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530 Lettres à la rédaction / Revue du rhumatisme 80 (2013) 527–538 Psoriasis étendu induit par le rituximab chez un patient atteint de polyarthrite rhumatoïde : effet indésirable inattendu info article Mots clés : Rituximab Psoriasis Polyarthrite rhumatoïde séropositive Le rituximab (RTX) est un anticorps monoclonal chimérique inhibant les lymphocytes B utilisés dans bon nombre de maladies auto-immunes, avec un profil d’efficacité favorable. Cependant, le RTX est capable d’induire des phénomènes auto-immuns tels que le psoriasis [1–4]. Une femme âgée de 50 ans est atteinte de polyarthrite rhuma- toïde (PR) se manifestant par une polyarthrite érosive symétrique des mains, des poignets et des coudes depuis 1995. Elle avait un facteur rhumatoïde (FR) positif (167, pour une valeur normale inférieure à 10 IU/mL), mais était négative pour les anticorps anti- peptide cyclique citruliné (anti-CCP). Pendant une durée de 14 ans, elle avait rec ¸ u plusieurs traitements de fond en combinaison, parmi lesquels du méthotrexate, du léflunomide, de l’hydroxychloroquine et des corticoïdes, suivis par des anti-TNF : infliximab pendant trois ans ensuite étanercept pendant un an. Elle avait une synovite per- sistante avec un DAS-28 à 7,35 ; le RTX (deux perfusions de 1 g, espacées de deux semaines associées à 100 mg de méthylpredni- solone en intraveineux) a été instauré. Le RTX avait amélioré les symptômes avec une diminution du score DAS-28. Cinq mois après le troisième cycle, soit 25 mois après la première perfusion, elle avait présenté des lésions érythémateuses en plaque situées au niveau des extrémités (Fig. 1a). Le taux de lymphocytes B était bas, le niveau des gammaglobulines était normal à ce moment. La biop- sie cutanée a montré une dermatite neutrophilique périvasculaire avec des érythrocytes extravasés, une hyperkératose marquée, des microabcès et une spongiose minimale compatible avec le diagnos- tic de psoriasis débutant en goutte (Fig. 1b). L’absence d’infiltration lichénoïde et de cellules dyskératosiques au niveau de l’épiderme avait permis d’exclure l’éventualité d’une toxidermie. Par ailleurs, il n’y avait pas de prolifération fongique et absence de signe de la Fig. 1. a : lésions psoriatiques initiales après traitement par rituximab : b : histologie : psoriasis évolué : orthohyperkératose prédominant au derme, collections neutrophi- liques au sommet des couches de parakératose, prolifération marquée des capillaires dans le derme papillaire (HE × 100). Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc ¸ aise de cet article, mais la réfé- rence anglaise de Joint Bone Spine avec le DOI ci-dessus. vascularite. L’étendue du psoriasis et l’indice PASI étaient respecti- vement de 6 % et de 3,8. Alors que les lésions étaient stables sous agents topiques, une perfusion supplémentaire de RTX avait induit une aggravation des lésions, l’étendue passant à 15 % et le PASI à 8,6. Le RTX et le psoriasis ont une relation conflictuelle avec soit une aggravation [5] soit une amélioration [6] voire un déclenche- ment du psoriasis ayant été rapportés [1–4]. Les caractéristiques du psoriasis induit par le RTX sont résumées dans le Tableau 1. Chez notre patiente, aucun antécédent personnel/familial et aucun autre facteur de risque de développer un psoriasis n’ont été iden- tifiés. Même si la présence d’un FR/anti-CCP pourrait être observée dans le rhumatisme psoriasique (RP) [7], le diagnostic de PR chez notre patiente était certain du fait de la distribution typique des lésions radiographiques. La patiente ne remplissait pas les critères de classification du RP, du fait de l’absence de dactylite, d’atteinte radiographique évocatrice, d’atteinte des interphalangiennes dis- tales, d’atteinte axiale ou enthésique. Chez notre patiente, un traitement par anti-TNF n’avait pas induit de psoriasis, ce qui est généralement attribué à l’augmentation de l’expression de CXCR3 par les lymphocytes T [8] et l’expression aberrante d’IFN- au niveau tissulaire [9]. Les mécanismes immunologiques au niveau tissulaire dans le psoriasis induit par le RTX ne sont pas encore connus. La fac ¸ on par laquelle la déplétion en lymphocytes B peut induire une affection cuta- née auto-immune médiée par les lymphocytes T reste inconnue. La plupart des mécanismes hypothétiques évoquent une perte de l’effet régulateur des lymphocytes B sur les lymphocytes T, avec une vulnérabilité aux infections qui pourrait déclencher la formation de plaque et la réactivité des lymphocytes T contre les composés murins de la molécule chimérique. Récemment, les données provenant du registre franc ¸ ais AutoIm- munity and Rituximab (AIR) avaient montré une incidence basse de psoriasis de novo dans la PR [10], cependant il faudrait garder à l’esprit que le RTX pourrait induire un psoriasis et que son évolution et sa réversibilité ne sont pas prévisibles. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela- tion avec cet article.

Psoriasis étendu induit par le rituximab chez un patient atteint de polyarthrite rhumatoïde : effet indésirable inattendu

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30 Lettres à la rédaction / Revue du rhumatisme 80 (2013) 527–538

soriasis étendu induit par le rituximab chez un patient atteinte polyarthrite rhumatoïde : effet indésirable inattendu�

n f o a r t i c l e

ots clés :ituximabsoriasisolyarthrite rhumatoïde séropositive

Le rituximab (RTX) est un anticorps monoclonal chimériquenhibant les lymphocytes B utilisés dans bon nombre de maladiesuto-immunes, avec un profil d’efficacité favorable. Cependant, leTX est capable d’induire des phénomènes auto-immuns tels que

e psoriasis [1–4].Une femme âgée de 50 ans est atteinte de polyarthrite rhuma-

oïde (PR) se manifestant par une polyarthrite érosive symétriquees mains, des poignets et des coudes depuis 1995. Elle avait unacteur rhumatoïde (FR) positif (167, pour une valeur normalenférieure à 10 IU/mL), mais était négative pour les anticorps anti-eptide cyclique citruliné (anti-CCP). Pendant une durée de 14 ans,lle avait recu plusieurs traitements de fond en combinaison, parmiesquels du méthotrexate, du léflunomide, de l’hydroxychloroquinet des corticoïdes, suivis par des anti-TNF : infliximab pendant troisns ensuite étanercept pendant un an. Elle avait une synovite per-istante avec un DAS-28 à 7,35 ; le RTX (deux perfusions de 1 g,spacées de deux semaines associées à 100 mg de méthylpredni-olone en intraveineux) a été instauré. Le RTX avait amélioré lesymptômes avec une diminution du score DAS-28. Cinq mois aprèse troisième cycle, soit 25 mois après la première perfusion, ellevait présenté des lésions érythémateuses en plaque situées auiveau des extrémités (Fig. 1a). Le taux de lymphocytes B était bas,

e niveau des gammaglobulines était normal à ce moment. La biop-ie cutanée a montré une dermatite neutrophilique périvasculairevec des érythrocytes extravasés, une hyperkératose marquée, desicroabcès et une spongiose minimale compatible avec le diagnos-

ic de psoriasis débutant en goutte (Fig. 1b). L’absence d’infiltrationichénoïde et de cellules dyskératosiques au niveau de l’épidermevait permis d’exclure l’éventualité d’une toxidermie. Par ailleurs,l n’y avait pas de prolifération fongique et absence de signe de la

vascularite. L’étendue du psoriasis et l’indice PASI étaient respecti-vement de 6 % et de 3,8. Alors que les lésions étaient stables sousagents topiques, une perfusion supplémentaire de RTX avait induitune aggravation des lésions, l’étendue passant à 15 % et le PASI à8,6.

Le RTX et le psoriasis ont une relation conflictuelle avec soitune aggravation [5] soit une amélioration [6] voire un déclenche-ment du psoriasis ayant été rapportés [1–4]. Les caractéristiquesdu psoriasis induit par le RTX sont résumées dans le Tableau 1.Chez notre patiente, aucun antécédent personnel/familial et aucunautre facteur de risque de développer un psoriasis n’ont été iden-tifiés. Même si la présence d’un FR/anti-CCP pourrait être observéedans le rhumatisme psoriasique (RP) [7], le diagnostic de PR cheznotre patiente était certain du fait de la distribution typique deslésions radiographiques. La patiente ne remplissait pas les critèresde classification du RP, du fait de l’absence de dactylite, d’atteinteradiographique évocatrice, d’atteinte des interphalangiennes dis-tales, d’atteinte axiale ou enthésique.

Chez notre patiente, un traitement par anti-TNF n’avaitpas induit de psoriasis, ce qui est généralement attribué àl’augmentation de l’expression de CXCR3 par les lymphocytes T[8] et l’expression aberrante d’IFN-� au niveau tissulaire [9]. Lesmécanismes immunologiques au niveau tissulaire dans le psoriasisinduit par le RTX ne sont pas encore connus. La facon par laquellela déplétion en lymphocytes B peut induire une affection cuta-née auto-immune médiée par les lymphocytes T reste inconnue.La plupart des mécanismes hypothétiques évoquent une perte del’effet régulateur des lymphocytes B sur les lymphocytes T, avec unevulnérabilité aux infections qui pourrait déclencher la formationde plaque et la réactivité des lymphocytes T contre les composésmurins de la molécule chimérique.

Récemment, les données provenant du registre francais AutoIm-munity and Rituximab (AIR) avaient montré une incidence bassede psoriasis de novo dans la PR [10], cependant il faudrait garder àl’esprit que le RTX pourrait induire un psoriasis et que son évolutionet sa réversibilité ne sont pas prévisibles.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-tion avec cet article.

ig. 1. a : lésions psoriatiques initiales après traitement par rituximab : b : histologie : psiques au sommet des couches de parakératose, prolifération marquée des capillaires dan

� Ne pas utiliser, pour citation, la référence francaise de cet article, mais la réfé-ence anglaise de Joint Bone Spine avec le DOI ci-dessus.

oriasis évolué : orthohyperkératose prédominant au derme, collections neutrophi-s le derme papillaire (HE × 100).

Lettres à la rédaction / Revue du rhumatisme 80 (2013) 527–538 531

Tableau 1Sommaire des cas de psoriasis induits par le rituximab.

Auteur Principalemaladie

Sexe, Âge FR/Anti-CCP Médicamentsconcomitants

anti-TNFprécédents

Aparition des lésionscutanées

Nombre decycles RTX

Caractéristiques del’atteinte cutanée

Poursuite duRTX/évolution deslésions

Dass et al., [1]Cas 1

PR F, 17 –/– CYC Présent 6 mois après le 1er

cycle1 Localisée/ND ND/Active

Dass et al., [1]Cas 2

PR F, 52 +/+ CYC Présent 4 mois après le 2e

cycle2 Localisée/ND ND/Résolution

Dass et al., [1]Cas 3

LES F, 26 –/– CYC Absent 4 mois après le 1er

cycle1 Diffuse/ND ND/rémission

partielle

Mielke et al., [2] LMH F, 66 –/– CHOP Absent 6-8 semaines aprèsle 1er cycle

8 Localisée/ND Oui/Résolution

Markatseli et al.,[3]

PR F, 55 +/+ MTX, PO Présent 10 jours après le 2e

cycle2 Localisée/Pustuleuse ND/ND

Hardcastle et al.,[4]

PR F, 49 –/– NA Absent 10 semaines après le1er cycle

1 Localisée/Pustuleuse ND/Résolution

Ozen et al. PR F, 64 +/– MTX, OP Présent 25 mois après le 1er

cycle4 Diffuse/en goutte Oui/Progression

F CYC :L e, pre

R

[

h

marqueurs de l’inflammation, les tests urinaires, le dosage des fac-teurs rhumatoïdes (FR) et la recherche des anticorps antinucléaires(AAN).

R : facteur rhumatoïde ; Anti-CCP : anti-cyclic citrullinated peptide ; RTX : rituximab ;NH : lymphome non hodgkinien ; CHOP : cyclophoshamide, doxorubicin, vincristin

éférences

[1] Dass S, Vital EM, Emery P. Development of psoriasis after B cell depletion withrituximab. Arthritis Rheum 2007;56:2715–8.

[2] Markatseli TE, Kaltsonoudis ES, Voulgari PV, et al. Induction of psoriatic skinlesions in a patient with rheumatoid arthritis treated with rituximab. Clin ExpRheumatol 2009;27:996–8.

[3] Mielke F, Schneider-Obenmeyer J, Dörner T. Onset of psoriasis with psoria-tic arthropathy during rituximab treatment of non-Hodgkin lymphoma. AnnRheum Dis 2008;67:1056–7.

[4] Hardcastle SA, Gibbs S, Williamson L. Atypical psoriasis following rituximab forrheumatoid arthritis. J Rheumatol 2012;39:1303–4.

[5] Olivieri I, D’Angelo S, Leccese P, et al. Worsening of psoriasis with rituximabtherapy. Clin Exp Rheumatol 2010;28:926.

[6] Singh F, Weinberg JM. Partial remission of psoriasis following rituximab the-rapy for non-Hodgkin lymphoma. Cutis 2005;76:186–8.

[7] Inanc N, Dalkilic E, Kamali S, et al. Anti-CCP antibodies in rheumatoid arthritisand psoriatic arthritis. Clin Rheumatol 2007;26:17–23.

[8] Aeberli D, Seitz M, Juni P, et al. Increase of peripheral CXCR3 positive T lympho-cytes upon treatment of RA patients with TNF-alpha inhibitors. Rheumatology(Oxford) 2005;44:172–5.

[9] Seneschal J, Milpied B, Vergier B, et al. Cytokine imbalance with increa-sed production of interferon-alpha in psoriasiform eruptions associatedwith antitumour necrosis factor-alpha treatments. Br J Dermatol 2009;161:1081–8.

10] Thomas L, Canoui-Poitrine F, Gottenberg JE, et al. Incidence of new-onset andflare of preexisting psoriasis during rituximab therapy for rheumatoid arthritis:data from the French AIR Registry. J Rheumatol 2012;39:893–8.

Gulsen Ozen a

Tulin Ergun b

Sibel Yilmaz Oner a

Cuyan Demirkesen c

Nevsun Inanc a,∗a Service de rhumatologie, faculté de médecine,

université de Marmara, Mimar Sinan Caddesi, No : 41,Pendik, 34899 Istanbul, Turquie

b Service de dermatologie, faculté de médecine,université de Marmara, Istanbul, Turquie

c Service de d’anatomopathologie, faculté demédecine Cerrahpasa, université d’Istanbul, Istanbul,

Turquie

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (N. Inanc)

Accepté le 4 fevrier 2013

Disponible sur Internet le 24 avril 2013ttp://dx.doi.org/10.1016/j.rhum.2013.03.008

cyclophosphamide ; PO : prednisolone orale ; LES : lupus érythémateux sytémique ;dnisone ; MTX : méthotrexate ; ND : données non disponibles.

Pertinence clinique des anticorps anti-cytoplasmes de polynu-cléaires neutrophiles chez des patients algériens atteints desclérodermie�

i n f o a r t i c l e

Mots clés :SclérodermieANCAVascularite

La sclérodermie systémique (ScS) est une affection auto-immune caractérisée par des altérations vasculaires et une fibroseprogressive atteignant la peau et d’autres viscères [1]. Les anticorpsanti-cytoplasme de polynucléaires neutrophiles (ANCA) sont desmarqueurs utiles des vascularites des petits vaisseaux telles que lesgranulomatoses, la polyangéite microscopique [2]. Plusieurs étudesavaient discuté la relation possible entre les ANCA et l’atteinte vas-culaire dans la ScS. Les ANCA sont retrouvés dans l’insuffisancerénale normotensive et dans d’autres manifestations vasculaires[3,4]. Dans notre étude, nous avons tenté d’évaluer la présenced’ANCA chez les patients sclérodermiques algériens et de corrélercette présence aux manifestations cliniques et immunologiques.

Un total de 144 patients sclérodermiques (H/F 1/13 ; âge moyen46 ans [extrêmes 11–77] ; durée d’évolution moyenne : 12 ans[1–48]) ont été inclus. Tous les patients satisfaisaient aux critèrespréliminaires de l’American Rheumatism Association pour cettemaladie [5]. Le Tableau 1 montre les profils cliniques et immuno-logiques des patients.

Les ANCA étaient mesurés par immunofluorescence indirecte(IFI) et test Elisa en utilisant un kit commercial (INOVA Diagnostics,Inc. San Diego, CA, États-Unis). Les anticorps anti-protéinase 3 (PR3)et anti-myéloperoxidase (MPO) étaient considérés positifs lorsqueles valeurs dépassaient respectivement 3,5 et 9 U/mL. D’autres testsbiologiques ont été réalisés pour chaque patient, parmi lesquels les

� Ne pas utiliser, pour citation, la référence francaise de cet article, mais la réfé-rence anglaise de Joint Bone Spine avec le DOI ci-dessus.