t souligne, cf., par exemple, L. G. Westerink(1962), p. 190 ; W. Spoerri (1989/1992), p. 735.

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    Introduction 19

    est dj une interprtation. Autrement dit, les citations, quelles soient brves ou

    longues, ne devraient jamais tre une simple illustration du propos, mais faire partie

    intgrante des demonstranda.

    Nous avons en gnral suivi, en guise de fil conducteur, la voie argumentative

    trace par Proclus dans le De providentia. Comme Proclus, dans cet opuscule

    essentiel notre enqute, rpond une srie dobjections de nature dterministe, et

    comme nous nous y rfrerons souvent, nous avons jug bon de commencer par une

    prsentation succincte de la structure de louvrage (chapitre 1). Dans la suite, on

    pourra se rfrer dans chaque cas ce plan de lopuscule pour situer dans leur

    contexte les rponses apportes par Proclus.

    Nous avons aussi utilis et l les textes dautres philosophes

    noplatoniciens, afin de prciser un point ou de mettre en vidence le caractre

    particulier de telle solution proclienne. Ces recours sont circonstanciels et ne relvent

    pas dune tentative desquisser lhistoire systmatique des concepts tudis ici au sein

    du noplatonisme. Il ne sagit pas non plus de rechercher par cette voie une

    originalit, dailleurs problmatique, de la pense de Proclus. En effet, outre que cette

    notion doriginalit nest gure applicable telle quelle lAntiquit en gnral, elle

    contredit lintention fondamentale du Diadoque dans sa recherche de la vrit. Proclus

    veut en effet sinscrire dans une tradition qui remonte Platon et qui comporte,

    surtout partir de Plotin, une srie continue de coryphes dont les uvres et les

    thses sont certes discutes, voire critiques, mais qui forment une sorte de bien

    commun tout le noplatonisme. Le Lycien reconnat dailleurs sa dette lgard de

    ses prdcesseurs ; en effet, il affirme propos des distinctions prjudicielles quil

    juge ncessaire de dvelopper dans le De providentia44, avant daborder les apories :

    kl&;/L'45 FQ /Y' /#7Y' %#&cC.K/L' W')P+)(L' m'/L' +)$ j%8 /Y'%)C)7Y' +)CY* 1:./)6-'L', /8 G' PN# nKcC7S&* 1' /&5* !"#7 %#&'&()* +)$

    ",)#-'.* @#(&7* i6&7* W%"7#PK6)/&, /8 FG %K'/"* &, /&0 !CK/L'&* 1#)6/)$F7//Q' B#@C(C)&0'/"* /Z' R@ST', /8 FG 1' %&CC&5* G' /=%&7* A !CL/5'&*, 1'%&CC&5* FG +)$ A !#7&*, /Q' B"L#()' +)$ /Q' B"L#./7+Q' F;')7'F7L#(6)'/"*, %K'/) FG A !CK/L' /&5* o%"6B)7 F@')-'&7*.h46

    44

    Cf. infra, chapitre 1.45 Pour la signification des signes diacritiques utiliss, cf. plus bas, la fin de cetteintroduction, la liste des Abrviations et sigles utiliss.46 De prov. 5,1-7 Boese.

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    Introduction20

    Ces trois questions pralables47 sont ncessaires [ notre dmonstration] et

    ont t dj bien examines par les Anciens, la premire par Jamblique qui en a trait

    longuement dans ses livres Sur la providence et la fatalit48, la seconde par tous les

    amis de Platon qui ont affirm que lme tait double, la troisime par Plotin et parPorphyre qui, en de nombreux passages, font la distinction entre la contemplation

    [scil. en acte] et la puissance contemplative, toutes [les trois] enfin par Platon, pour

    ceux qui sont capable de le suivre.

    Cela ne veut pas dire que la tradition noplatonicienne soit unanime. La

    conscience dappartenir une mme tradition nempche pas les noplatoniciens de

    soumettre critique ou rvision telle ou telle thse dfendue par un prdcesseur.

    On connat bien le cas, par exemple, de la critique proclienne, reprise de Jamblique,

    de la thse plotinienne selon laquelle lme particulire demeure toujours, dune

    certaine faon, dans lintellect49. On verra encore, plus loin, que la thse de

    limmutabilit essentielle de lme na pas t partage par tous les noplatoniciens

    de la fin de lAntiquit50. Et peut-tre voyons-nous le plus distinctement le caractre

    vivant, port par une critique toujours en veil, de cette tradition noplatonicienne, en

    parcourant les diffrentes tapes de lvolution des exgses des hypothses du

    Parmnidedepuis Plotin, dans lintroduction gnrale de la Thologie platonicienne,

    publie par H. D. Saffrey et L. G. Westerink.51

    47 Il nest peut-tre pas ncessaire dinsister sur la valeur du prfixe ( %#&-) ; cf.lusage de ce terme pour dsigner les quatre questions quil faut poser propos desIdes (In Parm. 784,12-13 Steel).48Sur ce trait De la providence et de la fatalit, cf. J. Dillon, DPhAt. III (2000), art. Iamblichos de Chalcis (I n 3), p. 834 (uvres, n 12) ; il semble bien que cepassage de Proclus soit le seul tmoignage sur ce titre. Cf. aussi J. M. Dillon,Iamblichi Chalcidensis in Platonis dialogos commentariorum fragmenta, Leiden,1973, p. 24. Cf. dj W. Gundel, Beitrge zur Entwickelungsgeschichte der BegriffeAnanke und Heimarmene, Gieen, 1914, p. 60, n. 1 ; cf. Stob. Anth. I 5, 17 et II 8,43-48 (O+ /Z* n)cC(S&@ 1%76/&CZ* %#8*

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    Introduction 21

    Par ailleurs, une grande part des textes de cette tradition est perdue pour nous,

    et Proclus, avec Plotin, forment une exception qui nous semble justifier quon ltudie

    pour lui-mme. Mais, quon ne sy trompe pas, la doctrine de la libert laquelle

    nous parviendrons la fin de cette tude est celle de Proclus ; seule une tudecomparative exhaustive serait mme de montrer les singularits de cette doctrine

    par rapport celle de Plotin, Porphyre, Jamblique, avant lui, ou Hirocls, Damascius,

    Simplicius, aprs lui.

    P o u r q u o i l a l i b e r t c h e z P r o c l u s ?

    Les raisons que lon peut invoquer pour rpondre cette question sont de deux

    ordres, internes et externes. Dune part, les alas de la transmission des textes anciens

    ont permis quune part importante de la production philosophique et exgtique de

    Proclus nous soit parvenue. En particulier, nous possdons un trait entirement

    consacr la discussion des questions qui sont les ntres et qui na pas encore retenu

    toute lattention quil mrite : le De providentia; il faut compter aussi les deux autres

    opuscules, dont les thmes sont lis aux questions relatives la libert : le De decem

    dubitationibus circa providentiamet le De malorum subsistentia.

    A ct de ces raisons quon peut dire externes luvre, les motifs lorigine

    de la prsente recherche rsident dans luvre mme. On peut admettre que toute

    philosophie qui se prsente comme un systme assume au minimum une certaineconception de la libert. Llaboration de cette conception est plus ou moins

    prcise et occupe une place plus ou moins centrale dans le systme. Elle apparat au

    moins comme un prsuppos ncessaire dans la partie du systme traitant de la

    morale et de lagir humain. Mais assez tt dans lhistoire de la philosophie

    occidentale, la libert sest prsente sous la forme dun problme. La philosophie

    stocienne illustre bien ce phnomne : ds lancien stocisme, en particulier chez

    Chrysippe, on assiste un effort vigoureux pour mnager, lintrieur dun systme

    dterministe cohrent, un espace pour notre libert. Mais, aux yeux desplatoniciens, la tentative stocienne de concilier le dterminisme universel et la libert

    humaine a clairement chou. Cet chec ne se mesure videmment pas laune dune

    vrit intemporelle et absolue ce nest pas notre propos de discuter ici de ce

    problme classique de la philosophie antique sous cet angle52, mais seulement par

    rapport sa place dans lhistoire de la philosophie antique et principalement du point

    Dessein et nouveaut de la Thologie platonicienne, t. VI (1997), p. LXXV-

    LXXXII.52Pour lvaluation de la solution stocienne du problme, envisage en elle-mme,louvrage essentiel est celui de S. Bobzien, Determinism and Freedom in StoicPhilosophy, Oxford, 1998.

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    Introduction22

    de vue des philosophes noplatoniciens. En effet, les philosophes grecs de la fin de

    lAntiquit, et cela au moins depuis Plotin pour les noplatoniciens et depuis

    Alexandre dAphrodise pour les pripatticiens, considreront la philosophie

    stocienne, malgr ses protestations anticipes, comme le modle ou le type mme detoute doctrine fataliste-dterministe. Il conviendrait cependant de rserver une place

    particulire au commentaire de Simplicius sur le Manuel dEpictte 53. Comme le

    commentaire sadresse des dbutants54, puisque luvre commente fait

    lducation de lhomme en tant quil a son essence dans lme rationnelle qui se sert

    du corps comme dun instrument55, Simplicius va proposer lauditeur ou au lecteur

    des distinctions fondamentales gnrales concernant laction morale. Par consquent,

    le commentateur noplatonicien retient essentiellement des thses du Manuel les

    affirmations centrales sur ce qui est en notre pouvoir et son contraire, ainsi que sur

    le caractre dautodtermination de la prohairesis (facult de choix) 56 ; mais il ne

    replace jamais ces questions thiques dans le contexte de la physique stocienne o la

    notion dheimarmn risquerait den transformer le sens au point de rendre la

    doctrine inacceptable pour un noplatonicien. Et, quand il aborde la question du

    dterminisme sous la forme de la ngation de lexistence de ce qui dpend de nous, le

    commentateur prsente les arguments comme des objections venant dailleurs57.

    La philosophie proclienne admet par contre explicitement que la libert est au

    principe de la philosophie. Elle est en effet la condition mme de possibilit de toute

    philosophie. Dans la conclusion de son opuscule consacr prcisment au problme

    du rapport entre la providence, la fatalit et la libert, Proclus expose cette exigence,

    dont il rapporte la formulation son matre Syrianus :

    kt> PN# &f6B) +)$ /8' 18' +)B.P"=') C-P&'/) %&CCK+7* i/7u /8 12 45' W')7#"BG' %"#7//Q' W%&2)('"7 /Q' 27C&6&2()' /( PN# %)7F";6"7, .F"'8* m'/&*

    53 Compos peut-tre Harran ( Carrhae, la frontire de lempire byzantin et delempire sassanide) aprs 532 (cf. I. Hadot [2001], p. XXXIV) ; sur lhypothse deHarran et les critiques quelle a suscites, cf. Ph. Hoffmann, dans DPhAt. II (1994),art. Damascius , p. 562-563.54 Cf. Simpl. In Ench. Prooem. 72-104 (I. Hadot [2001]) ; cf. en particulierlexpression : &, %#8* C=P&@* W6@'.B-6/"#&7 (76 ceux qui sont peu habitus auxtextes) et la notice de I. Hadot, ibid. p. XCII-XCVII.55 Simpl. In Ench. Prooem. 35-36 (I. Hadot [2001]) : !)7F";"7 FG /8' U'B#L%&' v*+)/N R@SQ' C&P7+Q' &967L-'&' /Q' /p 6E)/7 S#L-'.' v* D#PK'q.56Nous proposons, en attendant mieux, cette traduction. Dans le premier tome de satraduction, I. Hadot retient choix dlibr et facult de choix dlibr (I. Hadot[2001],passim).57

    Simpl. In Ench. I 222-310 (I. Hadot [2001]). Largument fataliste ou mmencessitariste qui sappuie sur laction de lheimarmn agissant comme une cause()e/()) sur nos dsirs, nos jugements et nos choix, vise directement une formeradicale dastrologie (ibid. 293-308).

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    Introduction 23

    /&0 %)7F"@&-'&@; !Y* FG ?6/)7 /7 %)7F"@="'&', Q m'/&* 12 45' /&0 P"'-6B)7+)CC(&67;58

    En effet, tu59

    le sais bien, mon matre60

    aussi disait souvent que lasuppression de ce qui dpend de nous rendait superflue la philosophie.

    Quenseignera-t-elle, sil nexiste rien qui puisse tre enseign ? Et comment y aura-

    t-il quelque chose qui soit enseign, sil ne dpend pas de nous de devenir

    meilleurs61?

    Ainsi donc, la question de la libert se prsente comme fondamentale, au sens

    propre, pour la philosophie et lacte mme de philosopher. Cependant, dans luvre

    conserve de Proclus, pourtant volumineuse, les textes traitant directement de notre

    problme ne sont pas trs nombreux. Une seule uvre comporte dans son titre mme

    un terme qui renvoie la notion de libert. Il sagit du texte qui vient dtre cit, dont

    lintitul complet, conserv dans la traduction latine de Guillaume de Moerbeke se

    prsente ainsi : De providentia et fato et eo quod in nobis ad Theodorum mechanicum

    (!"#$ %#&'&()* +)$ k",)#-'.* +)$ /&0 123 45' %#8* w"=FL#&' /8' .S)'7+='u).Pour mener bien la recherche qui fait lobjet de ce travail, lanalyse et

    linterprtation de certains chapitres de cet opuscule seront indispensables. Mais, la

    structure mme de cet ouvrage, dpendant troitement des circonstances particulires

    de sa rdaction, fait que les passages traitant de la fatalit et de la libert se trouvent

    dissmins dans les soixante-six paragraphes qui le composent. Devant rpondre aux

    apories relatives laffirmation de lexistence dun libre arbitre, Proclus est amen

    aborder la question de la libert dans son rapport avec la vie mondaine, ce qui

    conduit naturellement le Lycien traiter aussi de la fatalit. Mais comme la fatalit

    nest pas un principe ultime ou indpendant, lexamen de la question devra porter

    aussi sur la providence divine. Ainsi, lopuscule contient dans son titre mme les trois

    termes et concepts centraux de la discussion : 4 %#='&7), 4 ",)#-'., /&x 123 45'.

    58 De prov. 66,6-9 Boese.59 Il sagit dun certain Thodore, ingnieur, le ddicataire de lopuscule, dont onreparlera dans le chapitre 2.60 A 18* +)B.P"E'/ A 4-/"#&* +)B.P"E'/ A +)B.P"y' 4Y'sont les formuleshabituelles, chez Proclus, pour dsigner son matre Athnes, Syrianus, dont le nompropre napparat jamais; cf. e. g. In Parm. 944,14 Steel ; TPI 49,19 ; 2,14.61 On pense ici au souci pdagogique constant de Socrate de rendre moralement

    meilleur au sens de conduire la vertu (c"C/(&@* %&7"5' ou W%"#PKz"6B)7 /c"C/(&@* P(P'"6B)7) ses disciples, ses concitoyens, etc. Cf. e. g. Gorg. 501e11(c"C/(&@* P(P'&7'/&) ; ibid. 515d5 ; Resp. X 599d5 (c"C/(&@* ... W'B#E%&@* %&7"5) ;600c3-4 (%)7F";"7' W'B#E%&@* +)$ c"C/(&@* W%"#PKz"6B)7), etc.

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    Introduction24

    D i v i s i o n d e l a p r s e n t e t u d e

    Le travail qui suit se divisera en cinq parties principales. Aprs une

    prsentation de lopuscule de Proclus intitul De providentia et fato et eo quod est in

    nobis, et lexpos de la thse dterministe de linterlocuteur du Lycien (chapitrepremier), le chapitre deuximeprsentera une srie de textes dfinissant les positions

    principales concernant les notions de contingence et de ncessit dans la tradition

    platonicienne et chez Alexandre dAphrodise. Le chapitre troisimetraitera du monde

    sensible, dans lequel lme individuelle descend rgulirement pour sy perdre ou au

    contraire pour en illuminer lobscurit matrielle62. Il ne traitera pas du monde pour

    lui-mme et sous tous ses aspects. Cest plutt la prsence en son sein de lme

    humaine qui sera prise en compte dans cette tude. Or, le sensible est rgi par

    certaines lois qui lui sont propres, de nature physique et thologique, et que lesanciens, surtout partir du stocisme, runissent sous lappellation d",)#-'.. Lestraductions habituelles, destin, fatalit, fatum (avec ou sans majuscule), par les

    connotations quelles entranent, risquent den fausser lexamen. En consquence,

    nous nous rsignerons souvent employer dans ce travail la simple transcription du

    terme grec (heimarmn) ; et si nous parlons de fatalit, nous invitons le lecteur

    ny voir quun terme commode, dont la valeur smantique se prcisera au fil de

    lenqute. Dans la mesure o le monde changeant du devenir occupe un rang

    ontologique propre, qui le distingue prcisment de limmutabilit du monde

    intelligible, nous nous rfrerons lexamen conduit pralablement sur le caractre de

    variabilit du monde de lagnsis63sous le concept de contingent ( 1'F"S="'&').Les chapitres quatre etcinq sattacheront prciser la place et la fonction de

    lme humaine dans le systme, par lanalyse de son double rapport amphibie64,

    avec le monde intelligible et avec le sensible. Dans le sixime et dernier chapitre,

    nous discuterons, en fonction des rsultats acquis, de la porte et du sens de ce quon

    peut dj appeler, au moins intuitivement, la libert de lhomme. Dans llaboration

    de ce chapitre, nous utilisons plusieurs textes de Proclus, mais en particulier la partie

    du Commentaire sur la Rpublique traitant du mythe dEr. Proclus y rencontre en

    62 Pour la mtaphore traditionnelle de lobscurit ou des tnbres de la matire, cf.Procl. In Remp. II 76,16 (4 6+&/EF.* `C.) ; 157,4 (/8 jCYF"* +)$ 6+&/"7'=') ;183,18 (6+&/"7'Q `C.) ; In Alc. 34,3 (/8 6+&/"7'8' /Z* `C.*) ; 53,17 (/8 6+=/&* /Z*`C.*; In Parm. 862,9 Steel (/8 /Z* `C.* 6+&/YF"*), etc.63 A la suite de Festugire, nous adoptons ce calque du grec pour dsigner ou lacration sublunaire par opposition aux astres, ou tout le cr sensible par opposition lintelligible (A. J. Festugire, Proclus, Commentaire sur le Time, t. I [1966], p. 44,n. 3) ; soulignons que la notion de devenirest essentielle la gnsis.64

    Pour le qualificatif d W2(c7&* appliqu lme humaine, cf. e. g. Plot. Enn. IV 8.4,32; Hierocl. In Carm. aur. XXIII 2,6 (Khler) ; Dam. In Phaed. I, 340,6 et II, 143,4(vol. II Westerink). Cf. le volume collectif Etudes Platoniciennes III, Lmeamphibie. Etudes sur lme selon Plotin , Paris, 2006.

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    Introduction 25

    effet le problme platonicien du choix des types de vies (c(&7) opr par les mesavant leur descente dans le corps. Ce problme spcifique sinscrit dans une

    perspective eschatologique typiquement platonicienne. Nous verrons que les

    questions qui se posent ici Proclus recoupent en partie celles dj discutes dans lesdeux chapitres prcdents, mais avec un point de vue diffrent. Enfin, dans la

    conclusion, nous montrerons en quoi les questions discutes dans les chapitres

    prcdents se compltent et sunifient, mais aussi en quoi elles portent la marque de

    leur origine diffrente.

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    Introduction26

    A b r v i a t i o n s e t s i g l e s u t i l i s s

    En gnral, pour renvoyer aux textes des auteurs anciens, nous utiliserons les

    abrviations latines figurant dans le Greek-English Lexiconde Liddell-Scott-Jones ;

    dans quelques cas, nous avons adopt dautres formes, dans le seul but de rendre

    labrviation plus immdiatement transparente.

    (a) Pour les ouvrages de Proclus, nous adoptons les abrviations suivantes :

    De dec. dub.= De decem dubitationibus circa providentiam

    De prov. = De providentia et fato et eo quod in nobis

    De mal. = De malorum subsistentia

    In Tim. = In Platonis Timaeum commentarii

    In Remp. = In Platonis Rempublicam commentarii

    In Parm. = In Platonis Parmenidem commentarii

    El. th. = Elementatio theologica (= Institutio theologica)

    In Eucl. = In primum Euclidis Elementorum librum commentariiIn Alc. = In Platonis Alcibiadem commentarius

    TP= Theologia Platonica

    In Crat. = In Platonis Cratylum commentaria

    De mag. = De sacrificio et magia( !"#$ /Z* ,"#)/7+Z* /-S'.*)

    (b) Autres abrviations courantes :

    ACA= Ancient Commentators on Aristotle, London (Duckworth), General editor : R.

    Sorabji (en cours de publication).

    ANRW= Aufstieg und Niedergang der rmischen Welt, hrsg. von H. Temporini und

    W. Haase, Berlin.

    Aristoteles-Lexikon= O. Hffe (Hrsg.), Aristoteles-Lexikon, Stuttgart, 2005.

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    Introduction 27

    Barnes (ed.), Complete Works of Aristoteles= J. Barnes (ed.), The Complete Works

    of Aristoteles, The revised Oxford translation, ed. by J. B., Princeton, 2 vol.,

    1984.

    Blass-Debrunner, Grammatik = Fr. Blass, A. Debrunner, Grammatik des

    neutestamentlichen Griechisch, bearbeitet von Fr. Rehkopf, Gttingen,

    199017.

    Bonitz, Index Aristotelicus = H. Bonitz, Index Aristotelicus, (Aristotelis Opera, ex

    recensione I. Bekkeri, edidit Academia regia Borussicae, ed. altera quam

    curavit O. Gigon, Vol. V), Berolini, 19612[1870 1].

    CAG= Commentaria in Aristotelem Graeca. Berlin, 1882-1909.

    CUF = Collection des Universits de France, publie sous le patronage de

    lAssociation Guillaume Bud, Paris, Les Belles Lettres.

    Denniston = J. D. Denniston, The Greek Particles, Oxford, 19542.

    des Places, Platon, Lexique (1964) = E. des Places, Lexique de la langue

    philosophique et religieuse de Platon, [= Platon. Oeuvres compltes, CUF, t.XIV 1 et 2], 2 vol., Paris, 1964.

    DPhA= Dictionnaire des philosophes antiques, publi sous la direction de R. Goulet,

    Paris, t. I Abam(m)on Axiotha (1989) ; t. II Bablyca dArgos Dyscolius

    (1994) ; t. III dEcclos Juvenal (2000) ; t. IV de Labeo Ovidius (2005).

    DPhASuppl. = Dictionnaire des philosophes antiques, publi sous la direction de R.

    Goulet, Supplment prpar par R. Goulet avec la collaboration de J.-M.Flamand et M. Aouad, Paris, 2003.

    Festugire, RHT = Festugire, A. J., (1944-1954) La Rvlation dHerms

    Trismgiste, 4 vol., Paris, 1944-1954. [I : 1944 (19502) ; II : Le Dieu

    Cosmique , 1949 ; III : 1953 ; IV : Le Dieu Inconnu et la Gnose , 1954.]

    (Rimprim en 3 vol., Paris, 1981).

    Khner-Blass = R. Khner, Ausfrliche Grammatik der griechischen Sprache,

    Hannover / Leipzig, Teil I (Elementar- und Formenlehre, in neuer

    Bearbeitung besorgt von F. Blass) 18923.

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    Introduction28

    Khner-Gerth = R. Khner und B. Gerth, Ausfrliche Grammatik der griechischen

    Sprache, Hannover / Leipzig, Teil II (Satzlehre) 1898-19043. [Rimpr.

    Darmstadt, 1963.]

    Lampe = A Patristic Greek Lexicon, ed. by G. W. H. Lampe, Oxford, 1969.

    Lexicon Plotinianum= J. H. Sleeman () and G. Pollet, Lexicon Plotinianum, Leiden

    / Louvain, 1980.

    LSJ = Liddell-Scott-Jones, A Greek-English Lexicon, Oxford, 19409, with a

    Supplement (1968). [Nouveau supplment, Oxford, 1996]).

    RAC= Reallexikon fr Antike und Christentum.

    RE = Pauly-Wissowa-Kroll, Paulys Realencyclopdie der classischen

    Altertumswissenschaft, Stuttgart, 1893-.

    SC= Collection des Sources chrtiennes , dite aux Editions du Cerf, Paris.

    SVF = Stoicorum veterum fragmenta, d. H. von Arnim, 4 vol., Leipzig, 1905 (t. I),

    1903 (t. II-III ), 1924 (t. IV indices par M. Adler). [Rimpr. Stuttgart, 1978-1979.]

    E x p l i c a t i o n d e s s i g n e s u t i l i s s d a n s l e s t r a d u c t i o n s

    [ ] : indique que le mot ou lexpression sont ajouts dans la traduction pour la clart et

    ne correspondent aucun mot ou expression du texte grec (ou du texte latin).

    ( ) : introduit ou une explication du traducteur (prcd alors de scil.), ou une

    parenthse du texte lui-mme.

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    Introduction 29

    E x p l i c a t i o n d e s s i g n e s d i a c r i t i q u e s u t i l i s s d a n s l e t e x t e g r e c d e s T r i a

    o p u s c u l a

    p a r r a p p o r t a u t e x t e d I s a a c S b a s t o c r a t o r )

    k u : dlimite les passages retraduits en grec (rtroversion), pour lesquels nous ne

    possdons que le latin de Guillaume.

    < > : marque lintroduction dun mot ou dune expression sans quivalent chez

    Guillaume, en gnral emprunt Isaac Sbastocrator (le dtail est alors expliqu

    dans les notes).

    ( ) : quand la parenthse ne porte que sur un mot ou un prfixe, elle indique, dans lesparties restitues, que le mot ou le prfixe napparat pas comme ncessaire, mais est

    seulement possible.

    (?) : indique que le mot restitu qui prcde est hypothtique (en gnral une note

    prcise le degr dincertitude et donne les variantes possibles).

    Rem. Lorsque le grec dIsaac Sbastocrator prsente une structure de phrase

    diffrente de celle que le latin de Guillaume prsuppose, nous lavons indiqu en

    notes seulement si le sens de la phrase pouvait en tre affect ou sil y avait un doute

    raisonnable sur la conformit (hypothtique) de la restitution que nous proposons

    avec le texte grec de Proclus.

    E x p l i c a t i o n d e s r f r e n c e s a b r g e s u t i l i s e s d a n s l e s n o t e s s u r l e t e x t e

    g r e c d e s

    Tria opuscula

    Is. (ou Is. Seb.) = Isaac Sebastocrator. Ldition utilise pour le texte grec dIsaac

    Sebastocrator correspondant aux trois opuscules de Proclus est, sauf indication

    contraire, celle de D. Isaac, dite aux Belles Lettres (cf. ci-dessous).

    G. = Guillaume de Moerbeke. Ldition du texte latin utilise est en gnral celle de

    Boese (ci-dessous) ; plus rarement nous nous rfrons ldition des Tria opusculade

    D. Isaac (ci-dessous).

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