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JEUR, 2004, 17, 266-268 © Masson, Paris, 2004 Texte des experts QUESTION 14 : Particularités des soins infirmiers chez la personne âgée de plus de 75 ans aux urgences S. BONHOMME-YAUX Clinique de la Miséricorde, 15 rue Fossés St Julien, 14000 Caen. INTRODUCTION « Les services des urgences ont pour mission de pren- dre en charge en priorité, les besoins de soins immédiats … et les besoins de soins urgents ». Les personnes âgées sont fragiles sur le plan médical, psychologique et social de ce fait, la rupture de cet équi- libre précaire est souvent ressenti comme dramatique et urgent [2-3] par eux-même, leur entourage ou le médecin traitant [4]. Cinq à 10 % des motifs de consultation des personnes âgées aux urgences relèvent vraiment des urgences. Qua- tre-vingt dix pour cent des admissions sont justifiées par une pathologie aiguë ou sub-aiguë nécessitant une hospi- talisation mais pas forcement en urgence. Cependant, la grande majorité des infirmières et aides-soignantes qui exercent dans les services d’urgences ont choisi ce lieu d’exercice pour répondre à l’urgence vitale. L’urgence « ressentie » des patients est souvent mal vécue par les soignants qui sont tentés d’émettre un juge- ment hâtif et ce d’autant plus qu’ils sont trop souvent sur- chargés de travail. Le risque est donc réel « d’oublier » la personne âgée de plus de 75 ans, qui ne se manifeste pas sur son brancard. L’ACCUEIL Quelle que soit la structure (présence d’une infirmière d’accueil et d’orientation ou pas) l’accueil est un moment crucial dans la prise en charge initiale. En effet, il s’agit d’établir la communication avec la personne âgée afin de : réaliser un recueil de données dès l’admission aussi fiable et complet que possible ; créer un climat de confiance avec la personne. Ne perdons pas de vue qu’un des facteurs de risque d’une réhospitalisation précoce est la mauvaise prise en charge aux urgences, due entre autres à un interrogatoire superficiel et à des questions mal adaptées à la compré- hension du patient [5]. Dès ce premier contact avec la personne âgée et son entourage s’il est présent, une évaluation de l’IDE (et du médecin) conduira à l’orientation de la personne. Bien souvent, l’orientation première est déterminante pour la prise en charge ultérieure. L’équipe soignante de- vra consigner par écrit toutes les informations qu’elle a recueilli sans discrimination, car les problèmes médico- sociaux existent chez presque toutes les personnes âgées de plus de 75 ans, mais seront bien souvent occultés au profit du tableau pathologique. L’accueil infirmier, aide-soignant de la personne âgée doit aussi lui donner des repères car l’angoisse en- gendrée par l’admission aux urgences peut aggraver ou déclencher un syndrome confusionnel [4]. J’insiste donc sur l’absolue nécessité pour l’équipe soignante d’établir une communication de qualité ave la personne âgée. Cette communication sera verbale mais se fera aussi par le toucher et le regard, elle se doit d’être rassurante. Il s’agit de donner l’impression à la personne âgée que l’on dispose de tout le temps nécessaire pour l’accueillir agréablement. C’est souvent un tour de force ! Le patient peut exprimer des doléances différents auprès de l’IDE et du médecin, il est donc indispensable que l’IDE informe en détail le médecin référent de son re- cueil de données. PATIENT NÉCESSITANT LE DÉCHOCAGE Après évaluation par l’IDE et le médecin, le patient est admis en déchocage médical ou chirurgical. La prio- rité est alors donnée aux soins techniques, mais nous sommes face à une urgence vitale.

Question 14 : Particularités des soins infirmiers chez la personne âgée de plus de 75 ans aux urgences

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Page 1: Question 14 : Particularités des soins infirmiers chez la personne âgée de plus de 75 ans aux urgences

JEUR, 2004, 17, 266-268 ©Masson, Paris, 2004

Texte des experts

QUESTION 14 : Particularités des soins infirmiers chez la personne âgée de plus de 75 ans aux urgences

S. BONHOMME-YAUX

Clinique de la Miséricorde, 15 rue Fossés St Julien, 14000 Caen.

INTRODUCTION

« Les services des urgences ont pour mission de pren-dre en charge en priorité, les besoins de soins immédiats… et les besoins de soins urgents ».

Les personnes âgées sont fragiles sur le plan médical,psychologique et social de ce fait, la rupture de cet équi-libre précaire est souvent ressenti comme dramatique eturgent [2-3] par eux-même, leur entourage ou le médecintraitant [4].

Cinq à 10 % des motifs de consultation des personnesâgées aux urgences relèvent vraiment des urgences. Qua-tre-vingt dix pour cent des admissions sont justifiées parune pathologie aiguë ou sub-aiguë nécessitant une hospi-talisation mais pas forcement en urgence. Cependant, lagrande majorité des infirmières et aides-soignantes quiexercent dans les services d’urgences ont choisi ce lieud’exercice pour répondre à l’urgence vitale.

L’urgence « ressentie » des patients est souvent malvécue par les soignants qui sont tentés d’émettre un juge-ment hâtif et ce d’autant plus qu’ils sont trop souvent sur-chargés de travail.

Le risque est donc réel « d’oublier » la personne âgéede plus de 75 ans, qui ne se manifeste pas sur son brancard.

L’ACCUEIL

Quelle que soit la structure (présence d’une infirmièred’accueil et d’orientation ou pas) l’accueil est un momentcrucial dans la prise en charge initiale. En effet, il s’agitd’établir la communication avec la personne âgée afin de :

– réaliser un recueil de données dès l’admission aussifiable et complet que possible ;

– créer un climat de confiance avec la personne.Ne perdons pas de vue qu’un des facteurs de risque

d’une réhospitalisation précoce est la mauvaise prise en

charge aux urgences, due entre autres à un interrogatoiresuperficiel et à des questions mal adaptées à la compré-hension du patient [5].

Dès ce premier contact avec la personne âgée et sonentourage s’il est présent, une évaluation de l’IDE (et dumédecin) conduira à l’orientation de la personne.

Bien souvent, l’orientation première est déterminantepour la prise en charge ultérieure. L’équipe soignante de-vra consigner par écrit toutes les informations qu’elle arecueilli sans discrimination, car les problèmes médico-sociaux existent chez presque toutes les personnes âgéesde plus de 75 ans, mais seront bien souvent occultés auprofit du tableau pathologique.

L’accueil infirmier, aide-soignant de la personneâgée doit aussi lui donner des repères car l’angoisse en-gendrée par l’admission aux urgences peut aggraver oudéclencher un syndrome confusionnel [4]. J’insistedonc sur l’absolue nécessité pour l’équipe soignanted’établir une communication de qualité ave la personneâgée.

Cette communication sera verbale mais se fera aussipar le toucher et le regard, elle se doit d’être rassurante. Ils’agit de donner l’impression à la personne âgée que l’ondispose de tout le temps nécessaire pour l’accueilliragréablement. C’est souvent un tour de force !

Le patient peut exprimer des doléances différentsauprès de l’IDE et du médecin, il est donc indispensableque l’IDE informe en détail le médecin référent de son re-cueil de données.

PATIENT NÉCESSITANT LE DÉCHOCAGE

Après évaluation par l’IDE et le médecin, le patientest admis en déchocage médical ou chirurgical. La prio-rité est alors donnée aux soins techniques, mais noussommes face à une urgence vitale.

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PARTICULARITÉS DES SOINS INFIRMIERS CHEZ LES PLUS DE 75 ANS 267

« Les soins infirmiers, préventifs, curatifs … intè-grent qualité technique et qualité des relations avec lepatient… Ils ont pour objet, dans le respect des droits dela personne et en tenant compte de la personnalité de cel-le-ci dans ses composantes physiologique, psychologi-que, économique, sociale et culturelle de participer à laprévention, à l’éducation et au soulagement de la douleuret de la détresse physique et psychique des personnes »Décret relatif aux actes infirmiers [6].

S’agissant d’une personne âgée de + de 75 ans, lessoins techniques seront adaptés :

– l’IDE obtiendra des prescriptions lui permettant deregrouper les soins (ex : prélèvements sanguins, voied’abord, relation avant les soins douloureux….)

– si la personne est consciente, l’IDE reste en contactpermanent avec elle pour la rassurer mais aussi pour réa-juster son évaluation. Les soins d’hygiène et de confortsont un moment privilégié de communication avec la per-sonne.

PATIENT NE NÉCESSITANT PAS DE DÉCHOCAGE

L’IDE avec l’aide de L’A.S. assure la surveillance dela personne âgée de + de 75 ans. Indépendamment del’application des soins prescrits, l’IDE s’assure que l’étatde la personne âgée reste stable. Elle assume alors unefonction d’alerte auprès du médecin référent.

Bon nombre de patients admis avec un motif médicalde pathologie aiguë ou sub-aiguë ont un deuxième motifd’admission annoncé ou non qui est la demande de place-ment dans une institution. Ce deuxième motif décourageles équipes médicales et paramédicales des urgences quitrouvent difficilement des lits d’hospitalisation (trop peude lits en gériatrie).

Pour l’IDE et l’A.S, la charge de travail en soins d’hy-giène et de confort est proportionnelle à la dépendance dela personne âgée.

Les brancards se sont modernisés cependant, de nom-breux escarres débutent aux urgences. Les soins de pré-vention des escarres toutes les 3 heures sont rarementréalisables.

LE PATIENT NÉCESSITANT DES SOINS PALLIATIFS

– « Les soins palliatifs sont des soins actifs….. » loidu 9 juin 1999 [7].

– Le recueil de données initial est clair : la personneâgée nécessite une prise en charge palliative déjà mise enplace au domicile ou à la maison de retraite médicalisée,ou à mettre en place.

Les souffrances physiques/psychologiques du pa-tient et/ou la souffrance psychologique de l’entourage né-

cessitent une prise en charge hospitalière de courte oumoyenne durée. Faute de pouvoir hospitaliser leurs pa-tients facilement dans une unité de soins adaptée, les mé-decins traitant confient la personne âgée au médecin desurgences. Nous déplorons tous ce « transit » mais forceest de constater que les urgences sont alors la porte d’en-trée de l’hôpital.

– Le patient est entré pour un motif médical qui né-cessitait des soins curatifs puis l’état de santé de la per-sonne âgée se dégrade.

• L’IDE a alors un rôle prépondérant dans l’alerte dumédecin référent et dans l’aide au recueil de données per-mettant la prise de décision thérapeutique ;

• la prise de décision thérapeutique de soins pallia-tifs est difficile à prendre aux urgences parfois mêmedouloureuse, cependant, les soins palliatifs, c’est « toutce qui reste à faire… lorsqu’il n’y a plus rien à faire »(T. Vannier).

« Lorsqu’il n’y a plus rien à faire….. » implique la re-connaissance des limites du soignant.

« Tout ce qui reste à faire ….. » ouvre à la dimensionspécifique des soins palliatifs.

La dimension spécifique des soins palliatifs c’est :• les soins non plus pour guérir mais pour soulager et

pour le confort ;• l’accompagnement indissociable des soins, il con-

cerne le malade et l’entourage (écoute de la souffrance,des besoins, des limites).

Les IDE et AS des urgences savent et doivent soigneret accompagner. Une fois encore, tout l’art de la commu-nication tient à la faculté de donner l’impression à la per-sonne âgée et à son entourage que l’on dispose de tout letemps nécessaire pour elle. Autrement dit, démultiplierles minutes de la montre, les 2 minutes 30 secondes deprésence réelle doivent être vécues comme 5 minutes parle patient. C’est la relation de qualité qui est le gage d’unsentiment de satiété !

LE PATIENT EN FIN DE VIE

Des personnes âgées de + de 75 ans « à bout desouffle » échouent aux urgences … c’est une constatationdramatique.

POURQUOI ?

• parce que l’entourage ne peut pas assurer les der-nières heures ;

• parce que la « veilleuse » du week-end ou de la nuitde l’institution qui accueillait jusqu’alors la personne nefait plus face.

Et ce, parce que la fin de vie, l’agonie, la mort, sontTABOUS, que bon nombre d’adultes n’ont pas « appris »

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l’accompagnement, ils ne savent pas, ont peur et surtoutne communiquent plus avec le mourant.

Les soignants des urgences sont les premiers accessi-bles et sont considérés comme des experts, des gens quisavent qui vont pouvoir faire quelque chose.

DOIT-ON MOURIR AUX URGENCES ?

NON

MAIS PEUT-ON MOURIR AUX URGENCES ?

OUILe décret relatif aux actes prof. Inf. du 11.02.2002, la

circulaire du 19.02.2002 relative à l’organisation dessoins palliatifs et de l’accompagnement et du code dedéontologie médicale, rappellent que nous avons l’obli-gation de prendre en charge les personnes en fin de vie etleur entourage, quel que soit le service de soins.

Les soignants des urgences doivent se préparer, ac-cepter cette réalité.

« Accompagner quelqu’un, ce n’est pas le précéder,lui indiquer la route, lui imposer un itinéraire, ni mêmeconnaître la direction qu’il va prendre, c’est marcher à sescôtés en le laissant libre de choisir son chemin et le ryth-me de ses pas [8] Vespieren.

• Il convient de soutenir les soignants pour éviter lescomportements de fuite ou de refus ;

• des formations existent qui demandent toujours unpetit travail sur soi-même pour clarifier son approche per-sonnelle de la mort ;

• des protocoles peuvent être élaborés en équipe quiserviraient de GUIDE aux soignants pour réduire aumaximum l’improvisation ;

• des groupes de parole, type groupe Balint peuventêtre mis en place de façon concertée avec les équipes mé-dicales et para-médicales ;

• le « parrainage » est un moyen d’acquérir l’expé-rience que rien ne remplace. Le « novice » accepte alorsde profiter de l’expérience professionnelle que son« parrain » lui transmet.

Il est indispensable que les soignants connaissent :« les étapes du mourir » décrites par E. Kubler Ross.

(Deni, colère, et/ou agressivité, marchandage, dépres-sion, acceptation). Toutes ces étapes ne sont pas force-ment franchies, se font dans le désordre ou bien l’onassiste à des allers-retours entre différentes étapes ; l’ac-ceptation est loin d’être systématiquement atteinte. Tou-tefois, cette description et une aide pour les soignantspermettant de mieux comprendre la personne âgée en finde vie et d’apporter une réponse adaptée.

LES ÉTAPES DU CHEMINEMENT DE L’ENTOURAGE

La peur, le deni, la culpabilité, le décalage, l’ angoisse.

L’entourage a peur

• que celui qu’il aime souffre et qu’on ne puisse rienfaire pour le soulager ;

• d’avoir peur ;• peur du trouble qu’il ne peut cacher ;• peur de l’agonie.Comme la personne âgée elle-même, l’entourage tra-

verse une période de deni plus ou moins longue.Rares sont les familles qui échappent au sentiment de

culpabilité.Le décalage dans le ressenti entre le patient et son en-

tourage est source de grandes difficultés de communica-tion. Les soignants ont un rôle prépondérant dans lerétablissement de la communication entre la personne enfin de vie et son entourage. Il y a alors URGENCE à aiderl’accompagnant naturel qu’est la famille à accompagner.

CONCLUSION

La particularité des soins infirmiers que l’I.D.E. des ur-gences aura à prodiguer aux personnes âgées de + 75 ans,c’est qu’ils couvrent le panel des soins infirmiers techni-ques relationnels d’hygiène et de confort. La personne pou-vant être admise en déchocage puis prise en charge pourdes soins palliatifs pourra glisser vers une fin de vie rapide ;

L’IDE doit alors être performante dans les soins tech-niques adaptés à la personne âgée, développer tout son artde la communication auprès du patient et de son entoura-ge, être vigilante pour réajuster son évaluation clinique ettransmettre les informations au médecin référent. Ce quilui demande un gros pouvoir d’adaptation, de maîtrise desoi pour adapter son comportement à chaque situation.

RÉFÉRENCES

[1] Circulaire No 195/DHOS/01/2003 du 16 Avril 2003 relative à laprise en charge des urgences.

[2] JOSSE A. Raisons d’amission aux urgences de Nantes des person-ne de 75 ans et plus. Thèse de médecine année 1999-2000 facultéde médecine de Nantes.

[3] POUPET JY, INGRAND P, PRADEREC. Les personne âgéesadressées aux urgences : caractéristiques médico-sociales, motifsd’admission et orientation initiale (la Revue de Gériatrie 1995).

[4] FAMELLO S, HOUTEL L, HOUSSIN L. Analyse de la prise encharge des personne âgées de 75 ans et plus par le service des ad-missions et urgences dans un grand hôpital Santé Publique 1999.

[5] HAYES KS. Geriatric assessment in the emergency department.J. EHERG MURS 2000.

[6] Décret No 2002 – 194 du 11.02 2002 relatif aux actes profession-nels et à l’exercice de la profession d’infirmier.

[7] Loi du 9 juin 1999 visant à garantir le décret à l’accès aux soinspalliatifs.

[8] VESPIREN. Face à celui qui meurt, Paris, Dexlée de Brainser 1984.