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.. COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE (C.B. B.) COMMUNAUTÉ EUROPÉENNE DU CHARBON ET DE L'ACIER (C.B. C.A.) COMMUNAUTÉ EUROPÉENNE DE L'ÉNERGIE ATOMIQUE (EURATOM) Conférence européenne Progrès technique et Marché commun Perspectives économiques et sociales de l'application des nouvelles techniques VOLUME Il Bruxelles, Palais des Congrès 5-10 décembre 1960

Progrès technique et Marché commun

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    COMMUNAUT CONOMIQUE EUROPENNE (C.B. B.)

    COMMUNAUT EUROPENNE DU CHARBON ET DE L'ACIER (C.B. C.A.)

    COMMUNAUT EUROPENNE DE L'NERGIE ATOMIQUE (EURATOM)

    Confrence europenne

    Progrs technique et March commun

    Perspectives conomiques et sociales de l'application des nouvelles techniques

    VOLUME Il

    Bruxelles, Palais des Congrs

    5-10 dcembre 1960

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  • COMMUNAUT CONOMIQUE EUROPENNE (C.B. E.)

    COMMUNAUT EUROPENNE DU CHARBON ET DE L'ACIER (C.B. C.A.)

    COMMUNAUT EUROPENNE DE L'NERGIE ATOMIQUE (EURATOM)

    Confrence europenne

    Progrs technique et March commun

    Perspectives conomiques et sociales de l'application des nouvelles techniques

    VOLUME ll

    Bruxelles, Palais des Congrs

    5-10 dcembre 1960

  • Volume II

  • Sommaire

    Rapports et conclusions des groupes de travail

    Secteur industrie

    Rapport du groupe de travail industrie

    Rapport de la section industrie sidrurgique . Conclusions de la section industrie sidrurgique

    Rapport de la section industrie mcanique Conclusions de la section industrie mcanique

    Rapport de la section industrie du btiment .

    Conclusions de la section industrie du btiment

    Rapport de la section industrie lectrotechnique Conclusions de la section industrie lectrotechnique

    Rapport de la section mines de houille . Conclusions de la section mines de houille

    Rapport de la section industrie textile >>

    Conclusions de la section industrie textile

    Conclusions gnrales du groupe de travail industrie

    Secteur administration

    Rapport du groupe de travail administration

    Conclusions du groupe de travail administration

    Pages

    13

    71 93

    109

    139

    141

    181

    183

    206

    209

    235

    239 262

    263

    277

    329

    7

  • Secteur transports

    Rapport du groupe de travail transports

    Rapport de la section chemins de fer

    Rapport de la section transports routiers

    Rapport de la section voies navigables

    Rapport de la section transports ariens

    Rapport de la section navigation maritime

    Conclusions de groupe de travail transports

    Discours prononcs la sance de clture

    Discours de M. Giuseppe Caron, vice-prsident de la Commission de la

    Pages

    333

    361

    409

    457

    507

    633

    671

    Communaut conomique europenne . 683

    Expos de synthse prsent par M. Paul Pinet, membre de la Haute Autorit de la Communaut europenne du charbon et de 1 'acier . 687

    Discours du professeur E. Medi, vice-prsident de la Communaut europenne de l'nergie atomique . 695

    Tables nominatives

    Table nominative des rapporteurs et co-rapporteurs 705

    Table nominative des secrtaires 710

    Table nominative des participants 711

    8

  • Rapports et conclusions des groupes de travail

    (Les noms du rapporteur et des co-rapporteurs sont mentionns au dbut de chaque rapport; une liste complte de leurs noms, avec indication de leur fonction, figure la fin du prsent volume. Le contenu des rapports engage la seule responsabilit des per-sonnes qui les ont rdigs et les opinions exprimes dans ces textes ne doivent pas nces-sairement reflter l'opinion des excutifs des trois Communauts europennes. Les conclu-sions reprsentent les rsultats des discussions qui ont eu lieu au sein des diffrents groupes de travail.)

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  • SECTEUR INDUSTRIE

  • INDUSTRIE

    PREMIRE PARTIE

    CONSIDRATIONS

    SUR LES ASPECTS DU PROGRS TECHNIQUE

    par M. Chalvet (t)

    On parJe volontiers du progrs technique, ne serait-ce que pour tenter d'en dgager les consquences. Quelque supputation que l'on dsire faire ce sujet, le moins est de savoir, au dpart, comment il se prsente et ce qui le caractrise. Peut-tre ne s'y astreint-on pas toujours assez. Il nous faut tcher de ne pas encourir la mme observation.

    La technique est, par dfinition mme, l'ensemble des procds appliqus dans l'exercice d'un mtier. Elle ne peut donc progresser que par l'amlioration de ceux-ci; cela implique, d'une part, la rationalisation du travail, d'autre part, la recherche de mthodes nouvelles, l'une et l'autre permettant d'accrotre l'efficacit, c'est--dire la productivit.

    L'homme, ce roseau pensant >>, a toujours, comme tel, accompli son labeur en se guidant d'aprs sa raison, afin d'excuter le meilleur mouvement, d'accomplir le geste le plus efficace. S'il n'y tait pas arriv, il n'aurait pas pu survivre. Le plus habile est celui qui sait le mieux utiliser ses membres, mens par la rflexion. C'est l'essence mme de la rationalisation du travail que cette recherche en vue de la productivit optimum lie un emploi judicieux des forces humaines.

    (1) Au cours de la prparation, M. Chalvet a t remplac, pour des raisons de sant, par M. Hijmans. Ceci a eu comme consquence qu'il n'a pas t possible d'laborer un rappon commun. Cinq rappons spars ont t rdigs; chaque auteur prend la responsabilit de son rapport.

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  • La question d'une saine conomie du travail humain ne se pose pas diffremment pour l'artisan uvrant seul et pour l'ouvrier d'usine oprant en quipe, sur le plan indi-viduel s'entend. Trs longtemps, l'affaire s'est traite par les conseils des anciens, lorsqu'ils voulaient bien en donner, ou par les prceptes des moniteurs, instructeurs ou contre-matres, les uns et les autres inspirs de l'exprience.

    Le chronomtrage qui tint un moment la grande vedette a, comme les mthodes prcdentes, l'inconvnient de faire intervenir le subjectif. En faisant cette observation, nous n'entendons pas nier son intrt, mais seulement faire ressortir qu'il a ses limites; on les a quelquefois dpasses, c'est certain. Une observation de mme nature vaut pour le travail simultan des deux mains, prn pour les oprations de montage notamment; on en a parl jusqu' satit lors des missions de productivit aux U.S.A. vers 1947.

    Plus rcemment, des procds plus scientifiques ont vu le jour; ils ont t exploits en France notamment, o les pionniers s'y sont attachs. Ils sont bass sur la mesure pizo-lectrique des efforts musculaires, sur celle de la consommation d'oxygne, sur l'enregistrement des pulsations du cur, etc., quoi il faut ajouter l'tude cinmatogra-phique, au ralenti, des gestes ou, toujours pour ceux-ci, la critique de photographies donnant leur spectre. On peut s'tonner que ces procds n'aient pas eu plus de retentisse-ment jusqu ' prsent.

    On s'est davantage attach l'organisation du travail sur le plan collectif de l'atelier ou de l'usine. Nous nous bornerons souligner combien le mtier est dlicat, et combien une bonne connaissance des techniques organiser nous parat indispensable la base. Il y a certainement beaucoup faire pour un problme aux si nombreuses imbri-cations, dans lequel le coup d'il, l'tude raisonne des fonctions, de leur rpartition et de leur articulation jouent un rle incontestable. Sans doute les machines lectroniques pourraient-elles apporter un prcieux concours pour la recherche des meilleures solutions

    Le geste ne saurait tre dissoci de l'outil qu'il anime, et ce dernier doit tre bon, cela va de soi; prcisons mme qu'il devrait tre le meilleur en vue des :fins recherches.

    L'amlioration de l'outillage a toujours t poursuivie. L'observation joue l un rle de premier plan; mais elle ne saurait suffire. Ainsi, nous avons appris rcemment qu'un des services les plus signals rendus aux Afghans par un expert suisse de l'O. N. U. tait de leur avoir rvl la faux, cinq fois plus efficiente que la faucille, seule connue de ces paysans montagnards jusqu' ces dernires annes.

    L'exemple prcdent montre suffisamment le rle, en la matire, de l'imagination, moteur rel de la cration. Elle ne saurait se passer de l'exprimentation, bien sr, mais elle modifie son terrain du tout au tout. On se souvient peut-tre que Taylor poursuivit durant 27 ans (1880-1907) ses recherches sur les outils de coupe en acier rapide. Une dizaine d'annes aprs, le carbure de tungstne apportait une solution nouvelle correspondant un bond en avant, suivi voici environ un lustre par l'apparition des outils en cramique donnant l'occasion d'un nouveau saut. Il apparat bien par l que la recherche est continue, la dcouverte apportant une discontinuit. C'est au moins un des aspects d'une question infiniment complexe.

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  • A vrai dire, notre argumentation nous a aiguills de l'outillage main propre l'arti-sanat sur l'outillage des machines propre l'industrie. Mais, compte tenu de ce qu'ils sont dissemblables, la diffrence concernant leur meilleure adaptation est quantitative plus que qualitative. La machine, si diverse, a fait prolifrer l'outillage dans une pro-portion inimaginable auparavant. Et cela est vrai pour toutes les activits humaines.

    De son ct la machine a simplement chang la nature des gestes de l'ouvrier au travail. Au geste-manuvre, ou geste-force, toujours pnible, elle substitue le geste-ordre, lequel commande l'action et ne ncessite pas d'effort apprciable.

    Il est vrai que l'on tend souvent alors transformer l'oprateur en homme-orchestre. C'est une grave erreur. L'tude des meilleures dispositions adopter pour obtenir une machine facile conduire, aise manier, est encore inscrire au compte de la rationalisation du travail. Elle n'est pas toujours mene avec tout le soin dsirable.

    Il est vrai, quelques-uns de nos exemples l'ont bien montr que cette rationalisation profite elle-mme des progrs techniques :ses ambitions sont cependant d'un autre ordre.

    En fait, le propre du progrs technique est non seulement de modifier les mthodes de travail, au point trs souvent de leur en substituer d'autres, mais d'en faire natre de nouvelles, en trs grand nombre, dans des domaines nouveaux eux-mmes.

    Parmi les progrs techniques les plus saillants de l'antiquit figurent la dcouverte de la roue, la capture du feu, la domestication des animaux; chacune eut pour cons-quence l'introduction de procds de travail plus fconds que leurs devanciers.

    Le feu notamment permit un certain faonnage des mtaux pour une excution des outils plus conomique que ne l'autorisait la pierre des poques palolithique et no-lithique. Les progrs de la mtallurgie et, par suite, de 1 'ensemble des industries sont, de nos jours encore, lis la naissance de fours temprature toujours plus leve.

    Aux poques ci-dessus voques, et dans l'Antiquit plus proche, la civilisation tait agricole. Nos anctres utilisaient dj des machines de culture. Ainsi les Gaulois poss-daient des machines moissonner et les Egyptiens, des machines battre le bl.

    Mais un fait tonnant, dans une certaine mesure, rside dans 1 'tat fort avanc auquel tait parvenue la technique de construction.

    Attest par les grandes pyramides d 'Egypte, vieilles de 40 sicles et par les cathdrales du Moyen-Age il demeure droutant, compte tenu des moyens rudimentaires de manu-tention dont on disposait. Il est vrai que le prix du facteur temps tait infiniment moindre qu'aujourd'hui.

    Une autre tape dcisive fut la dcouverte de la machine vapeur (1774). Elle intro-duisit vraiment le travail des mtaux, lequel ne se pratiquait pas tellement avant, limit qu'il tait au faonnage des petites pices. Elle fit naitre aussitt, et du mme coup, l'industrie au sens o nous l'entendons aujourd'hui, ceci l'ore du XIXe sicle.

    Depuis le rythme du progrs technique s'est poursuivi crescendo. On prtend souvent qu'il est exponentiel; c'est une image sans doute, mais elle mrite d'tre retenue.

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  • Il est certain que les techniques avaient progress une allure relativement lente jusque vers 1800. Chaque gnration vivait, comme la prcdente, et mme comme plu-sieurs d'avant, se dplaant relativement peu et une vitesse trs modre, de l'ordre d'une lieue par beure. Il n'en est plus de mme depuis un sicle et demi, dont le troisime tiers apporta tant de nouveauts, notamment 1 'apparition et le prodigieux essor de 1 'avia-tion, les fuses et les voyages stratosphriques, la radioactivit, 1 'nergie nuclaire, la radiotlgraphie, la radiotlphonie, la tlvision aprs le cinmatographe, les machines lectroniques. L'numration se borne aux grandes ttes de chapitre.

    Pourquoi en va-t-il ainsi? Parce que l'homme, devenu matre de l'nergie par la machine vapeur, a augment prodigieusement son faible pouvoir. Pour le marquer davantage, il cre rgulirement des moteurs nouveaux, de plus en plus puissants, rapides et commodes : machines lectriques, moteurs combustion interne, moteurs explosion, racteurs, moteurs nuclaires. La bombe atomique, hlas, fut le couronnement specta-culaire de cette domination, laquelle ainsi ne se rvle pas sans danger.

    Telle est la raison d'une acclration qui se veut rvolutionnaire. Mais cet essor fut possible seulement parce que la science avait fourni, au XVIIIe sicle notamment, et continuait fournir des bases solides. Citons quelques noms parmi les plus illustres : Galile, Kepler, Torricelli, Pascal, Descartes, Newton, Priestley, Lavoisier, etc. La plupart d'entre eux taient aussi des praticiens : constructeurs et exprimentateurs.

    Il faut faire une place part Lonard de Vinci dont la rputation d'artiste a sur-class celle de savant et d'ingnieur.

    Car l'ingnieur a exist et ceci ds le Moyen Age. Voici ce que l'on en a excellemment dit Personnage officiel, comme le mdecin ou 1 'astronome, souvent confondu avec lui en un mme individu, 1 'ingnieur est entretenu par le Prince pour les besoins de son gouvernement. Il construit des canaux et des cluses, dtourne les rivires, lve des fortifications, imagine des machines de toutes sortes. Nous prcisons : machines de mines, moulins, machines de guerre, les unes et les autres employaient des mcanismes, de 1 'hydraulique, voire de la vapeur et de la pneumatique. On sait que Lonard de Vinci, pour en revenir lui, a dessin des machines tailler les vis et des machines volantes.

    Et cette dernire constatation situe bien la nature des cueils sur lesquels on butait.

    Convaincu, depuis la suppression du servage, que 1 'exprience seule pouvait faire progresser la science, le savant devait le plus souvent tre galement bon praticien pour construire lui-mme ses appareils qu'il aurait t bien en peine de faire excuter par d'autres. Or, l'outillage tait fruste. De ce fait mme, ]es techniques de construction taient assez rudimentaires; l'ingniosit et l'adresse y supplaient.

    Et l'on aperoit bien le cercle vicieux : le savant souffrait de l'insuffisance des tech-niques; de son ct, l'tat des techniques ne leur permettait pas de profiter des apports de la science. La meilleure preuve se trouve dans les efforts de James Watt, tendus sur dix ans, pour 1raliser la premire machine vapeur conomique : il manquait cet ingnieur la machine-outil permettant de forer le cylindre avec une prcision suffisante pour viter les fuites.

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  • Ainsi la technique apparat comme tant la science applique et le prolongement de la science pure. Elle ne saurait progresser par l'empirisme, qui l'enlise dangereusement. Il n'est pas inutile de clamer cette vrit aux quatre vents car on ne l'a pas toujours compris dans certains milieux industriels.

    De leur ct, les savants ont pu trop ddaigner la technique laquelle ils doivent cependant leur merveilleuse instrumentation moderne.

    Fort heureusement, un revirement s'est produit. Le dveloppement prodigieux de l'lectronique et celui de l'nergie atomique n'y sont pas trangers. Il apporte une dmonstration clatante des liens de dpendance troite sur lesquels nous avons insist.

    L'imbrication paratra mieux encore si 1 'on cherche les objectifs du progrs technique. En quoi consiste-t-il donc ? Essentiellement en une amlioration constante de la produc-tion ou de la fabrication des biens ncessaires 1 'homme pour mieux vivre. Son caractre propre est d'tre continu, avec des priodes de croissance plus rapide videmment.

    On distingue gnralement les biens d'quipement et les biens de consommation : les premiers servent faire les seconds qui seuls intressent chacun de nous dans son conomie domestique. La distinction est trs commode et doit tre conserve; nous l'affirmons pour avoir quelquefois entendu contester sa vaJidit; du fait qu'un bien comme l'automobile, par exemple, est la fois bien d'quipement, sous la forme vhicules utili-taires notamment et bien de consommation, sous la forme voitures de tourisme. Nous pensons cependant utile de la maintenir en raison du caractre diffrent que revt la production des deux espces.

    C'est avant tout pour augmenter le nombre de ces biens que l'homme s'est tant dplac sur le globe cherchant accrotre les moyens et facilits de transport.

    Ds 1 'antiquit, les Phniciens naviguaient en cabotage dans la Mditerrane, aux mmes fins, lesquelles conduisent aux changes - quand ce n'est pas la guerre ou 1 'invasion. De mme faisaient les grands navigateurs de la fin du Moyen Age, en cherchant l'ouest la route des Indes ou en doublant le cap de Bonne Esprance, utilisant alors pour s'loigner des ctes les vertus de la boussole que le grand navigateur Marco Polo, ou un de ses mules, avait ramene de la Chine. L'installation de comptoirs au loin, les conqutes coloniales elles-mmes procdaient dans une large mesure, des mmes vises.

    Mais les aspirations de 1 'homme ne sont jamais simples. Elles comportent notam-ment le dsir de se surpasser et de se survivre par la prouesse. Ainsi s'accomplissent ce que l'on pourrait appeler des exploits gratuits, le bnfice tant surtout un accroisse-ment de la connaissance; de l procdent les explorations polaires, la conqute des cimes inaccessibles et la sploiogie, pour nous arrter quelques cas des plus typiques.

    Seul le progrs technique permet cette marche en avant en perfectionnant les quipe-ments et en en crant de nouveaux.

    Le but du progrs technique apparat ainsi des plus clairs. Il est de produire des objets de plus en plus nombreux et de plus en plus diversifis, de les faire aussi toujours mieux et meilleur compte. Il exige des recherches journalires en vue de rduire volume et poids des appareils, tout en assurant une facilit de mise en uvre, de service et d'entre-

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  • tien, allie l'efficacit et la scurit de marche ou d'emploi; ceci aussi bien dans les usines ou sur les chantiers, que dans les laboratoires ou dans le milieu domestique; les conditions sont plus impratives pour les deux premiers, par suite des pertes plus impor-tantes que cause tout incident de fonctionnement.

    Cherchons dterminer les aspirations du progrs technique.

    La premire rside dans une meilleure connaissance des proprits de la matire, pour la mieux utiliser.

    Au nombre des proprits viennent, en premier lieu, les caractristiques physiques et chimiques, dont la rsistance et la tnacit, l'action de la temprature entre, au bas mot, moins cinquante degrs de froid et plusieurs centaines de degrs centigrades de chaleur, l'influence de l'ambiance terrestre, le comportement vis--vis des autres corps.

    Ce sont l ce que l'on peut appeler des caractristiques statiques, en ce sens qu'elles s'intressent avant tout au rsultat final. On les considrait seules jadis. De nos jours, l'on tient de plus en plus connatre les caractristiques dynamiques, celles qui font intervenir le comportement de la matire dans le temps, car l'emploi les met en jeu plus que les autres. Ainsi, au cours de ces dernires annes, dans le domaine de la rsistance des matriaux, est ne une science nouvelle, la rhologie; de but pratique avant tout, elle tudie ces actions.

    Si dans les avions, sur les ponts, l'on peut suivre les dformations en marche ou en fonctionnement, grce aux jauges de contrainte, l'on est fort gn de ne pas connatre les phnomnes dynamiques de la coupe des mtaux. Il en va de mme dans les ractions chimiques. Dans 1 'un comme dans 1 'autre de ces deux cas, cette ignorance empche le dveloppement de ces machines autoconductrices, jusqu ' s'adapter aux variations instantanes des paramtres opratoires.

    Il faut aussi produire des matires de plus en plus pures ; dans le cas de mlanges, combinaisons ou alliages, la transposition consiste en un dosage prcis des constituants.

    Durant l'poque des missions de productivit aux U.S.A., l'on a souvent fait obser-ver que, outre Atlantique, il tait inutile de procder aux essais des matires livres, en raison de la constance de leur constitution; les mtaux taient surtout viss. Il en rsulte un gain de temps prcieux augmentant le rendement. Par contrecoup, dans les ateliers de mcanique, les incidents ou rebuts lis aux variations ventuelles de la matire mtal, d'une livraison l'autre, sont galement moins frquents ou moins nombreux, d'o un second avantage, plus considrable encore.

    On va trs loin dans la purification. Ainsi, depuis longtemps, on produit du cuivre lectrolytique 99,9% pour les besoins de l'lectrotechnique. Ce n'est pas mal mais il y a infiniment mieux. La construction des transistors n'est concevable qu'avec du germa-nium comportant au plus un milliardime d'impurets, soit 1 o=9 On parle cette occasion de puret nuclaire, 1 'industrie correspondante ayant les mmes exigences.

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  • Et cette remarque nous conduit au troisime facteur : l'emploi industriel d'un nombre croissant de matires diversifies.

    Au cours du XIXe sicle, l'introduction de deux produits nouveaux a profondment boulevers l'conomie; il s'agit du ptrole, d'une part, et du caoutchouc, de l'autre. Le dveloppement des transports sur terre et dans l'air doit tout ces apports, sans lesquels il et t impossible.

    Plus prs de nous, des mtaux ou des mtalloYdes tout juste mentionns dans les ouvrages, voici un demi-sicle peine, font l'objet d'applications industrielJes : tantale, vanadium, molybdne, csium, bryllium, gallium, germanium, niobium, zirconium, etc. Ils sont toujours en trs petite quantit dans le minerai; c'tait mme souvent des sous-produits d'une mtallurgie intressant un autre corps.

    Dans ce domaine, la palme n'appartient pas au radium qui se cache dans la pech-blende, mais l'uranium 235 produit fissile des centrales nuclaires; il existe dans la pro-portion de 1,7% dans l'uranium naturel, lequel lui-mme ne se trouve qu'au taux moyen de 0,5 % dans son minerai.

    Il a fallu trouver des mthodes nouvelles d'extraction, comme il a fallu instituer des procds de raffinage inconnus auparavant pour satisfaire aux deux besoins exprims ci-dessus.

    Enfin, les matires naturelles n'tant pas suffisantes pour satisfaire aux dsirs crois-sants del 'homme, il a fallu crer des produits de synthse. L'abus des ersatz sortis en priode de guerre leur a valu mauvaise rputation, surtout quand il s'agit de produits alimen-taires. Mais il en est d'excellents. Certains d'eux bouleversent les techniques comme nous allons le voir.

    a) Les caoutchoucs artificiels ont t contests l'origine. On est arriv cependant des varits jouissant d'intressantes proprits que n'ont pas les nuances naturelles. Nous nous bornons le signaler.

    b) La ncessit de crer des moteurs et tout un quipement guerrier devant fonction-ner avec scurit, tant sous les tropiques qu'aux cercles polaires, a lanc les Amricains durant la guerre, dans la voie des isolants, graisses, rsines, et autres produits de la famille des silicones, lesquels sont des polymres ou des combinaisons de l'oxyde silicique.

    Les deux classes suivantes ont acquis une place beaucoup plus marquante.

    c) La soie artificielle invente par le comte de Chardonnet peut tre considre comme le point de dpart de 1 'industrie des textiles de remplacement; celle-ci a trouv son prolongement et son panouissement dans l'closion et la multiplication des matires plastiques. Elles sont si loin d'avoir dit leur dernier mot que l'on en est plutt l'ore de l're des plastiques. Pour s'en convaincre, il suffit de considrer comment ces corps aux caractristiques si varies remplacent toujours davantage les mtaux ferreux, jusque dans la carrosserie automobile et les canalisations; c'est fort heureux, car, au rythme o croissait l'utilisation de l'acier, laquelle a sextupl en tonnage entre 1900 et 1950, les mines de fer n'auraient bientt plus suffi.

    19

  • d) La dcouverte des rayonnements la fin du XIXe sicle a conduit la radiographie, au radium, puis aux radio-lments artificiels. C'est l toute une branche nouvelle, drive de l'exploitation de l'nergie nuclaire, ou au moins active par elle; elle est destine voir se multiplier les applications industrielles. L aussi, nous n'en sommes qu'au dbut.

    Ainsi le progrs technique exige une augmentation constante pour ainsi dire journa-lire, d'une part, de la production et, plus encore, de la productivit des ateliers et chan-tiers, d'autre part, de la qualit des fabrications, celle-ci incluant la scurit, le tout en vue de satisfaire au mieux les besoins. Il se poursuit par la recherche, et surtout par l'invention, sa source principale d'alimentation. Mais, contrairement une opinion rpandue, la dcouverte ne jaillit pas spontanment; quand le jour venu, 1 'inventeur s'crie Eurka, - comme le fit Archimde dans sa baignoire -, ce qu'il a trouv en une sorte d'illumination, est, en fait, le rsultat explosif d'un long cheminement de sa pense; le subconscient mme y a sa bonne part. De plus, 1 'invention est le plus souvent 1 'aboutissement d'une longue suite d'efforts de chercheurs attels au mme problme gnral. Voyons cela.

    Considrons comme premier exemple celui du cinmatographe, qui, avec la radio-tlgraphie est la base de la tlvision.

    Nicphore Nipce avait dcouvert la photographie en 1822; il tait parti de tenta-tives antrieures auxquelles il mit le point final. Mais, avec la chambre ordinaire, mme en utilisant les mulsions instantanes venues plus tard (1850}, l'on ne pouvait pas fixer les images de phnomnes rapides (course, vol, etc.) lesquelles intressent, pour le moins, physiologistes et artistes. Ce furent l'astronome Janssen avec son rvolver astronomique (1874) et le docteur Marey avec son chronophotographe (1883) qui apportrent la solu-tion permettant ainsi 1 'analyse des mouvements mens vive allure. Mais la synthse, c'est--dire la reconstitution visuelle de la scne photographie, n'tait pas possible, ou plutt peu pratique. On connaissait effectivement des appareils tels que le praxinoscope, aux moyens trs limits; c'tait l des jouets.

    Les frres Lumire eurent la gloire d'associer la photographie continue sur film dans un appareil de prise de vues, dnomm aussi camra, avec la restitution sur cran au moyen d'un appareil de projection adquat; l'un et l'autre avaient t conus par eux. Ils firent ainsi natre le cinmatographe en 1895. Mais ils taient sans grande confiance dans l'avenir de leur enfant; ce fut Mlis qui le lana. Depuis, le cinma a eu la mer-veilleuse carrire que l'on sait. Le son lui avait t associ, ds l'origine, sous forme d'un phonographe synchronis. Entre les deux guerres, il le fut d'une manire plus satisfai-sante, par enregistrement sur une piste sonore porte par le film lui-mme.

    La couleur aussi est venue en renfort lorsque la photographie en couleurs eut fait elle-mme de substantiels progrs depuis sa cration par Ducos du Hauron en 1869.

    Et voici que les recherches faites pour la tlvision en couleurs viennent de conduire simultanment deux inventeurs s'ignorant, l'un amricain, l'autre franais, constater que les couleurs pouvaient tre reconstitues par dichromie et non pas par trichromie comme le veut la thorie classique depuis Newton. C'est l une dcouverte rvolutionnaire ne du dsir de simplifier la fois iconoscope et tlviseur. Ici la technique bouleverse la science.

    20

  • L'a1lure du cinmatographe (18-24 vues par seconde) demeure cependant insuffisante pour les phnomnes extra-rapides. En perfectionnant dans ses dtails 1 'appareil normal de prise de vues, sans te11ement changer ses principes, on a pu monter jusqu' la vitesse de 240 vues par seconde avec des modles spciaux, ceci n'tant qu'un ordre de grandeur.

    Pour aller au-del, afin, pour fixer les ides, d'tudier les ondes grande vitesse pro-duites dans les fluides (liquides ou gaz), et notamment de rendre visible l'onde de choc, il a fallu d'autres mthodes. L'obturateur tant supprim, l'on recourt aux trains d'tin-celles jusqu ' 1 'allure de 1 000 000 par seconde donnant autant d'images distinctes.

    L'on aura not que le progrs technique se manifeste, comme souvent, sous deux formes, savoir perfectionnement d'une mthode connue, et introduction d'une mthode nouvelle.

    L'histoire de l'aviation est beaucoup plus longue. La lgende d'Icare prcipit dans la mer pour s'tre trop approch du soleil avec des ailes colles la cire reflte plus que des aspirations. Dans le cours des ges, il est maints personnages dont les noms sont demeurs, s'tre tus ou bris les membres pour avoir tent de voler ou mme seule-ment de planer en imitant les oiseaux.

    Lonard de Vinci, pour revenir lui, a dessin des machines volantes qui ne sont pas sans valeur. Mais les moyens manquaient pour raliser l'avion; la situation a dur jusqu' ce que le moteur explosion ft suffisamment perfectionn, aprs avoir fait natre l'auto-mobile en 1891, et en France.

    En incidente, il n'est pas inutile de rappeler que l'automobile elle-mme est le rsultat d'une suite de recherches et de perfectionnements concernant la carrosserie, d'une part, le moteur, d'autre part. Pour ce dernier, l'on peut remonter au fardier de Cugnot (1771); ce dernier tait, vrai dire, un locomobile routier vapeur.

    Le premier aroplane, conu comme tel et non pas comme planeur, s'envola en octobre 1890, pilot par Clment Ader.

    Pour voler toujours plus vite en montant toujours plus haut, il a fallu perfectionner et le moteur et la cellule.

    On a finalement atteint, puis dpass plusieurs fois, la vitesse du son dans l'air, soit 1 225 km/h environ. Il y a l, au passage par la vitesse d'un Mach, celle mme que nous venons d'indiquer, un moment dangereux pour la cellule, les actions de l'air changeant brusquement du tout au tout.

    Les tunnels arodynamiques fournissant les indications de base, il a fallu concevoir de nouvelles formes constructives pour 1 'appareil - 1 'aile delta tant un exemple - et de nouveaux moteurs puissance massique plus leve.

    Ainsi sont venus les racteurs dont certains ne comportent plus de partie tournante, donc notamment plus d'hlice. Ils sont alors comme les missiles ou engins spatiaux, bass sur le principe de la fuse, celle mme du feu d'artifice.

    L aussi, la technique volutive se voit secourue par la technique suppltive, comme nous les appellerons; selon une expression qu'aiment les conomistes la seconde apporte innovation.

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  • L'lectron fournira le dernier exemple.

    L'existence de l'atome fut affirme par les philosophes anciens, Dmocrite notam-ment (58 avant J. C.) Ce fut le sujet d'une longue controverse historique qui marqua un point aigu au XVIIIe sicle. En bref, la notion d'atome n'acquit quelque certitude qu'aprs l'nonc par le savant Dalton (1803) de la loi des proportions dfinies, laquelle fit natre la thorie atomique de la matire. Elle le fit non sans mal, car il y eut des opposants de poids. La gniale classification priodique de Mendlev est le couronnement de cette thorie (1879); elle est gniale en ce qu'elle fut dresse bien avant que Rutherford eut donn, en 1911, le schma classique de la constitution des atomes et parce que toutes les observations faites entre-temps ont confirm les ides du savant russe dont le tableau a t progressivement complt, comme son auteur, vritable prcurseur, l'avait pressenti et annonc en n'hsitant pas bouleverser certains rsultats jugs acquis.

    Le phnomne du passage du courant dans les tubes vide, o le gaz est rarfi, fut trouv par Geisler puis tudi par Crookes (1872); il conduisit ce dernier souponner 1 'existence de 1 'lectron, constituant universel de la matire, lequel obtint droit de cit un quart de sicle aprs, soit en 1896. Mais c'est dix ans plus tard seulement, en 1907, que Lee de Forest fit natre 1 'lectronique en inventant la lampe trois lectrodes; cette dernire ne fut d'ailleurs pas prise au srieux sur le champ.

    Ne de l, l'industrie lectronique est devenue une branche importante de l'conomie. Aux U.S.A. elle emploie quelque 650 000 personnes. En Grande-Bretagne, elle en fait travailler prs de 250 000, et en France, trop modestement 50 000, cet effectif ayant tripl environ en dix ans.

    Le rythme de croissance n'est pas prs de ralentir, non seulement par l'extension de la radio-tlvision , mais parce que 1 'lectronique entre tout juste dans les applications industrielles o il y a tant faire.

    L'industrie lectronique absorbe un nombre lev de chercheurs, d'ingnieurs et de techniciens, car elle est de caractre scientifique; ce titre, elle volue beaucoup par le travail de laboratoire qui lui apporte en permanence des lments nouveaux tendant son domaine. Elle n'a pas ce seul caractre commun avec 1 'industrie nuclaire, puisque cette dernire exploite les proprits rsultant de la constitution lectronique de la matire, en exigeant encore plus de chercheurs.

    Plus rcente, cette industrie nuclaire s'est surtout dveloppe aprs la seconde guerre mondiale (1939-1945). En raison de ses implications militaires, elle est dirige et contrle par l'Etat dans la plupart des grandes nations. Mais les applications pacifiques de l'ner-gie nuclaire, ainsi qu'on se plat dire, sont prometteuses. Elles contribuent inciter l'industrie prive s'engager dans ces nouvelles techniques; en raison du caractre dispen-dieux de celles-ci, ainsi que des nombreuses spcialits appeles cooprer, les entreprises intresses sont amenes constituer de puissants groupements tout en toffant leur nouveau dpartement.

    Considrons le cas de la France.

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  • Le Commissariat l'nergie atomique, ou C.E. A., a t cr en 1945. Un an aprs, il occupait modestement 236 personnes. D se dveloppait rapidement suivant un plan bien trac, et crait notamment :

    - trois centres d'essais nuclaires Fontenay-aux-Roses, Saclay, Grenoble;

    - un centre de production de plutonium, et d'nergie lectrique, Marcoule;

    - une usine au Bouchet pour l'laboration d'uranium mtallique pur;

    - les usines de Bessines, de 1 'Ecapire et de Gueugnon pour concentrer le minerai dont il a organis la prospection.

    Son effectif atteignait environ 1 800 personnes en 1951, 9 000 en 1957, la fin du premier plan quinquennal, et 14 000 en 1959.

    Paralllement se constituaient les groupements viss plus haut, notamment France Atome (22 entreprises, 140 usines, 142 000 personnes) et Indatom (10 entreprises, 17 000 ingnieurs et techniciens, 180 000 ouvriers).

    Nous aurions pu multiplier les exemples. Ceux auxquels nous nous sommes arrts sont typiques bien des gards.

    Tous font toucher du doigt comment la technique vient de la science qui l'impulse. Fille des observations mthodiques, lesquelles constituent proprement parler la connais-sance scientifique, elle s'bauche et trouve ses bases dans les laboratoires.

    Cette phase prindustrielle peut durer longtemps, car, on l'a souvent rpt, une invention s'impose seulement lorsque toutes les conditions sont rallies pour assurer sa russite, y compris l'tat d'esprit de l'utilisateur ou client. Il ne faut donc jamais rejeter une possible ralisation sous prtexte qu'elle fut propose sans succs dans le pass; rien n'est nouveau sous le soleil prend ici son sens le plus clatant.

    A partir de l, participant d'ailleurs cette phase de gestation par ses propres labo-ratoires de plus en plus dvelopps, 1 'industrie cre la technique adquate ou la perfec-tionne et, en tout cas, donne l'invention sa forme conomique; ce n'est pas un mince ouvrage.

    Pour satisfaire aux vises qu'impliquent les ambitions humaines ainsi exprimes. une seule solution existe : crer un outillage de plus en plus nombreux, de plus en plu: prcis, de plus en plus puissant, de plus en plus productif. Par outillage, nous entendons . machines, outils et quipement correspondants, y compris les instruments de mesure. On cre pour ainsi dire journellement des matriels originaux pour creuser davantage le sol, exploiter plus les biens qu'il recle et nous livre, y compris les fruits de la terre, conserver ceux-ci lorsqu'ils sont prissables, traiter des corps laisss de ct la veille, laborer de nouveaux produits, etc.

    Compte tenu de cette situation extensive, l'expansion industrielle est la norme de 1 'conomie humaine. Toute rcession, ou crise, si faible ft-elle, est une tare; elle dnote

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  • un mal. Il est des fortes fivres et des petites, souvent plus insidieuses pour l'organisme humain; le mdecin les combat les unes et les autres. Ainsi doit faire 1 'homme politique, car le progrs technique mne le monde et la politique doit s'y adapter. C'est au moins notre humble avis.

    Quoiqu'il en soit de ces vues philosophiques, le perfectionnement des machines implique leur automatisation croissante et progressive. C'est encore l un phnomne ncessaire.

    Lorsque nous avons numr les voies du progrs technique, on n'aura pas manqu d'tre frapp par le nombre des usines nouvelles, et des chantiers nouveaux qu'elles impliquent. O trouverait-on la main-d'uvre dsirable, si l'on ne cherchait pas dcharger progressivement l'oprateur du fardeau que constitue le service des machines?

    Donnons un exemple concret. Durant les vingt dernires annes, la rgie nationale des Usines Renault estima ncessaire de multiplier par 9 la production annuelle de ses voitures. Il tait exclu de trouver 9 fois plus de main-d'uvre. ce qu'il aurait fallu si l'on s'en tait tenu aux errements techniques initiaux, ceux du dbut de la priode considre. TI a donc fallu automatiser davantage, ce qui a permis, grosso modo, de multiplier par 4,5 la productivit et, partant, de doubler seulement l'effectif, solution possible.

    On notera, en passant, que la progressivit du mouvement, sa lenteur relative, permet largement de prendre toute mesure salvatrice l'gard de la main-d'uvre. Nous nous bornons l'affirmer ici, car ce serait un autre sujet d'tude.

    La revue amricaine Life, faisant fonction de Cassandre, a cherch faire des pro~ nostics d'ensemble pour les U.S.A. Elle a conclu que les progrs de l'automation conduiraient faire crotre la main-d'uvre pour passer de l'effectif 46,7 millions en 1940 51,7 millions en 1975, la semaine de travail tombant de 44 heures 35 heures et la pro~ ' duction totale tant multiplie par 3,5. Notre avis est que, sans avoir nous prononcer sur les valuations elles-mmes, c'est bien le sens du progrs technique.

    Un dernier mot propos de l'automatisme industriel.

    Le dsir permanent de 1 'homme fut de crer un automate pensant pour se dcharger entirement du travail. Le jour venu, c'est--dire le progrs technique aidant, il devait associer aussitt ce qu'un automaticien franais a appel si lgamment l'automatisme de raison l'automatisme de mmoire et, ce faisant, faire profiter l'administration et la gestion des bienfaits de l'automatisme.

    Nous ne voyons donc personnellement aucune ncessit de distinguer la mcanisation qui table sur la mmoire, de 1 'automatisation, automation en anglais, qui inclurait la partie raison; d'autant moins que l'automate idal doit avoir, comme son modle humain, une tte et des jambes, selon le thme d'un jeu bien connu de plusieurs tlvisions.

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  • DEUXIME PARTIE

    LE MARCH EUROPEN ET L'VOLUTION INDUSTRIELLE

    par E. Hijmans

    Signification relative du progrs technique

    Le titre de cette confrence progrs technique et march commun donne lieu une interprtation assez rpandue parmi ceux qui discutent de l'avenir de notre civilisation occidentale. Il nous semble utile d'examiner de plus prs la porte de ce concept de progrs technique avant de 1 'accepter comme djectif de nos efforts.

    Il faudra d'abord nous rendre compte de ce que nous entendons par progrs . Le grand penseur Ortega y Gasss y a vu la progression de l'homme, de 1' tre , existence immdiatement soumise aux ncessits primaires de 1 'existence nue, au bien tre , expression d'une volont de vivre sa destine transcendante selon un plan de notre vie dcoulant d'un contact personnel avec la source de la vie.

    Notre conception occidentale exclut un idal o ce bien-tre serait rserv une lite, au prix de la servitude de la masse. Progrs, pour nous, signifie 1 'accs de tout homme ou femme aux conditions d'existence qui permettent de vivre la plnitude de nos aspirations.

    Il est certain que, pour les populations de forte densit des pays europens, la faon dont la production industrielle arrive pourvoir nos besoins, joue un rle dans notre progrs vers le bien-tre. Mais ce rle est celui d'un moyen dont l'volution sera tribu-taire de 1 'volution des formes de bien-tre auxquelles nous aspirons, des transformations de nos idologies; celles-ci, leur tour, sont influences par les nouvelles possibilits que nous offre l'volution technique de la production, possibilits que nous pouvons, en une certaine mesure, accepter ou juger peu utiles, voir mme nuisibles.

    Le mouvement vers le march europen est empreint d'une croyance que cet agran-dissement de l'espace opratoire de notre vie productive pourra nous aider raliser un bien-tre accru pour nos populations. Mais il n'est nullement prouv que ce progrs en bien-tre dpende uniquement d'un progrs technique qui n'est qu'une augmen-tation du rendement de notre production de commodits matrielles.

    Cette fausse identification entre progrs de bien-tre et progrs technique est natu-relle chez les nombreux techniciens spcialistes, mus par leur conviction qu'il est dans 1 'intrt de la socit de bien accomplir leur tche, et peu enclins considrer la seule valeur relative de leurs efforts. Elle se propose galement aux conomistes penchs sur le fonctionnement de la subsistance humaine sous les lois du grand nombre et peu quips se rendre compte de la diversit des processus de production et de leurs ractions diver-sifies au milieu conomique ou social.

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  • La croyance dans le progrs technique comme facteur continu et autonome dter-minant l'volution de l'humanit est surtout un hritage provenant du dveloppement de la production industrielle pendant le XIXe sicle. La fondation des grands Etats avait rompu la vie locale du Moyen Age et cr la production marchande pour le march ouvert. Le dracinement d'une partie de la population agricole avait abouti former un~ march de la main-d'uvre et, au dbut du XVIIIe sicle, le commerce d'outre-mer, l'interraction d'un grand nombre d'inventions techniques avaient fait de l'Angleterre une grande puissance. Son empire colonial, sa prpondrance en Europe avaient comme base une industrie naissante o les entrepreneurs et les inventeurs autodidactes jouaient un grand rle.

    La classe des entrepreneurs tait toutefois en lutte pour faire valoir son importance pour la vie nationale vis--vis des anciennes classes dirigeantes. ll se produisait un trange divorce entre la vie des gens bien , au mode de vie moyengeux, les nouveaux riches qui s'adaptaient en s'entourant d'objets empreinte artisanale, et le monde industriel.

    L'industrie avait surtout comme rle de produire les moyens de communications qui ouvraient le march de la main-d' uvre, les flottes et 1 'armement, et la subsistance en produits de basse qualit de la masse pauvre et des indignes des colonies qui four-nissaient des denres alimentaires en change.

    Ce divorce se retrouve dans 1 'industrie des grands pays continentaux dveloppe sur le modle anglais mais ayant tout de mme des traits particuliers qui furent, plus tard, la base de la croyance au progrs technique .

    Le visage de l'industrie europenne au xrxe sicle Lors du transfert de 1 'industrie au continent, les grands pays continentaux, notam-

    ment la France et la Prusse, avaient dj une tradition d'intervention gouvernementale pour le dveloppement de l'industrie et pour l'exploitation des richesses minrales qui tait une prrogative du prince. Cette tradition avait men - travers la Rvolution et Jes conqutes de Napolon - crer des coles techniques pour former de futurs diri-geants d'exploitation. Ces coles, devenues les grandes coles d'ingnieurs ds les pre-mires dcades du XJXe sicle, recevaient comme lves des fils de famille. Ceux-ci y apprenaient l'usage rationnel des techniques, la codification en formules des dimensions des lments de machines. L'Ecole les mettait au courant des sciences : mathmatiques, physique et chimie, qui taient en volution rapide. C'est l'intervention de ce nouveau type de techniciens, 1 'ingnieur des grandes coles, qui a permis aux pays continentaux de prendre rang, ct de 1 'Angleterre, comme nations industrielles. Cette intervention -transmise graduellement l'industrie anglaise- a beaucoup contribu l'volution technique acclre la fin du XJXe sicle. Pour comprendre les traits marquants de cette volution industrielle, il faut se rendre compte du cadre humain dans lequel elle s'accomplissait.

    En bas de la hirarchie industrielle, il y avait la masse d'une main-d' uvre misreuse, souvent analphabte, gonfle par une natalit leve et par l'afflux de la population rurale

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  • vers les centres industriels. Au-dessus de cette masse vivaient les ouvriers de mtier ayant une formation professionnelle empreinte de l'esprit artisanal. Parmi eux taient choisis les agents de matrise auxquels le patron dlguait presque entirement la direction quotidienne de la production. Au-dessus de la matrise se trouvaient les hommes de la pratique dirigeant plusieurs contrematres. Au sommet de Ja hirarchie il y avait le patron, propritaire d'abord, plus tard reprsentant des actionnaires, mais toujours souverain absolu de l'entreprise. Il en dterminait les objectifs poursuivre et imposait sa volont un personnel nombreux qui tait expos la menace de chmage due la surabondance de main-d' uvre. Comme contrepartie de ce pouvoir absolu et de la situa-tion privilgie qui en rsultait, l'entrepreneur portait la responsabilit de maintenir la prosprit de l'entreprise, malgr les risques de la concurrence.

    La thorie conomique de l'poque voyait en cette concurrence le moyen naturel de faire profiter la population des bienfaits de l'volution de la productivit. En l'exercice de son rle de capitaine d'industrie le patron du XIXe sicle commandait directement la matrise voue la tradition et l'empirisme. Mais l'usage des moyens techniques de la production, grandes machines vapeur relies directement par des transmissions aux machines, outils ou mtiers textiles, fours mtallurgiques ou appareillages chimiques, rendait indispensable 1 'intervention d'ingnieurs connaissances scientifiques.

    Cet ingnieur avait une position quivoque. Comme 1 'artificier de la Renaissance, il tait li aux objectifs que lui traait son employeur. L'ingnieur servait les buts du matre de forges ou industriel, condottieri d'une vie conomique en mouvement rapide. Appartenant par milieu et ducation la classe dirigeante, il avait peu de contact avec le monde ouvrier o la matrise n'tait pas ouverte aux nouveauts provenant du thoricien. L'ingnieur tait donc amen se concentrer sur le domaine de l'tude technique du projet et du dessin o, par l'application de sa connaissance spcialise, i1 pouvait acqurir un prestige de technicien. C'est de cette situation qu'est ne la concep-tion de la technique et son progrs comme un phnomne autonome dans la socit humaine qui dterminerait le sort de cette socit.

    Cette constellation humaine a contribu souligner le caractre national de l'indus-trie europenne du XIXe sicle. Les industriels formaient - malgr la concurrence -une caste grant une production surtout destine aux travaux publics (transports par rail, route et eaux, armement, quipement des colonies, etc.). L'Etat tait leur premier client et il tait naturel qu'ils usent de leur influence pour obtenir des mesures en faveur de l' industrie nationale, mme si c'tait aux dpens du dveloppement en d'autres Etats. Lorsque, graduellement, les masses ouvrires obtenaient quelque influence poli-tique on leur inculquait la ncessit de laisser prvaloir l'inttt national sur des considrations de solidarit humaine plus larges. Il n'y avait que les ingnieurs et les hommes de science qui, conscients du caractre fondamental et international de 1eurs occupations, maintenaient des changes d'ides travers les frontires, sous le sourire bnin des puissants de la production qui profitaient des progrs acclrs obtenus par cet change.

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  • L'industrie rptitive des U. S. A.

    Quoique, vers la fin du XIXe sicle le dveloppement des richesses amricaines don-nait lieu au dveloppement d'une grande industrie dont la constellation tait trs sem-blable celle de l'Europe, les U.S.A. avaient galement produit une technique trs diff-rente de production.

    Les migrants vers 1 'Amrique de la premire heure se trouvaient dans le vide d'un vaste continent. Ils taient habitus un genre de vie qui, en Europe, avait paru bien modeste, mais tait bas sur un patrimoine de savoir-faire, de division de travail et d'outil-lage qui leur faisait dfaut dans le nouveau monde. Le pionnier n'a pas que sa substance produire; il faut qu'il rattrape, par un effort surhumain, le manque de tout ce qui peut faciliter la tche ou servir aux agrments les plus modestes. Cette situation est aggrave par le manque d'hommes de mtier pour fabriquer les outils, les armes, les meubles indispensables.

    Dans ces conditions, 1 'industrialisation prend une forme spciale, marque par la production rptitive d'objets trs durables. La fabrication rptitive permet de rutiliser continuellement l'effort de pense technique que demande la cration d'un objet et de mettre profit l'exprience pour perfectionner les mthodes de production. La vie d'un pays en dfrichement ne permet gure la rparation par l'utilisateur qui souvent a fait son achat sur catalogue par ordre postal. De l un niveau de qualit lev.

    Dans une population de pionniers, les rsistances d'intgration sont faibles parce qu'il n'y a gure de classes sociales et que tous doivent faire face aux mmes difficults de la conqute de 1 'espace.

    Ds 1800, Whitney, inventeur de la cotton gin, offrait au gouvernement amricain de faire 10 000 fusils dont les pices devaient tre interchangeables. Il travaillait deux ans pour quiper une usine, faisant lui-mme des machines-outils, utilisant des gabarits pour limer les pices. En 1812, il constatait qu'il avait russi sa fabrication en se passant de ces qualits professionnelles qui sont si rares en notre pays.

    Les mthodes de Whitney, de Colt, l'inventeur du revolver, et d'autres, dans la fabrication d'armes, se rpandaient rapidement d'autres branches et furent la base d'un progrs technique trs rapide de 1 'industrie amricaine des biens durables.

    L'objet fabriqu rptitivement devait rpondre aux exigences de son utilisateur. Le client est roi. Mais ce client n'tait pas un client individuel; il tait la moyenne d'une classe suffisamment nombreuse pour qui le produit rpondait un besoin suffisamment urgent pour qu'il soit accept dans la forme qu'on offrait.

    Au dbut, les conditions d'usage taient facilement connues, plus tard elles taient l'objet d'tudes et d'exprimentations soigneuses. Mais une fois l'objet ainsi dfini, les murs et les conditions d'existence craient chez l'acheteur la disposition de se conformer ce qu'il pouvait acheter, sans prjug de classe sociale, on se laissant guider exclusive-ment par des considrations d'utilit pratique.

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  • Dans la fabrication, on ne disposait pas des ressources d'improvisation continue propres au travail artisanal. TI fallait la remplacer par le plan de fabrication, penser d'avance les oprations successives et leur rpartition sur les hommes, en limitant au strict minimum (qualitativement et quantitativement) l'intervention humaine.

    On projetait la fabrication en remplaant cette intervention par des machines, avec des dispositifs qui pouvaient faciliter et acclrer le travail, mais avant tout on exigeait que les mthodes soient foolproof . Le rsultat devait tre indpendant des qualits professionnelles des excutants, recruts parmi une main-d' uvre rare et en migration continuelle.

    Ce type d'industrie parvint, au milieu du xrxe sicle, malgr des salaires rels trs levs, produire des biens durables des prix bas. Elle s'adressait une population qui tait dispose rserver une quote-part considrable de son revenu pour tous les objets qui pouvaient allger le travail, autant en production que pour le mnage. Les fabricants de biens durables taient disposs- beaucoup plus que leurs collgues europens- investir des sommes considrables dans l'quipement de leurs usines. Ainsi l'industrie des moyens de production, particulirement celle des outils et des machines-outils, pouvait faire des progrs rapides qui - ds 1860-1870 - lui procuraient une avance sur l'Europe. Ce type d'industrie permettait vers la fin du XIXe sicle l'Amrique de devenir exportatrice d'horloges, de machines agricoles, de machines coudre, d'armes, et de fournir les installations et les exemples de mthodes pour la fabrication d'armes portatives et des machines-outils en Europe.

    Lorsque, en 1912, l'automobile tait un objet de luxe pour la classe dirigeante en Europe, Ford avait dj appliqu les mthodes de l'industrie pionnire pour produire 1 000 voitures par jour, dont l'achat tait la porte d'un public gnral.

    Le souci de fabrication rationnelle avait donn un prestige un nouveau type de technicien : 1 'ingnieur des mthodes de fabrication. Son uvre tait entre dans les murs et l'Amrique qui tait devenue gadget mad, avait dvelopp la passion pour les dispositifs qui pouvaient conomiser sur l'effort humain.

    Le niveau lev des techniques de fabrication tait obtenu en faisant largement appel l'entraide industrielle.

    Pendant que le fabricant europen tchait encore de faire tout par lui-mme, son collgue amricain usait largement du travail faon chez des spcialistes et incorporait dans son produit des lments prfabriqus comme les roulements billes, les botes d'engrenage, etc.

    Le dveloppement rapide des communications favorisait cette extension, et l' Amri-que avait, avant l'Europe, incorpor les communications distance, les tlgraphe et tlphone, en son mode de vie.

    La rupture des espaces oprationnels nationaux par la guerre mondiale et les nouvelles industries

    En Europe, la guerre de 1914 soudainement mit fin l'abondance de main-d'uvre et cra artificiellement l'accs aux matires premires pour les fabrications indispensables.

    L'Amrique, grand fournisseur de produits fabriqus, avant d'tre allie, trans-

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  • plantait les mthodes de 1 'industrie rptitive en Europe. La propagande, devant combler le manque de main-d'uvre, faisait appel tous les groupes sociaux pour l'effort tech-nique qui devait assurer la victoire. Cet appel cra en Europe une attitude favorable l'industrie. Aprs l'armistice, l'Europe se trouva amricanise.

    Avec un appareil de production agrandi, les marchs d'outre-mer rtrcis, la tech-nique rige en ncessit nationale et devant rpondre au pouvoir d'achat nouveau cr par l'mancipation conomique de la classe ouvrire, celle-ci constituait un march int-rieur de nature toute diffrente que celui d'avant-guerre. Il s'ensuivit une activit indus-trielle frntique. Mais le progrs technique tait beaucoup moins important que les apparences le suggraient. La soi-disant prosprit d'aprs-guerre comportait un dplacement du centre de gravit de l'activit industrielle. Le nouveau march intrieur demandait, en dehors d'un accroissement considrable de services non-industriels (duca-tion, hygine, habitation), des commodits durables qui n'avaient pas t fabriques grande chelle avant la guerre. Meubles, lampes lectriques, appareils de mnage et installations lectriques, tlphones, bicyclettes, motocyclettes et automobiles bon march faisaient clore des industries rptitives de type amricain. Par leur choix de matires, leurs mthodes de travail et leur conception, elles taient radicalement diff-rentes des industries anciennes. Elles appliquaient en l'absence de toute tradition tous les progrs techniques possibles. L'exemple spectaculaire de ces industries neuves ragis-sait sur les industries existantes qui voyaient de nouveaux dbouchs s'ouvrir, comme la confection, 1 'industrie chimique, qui profitaient des dcouvertes des industries de guerre. Mais dans les industries de fond anciennes, le progrs tait beaucoup plus lent. Les grandes usines mcaniques perdaient mme du terrain qu'elles cdaient aux industries rptitives qui leur fournissaient des lments prfabriqus.

    Le visage de l'industrie occidentale avant et aprs la crise de 1929-1930

    La premire guerre avait profondment modifi la constellation industrielle. Les masses ouvrires mancipes politiquem.!nt et devenues acheteurs importants sur le march intrieur n'avaient pu acqurir, en une gnration, le sens de la responsabilit pour l'quilibre quant l'emploi des capitaux et des capacits productives. Ils deman-daient un bien-tre rapidement accru, laissant aux entrepreneurs le soin d'en couvrir les frais par une rationalisation de la production laquelle les syndicats ne s'opposaient pas.

    C'est surtout l'ingnieur qu'incombait cette rationalisation. Il avait remplac grande chelle les praticiens dans la fabrication, et 1 'industrie de guerre avait favoris un effort mthodique pour rduire le nombre d'heures de travail par unit produite. L'ing-nieur de production mcanisait les oprations, remplaait les matires et les procds anciens par des matires et procds demandant moins d'heures. Il s'agissait de produire toujours plus en rduisant le prix de revient.

    L'entrepreneur avait vu son pouvoir absolu fortement entam par la puissance des syndicats ouvriers appuys par le gouvernement. Pendant la guerre, ce mme gouverne-

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  • ment lui avait aJlg la recherche des dbouchs et des ressources de financement. Aprs la guerre, un patronat gonfl de spculateurs sans exprience se trouva responsable de financer et de vendre un volume de production trop accru sur des marchs caractris-tiques changes. Devant ces difficults il y eut un retour aux anciens slogans d'industrie nationale. Tout en voulant exporter le plus possible, on faisait pression sur le gouverne-ment de protger l'industrie nationale contre la concurrence d'au-del des frontires.

    L'espace oprationnel se refermait avec l'appui des organisations ouvrires associes dsormais la recherche du bien-tre. L'idal d'une Socit des Nations ne put rsister cette recrudescence de nationalisme qui se faisait dangereusement agressive dans les pays les moins bien placs.

    Mais la technique mme de production, autant pour l'agriculture que pour l'industrie, avait volu dans un sens qui demandait un espace oprationnel dpassant les frontires politiques.

    La crise de 1929-1930 tait celle d'un financement malsain et d'une technocratie teinte nationale qui ngligeait 1 'intgration sociale du progrs technique.

    Les pouvoirs publics qui on faisait appel pour parer au chmage et l'effondre-ment de la vie conomique n'taient pas quips pour une telle tche. En improvisant des interventions qui agissaient plutt sur les symptmes que sur le mal, les gouvernements voyaient les problmes dans une perspective court terme et nationale, aggravant ainsi les tensions qui devaient mener au second conflit mondial.

    La crise de 1930, vue en perspective longue, a toutefois contribu changer consid-rablement le visage de l'entreprise industrielle, surtout sur les points suivants :

    a) Elle a rduit et modifi la fonction de la direction. Quoique le caractre anonyme de la socit industrielle existait avant la crise, le directeur actuel est plus gnralement grant que propritaire. L'initiative prive est moins sacro-sainte. Un directeur de socit industrielle gre un bien au nom d'actionnaires inconnus, et entre sa position et celle d'un directeur d'une entreprise d'Etat, la diffrence s'est attnue. L'entreprise prive doit aujourd'hui se tenir aux directives imposes au nom de 1 'intrt public. Ceci entame son autonomie et diminue son caractre aventureux.

    b) Le choc de 1930 a rendu conscient le monde ouvrier de ce qu'il n'est pas suffisant de demander des augmentations de salaires en laissant la gestion de l'industrie aux capitalistes . La dmocratie industrielle consiste exiger que quiconque travaille dans une entrepnse puisse demander de voir le sens de sa tche et puisse avoir, par ses reprsentants, droit de critique sur la gestion entire.

    c) La crise a mis fin la notion d'une technique autonome. Elle a dmontr dure-ment que tout problme de production doit tre examin en tenant compte de nombreux facteurs internes et externes. Un travail coordonn de spcialistes fonctionnels est reconnu indispensable.

    La notion du management qui commenait se rpandre aprs la crise ne tolre ni direction dictant des volonts impulsives ni les dada survalus de techniciens spcialistes.

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  • d) Des restrictions financires de la crise naquit un effort d'analyse plus pousse des conditions de travail et des tches accomplir, qui conduisait une recherche syst-matique des meilleurs modes opratoires.

    C'est J que l'ingnieur, homme de la science applique, arrivait se retourner vers la science pure et faire appel ceux qui - libres de la pression de difficults imm-diates rsoudre - pouvaient approfondir les phnomnes fondamentaux.

    La seconde rupture des espaces nationaux par la guerre 1940-1945

    Si en 1914 les pouvoirs publics avaient commenc solliciter assez humblement la collaboration de l'initiative prive, la seconde guerre opposait les allis un groupe de nations dictature o on avait dj embrigad les entreprises et les individus en les soumettant compltement aux aspirations nationalistes.

    La guerre transformait ainsi les pays libres en un vaste bloc o les pouvoirs publics graient - travers toutes les frontires et cloisons - le total du potentiel industriel.

    Pendant la reconstruction et la prparation de la deuxime guerre, les pouvoirs publics avaient fait 1 'apprentissage de la mise en uvre des possibilits techniques exis-tantes, mais mal exploites par un milieu industriel et conomique non ordonn.

    Ils avaient aussi cr des instituts de recherche o des hommes scientifiques de sp-cia1isation trs varie tudiaient des dveloppements nouveaux, en tenant compte de tous leurs aspects.

    La guerre apportait l'panouissement de ces possibilits par l'effacement des fron-tires. Il y eut les brain-trusts , groupes de penseurs qui pouvaient formuler des objectifs poursuivre. Les instituts de recherche devenaient de vastes units de travail quipes de tous les moyens.

    Et pour souder ensemble la volont d'action des populations, on propageait une nouvelle grande illusion qui tenait compte du souvenir de la crise de 1930. Ce fut l'illusion de la scurit d'existence pour tous.

    La guerre tait la dmonstration de ce que pouvaient les hommes en unissant leurs efforts par dessus les cloisons traditionnelles.

    Aujourd'hui, l'treinte de la ncessit guerrire relche, nous tchons de faire valoir le~ possibilits de 1 'espace agrandi et des techniques qu'il rend possibles. Le march europen n'est qu'un des symptmes du dsir trs rpandu de raliser le bien-tre sur notre plante. La ralisation de cette idologie d'agrandissement de l'espace oprationnel provoque les mmes ractions qui existaient, il y a presqu'un sicle, lors de la cration de l'Allemagne runie. Toute industrie adapte depuis longtemps un milieu social donn hsite renoncer aux conditions d'existence connues pour se lancer dans une rorientation dont on connat mal les risques d'erreur. Pour mener une guerre o 1 'exis-tence mme est en jeu, on accepte des sacrifices considrables. En temps de paix, la conti-nuation de l'espace agrandi ne sera possible que dans la mesure o on pourra concrtiser

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  • les possibilits de gestion qu'elle offre. Pour faire voir ces possibilits, il faudra se figurer le visage futur de notre production dans le cadre de l'espace oprationnel agrandi. Ce visage nouveau sera diffrent selon l'espace duquel elle vit dj et selon la raction de certains facteurs internes sur l'agrandissement de l'espace oprationnel.

    La continuit comme facteur de productivit dpendant de l'espace oprationnel

    On peut dfinir industrie comme l'effort de groupes humains pour transformer les matires en demi-produits ou produits finis. Cette transformation a tendance se subdiviser en plusieurs fabrications successives et chacune de ces fabrications est souvent intermittente, soit parce que les processus se font par lot ou par charge , soit parce que les clients demandent un produit vari. Ce caractre. intermittent de la chane de processus, de la premire opration extractive ou agricole jusqu'au produit consommable, reprsente une srie de mises en marche. Chaque mise en marche peut demander un effort humain et une perte de matire considrable en proportion au cot du processus lui-mme.

    Dans le travail artisanal, le processus manuel est long et souvent compliqu, de sorte que la perte de mise en marche ne se faisait pas trop sentir. Elle tait souvent invitable en vue des dsirs diffrencis des clients.

    La production marchande en quantit amenait naturellement le dsir de rduire les pertes de mise en marche. Une des premires industries caractre continu du XVIIIe sicle tait la filature o une matire uniforme passait, en flot presque ininterrompu, par les machines mlanger, uniformiser et tirer, aux mtiers filer.

    Dans la mme priode 1 'Amricain Evans dveloppait les premiers grands moulins farine o Je bl, une fois vers dans les premiers transporteurs, passait travers une srie de meules et tamis jusqu' la mise en sacs des produits. Dj au XJXe sicle les vastes moulins vapeur , surveills par une poigne d'hommes, suffisaient aux besoins d'une rgion.

    Le progrs de 1 'industrie mtallurgique au XJXe sicle tait surtout dans la conqute de la continuit. Au dbut, les producteurs de fonte livraient aux fabricants de fer mallable qui travaillaient par charge. La dcarbonisation liquide en grandes charges introduite par Bessemer et dveloppe jusqu' l'acirie contemporaine, amenait la fonte liquide au four acier en blocs et les laminait sans les refroidir. Le laminage se faisait encore en passes successives, demandant une intervention humaine difficile et puisante chaque passe.

    Dj avant 1900 le laminoir continu, en Amrique, faisait passer le bloc directement par une srie de bancs vitesse toujours plus grande, pour scier ensuite les profils par des installations mcanises.

    Pour la fonte, la prparation d'un lit de coule en sable pour les gueuses demandait une quipe nombreuse. La coule en moules permanents fixs sur une chaine,

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  • permet depuis longtemps de transformer le flot de fonte en un flot continu de gueuses directement charges dans les wagons d'expdition.

    L'industrie chimique arrivait naturellement remplacer le traitement par charge par le flux continu de matire par des appareils en srie. Ce fut le cas dans 1 'industrie du sucre, plus tard dans le traitement du ptrole.

    Aprs la premire guerre mondiale le nombre d'industries chimiques ou semi-chimiques en fabrication continue, s'accroissait rapidement entre autres pour le verre vitre.

    C'est Ford qui, en 1912, tendait le principe de la fabrication en flot continu l'auto-mobile. Pour l'usinage, il rompait la tradition de la spcialisation d'ateliers sur des opra-tions semblables, comme tournage, fraisage, etc., et alignait les machines diffrentes pour 1 'usinage d'une pice pour faire passer en flot continu les pices individuelles de machine en machine. Pour le montage en travail bris il tablissait les ouvriers des postes fixes et faisait passer les chssis successifs devant chaque poste. Ce travail la chane se rpandait rapidement entre autres 1 'industrie de la confection des vte-ments. Aujourd'hui, 1 'industrie continuit a pris une place considrable dans notre conomie et la formation du march europen aura tenir compte des exigences de cette forme de production.

    En premier lieu, la production continue pousse la concentration. Ses avantages dcoulent principalement d'une utilisation trs intensifie des moyens de production. Il faut donc obtenir le passage du flot maximum de production par heure. C'est l le point vulnrable de cette forme de production. Tout arrt un point du flot signifie une perte de production sur toute la ligne. Il faut donc faire un produit uniforme avec une scurit de marche trs leve, et assurer les dbouchs pour un volume constant de ce produit.

    C'est pourquoi, depuis son origine, l'industrie production continue a chetch des espaces oprationnels qui, en Europe, doivent passer les frontires nationales. On peut dire que pour ce type d'industrie, le march supranational est depuis longtemps la ralit et la condition d'existence. Ceci ne veut pas dire que la formation d'un march europen ne serait pas d'une grande importance pour ce type d'industrie. L'orientation nationale de la vie industrielle aggrave considrablement l'opration en espace, agrandie parce que les frontires politiques ne coincident en aucune faon avec les champs d'action naturels des units producttices.

    La rpartition du volume de production sur les units s'est dveloppe sans pense ordonnatrice europenne et se trouve dforme par des motifs politiques et des mesures de fiscalit nationale. Nous renvoyons aux rapports sur les problmes-cls ce sujet.

    L'importance de la scurit de fonctionnement des oprations partielles a soulign l'importance de rendre ce fonctionnement indpendant de l'intervention humaine. Nous reparlerons de l'influence de la continuit dans le chapitre automatisation.

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  • La fluidit de l'nergie, des combustibles et des matires premires

    Les premires machines vapeur, donnant 5 20 chevaux taient des monuments importants, lis par des poulies et cbles aux machines productrices. L'usine se dvelop-pait autour de sa machine vapeur, les hommes et les femmes faisaient chaque jour de longs chemins pour se rendre auprs de la source d'nergie motrice. Mme la fin du XJXe sicle de telles conditions subsistaient encore, les machines tant devenues plus puissantes.

    La transmission lectrique de l'nergie a rendu la force motrice fluide. La grande centrale silencieuse comme une cathdrale, est quipe avec des gnratrices qui ont cinq mille fois la puissance des premires machines motrices. Partout o on a besoin d'nergie, le fil du rseau lectrique l'amne. La centrale lectrique rgionale est devenue un emblme de la vie des hommes en grandes communauts, et l encore le march europen est urgent pour que l'interconnexion des rseaux soit libre de l'entrave des frontires politiques.

    L'usage gnral de la force motrice avait, dj la priode de la machine vapeur, pos le problme d'amener la machine, le combustible. Il fallait rendre fluide la houille, seul combustible pour les machines fixes et pour les navires et les locomotives. Un systme mondial de transport du charbon allait du puits de mine au port de mer, et de l, par les navires charbonniers aux postes de ravitaillement sems sur la carte mondiale. Ds la seconde moiti du XIXe sicle, on avait rendu le charbon liquide .

    Paralllement, la grande production en crales de l'Amrique du Nord, recueillie en silos, tait amene en un flot ininterrompu en Europe. L'avnement du ptrole, natu-re11ement liquide, a symbolis ce vaste mouvement des matires sur la plante par le ptrolier et le pipe-line.

    Au fur et mesure que la production d'nergie se librait de la proximit du com-bustible, d'autres matires comme le minerai de fer, devenaient liquides. Cette fluidit est la base des installations mtallurgiques sur la cte.

    Ainsi, le globe se munit graduellement d'un rseau d'artres de transport o coule continuellement la subsistance de nos populations. Ce rseau cote relativement peu d'efforts humains.

    Les centrales, peu nombreuses, n'ont que le personnel d'une petite usine. Nos ptro-liers de 30 100 mille tonnes ont moins d'hommes leur bord que les voiliers de 100 300 tonnes, d'avant 1800. Mais si nous avons pu donc rduire l'effort humain pour suffire nos besoins d'nergie, c'est condition que ce vaste systme artriel n'offre pas trop de rsistance au fluide d'nergie et aux matires qui y circulent. Nous renvoyons aux rapports de la section transports ce sujet.

    Si la fluidit de l'nergie est obtenue, la gnration de l'lectricit tait tributaire de 1 'extraction de son combustible principal : le charbon. Malgr le dveloppement des mthodes de travail dans les mines, la main-d'uvre d'extraction est une charge lourde. La houille blanche de la centrale chute d'eau a partiellement lev cette servitude. C'est la centrale nergie atomique taux rduit de travail humain par unit de com-bustible qui promet de nous librer compltement de cette servitude.

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  • L'automatisation

    Ds les premires productions l'aide des machines, l'industrie a cherch diminuer l'intervention humaine dans la production. Cette automatisation couvre les terrains suivants:

    a) Remplacement de l'intervention humaine dans les processus qui donnent des matires une autre forme (automatisation d'opration).

    b) Remplacement de l'intervention humaine dans la surveillance et le rglage de processus technologiques o la matire est soumise des traitements physiques ou chimiques.

    c) Elimination de l'intervention humaine dans le transfert de la matire d'un pro-cessus au processus suivant.

    d) Remplacement de 1 'intervention humaine dans la rcapitulation et la transmission des donnes sur la marche de la fabrication (data processing).

    L'automatisation des oprations.- Nous avons vu que la tendance vers l'opration rptitive mne laborer un programme de la succession des lments d'opration et tudier les moyens pour que 1 'excution ne dpende plus de la dextrit et du soin de l'excutant. Une fois ce programme tabli, il est naturel de le mettre en une forme qui permette d'en dduire directement les mouvements de l'opration.

    Ds 1806, la marine anglaise avait install une srie de machines pour la fabrication des 100 000 blocs poulies dont avaient besoin les voiliers de la flotte. Dix ouvriers tra-vaillant sur ces machines remplaaient 100 hommes qualifis. En 1870, Brown et Sharp mettaient sur le march le premier tour vis entirement automatique. Un tambour cames, contenant le programme de l'opration, poussait directement les chariots outils. Plus tard, on employait les cames pour embrayer et arrter les vis transporteuses et on arrivait ainsi mcaniser toutes sortes d'oprations rptitives en toutes sortes d'industries.

    Le dveloppement des communications lectriques et lectroniques distance per-mettait de se librer des programmes en fonte et en acier. Une bande perfore fonc-tionnait comme programme en ouvrant et fermant des circuits lectriques.

    Aprs la seconde guerre, qui avait cr la possibilit d'investir des sommes normes dans le dveloppement de moyens lectroniques pour la direction de tir, etc., il tait logique d'appliquer les nouveaux moyens 1 'industrie. Actuellement, il y a deux types principaux d'automatisation d'opration.

    En premier lieu, il y a la mcanisation avec des moyens lectriques comme compl-ment qui descend directement de la fabrication rptitive du type amricain. Elle est pous-se trs loin, mais demande une grande uniformit de produit cause de sa rigidit.

    A l'autre bout de l'chelle il y a des machines asservies un programme lecture et transmission lectroniques. Ces machines peuvent, par leur flexibilit, passer en quel-ques minutes d'un produit un autre et font donc pntrer l'automatisation dans le domaine de la production non rptitive.

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  • L'automatisation des processus technologiques remplace l'observation et la raction humaine. Dj la fin du XIXe sicle, les tempratures leves, les phnomnes lectriques et chimiques chappaient ce que les sens humains pouvaient enregistrer. On inventait des instruments comme le pyromtre, le voltamtre, etc., qui traduisaient le phnomne non observable en lecture d'chelle. L'lectronique a ouvert de nouveaux champs cette instrumentation qui permet de dtecter des phnomnes jusqu 'ici non mesurables et de les mesurer distance.

    Les panneaux de contrle des centrales lectriques en furent une premire application. Mais la dtection peut maintenant tre utilise comparer les valeurs qui dcoulent d'un processus des valeurs-programme, et faire agir des appareils pour influencer la marche du processus en sens contraire de la dviation du programme. Cette automatisation par instrumentation est la base de notre industrie chimique moderne. Elle a cr les vastes parcs d'appareillages des raffineries de ptrole et des grandes usines o quelques hommes dirigent des fabrications de grande envergure assis devant leurs panneaux d'instruments d'enregistrement et de rglage.

    C'est l'utilisation des isotopes, sous-produit de l'utilisation de l'nergie atomique, qui promet d'ouvrir de nouveaux champs d'application l'automatisation par dtecteurs.

    Le reliement automatis entre les oprations. - Nous avons dj dcrit cette automa-tisation en parlant de l'industrie continuit. De plus en plus des industries oprations intermittentes trouvent la voie vers la continuit. Il y a des biscuiteries o, en partant des ingrdients et en passant par un mlange continu une cuisson sur tapis sans fin, les bis-cuits sortent empaquets d'un hall de plus de cent mtres de longueur habit par quatre personnes.

    Le data processing . - Le mouvement du management consiste au fond faire pntrer dans les processus industriels non ou peu rptitifs, l'ide de prvision et remplacer partout 1 'improvisation par une application raisonne du patrimoine de savoir. Cette prvision demande devant les problmes continuellement reposs, le maniement d'une foule de donnes autant pour prparer le travail d'excution que pour en comparer les rsultats avec la prvision. Au dbut du xxe sicle, on constatait un accroissement considrable du nombre de travailleurs de bureau dans l'industrie. Egalement la complexit de la gestion s'accroissait et prsentait des problmes qui ne pouvaient plus tre rsolus par simple arithmtique. Les ncessits de la guerre donnaient naissance aux machines ordinatdces (computers) et nous voyons s'ouvrir des perspectives d'automatisation des instruments de gestion sur lesquelles nous renvoyons la section qui traitera de ce sujet.

    Les facteurs de l'volution industrielle: diversit de leur importance relative

    L'examen des visages de l'industrie en diverses poques et en des socits diverses nous montre que le progrs technologique n'est qu'un facteur de cette volution et se trouve en interraction continuelle avec les autres facteurs. Nous pouvons classer les facteurs dans les groupes suivants :

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  • Facteurs d'ordre technologique.- Application de matires, de procds, et de formes d'nergie nouvelles. Cette application comprend deux phases : premirement, la dcou-verte, par recherches mthodiques (ou par invention spontane) de nouvelles possibilits technologiques; deuximement, l'incorporation de la dcouverte dans l'ensemble de plus en plus interdpendant de la technologie existante, par exemple, il n'a pas suffi de dcou-vrir le moteur combustion interne pour faire l'auto. Il a fallu attendre la disponibilit de matires appropries, une volution de 1 'usinage, de la taille, la trempe et la rectifica-tion des engrenages, etc. Ce sont les difficults qui ralentissent l'effet des dcouvertes technologiques.

    Facteurs de l'ordre de gestion. - Dveloppement de tout ce qui peut contribuer une collaboration humaine harmonieuse adapte aux moyens matriels disponibles et aux objectifs atteindre.

    L'volution des facteurs de gestion comprend :

    - l'tude et la rvision continuelle des objectifs atteindre.

    - l'organisation. La dfinition des tches et des lignes de coordination entre 'ces tches.

    - la cration et le maintien des conditions de travail rpondant 1 'excution nor-male des tches.

    - le soin de 1 'incorporation harmonieuse de tous ceux qui travaillent dans l'entre-prise en une communaut o l'individu trouve l'expression de sa personnalit.

    - l'incorporation de l'entreprise dans le milieu des facteurs externes autant comme communaut humaine que comme unit productrice.

    Tout ce groupe de facteurs d'volution peut tre compris sous le terme volution du management dont traite la note de M. Deurinck.

    Facteurs externes. - Le milieu auquel l'entreprise industrielle doit s'adapter, subit une volution dtermine par des phnomnes d'ordre social : densit de population, dveloppement des communications et transports, facteurs politiques, etc. D'autre part, des changements dans les domaines technologiques et gestionnaires peuvent -lorsqu'ils se produisent sur une grande chelle ou avec une acclration considrable - amener des changements dans le milieu social. Il est vident que les traits de 1 'aspect futur des entreprises, dont nous avons mentionn quelques-uns au chapitre prcdent, expriment l'volution de chacun de ces facteurs, leur interraction et leur importance relative. Toute prdiction sur l'aspect futur de la production devra tenir compte de la grande diversit dans l'volution du progrs selon le type d'industrie. Dans le chapitre suivant, nous esquissons rapidement quelques exemples de cette diversit. Il faudra aussi raliser que le progrs technique n'est pas un phnomne de vitesse constante. La tin du XXI6 sicle a connu une acclration cumulative du progrs technologique. Depuis cette priode, il y a surtout une application trs largie de technologie connue et une intgration sociale des possibilits technologiques freine comme l'indique M. Deurinck par le retard en management. Il est possible que l'nergie atomique ouvre une nouvelle phase de progrs technologique mais, pour le moment, les facteurs de gestion et les facteurs externes devraient avoir une place importante en nos considrations.

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  • Effet du march europen sur les diffrents types de production industrielle

    Nous avons vu qu'une partie importante de la production industrielle a pris la forme d'usines continuit, quipes avec une installation automatise o les quelques hommes qui restent se perdent parmi l'appareillage. Cette industrie, vivant loin de ses consomma-teurs, qui ne s'intressent qu'au produit, sans mme souponner comment il est fabriqu, sa majeure condition d'existence est d'tre alimente d'un courant bien rgl de com-mandes et de matires.

    La lutte pour cette continuit se passe en dehors de 1 'usine et demande en priorit la libert de mouvement dans l'espace agrandi au moins l'Europe.

    Ce n'est pas le progrs technique qui, pendant que nous attendons en specta-teurs, va abattre automatiquement les cloisons anachroniques que dfendent encore une politique court terme et un nationalisme traditionnel. Le progrs technique est et pourrait s'acclrer encore. La cration d'un march commun est la confirmation par l'opinion gnrale et par des comportements modifis qu'attend ce type d'industrie pour se dployer. Comme il s'agit d'units trs grandes, leur implantation dans l'Europe demande un planning d'ordre sociographique que seuls des organes internationaux pourront accomplir.

    Le deuxime type de production est celui dont les produits (vtements, meubles, cramiques) ne servent pas seulement assurer notre subsistance, mais dont le choix doit galement contribuer nous exprimer personnellement. Ces produits pour lesquels des groupes de clients sont rois ne permettent qu'un certain degr de continuit et peuvent profiter des nouvelles formes d'automatisation flexible. Le groupe de clients est un groupe social ayant des points communs dans leur mode d'existence. Gographique-ment ces groupes seront de forme et de surface trs varies selon les produits, mais il est certain que la recherche des affinits communes qui est la base de vente de ces industries, devra franchir plusieurs frontires nationales. Ici encore, la libert de mouvement tra-vers les frontires est une condition du progrs technique et social.

    La troisime catgorie industrielle est le nombre croissant d'industries qui vivent comme sous-traitants des deux premires catgories. Ces industries sont souvent concen-tres sur un seul article ou une opration trs spcialise qu'elles font pour un cercle de clients trs tendu. Une sous-traitance base europenne est ncessaire.

    En dernier lieu reste 1 'industrie qui, pour des articles de valeur artistique ou de satis-faction de caractre trs personnel, reste artisanale. A premire vue elle ne sera pas oriente sur un march europen, mais elle est souvent, pour la mode et les objets de valeur esthtique, en mme temps cratrice de prototypes. Le march europen pourra faciliter ce qui se passe dj. L'artisanat ou la petite industrie d'une rgion enrichit l'industrie d'une autre rgion comme c'est le cas actuel pour les meubles de modle scandinave qui sont fabriqus en licence par l'industrie nerlandaise.

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  • Effets sociaux

    M. Keller a expos les changements considrables qui, actuellement, inquitent ceux qui travaillent dans nos industries.

    En effet, il ne reste que peu du visage industriel du XIXe sicle dans les contours futurs de la production qui se dessinent devant nous.

    D'abord la base, la notion d'ouvrier, d'un march de main-d'uvre anonyme est en train de disparatre pour une partie importante de la production. Les usines continues automatises se dpeuplent. Dans le petit groupe de travailleurs qui reste, un facteur domine tous les rapports humains; la responsabilit commune pour tenir en marche un vaste appareil de production o toute erreur ou ngligence a des effets nfastes. Devant cette responsabilit, les diffrences de classes entre ouvrier qualifi et manuvre, entre chef et collaborateur (tous les deux en blouse blanche) s'effacent en une graduation presque imperceptible. Il y a d'ailleurs un changement profond dans les qualits et le savoir-faire que demande ce genre de travail. Au lieu de la dextrit et l'effort physique, il y a le sens de l'essentiel dans le processus surveiller, l'endurance dans l'observation, l'nergie latente qui instantanment fait ragir activement, mais d'une faon rflchie, ds qu'il y a quelque chose qui va mal.

    Il faudra donc que nous revisions compltement notre attitude vis--vis du recru-tement et de la formation de ceux qui ne seront plus des ouvriers soumis ou des artisans traditionnels, mais nous aiderons dans le domaine encore presque inconnu de la nouvelle production. L'homme y est matre, mais matre responsable d'une matire soumise mais gouvernable.

    Beaucoup de concepts qui, aprs les luttes syndicales, sont manis par les pouvoirs publics et les intresss pour maintenir certaines conditions sur le march de la main-d' uvre ne tiendront plus devant les techniques futures de production. Il faudra rmu-nrer tout autrement des fonctions considres jusqu' maintenant comme non qua-lifies et avoir moins de respect pour des mtiers o les fantmes moyengeux rdent encore dans nos ateliers. Ce problme est d'autant plus difficile que la diversit de types de nos industries est grande. A ct d'entreprises o il faudrait des concepts tout fait nouveaux de relations humaines, il y a encore beaucoup de productions o on ne peut aller aussi loin.

    Tout ce problme est maintenant trait sur le plan national et les diversits de solu-tions partielles menacent la fluidit indispensable des ressources humaines en Europe.

    Le terrain devrait tre labour en commun par les pays europens, non seulement pour ne pas rebtir les cloisons nationales qu'on dmolit, mais pour trouver une nouvelle ressource de solidarit humaine en Europe.

    Conclusions

    1. La constatation d'un march europen doit tendre restructurer la production indus-trielle en vue d'un bien-tre augment des populations. Cette restructuration est influence par l'volution des techniques de production mais elle n'est pas dtermine par le progrs

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  • technique. La notion d'un progrs technique phnomne autonome et dterminant la vie sociale, est un hritage de la fin du XIxe sicle duquel nous devons nous manciper.

    2. Les effets de l'volution des techniques de production diffrent profondment d'un type d'industrie l'autre (industries automatises produit anonyme et production continue, industries base rgionale s'adaptant au mode de vie d'une classe de