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Rachel Van Dyken - ekladata.comekladata.com/.../Reborn_Tome_1_Disaster_-_Rachel_Van_Dyken.pdf · À tous ceux qui ont perdu quelqu’un du cancer, tous ceux qui se battent contre

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RachelVanDyken

Disaster

REBORN–1

Traduitdel’anglais(États-Unis)parCharlineMcGregor

OncleJoBob,chaquefoisquejepenseàtoi,troismotsmeviennentàl’esprit:courage,héros,paix.Tuesl’imagedelapaix,tuesunbattantettuesl’exemplemêmedecequej’espèreêtredansmaviede tous les jours. Ton courageme laissemuette d’admiration. Tu ne te laisses pas abattre par toncancer;mieuxencore,aulieudelelaissert’abattre,tut’enserscommed’unmoyenpourtirerverslehautceuxquit’entourent.Jenetrouvepasdemotassezfortpourexprimerl’influencequetuaseuesurmavie.Àmachèrebelle-mère,quiacombattuuncancerduseinetl’aregardédroitdanslesyeuxsansciller.Jet’aime.ÀMonica:meuf, tuvasyarriver.Tuvaspulvérisercettesaloperie,etpuis tu tereposerasavecunverredevinetunbonbouquin.Àtousceuxquiontperduquelqu’unducancer,tousceuxquisebattentcontrelui,auxdocteurs,auxfamilles,auxêtreschersquiontenterréleurâmesœur.Jesuisdetoutcœuravecvous.Celivre…toutceciestpourvous.

Prologue

—Tum’entends?Kiersten?Sa voix était tellement proche que si je fermais les yeux, elle deviendrait peut-être plus réelle

encore.Jetendislamainverslui,maisnesentisquedel’air.Iln’étaitpaslà.Ilétaitparti.C’étaitdoncbeletbienarrivé.Jeclignaidesyeuxàplusieursreprisesetessayaidemeconcentrersurcequise trouvaitdevant

moi.Çaluiressemblait,saufqu’ilétaitbientropéloigné.Pourquoiétais-jeallongéeparterre?—Reviensversmoi.Jevoyaisseslèvresbougerenmêmetempsquemeparvenaientsesmotsréconfortants.—Pascommeça,Kiersten.Pascommeça,bébé.Sespupillesbleuclairsedilataient.—Toutvabiensepasser.Jetelepromets.Maisçanesepassaitpasbien.Jelesavais.Illesavait.Ilétaitparti,etmoij’hallucinais.J’avais perdu l’amour de ma vie.Monmeilleur ami. Combien de pertes les gens pouvaient-ils

supporteravantdemourirà leur tour?Avantque ladouleurne lesconsume?Tous lessouvenirsremontaientà lasurface,ceuxdemesparents,deluientraindejoueraufootball,detouslesmotsqu’ilm’avaitécrits.Denotrepremierbaiser.Denosderniersinstantsensemble.Etpuisl’hôpital.Onnenousavaitpasaccordésuffisammentde temps,et jehaïssaisDieudem’enlever tousceux

quej’aimais.Auboutducompte,ilnerestaitplusquemoipourpleurertousceuxquej’avaisperdus.Unedernièrefois,jetendislamainverssonvisage.Mesdoigtsentrèrentencontactavecunepeau

tiède.Toutcelan’étaitqu’un rêve.Ehbien, sic’étaitun rêve, j’allaisprofiter jusqu’auboutdesonsourire qui éclairait la pièce.Ses lèvres se posèrent surmon front. Je fermai les yeux et imploraiDieudem’emporteraussi.Car jesavaisqu’à l’instantoù jem’éveillerais, jedevraisdire«aurevoir»denouveau,etcette

fois je n’étais pas sûre de supporter que cemot franchisse encoremes lèvres. J’enmourrais.Aurevoir.Celuioucellequiavaitinventél’expressiondevraitbrûlerenenfer.

Chapitrepremier

KIERSTEN

Lafaiblesse,c’estjusteladouleurquiquittelecorps.

Troismoisplustôt

Jemerépétailemêmemantraenboucle,jusqu’àenperdrelatête.Çan’étaitpasréel.Jerefaisaislemêmecauchemar.Çan’étaitpasréel.Être réveillé par sespropres cris n’est jamaisbon signe.Desbruits depas s’approchèrent de la

porte,qui s’ouvritbrusquement surmacamaradedechambre–oui, celleque j’avais rencontréeàpeinequelquesheuresplustôt.—Tuvasbien?Ellefranchittimidementleseuil,lesbrascroiséssurlapoitrine.—J’aientendudescris.OK.J’étaisfolle.Moiquivoulaisrepartirdezéro,voilàquejeterrorisaismacolocataire,leseul

visageamicalquej’aiecroisédepuismonarrivéeàl’UniversitédeWashington.Bienjoué,Kiersten!—Euh…Oui,parvins-jeàrépondresanstrembler.Jesaisquec’estbizarre,maisj’aiencoredes

terreursnocturnes.Enfin,seulementquandjesuissuperstressée,mehâtai-jed’ajouterdevantsonairincrédule.Etquandjesuisassomméedemédocs.Undétailquej’omisdepréciser.—Ah.Elles’humectaleslèvresetjetaunregardderrièreelle.—Tuveuxquejedormeaupieddetonlit?Tusais,çanemedérangepas,situashyperpeur.QueDieubénissesoncœurdefilleduSuddébordantd’hospitalité.—Nonmerci,répondis-jeensouriant.Çava.J’espèrenepast’avoirtropfichulatrouille.—Net’enfaispas…,dit-elleenagitantlamaind’unairnonchalant.J’aimaispastropmalampede

chevet,detoutefaçon.—Monhurlementabrisétalampe?Lahonte!—Non,maisma chute, oui. Il faut croire que tomber d’un lit superposé à une heure dumatin

relèvedusportdecombat.Avecmalampedanslerôledelacibleprincipale.Jeterassure,ajouta-t-elle en soupirant, elle n’a pas souffert. Elle a explosé en touchant le sol. Et puis j’ai glissé sur lenounoursquiétait tombé luiaussi.Cequiétaitunebonnechose,car ilaamortimachute.Bref,auboutducomptejem’ensorsavecdeuxpetitshématomesderiendutout.J’enfouislevisageentremesmains.—Putain!Jesuisvraimentnavrée!

—Non,çava.Jesuisunaccidentsurpattes,detoutefaçon,fit-elleenriant.Maissituprévoisdehurlertoutelanuit,jepréfèreprendrelacouchettedubas.Monpassédetueusedelampesestderrièremoi.Jehochailatêteavecunsourire.—Évidemment.Maisjeneveuxpasquetu…—Arrêtedet’excuser.LesouriredeLisaétaitchaleureuxetrassurant.—Oh,etsoitditenpassant,jesuissomnambule,ajouta-t-elle.Ducoup,situteréveillesensursaut

avecmoipenchéeau-dessusdetoi,essaiedenepasmefileruncoupdepoingdanslafigure.—Waouh,onfaitunesacréepaire,touteslesdeux!Elleattrapaunecouverturesurmonlitetlajetaausol.—Tusais,lapetitecasedédiéeauxcommentairespersonnels,enbasdelafiched’inscriptionpour

lelogement?—Oui?—Jesuissûrequec’estunpiègepournousmettretousensemble,nouslesdingos.Jebâillai.— J’ai besoin d’un oreiller, annonça Lisa. Je reviens tout de suite. Allez, finis les hurlements.

Fermelesyeux,etdemainmatinonpartiraàlachasseauxmecs.Tun’asqu’àrêverdeça.—Auxmecs?Lisapassaunemèchedesescheveuxbrunsderrièresonoreille.—Euh…Àmoinsquetunesoisintéresséeparlesfilles.C’estvrai,çanemeposepasdeproblème

situjouesdansl’autrecamp,jevoulaisjustedire…—Non,non,non.Un bref éclat de rire s’échappa demes lèvres. J’avais la tête d’une fille qui jouait dans l’autre

camp?—Non,cen’estpasça.Jen’aijamaiseudepetitami,c’esttout.Sérieusement?—Mapauvre!Commenttuasfaitpoursurvivre?—Netflix,JohnnyDepp,bouquins.J’airéussi,larassurai-jeavecunhaussementd’épaules.Crois-

moi,situavaisgrandidanslamêmevillequemoi,tun’auraispasfréquentélemoindregarçonnonplus.—Ahouais?Etpourquoiça?Soudain elle leva lamain et se précipita hors de la chambre avant de revenir avec son oreiller.

L’ayantjetéausol,elles’assitentailleuretbâilla.—OK,tupeuxcontinuer.—Lesgarçons…Jem’allongeaisurlecôtéafindeluifaireface.—Jenesortaispasaveceuxparcequemavilleétaittellementminusculequemamèremedisait

«àtessouhaits»avantmêmequej’aieeuletempsd’éternuer.Non,sérieusement,laseulefoisoùj’aieuunemauvaisenotesurmoncarnet,çaafaitlaunedujournallocal,tuvoislegenre.—Quoi?Maisdansquellevilletuasgrandi?—Unevillequiafficheàl’unitéprèslenombredetouristesquiviennentenvisiteàlahautesaison.—La«hautesaison»?— La saison touristique. Les gens viennent goûter le vin. L’année dernière, on a eu cinq cents

œnologuesenherbe,cequireprésenteplusquel’ensembledeshabitantsduvillageréunis.

—Çamedéprime,tonhistoire,déclaraLisa.Ducoup,aucunmecmignon?—Lefilsdumaireétaitmignon.—Ah,çac’estcool!seréjouit-elle.—Ouais,lequarterbackdel’équipedefootballétaitdetonavis.—Etlui,ilafaitlesgrostitres?s’enquit-elleengrimaçant.Jehochailatêteenl’imitant.—Benoui.Àcôtédemamauvaisenote.—J’auraisencorepréférélamauvaisenote.—Idem.J’éclataiderire.Çafaisaitdubiendesentirquequelqu’uncomprenait l’enferqueçaavaitétéde

meretrouveraucentredel’attention.Peuàpeu,jemesentaisplusdétendue.— Bon, il va nous falloir rectifier la situation sur-le-champ, annonça Lisa en s’humectant les

lèvres. Je connais des tas de garçons. J’en ai rencontré au moins dix rien qu’à la réuniond’intégration,cematin.Dontuntatoué.Ellelaissaéchapperunsoupirnostalgique.—Jecraquepourlestatouages.—Maisilstecouvrentlapeau,luifis-jeremarquer.Etpuis,untatouage,c’estpourlavie.Tune

trouvespasçavulgaire?—Maistuesqui?s’étonna-t-elleenlouchantsurmoi.Fautcroirequetonpatelinaétébâtisousun

rocher.—Euh…(Jepouffai.)Tuastoutcompris.—Fais-moiconfiance,laseuleraisonpourlaquelletun’aimespaslestatouages,c’estquetun’en

as jamaisvuunbeau,biendessinésuruncorpssexy.Tuchangerasd’avisvite faitquand tuverrascette beauté sur des tablettes d’abdos. Punaise, la dernière fois que j’ai croisé un mec avec destatouages,jeluiaidemandésijepouvaisleslécher.—Etilaréponduquoi?Lisasoupira.—Oui…Puisellehaussalesépaules.—Onestsortisensembleunesemaine,aprèsjesuisalléevoirsil’herbeétaitplusverteailleurs.—Pourtrouveruntatouageplusgrand?—Commenttuasdeviné?Ellesemitàrireàgorgedéployée.—J’étaisplusoumoinsconnuepourêtrelagarcedel’école,maisbon,c’étaitmieuxquedenepas

êtreconnuedutout.Ne sachant pas trop qu’en penser, je gardai le silence. D’autant que je n’avais jamais embrassé

aucungarçon.Tropembarrasséepouradmettremonmanqued’expérience,jemecontentaidehausserlesépaules.—Bon,c’estàçaquesertlafac,non?Unnouveaudépart.—Exact.Sonregards’assombritl’espaced’unefractiondeseconde.Sonsouriredisparut.—Enfin,bref,onferaitmieuxdedormirsionpartenchassedemain.—OK,acquiesçai-jeenbâillantdenouveau.Merci,Lisa,deveillersurmoi.—Quellesortedecolocatairejeferais,sijen’avaispasaccouru?—Dugenrequinecassepasleslampesetneseréveillepasavecdeuxhématomes?

—Putaindelampe!marmonna-t-elle.Bonnenuit,Kiersten.—Bonnenuit.

Chapitre2

KIERSTEN

Siçaressembleàunrat,queçasentcommeunrat,c’estprobablementunesaletéderat.—Nom?Letypedelaviescolairenelevapaslesyeux;ilinterrompittoutjustesonmouvement,lesdoigts

planant au-dessus de son iPad. Je m’étais réveillée à 7 heures afin de pouvoir confirmer moninscription au plus tôt, dès 8 heures. Les tables étaient alignées devant le foyer, façon prison. Aumoinsvingtétudiantsenfindecyclesetenaientdevantcestables,distribuantavecunennuimanifestedespacksdebienvenue.—Kiersten,répondis-je.Illâchaunsoupirirrité.— Il y a plus de trente-cinq mille étudiants sur ce campus, et vous imaginez que je vais vous

cherchersousvotreprénom,Kiersten?—Désolée.Euh…Rowe.KierstenRowe.Iltapamonnom.—Ehbien,RoweKierstenRowe,ondiraitquevousêtesinscritedansdix-neufUVetqu’ilvous

fautenchoisiruneprincipale.C’étaitquoi,cetype?Unprofileur?—Exact.Jemebalançaisurmestalonsetm’éclaircislagorge.Iln’avaittoujourspaslevélesyeux.—Hum.(Lesmainssedéplaçaientavecfluiditésurl’écran.)OK,jevousenvoievotreemploidu

tempssurvotreadressemaildel’université.Ilreposal’iPadetattrapaunpack.—Planducampus, codesdemessagerie électronique, adressemail, tout lenécessaire se trouve

danscetteenveloppe.Sivousavezd’autresquestions,adressez-vousàvotreRA1.J’espère qu’il entendait par là la responsable de l’étage, car s’il s’agissait d’autre chose, je ne

savaispasdécoder.—OK,répondis-jeenprenantlepaquetqu’ilmejetaitpresqueauvisage.Etmacarted’étudiante?—Suivant!Ilmejetaunautreregardagacé.—Jevousdemandepardon,insistai-je.Oùest-cequejerécupèremacarted’étudiante?—Écoutez,Kiersten,dit-il,l’airexaspéré,j’aiplusieurscentainesd’étudiantsquifontlaqueue.Je

vous ai dit que tout ce dont vous aviez besoin se trouvait dans cette enveloppe, alors regardez àl’intérieur.Etsivousavezdesquestions,adressez-lesàvotreRA.Quantànous,conclut-ilennousdésignant,luid’abordpuismoiensuite,onenaterminé.C’étaitquoi,sonproblème,àcetype?Jenesavaispassijedevaisêtregênéeouencolère.Jememisàjurerentremesdents,l’enveloppe

serréecontremapoitrine,avantdetournerlestalons.Jeluiadressaiundernierregardfurieuxpar-dessusmonépauleetentraiencollisionavecunarbre.Dumoins,cequiressemblaitàunarbre,autoucher.Saufquelesarbresn’étaientpaschauds.Etqu’ilsn’avaientpasune,deux,trois,quatre,six.BonDieu,huit?Huittablettesd’abdominaux?

Non, mais je venais de palper les tablettes de quelqu’un ? Putain, j’étais même en train de lescompter!J’endessinaischaquecontour.Etmamainétaitencorefermementposéesur leventredugars.Génial!Jeretiraivivementlesdoigtsetfermailesyeux.—Jerêveoutuesentraindecomptermestablettes?Letonparaissaitamusé.Lavoixressemblaitàcelled’unestardecinéma,dugenrequivousdonne

enviedesauteràtraversl’écrandelatélé.Profonde,ferme,avecunlégeraccentquejen’arrivaispasàinterpréter.Anglais?Écossais?Jememordillai la lèvre inférieureenréfléchissantàmaréponse.Mais j’eusbeaumecreuser la

cervelle,jenevoyaisaucunmoyendem’ensortir.Alorsjehochailatête.—Pardon,je…Jen’auraispasdûleregarder.Sijepouvaisremonterletemps,jeleferais.J’ignoraisqu’unseul

regard suffirait à me détruire. Des semaines plus tard, je regretterais cet instant précis. Pour unesimpleetbonneraison:sesyeuxseraientmaruine.—Weston,mesalua-t-il,lamaintendue.Ettues?Foutue.—Kiersten.Jeserraiunpeuplus fort l’enveloppecontremapoitrine. Il louchasurmesmains,puisposa les

yeuxsurcellequ’ilmeprésentait.—Tuasunmicrobe?—Hein?Quoi?Non!—Unemaladie?Samainrestaittendueentrenous,etlasituationdevenaitdeplusenplusembarrassante.Retiretamain!—Euh…non.—Bien.Alors il déplaça sa main, qui abandonna le territoire protégé pour venir me toucher. Enfin, il

touchaitmonenveloppe,etpourtantj’auraisjurésentirsachaleurtandisqu’ilmelaprenaitdesmainspourleslibérer.—Bon,commenta-t-ilentendantdenouveausamain,oùenétions-nous?Bordel,maisqu’est-cequiclochaitchezmoi?Cen’étaitpasquejerefusaisdeluiserrerlamain.

C’étaitjustequej’étaisgênéeetquejevoulaisfuir,carjenesavaispass’ilsemontraitsimplementaimablepourêtreaimableou…Waouh,j’avaisbesoind’unesacréethérapie.M’éclaircissant la gorge, je lui serrai enfin la main. Son sourire narquois me fit paniquer. Il

agrippamesdoigtsetbaissalesyeuxversnospaumesainsijointes,puisilmarmonnaquelquechoseàmi-voix.Etquandilrelâchaenfinsapoigne,j’éprouvaiunedrôledesensation.—Tuvois?fit-ilenmerendantmonenveloppe.Cen’étaitpassicompliquéqueça,si?—Non.Jedéglutisetdétournailesyeuxendirectiondelapelousebondée.J’étaisincapabledeleregarder

enface.C’estvousdirecommeilétaitbeau.Jamais jen’avaisvud’hommeaussiséduisantdans la

vraievie.Oui, j’enavaisvudepareilsdans lesmagazines,aucinéma,mais lui…Ilétaitbienréel,c’était le sex appeal fait homme. Or vu mon absence totale d’expérience en la matière, je devaisprendre toutes les précautions possibles et imaginables ne serait-ce que pour ne pas oublier derespirer.Il avait les yeux bleu pâle, les cheveux blond doré, un peu trop longs et bouclés au niveau des

oreilles. Et un sourire irrésistible, qui risquait de me hanter pour le reste de mes jours. Naturel,décontracté,avecdesfossettesquinefaisaientqu’aggraverlasituation.Etjenevousparlemêmepasdesonodeur.Ilmesemblaitdécelerunepointedecannelle,etd’autrechosequejen’arrivaispasàidentifierprécisément.Çam’agaçaitdevoircombiençaparaissaitfaciledesourire,pourlui.Commesitoutallaitpourlemieuxaumonde,alorsqu’enmoi,c’étaittoutlecontraire.Ilvoulaitmeserrerlamain et connaître mon nom, tandis que j’aspirais seulement à filer dans ma chambre pour merecroqueviller dans un coin etme balancer d’avant en arrière, jusqu’à ce quemes antidépresseursdécidentdefaireleurœuvre.—Joli!commenta-t-ilenricanant.Onpassedirectementdetesmainssurmesabdosàl’insultequi

consisteàrefuserdemeserrerlamain,pourterminersurleregistredelarêverie.Jemetrompe?— Oh, là, là. (Je fermai les yeux.) Je suis désolée. C’est mon premier jour, et je suis très…

nerveuse.Voilàqui étaitmieux.Bienmieuxquequelques secondes auparavant, où j’étais àdeuxdoigtsde

craquer.—Jepeuxt’aider?—Maisjeneteconnaispas,lâchai-je.—Biensûrquesi.Jenesaiscomment,ilmanœuvradefaçonàseretrouverlebrasautourdemonépaule,etmarchaà

côté demoi en direction dema chambre. Putain ! C’était ainsi qu’on profitait des filles. Prise depanique,jebalayailapelousedesyeux,enquêtedeLisaquejenevisnullepart.—Non.Jefreinaidesquatrefers.— Je… euh… Je dois trouverma camarade de chambre etma carte d’étudiante ! Je dois aller

cherchermacarted’étudiante!Etpuissurtout,jedoistrouvermonRA…Onauraitditunegamineperduedansunparc.Amusant,vuquelaplupartdutempsc’étaitainsique

jemesentais:perdue,tellelapiècemanquanted’unpuzzleoubliantqu’ellefaisaitpartied’untout.Lamarginale,lasolitaire,la…—Jemeproposejustementdet’aider,reprit-ilaveclemêmesouriremoqueur.—Jen’aipasbesoindecegenred’aide,chuchotai-je.—Hein?Ils’immobilisaetéclataderire.—Bordel,jecroisquejet’aime,toi.Explosionauniveauducœur.Sans cesser de rire, ilm’attira plus près de lui. Eh bien, aumoinsmon oncle n’aurait pas à se

soucier deme payer la fac.Car j’étais à deux doigts de connaître lemême sort que la fille, dansTaken.Saufquemoi,jen’avaisaucungrosdursouslamainpourveniràmarescousse.Moncœurfitunautresautpérilleux.—Jen’aipas l’intentiondeprofiterde toi,m’assuraWeston.Ne leprendspasmal,mais tume

paraisbientropinnocente,cequetuasd’ailleursconfirméentetrompantsurmesintentions.Jeneteproposepasmonaidedanslebutdetemettredansmonlit.

Monvisages’enflamma.—Sanscompter,ajouta-t-ilenseremettantàmarcher,quetuesenpremièreannée.Jenedonnepas

danslespremièresannées.Enfait,jenelesaidemêmepas,engénéral,maistuasfaillimerenverser,ettuaurasbeaulenierautantquetuvoudras,tuétaisbeletbienentraindecomptermestablettesdechocolat…—Pasdutout…— Oh que si ! insista-t-il en lâchant un soupir pseudo mélancolique. Je t’ai vue en train de

murmurer:«un,deux,trois.»Pourtoninformation,ilyenahuitentout.J’aihuitpairesd’abdos.Jefaisbeaucoupdesport.—Super,répondis-jeentremesdentsserrées.—Oh,petitagneau,nesoispasgênée.Ils’arrêtadenouveauetmelâchalamain.—«Petitagneau»?—Oui,pur,dit-ilensouriant.Etunpeuperdu.Commeunpetitagneau.Ilhaussalesépaulesetdésignamondortoir.—Bon,mercidem’avoirraccompagnéejusqu’àmarésidence.Jem’apprêtaiàpasserdevantluiquandilm’attrapaparlepoignet.—Tuveuxparlerdetacarted’étudianteauRA?—Ouais, jevaisallerlavoirmaintenant,répondis-jeenmelibérant.Alorsmerci.Mercipour…

tout.L’inadaptationsocialeavaitdésormaisunvisage.Ilhumectaseslèvrescharnuesetsouritdeplusbelle.—C’estça,valavoir.—OK.Jereculaienhâte,manquantdetrébucher,puisjegravislesmarchesmenantauxchambres.Unefoisdanslehall,jesentaisencoresonregardposésurmoi.Jemeretournai.Ilsouriaitdetoutessesdents.J’agitailamain.Ilagitalasienne.Non,maissérieusement,c’étaitquoicepetitjeu?Étouffant un juron, je parcourus des yeux les indications des différents étages et localisai la

chambre de la RA. Sixième étage. Bien ma veine. Je me dirigeai vers l’escalier pour entamerlentementl’ascension.Enatteignantlesixième,j’étaistouteprêteàoubliermonhistoiredecarted’étudianteenéchange

d’une petite sieste. L’un des effets secondaires des médicaments. Parfois ils provoquaient dessomnolences.D’autresfois,ilsmedonnaientdesrêvessiréalistesquej’avaisl’impressiondejouerlepremierrôledansAliceaupaysdesmerveilles.Jemerendisenmarmonnantàl’autreboutducouloir.Chambre666.C’étaituneblague,non?Je

frappaideuxcoupsàlaporte.Quis’ouvritengrand,pourrévélerma…—Weston?—Petitagneau!s’exclama-t-il,ungrandsourireauxlèvres.—Enquoipuis-jet’aider?

1.ResidentAssistant:étudiantplusâgéquiestresponsabled’unétageoud’ungrouped’appartementssuruncampusuniversitaire.

Chapitre3

KIERSTEN

J’auraisjamaisdûyallerJereculaidequelquespaspourvérifierlenumérosurlaporte.—Je…euh…laRAn’estpaslà?Tu…tut’esintroduitchezelle?—Primo,fit-ilenlevantundoigt,situmecroisobligédem’introduirechezunefilleparlaforce,

tufaisfausseroute.Engénéral,jefrappe,etellesouvrent.C’estaussisimplequeça.Çanem’étonnaitqu’àmoitié.— Deusio, poursuivit-il en levant deux doigts, la personne que tu as devant toi, c’est le RA.

Maintenant, pourquoi nepas entrer, que je t’explique comment ça fonctionne, tonhistoire de carted’étudiante?Leslèvresserrées,jesecouaifermementlatête,maisentraimalgrétoutdanslapièce.Trèspropre.

Rien de comparable avec ce à quoi jem’attendais, après tout ce que j’avais lu sur les garçons etl’hygiène.—Alors,repritWestonensedirigeantverssonlitoùils’assit,montre-moitonemploidutempset

jerépondraiàtoutestesquestions.Jen’enrevenaistoujourspasqu’ilsoitmonRA.—Jenecomprendspas.Jecroyaisqueleresponsabledespremièresannéesétaitunefille.—Changementdesexe,répliquaWestontrèssérieusement.J’étaisunenfantperturbé.— Très drôle, commentai-je en levant les yeux au ciel. Non, mais sans rire, j’ai demandé un

dortoirexclusivementféminin,etvoilàqu’onm’installedansunbâtimentmixteetqu’enplus,monRAest…J’allaisdire«ungarssupersexy»,maisparvinsdejustesseàm’enempêcher,m’évitantainsila

honteafférente.— Un dieu du sexe. (Il l’avait dit pour moi.) Je sais, la vie est trop généreuse avec certaines

personnes.Poussantunprofondsoupir,iltirauneliassedepapiersdemonenveloppeetsiffla.—Waouh,quelemploidutemps!Dix-neufUV?Pasdemoduleprincipal?Tuneseraispasdu

genreindécise,toi?Monpremierréflexefutdeluirétorquerqu’ilnemeconnaissaitpas.Enfait, j’avaisenviedelui

balancern’importequelleremarquebiensèche.Quesavait-ildemavie?Demonpassé?Desraisonspour lesquelles j’étais incapabledem’engager surunevoieprécise ?Commes’il avaitdevinémacolère,montéléphoneportablesemitàsonner.Uncoupd’œilàl’écran:oncleJoBob.Quej’appelaisJo.Ils’occupaitdemoidepuisdeuxans.Depuis…quetoutçaétaitarrivé.Je rejetai l’appel. Oncle Jo allait flipper s’il entendait une voix masculine en fond sonore, or

Westonn’étaitvisiblementpasunprodeladiscrétion.Non,ilétaitplutôthommeàfaireétalagedesavie.Bordel,iln’étaitquandmêmepasentraindesefaireunepetiteséanced’abdosassissurlebord

desonlit,quandmême?Bon,jenepouvaisl’affirmer,vuqu’ilportaituntee-shirtblancàmancheslonguessurunjeandéchiré.— Bon, lança-t-il en sortant un stylo pour griffonner quelque chose sur le papier. Le plan du

campusvadevenirtaBible.Neteperdspasetnesorspasseulelanuit,d’accord?—Jepensequec’estàmaportée.Jeluiarrachailepapierdesmains.—Macarted’étudiante?—Bien.Ilseleva,lesmainsenfoncéesdanssespoches.—J’aientourélebâtimentsurcettecarte.Fais-moiunjolisourirepourlaphoto,petitagneau.Jegrimaçai.—Tucomptesm’appelercommeçatoutel’année?—Tupréférerais un autrepetit nom? chuchota-t-il, si prèsque ses lèvres frôlèrent presque les

miennes.—Euh…nonmerci,répondis-jed’unevoixtremblante.—Tuenessûre?Ilregardaitfixementmeslèvres.Commejereculaid’unpas,ilavançad’autantversmoi.—Jecroyaisquetunedonnaispasdanslespremièresannées.J’étaislittéralementacculée.Jesentisquelquechosededurdansmondos.— Je suis peut-être en train de changer d’avis, annonça-t-il en soulevantmonmenton vers son

visage.J’aitoujoursadorélesrousses.Jeplissailesyeux.—Blondevénitienne.—Rousse.—Rouxtrèsclair.Ilsoupira.—Jesuisdésolédete l’apprendre,maistescheveuxsontroux.Tuesrousse,pasrouxclair,pas

blondvénitien.Accepte-le,visavecetapprendsàl’apprécier.Parcequetuessuperbelle.OK,voilàqui avait lemérited’êtredirect. Jem’humectai les lèvresetmarmonnaiun«merci»

avantdem’échapperpourmedirigerdroitverslaporte.—Tun’oubliesrien?lança-t-ilderrièremoi.—Non…Jem’immobilisai.Sesmainsétaientdéjàsurmesépaules.Lentement,ilmefitpivoterfaceàluiet

metenditleplanaccompagnédemonenveloppe.—Voilà.N’oubliepascequej’aidit:onnesepromènepastouteseulelanuitetonsourit.—J’essaierai.—Essayer ne suffit pas, corrigea-t-il en resserrant son emprise surmes épaules. Soismaligne.

Déplace-toiavecunecopine.Resteenbinôme.Neboisrienquisentebizarre…—Etn’entrepasseuledanslachambred’ungarçon,mêmes’ils’agitduRA.Sonsouriredisparut.—Touché.Jeluireprismonenveloppedesmainsetsortis.—Etprendsl’ascenseur!cria-t-ildansmondos.C’était donc ainsi qu’il m’avait devancée. Le salaud. Je levai les yeux et aperçus le panonceau

indiquant l’ascenseur. J’appuyai sur leboutond’appel, refusantdeme retourner.Mêmesi je savais

pertinemmentquesaporteétaitencoreouverteetqu’ilm’observait.

Chapitre4

KIERSTEN

Meridiculiserdevantletypeleplussexydelaplanète?Fait.—Oùtuétaispassée?Lesmainslevéesverslecielensigned’impuissance,Lisasemblaitoutréeparmonabsence.—Jet’aicherchéepartout!EtGabenonplusnetetrouvaitpas!—Gabe?J’entraidanslapièce.—Gabe,fitLisaendésignantunbrunauxcheveuxmi-longs.—Gabe,confirma-t-ilenagitantlamaindansmadirection.Ilavaitunpiercingaunezettellementdetatouagessurlesbrasquejeredoutaidefaireuneattaque

rienqu’enregardantlesdessinssemouvoir.—Salut,lançai-jeenluirendantlapolitesse.Enchantée.EtcommentGabepouvait-ilmechercher,

alorsqu’ilnesaitmêmepasquijesuis?—Facebook,réponditLisaavecunhaussementd’épaules.J’airetrouvétapage,j’aicliquésurta

photo,jelaluiaimisesouslenezetj’ai…—…hurlé,l’interrompitGabe.Elleahurlé.Unelégèretendanceàenfairetrop,notreLisa.Elle

s’étaitmisentêtequ’ont’avaitkidnappée.—Cen’étaitpasloindelavérité,marmonnai-je.—Quoi?!s’écriaLisa.—Tuasprisdestrucs?répliquai-je,etjemepenchaipourexaminersespupilles.—Ducafé,réponditGabe.Assezpourtuerquelqu’un.—Quit’aenlevée?insistaLisaenmeprenantparlebras.—Moi,intervintunevoixdepuislaporte.Bordel…Ilavaitposéuntraqueursurmoiouquoi?Lisa ouvrit grand la bouche, et l’espace d’un instant je craignis qu’elle ne s’évanouisse.Même

Gabe semblait sidéré.Oui,OK,Weston était sexy,mais pas assez pour rendre hommes et femmesmuetsd’admiration.Jepivotaisurmestalons.—Qu’est-cequetuveux?—Oh,susceptible.J’aimeça.Ilm’adressaunsourireencoin.—Tuasoubliétonsac,expliqua-t-ilenmetendantmonDooneyandBourkenoir.Etjepréciseque

jen’aipasfouilléàl’intérieur.Voilà une possibilité que je n’avais même pas envisagée. Mes pilules étaient là-dedans. Il me

prendraitprobablementpourunefolle,s’illesvoyait.Quelgenredepersonnedoitavalerdesmédocspoursupportersavie?Moi.J’auraistellementaimépouvoirm’enpasser.

—Euh…merci.J’essayaide l’inciteràrepartir,au lieudequoi il jetaunregardcirculairesur lapièce.Sesyeux

semblaientseposersurchaquedétail,delapeintureàlamoquette,puisilressortitenfin.—Oh!s’exclama-t-ilenlevantlamainquandilfutdanslecouloir.J’aifaillioublier.Iltiraunfeutredesapocheetmesaisitlamainavantmêmequej’aieletempsderéagir.D’ungeste

preste, il écrivit un numéro de téléphone dansma paume et souffla dessus jusqu’à ce que l’encreindélébilesoitsèche.Cettebrisemetraversajusqu’àlapointedesorteils.Ilsepeutmêmequej’aielégèrementvacillé,

maisjen’ensuispascertainecarjeperdisconnaissancequelquesinstants.—Voilà.Ilrelevalatêteetplongeadansmesyeux.—Justeaucasoùlepetitagneauneretrouveraitpluslechemindelamaison.—Tropmignon.—Merci.Ilmefitunclind’œiletsortit.Lachambreseretrouvaplongéedanslesilence.JefrissonnaietmetournaiversLisa.Labouche

grande ouverte, elle semblait bien vivante, mais aucun son ne sortait d’elle à part un vaguegémissement.Ellefaisaituneattaque?Gabebonditsursespiedsetallaclaquerlaporte.—Benmerde alors ! s’exclama-t-il en frappant dans sesmains, avant de jurer de nouveau. En

dehorsdesmatchsdefootetdescours,jenel’avaisjamaisvu.Non,c’estvrai,ilneparleàpersonne.Ilnesortjamaisdesoncercle!Son « cercle » ? Je n’avais entendu ce terme que dans des films. Cela signifiait-il queWeston

s’entouraitdetoutuntasdegensenpermanence?Bizarre,parcequemoijenel’avaisvuqueseul.—C’estnotreRA.—TUDÉCONNES!hurlaLisa,l’airauborddumalaise.Ohputain,ilfautquejem’asseye.Gabe,

apporteunéventail,jecroisquejevaism’évanouir.L’intéressélevalesyeuxauciel.—Çafaitplaisirdevoirlaplacequetum’accordesfaceaudemi-dieu.—TunerespirespaslemêmeairqueWestonMichels.Michels?Pourquoicenomm’était-ilfamilier?—Merci,cousine.—Pasdeproblème.—«Cousine»?répétai-je.—Ahoui, c’est vrai,Gabe estmoncousin, expliquaLisa, avantd’agiter lamainpourme faire

taireetd’entamerdesexercicesderespiration.Bon,aumoinsçasignifiaitqu’elleneramenaitpasdéjàdesétrangersdansnotrechambre.Gabe

s’assitprèsd’elle,lesourirejusqu’auxoreilles.— OK, qu’est-ce que j’ai raté, là ? demandai-je en m’installant sur le canapé. C’est quelqu’un

d’important,ceWeston?Gabeéclataderireensetapantlacuisse.—Tudéconnes,là?Maistuvivaisoù?—Bickelton.—Quoi?Ilsepenchaversmoi,commepourm’examiner.Jeparlaisbienanglais,non?

—Unepetiteville,expliquaLisa,avantdereportersonattentionsurmoi.Jen’arrivepasàcroirequetuignoresquiestWeston.Sérieux?Tuasditqueturegardaislatélé,pourtant.—C’est vrai,medéfendis-je.Enfin, bon, je regardeNetflix et je lis desmagazines, tout ça.Du

moins,quandilssontdisponiblesàl’épicerie.—Putaindemerde,tuvisdanslesannéescinquante!ricanaGabe.Jeluijetaiunregardnoir.—WestonMichels,répétaLisa.Elletapalenomdanssontéléphone,qu’ellemetendit.J’auraisdûm’endouter.IlavaitunepageIMDb2.Pasbonsigne.Çasentaitl’industrieduspectacleàpleinnez.Jefisdéfiler

lapage.Etvoilà.L’articledeForbesdataitd’ilyavaitenvirondeuxans,àpeuprèsaumêmemomentquel’accident.

Jenesortaispasdesmasses,àl’époque.Jemerappellemêmetrèsbienqu’oncleJoavaitmenacédemefoutredehorssijenequittaispasmachambre.Je tapotai sur l’écran pour agrandir l’image. Il avait les cheveux plus longs, aujourd’hui. En

revanche,surlaphotodeForbes,ilparaissaitplusheureux,décontractémême.Jeravalailasoudainesécheresse dansma gorge tout en continuant à lire et à observer les clichés. Une nouvelle photoreprésentaitWestonMichelsetsonpère,RandyMichels,l’unedesplusgrossesfortunesmondiales.IlsavaientemménagéauxÉtats-UnisquandWestonavaithuit ans,cequiexpliquait sonaccent– jesavaisbienqu’ilsonnaitbritannique!—C’estunesorted’hybride,commentaGabeenmereprenantletéléphone.WestonMichelsestsur

lepointd’hériterd’unefortunedeplusieursmilliards.—Danscecas,pourquoiest-cequ’ilestRA?J’avaisexprimémonétonnementàvoixhaute.— C’est un châtiment pour ses nombreux péchés, lâcha Gabe. Et quand tu es le fils de Randy

Michels,tunepeuxpaspécheràl’abridesregards.Lemondeentieresttémoindetesturpitudes.—Des«turpitudes»?répétai-je.Qu’est-cequ’ilafait?—Violéunefille.C’estdumoinscequ’onraconte.Safamilleaachetélesilencedelavictime.Ils

sortaientensemble,àl’époque.Ellel’aplaqué,etpuisill’aobligéeàcoucheravecluiouuntrucdugenre. Les détails ne sont pas très clairs, conclut Gabe avec un bâillement. Toujours d’après larumeur,ildevaitabandonnerlafac,maissonpèreadûl’obligeràtoutavouer.Jemetordaislesmainsenessayantdecomprendre.—Donc…NotreRAestunvioleurprésumé?Commentpeuvent-ilsaccepterça,àl’université?—C’estvrai,ça,comment? intervintenfinLisa.Ce typeestundieu.Jepariequecettesalopea

monté cette histoire de toutes pièces.C’est pas possible qu’unmec comme lui prenne ce genre derisques.—Maislesrichesonttendanceàtoutcontrôler,arguai-je.MonestomacseserraalorsquejemerappelaimaconversationavecWestondanssachambre.Il

avaitfailliprofiterdemoi,ouquoi?Jem’enveloppaiplusfermementdansmonpull.—Çaprouvejustequel’argentpeuttoutacheter,fitGabeens’étirantsurlecanapé.IlestRA,ilne

s’estpasfaitvirerdel’équipedefoot,etd’aprèscequ’onraconte,ilrentrejusted’unweek-enddefêteàMalibu.Jediraisqu’ilvaplutôtbien.—Etlafille?demandai-je.—Ah,Lorelei.Ellevabienaussi.Lelendemaindel’incident,onl’avuesortiravecunautretype.

Ducoup,m’estavisquecettehistoiredeviol…Ouais,c’estsansdoutepasvrai.Enfin,moi,jenemesépareraispasdemonsifflet,àvotreplace.—Unsifflet?répétai-je.Unsiffletanti-viol?Gabesecoualatête.—Non,unsiffletd’arbitredebasket.T’essérieuse,là?—Oui.Ilm’observauninstant.—Jesuisinquietpourlasécuritédetacoloc,Lisa.—Arrête,ellevatrèsbien.—OK.Gabefermalesyeuxenricanant.—Etquandlegrandméchantloup,égalementconnusouslenomdeWestonMichels,déciderade

s’introduiredanssabergerie,qu’est-cequ’ellevafaire?Secacher?Regarde-la.Et il pointa le doigt dans ma direction. Je reculai d’un pas. Lisa pencha la tête sur un côté,

examinanttouràtourmatenueetmacoiffure.Malàl’aise,jecommençaiàm’agiteretmepassailescheveuxderrièrel’oreille.—Jepourraislarendremoche.Elletirasurmontee-shirtetloucha.Jeluitapaisurlamain,puiscroisailesbras.—Ilfaudraitd’abordluiraserlatête,suggéraGabe.Lisaopinaduchef.—Etluimettreunmasquesurlevisage.—Çapeutsefaire,acquiesça-t-il.— Euh…Non, intervins-je en reculant encore un peu. Ça peut pas se faire. Et arrêtez de vous

inquiéterpourmoi.Jevaisbien.Dumoins,tantquej’avaismesmédicamentsetminimumhuitheuresdesommeilparnuit,toutirait

bien.Jeserrailespoings,jusqu’àressentirlabrèvedouleurdesongless’enfonçantdansmespaumes.Sij’éprouvaisladouleur,çavoulaitdirequej’éprouvaisdeschoses,non?Parfoisj’avaisbesoindecepetitrappelpourmeconvaincrequejen’étaispasunemorte-vivante.—Trèsbien,conclutGabeenselevant.(Apparemment,lesujetétaitclos.)Jerepassevousprendre

vers21heures,OK?—Vingtetuneheures?m’étonnai-je.—Àplus!Lisaluidonnaunetapedansledosetilsortitdenotrechambreenfaisantuntoursurlui-même.Il

étaitmignon,danssonstylerockerunpeusombre,etLisaavaitraison–jecrois–:lestatouages,çan’étaitpassimal.Dumoins,surGabe.—Arrêtedematermoncousin,ordonna-t-elleenvenantseposterderrièremoi. Ilnesebatpas

danstacatégorie,mavieille,mauvaisenouvellepourlesfillescommetoi.Ilpasseraitlanuitavectoietlelendemainmatin,iltedonneraitunbaisersurlajoue,toutçaavantquetuaieseuletempsdedire«non».—C’estréconfortant,soupirai-je.—Allez,dit-elleenmeprenantlamain.Onapleindechosesàpréparer,sionveutavoirletemps

desepomponnerpourlafêtedecesoir.Etilfautencorequejerécupèremacarted’étudiante.—Jepeuxt’aiderlà-dessus,jeviensderécupérerlamienne,marmonnai-jeàmi-voix.EtjemeremémoraicommedansunflashleregardinquietdeWestonquandilm’avaitconseilléde

nepasmepromenerseuleetdefairebienattention.Lesvioleurssemontraient-ilsaussisoucieuxde

lasécuritéd’autrui?Iln’étaitpascoupable.C’étaitimpossible,carilauraitfacilementpuprofiterdemoi,oriln’enavaitrienfait.Aucontraire,ilm’avaitaidée.Pourtant,l’idéerestaitlà,dansuncoindematête:etsi…?

2.IMDbestlaplusgrandebasededonnéesaumondesurlesfilms,sériesTVetlesinformationssurlesstars.

Chapitre5

WESTON

Vivreestdifficile–maismourirestaisé.Tufermeslesyeuxetnelesrouvresplusjamais.Qu’est-cequ’ilyadecompliquélà-dedans?Rien.Saufqueçafaitunmaldechienàceuxquetulaissesderrièretoi.

J’aurais dû lâcher l’affaire. Commem’aurait ditmon docteur, je jouais avec des choses que je

feraismieuxd’oublier.C’estvrai,combiendetempsvousreste-t-il?J’enavaismarred’entendreça.C’étaitridicule.Mêmemonpèreenavaitassezdesdocteurs.Enfin,j’avouequej’enavaisdéjàmarreàmeshuitans,quandonm’aditquemamèrenesurvivraitpasàl’opération.Et c’était encore le cas l’an dernier, quandmon frère ne s’est pas réveillé de son… problème.

Certainespersonnessontconvaincuesquenotrefamilleestmaudite.Aprèstout,onnepeutpasavoirautant de pouvoir et d’argent que nous sans en payer les conséquences. Quand j’étais petit, monprécepteurmeracontaitqueparfoislesdramessurvenaientpournousobligeràcontinueràcomptersurDieu.Qu’est-cequ’illuifautencorecommeconfiancedemapart,àDieu?C’estvrai,quoi,j’aidéjàtout

perduet,cerisesurlegâteau,l’anderniermaréputationaétéruinéeàtelpointquej’aifaillimettreunecroix surmacarrière sportive, tout çaparceque j’avaisdit «non».Bizarrement, lesgensneparlentjamaisdeshommesdontonabuse.Je saisis le téléphone. J’avais son numéro. Ça craint, mon attitude. J’avais piraté le système de

l’écolepourlerécupérer.Etdirequelapauvrefillecroyaitdéjàquejelasuivais.Çan’arrangeraitpasmon cas, si je l’appelais comme ça pour juste lui dire « salut ».Loser. J’étais un loser total.Séduire les filles avait toujours été un jeu d’enfant pourmoi,mais pour tout dire, depuis l’annéedernièrejememéfiaisunpeu,niveaufilles.Monentouragem’yaidait.Jenommaiscesgensainsiseulementparcequeçasonnaitvachementpluscoolqueçanel’étaiten

réalité.Onfrappaàlaporte.Elles’ouvritavantmêmequej’aieletempsdel’atteindre.Davidentra,m’imposantsacarrured’armoireàglacedecentcinquantekilos,etjetamesmédicamentssurlatable.—Commentçava?— Super ! mentis-je, cachant aussitôt le petit morceau de papier où j’avais noté le numéro de

Kiersten.—Vousvoussentezbien?Davidsepenchaversmoietmeprojetalalumièredesalampetorchedanslesyeux,commeune

sortedescientifique.Jerepoussail’objetd’uncoupdepaume.—Oui.Jem’éclaircislagorge.Unbrefvertigemesaisit;voilàcequim’arrivaitquandjemelevaistrop

vite.—OùestJames?

—Sorti,soupiraDavid,visiblementlasdemesmilliersdequestions.Ilseraderetourpourvousaccompagneràl’entraînement.Vouspouvezyalleràpied,pasvrai?Jelevailesyeuxauciel.—Çan’estpascommesij’étaisivreoujenesaisquoi.—Vousvousêtesmisdebouttropvite,commenta-t-ilpourlui-même,avantdesortirunbloc-notes

danslequelilconsignaquelquesmots.Vousavezeudesvertigesrécemment?Desessoufflements?Hum. Rencontrer une fille à couper le souffle, ça comptait ? Et que son parfum me donne le

vertige?Qu’est-cequeDavidauraitàrépondreàça?—Monpère vous paie pour que vousme gardiez sain d’esprit, pas pour jouer les infirmières,

grondai-je.Davidplissalesyeux.—Vousêtespâle.—Merde.(Jemefrottailevisageàdeuxmains.)C’esttropdemanderqued’avoirunmomentde

normalité,s’ilvousplaît?Rienqu’un,oùvousneserezpasentraindegribouillersurvotrefichubloc-notes,sansparlerdemonpère,d’argentoudemonavenirou…Davidlevalamain.—Pigé.Désolé,Wes.Je culpabilisai sur-le-champ.Mais enmême temps, l’irritation reprenait le dessus. J’étais à cran

depuisdesmois, et je savaisquem’enprendreàDavidn’arrangerait rien, aucontraire, carc’étaitbien legenredechosesqu’il allait rapporteràmonpèrequandcedernier réclamerait soncompterendu.Ilpassamachambreenrevue.—C’estagréable,ici.—Pas de papotage, l’interrompis-je en riant.Ma chambre est exactement comme elle doit être,

propreetaccueillante.JesuisRA,jevousrappelle.—Oui,etmoijesuislareine,répliquaDavidd’untonsec.—Bon,lançai-jeenattrapantmesclésetmontéléphone,onvaàunefête,cesoir.—«On»?Ilhaussaunsourcil.—Oui,«on».Vous,Jamesetmoi.Jedoisrencontrerlerestedesétudiantsdemarésidence,orje

nepeuxpasfaireçasijemeterredansmachambrecommeunpauvremalade…Lesparolesrestèrentcoincéesdansmagorge.Jememordislalèvreinférieureetlaissaipasserce

nouveauvertige.—Jevaissortirfaireunpeud’exercice.—Vouspensezvraiment?— C’est tout ce qui me reste, rétorquai-je, sur la défensive. Pas question que j’abandonne le

footballaussi,David.Écrivezçadansvotrepetitbloc-notesettransmettezàmonpère.Macarrière,c’estlefootball.Jesuistropbonpourabandonner,nomdeDieu.Laseuleraisonpourlaquellejesuisrestésilongtempsàl’université,c’étaitpourfaireplaisiràtoutlemonde,maismaintenantque…Mavoixsebrisadenouveau. Incapablede terminermaphrase, je regardaiDavidensecouant la

tête.Ilsemblacomprendrelemessage.Avecunhaussementdementonunpeubrusque,ilmesuivitdans

lecouloirpuisdansl’ascenseur.J’avaisbesoindemedéfoulerdustressdelajournée,maissurtoutilfallait que je cesse de penser à la fille aux jolis yeux. Sans parler de ses cheveux. Elle les portaitlongs,presquejusqu’àlataille,etpourtantilsétaienttellementépaisquejebrûlaisd’envied’ypasser

lesdoigts.C’étaitlapremièrefillequejelaissaismetoucherdepuisLorelei.Enfin,jenel’avaispasvraiment

laisséeme toucher, disons plutôt qu’elle avait enfoncé les doigts dansmon ventre. N’empêche, jen’avaispasreculé.Aucontraire,j’envoulaisplus.Manifestement oui, j’en voulais plus, vu que je l’avais pour ainsi dire suivie pendant plusieurs

heures.Voilàquin’étaitsansdoutepaslameilleurefaçond’aborderleschoses.Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent avec un « ding ». David et moi sortîmes et les têtes se

tournèrent.Onme dévisageait.Contre toute attente, je nem’y étais toujours pas habitué, depuis letemps. Je détestais ça. Les gens attendaient systématiquement quelque chose de moi. Ce qui estironique,si l’onconsidèrequej’auraisdonnémonbraspourêtredanslapeauden’importelequeld’entre eux. J’auraisvolontierspris laplacedugarsqui se curait lenezprèsde laported’entrée,voirecellede lafilleà lunettesetdentsdecheval.J’auraismis lespiedsdans lesstarting-blocksetcourudansladirectionopposée.Nonquejedétestaismavie.Enfait,c’étaitmêmetoutlecontraire:j’adoraislavie.Lesportesdudortoirs’ouvrirent.Quelquesfillessortirentleurtéléphoneportable–sansdoutepourprendredesphotos.Jesoupirai.

Ah,cespremièresannées!Jeleurfisunsignedelamainavantdepoursuivremonchemin.JamesvintrejoindreDavidetse

postaàmagauche.D’autresfillespouffèrentenmecroisant.L’uned’ellesfaillits’évanouir.C’étaitça,mavie.

Chapitre6

KIERSTEN

«Intothefire»3…Àmoinsquecenesoitpas«aufeu»maisplutôt…Enenfer?

—Tuesprête?Lisaestompaleglosssurseslèvresetvérifialerésultatdanslemiroir.—Parcequemoi,oui.J’éclataiderire.—Çaoui,tuesprête.Macolocatairearboraitminijupe,talonshautsettee-shirtcourt.Jamaisdemavieonnemeverrait

porterunetenuepareille.OncleJometuerait.J’auraisenviedemetuermoi-même.C’estvrai,quoi,c’étaitaveccegenredevêtementsquelesfilless’attiraientdesennuis.Lisaseretournaversmoi,lesourcilfroncé.—OK,bon,tunepeuxpasyallercommeça.—Quoi?Jebaissailesyeuxversmonjeandroitetmesbottes,quej’avaisaccordésavecuntee-shirtblancet

unequeuedecheval.—Onvaàunefête.—Jesais,répondis-jeenhaussantlesépaules.Jesuishabillée.—Certes, admitLisa, d’un ton toutefois peu encourageant.Mais tu n’es pas nonne, or là, on te

croiraittoutdroitsortied’unpensionnatdejeunesfilles.Unpensionnatde jeunes filles ?Tous lespensionnairesdemaconnaissance étaientparfaitement

normaux.D’ailleurs,j’avaissuppliémononcledemefairescolariserdansunpensionnat,aprèslesévénements.Jebaissailesyeuxversmesvêtementsethaussaiunenouvellefoislesépaules.Unesériedecoupsbruyantsfurentfrappésàlaporte,suivieparl’irruptiondeGabe.—Waouh,cousine,tuasl’intentiond’emballer,cesoir?Elleréponditparunsourire.PuisGabeposalesyeuxsurmoi.—Ettoi,tuesdéguiséeeninstitutrice.Pourquoi?—Trèsdrôle.—Jenedéconnepas.Haussantlessourcilsàplusieursreprises,ilfitminedes’étouffer.—C’estmonstyledevêtements,annonçai-jeàLisaavecunsoupir.Jeneportepasdeminijupesou

depetitesbrassières.— Ben tu vois, dit-elle en désignant son tee-shirt, le simple fait que tu qualifies ceci de

«brassière»m’ouvrelesyeuxsurunechose.—Laquelle?—Tuasbesoind’aide.

Gabeopinaduchef.—Eh,jenesuispasCendrillon!Gabesepenchaversmoienricanant:—Laissetombertapantoufle,murmura-t-il.Chiche!—Ooooh,ilveutramassertapantoufledevair,semoquaLisa.—Cesontdesbottes,rectifiai-jeenlevantlajambepourleurmontrermesbottesencuirnoir.—Nemetentepas,fitGabeavecunemouesuggestive.Enfait,vêtementsoupas,tuessupersexy.

Maissij’étaistoietqueWestonMichels–WestonMichels,merde!–mecouraitaprès,jeferaisensorted’êtreàlahauteur.—Je…Jouant nerveusement avecma longue queue-de-cheval, jem’observai dans lemiroir. Ils avaient

raison. Je ressemblais à uneAmish. Je suivais lamode avant,mais depuis quelque temps, toutmeparaissaitplusoumoinsinutile.Aumoinsj’avaisrecommencéàmangeretàmelaver–undétailqueGabe et Lisa n’avaient pas besoin de connaître. C’était une évolution énorme, pour moi, de mesoucierdemonapparence.—OK,admis-jeenlevantlesyeuxauciel.Jevaischangerdetee-shirt,maisjen’iraipasplusloin.Ungrandsourireauxlèvres,Lisafrappadanssesmains.—Vendu!Dixminutesplustard,jedoutaisfermementdemacapacitéàavoirl’airnormale.Lehautqu’elle

m’avaitprêtén’atteignaitmêmepaslaceinturedemonjean,dévoilantcinqbonscentimètresdepeaunue.J’avaisbienessayédemecourberversl’avant,maisGabem’avaitalorsappeléeQuasimodo,mefaisantpasserl’enviedejouerlesbossues.La fête avait lieu dans le hall principal de la fac. Bon, les choses ne pouvaient pas échapper

complètement à mon contrôle, si ? C’est vrai, quoi, on était dans l’enceinte d’un établissementscolaire,etcettefêteétaitsuperviséeparl’université.Cen’étaitpascommesilesparticipantsallaientapporterdesdrogues,del’alcooloud’autrestrucsdanslegenre.Oncle Jo m’avait mise en garde : l’alcool et mon traitement ne faisaient pas bon ménage.

Apparemment,cesmédicamentsvousrendaientsoûldeuxfoisplusvite.Autrementdit,ilsuffiraitqueje boive un verre pourmemettre à danser devant tout lemonde, avec un abat-jour sur la tête.Enmêmetemps,çam’éviteraitaumoinsd’avoirhontedemontee-shirttropcourt.À l’instant où l’on entra dans le hall, tous les regards se tournèrent dans notre direction. Pas le

genrede regardsque l’onreçoitquandonaun truccoincéentre lesdents,non,plutôtdes regardscurieux.Peut-êtreàcausedeGabe.Jemecollaiplusprèsdeluietilnouspritchacune,Lisaetmoi,parlataille.—ÇaarrivetoutletempsavecGabe,expliquaLisaenriant.Ellefitminededonneruncoupdepoingdanslebicepsdesoncousin.—Lesgensn’arriventpasàsavoirs’ilesthypersexyoujustedérangé.—Merci,Lisa, répondit l’intéressé en fronçant les sourcils à l’attentionde sa cousine, avant de

chuchoterdansmonoreille:Pourinfo,jesuisjustesexy.—Maisoui,biensûr,lâchai-jeaveccondescendance.Renversantlatêteenarrière,iléclataderire.Jenepensaispaspouvoirêtreattiréeparluiunjour,

maisilémanaitdecegarçonquelquechosederéconfortant.Parexemple,sijeluidemandaisdemereconduire chezmoi àBickelton aubeaumilieude lanuit, àquatreheuresde routeducampus, ilaccepterait etme paierait un café en prime. Je n’avais jamais vraiment eu d’ami comme ça avant.C’étaitagréable.

Lisaparcouraitlafouleduregard.—Alors…Oùilest?—Qui,toncavaliermystèrepourlanuit?s’enquitGabeenallantnouschercherunverredepunch

surunetable.—Non, répondit Lisa, sans cesser de scanner la pièce.Weston. Où il est ? C’est le RA, il est

forcémentlà…—Ahbon? intervintunevoixsuavederrièrenous.Etmoiquimesuissentiobligédefaireune

apparition.Jenecroyaispasqu’onmechercherait.Àl’exceptiondelamusiquequitonnaitdanslesbaffles,plusaucunsonneprovenaitdelasalle.Les

convives essayaient d’entendre ce qu’il disait, ça se sentait, d’ailleurs ils s’attroupaient autour denotrepetitgroupe.WestonneprêtaitpaslamoindreattentionàLisaetGabe.Sesyeuxétaientrivésauxmiens,etaux

miensseulement.—Tuesvenue.—Onm’yaobligée.—Contrainte,précisaLisaenlevantlesyeuxauciel.Gabeassistaitàl’échangeavecunamusementnondissimulé.EtWestoncontinuaitàmedévisager.Manifestementlassédecettesituationembarrassante,Gabem’écartaettenditlamainendirection

deWeston.—Onlatrouvetropcoincée,voilàpourquoielleneparlepas.Etalorsqu’iltendaitundoigtversmoi,lachaleurmontabrusquementàmonvisage.—Maiscommeelleesttropmignonne,onlaprendavecnous.Etcelle-ci,c’estmacousine,ajouta-

t-ilendésignantLisa.Etjesuisquasicertainquetoietmoi,onétaitencoursd’aïkidoensemble.WestonarrachasesyeuxauxmiensetlesposasurGabe.Hochantlatête,illuiserrafermementla

main.—Enfait,jepensequec’étaitentiràl’arc.—C’étaitgénial,cecours,soupiraGabe.—Ah,çayest,ditWestondansunsourire,jemerappelle.Tueslemecquiatiréuneflèchedans

lesfessesdelaprof.—Elleavaitrepoussémesavances,expliquaGabe,nonchalant.—Harcèlementsexuel,toussotaLisa.Gabeagitalamainpourlafairetaire,avantdepoursuivre:—Çasepassecomment,lesentraînements?—Ilparledefoot,murmuraLisa.Chut,ondiraitunbébétortuequiessaiedegagnerl’océan.Soit

ilsefaitmangerparcequ’iln’yconnaîtquedalleensport,soitilsemetànagerdanslegrandocéanetdécouvrequ’ilestunvraimec.—Çava,réponditWeston,sansprêterattentionànous.Maistusaiscommentc’est:rude.Enfin,la

saisons’annoncebonne.—Tu crois que vous allez remporter le championnat, cette année ? demandaGabe, visiblement

intéressé.—Grandsdieux,lebébétortuearéussi!murmuraLisaàmonoreille.—Ouais,fitWeston,dontleregardseposasurmoiunefractiondeseconde,avantdesereporter

surGabe.Lecoachvise la finale.Aprèsnotredéfaite faceà l’universitéd’Oregon l’andernier,onmeurtd’enviedeseracheter.

—M’enparlepas,soupiraGabe.JedétestelesDucks…—«Vertetjaune,vertetjaune»,entonnaLisaderrièrelui.—Jetepréviens,jeteflanquemonpoingdanslafiguresanshésiter,situchantesçaencoreune

fois,l’avertitGabe.Àquoielleréponditensouriantdetoutessesdents,avantd’ajouter:—Bien,j’enaiterminéavecmamissionici.Jeviensd’apercevoirl’undesmecsquej’aicroisésà

l’inscription.Ilestentré,nosregardssesontcroisés…Etlà,jevaislerejoindreaumilieudelapistededanse.—Elleaimeracontersavie,commentaGabequandellesefutéloignée.—Cool,répondis-jeenriant.Ilfaudraitqu’elleyajoutesabandeoriginale.—Nevapasluisuggéreruntrucpareil,répliquaGabeensecouantlatête.Elleseraitbiencapable

desemettreàracontersavieenchantant.DéjàquejeperdsdespointsdeQIàforcedetraîneravecelle…La conversation commençait à ronronner. Weston continuait à me fixer. Le sourire de Gabe

s’étirait de minute en minute. Enfin, il marmonna quelque chose au sujet du punch qu’il allaittrafiquerets’éloigna.CequisignifiaitqueWestonétaitlepireRAdel’histoiredesRA,s’ilacceptaitqueGabetrafiquelesboissons.—Allonsfaireuntour,proposa-t-ilenm’offrantsonbras.J’hésitai,posailesyeuxsursonbrastendu,puissursonvisage.—Jenesaispassijedois.—Jenel’aipasfait.Ildéglutit,fermantlesyeuxpendantunefractiondesecondeavantdelesreplongerdanslesmiens.—Leviol,précisa-t-il.Jesuissûrquetuenasentenduparler.Tupeuxmefaireconfiance.Enfait,

jevaismêmeteprêterunsiffletanti-viol.—Tuenassurtoi?m’étonnai-je.—Benoui,lesviolssurdeshommes,çaarriveaussi.Sonsouriredisparut,puisilfouilladanssapocheetmetenditunsifflet.—N’oubliepasleplusimportant,concernantcespetiteschoses.—Quoi?Je pris le sifflet rouge enmain et l’examinai. Je sentis la respiration deWestonm’effleurer le

visage.—Desoufflerdedans.—Hein?OK, j’admets, j’étais sur le point de défaillir. Ses lèvres n’étaient qu’à quelques centimètres des

miennes.—Ilfautsoufflerdedans…Seslèvrespleiness’étirèrentenunlargesourire.—Lesifflet.Tusais,pourqu’ontevienneenaide.—Oh,murmurai-je.Oui.Ilmeguidaàl’extérieurdelasalle.Aprèsnotrepetitéchange,j’étaisheureusedepouvoirencore

marcherdroit.Jenecomprenaispascequichezmoiavaitattirésonattention,maisdansuncoindema tête, jenepouvaism’ôter l’idéequeçan’étaitpasbon.Devenir sonamie, çane fonctionneraitjamais,etêtreplusmefaisaitpresquemourirdeterreur.

3.ChansondeThirteenSenses

Chapitre7

WESTON

Notepourmoi-même:silesourired’unefilletefaitoubliertonproprenom…tuesdanslamerde.—Parici.Jeluiattrapailamainetl’entraînaidanslarue.—Alors,parle-moiunpeudetoi,Kiersten.Nul.Mapremièrequestionmanquaittellementd’originalitéquej’avaisenviedemefrapper.Voilà

quelseffetsl’attirancepourunepremièreannéepeuventproduiresurvous.—J’aidix-huitans.—Non,jenevoulaispas…Jemetournaietmeretrouvaisouslefeupénétrantduvertprofonddesesyeux.—Enfin, si, je suis ravi que tu soismajeure – je ne veux pas avoir de problèmes parce que je

t’auraitenulamainouquoiquecesoit.—Oui,bof,tun’aspasvraimentleprofildugarsquisecontentedetenirunefilleparlamain.— Exact, soupirai-je, même si j’adore lesmains. Àmoins que ce ne soient les tiennes quime

fassentceteffet-là,petitagneau.Et c’était vrai. J’aimais ses mains. Tout chez cette fille respirait l’innocence. Je culpabilisais

presquedelacorrompre,deladésirer.Jedisbien«presque».—Etc’estrepartiaveccesurnomridicule…—Eneffet,admis-jeenluiserrantlamainunpeuplusfort.Ensilence,noustraversâmeslapelousejusqu’autrottoir.Lesilences’étiraencoretandisquenous

passionsdevantquelquesvoitures,etpuisenfin, sous ledeuxième lampadaire,elle s’immobilisaetmerepritsamain.—Écoute…Ellesebalançaitnerveusementd’unpiedsurl’autre,sesyeuxinnocentsposéstouràtoursurlesol

etsurmonvisage.—J’ignoreoùtuveuxenvenir,avecmoi.J’appréciel’aidequetum’asapportéeaujourd’hui,tout

ça,mais…Jehaussaiunsourcilamusé.—Mais?—Jenesuispascommeça,chuchota-t-elle.—Commequoi?—Ça,répéta-t-elle,lesjouesteintéesderose.Pasdugenreàsortiraveclesmecs.—Ah,ça,marmonnai-jeen faisantminedecomprendre, tout en souriantde sonembarras.Moi

nonplus.—Hein?—Moinonplus,jenesuispasdugenreàsortiraveclesmecs.Jenesuispascommeça.Àprésent

qu’onaeucetteconversation,onpeutêtreamis,dis-jeenluireprenantlamain.—Je…euh…Maiselleneputallerauboutdesaphrasecarc’estàcemomentprécisquel’undemescoéquipiers

nousdépassaenvoiture.Lepiretimingdel’univers.—Michels!cria-t-ilparsavitreouverte.YaunefêtechezlesKappacesoir!Puisilactionnasonklaxonetfila.—Desamis?s’enquitKiersten.—Pire,répondis-jeenricanant.Descoéquipiers.Jem’immobilisaietluieffleurailebras.—Tuasenvied’alleràuneautrefête?—Jeferaismieuxderentrer…—Viens,insistai-jeenl’attirantplusprèsdemoi.Rienquequelquesminutes.Jeteprésenteraiàdes

gossesderiches.Ensuite,unpetitverredelaitetaudodoavantminuit.Elleplissalespaupières.—OK,OK,jeprécisequejeteborderaidanstonlit.Touteseule.C’est-à-dire,sansmoi.Ellejetauncoupd’œildanslarue.—OK.Trenteminutes.Sachequejen’hésiteraipasàmeservirdemonsiffletanti-viol!—Jet’enprie,murmurai-je.Commeça,quandtumelerendras,jesauraiqueleffetçafaitd’avoir

teslèvressurlesmiennes.Ellecilla.—Tunepeuxpasmediredestrucscommeça.—Pourquoi?demandai-jeenluisoulevantlementon.Çatemetmalàl’aise?—Oui,dit-elledansunsouffle.—Bien,soupirai-je.Jemecontenteraidoncdelespenseretdeteregarderavecdesyeuxdemerlan

frit.Çat’iracommeça?Elleéclataderire.—Tufaisbiencommetuveux.—Lessifflets.(Jehochailatête.)Lesrousses.(Denouveau,jeluiprislamain.)Etlesvierges.Lerosedeses joues tournaaurougevif,etellesemitàmeserrer lamaindeplusenplusfort.

Intéressant.J’étaisplutôtdouépourdevinerlesgens,etj’auraispariéqu’ellen’avaitjamaiséchangélemoindrebaiseravecungarçon.Voilàpourquoicetteconversationlamettaitmalàl’aise.—Petitagneauvierge…,soupirai-je.Jevaispeut-êtretesacrifiersurunautel.—J’aimeraisautantnepasêtresacrifiée.—Onnesaitjamais,fis-jeavecunsourirecoquin.Turisqueraisd’aimerça.—Onnesaitjamais,eneffet,soupira-t-elle,rêveuse.Jerisqueraisdetepoignarder.—Ce serait justice, admis-je en riant. Bon, allons-y.On a des gens à voir, du lait à boire, des

étudiantsdepremièreannéeàcorrompre.

Chapitre8

KIERSTEN

Leschosesnesontjamaiscequ’ellesparaissent.Jamais.Jenem’étaisjamaisretrouvéedansunefraternité.D’ailleurs,toutcequej’ensavais,notammentà

quoiçaressemblait,jeletenaisducinéma–desmecsquifaisaientlafête,desgensquibuvaient,desverresjonchantlapelouse.Jem’attendaisdoncàtout,saufàquelquechosed’ordonné.Lamusiqueétaitforte,maislefestinétaitplusdingueencore.Del’alcooletdelanourriturepartout,desgenshabilléscommedesstarsdecinéma,et lesmecs

présentsàcettefêteparaissaienttoutdroitsortisd’unmagazine.—Lesgars, lançaWeston, lesmainsplaquées surmesépaulespourmepousserà l’intérieur, je

vousprésenteKiersten.—Salut,marmonnèrentquelques-unsenmesouriant.Ils ne ressemblaient pas aux sportifs tels qu’on se les imagine.En fait, la plupart sirotaient leur

boissonendiscutantfootball,tandisquelesfillesparlaientjoyeusementdescours.—Ah,repritWestonenmetirantparlamain,etcestypes,là-bas,quiviennentd’entrer…Ildésignadeuxgarsplutôtbalèzes.Ungranddégingandéd’aumoinsdeuxmètresetl’autreportant

lunettesàmonturenoireetbarbiche.Tousdeuxàpeuprèslatrentaine,àvued’œil.—Ilstravaillentpourmoi.Oupourmonpère.Selonlafaçondontonconsidèrelachose.Tuasle

moindreproblème,quelqu’un t’embête ici ?Tun’asqu’àcourirdans leurdirectionavec le sifflet.Pigé?—Euh…oui,maispourquoionm’embêterait?Quelqu’unricanadansmondos.—Viandefraîche.—Ai-jebesoind’ajouterquoiquecesoit?grognaWeston.JeteprésenteDrake.—Salut,Drake.J’avalaimasalive,faisantdemonmieuxpournepascroiserleregardprédateurdel’intéressé.Il

avaitlesyeuxmarronfoncéetlescheveuxblondcendré.—’lut,fit-ilavecunhochementdetête.Etlaconversations’arrêtalà.Westonmeprésentaàdestasdegens,quisefichaientpasmaldesavoirquij’étais.Laplupartse

montrèrent polis, point barre. Après quelques présentations supplémentaires, il m’entraîna à lacuisine.—Onvateservirunverre.—Euh…Jen’aijamaisbud’alcool,répondis-je,lesmainslevées.—Jesais,fit-ilavecunsourire.Raisonpourlaquelletoietmoisommesenmission,sijepuisdire.

Premièrefêtedefraternité,premierverre,premièrefoisavecunétudiantdedernièreannée…

—Çava.Jesecouailatêtequandilmetenditungobelet.—Non,çanevapas.Unegorgée,etjepourraimourirheureux.Ilsouriaittoujours,maistandisqu’ilattendait,legobelettoujourstenduversmoi,lalueuramusée

avaitdisparudesonregard.—Tumepoussesàboire?TusaisquetueslepireRAquej’aiejamaiscroisé?Ilhaussalesépaules.Leliquidetombadanslegobelet.Sombre,etquisentaitlabananepourrie.—Qu’est-cequec’est?—Delabière.Unegorgée.Allez…Jemebouchailenez.Ilritdemoi,maisjem’enfichais.Legoûtrappelaitlabanane,enplusamer,

etlemoisi.Alorsaprèsunegorgée,jem’arrêtaietluirendissonverreentoussotant.—Tuvois?lança-t-ilenéclatantd’unrirecommunicatif.Çan’étaitpassidifficile.—C’étaitatroce!répondis-jeenletapantsurlebras.—Qu’est-cequejet’avaisdit?Pasbesoindesifflet!Jenesuispasdangereux,c’estpromis.Ilritdeplusbelle,puisvacillaunpeusursespieds.Avecunjuron,ilserattrapaaucomptoir.Jemeprécipitaiverslui.—Toutvabien?Ilmerepoussavivementetclignadesyeuxàplusieursreprises.—Ouais,ouais.J’ai juste…besoind’aller récupérerun trucauprèsdeJames.Je reviens toutde

suite,OK?Nesuispersonneàl’étage,etinterdictiondeboirequoiquecesoit,pasmêmedel’eau.—Oui,chef,répondis-jeeneffectuantunsalutmilitairepouressayerdelefairerire.Aulieudequoiils’éloignalentement,luttantcontrelanausée,melaissantseuledanslacuisine.—Intéressant,lâchaunevoixdefemmequelquessecondesplustard.Tuessonnouveauprojet?Jefisvolte-face.—Son«projet»?Lafilleétaitsublime.Desjambesinterminables,unerobeblanchemoulanteetdescheveuxnoirs

quitombaientencascadessouplesautourdesapoitrine.—Ouais,son«projet».Ellesaisitungobeletdebièreetledescendit.—Ilmetlegrappinsurunepetitenouvellechaqueannée.—Ahbon?L’angoissemetorditl’estomac.—Commentdire?Ilselassevite.Crois-moi,d’iciNoëlilauraoubliétonnometserapasséàla

suivante.Laisse-moideviner:petiteville?innocente?ToutcequiattireungarsaussipuissantqueWes,maisrienqu’ilaitenviederameneràlamaison,situvoisoùjeveuxenvenir.Ilfaitjoujouavecautantdenunuchesqu’ilpeut,puisilvafairelafêteaveccellesquis’intéressentvraimentàluietàsavie.Alorsprofites-entantqueçadure.C’estcequej’aifait.Elleavalaituneautrelonguegorgée,justeaumomentoùWestonrevenaitdanslacuisine.Àlasecondeoùsesyeuxseposèrentsurlafille,ilmesemblalevoirgrogner.—Putain.Qu’est-cequetufouslà,Lorelei?—J’aiétéinvitée,ronronna-t-elle.Tudevraisêtrecontentdemevoir.Çatefaitunebonnepub,toi

etmoientraindediscutercommesiderienn’était.Ilserralespoings.—Leproblème,c’estquequelquechoses’estpassé.

—Qui raconteun trucpareil? répliqua-t-elleenéclatantde rire, la tête renverséeenarrière. Jefaisaisjusteconnaissanceavectanouvellepetitecopine.—Etnous,onpartait.Surce,ilm’attrapaparlebrasetm’attiraprèsdelui.—Rappelle-toicequejet’aidit,gamine.Loreleimelançaundernierregardavantdequitterlapièceenvirevoltant.Jepoussaiunsoupiret

emboîtailepasàWestonquim’entraînaitdehors.Lesdeuxtypesqu’ilm’avaitmontrésplustôtnoussuivirentàquelquesdizainesdemètres,tandisquenousredescendionslamêmeruequ’àl’aller.—Jesaisquetunemeconnaispas.LesparolesdeWestonétaientsèches,commesitoutesajoiel’avaitquitté.—Mais tu ne dois pas faire confiance à cette fille. Elle raconte n’importe quoi pourme nuire.

Disonsçacommeça.Ellen’estmêmepascenséese trouveràmoinsdequinzekilomètresdemoi,alorsunmètre…—Elleestétudianteici?—Non,répondit-ilavecunriresansjoie.Elleadécrochésondiplômel’andernier.Nosparents

étaientamis.—«Étaient»?—Ouais.Baissantlatêted’uncoup,illâchaunevoléedejuronsetsemorditlalèvre.—Jusqu’àcequetoutexplosel’andernier.Ilscroientencorequejel’aifait.Enplus,Loreleiessaie

envaindedeveniractrice,cequin’aidepas.Laseulefoisoùje l’aivueréussirdansunrôle,c’estquandelleaessayédem’envoyerenprisonpouruncrimequejen’avaispascommis.—Jesuisdésolée.Moncœurseserradansmapoitrine.—Nesoispasdésolée,soupira-t-il.Cequiestfaitestfait,pasvrai?—Eneffet,murmurai-je.— Je ne me sens pas très bien, dit-il en trébuchant. Je dois couver quelque chose, je vais te

raccompagnergentimentjusqu’àtachambreettesouhaiterunebonnenuit.—Onavaittoutprévu,hein?letaquinai-je.Ilsemitàrire.Waouh!Sonvisages’éclairaitquandilétaitheureux.Jevoulaisêtrelacausedeson

rire,toutenétantconscientequec’étaitridicule.Jeleconnaissaisàpeine,cegarçon,etlepeuquejesavaismepoussaitàmeméfierdeluipourdesraisonsévidentes.—Kiersten?—Oui?La fêtebattait toujours sonpleinquandonarrivaauniveaude la résidenceetqu’onmontadans

l’ascenseur.—Merci.—Dequoi?Alorsqu’ilposaitlesyeuxsurmeslèvres,surlesquellesilrestarivéplusieurssecondesavantde

lesreportersurlesportesdel’ascenseur,marespirationdevintincontrôlable.—Dem’avoircru.Jeluiprislamain–qu’est-cequejefabriquais?–etserraisesdoigtsentrelesmiens.—Jusqu’àcequetumedonnesuneraisondeneplustefaireconfiance,jetecroiraitoujours.C’est

normal.—Desefieraveuglémentàuninconnu?

Sonregards’étaitperdudanslevide.Ilavaitlesyeuxvitreuxetlesjouesterriblementpâles.—Non,répondis-jetandisquenousnousdirigionsversmachambre.Desefairedesamisetdeles

croirequandilsvousracontentlavérité.—Kiersten…Lavoixrauque,ils’appuyacontremaporte.—Jeneveuxpasêtretonami.—Ah.Jedétestailafaçondontmonventreseserra,commesiWestonvenaitdem’avouerqu’ilabhorrait

Noëletvoulaitbrûlertouslesromansàl’eauderosecontenusdansmaliseuse.—Jeveuxplus,chuchota-t-il.Etcettefois,jesentislachaleursortiedeseslèvressurmesoreilles.—Avectoi,jepensequej’envoudraitoujoursplus.Mais…Ilsoupiraetmetenditlamain.—Jemecontenteraid’êtretonami,sil’offretienttoujours…Despicotementsdanslesdoigts,jeserraisamain.Sonsourireilluminamasoirée.Ilfitvoleren

éclatsmonancienneexistence,etlemêmeétrangesentimentmesubmergea.Commesijemanquaisdetemps,oupeut-êtrecommesi lapénombremerattrapait.J’essayaidelibérermamainmaisil laretint.Jedétestaiscettesensationdeperdretoutcontrôle.D’habitude,lesmédicamentsm’aidaient,maisen

cetinstantprécis,j’avaisl’impressionquemesyeuxm’incitaientàmejeterdansuntrounoiravecluietquejen’étaispassûred’êtreprêteàlefaire.— Ça va bien se passer, chuchota-t-il en prenant une mèche de ma queue-de-cheval pour

l’examiner.—Quoidonc?—Tonpremierjourdecours.Unsouriretristepassasursonvisage.—Dequoid’autreest-cequejepouvaisbienparler?—Oh,tusaisbien…lavie,plaisantai-je.J’avaistellementenviedeluiredonnersonvraisourire.Aulieudequoiilcessacomplètementdesourireetdéglutitavecpeine.—Bon,alorsdorsbien,Kiersten.Penseàmoi.—Etàtestablettesdechocolat?suggérai-je.Ilrenversalatêteenarrièreetéclataderire.—Waouh,j’enavaisbesoin.Merci,monamie.—Avecplaisir.Jem’empêchaideletoucheretterminaimaphrase:—Monami.—Jepensequetuessansdoutelameilleureamiequej’aiejamaiseue,commenta-t-il.Il ne bougeait pas.Au contraire, il restait àme fixer, et ses yeux semblaient absorber jusqu’aux

moindresdétails,commesijerisquaisdedisparaîtreouuntrucdugenre.—Etc’estunebonnechose?— J’aimerais bien le savoir, répondit-il, avant de désigner l’autre bout du couloir.Ma chambre

m’appelle,elleetl’entraînementà5heuresdemainmatin.Bonnenuit.

Chapitre9

WESTON

Cadeau?Malédiction?Commentsavoir?Entoutcas,letempspresse.Arc-boutéau-dessusdestoilettes,jelâchaitoutmonpetitdéjeuner,mondéjeuneretmondînerdans

un grognement, sans compter le cocktail de protéines que je venais d’avaler. J’avais horreur devomir.J’avaisl’impressionderetomberenenfance.Mamèreétaittoujourslà,quandj’étaismalade.Aujourd’hui,ilnerestaitplusquemonpère.Or il envoyait des gens pour faire le sale travail. Non qu’il ne m’aime pas, mais il avait plus

importantàgérerquesonfilsentraindedégobiller.Aumoins,j’étaiscontentd’avoirvomitoutelanuit.Çasignifiaitquej’auraistoutexpulséavantl’entraînement.Mêmedansmesplusmauvaisjours,j’étaismeilleurquelaplupartdesautresjoueurs.Je n’aurais pas dû en faire autant, surtout avec mon nouveau traitement, mais je voulais aider

Kiersten.Soninnocencem’attirait,aumêmetitrequesoncôtésombre.Bonsang,jevoyaispresquelittéralement les nuages noirs s’amonceler au-dessus de sa tête. J’avais déjà vécu ça et bien pire.Parfoissonsourireétaitfaux,d’autresfoiselleétaittellementinquiètedecequelesautrespouvaientpenser d’elle que ça me donnait envie de la secouer. Peut-être qu’un observateur inattentif ne leverraitpas,maissesyeux,lafaçondontilsseconcentraientsurtoutsubrepticement,commesiellecraignaitquefixerleschosestroplonguementrisquaitd’attirerl’attentionsurelle…C’étaitbizarre,devoirunefilledontlephysiquehurlait«regardez-moi»serecroquevillersurelle-même.Amis ? Putain non. J’étais probablement la pire chose qui puisse lui arriver, le pire ami de

l’universtoutentier.Jefiniraisparluibriserlecœur,quoiqu’ilarrive.Celadit,jetenaisàrendreçalemoinsdouloureuxpossible.Conclusion,vumescapacités salementamochéesen termesde self-control,mieuxvalaitque jemecontentededevenir lemeilleur amiqu’elle ait jamais eu.La seulesolution,c’étaitdenepasm’attacheràelledupointdevueromantique.Jeneluiferaispasça.Aprèstout,illuirestaitquatrejoyeusesannéesdefac,alorsquepourmoi,d’iciquelquesmois,ceseraitfini.J’enfilaimonmaillotd’entraînementet saisismesclés. Jedétestaisallerà l’entraînementàpied.

L’airétaithumide,lematin;lafacultédonnaitsurl’océanPacifique,ducoupilfaisaittoujoursfroidàcetteheuredelajournée.Avecunsoupir,jem’arrêtaidevantlachambredeKierstenetglissaiunmotsouslaporte.—Etc’estpartipourl’amitié,murmurai-je.J’arriverais peut-être à l’aider à sortir de son fichu cocon.Et ça suffirait peut-être à amener un

souriresurseslèvres,lejouroùjepartiraispourdebon.

Chapitre10

KIERSTEN

Peut-êtreque les ténèbresne se refermaientpas surmoi, comme je l’avaiscruaudébut.Peut-êtreétait-cemoiquilesfaisaisentrersanslesavoir.

Leréveilmetiradusommeildansunsursaut.Lapremièrechosequimetraversal’esprit,cefutque

cettenuit,mescauchemarsn’avaientpasétéaussiatrocesqued’habitude.En fait, jenem’étaispasréveilléeenhurlant.J’eusenviedesauterdejoieenremerciantDieu.Celafaisaitdesmoisquemontraitementmedonnaitdescauchemars,maisçavalaitlapeines’ilm’aidaitàsupporterlesjournées.J’éteignis l’alarme demon téléphone etme traînai jusqu’à la porte. J’étais contente qu’onm’ait

misedansunesuiteavecLisa.Nouspartagionslacuisineetlesalonavecdeuxautresfillesenprépamédecine.Cequi revenait à vivre seules, car ellesne regardaient jamais la télé, ne semblaient pasmanger non plus, et quand je leur avais demandé si elles étaient sur Facebook, elles m’avaientrépondutouteslesdeuxparunregardréprobateur.Enbâillant,j’allaisàlacuisinepourlancerlecaféjusteaumomentoùLisasortaitdesachambre

entrébuchantetenjurant.—Troptôt!—Ilest7heures.—C’estbiencequejedis.Lisapassalesmainsdanssescheveuxblondsets’assitàlatable.—Oùtuespassée,hiersoir?Quandjesuisrentrée,tuétaisdéjàcouchée.—Euh…J’étais…Jemeconcentraisurlatâcheconsistantàverserlecafédanslefiltre.—AvecWeston.Ilm’aemmenéeàuneautrefêteet…—Waouh!croassamacolocataire.Uneautrefête?Oùça?—Kappa.—Paspossible !hurla-t-elle. Ilsdonnent lesmeilleures fêtesde laplanète,et seuls lesdernières

annéesysontinvités!Tuasrencontrédesbeauxmecs?Ilsétaientsympas?Ilyavaitdeladrogue?J’aientendudirequ’ilsprenaientdesdrogues,là-dedans.Putain,ettuvasyretourner?Tucroisqueceseraitunebonneidée?Fautqu’onappelleGabe.—Tuasfini,oui?Elleinspiraetexpiradeuxfoisavantdehocherlatête.—Oui,jepense.—Bien.Lecafécommençaitàpasser.—Toutsemblaitnormal.C’étaitjusteunrassemblementdequelquesbellespersonnesquibuvaient,

mangeaientet…J’omislepassageconcernantLorelei.

—Et?demanda-t-elleensepenchantpar-dessuslatable.Etquoi?Ilt’aembrassée?Tuvasportersonenfantdel’amour?Ilveutt’épouseretmoi,jevaisvivredansvotrechambred’amis?—Non,répondis-jeenriant.Àtouteslessuggestionssusmentionnées.Ilveutqu’ondevienneamis.—Amis?Ellesetapotaleslèvresduboutdel’index.—Avecletypeleplussexyducampus?Pourquoiest-cequeçamecaressedanslemauvaissens

dupoil?—Parcequetuveuxcoucheraveclui.Lisapouffa.— Poupée, je me contenterais d’être son lit, c’est te dire à quel point je suis désespérée.Mais

pourquoi«amis»?Pourquoipasplus?—Ilnefaitpasdanslespremièresannées,expliquai-jeenhaussantlesépaules.—Ouais,c’estça.Saufqueçaresteunmecetquetuessublime.Cequisignifieunechose.—Tuvasallert’installerdanssachambred’amis?—Siseulement.Avecunegrimace,elletournalatêteverslaporte.—C’estquoi,ça?—Laporte?Sérieusement,elleavaitbuhiersoirouquoi?—Merci,fit-elleenroulantdesyeux.Pasça,ajouta-t-elleendésignantlaporte,ça.Un morceau de papier plié gisait au sol devant la porte. Qui portait mon nom inscrit dessus.

Punaise!Monnom,dansunetrèsjolieécriture.—Y a pas de risque qu’il soit empoisonné à l’anthrax, commenta Lisa en se penchant pour le

ramasser.Lis-le,m’enjoignit-elleenmelefourrantentrelesmains.Allez,metsfinàmestourments!Lacafetièreémitun«ding».J’arrachailebilletdesmainsdeLisaetallainousverserunetasseà

chacune.Unefoisassise,jedépliailafeuille.

Les gens ne s’écrivent plus de lettres. C’est dommage, tu ne trouves pas ? Jour 1. Tamission,situl’acceptes,seradetefairedeuxnouveauxamis.Jeprécisequ’ilsnedevrontêtrenitacolocatairenisoncousin.Jenecomptepasnonplus.N’oubliepasdesourireetlèvelamainaumoinsunefoisenclasse.

Onsevoitàlapause-déjeuner.Tonami,

WesMêmesijel’avaisvoulu,monsouriren’auraitpaspuêtrepluslarge.Jelusetreluscesquelques

lignesenboucle,etchaquefoisquejeleslisais,moncœurbattaitplusfort.C’étaitlepremiermatindepuis deux ans où je ne pensais pas à mon passé. En fait, je n’avais pas pensé une seule fois àl’accidentdemesparents.J’étaistropheureuse,tropsurvoltéepourpenseràquoiquecesoitd’autre:ungarçonm’avaitécritunelettre.—Alors?mepressaLisa.Çaditquoi?—Jememarie!—QUOI?!hurla-t-elle.—Jeplaisante,rectifiai-jeenriant,etjeluitendislemot.Regarde,çavientdeWes.—Ah,doncmaintenantc’est«Wes»?

Ellehaussaunsourcil.—Euh…,bredouillai-jeendétournantlesyeux.JevoulaisdireWeston.—Biensûr,marmonna-t-elle,avantdesemettreàlire.Etsonvisagesefenditdumêmesourirequelemientoutàl’heure.Quandelleeneutterminé,elle

relevalesyeuxversmoi,siexcitéequ’ilsbrillaientdelarmes.—Ilt’aécritunmotd’amour!—Çatientplusdelafiched’instructions,répliquai-jeenagitantnonchalammentlamain.Ilcherche

detouteévidenceàmefairesortirdemacoquille.—Ehbien, tu ressemblesunpeuàunbernard-l’hermite.Etc’estvraique tuasgrandià…(Elle

s’interrompit.)Comment ça s’appelle, ce caillou sous lequel tuvivais ?Cet endroit où il n’y avaitqu’unmagasin?Jelâchaiunsoupir.—Bickelton.—Oui. Voilà. (Elle secoua la tête.) Tu dois sortir de ton trou et vivre. Et je dirais queWeston

Michelsestsurlamêmelongueurd’ondequemoi…—Mais…Je ne voulais pas passer pour une nulle. Mon sentiment d’insécurité reprit pourtant le dessus,

faisanttremblermavoix.—Pourquoimoi?—Pourquoipas toi ? répliqua-t-elle en jetant la lettre sur la table.Tuesbelle, tu as éveillé son

intérêt.Ilfautvraimentqu’ilyaituneraisonsupplémentaire?—Ilyenatoujoursune.Lesmecscommeluines’intéressentpasauxfillescommemoi.—C’estpourlesfillescommetoiquelesgarscommeluiexistent,corrigea-t-elleavecunsourire

chaleureux.Tunetevoispascommelesautrestevoient.Peut-êtrequ’ilperçoitplusquetoiquandtuteregardesdansunmiroir.Enfinbref,quoiqu’ilensoit,nelerepoussepas.Ilfaitdesefforts,etsij’étaisàtaplace,jerendraisgrâceàDieudansmesprières,cesoir.Jesouris.—Jevaispeut-êtrefaireça.—Super.Surce,Lisaselevabrusquementets’étira.Quelquechosescintillasoussontee-shirt–unpiercing

aunombril?—Allez,préparons-nouspournotrepremiercours!Etsurunpetitpasdedanse,ellefiladanssachambre,melaissantavecmoncaféetmalettre.

Chapitre11

WESTON

Lesmédocs,çacraint.Maissefairerentrerdedansparunpilierdecentcinquantekilos,çacraintencoreplus.

—Michels!hurlalecoachJackson.Oùas-tulatêtecematin,hein?Concentre-toi!OK.Concentre-toi.Arrêtedepenseràunecrinièrerousseetàunsourireultra-brillant,etàl’effet

quetefaitsonsourire,etàsescheveuxrouxentretesdoigts,et…—Michels!J’attrapailaballedejustesseetterminailematch.Sérieusement,ilfallaitvraimentquej’arrêtede

melaisserdistraireparcettefille.Qu’est-cequiclochaitchezmoi,bordel?Àlafindel’entraînement,j’étaiscouvertd’ecchymoses,cequin’étaitpastrèsbonsignepourun

quarterback.— Tu étais où, aujourd’hui ? me demanda Brad, qui quittait ses vêtements pour filer sous la

douche.—Paslà,marmonnai-jeenl’imitant.—Ehbien,onferaitmieuxd’êtrelà,sionveutremporterletrophéecetteannée,ricana-t-il.Jedétestaisparlerdel’avenir.Quelintérêt?J’acquiesçainéanmoins.—Ouais,tuasraison,admis-jed’unevoixbourrue.Aprèsmadouche,jemerendisdansl’undesnombreuxcafésducampusetm’envoyaiuneboisson

protéinée.Plusquedeuxcourset jepourraisrevoirKiersten.Elleavaitdûliremonmot,àprésent,doncelleétaitsoitfuraxsoitsouriante.Jemisaissurladeuxièmeoption: j’espéraisqu’enayantlumonmessageauréveil,elleoublieraitcommentfroncerlessourcilsàjamais.—Déjeuner.Je poussai un tas de nourriture devantKiersten et l’observai un instant en train de la passer en

revue,l’airécœurée.—Tudoismanger.—Jen’aipasfaim.Ellerepoussaleplateauetcroisalesbras.—Lespremierscourssesontmalpassés?Ellemejetaunregardnoir.Jelevailesmains.—Tuveuxenparler?—Jenepeuxpas.Et elle rougit enbalayant la cafétéria des yeux.Tous les regards oupresque étaient braqués sur

nous,commesionvenaitd’annoncerqu’onallaitadopterl’undesvingtenfantsdeBradPitt.—Jem’enoccupe.Ensoupirant, j’envoyaiun rapideSMSàJames. Ildétestaitmecouvrir,maisaumoins,ça ferait

cesserlesregardsappuyés.Jetournailatêteversluiàl’autreboutdelacafétériaetlevisbaisserlesyeuxsursontéléphone,froncerlessourcils,puisjetersonjournalsurlatable.L’instantd’après,ilsedirigeaitversnouset,aprèsdeuxoutroisimmensesenjambées,ils’effondraparterre.Toutlemondeouvritdesyeuxronds.—Voilà,ilsnenousregardentplus,commentai-je.Alors,qu’est-cequis’estpasséencours?—Ilvabien?demandaKiersten,désignantJames.—Manquedesucre.Jedétournaibrièvementlesyeuxetm’éclaircislagorge.—Alors,lescours?—Onnedevraitpasappelerquelqu’un?Etellesortitsonportable.Jelasaisisparlepoignetensecouantlatête.—Iliramieuxd’icidixminutes,ouletempsqu’iltefaudrapourmeracontertonhistoire.—Ah,OK.SanslâcherJamesdesyeux,ellesemitenfinàparler.—J’ailevélamainenclasse,maisleprofesseurm’areprochédel’avoircontredit.Jegrimaçai.—Etjemesuisfaitdeuxamis.Jesouris.Paselle.—Disonsqu’ilssontunpeuplusamicauxquetoi.Etlà,jemevisentraind’étranglerlesdeuxgarsmortsdemesmains,jevousjure.—Quic’était?Ilst’onttouchée?Faitdumal?Jevaislestuer,sérieux.Jevais…Jemelevaietbalayailacafétériadesyeux,àlarecherchedequelquevoyoudepremièreannéequi

loucheraitsurelle.—Assieds-toi.Ellem’obligeaàmerasseoirensecouantlatête.—Jeleuraiditquej’avaisunpetitami.L’affaireestclose.—Jesuggéraisquetutefassesdesamiesfilles,expliquai-je,lesangcognantdansmestempes.Pas

desgars.—Benquoi ? fit-elle, levant lesmains en signede frustration.Ce sont les seulespersonnesqui

m’ontapprochée.—Tum’étonnes,marmonnai-je.—Wes?Ellem’appelaitWes.Jepouvaismourirheureux.Laplupartdesgensm’appelaientWes.Jenel’yavaispasautoriséedefaçonexplicite.Çasemblait

toutnaturel.J’avaissignémonmotdecenom.J’étaisentraindedevenirunevraiegonzesse.Plusjesouriais,plusellefronçaitlessourcils.—Quoi?demanda-t-elle.—Rien,répondis-jeenluiprenantlamainpourydéposerunbaiser.Jesuisheureux,c’esttout.—Quej’aieéchouéàsuivretapetitelistederecommandations?—Tun’aspaséchoué,corrigeai-je.Tuasessayé,etc’estçaquicompte.Tudoissortirdesousle

nuage.Jevissesnarinessedilater,puiselleattrapasonsacetseleva.

—Jedoisyaller.—Assieds-toi.—Non.—Assieds-toi.Je la tirai sur son siège, gardant samain doucement enveloppée dans lamienne. Je sentais son

poulsauniveaudupoignet.Saccadé.Furieux.—Jenevaispasm’excuser.—Jenecomprendspasdequoituparles.—Tumerappellesmonfrère.—Hein?—Coma.Mort.Overdose.—Super,merci!siffla-t-elleentresesdentsserrées.Jeparvinstoutjusteàrepousserlespenséesnoiresliéesaudécèsdemonfrère.Jenetenaisqu’àun

filquandjerepris:—Dépressif,talentueux,génial.L’êtrequej’aimaisleplusaumonde.Ilétaittoutça.Ettoi,tume

fais penser à lui. J’ignore pourquoi, c’est comme ça. Alors oui, je te pousse un peu dans tesretranchements, mais je crois que tu peux le supporter. Dis-moi que tu es assez forte pour lesupporter.—Tunemeconnaispas.Savoixétaittranchante.J’ypercevaisuneduretéquejen’étaispashabituéàentendrechezlesfilles.—Si.—Non.Jerelâchaisamain.—Mieuxquetunelepenses.Écoute,jen’aipaspourhabitudedetournerautourdupot,etjen’ai

surtoutpasletempsd’êtrecegenredetype–celuiquiattenddessemainespourveniràboutdetesdéfenses. Je suis différent. Peut-être trop intense, je le comprends.Mesméthodes sont folles,OK,maisjesuisattirépartoi,ethonnêtement,jecroisquetuasbesoindemoi.—Jen’aibesoindepersonne,lança-t-elle.Etjedevinaisàsavoixqu’ellen’ycroyaitpas,alorsdelààmeconvaincre…— Si. Et j’attendrai que tu me l’avoues en face, s’il faut en arriver là pour que tu t’en rendes

compte.Sur ces mots, je me levai de ma chaise et m’en allai. Je continuerais à lui écrire des mots. Je

continueraisàlapousserdanssesretranchements.Peut-êtrequesij’arrivaisàlasauver…Jepoussaiunsoupirsaccadé.Peut-êtrequ’enlasauvant,je

lesauverais,lui.Jen’avaispasréussiàl’époque,maisaujourd’huijepouvaisyarriver.

Chapitre12

KIERSTEN

Lesgensferaientmieuxdes’occuperdeleursaffaires.OK?C’estvrai,pourquoiils’occupedemoi?—Maispourquiilseprend,bonsang?hurlai-jedanslecombiné.Àl’autreboutdufil,oncleJopoussaunprofondsoupir.—Ilm’al’aird’ungentilgarçon,etilaraisonsurunpoint.J’avaisenviedejeterquelquechosecontrelemur.Jesortisuneautrepilule,quejecroquaientre

mesdents.Legoûtétaitamer,maispeum’importait.J’avaisbesoindemesentirmieux.Oui,jesais,en théorie, lesantidépresseursn’étaientpascensésêtrepris commeça,mais leureffetplacebomesuffisait…pourl’instant.—Kiersten,ils’estcomportéenbonami.Tuaseneffettendanceàêtreàfleurdepeau.— Je le connais depuis hier ! Et quoi ? Il veut m’aider.Me sauver ? Il ne fait qu’empirer les

choses!—Commentça?s’enquitoncleJod’unevoixcalme.J’aiplutôtl’impressionqu’ilessaiederetirer

lepansementquetuasposésurtessentiments.Jenesuispasexpert,maisjecroisquetunepeuxpluscontinuercommeça.Jet’aiautoriséeàpartirétudieràdesheuresdelamaison,justementpourquetuprennestonenvol.Rappelle-toinotreaccord.Engrommelant,jem’assissurlelit.—Oui,oui.Jemesecoue,sinontudébarquesetrefaismesbagages.Sonrirem’apaisa.— Exactement. Tu n’as pas géré ton chagrin de façon saine. Tu ne devrais plus être sous

antidépresseurs,niaussicoincée.Pourl’amourdeDieu,Kiersten,tuasdix-huitans!—Jesuisvieille.—Tuesunegamine.Jel’imaginaisentraind’arpenterleparquetdelacuisine.—Vis,reprit-il.Vaprendreunebière–rienqu’une,hein!Trompelamort,contrairementàeux.

Cours toute nue dans ta résidence universitaire. Fais quelque chose. N’importe quoi, ça vaudratoujoursmieuxquederegarderfixementlemurcommetulefaisdepuisdeuxans.—Toi,tuasregardéDrPhil4.—Peut-êtrebien,répondit-ilenriant.Maisl’idée,c’estquetudoisvivre.C’était la première fois qu’on m’en donnait la permission. Je me sentais toujours obligée de

souffrir,commeeux.Ridicule,pasvrai?Maislaconditionhumaineestridicule.Onsetorturepoursesentirmieux–exactementcequejefaisais.Jemetorturaisparcequelavieétaitinjuste.—Arrête!grondaoncleJo.—Quoi?—Deréfléchir.—Jene…

—Si.Ilsoupira,puisrepritd’unevoixplusbasse:—Ma douce, tes parents auraient voulu que tu fasses des tas de choses, des choses folles. Ils

prenaientdesrisques.Tetorturerettemontrertropprudenteneteprotégerapasdumal.Nousvoilàaucœurduproblème.J’étais terrifiée. J’avais la sensation que je devais tout contrôler. Si je contrôlais ce que je

mangeais,cequejeportais,mafaçond’agir,àquijeparlais,jem’épargneraislemêmedestin.—Ilst’aimaient,insistaoncleJo.Desmotssecoincèrentdansmagorge.—Ilsvoudraientquetuvives.Jeravalaimonémotion.—Maissijenevispas?Sijemeurs?Je sentais les ténèbres commencer àme submerger. Assise sur le lit, je posai la tête entremes

genoux.Ledocteurrépétaittoujoursquel’anxiétéétaituneformededépression.Jamaisjenel’avaiscru,maiscesdeuxdernièresannées,anxiétéetdépressionavaientétémesseulesamies.C’étaitpeut-êtrepourçaqueWesmepoussaitdansmesretranchements.—Vis,répétaoncleJod’unevoixrâpeuse.Faisdesbêtises.Fais-toiarrêter.Pourconsommationde

drogues,s’illefaut!Jenepusréprimerunéclatderire.—Jeveuxjustem’assurerquetuvasbien,conclut-il.—Jevaisbien,oncleJo.Jetelepromets.Maistusaisquetueslepireparentdelaterre,toi?Illâchaunsoupir,puisunricanement.—Oulemeilleur,çadépendcommenttuvoislachose.—Tuviensdemeconseillerdeprendredeladrogue.—N’enparlepasàtagrand-mère,fit-ilaprèsunesecondedesilence.—Promis.—OK,gamine.Notreconversationtouchaitàsafin,oncleJonediscutaitjamaislongtemps.Pourluiquiétaitplutôt

dugenretaiseux,notrediscussiondecesoirétaitunexploit.—Vadoncfairequelquechosed’idiot.—Mercidem’avoirparlé,oncleJo.—Jesuislàpourça.Jeraccrochaietfixaiuninstantmaporte.Ilvoulaitquejefassequelquechosed’idiot?OK,très

bien. J’allais fairequelque chosededébile.Avantdepouvoir changerd’avis, jeme ruai dehors etgrimpailepremierescalierconduisantàlachambredeWes.Lecœurbattant,jefrappaiàsaporte,unefois,deuxfois,troisfois.—Uneseconde!lança-t-ildepuisl’intérieur.Laportes’ouvritengrand,etilm’accueillitavecunsourirejusqu’auxoreilles.—J’aifinimaliste.—Jesais,tumel’asdittoutàl’heure.—J’aifaitlamienne,précisai-je,levantlementond’unairdedéfi.—Ahbon?Ilcroisalesbrasetricana,adossantseslargesépaulesmuscléesàl’encadrementdelaporte.—Etellepréconisequoi,latienne?—Jenepeuxpasteledire.

Ilfronçalessourcils.—Jedoistelemontrer.Ilplissaunpeulespaupières,tandisqu’unirrésistiblesourires’étiraitsursonvisage.—D’accord,dit-illentement.Ehbien,montre-moi.Merde.Jetranspirais.Jenepouvaispasmedégonfler.OncleJovoulaitdelafolie?Bon,j’allaislui

endonner.Mehaussantsurlapointedespieds,j’effleurailabouchedeWesaveclamienne.J’étaissinerveusequemeslèvrestremblaientquandellestouchèrentlessiennes.Aussitôtqu’ellesentrèrentencontact,j’essayaidem’écarter.MaisWesmepritlementonentresesdoigtsetattiramonvisageverslesien.—Tusais,moiaussij’aiuneliste.—Ahoui?J’avaisdumalàrespirer,avecluisiprèsdemoi.—Ouaip.Ilfrôlamaboucheàsontouretjesentissalanguepousser,commepourtenterdebriserlabarrière

de mes lèvres. Je savais qu’à l’instant où je le laisserais entrer, je ne serais plus capable de lerepousser,etcettepenséemeterrifiait.—Ouvre,intima-t-ilenmordillantlapulpedemalèvreinférieure.Jenevaispastefairedemal.Pourtant ilm’en faisaitdéjà.Chaque instantpasséen saprésenceme faisait l’effetd’unedouche

froide.Jenesavaisquecroire,nimêmesijepouvaisluifaireconfiance.Pouvait-onfaireconfianceàquelqu’und’aussibeau?Sitalentueux?Siparfait?Ildéplaçalesmainsdemonmentonversmesépaules,avantdedescendrelelongdemesbras.Un

longfrissonmeparcourut.Wes souffla doucement sur ma bouche. Je me mis à haleter. Et tout était fichu. Ses lèvres

s’écrasèrentsurlesmiennes,salangueentra,explora,goûta.Unbrefgémissementm’échappa,auquelilréponditalorsqu’ilmepassaitlesmainsautourducou.Etlaseulechosedontjemerappelleensuite,c’estquej’étaisdanssachambre,quelaporteclaquait

derrièrenousetque lesmainsdeWesétaientposées surmeshanches. Jem’approchaide lui, sansvraimentsavoircequejevoulais.J’avaisbesoind’êtreproche,plusprochedelui.Maisils’écarta,lesoufflecourt.Ildéglutit,sedétournaetlâchaunjuron.—Jesuisdésolé.Ilétaitdésolé?Dem’avoirembrassée?Jemeruaiverslaporte,maisàlasecondeoùjelatirai,il

la repoussa. Tout en lui tournant le dos, je sentais son souffle chaud dansmon cou et bientôt seslèvressuivirent.Jefermailesyeux.C’étaittellementbondelesentirmetoucher.Tellementagréablequej’avaisenviedehurler.Jamaisjenem’étaissentiesivulnérablefaceàuneautrepersonne.Jamaisjen’avaiséprouvépareillemontéed’adrénalinequ’aumomentoùsalangueavaittouchélamienne,ouquandsesdoigtscaressaientmahanche.—Reste,chuchota-t-ild’unevoixrauque.Resteavecmoi.—Danstachambre?—Non,surletoit,répliqua-t-il,riantàmonoreille.Benoui,dansmachambre.Sijeprometsdene

pastetoucher?—Cen’estpasprécisémentcequedisenttouslesgarsavantdeséduireunefille?Dumoinsdans

lesfilms?—Onn’estpasdansunfilm.Ilremontalesdoigts,tapotantsurmaclaviculeavantdepasserlentementsurmapoitrine,s’arrêtant

pileauniveaudemoncœur.

—Jeveuxjusteentendrebattretoncœur.C’esttout.Ilessayaitde la jouer romantique,ouest-cequ’ilétait sérieux? Ilnebougeapas lamaindema

poitrine,etsoudainjesentisdenouveausoncorpspalpitantcontrelemientandisqu’ilm’attiraitàlui.—S’ilteplaît.—Sijemefaisvirerdelafac…—Tunerisquespas,affirma-t-il.JesuisRA,ettut’esdisputéeavectacolocataire.Jeprotègeton

honneur,toutça,toutça…— Sauf que ma colocataire est géniale, que tu veux me voler mon honneur et que tu es un

séducteur.—Unséducteur?répéta-t-il,retirantsamain.Sansdoute,oui,maispasavectoi.—Ouais,ouais,jesuisdifférente,c’estça?Combiendefoistuasrépétéçaàunefille,cesvingt

dernièresannées?—Jen’aicommencéqu’àhuitans…,sedéfendit-il.Jepouffai.Impossibledem’enempêcher.—Non,maissérieusement,reprit-ilenmefaisantpivoterfaceàlui,jenevaispastementir.Jete

désire.Jetedésireàunpointtelqu’ilsvontmesanctifierquandj’arriveraiauparadis,jesuisprêtàprendrelesparis.Jeplissailesyeux.—Lavie…Iljuraetpassaunemaindanssescheveuxblondcendré.—Lavieestplusagréableavectoi.Plusintense.Tucomprends?—Jecrois.Je n’étais pas prête à lui avouer que je craquais pour lui, que je tombais gravement amoureuse.

C’estvrai,quoi,jeneleconnaissaisquedepuis…Combien…?Deuxjours?Ilsoupira.—Etpuis,c’esttoiquiesvenuedansmachambre,jeterappelle.—Mononclem’aconseillédefairequelquechosed’unpeufou.Illevalesmains.—Sijamaisl’envieteprend,jesuislà.Enfait,ilsepeutquejeterappellecetteconversationd’ici

cinqminutes,puistouteslescinqminutes.J’espèrequeçanetedérangepas.—Merci.Jedéglutisetenfonçailesmainsdansmespoches.—Bon,onvaallerdormir.—Quoi?Onnesefaitpasuneséancedemanucureetunmasqueàl’argileverte?plaisantai-je.Ilsemitàrireàgorgedéployée.—C’estvraiqueçam’aideraitsansdouteàoublierl’enviequej’aidetecollercontrelemurpour

mettre en pièces ta belle innocence.Du coup, oui, je ferais peut-être bien de te vernir les ongles,histoiredet’imaginerailleursquelà,devantmoi,avecteslèvresgonfléesettescheveuxébouriffés.Qu’est-cequej’aimetescheveux…Ensoupirant,ilenpritquelquesmèchesentresesdoigts.—Cen’estpeut-êtrepasunebonneidée.Jereculaid’unpas,maisWesm’attrapaparlamain.—Tantmieux.J’aimelesmauvaisesidées;grâceàelles,jemesensvivant.—Ettuasbesoindetesentirplusvivant?Sonexpressiontomba.Baissantlesyeuxverslesol,ilchuchota:

—Tun’imaginespasàquelpoint.

4.DrPhilestuntalk-showaméricainprésentéparPhilMcGraw,découvertdansleshowd’OprahWinfrey.Ilprodiguedesconseilssousformede«stratégiesdevie».

Chapitre13

WESTON

Siseulementellesavait…Enfin,bon,ellem’assassinerait sansdoutedansmonsommeil.Celadit,jepréféreraismourirdesesmainsque…Bref,peuimporte.

—Alors,onselanceoupas?demandai-je,histoiredechangerdesujet.Elle tourna lesyeuxvers laporte, les reporta surmoi, et regardadenouveauendirectionde la

porte.J’allaisprendreladécisionpourelle.Jetournaileverrouetluisortisuncaleçonetuntee-shirt.—L’établissement a beau être standing, nous ne fournissons pas les peignoirs. En revanche, je

peuxteprêterdesvêtementsproprespourdormir.Maintenantdéshabille-toi.—Qu…Quoi?—Jeplaisante.J’éclataiderire,mêmesijedoisavouerquej’avaislefolespoirdelavoirnue.—Lasalledebainsestjustelà.Vatechanger,jeferaiensorted’êtredansunetenuedécentequand

tureviendras.—OK.Elleavaitlesmainsquitremblaient.IlfaudraitquejepenseàenvoyerunjambondeNoëlàl’oncle

Jopoursesbonsconseils.D’uncôté, j’étaiscontentqueça l’aitconduiteàmoi,maisde l’autre, jen’arrêtaispasdemedemandercequi se seraitproduit si elleavaitdécidéde s’adresseràunautrehomme.J’auraissansdoutefinienprison.Peut-êtrepasunjambon,ducoup.Unecarte?Biensûr,unecarte,çafaittoujoursplaisir.Je retirai rapidementmon tee-shirt, enfilai un short de sport etm’allongeai sur le lit.Monpère

m’avait envoyé unSMSm’enjoignant de bienme comporter avec James etDavid. Il voulait aussisavoir comment fonctionnait le nouveau traitement. J’en avais tellement ras le bol de cesmédicamentsqueçamedonnaitenviedejeterquelquechosecontrelemur.J’espéraisqueKierstenn’iraitpasfouiner,vuquemacollectiondemédocsétaitgentimentexposéesousmonlavabo.Bon,ellenesauraitpascequ’ilstraitaient,etmêmesielleallaitjusqu’àenchercherlesnomssurInternet,elleseraitsidéréededécouvrirquelamoitiéd’entreeuxétaientexpérimentaux.—Prête.LapetitevoixdeKierstenretentitdepuislasalledebains,enmêmetempsquelaportes’ouvraitet

que la lumière s’éteignait. Elle nageait littéralement dans mes vêtements. Je ne pus réprimer unsourire. Elle était si sexy dansmon short que j’avais envie deme précipiter vers elle et de le luiarracher.Self-control.Jem’éclaircislagorgeettapotailematelasàcôtédemoi.—Jenemordspas.—Maistulèches.—Toujours.

Jedevaislutterpournepascéderàl’enviedel’attirercontremoi.—Jenetelécheraipas,petitagneau,promis.— Dit le grand méchant loup, chantonna-t-elle en s’approchant lentement du lit pour venir

s’asseoirprèsdemoi.Jen’aipasl’habitudedefaireça.Parailleurs,jenelefaisquepourmeprouverquelquechose,àmoi-mêmeetàmononcle.—Etqu’est-cequetucherchesàprouver?—Quejesuiscapabledevivre,répondit-elleàvoixbasse.Quejenesuispasmorteaveceux.—«Eux»?demandai-je,l’attirantcontremontorse.—Jen’enparlepassouvent.Saufaveclesdocteursquimeprennentdeuxcentsdollarsdel’heure

pourgriffonnerdestrucssurunbloc-notesetmeprescriredesmédicaments.Soncorpstoutentierseraidit.—Enfin,jeneprendspasdemédicaments,je…—Kiersten?—Oui?Ellesemblaitsurlepointdepleurer.—Iln’yapasdemalàsefaireaider.Aprèsplusieurssecondesdesilencependantlesquellessoncœurbattaitfollementcontremamain,

ellehochalatêted’ungestesaccadé.—Merci.—Derien.Maintenant,faisonsuntrucdedingue:dodo!—Commedeuxpetitsvieux,commenta-t-elleenriant.—Voilà,exactement.Parcequesiellecontinuaitàondulercontremoi,j’allaisperdrelatête.—Bonnenuit,petitagneau.—Bonnenuit,grandméchantloup.Ellebâilla,puissetournaversmoi.—Ilfautquejet’avertisse,j’aiparfoisdesterreursnocturnes.—OK.Etmoijeronfle.—Tuplaisantes?—Ouaip.Ensoupirant,ellesemorditlalèvre.Bonsang,j’avaistellementenviedepouvoirlamordre,moi

aussi!—Etunefoisj’aifaitpipiaulit.Elleécarquillalesyeux.—J’avaisquatreans.—Legenred’expériencequibouleverseunevie.—Eneffet,acquiesçai-je.Monnounoursn’yapassurvécu.—Tragique.Jesecouailatête.—Jenecessedemedemandersij’auraispuagirdifféremmentpourlesauver.Sonriremecoupalesouffle.Enfait,jemisplusieurssecondesavantderetrouverunerespiration

normale.—Merci.—Dequoi?J’écartaidélicatementunemèchedecheveuxdesonvisagedeporcelaine.

—Dem’aideràmesentirmieux.—Ehbien,jesuistonRA…—Euh…jepensequececisortducadrestrictdetesmissions,fit-elleenriant.Etjesuiscertaine

queçan’étaitpasnonplusdanslabrochure.Jehaussailesépaules.—Ehbien,çafaitpartiedujobmaintenant.Mesnouvellesattributionsconsistentàtefairerireetà

chassertesmauvaisrêves.—J’aimeraisbienquecesoitvrai.—Dors,intimai-jeenluidonnantunbaisersurlefront.Etsitutelancesdansuneautrefolie,je

peuxmejoindreàtoi?—OK,pourquoi?Sespaupièressefermèrent.Oh,bentoutsimplementparcequejetueraisquiconqueoseraittetoucher.—Commeça.Jen’aimepasl’idéequetufassesdestrucsunpeufoussanstonpartenairedecrime.—Dac.—Bonnenuit.—Bonnenuit,murmura-t-elle.

Chapitre14

KIERSTEN

Sijen’aipasrêvé,c’estpeut-êtreparcequepourunefois,jevivaismavie.—Bonjour,beauté,murmuraunevoixgraved’hommeàmonoreille.Jem’éveillaiensursautetmanquaidemecognercontresonfront.Onn’étaitpaspassésloin.Wes

reculapromptementenriant,puisilnoualesmainsderrièresatêteetlevalesyeuxversleplafond.—Alors…pasdecauchemars?—Pasdecauchemars.Il n’avait pas idée du changement que c’était pour moi de passer une nuit complète sans être

réveillée par mes propres hurlements. Ces cauchemars n’étaient peut-être donc pas un effetsecondairedesmédicaments.Çavenaitpeut-êtrejustedemoi.J’étaispeut-êtredéfectueuse,voilàtout.—Tuascours?Ilbâilla.Jejetaiuncoupd’œilauréveilprèsdulit.—Dansdeuxheures.Ilvafalloirquej’yaille.—Tuasbesoindedeuxheurespour tepréparer?Etmoiqui teprenaispourune filledevingt

minutes.Jedonnaiuneclaquesursonventredur.— Si tu veux tout savoir, il m’en faut trente, mais je veux rentrer avant que Lisa ne lance des

recherches.Ilrestasilencieuxuninstant,puis:—Tuvasluidireoùtuétais?—Peut-être.—Moi,jegarderailesecret,meconfia-t-il.Lesamis,çapartagedessecrets,non?—Tuasraison.Jequittai le lit.Jevenaisdepassermameilleurenuitdesommeildepuisdeuxans.Unepartiede

moimourait d’enviede retourner sous la couette, deme loverdans la chaleurdeWes.Au lieudequoi,jemedirigeaiverslasalledebains,renfilaimesvêtementsdelaveille,prismontéléphoneetmesclés.—Mêmeheurecesoir?Ilm’adressaunclind’œil.Qu’est-cequ’ilétaitsexy,étenduainsisursonlit!Commentavais-jepu

dormiràcôtéd’uncorpspareil?Siprochedumien?Ilfallaitvraimentquejesoisépuisée.Soitça,soitjen’étaispasattiréeparleshommes.—Euh…J’aidesdevoirsàfaire.—Ledeuxièmejourdecours?Ilhaussalessourcils,l’airdéçu.—Oh, je vois…Tu vasme la jouer genre on s’évite.Bon, alors je serai bref : on n’a pas fait

l’amour,ducoup tun’asaucune raisond’êtregênée,encoremoinsd’avoirhonte,et si tum’évites

commelapestejemeverraidansl’obligationdetepoursuivre.—Mêmepaspeur.Ilhaussalesépaules.Jeparvinsàleverlesyeuxaucielendéverrouillantlaporte,avantdemeglisserdehors.J’atteignislacaged’escaliersansêtrevue.Surlapointedespieds,jemefaufilaidanslecouloiren

direction dema chambre, et juste aumoment où je traversai, j’aperçus Gabe qui arrivait dans ladirectionopposée.Unsouriresedessinasursonvisage,pluslargedesecondeenseconde.—Oùtuétaispasséetoutelanuit,vilainefille?J’évitaisonregardetrangeaiunemèchedecheveuxderrièremonoreille.—Euh…Jemesuisendormieàlabibliothèque.Ilsoupira.—J’aiessayécetteexcuseunefois.Apparemment,ilsfermentà3heuresdumatinetfontpasser

deschiensrenifleurspourvérifierquepersonnenerestesouslestablespendantlanuit.—Merde.—Waouh,etungrosmot,enplus?Ilmepassaunbrasautourdelatailleetm’accompagnajusqu’àmachambre.—Onseraitpasséeducôtéobscurdelaforce?Cettefois,jelevailesyeuxaucielsansaucuneffort.Gabes’immobilisa,merelâcha,etsoudainil

posaitsonnezdansmescheveux,dansmoncou,partout.Tropsidéréepourréagir,jemefigeai.Ilreculad’unpas,unsouriresatisfaitsurlevisage.—Sexe.Jelesenssurtoi.Laculpabilitémegiflaenpleineface.J’essayaibiendeladissimuler,maisillavit.Hochantlatête,

ilsetapotalalèvreduboutdudoigt.—JepariesurMichels.Unevaguedechaleurm’empourpralesjoues.—Danscettechambre?Jetentaid’enfoncermaclédanslaserrure,àgrandpeine.Gabem’attrapaparlamainetlagarda

danslasienne.Sonexpressionn’étaitplusdutouttaquine.— Je préfère te mettre en garde. Il n’est probablement pas le genre de type que tu devrais

fréquenterpourtapremière…VoilàqueGaberougissaitcommemoi!—Mapremière?Redressée,jeprismonairleplusinnocent.—Tapremière,voilà.Lâchantunjuron,ilenfonçalui-mêmelaclédanslaserrure.— Il est riche. Les femmes lui courent après.Mêmemamémé lui courrait après. Alors… fais

attentionàtoi.Lesmecscommeçanes’engagentpas.Ilssontplutôtpartisansdescoupsd’unsoir,tucomprends.—C’estdrôle,lâchai-jeenricanant.Lisam’aditexactementlamêmechosedetoi.—Eh!Iltournalacléetouvritlaporteengrandpourmelaisserentrer.— Je ne joue pas les innocents, moi. Je baise des filles, elles me remercient, et je les laisse

gentimentpoursuivreleurchemin.Ettoutlemondeestcontent,findel’histoire.Jenecacheriende

quijesuisetcommentjesuis.—Alorsqueselontoi,luisi?—Ilestsecret,réponditGabeavecunnouveaujuron.Etjesaisqu’iln’apasviolécettefille,jete

conseillejustedefaireattention,voilà.—Attention?La voix ensommeillée de Lisa nous parvint jusqu’à la porte, avant qu’elle n’apparaisse en petit

shortblancetbrassière.—Quiest-cequidoitfaireattention?JejetaiunregardsuppliantendirectiondeGabe.Quilâchaunsoupircoupable.—Moi,fit-il.Jemesuissoûlécommeuncochonlanuitdernièreetj’aifaillimetapertacoloc.Lisasemitàhurler.Gabesecontentadesourire.—Ehbien,aumoinsmaintenanttuesréveillée.—Nemefichepasdespeurspareilles!s’exclama-t-elleenluitapantsurlebras.Elleesttroppure

pourtoi.—Commesijenelesavaispas,murmura-t-il.Puisilm’adressaunclind’œilpendantquejeluichuchotaisun«merci»muet.—Petitdéjeuner,lançai-je,posantunemainsurmonfrontetpassantlesdoigtsdansmescheveux.

Pourquoijenenousprépareraispasunbonpetit-déjàtouslestrois?—OK,réponditLisa,quibâilladenouveau,puiss’étira.Jeprendsjusteunepetitedouchevitefait

avant.Unefoisqu’ellefutpartie,Gabepenchalatêtedansmadirection.—Cepetitdéjeuner,c’esttafaçondenousfaireavalertaculpabilité?—Trèsdrôle.Ungrandsourireauxlèvres,illevalesmainsauciel.OnauraitditAdamLevine,avecsontee-shirt

blancdéchiré,sestatouagesetsonjeanskinny.—Quoi?demanda-t-il,lesyeuxplissés.—Rien.Jemesentisrougir.Voilà,j’étaisofficiellementunegarce.—Jetetrouvebeau,c’esttout.—Beau?répéta-t-il.Jehochailatête.Ils’accoudaaucomptoiretcroisalesbras.—Beau ? Hum, on nem’avait jamais qualifié de « beau ». Tu es sûre queMichels ne t’a pas

embrouillélecerveau,aprèsvotrefollenuitde…—…discussionetdesommeil,terminai-jeàsaplace.Gabericana.—Ahoui?C’esttoutcequis’estpassé?Hum,j’ignoraisqu’ilétaithomo.—Ilnel’estpas.Unsourirenarquoism’échappa,etjemerendiscomptequejem’étaistrahie.Gabemepoussadu

coude.—Ahnon?Etcommentest-cequ’onsaitça?—Euh…àcausedesaréputation.Lapiècefutuninstantplongéedanslesilence,tandisquejemélangeaislapâtedemespancakes,

avantdemetournerverslagazinière.—Ilembrassebien?

Lapoêlem’échappadesmainsetheurtalagazinièredansunclaquement.LerirequimontadelagorgedeGabemedonnaenviedelepoignarderavecunefourchette.Illevalesmains,feignantl’innocence.—Jeposaisjustelaquestion.—Oui,répondis-jeenm’humectantleslèvres.Ilembrassebien.Maisc’étaitplusundéfiquejeme

lançaisàmoi-même,iln’arieninitié.C’estmoiquil’aifait.—Sympa.Ilmepritleplatdesmainsetcontinuaàtouillerpendantquej’allaisaufrigosortirdujusd’orange.—Tuesentraindem’avouerquesouscepulletcetteapparencefrigidesecacheunebêtedesexe

quicommenceàsortirdesatanière?Jechoisisdenepas répondre,préférantm’occuperàverser le jusd’orangedans troisverreset

m’assurerquelapoêleétaithuiléepourlespancakes.—TuveuxquejedessinedesformesrigolotespourfairepeuràLisa?proposaGabe.Ouf,onenaterminédecettediscussioncentréesurmoi.Tantmieux.—Elleapeurdespancakes?—Deceuxqui sont en formedeMickey, expliqua-t-il, lesyeuxbrillantd’espièglerie.Séquelles

d’uneexpériencetragiqueàDisneylandquandelleavaitquatreans.J’éclataiderire.—Attends.ElleapeurdeMickey?— Il lui a éternué au nez. Sa coiffe de princesse est tombée. Elle a pleuré. Ça a fait tout un…

pataquès,conclut-ilenagitantlamaindefaçonthéâtrale.—Bon,dis-jeenluiprenantlalouchedesmains.J’enpréparaistoutletemps,despancakesMickey

pour…Jelaissaimaphraseensuspens.—Pour?—Pourmafamille.—Cool.Ils’éloignaafindesortirdesassiettespendantquejeversaisdelapâtesurlapoêlechaude.Lisasortitdesadoucheaumomentprécisoùl’onachevaitdecuireladernièrecrêpe.L’airravi,

Gabesefrottalesmains.—Cesontlespetitsplaisirsdelaviequim’excitent.—Bonàsavoir,commentai-jeendéposantunpancakesurl’assiettedeLisa,quejetendisàGabe.—Cousine!cria-t-il.Ont’apréparéunesurprise.—Miam!répondit-elleenreniflantbruyamment.Çasentlespancakes,non?Elleposaleplatdecrêpessurlatable,avantdesetirerunechaise.Puisellebaissalesyeuxsurson

assiette.Enpoussantunhurlement,elle reculaetheurta sachaise,quivacillaetatterrit ausolavecLisaetunbruitsourd.—Classique.Gabemetenditsonpoing,quejecognai.—Putaindesouris,lançaLisadepuislesol.Gabel’aidaàserelever,maisellerepoussasamain.—Lisa,neboudepas.—Jeneboudepas,répliqua-t-elleencroisantlesbras.J’entamejuste…unegrèvedepancakes.Gabes’agenouillaavecunsoupir.—Tuveuxquejecoupetacrêpeendeux,histoirequ’elleneressembleplusàMickey?

—Jem’enfiche,faiscequetuveux,cracha-t-elle.Gabesaisitsonassietteetdéchiquetalasilhouettedesouris,avantdelaluitendre.—Tuvois?Yaplusrien.Lisaluidonnaunbaisersurlajoueetselaissaaider.—Merci,Gabe,lâcha-t-elleunefoisremisesursespieds.—Cen’étaitqu’unesouris.Jen’enrevenaistoujourspasqu’elleaitétéaussiterrifiéeparunecrêpe.—Nemelancepassurlesujet,rétorqua-t-elleenmefourrantunindexmenaçantsouslenez.Tuas

desterreursnocturnesettuflanquesunetrouillededingueàtacoloc.MoijehaisMickey.Chacunsacroix,OK?Là,ellemarquaitunpoint.—Desterreursnocturnes?intervintGabe,penchantlatêtedansmadirection.Çan’estpasuntruc

quiarriveauxtoutpetitsgamins,ça?—Etàmoi,répondis-jeenm’affalantsurmonsiège.Apparemment.Mêmesijen’enavaispaseu,lanuitdernière.Maisjepassaicedétailsoussilence,carc’étaitune

exceptionrare.Unefoislepetitdéjeunerterminé,j’envoyaiunrapideSMSàoncleJo.J’aiembrasséungarsetmangéunetonnedepancakescematin.C’estassezfoupourtoi?

Ilréponditdanslaseconde.Bravomabelle.

Chapitre15

WESTON

On devrait abattre celui qui a inventé les essais cliniques… ou m’abattre moi. Ouais,laissez-letomber,tuez-moi.

Davemeposaunemainsurlefrontetgrimaça.—Lesnauséesontcommencéquand?Ilyaquelquesheures?Quelquesjours?Jerepoussaisamainetlâchaiunjuron.— Je pense que la bonne question serait plutôt de déterminer à quel moment je n’ai pas été

nauséeux.Non,sérieusement,jemesensmieux,là,vousvoyez?Ungrandsourireauxlèvres,jemerelevai.Jedusm’appuyeraubureauquelquessecondesavantde

mesentirassezsolidepourmarcherdroit.Davidselevaenmêmetempsquemoi.—Ondoitnotertouscesdétails,Wes,vouslesavez.J’émisungrognementetmedirigeaiverslaporte.—Jesais,jesais.Çafaitsixmoisqueçadure,etjesuisdésolédevousl’apprendre,jenevaispas

mieuxdutout.—Votreattituden’estpaslabonne,vouslesavez.Ledocteuradit…—Qu’ilaillesefairefoutre,ledocteur!Jefrappaidupoingcontrelaporte,mavoixtremblantsousl’effetdelafrustration.JesentislesoupirdeDavid.J’enavaisl’habitude,l’annéepasséeenavaitétéremplie:d’abordle

soupirdemonpèrequand il avait apprisque lesmédicaments étaientnotredernière solution,puisceluidemoncoachquandjeluiavaisannoncéquejeneseraispeut-êtrepasenmesuredeterminerlasaison,etenfinceluidudocteur,quandilm’avaitannoncéquemeschancessemontaientàcinquantepourcent.—Écoutez…Mes lèvres étaient très sèches. Effet secondaire des médicaments. Je passai la langue dessus et

soupirai.—Jesuisdésolé,lajournéeaétérude.Faitesvotrefichurapport.Jemesensnauséeux,mavueest

unpeutroubleetj’aivomicematin.Silence.Puisjel’entendisécrire.—Autrechose?demandaDavid.—Oui,répondis-jeenattrapantmescléssurlebureau.Jesors,nem’attendezpas…—Mais…—S’ilvousplaît,j’aibesoind’unpeudenormalité,là.—OK,cédaDavid, lâchantun juronàmi-voix.Gardezvotreportable survous,et sivousvous

sentezbizarre,vousrentrezdirectementàlarésidence,d’accord?—Ouaip.

Etjesortisd’unpasléger.J’étaisvraimentunclown,entantqueRA.J’avaispasséentoutetpourtouttrenteminutesdansma

chambre audeuxième jour de cours. Pourtant, je l’avais voulu, ce job.Non, correction, j’en avaisbesoin.Toutcommej’avaisbesoindevivrenormalement,neserait-cequ’uneminutedanslajournée.Ledoyens’étaitquasimentfaitdessusquandmonpèreluiavaitrenduvisitedanssonbureau,toutfeutoutflamme.Jen’avaisjamaisétéplusfier.Laplupartdesgensimaginaientlepire,concernantmonaffectationaupostedeRA,àsavoirque

j’yavaiséténommépourfaireoublierlesévénementsdel’annéepassée.Vousvoulezlavérité?J’avaissuppliépourl’avoir.Çaavaitmismoncoachdansunecolèrenoire,maisaumoins,monpèreavaitcompris.Jeluiavais

expliquévouloiraiderlesnouveauxinscrits,leurmontrerlesficelles,alorsqu’enréalité,toutçaétaitliéàmonfrère.Ilétaitmortdurantsapremièreannéed’université,etjen’étaispasprêtàquittercemondeenlaissantlamêmechosearriveràquelqu’und’autre.Raisonpourlaquellejem’arrêtaiàl’étagedeKiersten.J’ignoraissielleétaitdéjàrentréedecours,maisçavalaitlapeined’essayer.Jefrappaideuxcoups

àsaporteetj’attendis.Aprèsquelquessecondesdediscussionschuchotéesetd’agitation, laportes’ouvrit.SurGabe, le

cousin,peut-êtremonconcurrent. Jen’enétaispassûr. Ilmezieutaunmoment,puism’adressaungrandsourire.—Biendormi,lanuitdernière?—Mieuxquetoi,répondis-jeensouriant.—Jetecrois,acquiesça-t-il.—Kiersten?—Faitsesdevoirs.—Dèsledeuxièmejour?Jelepoussaipourentrer.Gabelevalesmains.—Toutcequejesais,moi,c’estqu’elleaaffirméavoirdeschosesàfaireetqu’elleestdanssa

chambre.Ellen’aeuquedeuxcoursaujourd’hui,cematintouslesdeux.—Çafaitplaisirdevoirquejenesuispasleseulàlasurveiller,marmonnai-je.LesouriresatisfaitdeGabemefitserrerlespoings.JemedirigeaiverslachambredeKierstenet

frappaiàsaporte.—Kiersten?J’entendisdesreniflements,puisquelquechosequitombait.Etmerde!J’entraientrombe.Waouh!J’auraismieuxfaitd’attendrequ’ellevienneouvrir.Elleétaitnue.Enfin,pasentièrementnue,maisçay ressemblaitvachement.Elleportaitunpantalondeyogaet

unebrassière.Etlesourirebéatquisedessinasurmonvisagedutmedonnerl’aird’undébilemental.—Eh!s’écriaGabedepuisl’autrepièce.Jeluiclaquailaporteaunezetfermaiàclé.—Bien,jemesensplusensécurité,commeça,grommelaKierstenenselevantdesontapisdesol.

Wes,tunepeuxpasdébarquerchezlesgenssansprévenir.—Jesuispourtantravidel’avoirfait,enl’occurrence,commentai-jeenm’approchantdulit,oùje

m’assis,ledoscontrelemur.Continue,jet’enprie.Elleéclataderire.

—Non,pasavecunpublic.Jefaisaisdesexercices,espècedepervers.—J’avaiscrut’entendrehurlermonnom.J’aidûmetromper,conclus-jeenhaussantlesépaules.—Waouh,tuasentenduçadepuislesixième?—Qu’est-cequejepeuxdire?C’estundonquej’ai.—Ajouteuneouïesurnaturelleaufaitquetumesurveilles,ettudeviensleparfaitpsychopathe.Jesourisdeplusbelle.—Pasquestionquejem’exercedevanttoi,déclara-t-elle,lesmainssurleshanches.—Alorsfaisonsçaensemble.Elleécarquilladesyeuxhorrifiés.Uneréactionquiavaitdequoireboostermonego.—Non,jeneparlaispasde«ça».Jevoulaisdire,allonscourir.—Tucours?Jehochailatêteetrépondislentement:—Jesuisquarterbackdansmonéquipedefoot.Biensûrquejecours.Rougissante,elleseposalesmainssurlevisage.—Non,jevoulaissavoirsitucouraisendehorsdesentraînements.—Tun’asjamaisjouédansuneéquipe,visiblement.Dévoilantsesjoliesdents,ellesecoualatête.—Onnetravaillepasquependantlesentraînements.Jefaisdeuxheuresdesportparjourenplus

del’entraînementdefoot.Histoirederesterenforme.Benoui,ilfautbienlesentretenir,cestablettes.—Jenem’enremettraijamais,fit-elledansunsoupirens’asseyantausol.—Petitagneau,lataquinai-je,jamaistuneteremettrasdemoi.—OK.Allonscourir.—Cool…—Àunecondition.—Ouh!m’écriai-je,lespoucesbaissés.Elleserelevad’unbond.—Tun’asmêmepasentendumacondition!—OK,vas-y.Tuascinqsecondes.—Unepatienced’ange,hein?—Un…—OK!Elleattrapaunmorceaudepapiersurlebureauetmelejetaauvisage.Je m’apprêtais à prononcer « deux » quand il atterrit sur mes genoux. Avec un soupir, je le

ramassaietmemisàlire.Çacommençaitcommesuit:Façonsdevivre

Moncœurseserra.Ellesavaitdestrucssurmoi?1.Embrasserungarçonsexy.2.Prendreunbaindeminuit.3.Boireuncocktaildefruitsaveclapetiteombrellejusqu’aubout.4.LireOrgueiletpréjugésenentier.5.Apprendreànager.

Jem’interrompis.—Tunesaispasnager?

Ellebaissalesyeuxausol,alorsjereprismalecture.6.Mefairedeuxvraisamis.7.Arrêterlesantidépresseurs.

J’avaisdoncraisonsurunpoint:elleétaitendépression.MaispourquoiunefilleaussiparfaitequeKierstentomberaitendépression?

8.Sauteràl’élastique.9.Mangerducoulisd’airellespourThanksgivingetgoûterdelabetterave.10.Tomberamoureuse.11.Avoirlecœurbrisé.12.Tomberamoureusequandmême.

Je pouvais l’aider ! Enfin, pas sur tous les points. Par exemple, elle ne pouvait pas tomberamoureusedemoi.Jenelalaisseraispasfaire.Çaneseraitjustenipourellenipourmoi,enplusellen’avaitquedix-huitans.Jerepliailepapierendeuxavecunsoupir.—Alors?demanda-t-elle, tortillantunemèchedesesmagnifiquescheveuxautourdesesdoigts.

Qu’enpenses-tu?—C’estparti,onlefait.Sonvisages’illuminacommeuneguirlandedeNoël.Avantque jecomprennecequim’arrivait,

elles’étaitruéesurmoietavaitnouélesbrasautourdemoncou.Hum,sic’étaitlaréactionquejedevaisrecevoirpourl’aideràaccomplirunelisteridicule,quesepasserait-ilsijeluiachetaisuneîleparadisiaqueavantdemou…Jechassaiscettepensée.Ironique.—Tuessérieux?Tunetrouvespasçabizarre?Jenesuispasbizarre?Jel’embrassaisurlajoue.—Cen’estpasbizarre.Enplus,jet’aiditquejevoulaist’aideràréalisertoustestrucsunpeufous,

pasvrai?Ellehochalatête.Unemèchedecheveuxluiretombasurlevisageetseposasursajouerougie.

Commeunecaresse.Jeluidonnaiunbaisersurlajoue.Justepourleplaisir.—Bien.Jediraisqu’onpeutréussiràfaireàpeuprèstoutçaavantThanksgiving.—Ahbon?—Absolument,affirmai-jeenl’aidantàserelever.Enfin…hormisletrucdetomberamoureuse.Ellepouffa.Commej’aimaissonrire!—Ouais,ben,jemesuisdit:tantqu’àémettredessouhaits,autantvoirgrand.—Unefilleselonmoncœur.Avecuneœillade,jereposailepapiersursonbureau.—Maintenant enfileun tee-shirt, histoireque tous lesgarsdu coinne te courentpas après.Car

nouspartonsfaireunfooting,trèschère.

Chapitre16

KIERSTEN

Couriraveclui,çasignifiaitaumoinsquejenelefuyaispas.Jefaisaisdesprogrès…non?QuandWesm’avait proposé d’aller courir, jem’attendais bêtement à un jogging.Du genre, on

courtunpeu,pastropvite.Pascommedesballes.Ilneparlaitmêmepas.Enrevanche,qu’est-cequ’iltranspirait…Cequicompensaitunpeu,ducoup,d’autantqu’ilavaitchoisidecourirtorsenu.Moi,parcontre,

jedevaisavoirunetronchetoutsaufsexy,pantelanteàsescôtés.—Tusais,onestentrainderayeruntrucdetalisteaumomentoùonparle,fit-ilremarquerd’une

voixtoutàfaitnormale.Ladouleurmevrillaitlecôté.—Ahoui,sifflai-je,etquoi?—Tuveuxarrêterlesantidépresseurs.—Donc…(Jetoussai.)Tuessaies…Putain,j’allaism’évanouir.—…demetuer?—Négatif.Etilricana.Sérieux,commentilfaisaitpourrespirer?—Des étudesmontrent que l’exercice physique exigeant, du genre qui fait souffrir, génère des

hormonesdubonheurdanslecerveau,cellesquiguérissentlesdouleursémotionnellesaussibienquephysiques.Unpeucommeunmédicament.Courirest lemoyenleplusrapideet leplusefficacedefairemonterceshormonesdubonheurdanslecorps.Mets-toiaufooting,etjetegarantisquetutesentirasmieux,peut-êtremêmeassezbienpourcessertontraitement.Ils’arrêta.MercimonDieu.Pliéeendeux,jelevaiunemain.—J’aibesoind’uneminute.Iltapotamondosensueuravecunpetitrire.—Letruc,Kiersten,c’estquelesmédicamentsnesontpasmauvais.Ilssontlàpourt’aider.—Ilsmedonnentdescauchemars.—Alorsdorsavecmoi.—Ilsmedonnentl’impressionquejesuisfaible.J’expirailonguement.—Uniquementparcequetuvoisleschosesdumauvaiscôté.J’attendisqu’ilmeprodiguesasagessehabituelle.Nonmais,sansdéconner, ilétaitpsydansune

autrevie?—Lefaitquetuaiesbesoind’aidenesignifiepasquetuesfaible.Lesvraisfaibles,danslavie,

sontceuxquisontincapablesd’admettreavoirbesoind’aide.Ceuxquin’avouentrien,mêmequandils ne sont plus enmesure d’y arriver seuls. Eux, ce sont les vrais faibles. En te faisant aider, enacceptantcetteaide,tuasadmistafaiblesse,etc’estlàquetutrouvestaforce.Lesfaiblesdecemondesontceuxquisecroientplusfortsquetoutetexhibentcequ’ilsprennentpouruneforceauxyeuxdesautres.Jerestaiuneminutesansparler,puislevailesyeuxverslui.Unsourireluifendaitlevisaged’une

oreilleàl’autre.—Quandest-cequetuesdevenusiintelligent?Ilhaussalesépaules,etunegouttedesueurluidégoulinalelongdelamâchoire.— J’ai fait des tas de thérapies. Crois-moi, on ne peut pas passer sa vie chez un psy sans en

ressortiravecaumoinsunoudeuxbonsconseils.Jepouffai.—Ilfautvraimentquejechangedepsy.—Super,parcequejeprendsdeshonoraires.Orjemefaispayerenrendez-vous.Parconséquent,

tum’endoisun.—Lesamisnesortentpasensemble.Toutsourires,ilclignalesyeuxpourseprotégerdusoleil.—Biensûrquesi.Memordantlalèvre,j’ordonnaiàmoncœurdecessersescabrioles.—Lefootingn’étaitpassurmaliste.—Lerendez-vous,si.—Ahoui?Etjesouris.Jenepusm’enempêcher.Cemecavaitl’artdemefairebaissermagarde.—Ceweek-end.Vendredi.Toietmoi,onarendez-vous.J’évitaisonregard,tâchantaumoinsdenepasdonnerl’impressionquej’étaissurlepointdelui

sauterdessuspourluihurler«ouiii!»danslesoreilles.Pasétonnantquelesfillesseruentsurcegarçon.Rienquelefaitdemarcheràsescôtésmevalaitdedrôlesderegards,généralementappuyés,delapartdelapopulationfémininedelafaculté.—OK,répondis-jed’unetoutepetitevoix.Maisenamis.Et je tendis lamainenguised’invitationàserrer lasienne.Hochant la tête, ilcapturamapaume

danslasienne.—Aumoinstuacceptesdemeserrerlamain,àprésent.Ilyaquelquesjours,j’étaisconvaincuque

j’allaisdevoirtel’apprendre,commeJohnSmithl’afaitavecPocahontas.—Trèsdrôle.—N’est-cepas?Enriant,ilm’attiraàlui,sibienqu’onseretrouvaquasimentpoitrinecontrepoitrine.—Jesuistouteensueur.—Ouaip.—Etpuis…jesensmauvais.Waouh,dequoilefairefuir!Wessepenchasurmatête.—Tuesentraindemereniflerlapeau?Ilhaussalesépaules.—Tuasditquetusentaismauvais,j’essaiejustedeteprouverlecontraire.—Doncjenesenspas?

—Non…Iln’avaitpasbougélevisage.Monpoulss’accéléraenentendantsoninspirationdansmoncou.—Enfinsi,tusens,maistusenslasueur.Orilsetrouvequej’aimecetteodeur.—Flatteur!répliquai-jed’untondésinvoltequejereconnaissaisàpeine.Etpuisunelanguehumideeffleura ledessousdemonoreille, tandisquedes lèvresfrôlaientma

mâchoire.—Absolument.Avantque j’aieeu le tempsde legifler,de le repousseroumêmede lever lesyeuxauciel,une

sonnerieretentit.Ils’écartaetsortitdesapocheuniPhonederniercri.—Quoi?J’attendais,malàl’aise,alorsquesonsouriredisparaissait.—Non,non,çava,pasdeproblème.Je…J’yserai.Ilremitletéléphonedanssapoche,qu’ilreferma,etsoudainilredevintjoyeux.—Çava?demandai-jeencroisantlesbras.—Super,pourquoi?Ilseremitenmarchesurlesentiermenantàl’université.—Ben,lecoupdefil,levisagetriste,latensiondanstavoix,enfin,tuvois…cegenredetruc.—Ah,ça.Alorsquenousentamionsladernièrepartiedel’alléepourrevenirsurleterrainappartenantàla

faculté,Wessemitàévitermonregard.—Çan’estpasgrand-chose, justemonpèrequi faitunecrise.Tusaiscommentpeuventêtre les

parents.Parfoisilst’enfontbaver,rienquepourpasserletemps.Jemefigeai.—Kiersten?fit-ilenmeposantunemainsurl’épaule.Qu’est-cequ’ilya?J’ouvrislabouche,maistoutcequiensortitfutunesortedehalètement,puisjemeremisàcourir

commeunedératée.Parcequeladernièrefoisquej’avaisparléàmesparents,ons’étaitsacrémentdisputésausujetde

lapremièrefêtedelycéeàlaquellejevoulaisassister.—Kiersten!criaWesderrièremoi.Mais je continuais à courir, focalisée sur le claquement de mes chaussures contre la dalle de

ciment.Gauche,droite,gauche,droite.Ilfallaitquejem’éloigne.Jegrimpaiquatreàquatrel’immenseescalierenbétonquiconduisaitauxchambres,avantdefinir

parm’effondrerausol,m’écorchantlegenouaupassage.—Merde!Le sang dégoulinait le long dema jambe et imbibama chaussure. Et au fond dema gorge, les

larmescommençaientàbrûlertandisquej’essayaisdenepasmemettreàhyperventiler.—Kiersten!Wesfutàmescôtésdanslasecondequisuivit.Ildéchiraunmorceaudemontee-shirtettapotasur

mablessure,soufflantdessustoutenessayantd’arrêterlesaignement.—Maisqu’est-cequit’apris?Tum’asfaitunepeurbleue.Etàdirevrai,tucontinuesàmefaire

hyperpeur.Qu’est-cequinevapas?Je tentai deme dégager de son emprise,mais il était bien trop fort. Je refusais de croiser son

regard.—Parle-moi,m’enjoignit-il,d’unevoixdouceetapaisante.Jesaisqueçavientdequelquechose

quej’aidit.

Jehochailatête.—Surlesparents?Jefissignequeoui.—Qu’est-cequis’estpassé?—Ilssontmorts.

Chapitre17

WESTON

L’Oscar du mec le plus insensible de l’année est attribué à…Weston Michels. Je suisofficiellementungroscon.

Qu’est-ce que j’étais censé répondre à ça ?—C’était un accident.On est rarement préparé à la

mort,tuvois,fit-elleensecouantlatête.Malheureusement, elle avait tort sur cepoint.Onpouvait s’ypréparer, et j’étaisbienplacépour

savoirqueçanerendaitpasleschosesplusfaciles.Maisjen’allaispasluiexpliquerça,lemomentétaitmalchoisi.—Tuétaisprochedetesparents?—Aussiprochequ’onpeutl’êtrequandonestlycéen.—Qu’est-cequis’estpassé?Jesupposaisqu’ilsavaientpéridansunaccidentdevoitureouundramedugenre.—Ilssesontnoyés.—Quoi?(Jem’assisàsescôtéssurlebéton.)Comment?— En faisant de la spéléologie, répondit-elle dans un soupir. C’étaient des aventuriers,

contrairementàmoi.J’aieupeurdemonombrejusqu’àmaterminale.Jerisetluipassaiunbrasautourdesépaules.—IlsétaientpartisenFloride,pouruneénièmesortiedeplongée.J’ignorecequiestprécisément

arrivé;jesaisenrevanchequ’ilsétaientprudents.C’estd’ailleurspourçaquejenepensaisjamaisauxrisquesencourus:ilsprenaienttouteslesprécautionsnécessaires.Savoixsefitbasse.—Ons’étaitdisputéstrèsviolemmentautéléphone,parcequejevoulaisalleràunefêteetqu’ils

refusaient.Jeleuraiditquejelesdétestaisetquejenevoulaisplusjamaislesvoir.—Merde.—Ilssontmortstroisheuresplustard.Leurscorpsontétérepêchésàdeskilomètresaufonddela

grottequ’ilsexploraient.Lescordagesdesécuritéétaientenlambeaux,commes’ilss’étaientrompus.Lapoliceaprésuméquelamaréeétaitremontéeplustôtquemesparentsnel’avaientprévu,etqueleressacavaitfrottélacordecontrelesrochesacérées.Elleessuyaseslarmes.—Jen’arrivepasàl’imaginer.Çametuedesavoirqu’ilsontpasséleursderniersinstantsdansun

troud’eautoutnoir.Sanspouvoirremonteràlasurface,tuvois?C’esttellementtriste,etmoijenepouvaisrienfairepourl’empêcher.Aurisquedemefairegiflervoirepire,jem’humectaileslèvresettentai:—Kiersten,jepensequetuenvisageslachosedelamauvaisefaçon.Jesentissesmusclesseraidirsousmesdoigts.Commesijevenaisdeluiannoncerquej’allaisla

pourchasseretqu’elledevaitfuir,chaquecentimètrecarrédesoncorpss’écarta,prêtàbondir.

—Écoute-moi,chuchotai-je.Ilsadoraientlaspéléologie,pasvrai?—Oui.Savoixétaitfaible,maisaumoins,elleétaittoujoursassiseàmescôtés,etpasàmefrapperouà

s’enfuir.—Etilsenconnaissaientlesrisques?—Biensûr!—Fermelesyeux.—Quoi?Non.Elleessayadesedégager,maisjelatinsfermement.—Kiersten,fermelesyeux.Ellefrissonna,soupira,puisellefermalesyeux.— Écoute ma voix, lui murmurai-je à l’oreille. Imagine l’histoire sous un jour différent. Tes

parentsraccrochentaprèsavoirparléavectoi,ilssonténervésmaispasvraimentbouleversés.C’estvrai,tuavaisquoi?Quinzeans?Touteslesfillesdequinzeanspassentparcesphases.—Qu’est-cequetuensais,toi?—Àl’intérieurdececorps,jesuisunefilledequinzeans,luiglissai-jeenriantàl’oreille.Plus

sérieusement,jelesaiscarj’aiétééducateuràlamaisondesjeunes.Crois-moi,lesfillesdequinzeanspeuventêtreterrifiantes.Jesentissesépaulessedétendre.—Donc,tesparentsraccrochentletéléphone,ilssecouentlatête,soupirent,etpuisilspartentsur

la plage,maindans lamain.Là, ilsmettent leur équipement de spéléo, vérifient et revérifient leurballon d’air et les cordes, puis ils descendent dans leur grotte.À cemoment-là, quelque chose seproduit.Peut-êtreunmalheureuxconcoursdecirconstances.Lagrotteétaitsibellequ’ilssontallésdeplusenplusprofond,sansserendrecomptequ’ilsn’avaientplusassezd’airpourrevenir.Oubienilsn’ontpasremarquéquelescordesn’étaientplusattachéesàlasortie.Sarespirationétaitsaccadée,maisjepoursuivismonhistoiretoutenluifrottantledos.— Peut-être ont-ils vu qu’ils allaient manquer d’air, et ne sachant pas dans quelle direction ils

devaientaller,ilsontavancédanscellequ’ilsavaientchoisie.Peut-êtrequ’ilssesontprisparlamainet ont nagé dans la pénombre des profondeurs, pleinement conscients qu’ils s’endormiraient sansdouteauboutdequelquesminutes.Maisaumoinsilss’endormiraientmaindanslamain.Aumoins,leurdernièrepenséeseraitpourtoi,pourleurfamille,etaumoinsilsseraientensemble.Tuvois,jen’envisagepasleurmortdelamêmefaçonquetoi.Tulaperçoiscommeunetorture,etmoi,commeunévénementpaisible.Tuvaspeut-êtremeprendrepourundingue,maisjen’imaginepastesparents,en plongeurs avertis qu’ils étaient, paniquer et souffrir. Au contraire, conclus-je en haussant lesépaules,jelesvoissetenantlamaindanslenoir,etjelesvoissourire.Kierstenrestasilencieuseunmoment.Jem’écartaipourlaregarderdanslesyeux,maisellesecachaitlevisageentrelesmains,etquand

ellelesretira,sesdoigtsétaienttrempésdelarmes.Jen’euspasletempsdemeprépareràsonétreinte.Ellemecollaaubéton,sivitequej’eustout

justeletempsd’ouvrirlesbrasavantdelesrefermer.C’était la première fois qu’onme serrait ainsi depuis lamort demon frère. Je n’en dis rien à

Kiersten,maisencetinstant,àl’enlacer,laréconforter…Lamortnemeparutplustoutàfaitaussiterrible.Lefuturnemesemblaplusaussimorne.Parcequequandellemerelâcha,quandsesyeuxrencontrèrentlesmiens,j’ylusdel’espoir.

Chapitre18

KIERSTEN

Alorscommeça,j’enlacedeparfaitsinconnusenpleurantdansleursbras?Oui,bençajelesavaisdéjà…

Ildevaitmeprendrepourunedingue,maisjeneparvenaispasàlelâcher.Entoutelogique,mon

cerveaumesignalaitqu’il était foudemesentiraussiproched’un typeque jeconnaissaisàpeine.Maisd’unpointdevueémotionnel…Ilavaitramassétouslespetitsmorceauxdubagagecompliquéquej’avaisapportéàl’université,l’avaitouvertengrandetnettoyéàfond.Unepartiedemoiétaitfurieuse.Quantàl’autre…cellequicontinuaitàs’accrocheràWescomme

àunebouéedesauvetage,cettepartie-làsesentaitsoudainlibre.Enl’espacedecinqminutes,ilavaitréussilàoùdeuxannéesdethérapieetdestonnesd’antidépresseursavaientéchoué.Ilm’avaitaidéeàpardonner.Bon,çan’étaitpasaussisimple,j’enétaisbienconsciente,ceseraittropbeau.Est-cequ’ilsuffisaitdeconsidérerl’histoired’uneautrefaçon?Letrucbizarre,c’étaitquetoutcequ’ilavaitditsurmesparents tombaitparfaitement juste.C’étaitvrai. J’adhéraisà saversionde l’histoire,car jesavaisaveccertitudequ’ilsétaientainsi.—Kiersten?murmura-t-ilcontremajouehumidedelarmes.Sonsoufflemefitfrissonnerdelatêteauxpieds.—Çava?Jelâchaiunprofondsoupir.—Tupensesquejesuisfolle?Ilrit.—Onesttousunpeufous,c’estcequinousrendhumains.Jelerepoussai.—Wes?intervintunevoixd’hommedansmondos.Jemeretournaietdécouvrislemêmetypequej’avaisvuladernièrefoisàlafête.—David,réponditWes,avantdeseleveretdem’aideràenfaireautant.Toutvabien?—Naturellement.PuisleDavidenquestions’éclaircitlagorgeetcomposaunnumérosursontéléphone.—Ilvabien,monsieur.Oui, ilétaitsorti…couriravecunefille.(LesouriredeDaviddisparut.)

Biensûr,ouijevaisleluirappeler.Oui,mercimonsieur.Désolé,monsieur.Wesmelâchalamainpourcroiserlesbras.—Alors,quelssontlesordresdugénéral?Davidfourral’appareildanssapoche.—Ila justeexigéquevousgardiezbienvosprioritésentête.Votresanté, lefootball, l’école.Et

ensuitelesamis.Aïe!Voilàquimeplaçaitbonnedernière.—Trèsbien,David,acquiesçaWes.Merci.JevousenvoieunSMSsij’aibesoindevous.

MaisDavidnebougeaitpas.Weslâchaunsonprochedugrognement.—Quoi?Vousallezmesuivremaintenant?—Lesordres,soupiraDavidenhaussantlesépaules.Désolé,Wes,jerisquemonposte.Voussavez

commentc’est.—Eneffet.Wesmarmonnaunvilainjuronàmi-voix,puisilsetournaversmoi.—Excuse-moi,Kiersten. Je dois y aller. Il semble quemon père s’inquiète des priorités que je

donneàmavie,expliqua-t-ilavecunsourirecrispé.Onpeutsevoircesoir?Jecroisqu’onaencoredesbricolesàmettreaupoint.—Jenesaispastrop.Uncoupd’œilauregarddésapprobateurdeDavid,puisdenouveauausol.—Je,euh…jepensequejesuisprise.Wesfitunemouefrustrée.—Allons,Wes,intervintDavidenluitouchantlebras.—Non,répliquaWes,imperturbable.Pastantqu’ellen’aurapasdit«oui».—Arrête,Wes,lesparents,c’estimportant.Sitonpèreveut…—Cequ’ilveut,m’interrompit-ilsuruntonglacial,cesontdeuxfilsenbonnesanté.Etcequ’ila,

c’estjustemoi.Ilsecontenteradecequireste.Jepasseraiàtachambrecesoirà19heures.—Pascesoir.Maisdemain,c’estvendredi.Rendez-vousvendredi,OK?—OK.Il déglutit et ses joues retrouvèrent leur couleur alors que sa mâchoire semblait se détendre.

Pourquoiavait-ilsoudainl’airsifaible?—Àdemain,alors,conclut-il.Et je le regardai s’éloigner, de plus en plus curieuse. Pourquoi le quarterback de l’équipe de

footballdel’universitéétait-iltoujoursaussipâle?Etpourquoi,quandilatteignitl’ombredesarbres,s’appuya-t-ilcontreceDavidcommes’ilétaitsurlepointdes’évanouir?Etenfin,s’ilnesesentaitpasbien,pourquoidiablevoulait-ilallercourir?Cespenséesmerongeaient l’espritalorsque je regagnais les résidences.Ladernièrechosedont

j’avaisbesoin,c’étaitdemerapprocherd’ungarçonquimeprocuraitautantdebien-êtrequeWes,pourque celui-cime soit ensuite arraché sousprétexte que je n’étais pasunepriorité dans la listeétablieparsonpère.Beurk.J’ouvrislaportedenotrechambreetentraid’unpasléger.—Salut!lançaGabeavecunpetitgeste,sanscesserdezapperentreleschaînesdetélévision.Tu

meremercierasplustard.—Teremercier?—Pourlecocktailprotéinéet labananequi t’attendent,prêtsàêtreconsomméssur lecomptoir.

Disonsquej’observaislesoiseauxetquejet’aipeut-êtrevuearriverdeloin.—Tuobservaislesoiseaux?répétai-jeenlevantlesyeuxauplafond.Etquellesespècesd’oiseaux,

monsieurl’ornithologue?—Lesgris,répondit-ilsanssedémonter.—Lespigeons?—Lespigeonsnesontpasgris.—Tuesdaltonienouquoi?demandai-jedansunéclatderireincrédule.OK,peuimporte.Donctu

observaislespigeons,parceque…?Gabe jeta la télécommandesur lescoussinsducanapéet se leva,étirant lesbrasau-dessusdesa

tête. Un geste qui révéla une nouvelle série de tatouages, des dessins remontant cette fois de seshanchesverssonventre.—J’étaisinquiet.—Pourlapopulationdespigeons?—Pourtoi,gronda-t-il.Jesaisquetul’apprécies,mais…Ilsemorditlalèvreinférieure.—Ilyaquelquechosechezluiquimetracasse,ettun’esqu’enpremièreannée.—Mercipourlamiseengarde.Laprochainefoisqu’unefillesauteradanstonlit,jem’assurerai

de lui faire un petit bilan avant. Tu vois, en remerciement pour l’intérêt très appréciable que tumanifestesàmonégard.Haussantlesépaules,ilmerejoignitàlacuisine.—Jesuisàpeuprèssûrqu’ellesdoiventtoutessignerunedécharge,detoutefaçon.—Écœurant.Iléclataderire.—Bon,alors,ilestoùcecocktail?—Ici,répondit-ilendésignantsonfessier.Et il entamaune danse suggestive, se déhanchant avant de s’interrompre enmimant une chaleur

torride.Unfouriremegagna,puis ilmefit facedenouveau, levant l’indexpendantquede l’autremain,ilpêchaitsontéléphonedanssapocheetmettaitdelamusique.Ilm’attrapaparlesmains.EtonsemitàdansersurRocketshipdeShaneHarper,tournantsurnous-mêmesavantderebondir

surnosfessesetdefaireunpasdecôté.PuisGabemerelâchaetsedirigea,sanscesserdedanser–trèsbiend’ailleurs–verslestassesau-

dessus de l’évier. Il en sortit une, puis mixa une banane dans mon cocktail de protéines tout encontinuantàsedéhancher.Enfin,ayanttrempésondoigtdanslamixture,illelécha.Puisilréitéral’opérationàmonintention

etmetenditsondoigt.Jesecouailatêteensignederefus.—Justepourgoûter,susurra-t-ilensepenchantversmoi.—Ditl’aînéàlacadette.—Rienqu’unefois,çanevapastetuer.—Tuesletypecontrelequellesgarsquipassentdanslesécolespourlescampagnesantidrogues

nousmettentengarde,pasvrai?Celuiquiprétendqu’onnedevientpasaccroenuneprise?Ilsourit,narquois.—Disdonc,Kiersten,sijecomprendsbien,tuaspeurdedeveniraccroàmoi?—OK,consentis-je,léchantlasubstancesucréeàmêmesondoigt.—Tul’aimesvraimentbeaucoup.—Quoi?Jereculaid’unpasetlecontournaipourallercherchermonverre,maisilvintm’emprisonnerde

sesbraspassésautourdematailleetmefitpivoter.—Jeconnaislesfilles,affirma-t-il.Crois-moi,jelesconnaisbien,etiln’yarienchezmoiquite

fasse craquer. Je parie que même si je t’embrassais, tu continuerais à penser à lui. Mais merde,Kiersten,çanefaitquequatrejours!Tonpetitcœurvaêtrebrisésitutombesamoureusedelui,etensuite,jedevrairamasserlesmorceauxettucoucherasprobablementavecmoipourtesentirmieux,

puisauréveiltutedétesterasettutomberasdansunespiralenégativeconsistantàutiliserleshommespourremplirlevidequ’ilauralaissédanstavie.—Waouh.—Làoùjeveuxenvenir,reprit-ilenm’attrapantparlespoignets,c’estquetoutçapeutêtreévité.

Neluiaccordepastoutdetoi,pasavantd’êtresûrequ’ilenferaautantenretour.Jemedégageaidesonempriseetbusunelonguegorgéedemoncocktail.—Pourquoiest-cequetumeracontestoutça?Tumeconnaisàpeine.Ilémitunpetitricanement.—Exactementcequejevoulaistefairecomprendre.Jeneteconnaispas.Ilneteconnaîtpas.La

seulepersonnequivasebattrepourteprotéger,là,c’esttoi.N’oubliepasquiesttonmeilleurallié.Netelaissepasaveuglerparlesjolissouriresetlescorpsdedieuxgrecs–pasmêmelemien.Savantardiseluivalutunhaussementdesourcils.—Nemefaispasdirecequejen’aipasdit,reprit-il,levantlesdeuxmains.Tueshypersexy,mais

jen’aimepasabîmermesjouets.—Quoi?—C’estuncompliment,expliqua-t-ilensouriant.Onnecouchepasaveclesmeilleuresamiesdesa

cousine,niaveclescolocs,niaveclesfillesquineseconnaissentpasencore.—Tuasl’airdeparlerenconnaissancedecause.Jepenchailatêtepourmieuxobserversesyeuxperçants.Illâchaunjuronetdétournaleregard.— C’est le cas. Et tu n’as pas besoin d’en savoir plus. Elle m’a détruit, Kiersten. Et putain, je

donneraisquandmêmetoutpourqu’ellemedétruiseencore,etmêmeplusieursfoisd’affilée,siçasignifiaitquejepouvaisfairepartiedesonunivers.Jelepoussaiverslapièceprincipaleetm’assissurlecanapé.—Qu’est-cequis’estpassé?— Apparemment, je suis le genre de type avec qui l’on sort pour emmerder les parents. En

attendant qu’arrive unemeilleure offre, une offre comprenant des affaires à plusieursmillions dedollars.Jeluiprislamain.—Oh,monpauvre,jesuisdésolée.—Iln’yapasderaison,c’étaitilyadesannées,répondit-il.Jesuisaguerri,maintenant.Puisilbâillaetsedonnaunetapesurlajambe,avantdesedirigerverslaporte.—Repenseànotrepetiteconversation.Ilmejetauncoupd’œilpar-dessussonépauleetgrimaça.—Etvaprendreunedouche,tupues.—Merci,répondis-jeenlevantlesyeuxauciel.Ils’arrêtaàlaporte.—Jepourraisterejoindre,situtesensseuleetquetuasbesoindequelqu’unpourtefrotterledos.Jedésignailaporte.—Aurevoir,Gabe.Ilsortitenriant.Unepartie demoi savait qu’il avait raison, et je détestais ça.Car jemevoyais en train de faire

exactementcequ’ilavaitdécrit,àsavoirm’accrocheràWescommeàunebouéedesauvetageetpuismourirdechagrinsi,auboutducompte,çaneseterminaitpascommejeledésirais.Jenepouvaispasmeperdreenlui.Non,pasquestionqueçaseproduise.

J’avalailerestedemesprotéinesetmerendisàlasalledebains.

Chapitre19

WESTON

Jeneflippepas…pasencore.Pourquoin’a-t-ellepasrappelé?Jesaisquej’étaisridicule,enpleincours,depassermontempsàvérifiermontéléphonepourvoir

sijen’auraispasunSMSouunappelmanqué.Kierstennem’avaitpasrépondu.Et jedétestaismeretrouvercomplètementperturbé,à imaginer

toutuntasderaisonspourlesquellesellerefuseraitdemeparler.Était-ceàcausedemonpère?Oul’avais-jepousséetroploin,tropvite?Merde.Montéléphonesemitàvibreraucreuxdemapaume.Enfin!JebaissailesyeuxversleSMS.ToujoursOKpourcesoir?

J’eus toutes lespeinesdumondeàcachermonexcitation.Enl’occurrence, j’arboraisunsourire

tellementniaisque laprofdutmecroiresous l’emprisededrogues,oubienen traindematerdesrevuespornosouuntrucdugenre.—Vousavezenviedepartagerquelquechoseaveclerestedelaclasse,monsieurMichels?Merde,elleavaitdoncbeletbienremarqué.Jem’éclaircislagorgeetacquiesçai.—Oui,j’airendez-vousavecunefille.Quelqueschuchotementsmontèrentautourdemoi,etjereçusunebourradedelapartd’unoudeux

coéquipiers.Laprof,enrevanche,nesemblaitpasdutoutamusée.Ellelevalesyeuxaucieletrepritsoncours.Maisj’étaisincapabledemeconcentrer.AlorsjerépondisauSMS:

Jecomptelesminutes.Voilà que j’avais perdu chaque once d’expérience minutieusement acquise au cours de mon

existence. Je ne voulais plus jouer le type cool et détaché.Celui qui a tout le temps devant lui. Jesavaisbienqueçan’étaitpas lecas.Et jevoulaisprofiterdechaqueinstantavantqu’ilnesoit troptard.J’avaislesmainsquitremblaient.Pourlaénièmefois,jevérifiaimontéléphone.J’allaisdevoirm’envoyeruneautrefournéedemédicamentsavantdelavoir,cesoir.Sijerataisle

courssuivant,quejelesprenaisuneheureplustôtetquejem’allongeaisensuite,çadevraitallerpourlerendez-vous.Dumoinsassezpournepasluivomirauvisage.Sonsijolivisage.Dixminutesplustard,jesortisdelaclasseetmedirigeaidroitversleschambres.

Chapitre20

KIERSTEN

Pourquoi est-ce que je ne m’étais pas rendu compte que j’avais un rendez-vous avantmaintenant?Qu’est-cequejevaismettre?Onvadîner?Ohpunaise!Jecroisquejevaisvomir…

—C’estjoli?Vraiment?demandai-jepourlavingtièmefois.Gabesefrappalefrontduplatdelamainetlâchaunjuron.—Maisdétends-toi !Punaise, j’aipresqueenviede te faireboirede l’alcoolmaintenant.Assise.

C’estpresqueprêt.Jeluisouris.NouvelleexpressionimperturbabledeGabe,occupéàpasserlefersurlechemisierblanc.—Jel’emporteraidanslatombe,vois-tu.—Quoi?Lechemisierblanc?demandai-jeinnocemment.—Non, répondit-il, levant les yeux auplafond avant de débrancher le fer.Mon talent de fée du

logis.—Il sait aussi coudre, annonçaLisa,qui entradans lapiècepourvenir agiteruncollierdevant

monvisage.En fait, je suis certaineque si tu lui demandais de te tricoter unpull, tu l’aurais d’iciNoël.—Merci,cousine.Illuifitsignedes’écarteretmejetalechemisier.Quejerattrapaiauvol.—Eh!Tuvasgâchertouttonbeautravail!—Ilfautvraimentquejemedégotedescopains,marmonnaGabe.Marredetraîneravecdesfilles.Ilpritplacesurlecanapéetsoupira,latêteentresesmains.Lisafitminedes’offusquer.—Jesuisvexée!Etmoiquicroyaisêtretonpotepréféré.Ilplissalesyeux.—Tuaslacertitudequetuesunloserquandtonmeilleuramiesttacousine.—Oh,Gabe,répliqua-t-elleenportantunemainàsapoitrine,c’estlachoselaplusgentillequetu

m’aiesjamaisdite.—Super.Ilcroisalesbrasetgrognaenrenversantlatêtecontrelescoussinsducanapé.—J’aibesoind’uneclope.—Tuasarrêté,luirappelaLisa.—OK,alorsdel’alcool.—Tuneboisplus.JerisduregardexaspéréqueGabemelança.Ilselevaetsedirigeaverslacuisine.J’entendisde

l’eaucouler,puisquelquesjurons.

—Nefaispasattentionà lui,meconseillaLisaenagitant lamaindanssadirection. Iln’estpasaussiagacéqu’ilyparaît.Jetejure.—Mensonge!entendit-oncrierdepuislacuisine.—Bon,repritLisaendésignantmontee-shirt,déshabille-toi.Ilatravaillédursurlaquestionetje

veuxm’assurerquecechemisiers’accordeparfaitementaveclajupe.—Euh…,commençai-jeensecouantlatête.Gabeestàlacuisine,c’estcommes’ilétaitlà.Jevais

mechangerdansmachambre.—Tupeuxconsidérerqu’ilesthomo.Jeteprometsqu’ilneserendracomptederien,m’assura

Lisaavecunhochementdetête.Unnouveaujuronnousparvintdelacuisine.PauvreGabe.—OK.J’ôtairapidementmontee-shirtetattrapailevêtementqu’ellemetendait.Unàun,j’enattachailes

boutons,puisjemelevaipourqu’ellem’examine.Jeportaisdésormaisunejolieminijupeàrayuresblanches et marron qui moulait mes courbes, et un chemisier blanc fluide qui retombait sur meshanches.Selonmesstandards,c’étaitaffreux,maisvulesourirequisedessinasurlevisagedeLisa,jecomprisquej’avaiseutort.—Bonsang!lâchaGabederrièremoi.Jefisvolte-face.Ilsouriait.—Jenesuispashomo.Etj’aitoutvu.Etilprononça«vu»avecuntelsourireprédateurquejereculaid’unpas.—Gabe,arrêtedeluifairepeur,legrondaLisa.Allez,Kiersten,metslecollier,lesescarpinsettu

serasprête.J’obtempérai,puismeplantaifaceàeuxeteffectuaiunrapidetoursurmoi-même.—Non.Change-toi,déclaraGabeenselevant.—Quoi?Pourquoi?Çan’estpasjoli?demandai-jeenmedécomposant.—Lisa,tuveuxqu’ellesefasseviolerouquoi?Secouantlatête,ilmarchaversmoi,teluntigresurveillantsaproie.—Lehautn’estmêmepasdécolleté!Elleestboutonnéejusqu’aucou,bonsang!argumentaLisa.—Benvoyons!ricanaGabe.Et avantmême que je comprenne ce quim’arrivait, ilm’avait enlacée, lamain au niveau de la

poitrine,surledernierbouton.—Etpendanttoutelasoirée,ilvasedemandercombiendetempsçaluiprendradedéfairechaque

boutondecechemisier.—Lajupeestparfaite,s’obstinaLisa.Gabepassalesmainssurlajupeettiralégèrementdessus.—Ouais.Çapourraittoutaussibienêtreunesecondepeau,vulafaçondontelleestmoulante.Ettu

saiscequepensentlesmecs.Lisalevalesyeuxauciel.Moi,enrevanche,j’étaispétrifiée.—Ilvavouloirluitoucherlesjambes.Ilvavouloir…—Gabe!Lisasemitdeboutetsedirigeaversnous.—Onparledelui,là?Oudetoi?—Jen’aipasenviedecoucheravecelle!Ilavaitquasimenthurlé.—Euh…,lesinterrompis-jetimidement.Jevoussignalequejesuislà.

Gabesemitàfairelescentpasdevantmoi.—Ils’agitdelui,précisa-t-il.Ets’illatouche?Siellenetrouvepaslesiffletetque…—Toi,tuvasfaireunpèregénial,commentaLisa.Maislà,ilesttempsdecouperlecordon,OK?

Dis-luiqu’elleestjolieetlâchel’affaire.Gabecroisalesbrasetfitlamoue.J’attendais,commeLisa.Iljura.—Tuestrèsjolie,admit-ilenfin,enmeregardantdroitdanslesyeux.Jem’approchailentementetluidéposaiunbaisersurlajoue.—Merci!Çasignifiebeaucouppourmoi.—Lisa,lançaGabed’unevoixrâpeuse,laisse-nousuneminute.—Mais…—J’aidit:«Laisse-nousuneminute.»—OK.EtLisafiladanssachambred’unpasénervé,melaissantseuleavecsoncousin.—Tusaisoùfrapperungars?medemanda-t-ilens’emparantdemesmains.Sijet’attirecontre

moi,est-cequetusaiscommentmedonneruncoupdegenou,etoù?Jeprojetailegenouverslehaut,etGabesouritenreculantpromptement.—Bienjoué.—Autrechose,papa?letaquinai-je.Avecungrognement,ilm’attiradenouveaucontrelui.—S’ilessaiede te toucher,s’il faitquoiquecesoitdont tun’aiespasenvie, tusoufflesdansce

fichusiffletettum’appelles.Etpeuimportel’heuredujouroudelanuit,d’accord?Jelâchaiunsoupirethochailatête.Alorsilmerelâcha.—Pourquoitutemontresaussiprotecteurenversmoi?Tunemeconnaismêmepas.J’allaim’asseoirsurlecanapéenattendantqueWespassemechercher.—Aucuneidée.Gabepritunsiègeprèsdemoietpassaunbrasderrièreledossierducanapé.—Jenesupportepasl’idéequ’ilt’arrivequelquechose,c’esttout.Ets’ilfautquejecontinueàle

proclamerjusqu’àenperdrelavoix, je leferai : jenesuispasjaloux.Juste…J’aiuntrèsmauvaispressentimentàsonsujet.—Ilfautquetulaissesl’oiseaus’envolerdunid,Gabe,répliquai-jeenluidonnantuneclaquesur

lacuisse.Etfie-toiàmonjugement.Ils’esttoujourscomportéenparfaitgentlemanavecmoi.—Je lesais,admit-ilensepinçant l’arêtedunez.Mais tune le trouvespasbizarre?Luietson

entourage?Etlefaitqu’ilsoitRA,çan’estpasbizarreaussi?C’estvrai,pourquoiilestRA?J’aimêmeposélaquestionàcertainsétudiantsdedernièreannée.Çan’auraitjamaisdûêtrelui,maistoutlemonderefusedeparler.Etpuis,ilyalefootball.Undemesamisdansl’équipem’aapprisqu’ils’étaiteffondrépendantl’entraînement.Ets’ilprenaitdeladrogueouuntrucdugenre?Jesecouailatête,refusantd’ycroire.—J’endoute fortement. Jepenseplutôtqu’il est surmené.Tunecroispasque tu le serais, à sa

place?—Probablementquesi,répondit-ilauboutd’unmoment.Soisprudente,entoutcas.—Pourlavingtièmefois,chantonnai-je,jeleserai.Uncoup frappé à la porte fit s’emballermoncœur, à croirequ’il allait sortir demapoitrine et

atterrir,encorebattant,surlesol.

Lisaaccourutdesachambre,manquantd’entrerencollisionaveclatablequiluibarraitlepassage,etallaseposterdevantlaporte.Là,elles’arrangealescheveuxavantd’ouvrirengrand.

Chapitre21

WESTON

Pourlapremièrefoisdepuisunan,j’avaisenviedevivre.Parcequejevoulaiscommencerchacune demes journées en la regardant ouvrir les yeux sur lemonde.Être la premièrechosequ’elleverrait.Parfois,laréalitéestunegarce.

J’ignorecequej’imaginaislavoirporter.Entoutcas,pasça.Unejupecourte,unchemisierfluide

etdestalonshauts,dugenreàdonnerenvieàungarçondeluitoucherlespieds.Etjen’étaispourtantpashommeàregarderlespiedsd’unefemme.—Tues…trèsbelle,parvins-jeàarticuler.Derrièreelle,j’entendisgrognerGabe.Manifestement,iln’étaittoujourspasfandemoi.Jenotai

mentalement d’essayer de le gagner à ma cause, plus tard dans la semaine, au lieu de le laissergrogneretgrondersansréagirchaquefoisquejecomplimenteraislafillequimeplaisait.Etmerde,jecraquaispourelle.Orjenepouvaisvraimentpasmepermettredevivreça.Jejetaiun

nouveaucoupd’œilàsajupe,auxjambesquimenaientjusqu’àcesadorableshanches.Bonsang!—Tuesprête?croassai-je.Mavoixressemblaitsoudainàcelled’unadolescentenpleinepuberté.—Absolument.Etavecunsourirechaleureux,elleattrapaunobjetàlanièresquej’identifiaicommeunsacàmain.

Àmoinsquecenesoitunearme.Jeluitendislebrasetl’escortaijusqu’àlaporte.—Tuastonsifflet?m’enquis-je.—Sifflet.—Portable?—Portable.—Liste?Elles’immobilisaetlevalesyeuxversmoi.—Tu sais, tu n’es vraiment pas obligé dem’aider pour ça. Enfin, je veux dire, je peux quand

même…—Arrête,intimai-jeenposantundoigtsurseslèvres.Onvas’attaqueràcetteliste,maisn’oublie

pascequej’aidit:jenepeuxt’aiderquesurcertainspoints.Letrucdetomberamoureuse,ilfaudralegarderpourquelqu’unquiméritetongentilpetitcœur.Ellepouffa.—Commentsais-tuquemoncœurestgentil?Jem’immobilisaietplaçaiunepaumeàplatsursapoitrine,adorant lafaçondontsoncœursain

frappait contre ma peau. Je le sentais presque battre pour le mien, le renforcer. Je m’écartai etremarquailarougeurdesesjoues.—C’estunboncœur.Quibat fort,mêmesi jesuisquasicertainqu’ilaeuunratéquand je t’ai

touchée.

—Trèsdrôle.Elledétournalesyeux.—Jesaisquetuasunboncœur,repris-jeensoupirant,avantd’ouvrirlaported’entrée,caràla

secondeoùjet’airencontrée,j’aieuenviedemebattrepourlui.Ellerestasilencieuse.—C’estàçaqu’onreconnaîtuncœurpur.—Quandiltedonneenviededéclareruneguerre?répliqua-t-elleenriant.Clairement,elletentaitd’allégermonhumeur.—Non,soupirai-je.Quandtuveuxêtreceluiquilefaitbattre.Sérieux, il fallaitvraimentque j’arrêted’yaller aussi fort. J’allais la faire fuir enhurlant,or je

n’avaisvraimentpasenviequ’ellesetordeunecheville,avecsesescarpinsàtomberparterre.—Jesuislà,indiquai-jeendésignantmaPorscheCayennenoire.Jeluiouvrislaportière.C’étaitlaseulevoitureenmapossessionquinesoitpasexotiqueaupoint

de donner envie aux gens de me planter un couteau dans l’œil. Pour mon seizième anniversaire,j’avaisdemandéun4×4.Monpèrem’avaitoffertuneMercedes,dugenredecellesqueconduisentleshommespolitiques,avecvitrespare-balles.LaCayenne,enrevanche,jemel’étaispayéetoutseul,lejourmêmeoùj’avaiseuaccèsàmoncompteépargne.Kierstenneparlaitplus.JecontournairapidementleSUVetsautaiderrièrelevolant.Kierstenpassait lesdoigtssur lecuirdessièges, lesyeuxécarquillés,absorbantchaquedétailde

l’habitacle.C’étaitdrôle,maisdesannéesauparavant,jen’auraisjamaisremarquéça.Maintenant,jefaisaisattention.Caronnesait jamaisquandun instant sera ledernier.Ducoup,autantmémoriserchaqueminute.Commecemoment,oùlesoleilcommençaitjusteàtomber,avecsesderniersrayonsqui,enpénétrantàtraverslavitre,seposaientdirectementdanssescheveuxroux.Onauraitditqu’ilss’embrasaient.Jelâchaiunsoupir.Ellesetournaversmoi.—Qu’est-cequetufais?—Jeteregarde,admis-jeentoutehonnêteté.Jepensequetumedoisbiença:c’estquandmêmetoi

quim’astouchélejouroùons’estrencontrés!Ellesecachalevisageentresesmains.—C’estfaux!Sajolievoixétaitétoufféeparsespaumes.—Euh…si,c’estvrai,protestai-jeendémarrantlemoteur.Maisnet’inquiètepas,j’emporteraiton

secretdansmatombe.Merde,ilfallaitvraimentquej’arrêteaveccegenredecommentaires.Je jetai un coup d’œil à ma montre, avec l’espoir que le processeur n’était pas en panne. Pas

questionderaternotrepremierarrêt.—Alors?demanda-t-elleentripotantsaceinturedesécurité.Onvaoù?—Fairedusautàl’élastique,répondis-je,trèssérieux.C’estsurtaliste,non?Elleécarquillalesyeux,lesbaissaverssajupe,puislesrelevaversmoi.—Jeneregarderaipas,promis.Remarquequimevalutuneclaquesurleventre.—OK,OK,nemefrappepas.Onvaàunrendez-vous,admis-jeenriant.—Ça,jelesais.—Danscecas…

Jeprislapremièrebretelledesortie.—Tun’aspasbesoind’ensavoirplus,ilmesemble.Celafaisaitdesannéesquejen’avaispasemmenéunefillequelquepart.Entrelesentraînementsde

foot et le fait que Lorelei refusait de fréquenter les lieux publics, à l’exception des fêtes pourcélébrités,celafaisaitunepaie.—Onyestpresque.Jeprisàgauchepuism’engageaisurl’alléeprivée.Kierstenn’avaitsansdoutepaslamoindreidée

del’endroitoùnousallions,etçaaugmentaitl’intérêtdelachose.Celadit,jenevoulaispasnonplusqu’elleprennepeur.—Tuastoujourstonsifflet?—Pourquoi?demanda-t-elleensetournantbrusquementversmoi.Jevaisenavoirbesoin?—Non,répondis-jeenriant.Jevérifiaisjuste.—Tum’emmènesaufonddesboispourmetuer?—Euh…non.Ellelâchaunsoupir.—Sijeprévoyaisdetetuer,jen’iraispasdireàtoutlemondequejet’emmèneenrendez-vous.Je

suisbiencertainqueGabesepointeraitarmeaupoing,situmettaisplusd’uneminuteàrépondreàl’undesesSMSpourluiconfirmerquetuvasbien.Elleéclataderire.—Sansdoute,oui.J’adorais son rire.Décidément, je devenais fou – une sorte de dément enmanque d’affection et

accroauxmédicamentsdesurcroît.Jegarailavoitureetcoupailemoteur.—Qu’est-cequ’on…?—Descendsdelavoiture.Jevaistemontrer.NousétionsauborddulacWashington,suruneparcelledeterrainprivéeappartenantàmafamille.

Onneseraitpasdérangés,personneneviendraitfairequoiquecesoitd’insensé.Rienquenousdeux.Dieumerci.J’avaismêmeannoncéàJamesetDavidques’ilssemontraient,jetrouveraislemoyendelesfairerenvoyer.Furieux, ils avaient fini par abandonner quand je leur avais accordé le droit de traquer mes

mouvementsetdegarderunœilsurmesconstantesgrâceauxinstrumentsmédicauxsuperflippantsfournisparlessoi-disantexpertsdemonpère.—Etmaintenant,onfaitquoi?Kierstencroisalesbrasetsetournaverslelac.Ellesemblaitnerveuse,regardanttantôtversl’eau,

tantôtverslesolrocheux,commesiellenesavaitpasvraimentoùposerlesyeux.Entoutcas,partoutsaufsurmoi.—Un.—Quoi?fit-elleenlevantbrusquementlatête.—Un.Jeluiprislesmainsetl’attiraicontremoi.—Onpeutrayerlenuméroundetaliste.Ellefronçalessourcils,avantdecomprendreetd’écarquillerlesyeux.—Oh,non!Enfin,ons’estdéjàembrassés,ça,c’estfait.Je…—Chut.Jememordislalèvre,m’enjoignantdeprendretoutmontempsaumomentdelagoûter,cettefois.

Je n’étais pas là pour prouver quelque chose. J’étais là pour luimontrer à quoi cela ressemblait,

d’êtrevraimentembrassée.—Sijemerappellebien,talisteindiquait:embrasserungarçonsexy.—C’estvrai,mais…—Ehbien,jelamodifie.Tuvois,touslesgarçonsontenvied’êtreembrassésparunefille.Mais

toi…Tuméritesd’êtrecellequireçoitlebaiser,pasquiledonne.Çanefonctionnepascommeça.Alorsjem’octroielerôledugarçonsexy,et jevaist’embrasser.Jevaist’embrasseravecunetellefouguequetuenoublierastoutlereste;iln’yauraplusquemeslèvressurlestiennes.J’écartaiunebellemècheroussedesonvisageetremontaileboutdemesdoigtslelongdesajoue,

attirantdélicatementsatêteversmoi.—Jevaistegoûtercommetuméritesdel’être.Salèvreinférieuretremblait.— Je vais te donner un premier baiser tellement inoubliable que plus jamais tu ne voudras être

embrasséeparunautre.Quandl’hommedonttutomberasamoureuset’embrassera,ilauratoutintérêtàtefaireoubliercefameuxbaiser,autrementcelasignifieraqu’iln’estpaslebon.Cardemoncôté,jevais faireçabien,et jeveuxqueceluiquigagnera toncœur,qui le tiendradans lapaumedesamain… Je veux que cet homme soit capable de te faire ressentir ce que moi je vais t’inoculermaintenant.Est-cequetucomprends,Kiersten?Mavoixétaitrauque.Jen’avaispasprévudeluidiretoutça.Pasprévudetransformerl’expérience

en un baiser d’adieu avant même qu’on se soit réellement dit « bonjour ».Mais je ressentais leschosesainsi,carjemerendaiscompteencetinstantquejeneseraissansdoutepascethomme.Moi,jeseraisfroidetmort,enterré,alorsqu’elleseraitchaudeetvivante.Jedéglutisetposailapulpedemesdoigtssurseslèvres.—Jeveuxquelaterretremble.Jepassai lesmainsdechaquecôtédesoncouetcaressaisapeaudouce,attirantsonvisageplus

prèsencoredumien,jusqu’àcequenosbouchesnesetrouventplusqu’àunsouffle.—Alorsmevoici…Jedéposaiunelignedebaisersdélicatssursabouche,frôlantsalèvreinférieuredelamienne,la

préparantsanslabrusquer,afinqu’aumomentoùellerépondrait,ellesacheexactementlapressionqu’ilfaudraitàcebaiserpourêtrescellé.—Legarçon…Jesouriscontreseslèvres.—…essayantd’embrasserunetrèsjolie,trèsbellefillequiméritelemeilleur.Jeglissaiunemainsursapoitrine,paspourluitoucherlesseins,maispoursentircequejerêvais

dedécouvrir:soncœurquis’affolaitcontremapaume.—Mevoicientrainderayerletoutpremiervœudetaliste.Etmaintenant,jevaiscesserdeparler.Jesentissarespirations’accélérerquandmaboucherencontralasienne,silégèrementquec’était

presque comme si elles ne se touchaient pas. Et pourtant elles se touchaient. Elle avait les lèvreshumides. J’en léchai le pourtour, les entrouvris, puis je laissai son goût me pénétrer lentement.J’insinuailalangueàl’intérieurdesabouche,ravidelatensionquis’emparaitdesoncorpstandisquelapressions’intensifiait.Avec un gémissement, elle noua les bras autour de mon cou. Je l’y aidai en la serrant plus

fermementcontremoncorps.Jepassailesbrasdanssondos,désireuxdelasentirtoutentièrecontremoi.Jamaisjenemesentaisaussivivantquedanslesmomentsoùcettefille,cetteparfaiteinconnuerencontréequelquesjoursplustôt,étaitprèsdemoi.J’envenaispresqueàcroirequelesbattementsdesoncœurétaient lesmiens tandisquesa languedansaitavec lamienne.J’intensifiai lapression,

prenantsonvisagedanslecreuxdemamain.Jedéposaileslèvresdanssoncou,derrièresonoreille.J’alternaientreleslignesdebaisersbrûlantsdanslecouetlespetitssoufflessurlafraîcheurlaisséepar mes lèvres quand elles relâchaient leur étreinte. Bon sang, j’avais envie de la mordre. Decontinueràlagoûter,encoreetencore,jusqu’àmeviderdemesforces.Benoui,c’étaitjustementça,monproblème.Letempsquim’étaitcompté.Lasonneriequiallaitretentir.Nousnousécartâmeslentement,tousdeuxessoufflés.Elleouvritlabouche,maisjeposailesdoigtsdessus.—Prêtepourlasuitedurendez-vous?Jenetenaispasàcequ’elleanalyselebaisercommeleferaientlaplupartdesfilles,niqu’ellesoit

embarrassée.Alorsjechangeaidesujet.Enprioritéparcequejenevoulaispaslavoirgênée,maisaussiparcequej’étaistrèsexcitéetquejenesouhaitaispasattirersonattentionlà-dessus.Monself-controls’apparentaitàceluid’unadolescentdetreizeans.Jedevaispuiserdansmesréservespournepaslaplaquercontremavoiture,enparfaitégoïste,pourreleversaminijupeafinquemesmains…OK.Jesecouailatête.Manifestement,cebaiserm’avaittouché.Jevoulaisfairedecetteexpérienceun

instantromantiquepourelle.Jeluiavaisditavoirleprojetdechangersonmonde;jenem’étaispasattenduàcequelemientrembleluiaussi.—Lasuitedurendez-vous?répéta-t-elle,toutsourires,lesjouesrougies.Tuveuxdirequetune

m’aspasemmenéejusqu’iciseulementpourm’embrasser?—Oui,répondis-jeensouriant.Enfin,non.Jemepassailesmainsdanslescheveuxenjurant.—OK,jeplaidecoupablesurlesdeuxdossiers.Pourêtrehonnête,j’aimeraispouvoirt’embrasser

toutelanuit,saufquelesbaisers,çafinittoujoursparmenerà…—Descâlins?Ellem’offritunclind’œilcanaille.—Voilà,admis-jeenriant,avantdedétournerlesyeux.Destasde…câlinstrès,trèsintimes.—Bon…Elleseretournaverslavoiture.—Onyvaouquoi?—Non.Demapoche,jetiraiunbandeau.—Tuvasdevoirmefaireconfiance.—J’auraisdûmedouterquetuattendraisdem’avoirembrassée,pourmetuer.—Toutbonserialkillerséduitd’abordsaproieavantdelatuer,répondis-jedansunsoupir.Bien,

accorde-moideuxminutespourm’organiseretonpourrayaller.—OK.J’agitailamaindevantsesyeuxbandésafindem’assurerqu’ellenevoyaitrien,puisjefilaiversla

Cayenne.

Chapitre22

KIERSTEN

Ilavaitraison.Laterreavaittremblé.Monmondeétaitpassédanssonatmosphère.Jemedemandes’ill’afaitexprès.

Pourquoiest-cequelesgensfontçaàchaquefois?Ilsagitentlamaindevantvotrevisageafinde

s’assurer que vous ne voyez pas. C’est vrai quoi, je voyais bien qu’il agitait lamain. C’était tropmignon.Etpuis,entoutehonnêteté,j’avaisbienbesoind’unmomentderépit.Aprèscebaiser…Ensoupirant,jevacillai.LesbaisersdeWesnedonnaientpas…ilsdétruisaient.J’ignoraiscommentunautre baiser pourrait égaler le sien. En revanche, je savais une chose : je n’avais aucune envie detenterl’expérience.Jenevoulaispasvoir.Etpourtant,j’avaisl’impressionqu’ilsemoquaitdemoi.Toutàl’heure,ilavaitdit:«Celuiquigagneratoncœur,quiletiendradanslapaumedesamain»…Pourquoi diable est-ce qu’il se retirait systématiquement du tableau ?Une partie demoi, celle quimanquait cruellement de confiance, me poussait à en conclure que je n’étais pas son style et quej’étais trop jeune. Ben oui, Wes était une sorte de dieu en tenue de footballeur, alors que j’étaisseulementunepremièreannéepasmêmecapabledechoisirsamatièreprincipale.Waouh,voilàquimeramenaitbrutalementàlaréalité,sitantestquej’enavaisbesoin.—Prête?lançasavoixquelquepartdevantmoi.—Jecrois.J’essayai de ne pas laisser transparaître ma nervosité, mais c’était difficile. Parce que s’il

m’embrassaitdenouveau,j’étaiscapabledem’évanouiretdetomberdanslelac.Heureusementqu’ilsavaitnager,carmoijemeseraissansdoutenoyée.—Ouvrelesmains.—S’ilteplaît,dis-moiquetun’espasdecesgarsquitrouventhilarantdeglisserdesaraignéesou

desserpentsdanslesmainsdesfilles,rienquepourleplaisirdelesentendrehurler.Unemainchaudemetouchalevisage,puisdescenditsurmalèvreinférieure.— Je ne vais pas te mentir, Kiersten, je rêve de t’entendre hurler. Mais pas comme ça. Non,

absolumentpasdanscegenredecontexte.Est-cequ’il était en trainde sous-entendreceque jepensaisqu’il sous-entendait ?Quoiqu’il en

soit,jesentisunevaguebrûlantemebalayerlesjoues.—Tumefaisconfiance?demandaWes.—Oui.—Alorstendslesmains.J’obtempérai.Ilydéposaquelquechosed’assezlourd.Quelquechosed’emballé,cequim’empêchaitdedeviner

dequoiils’agissait.Peut-êtreunlivre?Ilme retira lebandeau. Jebaissai lesyeuxversmesmains.C’étaitbienun livre.Dumoins je le

pensais.

—Ouvre,m’enjoignit-il.Pendantquejedéchiraislescouchesdepapiercadeaubleu,Wesallaseposterderrièremoietse

mitàchuchoteràmonoreille:— « Il était pénible, extrêmement pénible, de penser qu’ils avaient contracté une si grande

obligationenversunepersonnequ’ilsnepourraientjamaisobligeràleurtour.»Lepapierm’échappadesmains.Uneéditionlimitéed’Orgueiletpréjugés!—Tu…Tum’offres…—M.Darcy,murmura-t-il àmonoreille.Etcomme tu levois, j’enaiaussiapprisdespassages

pourteporterauborddelapâmoison.—Récite-m’en encore et je tomberai peut-être dans tes bras, répondis-je dans un souffle, sans

cesserd’examinerlemagnifiquelivrerelié.—Çaneferaitpasdemalàmonorgueil.Ilmemordillal’oreille,puisposalesmainsauniveaudemoncou,entamantunmassagedemes

épaules.—Maisçanes’appellepasOrgueiletpréjugéspourrien.Jepivotaientresesbraspourl’enlacer.—Merci.Mercibeaucoup.— C’est le meilleur cadeau de premier rendez-vous que tu aies jamais reçu ? s’enquit-il en

s’écartant.—C’estleseulcadeaudepremierrendez-vousquej’aiejamaisreçu,rectifiai-jeenpouffant.Ilmesoulevalementonetplongeasonregarddanslemien.—Zut.Ilvafalloirquejefassemieux.—Apprendsparcœurlelivreentieretonenreparle.—Ahoui ? (Son sourire se fitmalicieux.)Tu es au courant que j’étais un enfant surdoué ?Au

piano.Enmusique,plusgénéralement.Aupointquemonpèreafaillim’obligeràfairedelamusiqueau lieudu football. J’aiunemémoirephotographique.DoncnememetspasaudéfidemémorisertoutJaneAusten,jepourraism’ennuyer.J’éclatai de rire et l’enlaçai de nouveau. J’adorais son odeur, son contact contrema peau. Et je

refusaisd’imaginerlemomentoùildécrocheraitsondiplôme.Çamerendaitmalade.—Allez,c’estpartipourlasuitedenotrerendez-vous,lança-t-ilenmeprenantparlamainpour

m’entraîneràlavoiture.Prête?—Oui.Je posai le livre surmes genoux, prenant bien soin de ne pas le faire tomber, et regardaiWes

reprendrelechemindelafaculté,unbrindéçue.À tel point que quand il se gara devantma résidence, je faillis sauter par la fenêtre. Puis ilme

raccompagnajusqu’àlaporte.Avait-ilchangéd’avis?Embarrassée,j’essayaidemeconvaincrequ’ilétait stupide de se sentir rejetée, surtout après tout ce qu’il avait fait. C’était ridicule ! Et puis, çan’étaitpascommesionsortaitensemble!—Bien,commença-t-ilenposantlesmainssurmesépaules.Talistementionnaitlefaitdetelierà

deuxvrais amis.Ehbien,honnêtement, jepenseque tu en as trois juste sous lenez, sansmême lesavoir.Çaalors,conclut-ilensecouantlatête,jesuiscarrémentdoué,aveccetteliste.J’éclataiderirepileaumomentoùlaportes’ouvraitsurGabeetLisa.Macolocatairepouffaetme

tenditlesbras.—Bienvenuepourlasuitedetonrendez-vous!—Tuétaisaucourant?

Souriante,jeserraimonlivrecontremapoitrine.—Bien sûr ! répondit-elle enme tirant à l’intérieur de la pièce.Mais je n’ai pasmisGabe au

courantavanttondépart,d’oùsonairvexé.J’adressai un sourire contrit au cousin, qui levait les yeux au ciel depuis le canapé. Il portait

toujours son jeanet son tee-shirtblanc,alorsqueLisa s’était changéepourune robeà tomberparterre.—OK,c’estl’heure!Ellefrappadanssesmainsetdisparutdanslacuisine.—C’estdoncunesortededoublerencard?fis-jeàWesavecunpetitcoupdecoude.Ilritetjetauncoupd’œilamuséendirectiondeGabe.—Riezbien, tousautantquevousêtes. Jepeux savoirpourquoi jeme retrouvecoincéavecma

cousine,alorsquetoi,tularécupères,elle?ajoutaGabeenmedésignant.—Fautcroirequej’aidelachance,répliquaWes.—Eneffet, approuva-t-il enm’adressantunclind’œil.Enfin, labonnenouvelle, c’estque jene

suispasobligédetetuer,reprit-ilàl’attentiondeWes.Elleal’airindemne.—Sil’onnégligeleseffetsdesonbaiser,rétorquai-je,aussisérieusequepossible.Gabem’observa,lessourcilsfroncés,puisilsetournalentementversWes.—Merci,mefitcedernier.Tumepoussessouslesrouesdubusalorsquejet’aifaitunefaveur.

Sympa.Jeluirépondisparunsourirenarquois.—C’étaitsursaliste,expliqua-t-il.Unelistedetâchesquejel’aideàaccomplir.—Ettuétaissursaliste?J’allaimeposterentrelesdeuxetposaimonlivresurlatableavecmoultprécautions.—Jecroisavoirécrit:«Embrasserungarçonsexy.»—C’estmoi!lançaWesenlevantlamain.Legarçonsexy.Ducoup,toi,tuesquoi?Gabesecoualatête,puisiléclataderire.—Passexy,manifestement.Celadit,ellem’aqualifiéde«bien»hier.—Aïe,commentaWesavecunegrimace.—Ouais.Çarevientàcastrerunchiensansanesthésiepréalable.Etsansavertissement,par-dessus

lemarché,juste:«Salut,t’esungarsbien.»—Tuesencoreenconvalescence?s’enquitWes.— Je vais peut-être passer la semaine à coucher à droite à gauche, histoire de la détromper,

réponditGabeavecunhaussementd’épaulesnonchalant.Onverra.—Leshommessontdesanimaux,commentaLisa,quirevenaitdanslapièceprincipale.Bon,j’ai

duchocolat,desjusdefruitsetlefilm.Autrechose?—Jepensequ’onestbons.Wesm’enlaça etm’attira à lui. Je remarquai le regard perçant deGabe posé sur nous.Mais ça

n’étaitpasdelajalousie.Plutôtdel’inquiétude,cequiducoupmedonnal’idéedem’inquiéteraussi.Enm’entraînantsurlecanapé,Westrébuchalégèrement.—Hé!fis-jeenlerattrapant.Çava?Ilétaitd’unepâleurinquiétante.—Oui.Je…Jepeuxutiliservotresalledebains?—Bien sûr, répondit Lisa. Tu peux y aller en traversant l’une ou l’autre de nos chambres, peu

importe,onpartagelasalledebains.—Super,merci.

Etilserelevaducanapé,toujoursvacillant,puissedirigeaversmachambre.—Ilvabien?s’enquitLisa.—Ildoitêtreunpeufatigué,mentis-je.Sanspouvoirm’empêcherdemedemanderpourquoiunquarterbackdepresquedeuxmètres,en

pleinesanté,avaitsoudainlatêted’untypequiauraitbutoutelanuit.—Jereviens,annonçaGabe,quiselevaàsontouretpritlamêmedirectionqueWes.—Oh-oh,murmuraLisa.Ça,c’estpasbon.

Chapitre23

WESTON

Le temps filait. À toute vitesse. Je le sentais aux picotements dans mes mains, auxbattements capricieux de mon cœur… Pourquoi le fait de sentir que la fin était prochem’était soudain si pénible ? Sans doute parce qu’avec cette fille, jeme sentais renaître.Commeunnouveaudépart.

Agrippéaulavabo,jecherchaiàmeconvaincredegarderlecontenudemonestomacaulieudele

renvoyer.Monportablesonna.David.Jetouchail’icônerougepourrefuserl’appeletentreprismesexercicesderespirationhabituels.Ça

n’étaitpasbonpourmoidepaniquer.Inspirer,expirer.Inspirer,expirer.Jeretinsmonsouffleetosaiunautrecoupd’œildanslemiroir.Letéléphonesonnadenouveau.Cettefois,c’étaitJames.C’estl’heuredevotredeuxièmedosedemédicaments.

Ben voyons, comme si j’avais envie dem’envoyer des cachets supplémentaires qui allaientme

rendreencoreplusmal,etrisquaientaussideficherenl’airmonrendez-vous.Jevaisbien.

J’envoyaileSMSetrangeailetéléphonedansmapoche.Lesbraspliés,jem’appuyaiaureborddulavaboetrecommençaiàrespirerparlenez,tandisque

lanausée se faisait sentir.Çanepouvait pas continuer ainsi.Ladernière étapedu traitement, avantNoël, était censée être la plus forte. Le dernier coup de baguettemagique du docteur. Sauf que jecraignaisqu’en fait, lespilulesneme fassentplusdemalquedebien.Si jedevais continuer à lesprendre,jenepourraisplusjoueraufootball.Jenepourraispluscourir.Jenepourraisplusvivre.Jedevraisresterallongé,maladecommeunchien,tandisquelesjournéesseconfondraientjusqu’àcequ’enfinjenemeréveilleplus.—Hey!Laportes’ouvritetGabeentra,avantderefermerderrièrelui.—Qu’est-cequetufabriques?—Cen’estpaslemoment,Gabe.—C’esttoiquiledis!Ilmesaisitparlachemise,ungestepeuavisésachantquejemesuraisaumoinsquinzecentimètres

deplusquelui,maispeuimportait.J’étaistropfaiblepourm’enpréoccuper.—C’estquoi,cequetuprends?Oxycodone?Méthamphétamine?J’éclataiderire.Nonquecesoitdrôle,maisl’espaced’uneseconde,jeregrettaiqu’ilnes’agisse

pasd’unproblèmededrogue.Putain,j’étaisvraimentpathétique!

—Non,répondis-jeenmemordantlalèvreinférieure.Lanauséecommençaitenfinàpasser,etjerecouvrailessensationsdansmesextrémités.—Rienàvoiravectoutça.—Tun’aspasintérêtàt’amuseravecelle,lança-t-il,merelâchantpourfrapperlaporteduplatde

lamain.Situluifaisdumal,jetetue.—Jeveuxjustedevenirsonami.Promis.Mensonge.Jevoulaisplus.Maisonn’apastoujourscequ’onveut.Lanauséerevint,plusfortequejamais,m’obligeantàmeplierendeuxsousl’effetdeladouleur.

Jevousjure,commesionmeplantaitdescouteauxdansleventre.—Attends,justeuneseconde.Gabemeposaunemaindansledos.—Mec,qu’est-cequinevapas?Tuaslagrippeouquoi?—Ouquoi,marmonnai-jeentremesdentsserrées.Çavaaller.J’aijuste…descrises.C’étaitcequejepouvaisfairedemieuxsansproférerunmensonge.—Genredescrisesdenerfs?s’enquitGabe.—Ouais,cegenre-là.Iljura.—Désolé. Je voulais juste…Cette fille est importante,OK ?Neme demande pas comment ou

pourquoi, je le sais, c’est tout.Elledégagequelquechose.Elle est fragile et jeneveuxpasque tut’amusesavecelle,sousprétextequ’elleestsupermignonne,OK?—Jetejure…Çafaisaitunmaldechien,maisjeparvinsàmeredresserdetoutemahauteur.—…quejenem’amusepasavecelle.Jeveuxl’aideretdevenirsonami.—Lesamisnes’embrassentpas.Jemeforçaiàrire.—Tuparlescommeelle.Monriren’étaitpascontagieux,apparemment.Super,voilàquejel’avaisencoreénervé.Croisant lesbras, je tâchaidemeconcentrer sur autre choseque ladouleurdansmapoitrine et

monventre.—Écoute, je l’aimebien,cettefille.Jeneluiferaiaucunmal.Putain, jenecomptemêmepasla

toucher.Jenevaispasluivolersavirginité,niluifairedespromessesquejenepourraispastenir.—Qu’est-cequimeprouvequejepeuxtecroire?— Je vais te suggérer un truc, commençai-je en le prenant par le bras, avant d’ouvrir la porte.

Pourquoi ne pas simplementme faire confiance, et si je fais quelque chose qui te fiche en rognegrave,ousijemerde,tuaurasledroitdememettreunetannée.OK?Gaberestaunmomentsilencieux,puisilmetenditlamain.—Jemeferaiunplaisirdetebotterlesfesses.—Désolé,maistun’enauraspasl’occasion.JeluiserrailamainjusteaumomentoùLisaarrivait.—Euh…Toutvabien?—Super,réponditGabe,dontlapoigneseresserrasurmoi.Ondiscutaitsport.Lisapouffa.—Ouais.Bon,onpeutlancerlefilm?—Biensûr.JerelâchailamaindeGabe,quihochabrièvementlatêteàmonattention.

Quandonretournaausalon,Lisaétaitassiseàunboutducanapé.Gabes’installaprèsd’elle,cequinelaissaitplusquelacauseusepourKirstenetmoi.Aumoinslasoiréeallait-elles’acheversurunenoteagréable.Lisamitlelecteurenroute.—Attends!criai-jeenlevantlamain.JemeruaiverslesboissonsqueLisaavaitrapportéesdelacuisineettiraiunepetiteombrellede

mapoche.Toutsourires,j’enlâchaiunesurlebordduverredeKiersten.—Cocktaildefruitsavecombrelle.—Tuenasencorelà-dedans?demandaLisa.Jeparvinsàrire,finalementplusdétenduàprésentquelerendez-vousétaitsurdebonsrailsetque

Kierstenavaitdécouvertmonplan.—Biensûr.Etenuntournemain,jedéposaiquatreoucinqombrellesdecouleursdifférentessurlatablebasse.—Voilà,maintenanttupeuxlancerlefilm.—Merci,chuchotaKierstenàmonoreille.Seslèvreseffleurèrentmapeau,etpendanttoutlegénérique,jefusaucombledel’excitation.—Mercipourmonmeilleurpremierrendez-vous,monombrelle,monbaiseretmonlivre.Vula

vitesseàlaquelleturayeslesélémentsdemaliste,ilnevapasnousrestergrand-choseàfairepourlasuitedelasemaine.Monestomacsenoua.Bonsang.Qu’est-cequim’étaitpasséparlatête?Ilfallaitquejeralentisse.Jehaussailesépaules.—Oui, enfin, les autres tâches sont beaucoupplus compliquées à accomplir, répondis-je àvoix

basse.Çarisquedeprendredutemps.—J’aimemieuxça.Etellemepritlamain,qu’ellenelâchaplus.Jelevailesyeux.Gabenousobservaitattentivement,plissantlespaupièresenregardantlamaindeKiersten,avantde

reportersonattentionsurmoi.Jemesentaiscoincé.J’avaisenviedesortiravecKiersten.Dansunesituation normale, j’aurais zappé le cousin de Lisa et emmené sans hésiter ma belle jusqu’à machambre.Maislà…Jevoulais jouirde lasensationdesesdoigtscontre lesmiens,parceque j’étaiscertainquedans

quelquesmois…c’estunluxequineseraitplusàmaportée.

Chapitre24

KIERSTEN

Jedétestelessentimentsqu’ilm’inspire.Presqueautantquejedétestenepaspouvoirêtreavecluitoutletemps.Jetombeamoureuse,bientropfortetbientropvite.Quequelqu’unmerattrape,m’arrête,metraitedefolle,megifle…N’importequoi,dumomentqu’onnemelaissepasespérer.

Celafaisaitofficiellementdeuxmoisquej’avaisrencontréWes.Depuisnotrepremierrendez-vous,

jel’avaisvupresquetouslesjoursaudéjeuner,etaumoinsdeuxfoisparsemainepourdessoiréesfilmsdansnotrechambre.Pourrésumer,ilétaitpartout.Unefigurepermanentedemavie.Sirégulière,enfait,quelesgens

nenousdévisageaientplus,ilssemblaienttrouvernormaldenousvoirensemble.Laseulechosequejenecomprenaispas,c’étaitsapertedepoids.Enfin,ilétaittoujoursaussisexy,

mais ses muscles semblaient moins dessinés, ses mâchoires plus acérées encore qu’avant. Quandj’abordais le sujet, il secontentaitde riredemes inquiétudesetde répliquerque lesentraînementsétaientinfernaux.—Bon,ontravaillesurquelchapitre?Wesdéposaledéjeunersurnotretablehabituelleetavalaunegorgéed’eau.—Ledernier,répondis-jeavecungrandsourire.—Tuplaisantes!s’exclama-t-ilenm’attirantdanssesbras.Onafaitunboulotdedingues,enà

peineplusdecinquantejours:onaquasiterminéunlivre.—Tusaiscequeçasignifie?Mordillantmalèvre,j’approchaiunpeuplusmachaisedelasienne.—Quoi?Ilsepenchaetrepoussaquelquesmèches.Cemecétaitobsédéparmachevelure.Ilfaisaitpeut-être

une fixette sur les rousses.En tout cas, il passait son temps àme toucher les cheveux, comme s’ilcraignaitqu’ilsnetombent.Jeluitapaisurlamain.—Ça signifie simplement qu’on doit choisir un nouveau livre pour le jour où on aura fini. Je

pensaisàMansfieldParkou…JelaissaimaphraseensuspenscarWesvenaitdepâlir.Détournantlesyeux,ilsemitàtriturersa

nourriture.—Quoi?Il s’humecta les lèvres, disposant sa salade autour de son assiette, comme s’il hésitait entre la

mangeretlatorturer.—Onn’estpasobligésdecontinueràlire.C’estvrai,tuasd’autresamisetonyapassétousnos

déjeunerset…—Arrête,répliqua-t-ilenroulantdesyeux,aveccesouriresexyquejeconnaissaisdésormaissi

bien.C’estMansfieldParkquimeposeproblème.Jen’aimepas tropcettehistoire.Tunevoudraispasenchoisiruneautre?Onpourraits’ymettreaprèslesvacancesdeThanksgiving?—OK.Jeluiadressaiunpetitsouriresansconviction.Jesentaisbienquemesyeuxnepétillaientpas.—Çava?demandai-jenéanmoins.—Biensûr,répondit-il.Presquetropvite.Etavecunsouriretoutaussifactice,ils’éclaircitlagorge.—J’aijustepasmaldetravailàtermineravantlesvacances,tucomprends?—Ah,marmonnai-jeenessayantdenepasavoirl’airtropdéçue.Biensûr,oui,d’ailleursj’aiplein

dedevoirsmoiaussi.—Entreçaetl’entraînement…Uneombrepassasursonvisage.—Enfin,tuvoislegenre,lesjournéestropremplies,toutça…—Oui.(Jeluiposaiunemainsurlebras.)Onesttousdanslemêmecas.Çafaitdubiendesavoir

quetun’espasparfait.—J’ensuisextrêmementloin,fit-ilenm’embrassantlamain.Je…euh…J’aiunesortedefaveurà

tedemander,enfait.—OK.Jem’agitaisurmachaise,soudainnerveuseàl’idéequ’ilpuissemedemanderqu’onneserevoie

plusouqu’ilmesuggèreencoredefaireuntrucdinguedugenresortiravecquelqu’un.Unmoisplustôt, ilm’avait encouragée àme trouver un rencard.En plaisantant,mais quandmême. Je lui avaisclaquélaporteaunezetilavaitpassél’après-midiàs’excuser.OK,j’avaisréagidefaçonexcessive,maisilm’avaitblessée.Enfin,lesmecsn’étaientquandmêmepasaveuglesàcepoint,si?Ilnevoyaitdoncpasquejel’appréciaisbienplusqu’ilnem’appréciaitlui-même?Jeserraifortlespoingssurmesgenouxetmepréparaiàl’inévitable.—TuaccepteraisdepasserlesvacancesdeThanksgivingavecmonpèreetmoi?Rienàvoiraveccequej’attendais.—Hein?—Rien,laissetomber.Ilpritsonplateauetseleva,maisjelerattrapaiparlepoignet.—Wes,jen’aipasdit«non».Jenem’attendaispasàça,c’esttout.—Ahbon?Sesmainstremblaient:soitilétaitnerveux,soitilcouvaitunsaletruc.—Ettut’attendaisàquoi?—Ehbien…quetuessaiesdemefourrerdanslespattesd’unautreetquetumevexes.Iléclatad’unriresonorequiluivalutl’attentiondetoutelacafétéria.—Oui,bentuvois,jecroisquej’airetenulaleçondeladernièrefois.Jehaussailesépaules.Illâchaunprofondsoupiretmepritlamain.—Merde.Tusaisquejet’apprécie,c’estjuste…—…quetunesorspasaveclespremièresannées.Jem’éclaircislagorge,nerveuse.—EtjeneveuxpasqueGabemebottelesfesses.—Oh,jet’enprie!Commes’ilpouvaittelesbotter.Sesyeuxs’obscurcirent,justeavantqu’ilm’offreunautredesessouriresàcouperlesouffle.Ilsepenchaversmoi.

—Tusaisquoi?Onvasortirensemble.—Quoi?—Pendantdeuxsemaines,ajouta-t-il,toutsourires,enlevantdeuxdoigts.Pendantdeuxsemaines,

tuesàmoi.Onsortensemble,onsedonnelamain…encoreplusquemaintenant.Ilmepassalepoucesurledosdelamain,fouillantmonregard.—Etauboutdecesdeuxsemaines,tuvasterendrecomptequejenesuispasaussicoolquetule

croyais,ettuirasvoirailleurs.Jemesentisfroncerlessourcils.—Ilyauneentourloupe?—Biensûr,fit-ilenriant.Resserrantsonétreintesurmamain,ilsepenchapourajouter:—Tudoispasserlapremièresemaineavecmoichezmonpère.C’est-à-dirependantlesvacances

deThanksgiving.Etpuis…Ilseleva,repoussantsachaisedelatable,ets’agenouilla.—Etpuistudoismepromettred’êtremacavalièrepourlebaldeHomecoming5.Alorslà,jen’enrevenaispas.WesMichels,dieudufootball,célébrité,sexytudeincarnée,étaitlà,àgenouxdevantmoi,entrain

deme demander non seulement de rencontrer son père,mais en plus de l’accompagner au bal deHomecoming?—Euh…Cen’estpastrèsconfortable,commeposition.Enriant,jel’aidaiàsereleveretmejetaiàsoncou.—Oui!Oui!Oui!—Attends,çaveutdire«oui»?Ilmesoulevaetmefittournoyerdanslapièce,avantdefairequelquechosedetrèsinhabituel.Ilm’embrassacommesionsortaitvraimentensemble.Ilnem’avaitpastouchéedepuisnotrepremierrendez-vous.Seslèvreseffleurèrentàpeinelesmiennes,puisunpeuplusalorsqu’ilmereposaitetmepassait

lesbrasautourdelataille.Sansgrandeffort,ilmesoulevaetm’assitsurleborddelatable,prenantmonvisageentresespaumes.—Merci.—Dequoi?demandai-jedansunsouffle.—D’avoirdit«oui».Et il était très sérieux. Son visage venait même de reprendre l’expression sombre qu’il avait

arboréeunpeuplustôt.Ilpassamesdoigtssursamâchoireraséedeprès.—C’estvraimentunerudejournée,pasvrai?demandai-je.Ilserralesdentsethochalatêted’unmouvementbref.Sansréfléchir,jeluinouailesbrasautour

ducouetleserraidetoutesmesforces.—Jepensequelastardesquarterbacksadroitàsesmauvaisjoursaussi,dumomentque…Jelaissaimaphraseensuspens.—Dumomentquequoi?s’enquit-il,saisissantlaperchequejeluitendais.Etils’écartalégèrement,sibienquenoslèvresfurentdenouveautrèsproches.—Dumomentqu’ilprometdetoujourslespartageraveclapremièreannéeunpeuringardequi

traîneenpermanenceaveclui.— Pas ringarde, corrigea-t-il en m’embrassant les lèvres. Magnifique. (Nouveau baiser.) Sexy.

(Encoreunbaiser.)Àlacheveluresublime…—C’estquoitontrucaveclescheveux?demandai-jeenriantdanssoncou,tandisqu’ilentrelaçait

sesdoigtsauxmiens.—Ilssontbeaux.C’esttout.Haussantlesépaules,ilm’aidaàdescendredelatable.—Lescheveuxet lescœurs,murmurai-je.Drôlesd’obsessions,maisOK. Je t’accordequelques

bizarreries,euégardàtasexytude.—Commetuesbonneavecmoi!Ilricanaetmefitunbaisemain.—Maintenantmangeons,avantqueturetournesencours.Etensuitelesbagages.J’aiunepremière

annéeàrameneràlamaisonpourlasemaine.Oui,etmoijen’allaisprobablementplusjamaisréussiràeffacercesouriredemonvisage.Jamais.

5.Balquiclôturelasemaineoùl’équipesportivedulycéeoudel’universitéreçoitsespremiersadversairesàdomicile.

Chapitre25

WESTON

C’étaitsûr,Gabeallaitmetuerdansmonsommeil.Jejetaiuncoupd’œilàmontéléphone.Uneheures’étaitécoulée.J’auraiscruqueGabeseserait

déjàarrêtédevantmachambre,àl’heurequ’ilétait,pourmehurlerdessusoumejeterdestrucsauvisageoumecollersonpoingdanslafigure.Jem’attendaisauminimumàunSMSassassinsurlefaitquejen’avaispastenumapromesse.On frappa à la porte. J’allai ouvrir en souriant, persuadé de recevoir un coup de poing dans la

mâchoire.Maisnon,c’étaitDavidetJames.Beurk.J’auraispréférélecoupdepoing.—Commentsedéroulevotrejournée?s’enquitJames,suruntonsimécaniquequ’ilendevenait

ridicule.—Fantastique.J’aiunrencardpourHomecoming.J’allaim’asseoirsurlelit,jetantunregardnoirdansleurdirection.—Pourquoi,vousavezdumalàobtenirdesrendez-vous,engénéral?s’esclaffaDavid.—Non,répondis-je,lessourcilsfroncés.Maiscettefille-là,elleestspéciale.Jamesmodifiasaposture.—Jesuisdésoléd’aborderunsujetpénible…—Ehbien,nel’abordezpas,l’interrompis-je.—…mais,poursuivit-ilnéanmoins,pensez-vousqu’ilsoitjudicieuxdefaireintervenirunefilleà

cestadedevotrevie?Vousavezrefusédepasser lemoindre testavant le jourdevotreopération.Vousn’avezdoncaucuneidéedecequisepassedansvotrecorps,etpourtantvousvoulezimpliquercettefillequin’arienàvoirlà-dedans?Jeserraislesdentssifortqu’ellesgrinçaient,jelejure.—Écoutez…Cenesontpasvosaffaires,alorsrestezendehorsdetoutça.—Si,cesontmesaffaires,rectifiaJamesenpenchantlégèrementlatête.Jesuisvotrepsychologue.

Votrepèrem’aengagépourveilleràvotrebien-être.—Monpèrevousaengagéparcequ’ilcraintque jeperde lespédaleset finisseparmesuicider

commemonfrère.Vousn’êtespasmonchirurgien,etencoremoinsmonami.Jeferaicequejeveux,avecousansvotrepermission.Davidlâchaunsoupir.—Wes…—Vousaviezbesoind’autrechose?l’interrompis-je.Avecunjuron,Davidsortitsonbloc-notes.— J’ai besoin de consigner ici comment vous vous sentez aujourd’hui. Vous connaissez la

procédure.Vousprenezuntraitementquicoûteunefortuneetn’apasencoreététestéparl’agencedumédicament, alors on doit tout noter. Je ne fais pas ça pour vous torturer. Je ne suis pas votre

médecin,maisjesuisvotreami,etjesuisvotregardeducorpsdepuislejourdevotrepremiercoupdepieddansunballon,alorspourl’amourdeDieu,dites-moicommentvousvoussentez,unpointc’esttout.Voilà, jeme sentais coupable comme jamais,maintenant.David avait raison. Il était là depuis le

début.C’étaitmêmegrâceàluiquejesupportaislaprésencedeJames.David,c’étaitunpeucommemafamille,etmoijeletraitaiscommedelamerde.—Jesuisdésolé,murmurai-jed’unevoixrenduerauqueparl’émotion.Jelâchaiunsoupiretentreprisdeluirelatermessymptômes.—Jeperds lessensationsdansmajambegauche.Jenesaispas tropsic’estàcausedes taclesà

répétition ou des médicaments. Je vomis presque tous les matins, j’ai moins mal à la poitrinequ’avant,etlescauchemarsontcommencéàdisparaîtrepeuàpeu.Jenemesenspasdéprimé,justeanxieux,commesiDieutenaitunchronomètregéantentresesmainsetqu’ilattendaitpourappuyersurlebouton«fin».—Trèsbien.James s’éclaircit la gorge et interrompit l’enregistrement. Je n’avais même pas remarqué qu’il

m’enregistrait,maispassons.Davidtraversalapièceetvintposerlamainsurmonbras.—Merci,Wes.Onvavouslaisserfairevosbagages.Vousêtesbiensûrquevousvoulezprendre

vous-mêmelevolant?—Ouaip.EtjesourisenmeremémorantKierstenetsonenthousiasme.—J’emmènemapetiteamieavecmoi.NouveausoupiraccablédeJames,alorsqueDavidsouriait.—Jesuiscontentpourvous,commenta-t-il.—Merci.Ilsquittèrentlapièce,melaissantdansunétatd’énervementtelquej’auraispuflanqueruncoupde

batteaupremierquiseraitvenumeparler.—Eh,cesgrosbrast’embêtent?lançaGabe.IlavaitprofitédudépartdeJamesetDavidpourentrerdanslachambre.—Toutletemps,marmonnai-je.Écoute,cogne-moitoutdesuiteetqu’onenfinisse.Gabepritunaircoupable.Ohnon!—Tuesmalade?demanda-t-ild’unevoixcalme.—Qu’est-cequetuasentendu?Jeneleregardaispasdanslesyeux,j’enétaisincapable.Sijelefaisais,jerisquaisdecraqueretde

finirparmefrappermoi-mêmepouravoirpleurécommeunbébé.— Je sais que l’un des deux est psy et l’autre raconte que tu prends un traitement qui te rend

malade,etpuisj’aientenduuntrucconcernantuneopération.Quelquessecondess’écoulèrent.Merde,jen’avaisrienditàpersonne.Jenevoulaissurtoutpasque

çasesache,carj’avaisenviedemesentirunminimumnormal,siçadevaitêtremondernierautomnesurcetteterre.Jememordislalèvre,refusanttoujoursdeleregarderdanslesyeux.—Benouais,admis-jeenfin.Jesuismalade.—Maladecomment?Il alla s’asseoir surma chaise debureau. Je voyais sonpied tapoter le sol, sans être capable de

décelersisongestedénotaitdelanervositéoudel’embarras,vuquejecontinuaisàfixerlesol,enmauviettequej’étais.—Trèsmalade.Mavoixsebrisa.Putain!—Ettuvasallermieux?Jelâchaiunriresansjoieetlevaienfinlesyeuxsurlui.—Jen’enaiaucuneidée.Jelesauraidansquatresemaines.—Qu’est-cequisepassedansquatresemaines?—T’esvraimentunsacréfouineur,toi.Toutsourires,ilmeréponditparunhaussementd’épaulesdésinvolte.Jesecouailatêteetsoupirai.—Onm’opère,etsiçanefonctionnepasouquejemeurssurlatable,ehbienlà…onbaissele

rideau.—Etsiçamarche,tutesentirasmieux?Tuirasmieux?—Qu’est-cequetuentendspar«mieux»?Etlerirequiaccompagnaitmesparolessiffladanslapiècesilencieuse.—Silamortc’estmieux,alorsoui,jeseraimieux.Sivivrequelquesmoisdeplustandisquemon

corpsm’est lentementvolépardes cellulesmalades c’estmieux, alorsoui.Ce seramieux,mieux,mieux.Jem’essuyailevisageavecungrognement.—Ellen’estpasaucourant,c’estça?demandaGabe.—Certainementpas.—Neluidispas.Jerelevaibrusquementlatête.—Quoi?Tuessûrquecesoitunebonneidée?demandai-je.—Çaneferaitquel’effrayer,cequinesertàrienvuquetuvasallermieux.Pasvrai?Ilaccompagnasaquestiond’unsourireconfiant.—Tupeuxyarriver.C’étaitlapremièrefoisqu’onmedisaitça.Toutlemondeétaittoujoursinquiet.Davidausujetdessymptômes,monpèredeladépression,et

personne–pasmêmeledocteur–nem’avaitjamaisaffirméquej’étaisassezfortpoursurmonterça.Jehochailatêteenfaisantdemonmieuxpournepaséclaterensanglotscommeunbébé.—Tuasraison,approuvai-je,jevaisbattrecettesaloperie.—Sinon,c’estmoiqui tebats, fitGabeenriant.Pour luiavoirbrisé lecœur,etpourêtremort

aprèsHomecoming.Non,maissérieusement,mêmetoitudoisadmettrequeceseraitsupertordu.—Ouais,ouais.Jemedéchaussaid’uncoupdepiedetm’allongeaisurlelit.—Maisjel’aimebeaucoup.Jeveuxpasserdutempsavecelle,ordutemps,jen’enaipasvraiment

beaucoup.C’estunluxe,tuvois?Lesgensneserendentpascomptedelachancequ’ilsont.Tun’aspas idée à quel point ça me met en rogne, quand ils se plaignent pour des bricoles, comme undéjeuner dégueulasse ou un café sans goût. Je boirais du café dégueulasse et je mangerais de lanourriturepourrietoutemavie,siseulementonmepromettaitunevie.Tucomprends?—Ouais, répondit-ildoucement.Jenepeuxpasdireque jecomprendsceque tu traverses,mais

j’imaginecommeçadoitcraindre,desavoirquetuneseraspeut-êtrebientôtpluslàpourapprécierlestrucsmerdiquesdelavie.Parcequ’aumoins,çavoudraitdirequetueslà,quetues…

—Envie,conclus-jepourlui.Quejesuisenvie.—Alorsvismaintenant,medéfia-t-il.Vaembrassercettefillepourquituasprétendun’éprouver

aucunsentiment.—C’estprévu.Etjesouriaistellementquec’enétaitdouloureux.—Biendit,s’esclaffaGabe.Bon,jevaisyaller.—Gabe?lerappelai-jealorsqu’ilatteignaitlaporte.Ilseretournaetattendit.—Mercidem’avoirécouté.Ileffectuaunesortedesalutmilitaire.—Ouais,n’empêchequejetebotteraiquandmêmelesfessessituluibriseslecœur.—Net’inquiètepas,j’ail’impressionquec’estplutôtellequivabriserlemien.—Commentça?Ilcroisalesbrasets’adossaauchambranle.—Parcequ’auboutducompte,jen’airienàluioffrirquivaillelapeine.Gabes’écartadelaporte.—Écoute,mec,fais-moiplaisir,laisse-laendécider.Nelefaispaspourelle.Je hochai la tête. Oui, je pouvais faire ça. Je devais bien ça à Kiersten, en tout cas jemourais

d’envied’essayer.Ledoublesensdemaphrasemetiraunsourireironique.Surce,Gabeagitalamainetsortit.Quieutcruquecegarçonavaituncœur?Ouqu’ilsoitaussi

profond?Voilàquimontraittoutcequel’onratait,danslavie,quandonneprêtaitpasattentionauxchosesouauxgens.Chercheettutrouveras.Agiscommeunconettuneverrasquetonrefletdanslaglace.

Chapitre26

KIERSTEN

Putaindemerde. Jem’apprêtaisàmangerde ladinde en facedeRandyMichels.OncleJoBoballaitentomberàlarenverse!

—Il t’ademandéeenmariage?hurlaLisa,quicouraitcommeunedératéedansmachambre.Et

qu’est-cequetuasfait?—J’airépondu«oui»,biensûr.J’éclataiderireetjetaiquelquesvêtementssupplémentairesdansmavalise.Jenesavaispastropce

quejevoulaisemporter.OncleJoavaitfaillisefairedessus,quandjeluiavaisannoncéleprojet.Ilétait siheureuxquemaviebougeenfinqu’ils’étaitmisàpleurerà l’autreboutdufil.Etquand jem’en étais étonnée, il avait prétendu avoir unmoustiquedans l’œil.Benvoyons, enpleinmois denovembre…Évidemment,çaaidaitqu’ilidolâtreRandyMichelsdepuisdesannées.Ducoup,ilm’avaitdonné

l’ordretrèsstrictd’épouserWesàtoutprix.Ilavaitmêmeproposédenousconduirejusqu’àVegas,aubesoin.Voilà,pourfairebref,j’avaisl’onclelepluscooldumonde.Personnenepouvaitprétendrelecontraire.Ma tanteet luiprojetaientdéjàuneénorme fêteavec le restede la famille. Ils allaientm’appelerparSkypelejourdeThanksgivingafinquejepuissedirebonjouràtoutlemonde.Lisas’affalasurmonlitavecunsoupirbruyant.—Moi,j’auraisflippé.Déjàquejeflippe,là,alorsqueçanem’estmêmepasarrivéàmoi!—Jevoisça.Jetiraiuntee-shirtquis’étaitretrouvécoincésouselleetlepliaipourlerangerdansmavalise.—TusorsavecWesMichels.Ellepouffadeplusbelle,puisbonditdulit.—Oh,punaise!Vousavezcouch…—Arrête ! lui ordonnai-je, un indexpointé sous sonnez.On s’est embrassés, genreune fois…

plutôtdeux,enfait.—Quoi ?Deux fois ? (Sansmentir, ses hurlements durent réveiller les ours qui hibernaient en

Alaska.)Ettunem’enaspasparlé?—Moi,j’étaisaucourant,lançaGabedepuislaporte.Etilm’adressaunclind’œil,qu’ilfitsuivred’unetapesurmonépaulequandilapprocha.Jeluijetaiunregardnoir.—Mercipourtonaide,Gabe.Croisantlesbras,Lisaaffichaunemoueboudeuse.—Toutlemondeétaitaucourantsaufmoi?—Non,Gabem’a juste surprise alors que je rentrais, unmatin, et il en a tiré des conclusions

hâtives.J’aidûclarifierlasituation,autrementilauraitimaginélepire,Gabeoblige.—Exact.

—Etlereste,tulesaisdéjà.Lisaparutsesatisfairedecetteréponse,carsonvisagesefenditbientôtd’ungrandsourire.—Ilembrassebien?—Onestobligésdediscuterdeçamaintenant?geignitGabe.Attendezaumoinsque jenesois

plusdanslapièce.—Ehbien,va-t’en,alors,suggéraLisaavecunhaussementd’épaules.Ill’écartadulitafindepouvoirs’asseoir.— Je ne peux pas. Je dois préparer ma fille préférée. Lui faire les recommandations d’usage

concernant les idéesqui traversent la têtedesgars, luiexpliquerpourquoiellenedoit jamais,sousaucun prétexte, regarder un film en compagnie d’un représentant du sexe opposé après 23 heures.Enfin,tuvois,cegenredeconseilsavisés.—Hein?m’étonnai-je,cessantdepliermesvêtements.Pourquoipasdefilmaprès23heures?— Sexe, répondit-il simplement avec un regard furieux. Les études montrent que le taux de

testostéronegrimpeenflèchependant levisionnagedefilmsd’horreur.Si tuajoutesàça lanuitetquelquespetitscâlins,tuobtiens,mafille,larecettedubébéquipleureetdel’avenirgâché.Lisaleregardait,lesyeuxécarquillés.—Waouh!Tuétaisoùpendantlescoursd’éducationsexuelle,aulycée?—Lesjoueurssontceuxquiconnaissentlemieuxlesrègles,pasvrai?letaquinai-je.—Seulementlesmeilleurs.Etilm’envoyaunbaiser,avantdeleverlamainpourquesacousinefrappededans.Cequ’ellefit.Jelevailesyeuxauciel.—Quoi?fit-elleminedes’étonner.C’estvraiqu’ilauntalentfousurleterrain.—Ettusaisçacomment?Liensdusang?Souvenirs?Lisahochalatête.—Familleégaleaucunsecret.Etilsetrouvequetroissororitésducampusnotentlesmecssurune

échelledeunàdix,çaaide.JetelaissedevineràcombienestévaluéGabe.—Cinq?suggérai-je,unsourcilhaussé.L’intéressémetournaunregardnoir.—Onze,corrigeafièrementLisa.Ilasonpropreclassement,rienquepourlui.—Ilvaprobablementêtreéluprésidentunjour.Gabenousdécochaunsourirecharmeur.—Jenesaispaspourquoi,maisj’aienviedeteféliciterd’êtreunsalopard.Pourquoiest-cequ’ily

aquelquechosequiclochelà-dedans?fis-jeminedem’interroger,undoigtposésurlementon.Ahoui,parcequetuesvraimentunsalopard.Undecesjours,taréputationterattrapera.— Jamais, affirma-t-il en secouant la tête. Un joueur joue selon les règles, connaît son plan

d’attaque, toutes les stratégiespossibles et leurmiseenapplication.Que jeme fasseprendre, c’estaussi improbable que de voir Chuck Norris mourir pendant l’une de ses cascades. Tu vois, çan’arriverapas.Ettuveuxsavoirpourquoi?Parcequec’estundurdedur.— Je rêve ou tu viens de comparer tes prouesses sexuelles aux talents de karatéka de Chuck

Norris?demandai-je.—Eneffet,c’estlamêmechose,répondit-ilnonchalamment.Secouantlatête,jejetaiuncoupd’œilauréveilsurmatabledechevet.—Merde!Ilvaarriver!Vite,vite,ilfautquejecasetoutçadansmonsac!—Toutça?s’étonnaGabeavecunregardcirculaire.Tucomptest’installerchezlui?

Pourtouteréponse,Lisaluidonnaunetalochederrièrelatête.Avecungrognement,ilbonditsursespieds et semit à empiler des affaires dansmavalise. Je le surprismêmequi jetaitmon réveildedans.Nonmaisilétaitsérieuxlà?—Voilà!Lisas’assitsurlavalisependantqueGabelafermait.—Jevousadore,dis-je,émue,enlesprenanttouslesdeuxdansmesbras.Gabemetapotasurlatêtecommesij’avaisdouzeans,etLisasemblaitsurlepointdesemettreà

pleurer.Àcroirequec’étaitlapremièrefoisquej’allaisdormirchezungarçon.Ah,maisattendez.Oui,c’étaitlapremièrefois,eneffet.Quelqu’unfrappaàlaporte.Lisaseprécipita,secognantlebrascontrelecanapédanssacourseàtraverslesalon,etfinitpar

ouvrirlaporte.—Salut,Lisa,lançaWes,toutsourires,enluitendantunedindeenorigami.Jel’aifaitemoi-même.Ilregardadanslapiècepar-dessussatête.—Mapetiteamieestprête?Etmacolocatairesepâmalittéralement,portantledosdesamainàsonfront.Gabeallaitdevoirla

réanimerenurgence.—Tiens-toitranquille,ômoncœur!lâchaLisaavecunaccentduSud.Beauté,tonhommeestici,

etilestjoli,joli,joli.Gabeattrapasacousineparlesépaulesetl’écartadeWes.—Désolé,elleaoubliédeprendresesmédicamentsaujourd’hui.—Pasdeproblème,réponditWesenriant.Puisillevalesyeux.Etjesoutinssonregard.Letempss’arrêta.OK,ilnes’arrêtapeut-êtrepas,maisbizarrementmoncœurs’emballaquandWesfitquelquespas

décidésdansmadirection.D’abordsesmainsseposèrentsurmeshanches.Etpuissabouchetrouvalamienne.Etcefutàmontourdemepâmer.GabeetLisasifflèrent,maisjem’enfichais.JenouailesbrasautourducoudeWes,pourl’attirer

contremoi.Àmoi.Ilétaitàmoipourdeuxsemaines,quoiquecelasignifie.Monpetitami.—Monhommeestprêt?Ilsouritetmedéposaunbaisersurleboutdunez.—Mapremièreannéeestprête?—Coupbas,répliquai-jeenfronçantlessourcils.—Jen’aipaspum’enempêcher,expliqua-t-ilavecunsoupir,avantdem’embrassersurlefront.Je

vaischerchertavalise.Lisa lâcha un bruyant soupir etGabe la frappa sur le bras, aumoment oùWes revenait dans le

salon,chargédemonénormevalise.—Tuesaucourantquejenet’aipasproposéd’emménageravecmoi?plaisanta-t-il.—Unefilledoitpouvoirpareràtoutesituation!medéfenditLisa.Etquisaitcequevousréserve

lamétéodeSeattle!Weslevaunemainensignedereddition,puisildésignalaported’uncoupdementon.—Allons-y.Moncinglédepèrenousattend.—C’estparti.

Levant le poing, je dis au revoir à Gabe et Lisa. J’allais rencontrer l’homme le plus riche dumonde.Génial.Qu’est-cequipourraitbienallerdetravers?

Chapitre27

WESTON

Putaindemerde.Jeramenaisunefilleàlamaison.Quequelqu’unallumeunfeuenenfer,parcequeçagèle,là-dedans!

—Tuesnerveuse?demandai-jetandisquejemegaraisdansFauntleroyWay,enpleincentre-ville

deSeattle.L’allée privée ne comptait qu’une vingtaine de maisons, ce qui nous permettait de jouir d’une

grandetranquillité.Etjevousjure,monpèreavaitdescamérasdevidéosurveillancepartout,jusqu’auboutdelarue,justeaucasoùquelqu’undeloucheessaieraitdenousobserverdansnotrepiscine.Cequi ne risquait pas d’arriver, vu la taille de la propriété qui entourait lamaison, sans compter lespresquedeuxkilomètresdeplageprivée.Enfin,sionpouvaitappeler«plage»unecôterocailleuse.Maischaqueété,onfaisaitvenirdusabledestropiques,histoirequeçayressemble.—Unpeu,admit-elleavecunsoupir,tournantlatêteverslavitre.Alors,c’estlaquelle,tamaison?—Toutcequetuvoisdececôté-làdelaruejusqu’àl’eau.C’estànous.—Hein?—Lebâtimentd’habitationprincipal,deuxcottages,quelquescourtsdetennis,unétangartificiel,

etpuiscettemaison,là-bas…Jedésignailecoinlepluséloignédelapropriété,alorsqueleportails’ouvrait,nousdégageantla

vue.—…c’estcelleoùvitOma,quandellenousrendvisite.—Euh…Oma?— Ma grand-mère, expliquai-je. Désolé, ma mère était hollandaise, alors quand j’étais petit,

j’appelaismagrand-mèreOma.Kierstenmesourit,puisellepritunebrusqueinspirationquandlesecondportails’ouvritdevantla

bâtisseprincipale.Enavançant,j’essayaidemereprésenterleslieuxàtraverssesyeux.Avecsesbonscinqcentsmètrescarrés,lebâtimentblancn’étaitpasloind’êtreleplusvastemanoir

dumonde.Ilavaitétéreconstruitsuivantlesplansdelamaisondebriquesoriginaledatantde1927etressemblaitaujourd’huiàunparadispourarchitecte.Toutes lesfenêtrescomportaientdesvitresenangles,afinquelesoleillestraverse.Dix-septmarchesexactementmontaientàlaportemonumentalede quatremètres cinquante en chênemassif. Et à l’instant où je coupai lemoteur de la voiture, lemajordomesortitetvintouvrirlaportièredeKiersten.—Madame,nousvousattendions.—Ronald,lesaluai-je.Il me répondit par un large sourire. À quatre-vingt-deux ans, c’était une personnalité

incontournabledanslamaison.Iln’étaitplusvraimentnotremajordome,puisqueenthéorieilétaitàlaretraitedepuisvingtans,maismonpèren’avaitpaslecœurdelemettredehors,alorsmaintenant,il accueillait les invités, brassait de la bière dans le cottage qu’il occupait gratuitement et faisait

tournerlamaisondepuislamortdemamère.—MonsieurWeston,dit-ilenposant lesdeuxmainssurmesépaulesetm’attirantà luipourune

accolade.Celafaittroplongtempsqu’onnevousavu.Commentvousportez-vous?Ilétaitaucourantdemamaladie.Pourtantjamaisilnemetraitaitdifféremment.Ilrefusaitd’enparler–réactionquejecomprenais,

vuquetoutlemondedisparaissait,autourdelui.Monfrèreetluiavaientététrèsproches,etilavaitbeaucoup souffert de lamort de Tye. Je savais que lamienne, en venant s’ajouter à tout le reste,risquaitdebriserdéfinitivementsonpauvrecœur.—Bien,jevaistrèsbien,mentis-jeenluirendantsonembrassade.Monpèreestlà?—Ilvousattenddanssonbureau.Ronald tapa deux fois dans ses mains, avec un large sourire. Deux membres du personnel

dévalèrentlesmarchespoursechargerdenosaffaires.JetendislamainàKiersten.—Prêteàrencontrermonpère?Elles’essuyalespaumescontresonjeanavantdes’accrocheràmoi.—Punaise,j’ail’impressionquejesuissurlepointderencontrerleprésidentouuntrucdugenre.J’éclataiderire.—Tuverras,c’estplutôt«untrucdugenre».Iln’estpasaussiintimidantqueça,jetepromets.Maisjevoyaisbienqu’ellenemecroyaitpas.Etplusnousavancionsdansl’enceintedelamaison,

plus ses yeux s’écarquillaient. L’entrée comportait une sorte de passage en forme de pont quiconduisait directement à la pièce principale.Une immense baie vitrée en façade laissait entrer desflotsdelumière.Noustournâmesàdroitepourallerverslebureau.—Papa?appelai-je.—Jesuislà.J’embrassaiKierstensurlatempe,serrantsamainunpeuplusfortpourl’emmenerdanslevaste

bureau.DécorédansunstylevieilleEurope,avecsesboiseriesenacajouetsesétagèrescoordonnées.Monpèreétaitassisderrièresongrandbureau,quisirotaituncognac.—Iln’estpasunpeutôtpourl’apéritif?plaisantai-je.Ilcommençaparplisserlesyeux,puiss’esclaffa.—Oui,maislà,jeviensderenvoyerAlfred,alorsjecroisquej’avaisbesoind’unverre.—Quoi?!Alfredétaitl’undesconseillerslesplusprochesdemonpèredepuisdesannées.—Pourquelleraison?—Détournement.Jem’éclaircislagorgeetdésignaiKierstend’ungestedumenton.Monpèreagitalamain.—Oh,c’estsansdoutedéjàsurCNN,àl’heurequ’ilest.Iltapotasursonbureau:unécranplatdescenditsurlemurouest,eteneffet,sitôtquelatélévision

s’alluma,lanouvelleduscandaleapparut.—Alors,repritmonpèreenéteignant.Quiestcettecharmantecréature?—Kiersten,seprésenta-t-elle,lamaintendue.Raviedevousrencontrer,monsieur.—«Monsieur»?répétamonpère,lessourcilsfroncés.Est-cequej’ail’aird’avoirquatre-vingts

ans?—Euh…Non…LesouriredeKierstensefithésitant.

—Randy, corrigea-t-il, l’œil pétillant. Vous pouvezm’appeler Randy. Dumoment que vous nem’appelezpas«Beau-papa».Çarisqueraitdemecauseruneattaque.Jen’imaginepascegarnement-làsecaserpourlemoment,précisa-t-ilenmedésignant.Lepauvregarçonsaitàpeinelaversonlingeetfaireseslacets.—Hilarant,commentai-jeenlevantlesyeuxauplafond.—Vouscuisinez,j’espère?demandamonpère,quicroisalesbras.C’estbienpourçaquetul’as

amenée,fiston?PournouscuisinerlerepasdeThanksgiving?Jesavaisqu’ilplaisantait.Kiersten,enrevanche,l’ignorait.Blême,lesyeuxécarquillés,ellelefixait,ouvrantpuisrefermantlabouche.Puisellesetournavers

moi,unelueurinquiètedansleregard.Commemonpère,jerestaiparfaitementsérieux.—Euh,je…Ellelâchamamainetpassaunemèchedecheveuxderrièresonoreille,gestequej’avaisapprisà

reconnaîtrecommeunticnerveux.Ellepaniquait.—Jepourraistoutàfaitvouspréparerquelquechose,mêmesijenevousprometspasquecesera

duniveaudeceàquoivousêteshabitué.Enfin,jepeuxessayer.Quelamour!—Oùm’as-tuditquetul’avaisrencontrée?s’enquitmonpère,sanssepréoccuperdelaréponse

deKiersten.—Àl’université.—Elleestmaligne.—Jesais,répondis-jeenpassantunbrasautourd’elle.—Etadorable,ajoutamonpèreencontournantsonbureau.Et,sijepeuxmepermettre,trèsbelle.—Jesuistrèsconscientdetoutça.C’estpourquoijel’aienlevée.—Bienvu,fiston.Monpèrepouffa,puisiladressaunclind’œilàKiersten.—Trèschèreenfant,vousn’aurezpasbesoindecuisiner,jeplaisantais.C’esttoutcequimereste

enmatièrededivertissement,maintenantqueWesesttoujoursabsentetquesonfrère…Monpèreblêmit.—Sonfrèren’estplusdesnôtres,commevousdevezdéjàlesavoir.Alorsjemesensunpeuseul.

Jevouspriedem’excusersijevousaimisemalàl’aise.—Pasdeproblème.Avecunsourirechaleureux,elleluitapotal’avant-bras.Monpèrehaussaunsourciletluioffritson

bras.Qu’elleprit,luiadressantunsourireaussilargeques’ilétaitlesoleilpersonnifié.Monpères’éclaircitlagorge,retrouvantsonaplomb.—Ehbien,nousallonsdoncvousinstallerdansvotrechambre,pendantqueWesvanouschercher

uneboissonrafraîchissante.Voussavezquevousêteslabienvenueicipendantlatotalitédesvacances,n’est-ce pas ? Nous adorons recevoir de la visite, et si vous avez besoin de quoi que ce soit, jem’assureraiqueMelda…Ils’interrompitpourcrier:—Melda!—Oui,monsieur, répondit l’intéresséequi apparut commepar enchantement, aussi discrète que

toujours.LafemmedeRonaldn’étaitplustoutejeuneellenonplus,maisc’étaitlameilleurecuisinièreque

l’universaitportée.MonpèreladésignaàKiersten.—Melda,quevoici,vousprépareratoutcequevousdésirez.Unchocolatchaud?Uncafé?—Uncafé,acquiesçaKiersten.Jamaisdechocolat.—Fiston,me lançamonpèreens’éloignant, trouve-m’enunedevingt-cinqans sonaînéeeton

pourradiscuter.Kierstenfronçalessourcils,perplexe.—«Une»?—Unefemmeaussibellequevous.Etils’écartapourluidonnerunnouveaubaisersurlamain.—Bien, reprit-il, s’adressant toujoursàellemaisavecuncoupd’œildansmadirection, jevais

arrêterdevousmonopoliseretlaisseràmonfilsl’honneurdevousfairevisiterleslieux.Pourmapart,jevaism’occuperdesboissons.—Merci,réponditKierstenavecungrandsourirechaleureux.Monpèrenousadressaunsourireraviets’éloigna.—Jel’adore,commentaKierstenaussitôtqu’ilfuthorsdeportée.—Commelerestedumonde,répondis-jeenricanant.Ellemeposaunemainsurlebras.—Non.Ilestincroyable.Tuastellementdechancedel’avoir.Vraiment.Jeferaisn’importequoi

pour…Bref,tusais.Tuasbeaucoupdechance.Pasvraiment.Enfinsi,j’avaisunechancefolled’avoirunpèreextra.Etencoreplusdechancequ’il

soit assez riche pourme payer lesmeilleurs traitements. Pourtant, je ne peux pas dire que jemesentaischanceux.Pasalorsquej’offraisàKierstensapremièreetdernièrevisitedenotremaison.Jesavais comment fonctionnaient les filles : dans sa tête, les petits rouages devaient déjà tourner ettourner encore, et elle s’imaginait sans doute les Noëls, les anniversaires, toutes les fêtestraditionnelles.Mêmelanouvelleannée,nomdeDieu.Je n’en avais parlé à personne encore,mais quand je songeais à 2014…Quand je pensais à la

soiréeduNouvelAn,ehbienjenem’yvoyaispas.Commesi j’étaisuneombrequin’existaitplusmaisobservaitlascènedeloin.Leplustriste,c’étaitquandjevoyaisKierstenavecmonpère.Jel’imaginaisdesannéesplustard,à

charmerd’autresparents,peut-êtreàrencontrersesfutursbeaux-parents,etçametuaitdel’intérieur.Aupointde croireque je subissaisunnouvel accèsdenauséeà causedesmédicaments, alorsquec’étaitmoi…Moiquimeremémoraispour laénièmefoisceque j’allaisrater.Etçan’avait rienàvoiravectoutescespetiteschosessansimportance,commelefootballouletrophéedecetteannée.C’étaitelle.Et ça me donnait envie de me battre avec une énergie redoublée. Comme l’avait dit Gabe. Je

pouvais le faire. Je pouvais terrasser cette saleté. En tout cas, j’allais essayer. Par le passé, medéfoncerpourlefootballoul’écolen’avaitpasconstituéundéfitrèsmotivant.MaisbattrelamaladiepourKiersten…Oui. Je combattrais mes démons pour elle. Je combattrais les ténèbres en moi, la maladie. Je

combattraiscettefichuetumeur.Carunechoseétaitcertaine:jevoulaispasser2014aveccettefilledansmesbras.

Chapitre28

KIERSTEN

Lesmotsnemeviennentpas, là.C’estvrai, jesavaisqu’ilétaitmilliardaire,mais…toutparaît tellementnormal, tellementmerveilleux.J’ai l’impressiond’attendrequel’épéedeDamoclèsmetombedessus.Pourquoifaut-ilquejeréagissetoujourscommeça?

Direquej’étaissubmergéeseraitencoreloindedécriremonétat.J’avaismapropresalledebains,

avecunedouchedigned’unspa,carrelagechauffantetsèche-serviette,ainsiqu’unécranplat.Non,mais sérieux, jepourrais continuer commeça indéfiniment. J’appelaimêmeoncle JoviaFacetimeafinqu’ilpuissetoutadmirer.Etcommejel’avaisimaginé,iln’enrevintpasluinonplus.EtjenetardaipasàavoironcleJo,ma

tanteet leursdeuxchiensplantésdevantl’écrandeleuriPhone,àregarderavecdegrandsyeuxlesvuespanoramiquesdelasalledebains.C’étaitbizarre,quandj’ypense,deprendreenphotolasalledebainsdequelqu’und’autre.Unvraipaparazzi.—Jepeuxemménagerlà-bas?demandaoncleJo.EttanteSanluidonnaunepetitegiflesurletorse,quilefitrireetreposerlaquestion.Leschiens

aboyaient.Ilsmemanquaient.Etvoilà,avantquej’aieeuletempsd’yprendregarde,jefussaisieparl’émotion.Qu’est-cequim’avaitpris, cesdeuxdernièresannées,dem’enfermerdansmachambrepourpleureralorsquej’avaisunefamille,justelà,quim’attendaitpendanttoutcetemps?— Tu vas bien ? me demanda oncle Jo quand je le déconnectai de Facetime pour le prendre

simplementautéléphone.—Oui,soupirai-je.Mercidufondducœur,àtouslesdeux.Jevousaime.—Ont’aimeaussi,monpetit.Maintenant,raccroche-moicetéléphoneetprendsdestasdephotos,

histoirequejepuissevivretoutçaparprocuration,OK?—Promis.Etjeluidis«aurevoir»enriant,avantderaccrocherpourmepromenerdansmachambregéante.

J’avais une terrasse qui surplombait le Puget Sound. Cette chambre, plus grande que cinq piècesmisesboutàboutchezmoi,comportaitaussiunvastelitchargédecoussins,etj’étaisquasicertainequ’ilmesuffisaitdeclaquerdesdoigtspourqu’uniPodsemetteenmarche.Onfrappaàlaporte,quis’ouvritdanslafoulée.—Heureusementquejen’étaispasentraindemechanger,plaisantai-jeendécouvrantWes.—Zut,répondit-il,unlargesourireauxlèvres.Etmoiquiespéraistesurprendreenpetitetenue.—Grosmalin.Ils’approchademoi.—J’étaissérieux.Jereportaimonattentionsurlamer.Lavueétaitmagnifique,etilfaisaitétonnammentbonpourla

saison.Wessortits’installersurl’undestransats,puisilsetapotaungenou,m’invitantàlerejoindre.Je

secouailatête.Ilsourit.Etjevousjure,celasuffitàmeconvaincre.Unsourireetjefondais;j’étaiscomplètement vulnérable face aux pouvoirsmagiques de ce garçon.Avec un long soupir – quandmême, il fallait bien montrer que je désapprouvais ses manœuvres de manipulateur –, j’allaim’asseoirsursesgenouxetm’adossaicontresontorse.—Merci,murmura-t-ildansmescheveuxaprèsquelquesminutesdesilence.Mercid’êtrevenue

avecmoi.—Àmonavis,ceseraitplutôtàmoideteremercier,répondis-jeenmêlantmesdoigtsauxsiens.

Etmercid’êtremonpetitamipourdeuxsemaines.Ilsecrispa.—Quoi?C’esttoiquiasditdeuxsemaines,non?Jeluiassenaiunpetitcoupdecoudedanslescôtes.—Tumejettesunnonos?C’estça?—Non,admit-ilenmefaisantpivotersursesgenoux.Jenete jettepasdenonos, jenesorspas

avectoiparpitié.Jeteveux…Ilmecaressadélicatementlevisage,delapointedesdoigts,effleurantmapeauavantderetirersa

main,commesicesimplecontactétaitplusqu’iln’enpouvaitsupporter.—Jet’aimebeaucoup.—Et…lesdeuxsemainessontàdébattre?plaisantai-je.Ildéglutit,lesyeuxrivésauxmienscommes’ilycherchaitquelquechose.—Tusaisquoi?Jevaist’accorderautantdetempsquej’enaurai,ajouta-t-ild’unevoixbrisée.Jefouillaisonvisage,essayantd’ydécelerpourquoiilformulaitçadecettefaçon.—«Autantdetempsquetuenauras»,répétai-je.Ettuneprévoispasd’enavoirtrop?J’eus soudain l’impression qu’il regardait à traversmoi. Comme s’il avait vu un fantôme, son

visageblêmitetsesyeuxs’emplirentdelarmes.—OK,repris-jeaussitôt.Biensûr.Autantdetempsquetuenauras.—Promis?Ildétournavivementlatêteets’abîmadanslacontemplationdel’océan.—Tumepromets?insista-t-il.—Promis.Sonsourirerevintetilm’embrassasurlajoue.—Bien.Alorsallonsdîner,maintenant.Jepariequemonpèreafaim,ettoi,tuaseuunelongue

journée.Onpourraregarderunfilmplustard,d’accord?—Bonneidée.Jesautaidesesgenoux,sanspourautantluilâcherlamain.Pouruneraisonquej’ignorais,çame

semblaitimportant.Importantquejeletoucheaussisouventetautantquepossible.C’étaitfou,non?Et pourtant je ressentais une urgence à être près de lui, comme s’il risquait de disparaître à toutinstant.Waouh, j’en connaissaisunequimanquait sacrémentd’assurance. Je repoussai cettepenséedans un coin dema tête enme jurant de ne plus la ressasser. Je l’appréciais, ilm’appréciait, et jedisposais officiellement de plus de deux semaines. Certes, on allait un peu vite, mais vraiment jel’aimaisbeaucoup,etjesavaisaufonddemoncœurquedeuxsemaines,çaneseraitjamaisassez.Enfait,j’étaisquasicertainequ’uneannéeentièrenemesuffiraitpas.L’étéallaitmesembleratroce,sijen’arrivaispas à levoir aumoinsune fois.Qui savait ? Jepourraispeut-êtrem’inscrire aux coursd’été,histoirederesterdanslesparages.Enfin,s’ilnes’estpaslassédemoid’icilà.Ledînersepassasansincident.Saufsipar«sansincident»,onentendquejenesavaispasquelle

fourchette choisir pour la salade ni pour le saumon. À unmoment donné,M.Michels, ou Randycommeilpréféraitquejel’appelle,entrepritdememontrerquelcouvertutiliserenlevantnettementle sienavantde leplongerdans sanourriture. Je l’aimaisbien. Il avait ladrôleriedeWes, tout enparaissantancrédanslaréalité.Quandlerepassetermina,j’étaisrepue.—Etmaintenant, annonçaRandy en repoussant sa chaise, je vous souhaite le bonsoir. Demain,

nousmangeronsladindeetmoi,jeregarderailefootball.—Amen,commentaWes.—Euh…Wes,est-cequejepeuxteparleruneminute?—Biensûr.Ilrepoussasachaiseetsuivitsonpèredanslehall.Jen’entendaispascequ’ilssedisaient,maisàunmoment,j’eusl’impressionqueRandyessayaitde

prendre lepoulsdeWes.Bizarre.Onauraitditqu’ils sedisputaient, etpuisRandy juraet sepinçal’arêtedunez,avantdepartir.Weslaissaretombersesépaulesetildonnauncoupdepoingdanslemur,pasfort,maisassezpourmontrersacolère.—Toutvabien?demandai-jed’unepetitevoix,enm’approchantderrièrelui.Ilbalayalamaisondesyeux,commes’illamémorisaitpourladernièrefois.—Oui,tusais,deshistoiresentrepèreetfils.Ouplusprécisément,deshistoiresdefootball.Pas

grand-chose,ajouta-t-ilenhaussant lesépaules.Allez,viens, reprit-il avecunautredeses souriresravageurs,allonsregarderunfilm.—OK.Quandilparlaitdefilm,jepensaisqu’ilentendaitunvisionnagedanslecanapédusalon.Etpasdansunesalledecinéma.Avecpopcornetsiègesinclinables.À partir de ce moment, chaque fois que je m’imaginerais le paradis, ce serait l’image qui me

viendraiten tête.ÊtreassiseavecWesdansnotresalledecinémaprivée,chez lui,mamaindans lasienne.IlallumalatélévisionetcliquasurAppleTV.—N’importequelfilmdumomentqueçaconcerneNoël.Choisis.—PourquoiNoël?—J’adoreNoël,répondit-ilavecunhaussementd’épaules.Etilsepeutquejenesoispasdansles

paragespourNoëlcetteannée,dumoinspasicidanscettemaison,alorsceseraitsympa.—Ettuserasoù?—Oh,j’aid’autresdemeuresdanslesenvirons,alorsons’yinstalleraenfonctiondel’humeurde

monpère.—Quellehorreur,monpauvre,letaquinai-je.—Chacunsacroix.Allez,choisis,répéta-t-ilenmejetantlatélécommande.Ilcroisalesmainsderrièresatêtependantquejezappais.—OK.Jechoisis…celui-ci.Illouchasurl’écran.—Tuplaisantes.—Tuasditn’importequoiconcernantNoël,etilmesembleaussiquetum’aslaissélechoix.—C’estMickeyMouse!—Etc’estmonfilmdeNoëlpréféré.Tuvasrevenirsurtaparole?—Tuesvraimentunpetitagneau,hein?Toutinnocent,quidemandeàregarderMickeyMouseen

guisedefilmdeNoël.Iltenditlamainetmecaressalevisage.—Dis-moiquec’estmaldevouloirsalirtoutecettepureté…icietmaintenant.— C’est mal, répliquai-je simplement, oubliant le bourdonnement dans ma tête alors qu’il

descendaitlelongdemajoueduboutdesdoigts.Avecunsoupir,ils’écarta.—Trèsbien,l’Agneauordonne,leGrandméchantLoupobéit.—Commeilsedoit.Jemepenchaiversluietrelevail’accoudoirafindepouvoirvraimentm’allongersurlui.—Etl’AgneautenteleLoup,reprit-ilàvoixbasse.—EtleLoupnesuccombepasàlatentation.—LeLoupaimelatentation.—LeLoupdoitregarderlefilm.—Alorsl’Agneaudoitarrêterdeparler,sinonleLoupleferataired’uncoupdedents.Jesouriaistellementque,jevousjurequejen’exagèrepas,jen’yvoyaismêmeplus.—Arrête!fis-jeenmedétournantdelui.—Jen’aipasl’habituded’entendrecemot-là.Qu’est-cequeçapeutbienvouloirdire?—Çaveutdire«non».Jerepoussaisamainqui,poséesurmahanche,tentaitdesoulevermontee-shirtpourtoucherma

peaunue.—Hum…Et«non»,çaveutdirequoi?—Çaveutdire…Lefilméclairasoudainl’écran.Wessepenchapourmechuchoteràl’oreille:—Sauvéeparlasouris.

Chapitre29

WESTON

J’auraisdû fuir.Au lieudequoi j’ai insisté,me rendant si impossibleà éviterque c’estdevenutroptard.Enfin,tard,tôt,peuimportaitpuisqueletempsnejouaitpasenmafaveur.Pourellenonplus,unefoisquejeluiauraistoutdit.

Elles’endormitdansmesbrasauboutdesquinzepremièresminutes.Jefermailesyeux,nonqueje

soisfatigué,maisparcequeçaparaissaitnormal.Jepouvaispresqueimaginerquetoutétaitnormal.J’avaisramenémapetiteamieàlamaisonpourlesvacances,ons’ennuyait,onavaitmisunfilmetelles’étaitendormie.Saufquerienn’étaitnormal.Jejetaiuncoupd’œilàmamontre.C’étaitl’heuredemesmédicaments.Alors,malgrélepeud’enviequej’avaisd’éloignercettefille

magnifiquedemoi,ilfallaitqu’elleailleaulit.Jesaisisunemèchedesescheveuxetl’examinai,latortillant entre mes doigts. Non, ça n’était pas une obsession pour les cheveux, c’était plutôt uneobsession pour tout ce qui la rendait unique. Ses cheveux roux, son sourire, son rire, sa façon derepousserlesgens…etsafaçondemelaisserl’approcher.Putain.J’étaisfoutu.Complètement,entièrementfoutu.Elle le découvrirait bientôt. Je devrais lui expliquer. Ilme restait unmatch, et puis le coachme

laisseraitsurlebanc.Ilm’avaitditquejen’étaispluslemêmejoueurqu’avant.Querépondreàça,alorsquejevomissaisàl’entraînementtouslesjours?Jesavaisquejelaissaistomberl’équipe,maismieuxvalaitquitterlesgarsmaintenantplutôtqu’ilssefassentrosser,voirepire,quel’und’euxsoitblessé,toutçaparcequejeneseraisplusenmesuredetenirmonposte.Jen’avaispaspensé,enrevanche,quelecoachappelleraitmonpère,niquemonpèreluiavouerait

quej’étaismalade.«Malade?»s’étaitétonnélecoach.«Etilvaseremettre?»Monpèren’avaitrienrépondu,toutbonnementparcequ’iln’ensavaitrien,pasplusquejenele

sais,moi,pasplusquelesmédecinsnelesavent.Etpuismonpèreetmoi,ons’étaitdisputésencoreunefois.Ilvoulaitquej’aillepasserdestests,

histoire de voir au moins si la tumeur évoluait. Mais je préférais rester dans l’ignorance. Quivoudrait savoir ? J’avaisuneputainde tumeurqui sedéveloppait, dangereusementprochedemoncœur,etilsvoulaientsavoirsiellegrossissait?Alorslà,sûrementpas.Plutôt vivre dans l’ignorance que de découvrir le scanner de ce monstre à l’intérieur de ma

poitrine. Si lesmédicaments ne la faisaient pas diminuer, il ne resterait que deux options : soit jemouraissurlatabled’opération,soitj’enréchappaisetjemesentaismieux.Monpèrel’ignorait,maisjecomptaisinterrogerlesdocteursàcesujet.Pourquoivoudrais-jesurvivreàuneopération,sic’étaitpourmourirquelquesmoisplustarddans

ladouleur?

Çafaisaitpeut-êtredemoiunlâche.Detoutefaçon,jemesentaislâchelaplupartdutemps.Etdeplusenplus,àmesurequelejourdel’opérationapprochait.IlmerestaittroissemainesavantlejourJ.EncoretroissemainespourchoisirentreannoncerlavéritéàKierstenouluibriserlecœur.Qu’est-cequim’avaitpris,nomdeDieu,deluiaccordertoutletempsquimerestait?J’avaisvu

ses yeux s’allumer. Je savais ce qu’elle pensait : que c’était une super promesse.Alors qu’en fait,c’étaittoutcequej’avaisàluioffrir.Le temps, c’était ce qu’il y avait de plus précieux aumonde, pourmoi.Or je venais de tout lui

donner.Parcequej’étaisentraindetomberamoureuxd’elle.Parcequejetenaisàelle.Parcequejevoulaisluidonnerdequoisesouvenirdemoi,mêmesiçaaussi,çafiniraitpardisparaître,commemoi.Letemps…unmotquisignifiaitl’horreur.

Chapitre30

KIERSTEN

J’aimeraispouvoiroublierlesrêves…J’aimeraispouvoirpasseravecluitouteslesnuits.Etmoiquicroyaisquelescauchemarsavaientdisparu.

Je m’éveillai en hurlant. Et puis, pour des raisons que je refusai d’explorer, et encore moins

analyseraveccettepartielogiquedemoncerveauquiprenaitgénéralementlesbonnesdécisions,jemedirigeaiàtâtonsverslachambredeWes.Aumomentprécisoùjelevailamainpourfrapper,laportes’ouvritengrand.Bouchebée,jemeretrouvaifaceàlatablettedechocolat.Est-cequejevenaisdesoupirer?Oui.

Dememordrel’intérieurdelajouepourm’empêcherd’afficherunsourireniais?Oui,oui.Jeprismontempsafindemieuxl’admirer,etmoncauchemarfutofficiellementoublié.—Tutesensmieux?Wesmesoulevalementonpourexaminermonvisage.—Commenttusavaisquejemesentaismal?demandai-jed’unevoixensommeillée.Illâchaunsoupiretmefitsigned’entrer.—Jet’aientenduehurler.—Ah.Jebaissai lesyeuxvers sespoings serrés et fus aussitôt envahieparun sentimentdeculpabilité.

Embarrasséedelatêteauxpieds,jereculaid’unpas.Wesmepassalesmainsautourdelatailleetmesouleva.Etl’instantd’après,j’étaisallongéesursonlit.—Non,maisçava,tentai-je.Jesuisdésolée,jenevoulaispasteréveiller.Lecauchemarestfini

et…Jemedébattispourmereleverdulit,maisilmeretenaitfermementdanssesbras.Etilmedéposa

unpetitbaisersurlefront.—Tunem’aspaslaisséfinir,indiqua-t-ilavecunsouriresexy.J’allaismerendredanstachambre

pourcasserlafigureauxmonstresquisecachaientsoustonlit.—Tuégorgeslesdragons,maintenant?Ilm’attiracontrelui,sibienquenousétionsdésormaisallongéspoitrinecontrepoitrine.—C’estdoncdeçaqueturêves?Desdragons?—J’aimeraisbien,répondis-jeenfrissonnantaucreuxdesesbras.Trèssouventjerêvedelamort,

celledemesparents.Ilssenoientetjen’arrivepasàlesatteindre.J’arrivetoujourstroptard.Wesresserrasonétreinteautourdematailleetsarespirationsemblas’accélérer.Ils’humectales

lèvresavantdemedéposerunbaisersurlefront.—Letempsestunsalopard,pasvrai?Jeris.—Oui,unvraisalopard.—«Siseulementj’avaisfaitci,j’auraisdûfaireça,j’auraispufaireça…»

Illâchaunjuron.—Lavieestrempliedecestroistrucs-là.—Trois?—«Siseulement,j’auraisdû,j’auraispu.»Ildessinamamâchoireduboutdesesdoigts.—Çafaitpartiede lanaturehumainedes’imaginerqu’onauncertaincontrôlesurcequinous

arrive,maisàlavérité…laviesedérouleetparfoisonsepointetroptard.Etd’autresfois,ceseratrop tôt. Parfois on fait les mauvais choix, tout comme d’autres fois on fait les bons. Les seulsmomentsoù lesgensutilisent les trois«si»,c’estquand leschosesnesedéroulentpascomme ilfaudrait.Personneneseremetenquestion,lorsquetoutvabien.Onseremetenquestionuniquementquandleschosesvontdetravers.Jen’avaispasvraimentpenséàça.—Tupeuxpassertaviedanscettezone,enpensantmêmequetuasunminimumdecontrôlesur

desévénementsquisontenfait totalementhorsde taportée.Au lieude teconcentrersurceque tuauraisdûfaire,concentre-toisurcequetuesenmesuredefaire.—Etqu’est-cequec’est?demandai-je,dansunsouffle.—Embrassertonpetitamisisexyetsiintelligent,répliqua-t-ilenposantunbaisersurleboutde

monnez.Lelaisserabattretesdragons.(Ilremontalelongdemajoue.)Etsavoirqu’encetinstant…tu ne vis pas dans la zone du « si seulement, j’aurais dû, j’aurais pu ». Tu es exactement là oùl’universveutquetusois.—Danstonlit?letaquinai-je.—Non,fit-ilenposantleslèvressurmabouche.Dansmesbras.Unsoupirm’échappaquandilpressaleslèvressurlesmiennes.Toutchezluiétaitsichaud,siplein

devie.Jeplaçailesmainscontresontorse,ravieaucontactdesapeausurmesdoigts.Il s’écarta, lesyeuxclos,et lâchaun juron,alorsmêmequ’ilserraitmesmainscontreson torse

commesiellesétaientsabouéedesauvetage,commesid’unecertainefaçonmoncontactchangeaitsonmonde.—Jetesens,chuchota-t-il.J’adoresentirtesmainsici.Ilouvritlesyeux,maisceluiquimeregardaitneressemblaitpasàWes.Onauraitditunfantômede

lui,quin’étaitpasréellementprésentauprèsdemoimaisquelquepart,loind’ici.—J’aimeraispouvoirêtreentierpourtoi.—«Entier»?Jefisglissermesmainssursesépaulesetl’attiraiplusprès.—Tuvasmedirequetun’esqu’unemoitiéd’homme?Ilhésita,puisfinitparhausserlesépaules.—Non,jevoulaisjustedirequej’aimeraisêtretotalementàtoi,rienqu’àtoi.J’aimeraisavoirune

secondechance.—«Unesecondechance»?répétai-jeenm’écartant.Cen’estpastoiquiviensjustedemefaire

uneconférencesurlathéoriedu«siseulement,j’auraisdû,j’auraispu»?Ilrit.—OK.Merci,petitemaligne.Etunoreilleratterritsurmonvisageavantquej’aiepul’intercepter.Jelerepoussaietm’assisen

mêmetempsqueWes.—Toutcequejedis…Illâchaunprofondsoupir,àcroirequ’ilportaitlepoidsdumondesursesépaules.

—…c’est que j’aimerais vivre toutesmes premières etmes dernières fois avec toi. Seulementavectoi.—Zut,soupirai-je.Jen’étaispaslapremièreétudiantedepremièreannéequetuembrassais?Ilesquissaunsouriresongeur.—Enfait…si.—Missionaccomplie.Etjetepréviens,tuasintérêtàcequejesoisaussiladernière.Etjeluienfonçaiundoigtdanslapoitrine.Grimaçant,ilmejetal’oreillerdenouveau.—Lapremière,ladernière,laseule.Ilsemorditlalèvre.—Mapréférée.—Oh,waouh!Toi,tuveuxvraimentquejefassedebeauxrêvescettenuit.Tuyvasfort.—Jeprotègemesarrières.—Ahoui?—Quoi?fit-ilminedes’étonnerensedésignant.Jenesuispasassezbienpourtefairerêver?—UnpointpourWes,conclus-jeenlevantundoigt.Hilare,ilreculapourmieuxbondirsurmoi.Ilmecollaledosauxoreillersetsehissaau-dessusde

moi.—Etsimonrêvetourneaucauchemar?Sonexpressionredevintsérieuse.—Qu’est-cequetuveuxdire?—Admettonsquetusoisdansmonrêveetquejenepuissepast’atteindre?—Fermelesyeux.—Quoi?—Vas-y.—D’accord.Sans le prendre au sérieux, je fermai les yeux et attendis. Je sentis ses lèvres me chatouiller

l’oreillealorsqu’ilcommençaitàchuchoter:— Chaque fois que tu fermes les yeux, et ce où que je sois, où que tu sois, je veux que tu te

souviennesdeça.Ilentremêlasesdoigtsauxmiens,puisilpressamamaincontresontorse.—Oùquejesois,quoiquejefasse,vivantoumort,jeuneouvieux,moncœurseratoujoursavec

letien.Chacundesbattementsquetusensauboutdetesdoigts…Etdesdoigtsilmetapotasurlapoitrine,unefois,deuxfois…—…c’estmoiquit’appelle.C’esttoiquimeréponds.C’estnousquiparlons,quicommuniquons,

quinouslions,quipartageons.Quivivons,Kiersten,nousquivivons.Unjourviendrapeut-êtredanstavieoùtoncœurdevrabattrepourlemien…maisilfaudracontinuer,sijen’ensuispascapable.Delamêmefaçon,unjourviendrapeut-êtreoùjedevraifairelamêmechosepourtoi.Maisauboutducompte,l’undenouspoursuivratoujoursceci.Denouveau,iltapaencadence.— Alors il n’y aura jamais de raison de craindre que nous manquions de temps, car nous

garderonsnotrerythme.Jenemesentaispasenmesuredeparler,pasaprèscequ’ilvenaitdedire.Àluitoutseul,Wesavait

réussi àme réconforter, tout enm’enseignant intelligemment une chose : contrôle ce que tu peux,aimecequetupeux,etlereste,ehbien…Lereste,c’étaitlereste.Jeneparvenaispasàatteindremesparents?Jen’avaisqu’àfrapperduboutdesdoigtscontresapoitrine.CarWes,lui,jelesentais,etil

avaitraison.Nousgardionsnotreproprerythme,nouscréionsnotrepropre…façondevivre.—Dors,murmura-t-il.Jet’aiépuisée,avecmoncharabia.—C’estfaux!répondis-jeenbâillant.Enriant,ilm’embrassasurlabouche.—C’est trèsvrai.Àprésent, jeveuxquetufermeslesyeux,etmoi je teserredansmesbras.Je

montelagarde.—«Lagarde»?—Faceauxdragons!metaquina-t-il.Net’inquiètepas,jeneleslaisseraipastevolertavertu.—OK,souris-je.Carlesdragonssontconnuspourça.—Nefaisjamaisconfianceàunlézard.—Euh…Jecroisquetechniquement,lesdragonsnesontpasdeslézards.—Biensûrquesi.Ilmefitpivoter,sibienqu’ilseretrouvabiencaléderrièremoi.—Toutcommelesdinosaures.Tupeuxmefaireconfiancesurcepoint,jesuisenquatrièmeannée.—Tuessûrden’avoirpasredoublé?letaquinai-je,sanspouvoirréprimerunnouveaubâillement.—Endors-toi.Ilmemordilla unpeu l’oreille, puis il soupira, provoquantune sériede frissonsdans toutmon

corps.Ben voyons, comme si je pouvais dormir quand ilme touchait comme ça. Pourtant, alors qu’il

continuaitàdéposerdeslignesdebaisersdansmoncou,jesentaismespaupièress’alourdir,puisjelaissaimoncorpssombrerdanslatorpeurdusommeil…entrelesbrasdeWes.

Chapitre31

WESTON

OK,doncjesuissoporifique…Génial.J’ignoraiscequiétaitleplusdéconcertant,entrelefaitqu’enl’espacedequelquesheures,Kiersten

s’étaitendormiedeuxfoiscontremoi,etceluiqueladernièrefois,j’étaisentraindel’embrasser.Manifestement,ellemanquaitdesommeil.Ellem’avaitquestionnésurmonidéedegarderletemps…notretemps.J’avaisl’impressionqueça

luiplaisait.Etjenepouvaispasmementir,j’aimaisaussicetteidée.Elledonnaitànotresituationunaspectpluspermanent,alorsmêmequec’étaittoutlecontraire.Jemedégageaidesonétreinteetmetournaipourfixerleplafond.Lemêmeplafondquej’avais

fixétoutemavie.Unlégersoupirs’échappadelabouchedeKierstenetellesetortilladanssonsommeil,pourfinir

parjeterunbrassurmontorse,mecoupantlesouffle.Waouh,cettefilleavaituneforcededingue!—Wes,marmonna-t-elle,secouantlatêted’uncôtéetdel’autre.Aussitôtjel’attiraidenouveautoutcontremoi.Jenesavaispascequimerongeait,encetinstant,

delaculpabilitéoudemamaladie ;çapouvaitaussibienêtre l’unquel’autre.Je lafaisais tomberplusamoureusedemoi.Pourtant,jenejouaispaslacomédie.Jenementaispas,jen’essayaispasdel’entraînerdansmonlit,dumoinspasausenssexuelduterme.Enfait,c’étaitlapremièrefoisdemavieoùj’étaisvraimenthonnête.Supertiming,jesais.—Wes…Ses lèvres trouvèrent mon épaule nue. Elle m’aurait poignardé que ça n’aurait pas été pire. Je

ressentiscebaiser,ceslèvres,salanguehumide,commeuneinjectiond’héroïneàtraversmoncorps.Despiedsàlatête.Jen’avaisjamaisprisdedrogues,maisj’imaginaisqueçafaisaitceteffet-là.Kierstenlevaunejambeetvintlaplacerentrelesmiennes.Merde.Impossibled’y échapper, cette fois. J’allais devoir souffrir toute la nuit, avec cette fille collée à

moi et sans espoir de soulagement au bout du compte. Voilà, peut-être que maintenant je savaisprécisément ceque ressentait un accro à l’héroïne.BonDieu, j’avaismêmeenvied’enprendreunnouveaushoot.Jevoulaisl’absorber,maissijefaisaiscechoixpourelle,jesavaisqu’ellefiniraitparmedétester.Jemefichedecequedisentlesfilles,uneviergenes’embarquepasdansunerelationenpensantquec’estjustel’histoired’unenuit,àmoinsd’êtreunegarce.Lesfillesnormaless’attendentàl’amouréternel.Laseulechosequej’étaisincapablededonner.—Dors,murmurai-jeenl’embrassantsurlefront.Etjelaserraicontremoi,aussifortquepossible.

—Réveille-toi,mabelle,c’estl’heuredeladinde,chuchotai-jedanslescheveuxdeKiersten.OnauraitdituneversionextrêmementsexyducousinMachindelafamilleAddams.Sescheveux

rouxétaientétaléspartoutsurmonoreiller,monbras,monvisage,sonvisage.Commes’ilsavaientleurpersonnalitépropre,leuridentitépropre,etuneincapacitétotaleàresteràleurplace.Etj’adoraisça.Écartantquelquesmèchesrousses,jefinispartrouverunœil.—Ah,tevoilà.L’œils’étrécit.—Toujourspasdumatin?demandai-je.Je n’aurais pas cru ça possible,mais l’œil s’étrécit encore plus, au point que je le crus fermé.

J’écartaiunpeupluslerideaudecheveux.Deuxyeux.Gagné!Ellen’étaitpasaveugle.—Pourquoiest-cequetum’observescommesituvenaisdedécouvrirlathéoriedelagravité?—Parcequec’estcequejeviensdefaire,répondis-jeavecunsouriresatisfait.—J’espèrepourtoiquec’estfort.—C’esttoi.—Hein?Jesoupirai.—Ilestencoretroptôtpourlessous-entendussubtils,ondirait.Jeluidonnaiunpetitcoupavecl’oreiller.—Allez,deboutpetitagneau,leloupafaimetenviedefairepipidepuisàpeuprèscinqheures.—Etpourquoitun’yespasallé?—Àcaused’unninjadéguiséenmapetiteamiequim’a retenu toute lanuitenotagedansmon

proprelit,expliquai-jeendésignantdumentonsesjambesmêléesauxmiennes.Sanscompterquesonétreintesemblableàunétauétaitsiadorablequejen’aipasosébouger.Ellebondit.—Wes,jesuisdésolée!Engénéral,jenesuispas…—Collante?suggérai-je.Nouveaurétrécissementdel’œil.Jemedemandaisijeperdaisdespoints,pourlesimplefaitque

j’étais du matin. Je n’avais pas encore pris de médicaments, notamment parce que j’étais dansl’incapacitéphysiquedememouvoir, alors jevoulais absorber cebonheur.Échanger avecunêtrehumainplutôtqu’aveclacéramiquedemestoilettes.— Je t’interdis de temettre àme traiter de « collante », grommela-t-elle, avant de se cacher le

visageentresesmains.Désoléedet’avoiremprisonnéaulitcettenuit.Jesourisetm’humectaileslèvres.—Oui,enfin,ilyapire,commefaçondemourir.CommeparexempleêtrelaversionhumainedujeuDocteurMaboul.Saufquechaquefoisquele

médecintouchelesbords,tutevidesdetonsangettoncœurs’arrêtedebattre.Pasdesecondechance,onnerecommencepaslapartie.—Çava?s’enquitKierstenenmeposantunemainsurl’épaule.Sansm’enrendrecompte,j’étaispartidansmespensées.Manifestement,lefaitqu’onvenaitdeme

donnermonmaillotdefootballet laproximitédel’opérationmechamboulaient,sanscompterquej’avaisbienenviedevivre,auboutducompte.Etlaraisondemondésirdegarderlespiedsfermementplantésdanslesolsetrouvaitjustelà,bien

vivanteàcôtédemoi,bonsang!—Génial,chantonnai-je.N’empêche,ilfautquej’ailleàlasalledebains.Alorssitupouvaisjuste

démêlerteslonguesjambessexydesmiennes,j’apprécieraisbeaucoup.Enfait,j’apprécieraisencore

plussitumelaissaisaller…Unsoupirexaspérés’échappadeslèvresdeKiersten.—…auxtoilettes,terminai-je.C’esttoutcequejedemande.—OK.En riant, elle s’écarta complètement demoi, et jeme sentis soudain plus seul et plus perdu que

jamais.C’étaittrèsirritantdesongerqu’unepersonneaitautantdepouvoirsurmonétatd’esprit.—Pourquoitun’iraispastepréparerdansl’autresalledebains?Onseretrouveenbasdansun

momentetons’envoieunsuperpetitdéjeuner,d’accord?—OK.Et elle traversa lentement le grand tapis qui couvrait le parquet de ma chambre, avant de se

retourner.—Wes?Jem’immobilisai,lamainsurlapoignéedelasalledebainsadjacente.—Oui?Unetouchederougevifluicoloraitlesjoues.—Merci.Pourlanuitdernière.D’avoirchassélesmonstres…—Avecplaisir.C’estunpeumontravail,deteprotéger.—Untravail,çadonnel’impressionquetuesobligé.—Non, corrigeai-je.Quand jedisque c’estmon travail, ça signifie justeque c’est unpeumon

identité.Tusais,commequandlesgensseprésentent:«Salut,jem’appelleRick,jesuisconcierge.»Maintenant,poursuivis-je avecun sourire, jepeuxdire : «Salut, jem’appelleWestonet je tuedesmonstrespourmonirrésistiblepetiteamie,afinqu’ellepassedesnuitssereines.»—C’estnaze.Son rireme frappapiledans tous lesbons et lesmauvais endroits, et soudainaller aux toilettes

devintuneobligationtrèsdiscutable.Jevoulaisresterlà,plaquéaumatelas,etdepréférencesouselle.—Non,héroïque,arguai-je.Allez,vatepréparer,qu’onpuissedescendremangerdesbriochesàla

cannelle.Apparemment,j’avaisprononcélemotcode.Elleécarquillalesyeuxetpartitencourantàtravers

le couloir. Une fan de petit déjeuner, bonne nouvelle. Le contraire aurait pu être rédhibitoire. Jedétestaislesnanasquirefusaientdesenourrirpourlerepasleplusimportantdelajournée.Commesiellesignoraientàquelpointçacomptait.J’étaisbienplacépourenparler,surtoutparcequemescachetsmedéchiraientleventresijenemangeaispas.Je fermai la porte derrièremoi et la verrouillai, avant d’ouvrir le placard sous l’évier.Quinze

flacons, tous portant une étiquette avec mon nom. Putain, je regrettais presque de ne pas être undrogué.Vousvoyez,legenredetypesquivolentdel’oxycodoneoudelamorphinepourseshooter.Bon,c’estvraique jeneprenais jamaismescachetsantidouleur. Ilsm’engourdissaient tellement

queçan’envalaitpaslapeine,etpuis,cen’étaitpascommesijesouffrais.Mondocteurdisaitqu’ilsmedébarrasseraientdemesangoisses.Apparemment,lemecn’avaitjamaisentenduparlerdusport.Toutcequefaisaitl’oxy,c’étaitme

transformer en zombie qu’on aurait cru sorti de La Nuit des morts-vivants. En plus hagard eteffrayant,jeparie.Jefissauterlebouchondemonpremierflacondemédicaments,déposaiunegéluledansmamain

etsecouailatête.Lagarce,elleétaitforte.Enfait,jel’avaissurnommée«garce»,carpetitecommeelle était, on ne penserait jamais que cette pilule puisse faire grandmal.Eh bien, on avait tort.Lapremière foisque je l’avaisprise, j’avaisvomipendantune semained’affilée. Jem’étais tellement

déshydratéàforcedevomirquej’avaisatterriàl’hôpital.Maintenant,jesavaiscommentlaprendre.Il fallait l’adjoindre àmon cachet anti-nausées, qui ne fonctionnait que six fois sur dix, et ensuiteavalerlemégacachetblanc,cecachetspécialchimioquel’onfabriquaitexprèspourmoi.Ilmerestaitcinqcomprimésàprendre,maisilfallaitquejemanged’abord.Kierstendevaitencore

êtreentraindesepréparer.Jenevoulaispasqu’ellemevoieavalerdesmédicamentsd’aucunesorte,je ne m’imaginais pas lui mentir quand elle me demanderait pourquoi j’ingurgitais toute unepharmacie de cachets arc-en-ciel. Alors je fourrai le reste des comprimés dansma poche, enmerépétantdenepasoublierdelesprendreaprèslepetitdéjeuner.Carsi j’oubliais…ehbien, jeneseraispasdutoutuncompagnonagréablependantladuréedes

vacances,sansparlerdufaitqueçaaccordaitàcettesaloperiedetumeurunejournéesupplémentairesansattaque,ducoupellegrossirait…Orjepouvaistoutàfaitdispensermoncerveaudel’imagedesestentaculesquiétouffaientlentementcertainespartiesdemoncœur.

Chapitre32

KIERSTEN

Jamais je n’arriverais à m’ôter cette image de la tête. Wes était sexy, doté d’un corpsincroyable,etmoij’avaisdormicolléeàluitoutelanuit.Oh,là,là,siçasetrouvaitj’avaismêmebavé.Bon, benaumoins jepouvais cesserd’espérerqu’il veuille encore êtremonpetitami,aprèsmanuitaccrochéeàluicommeunefandeJustinBieber.Douzeansd’âgemental.Génial.

Jemeperdisdeuxfoissurletrajetjusqu’àlacuisine.Lapremièrefois,jetournaiàgaucheaulieu

d’alleràdroite, lasecondefois jemelaissaidistraireaumilieuducouloirparquelquesphotosdefamilleaccrochéesaumur.NotammentunedeWesetdesonfrère,côteàcôte.Onauraitpresquecrudesjumeaux.Moncœurseserraunpeuquandjesongeaiàl’horreurqueçadevaitêtredeperdresonfrèred’unsuicide.Ondevaitpasserlerestedesavieàregretterlamoindreconversation,lemoindremomentoùl’onauraitpudirequelquechosed’autre,voirechangerl’issuedel’histoire.Unfrissonme parcourut et je m’engageai du mauvais côté de l’escalier, celui qui conduisait à la pièceprincipale.Merde. Enfin, je remontai les marches pour les redescendre de l’autre côté, d’oùme parvenait

depuislacuisineuneappétissanteodeurdecannelle.Oui, jem’habitueraisaisémentàvivrecommeWes.Briochesfraîchesauréveil,aprèsunenuitdansunmanoir.Ahlà,là,lavieétaitdure.Cegarsn’avaitpasidéedesachance.Desriresmontaientdelacuisine.Craignantdepasserpouruneintruse,jem’éclaircislagorgeenentrant.Wessetenaitdansuncoin

avecMelda,ettousdeuxglaçaientdesbriochesenplaisantantgaiement.Lacuisineétaitrempliedenourriture.Partoutoùjeposailesyeux,lesplansdetravailengranite

étaientcouvertsdeboîtes,d’assiettes,decouvertsenargent,defrites,desauces.Merde,ondonnaitunefêtepourThanksgiving?—Kiersten!Viensparici,m’ordonnaWesenrepliantl’indexdansmadirection.Toutsourires,j’obtempéraietm’immobilisaijustedevantlui.Ilportaundoigtcouvertdeglaçage

àmaboucheetchuchota:—Ouvre.Bon, je n’étais pas vraiment en position de refuser.Mon estomac gargouillait, tellement j’avais

faim.J’ouvrislaboucheetilpassaledoigtsurmeslèvres.Puisjeléchaileglaçage,suçantsondoigtaupassage,jusqu’àcequ’illeretire.Et je vis son regard s’assombrir. Puis il posa ses lèvres sur les miennes. J’entendis quelqu’un

s’éclaircirlagorge,maispeum’importait,cartoutcequicomptait,c’étaientleslèvresdeWessurlesmiennes. Il avaitungoûtdecaféetdesucre,et j’auraisdonnécherpouravoircegoût-làdansmabouchetouslesmatins.—Hum-hum,insistaMelda.

Nousnousécartâmes.Etjesentismonvisages’enflammer.WessemorditlalèvreinférieureetjetaunregardinnocentàMelda.—Désolé,Kierstenmangemal,jel’aidaisjusteàsenettoyer.—C’estdonccommeçaquelesjeunesappellentcegenredechoses,denosjours.Meldahaussalessourcils,puisellepritleglaçagerestantetl’étalasurlesdernièresbrioches.—Bon,ilexisteunerègleimportantepourThanksgiving,ajouta-t-elle.—Laquelle?demandai-jeentendantlamainversunebrioche.Ellemedécochaunsouriremalicieux.—Personne n’entre dans la cuisine. Petit,Wes se cachait dans les placards pourme faire peur.

L’annéedernièreencore,ilaréessayéetj’airenversédeladindepartoutparterre.La lueurqui luiallumait lesyeuxs’éteignit tandisqu’ellese tordait lesmainsens’humectant les

lèvres.—Unemorttragiquepourcepauvrevolatile,commentaWesensecouantlatête,avantdeprendre

Meldadanssesbras.Jeteprometsqu’onserasages.—Toi, répliqua lavieille femmeen luiplaquantundoigtcontre lapoitrine, sa tristessesoudain

oubliée,turestesloind’ici.Jet’appelleraiquandj’auraibesoindetoi.Enattendant,tâchedetrouvercommentt’occuper.Wessetournaversmoi.—Hum,jesuisàpeuprèscertaindetrouverquelquechose.J’étaisàpeuprèscertained’êtrece«quelquechose».Etçanemegênaitpas.Ilmetenditlamain,

jem’yaccrochaicommeàunebouéedesauvetage.Secouantlatête,MeldapassaàWesunegrandeassietterempliedebrioches.—Voilà pour vous.Allezdoncdans la salle depetit déjeuner, il y a des protéines et des jus de

fruits.J’aimistoutcequ’ilfautsurlebar,vousn’aurezdoncaucuneexcusepourrevenirici.—Elleavraimentpenséàtout,commentai-jeenriant.—Thanksgiving,c’estsafêtepréférée.Elleneveutpasquejelaluigâche.Samainenveloppantlamienne,Wesm’entraînajusqu’àuneautrepièce,trèsvaste,quin’étaitpas

celleoùnousavionsdînélaveille.—Etvoicilasalledepetitdéjeuner.Lemur est de la pièce était entièrement constitué de vitres.Le soleil étant déjà haut, je compris

pourquoi ilsaimaientmanger ici lematin.C’étaitbeau, il faisaitpresqueaussichaudquedansunevéranda.—Unjusdefruit?proposaWesderrièremoi.—Avecplaisir.J’allaim’installeràtable,faceauxbaiesvitrées.—Alors,fitWesensefrottantlesmains,tuesprêteàrayercertainsélémentsdetaliste?J’avalaiunegorgéedejus,auborddeslarmes.Cetrucétaitlemélangeparfaitdesucréetdepulpe.—Onvasauteràl’élastiquepourThanksgiving?—Non,répondit-il,unmorceaudebriochedanslabouche.Onvaallerprendreunbaindeminuit.Jem’étranglaiavecmonjus.—Évidemment,onnepeutpasfaireçaenpleinjour.QuediraitMelda?Donc,primolescoursde

natation,etdeuxioonsemettoutnus.—J’oseàpeinedemanderquelestletertio.Jeneprispas le risquede le regarderetdeperdre toutecontenance.C’estvrai,quoi, jen’avais

jamaisembrasséaucungarçonavantlui.

—Kiersten,ronronna-t-iltoutprèsdemonoreille,tuesentraindemedirequetunesaispascequiadvientunefoisqu’ons’estmistoutnus?Oh.Là.Là.Quequelqu’unouvreunefenêtre.Ilm’effleuralebrastoutenlâchantsonrirerauqueau

creuxdemonoreille.Unmélangedenervositéetd’excitationmecrispaitdespiedsàlatête, tandisqu’ilremontaitlesmainsviamesépaules,pourterminerdansmoncou,avantdem’attirersiprèsdeluiquenoslèvressetouchaientpresque.—Coulisd’airelles.—Qu…Quoi?éructai-je,perplexe.C’estçaquiarriveunefoisqu’onesttoutnus?LesyeuxdeWesscintillèrent.—Bien sûr. Ben oui, c’est comme ça que tu as rédigé ta liste, non ?Àmoins que j’aie oublié

quelquesétapesentrelesdeux?Ilsetapotalalèvreduboutdudoigt.—Oualorsj’aitoutmélangé,maisilmesembleentoutcasquetun’aspasencorefaitça.Jesecouailatête.Non,eneffet,maisjenemesentaispascapabledeparler.—Alorsc’estréglé.—OK,parvins-jeàrépondred’unevoixrâpeuse.Onnage.Toutnus.Etpuiscoulisd’airelles.—NNC.—Génial,unesortedecode.Ilmerelâchaetrepritunebouchéedenourriture.—Exactement.Ilfourraunemaindanssapoche,etjelevisfroncerlessourcilsl’espaced’uneseconde,avantd’en

tirerquelquechosequ’ilconservadanssapaume.Jenepusm’empêcherdescrutersonpoingserré.Bizarre.JetournaienfinlatêtepouradmirerlePugetSound.—Donc…Lesmains vides,Wes vint s’appuyer au dossier de ma chaise. Et il entreprit de memasser les

épaules.—Quedirais-tudefinirnotrepetitdéjeuner,etensuited’allernouspréparerpourpiquerunepetite

tête?—Çanevapasêtre tropfroid?demandai-je, telleunegaminedecinqanspeumotivéeparses

coursdenatation.—Piscinechauffée,répondit-il.Etpuis,tum’auraspourteréchauffer,encasdebesoin.—Jenesuispascertainequ’ilsoittrèsprudentdeseréchaufferquandonesttoutnus.—Tucrois?Jesentissesmainss’immobilisersurmesépaules.Punaise,qu’est-cequej’étaiscenséerépondreà

ça?Jen’euspasàmeledemandertroplongtemps,carilreprit:—Règledesurvieimpérative:frotterdeuxcorpsnusl’uncontrel’autre,lafrictioncréeradela

chaleur…—Heureusementqu’onneserapasenmodesurvie,répliquai-jeenriant.N’importequoi,pourvuquedisparaissecettetensionsexuellequimedonnaitenviedemejetersur

lui.—Jediraisplutôtquec’estbiendommage.Quandsesmainsquittèrentmesépaules,jefaillism’affalerdansmonassiette,maisparvinsàrester

droite.

—Tuasbesoind’unmaillot?Jepeuxt’enprêterunsituveux.Je refusais de chercher à connaître le pourquoi du comment ils avaient des maillots de bain

fémininsici.—Ondonnedestasdefêtes,tuvois.Lesgensoublientleursmaillots.Maisilssonttouspropres,

promis.—OK.(Jedéglutis.)Jeveuxbienunmaillot,danscecas.Ilduts’absenteràpeuprèscinqminutes,auboutdesquelles il revintavecunbikiniblanc.Çane

devaittoutdemêmepasêtreleseulqu’illeurrestait!Jeplissailesyeux.Ilsourit.—Qu’est-cequetuattends?Prends!—Çacouvrequelquechose,cetruc?—Lespartiesimportantes,fit-ilenmetendantlemaillot.Allez,visunpeu.Jeleluiarrachaidesmains.—Sijemeursd’hypothermie…—Impossible,affirma-t-ilenhaussant lesépaules.Àmoinsque tunedécidesd’allerprendreun

baindeminuitdans leSound, ceque je tedéconseille,vuqu’uncalamargéant sembleyavoir éludomicile.—Jelenote.Est-cequej’aipréciséquejedétestaislespoissons?Ouquesijen’allaisjamaisfairedelaplongée

avecmesparents,c’étaitparcequecesbestiolesmeterrifiaient?C’étaitpeut-êtrepourcetteraisonquelescauchemarsétaientpiresencorepourmoi:jenepouvaism’imaginermourirdansl’eau.Çame terrorisait.Depuis la foisoù j’étais tombéedans lapiscineà l’âgede trois ans, jen’avaisplusjamaisréussiàm’enapprocherd’unesanstrembler.Enfin,Wes ne tarderait pas à apprendre pourquoi j’avaismis ça surma liste, donc autant le lui

avoueravantdemeridiculiserquandjesauteraisdans l’eau.Jemerendisdansmachambreetôtaimesvêtements en tremblant, afind’enfiler lebikiniblanc.Deuxpetits trianglesqui couvraient toutjuste mes seins, et un bas qui consistait plus ou moins en une série de cordons attachés à deminuscules morceaux de tissu, un devant et un derrière. Putain, je ressemblais à une prostituée !J’entendsparlàquecemaillotétaitparfaitpourunestripteaseuse.Appuyéeaulavaboencéramique,jeprisquelquesprofondesinspirations.Jepouvaislefaire.J’en

étaisàlamoitiédemaliste.—Allez,Kiersten,secoue-toi.J’observaimonrefletdanslemiroir,mescheveuxrouxquimeretombaientdanslemilieududos

enépaissesvagues.Deuxyeuxvertsmefixaient, l’airterrifiés,commesimoncorpstoutentiermesuppliaitdenepasyaller.—Jepeuxlefaire,répétai-je,lesdoigtstoujoursagrippésaulavabo.Jevaislefaire.Avecunmouvementsec,jem’écartaidulavaboetouvrislaporte.Puisjedescendisdansl’entrée,

frémissanttoutlelongdutrajet.Quandj’atteignislaporteduporcheàl’arrièredelamaison,donnantsurlapiscine,mesmainstremblaienttellementqu’onauraitditunecaméeenmanquedesadose.—Tupeuxlefaire,chuchotai-jeencore.Etj’ouvrislaporte.L’air froidme fouettaaussitôt.Rappelez-moiquiavait eu labrillante idéed’allernagerenplein

novembre?Ahoui,moi.Claquantdesdents, j’approchaidubordde lapiscineet faillis avoiruneattaquequandWesposaunemainsurmonépaule.

—Prête?demanda-t-il.Non.Jedéglutisetluiadressaipourtantunhochementdetêtesaccadé.Avecunsourirecompréhensif,ilm’attiradanslecocondesesbras.Soncorpsétaitbrûlantcontre

lemien.Laseulechosequinousséparait,c’étaientnosmaillotsdebain,ettrèsfranchement,untrucme fichait une frousse dingue : j’avais envie qu’il n’y ait rien du tout entre nous, pour que jemeretrouvecolléecontreluietluiseul.J’enauraispresqueoubliélapiscine,oubliématerreur.—N’aiepaspeur,chuchota-t-ildansmescheveux.Jetetiens.—Promis?—Paroled’honneur,jenetelaisseraipastomber,pastouteseule.Jenetelaisseraipastenoyer.Je

ne te lâcheraipas lamainavantque tu tesentesprête,etmêmealors jene te lâcheraipasdesyeuxjusqu’àcequetusoisretournéesurlaterreferme.—OK.—Sûre?fit-ilenreculantd’unpas.—Oui,jepréfèreenfinirvite.—Ah,ladoucemusiqueauxoreillesdetouthomme.Éclatantderire,ilm’aidaàentrerdanslapiscine.

Chapitre33

WESTON

Elle n’a pas la moindre idée de l’effet qu’elle me fait… C’est mon médicament, moninfirmière,montout.Siseulementlescœurspouvaientsesoignercommeça,àtraverslesbattementsdeceluid’unautre…

—Etvoilà.Jel’aidaiàdescendrelapremièremarchedel’immensepiscine.C’étaitunbassinàdébordement.

Aupremiercoupd’œil,onavaitl’impressionquelapiscinesedéversaitdirectementdansleSound,alorsqu’ilyavaitenréalitéunjolipetitdéniveléquitombaitdansl’eauchaude.—Elleestchaude.Kierstentapaunpeudespiedsetrelevalesyeuxversmoi,m’offrantlesourirelepluséclatant,le

plussexyquej’aiejamaisvusurseslèvres.Pleind’espoiretdeconfianceenmoi,ennous.J’auraisdûluidireàcemoment-là.Luiavouerquejen’étaispaslehérosqu’elleimaginait.Non,non.Quejeluicachaisuntruc,unpetitdétailquifaisaitdemoileméchantdel’histoire,ensomme.Maismerde,j’avaisenvied’êtrelehéros.LesparolesdeGabemehantaient.«Neluidispas.»Savoixmartelaitdansmatête,merappelantquejedevaislalaisserprendreses

propresdécisions.Quelorsquelaballeretomberait, jedevais la laisser tomberdanssoncamp,pasdanslemien.«Fais-moiplaisir,laisse-laendécider.Nelefaispaspourelle.»Kierstenn’étaitpascommelesautresfilles.Ellenepartiraitsansdoutepasencourant.Non,elle

s’accrocherait.Jemesentiraisencoreplusmalausujetdemonavenir,etauboutducompte,ellemedétesteraitdel’avoirprivéedecettepossibilité.Jene…—Wes?Kierstenposalesdeuxmainssurmesjoues.—Oùtuesparti?—Désolé,jeréfléchissais,répondis-jeensouriant,avantdedescendreladeuxièmemarche.C’est

bien,continue.Jesentissamainsecrisperdanslamienne,maisellem’imita.—Tuvois?Jel’éclaboussaiunpeudemamainlibre.—Çan’estpasbiencompliqué,c’estmêmesuperfastoche.L’eauestbonne.—Trèsbonne,répéta-t-elleenclaquantdesdents.C’estvraiqu’elleestbonne.Et elledescendit ladernièremarche.Elle avait désormaisde l’eau jusqu’à la taille.Dieuqu’elle

étaitbelledanscemaillotdebain.Dessouvenirsrevenaientmehanter.Jemecomportaiscommeunconnard égoïste, mais ça faisait des semaines que je me demandais à quoi elle ressemblerait enmaillot. Que je rêvais de découvrir chaquemillimètre carré de cette peau rayonnante. De voir lalumièredusoleilserefléterdanssescheveux.

Uncondamnén’avait-ilpasdroitàunderniervœu?Mêmelesprisonniersducouloirdelamortavaientdroitàundernierrepas.Kierstenétaitlemien.—Viens.Jem’éloignaià lanage, toujoursfaceàelle, laissant l’eaumerecouvrir le torse.Elleétaitàune

températureconfortabledetrente-deuxdegrés,presqueaussichaudequ’unebaignoiregéante.Marmonnant ungrosmot,Kiersten s’avançaversmoi ; l’eaumonta jusqu’à ses seins. Je savais

bienquejemecomportaiscommelegarslambda,maisjenepouvaism’empêcherdelareluquer.Etsoudainj’éprouvaiunetellejalousiepourcetteeauquilatouchaitendesendroitsquimeresteraientéternellementinaccessiblesquejelâchaiunjuronetdétournailesyeux.—Wes!Elletenditlamainetmesaisitparlebras.—Jemeursdetrouille,etcommejetel’aidit,j’aienviequ’onenfinisseaussivitequepossible.—Arrêtederépéterça,tublessesmonego.—Trèsbien,fit-elle,etsesdentsclaquèrentdeplusbelle.Jesuissuperexcitée.Elleavaitplutôtl’airducondamnéavantsonexécution.—Presséequ’oncommence,rectifia-t-elle.Alors,sionpouvait…nager?—Biensûr,répondis-jeavecunlargesourire.Leçonnuméroun…—Quoi?—Laplanche.—Jenesaispas.—Toutlemondeflotte.—Jenesaispasflotter.Jelâchaiunsoupiretlaregardaidroitdanslesyeux.—Tumefaisconfiance?Ellehochalentementlatête.—OK,alorsallonge-toisurledos.Tusensmamain?Jenetelaisseraipastenoyer,etl’eaun’est

pasassezprofondedetoutefaçon,alorslaisse-toiallerversl’arrière,détends-toietpenseàquelquechosedegai.—Jesuistropterroriséepourpenser.Lecorpsaussiraidequ’unpiquet,elles’appuyacontremamainetcommençaàflotter.—Penseànosbaisers.Jedéplaçailesmainsdesondosverssesfesses,maintenantsoncorpsenpositionallongée.—Penseàmesmainsquisepromènentlentementsurtoncorps,jusqu’àcequetunepuissesplus

penseràriend’autrequ’àcequejevaisfaireensuite.—Etqu’est-cequetuvasfaireensuite?Savoixétaitpluscalme,sarespirationplusrégulièrealorsqu’elleselaissaitallerdansmesbras,

confiante.—Jevaistedévorerdesyeux.Jevaisobserverchaquemillimètrecarrédetapeau,lesmémoriser,

etlesrangerdanslapetiteboîtedansmatêteétiquetée:«Laplusbellefilledumonde».Jevaistetenirjusqu’àcequetusoisprêteàcequejetelâche.Etunefoisquetuflotterastouteseule,jeresterailààtedévorerdesyeux,àtevouloir,àtedésirer.AupointquejedevraiallersauterdansleSound.Soncorpssefitcomplètementmouentremesbras.Jelalâchai.Ellenebougeapas,continuajusteàflotter.—Avertis-moiquandtumelâcheras.

—OK,répondis-jeenriant.Jevaistelâcher,d’accord?Aussitôtellesecrispaetcommençaàs’enfoncersousl’eautandisquesoncorpssepliaitendeux.

Jelarattrapaiavantqu’ellenecoulevraimentetlaserraidansmesbras.—Tapremièreleçonrésidedanslapeur.—Hein?Ellecollalesmainsàmontorse.—Tu flottais toute seuledepuisàpeuprèsquinzesecondesquand je t’aiannoncéque j’allais te

lâcher. À la seconde où je t’ai avertie, tu t’es préparée à couler. En d’autres termes, ton esprit aéchoué,donctoncorpsaéchoué.Ellemefitunegrimaceetdétournalesyeux.—Engros,j’aimoi-mêmesabotématentative.—Engros,oui,confirmai-jeavecunlargesourire.J’adoraislafaçondontelleemprisonnaitsalèvreinférieureentresesdents.—Tunepeuxpastelancerdansuneentrepriseavecl’idéequetuvaséchouer.Avoirpeur,çan’est

pasforcémentnégatif.Ellefermalesyeux,paupièrestrèsserrées,etcroisalesbras.—OK.Jecomprendscequetumedis,saufquejenesaispascommentmecontrôler.Chaquefois

quejevoisdel’eauouunepiscine,jememetsàtrembler.Jeflippeenpensantqu’ilvam’arriverlamêmechosequ’àmesparents.Oui,jesaisquec’estillogique,maislapeurrestelà.—Lapeur…Jeluidécroisailesbrasetmêlaimesdoigtsauxsiens.—…est précisément ce qui fait quenousnous sentons envie.Lapeur contracte nosveines, et

l’amygdale, une minuscule partie de notre cerveau en forme d’amande, envoie un signal à notresystèmenerveux.Unsignalquinoussuggèredefuiroudenousbattre.—Etlemiendit«fuis»,conclut-elleavecunriresansjoie.Jel’attiraiplusprèsdemoi.—Voilà.C’estcommeçaqu’onévitedese fairedévorerpar lesanimauxsauvages. Ilnous faut

bienunsystème,à l’intérieurducorps,pourdéciderdefuiroudelutter.C’estvrai, tu imaginescequeceseraitdevivredansunmondesanspeur?—Onmourraittous.—Exact,confirmai-jeen ricanant.Lesgenssauteraientduhautdes immeublesenpensantqu’ils

peuventvoler.C’estpourquoijedisaisquelapeurn’estpasquelquechosedenégatif.—Attends!Elleessayademerepoussertandisquejel’attiraisavecmoiversleseauxplusprofondes.—Qu’est-cequetufabriques?Jeterappellequejenesaispasnager.—Jesais,chuchotai-je.Enrevanche,moi,oui.—Mais…Jecontinuaisansprêterattentionàsesréticences.—Lapeurpeutêtretonalliée.Tupeuxfairequelquechoseenayantpeur.—Fairequelquechoseenayantpeur?Je me mis à nager jusqu’à en avoir les muscles des jambes qui brûlent, sans lâcher Kiersten

toujoursdansmesbras.—Oui.Parexemple,jepeuxavoirpeurdet’embrasseroupeurdeteperdre.Jepeuxavoirpeur,

quandjefermelesyeux,deneplusteretrouverdansmesbras.Maistoutçanem’empêcherapasderesteraccrochéàtoi, trèsfort.Jesuis lapreuvevivantequevivreaveclapeur…est laseulefaçon

d’avancer. Tu avances, en dépit d’elle, tu combats tes démons, tu bouges. La peur essaie de teparalyser, de t’empêcher de bouger. Elle fait obstacle à ton succès, interrompt ton avancée. Si tuaccomplisleschosesenayantpeur,tuatteinsquandmêmetesbuts;laseuledifférence,c’estquetulefaisenpleineconsciencedeconquérirtonEverest.OK,tesparentssontmorts.Jecillai.Jen’avaispasprévudedireçadefaçonaussidirecte.Maisjecontinuai.—Ettupourraismouriraussi.Sabrusqueinspirationfaillitbienmelafairerelâcher,carellecontinuaitàmerepousser.—Tupeuxmourirentraversantlarue.Ellesedébattaitdeplusbelle.—Tupeuxt’étrangleraveccettedindedefoliequeMeldanousprépare.Jevisleslarmescommenceràluigonflerlespaupières.—Tupeux laisser tes peurs te contrôler, ou bien tu peux contrôler tes peurs.Ne crois pas, pas

mêmeuneseconde,quetun’aspaslechoix.C’estunmensonge.Elles’agitaitdansmesbras,enfonçantlesdoigtsdansmesbiceps,commeautantdepetitsongles

clouésàmêmemachair.—Ettoi?s’insurgea-t-elled’unevoixserréeparl’angoisse.Dequoituaspeur?Quelleesttaplus

grandefrayeur?J’auraisdûdétournerlesyeux.J’auraisdûmentir.J’auraisdûfaireuntasdechosesdifférentesdecellequej’aifaite.—Mourirsansavoirvraimentvécu.Quittercemondeensachantquelafillequimedonneleplus

enviedevivre…devralefairesansmoi.Elleécarquillalesyeux.—C’estunpeulourd.—Hé,çapourraitêtrepire.Jepourraisavoirpeurdel’eau.—Idiot.Etenriant,ellecommençaàrelâchersonempriseautourdemonbras.—Bougelesjambes,l’enjoignis-je.Nager,c’estinstinctif.Agitelesjambesetmaintienstatêteàla

surfacegrâceàtesmains.Jeluimontraicommentpagayeraveclesbras,puisjerelâchaisoncorps.—Jenecoulepas!hurla-t-elleenéclaboussanttoutautourd’elle.Jenecoulepas!Etenl’espacededeuxsecondes,elleétaitdenouveauplaquéecontremoi.—OK,parvins-je à toussotermalgré sesbras serrés autourdemoncou.Mais là, c’estmoiqui

coule.—Oh…Elles’écartaetallas’agripperauborddelapiscine.—C’était…—…unesacréemontéed’adrénaline.Putain,onauraitpresquecruquetut’étaisfaitunshootde

drogue.Jeneparvenaispasàmasquermonenthousiasme.—Merci,Wes.Bon sang, jamais je ne me lasserais de ces lèvres quand elles prononçaient mon nom dans un

souffle.—Mercidenepasm’avoirprisepourunefolle.—Oh,onesttousunpeufous,tunecroispas?

—Si,admit-elleensoupirant.Surtoutnous.—Jevaist’embrasser.Là,maintenant,l’avertis-je.Etaussitôt,jeplaquaimabouchesurlasienne.Noslanguessemêlèrentetjel’entraînaidansl’eau

avecmoi,flottantsurledostandisqu’ellenouaitlesjambesautourdemataille.Moncorpss’éveillaquand ses seins vinrent se coller àmon torse.Avec un grognement frustré, je portai lamain à laficelledesonmaillotdebain,mepersuadantquej’avaisledroitderedevenirletyped’avant,celuiquibaisaitàtoutvasansaucunearrière-pensée.Pourtantj’hésitai.Mamainrestasuspendueau-dessusdescordelettes,commesimesdoigtsavaient

oubliécommentdénouerunmaillotd’uneseulemain.—Wes?appelasoudainlavoixdemonpère.Vousêteslà?Marmonnantunjuron,jerepoussaiKierstenetluiprislesmains.—Danslapiscine,lançai-je.Monpèreapparutàl’angle,toutsourires,uneexpressionentenduesurlevisage.—Euh…J’espèrequejen’airieninterrompu.—Pasdutout,répondis-jetropvite.—Bien,fit-ilenriant.Euh…J’aibesoindeteparlerdequelquechose,Wes.L’écoleaappeléet…Iljetauncoupd’œilendirectiondeKierstenderrièremoi.—Tusaisquoi?Onenparleraplus tard.Pourquoivousnevenezpasprendreuncafé, tous les

deux?J’aienregistrélaparadedeThanksgiving,aucasoùvousauriezenviedelaregarder.—Oui!criaKierstendansmondos.Çafaitdesannéesquejenel’aipasregardée!—Parfait.Ensouriant,monpèrem’adressacemêmeregardentendu,celuiquidisait:«Tuferaismieuxdene

pas toutgâcheravectesconneries.»Je luiadressaiàmontourcesourirequetoutfils lanceàsonpèrequandilveutluirappelerqu’ilestadulteetplusunpetitgarçon.—Allons-y,proposai-jeendonnantàKierstenunbaiser sur lamain.Onfera trempette toutnus

plustard.

Chapitre34

KIERSTEN

J’avaisperdulatêteouquoi?Wesm’apprendànager,etmoijemejettesurluidanssapiscine,engros.Oh,là,là,jen’osemêmepasimaginercequivasepasserquandonirasauteràl’élastique:jesuiscapabledeluienleversesvêtementspendantlachute.

Une fois changée, je retournai au rez-de-chaussée retrouver Wes, mais il n’était pas encore

descendu. Ilétaitdéjà13heures.Meldaavait toutpréparépourque l’onmangeà16heures,cequinouslaissaitquelquesheuresderépit.Jeneplaisantaispas,endisantquejen’avaispasvuledéfilédepuisdes années. Je le regardais toujours avecmesparents, et après leurmort jen’en avaisplusressenti l’intérêt.Toutmeparaissaitvidedesens,enfait.Bizarrement, ilavaitsuffique jesortedemonpetitmondesombreetégoïstepourmerendrecompteduridiculedemonattitudepassée.Fairelatêtenelesavaitpasramenés.Pleurernem’avaitpasrassérénée.Mecacherdansmachambren’avaitpasfaitdisparaîtreladouleur.Vivre,enrevanche,vivreavaitétémonsalut,à l’instardeWes. Ilétaitunpeumoncoachdevie

personnel,àcettenuanceprèsquej’avaispeurdetombertropviteettropfortamoureusedeluipourretrouvermonchemin.Jerepoussaicettepensée;nousnousapprécions,c’étaittoutcequiimportait.Sijecommençaisàtropenvisagerl’avenir,j’allaismelaisserentraînertroploin,commetoujours.Aprèstout,jen’avaisquedix-huitans.Jenesouhaitaispasmemarier.Putain!J’étaisdéjàentraindepenseraumariage?Vousvoyez?Voilàpourquoilesfillesavaientbesoindecopinespourlescalmer.J’envisageaiun

instantd’appelerLisa,maiscettefille-làétaittoutsauflavoixdelaraison.Elleseraitcapabledemeconduireelle-mêmejusqu’àLasVegas,sijeleluidemandais.Lamain suspendue au-dessus du téléphone, j’attendais d’amasser suffisamment de couragepour

composerlenumérodeGabequandl’écrans’alluma.C’étaitlui.—Salut,répondis-je.J’allaisjustementt’appeler.AssisesurlecanapédusalonenattendantWes,j’enroulaiunemèchedecheveuxentremesdoigts.—Oui,oui,biensûr,réponditGabeenriant.J’appelaisjustepourm’assurerquetuétaistoujours

envie.J’aientendudirequetuétaisalléenager?— Comment tu es au courant ? manquai-je de m’étrangler. C’était il y a quarante minutes

seulement.—Lepetitamidequelqu’unm’atéléphonépourmeteniraucourantdesaventuresdeKiersten.JevisualisaidansmatêtelesouriresatisfaitdeGabetandisqu’ilmeparlait.—Etilvoulaitquejesoislepremieràteféliciterpourtoncourage,poursuivit-il.—Nager,çan’ariendecourageux,geignis-je.J’ail’impressiond’avoircinqans.—J’aiportédesbrassardsjusqu’àl’âgedequatorzeans,m’informasèchementGabe.Cequetuas

faitétaitvraimentcourageux.—Quatorzeans?répétai-je.—J’avaisunelégèrephobiedesrequins.—Enpiscine?— On ne parle pas de moi, fit-il pour changer de sujet. Comment se passe le conte de fées,

Cendrillon?—Ilsepassebien,répondis-jedansunsoupirbienheureux.Wesestparfait.Toutestparfait.Jeme

sensbien.Tropbien.J’aipresquel’impressionquequelquechosedemauvaisvaforcémentsepasser,tuvoislegenre?Gabedevintsoudainsilencieux.—Gabe?—Oui,jesuislà.(Illâchaunjuronàmi-voix.)Jeréfléchissais.Bon,ilfautquejetelaisse,mais

fais-moiplaisir :neréfléchispas trop,OK?Profite justed’avoir lemecdevingtetunans leplusrichedumondeàtespieds,fais-luidesbisousetsavourelesmomentsquevouspassezensemble.—Hein?—Benoui,répliqua-t-ilens’éclaircissantlagorge.Avantlareprisedescours.—Ahoui, la semaineprochaine. J’avaispresqueoublié.Mercipour tabonnehumeurdignedes

fêtesdefind’annéeunpeuenavance.—J’aiétéelfedupèreNoëldansuncentrecommercial,unefois.—Yadesphotos?—Toutesontétédétruitesdansundramatiqueincendiequiheureusementn’abrûléquecettepartie-

làdemachambre.Bizarre.Bon,reprit-ilenriant,retournet’amuseretonsevoitlundi,OK?—Cool!—Oh,etrappelle-toiquetudoisaccompagnerLisapourallerachetervosrobespourlasoiréede

Homecoming.Ellevapiquerunecrisesituoublies.—OK,c’estnoté.Wesentradanslapièce,etjeraccrochaisansmerendrecomptequejen’avaispasdit«aurevoir»

àGabe.Troptard.—Mouchard,lançai-je.Illevalesmainsdevantmonairaccusateur.—Jepensaisquetuavaisbesoind’unautresupporterdanstonéquipe,voilàtout.Ilavaitlesjouesunpeucreusées,etdescernessombrescommençaientàsedessinersoussesyeux.—Tutesensbien?demandai-jeenluiposantunemainsurlefront.—Oui,répondit-il.Maissonsourireétaittendu.—Wes,nememenspas,l’avertis-je.Ilsoupira.—OK, jenesuispasàcentpourcent,mais labonnenouvelle,c’estqu’onvapasser le restede

l’après-midiàregarderdesfilmsetàmanger,sanscompterqueplustardjeteverraitoutenue,cequivamefairemajournée.—Doncsijerésume,tunevisquepourdeuxchoses:lanourritureetlesexe?—Çameparaîtassezjuste,maisjediraisquejenevisquepourlanourriture.Vivrepourlesexe,

çafaittrop…—Trop«Gabe»?suggérai-je.—Touché.

Ilarboraitungrandsourire,maisbaissalesyeuxausolenenfonçantlesmainsdanslespochesdesonjean.—Jenesuispluscethomme-là,Kiersten,tudoislesavoir.Ils’humectaleslèvresetm’offritcesouriresisexy,celuiquicommençaitàdevenirl’unedemes

raisonsderespirer.— Putain, reprit-il, j’aimerais qu’il en soit autrement. Car ça m’éviterait peut-être cet état

d’excitationpermanente,depuisqu’onestici.Jesentismesjouess’échauffersousl’effetdelagêne.Avecunsoupirdésespéré,ilmesoulevale

mentond’unemainetmedéposaunbrefbaisersurleslèvres.—Jet’aimebeaucoup,tulesais,pasvrai?Jehochailatête,préférantnepasparlerpuisqu’aufond,toutcequejevoulaissavoirétaitpourquoi

iln’étaitplus«cethomme-là».Etpuis,yavait-ilquelquechosequiclochait,chezmoi,quelquechosequime rende déficiente ? Pourquoi ne voulait-il pas être comme ça avecmoi ?Bon, d’accord, jen’étaispascertainemoi-mêmed’êtreprête,jevoulaisjustesavoirquej’étaisdésirabledecepointdevue-là,pourlui.—Nemeregardepascommeça,commenta-t-ilensoupirant.Monself-controln’estpasàsontop,

là.Enfait,jevaispeut-êtredevoirt’enfermeràdoubletourdanstachambre,cettenuit,etjeterlaclé.Leproblèmen’estpasquejenetedésirepas,Kiersten,insista-t-il,prenantmesmainspourembrasserl’intérieurdemespoignets.Leproblème,c’estquejetedésiretrop,quejetiensbeaucouptropàtoi,alorss’ilteplaîtacceptececi:ceseraitmauvaissignesijetecollaiscontrelemur,ouausol,ousurlatable.BonDieu,çafaitdesjoursquejenourriscefantasme.Toiàcôtédeladinde.Ilm’adressaunclind’œiletmepassaunbrasautourdesépaules.—Jeteveux,maisjeveuxquetoutsepassedefaçonparfaite.Orlà,c’estencoretropnouveau.Tu

comprends?—Biensûr,mentis-je.Enfait,jenem’étaistoujourspasremisedel’imagesuscitéeparWes:luietmoisurunetableà

côtédeladinde.Ilétaitdérangé?Jesecouailatêteenriantetlesuivisdanslasalledeprojection.—Parade!lança-t-ilenmejetantuncoussinauvisage.—FaisvenirTinaladinde.Jelevaiunemainpourqu’ilfrappededans,aulieudequoiilm’attiraàluipourunbaiserbrûlant.—T’embrasser,soupira-t-il,c’esttoujoursmeilleurquetetaperdanslamain.—Etpourunefois,letaquinai-je,lepetitagneauestd’accord.—Leloupesttrèscontentquel’agneaucomprennesagrandesagesse.Àprésent,assieds-toiavant

queleloupnebondisse.—Assise.—Trèsobéissante.Jecroisquej’aimebienêtreautoritaire.—Continueàl’être,etonverrasituaimesrecevoirdesgiflesdelapartdupetitagneauobéissant.—Etj’appuiesurlebouton,marmonna-t-il.

Chapitre35

WESTON

Il fallait qu’il vienne tout gâcher. Il fallait qu’il parle de Tye. Il ne pouvait pas s’enempêcher.Pourunefois,uneseulefois,jevoudraisdesvacancesnormales,oùriennenousrappellelamortquifrappeàtouteslesportesdecetteputaindemaison.

—J’aiditquejen’avaispasenvied’enparler,grognai-jeenessayantdecontournermonpère.Jen’enrevenaispasqu’ilmetteçasurletapismaintenant.Ledîneravaitétéincroyable,Meldaavait

étésiraviequ’onnesedisputepasàtablequ’elleenavaitpleuréenramassantlescouverts.Eneffet,onavaitréussiàacheverlerepasdeThanksgivingsanssesauteràlagorge,cequiétaitun

exploit.Tyes’étaitsuicidéleweek-enddeThanksgiving.Celaferaitexactementunandemain.Ilavaitprétenduavoirdestrucsàfinirsurlecampusetprissavoiturepourparcourirlesquelques

kilomètresquil’enséparaient.Lelendemain,onétaitcensésallerfairedescoursesavecMelda–unegrandefandupremierjourdessoldes.Tye avait été découvert dans sa chambre. Un flacon de médicaments à la main. Le rapport

d’autopsieindiquauntauxdeXanaxetd’alcooldémentdanssonsang.Ilavaitcesséderespirer,voilàtout.Sondiaphragmen’étantpluscapabledesouleverassezsespoumonspourqu’ilinspire.Quandl’ambulanceétaitarrivée,lestoubibsavaientespérélesauver.Ilétaitmortàl’hôpitallanuitmême.Jedétestaisleshôpitaux.—Regarde-moiquandjeteparle,exigeamonpèreenabattantlepoingsursonbureau,lesyeux

gonflésdelarmes.Jenepeuxpasteperdretoiaussi!—Jeveuxrester.Ilsepinçal’arêtedunez.—NomdeDieu,Wes!Unmatchdepluspourraittetuer.Tuesconscientdeça?—Jeluiaidonnémaparole.—C’est une enfant ! criamon père. Elle s’en remettra !Qu’est-ce qui te dit qu’elle t’apprécie,

seulement?Ouqu’elleapprécieautrechosecheztoiquetonphysiqueettonargent?Évidemment,làelle t’aime bien. Tu lui as donné tout ce dont rêve une fille, mais qu’arrivera-t-il quand elleapprendra,pourtamaladie?Quandelleapprendraquetun’esplusdansl’équipedefootball?Quecrois-tuquisepasseraalors?Est-cequ’elleresteraàtescôtéspourtetenirlamain?Oubienira-t-ellesetrouverundetescoéquipierspourlabaiser?Jamaisdetoutemaviejen’avaiseuplusenviedefrappermonpère.—Neparlepasd’ellecommeça,aboyai-je.Tunelaconnaispascommemoi.—Amourdejeunesse,répliquamonpèreensecouantlatête.Tunecomprendsdoncpas,Wes?Il

nes’agitpasd’elle.C’estpourtoiquejem’inquiète.Jecrainsqu’elletebriselecœur.J’aipeur,j’aipeur,j’aipeur.Jenepeuxpasperdremesdeuxfils.

Savoixsebrisa.—J’ai toutperdu.Çametueraitde teperdre, toiaussi.Tudois teconcentrersur taguérison,au

lieudetedisperseravecelle.Tuaspristesmédicaments,aujourd’hui,aumoins?Monderniercachetmebrûlaitlapoche,unefournaisedelatailleduTexas.Jehochaivaguementla

têtepuishaussailesépaules.— J’ai un dernier comprimé à prendre ce week-end, ensuite je commence la dernière fournée

lundi.Monpèresoupira.—S’ilteplaît,nelalaissepasgênertaprogression,monfils.Tudoisvivre,jenepeuxpas…Denouveausavoixsebrisa.—Tudoisteprépareràl’éventualitéquejenesurvivepas,papa.—Non,arrêteavecça.Jerefused’ycroire.Lesdocteursontdit…—Lesdocteursontditquej’avaisunechancedem’ensortir.Maisilsn’ontjamaiseuaffaireàune

tumeuraussiagressiveavant,etilsepeutqu’ilsoitdéjàtroptard.OK?Alors…Nememetspastoutecettepressionsurlesépaules,quandmaréalitérisqued’êtrel’exactopposédelavie.Nemefaispasdire ce que je n’ai pas dit. Jeme battrai de toutesmes forces pour rester ici aussi longtemps quepossible,maisnefaispaspesercetteculpabilitésurmoi…simebattrenesuffitpas.Lapièce se trouva enveloppéed’un épaisvoilede silence.Puis jevismonpère faireune chose

qu’il s’était interdite depuis la mort de Tye. Il s’affala dans son fauteuil et fondit en larmes, lesépaulessecouéesdesanglotsdontlessonsmebrisèrentlecœur.Leventreserré,jem’approchaideluietposaiunemainsursonépaule.Ilmelasaisitsanscesserdesangloter.—Çan’estpasjuste.—Lecancer,c’estrarementjuste,marmonnai-je.Etpersonnenenousavaitjamaispromisquela

vieseraitjuste.—Elledevraitl’être.— Papa, repris-je d’une voix rauque, la vie n’est pas juste, OK. Mais vivre… Vivre, c’est le

paradis.Vivreestuncadeau.Chaquecadeauestdifférent,chaquecheminestdifférent,etchacunalesien,qu’ilnechoisitpas,etplusviteonl’accepte,plusviteonpeutarrêterdepleureretcommenceràvivre.—Depuisquandtuesaussisage?demanda-t-ilenriantàtraversseslarmes.— C’est grâce à cette fichue thérapie que tu m’as obligé à suivre… Et parfois, papa, il faut

traverserl’enferpouratteindresonparadis.Jetournailatêteverslaporte.—C’estàcepoint?—Quoi?—Elleteplaîtàcepoint?Jedéglutis.—Pire.Jel’aime.

Chapitre36

KIERSTEN

Petitàpetit, jememettaisàvivrepoursessourires, sescaresses,n’importequoide lui.Punaise,ilm’adressaitunsigneetmoncœurfaisaitdessautspérilleux.

— Je n’arrive pas à croire qu’on soit en train de faire ça, grommelai-je en laissant tomberma

culottedemaillotdebainausol.Jefermailesyeux.Courageuse.Jedevaisêtrecourageuse.—Jenecomptepastevolertavertu,aumoinstun’aspasàt’inquiéterpourça,ricanaWes,déjà

danslapiscined’oùilenvoyaitdeséclaboussurespartoutautourdelui.Etjetournerailatêtequandtumonteraslesmarches.Maisbon,jenevaispastementir,jesuisdotéd’unebelleimagination,ducoupjevaisrêverpendantquetuentrerasdansl’eau.—Pasdutoutflippant,plaisantai-je.—Non,pasdutoutflippant.Magnifique,c’estmagnifique.—Hein?—Désolé,j’avaisdéjàcommencé.Allez,dépêche-toi!—Merde.—Oh,lepetitagneauaditungrosmot!metaquina-t-il.Tudeviensunevilainefille,quandtusors

detazonedeconfort.—OK,OK,jerentre.—Jemetourne.J’entendis des éclaboussures tandis que jem’approchais de la piscine et lâchaisma serviette.La

lumière de la lune dessinait parfaitement la silhouette deWes. Son dos sculpté ressemblait en toutpointàcequ’évoquaienttoutesleschansonsd’amour.Soncorpsétaittoutcepourquoileshommesdepouvoir sebattaient.L’eau lui léchait joliment la taille. Je regardaiunpeuplusbas.Fantastique.Enfin, l’eaunelaisseraitpasdesmassesdeplaceàl’imagination,si jemetenais justesouslalune.Par sécurité, je progressai le long du bord de la piscine, là où la lune projetait une ombre. PasquestionqueWesmevoie.Jen’avaispashontedemoncorps,hein,mais…Maisbon,çafaisaitunpeubeaucoup,demeretrouvernuedansunepiscineavecquelqu’un.ÇaauraitétéLisa,jemeseraissentietoutaussimalàl’aise,d’ailleurs.Le contact de l’eau chaude était agréable contrema peau. J’étais encore plus nerveuse que dans

l’après-midi,cartoutsemblaitplusvivant,plussensible.Lentement,j’avançaiversWes,courbéedefaçon que l’eau recouvre mes épaules. Non contente de devoir vaincre ma peur de l’eau pour lasecondefoisdelajournée,j’étaiscomplètementnue.—Alors,commenttutesensdanstoncostumed’Ève?demanda-t-ilsansmeregarder.—Bizarre.—Tuvast’yhabituer.Avecunhaussementd’épaules,ilseretourna.Jeretinsmonsouffle.

—Pourquoitunerespiresplus?J’expirai.—Tuasencorepeuràcepoint?s’enquit-il,lestraitstendusparl’inquiétude.—Del’eau?Unpeu,admis-jeenregardantautourdemoi.Detoi?Beaucoup.—Tuveuxque je te racontedesanecdotesgênantessurmoi,histoired’effacer ladernière trace

d’attiranceentrenous?S’illefaut,jem’ycolle.Jen’enaipasenvie,mais…J’éclataiderireetattendis.—Bien.Quand j’avaisdixans, j’ai sautédu toitde lamaisonpouressayerdevoler. J’ai atterri

danslapiscine,cequiaamortimachute,etmonpèreatoutvu.C’étaitmonfrèrequim’avaitmisaudéfidelefaire.Ilm’aaussimisaudéfidemangerunemouche,unefois.—Ettul’asfait?—Quoi?—Mangerunemouche.—J’enaimangédeux.Ilaprétenduquelapremièreétaittroppetite,alorsilenaattrapéuneautre.—Waouh.Jel’agrippaiparlamain,encoreunpeunerveuse.—Ondiraitquetuasétébeaucouptyrannisé,entantquefrèreaîné.—Beaucoup.J’aiétéénormémenttyrannisé,maisjelereferaisavecplaisirsi…Savoixsebrisa.—Sionmedonnaituneseulechancedeluidirequejel’aime.Jeluirelâchailamainetposailesdoigtscontresondos,luioffrantunesortedemassagedestinéà

leréconforter,mêmesijenetrouvaispaslesbonsmots.—C’estpourçaquejevoulaisquetuviennes…Jeveuxdire,àlabase.Tumerendsplusfort.C’est

dingue,non?Ils’estsuicidélejourduBlackFriday…çadonneundoublesensauxmots,pourmoi.Parfoisjemedemandes’ill’afaitexprès.S’ilachoisicejour-lààcausedumot«noir»,ouparcequec’était le jourde l’anniversairedenotremère,quiétaitdéjàmorteetenterréedepuisquelquesannées.Bon,jen’auraijamaislaréponse.—Monpauvre,soufflai-je.LeBlackFriday,ilcraintvraimentpourtoi.Ilrit.—Tul’asdit.Alorsbon,BlackFridaynetombepastoujourspilelemêmejour,maisquelleque

soitladateexacte,mêmeàunesemaineprès…jedétestecejour.—Mercidemefairesuffisammentconfiancepourmeracontertoutça.Et sans réfléchir, je l’attirai dans mes bras. Nos deux corps s’enflammèrent à l’instant où ils

entrèrentencontact.Uneéruptionvolcanique. Ils s’emboîtaientparfaitement.À tous lesniveaux.Jeplongeaidanssesyeuxetsoudainjesus:cegarçonétaitceluiavecquijevoulaispasserlerestedemavie.Montoujours.—Mercid’avoiracceptédevenir.Etd’êtremapetiteamie.J’ail’impressiondenepastemériter,

denepasmériterça.Nosdoigtssemêlèrentetilmeserraplusfortcontrelui.—Enfait,jesaisquejeneleméritepas.—Lavie,çan’estpasunehistoiredemérite,répondis-je,avantdefermerlesyeuxdansunsoupir.

Cen’estpastoiquimerabâchesenpermanencetoutescesphrasespleinesdesagesse?Ilsourit.— Si on attend d’être méritants, on risque de poireauter un sacré bout de temps, ajoutai-je en

haussantlesépaules.Moi,jepréfèreconsidérerquesijeneméritejamaisrien,çanefaitpasdemoi

unemauvaisepersonne.Çamerendjusteplusreconnaissante.—Danscecas,jesuisreconnaissant,murmuraWes.Reconnaissantdet’avoir.Jeremercieleciel

det’avoirmisesurmaroute.Peut-êtrequeDieumevoit,aprèstout,conclut-ilenrenversantlatêtefaceauciel.Encetinstant,jepeuxcroirequ’ilsepréoccupedemoi.—Pourquoi?Ilbaissadenouveaulesyeuxsurmoi.—Parcequ’ilt’adonnéeàmoi.Monsouffles’accéléraquandWesm’effleuralajouedeseslèvres,puislementon,lenez,lesyeux

etenfinleslèvres.—C’estlemeilleurThanksgivingdemavie.Jelaissaiéchapperunsoupircontresabouche.—Ilfaudratenterdefairemieuxl’anprochain.Sonétreinteseresserraautourdemesbras,toutenmepoussantcontreleborddelapiscine.—Promets-moi.—Quejetepromettedefairemieux?—Promets-moiquequoiqu’ilarrive,tuferasensortequeleThanksgivingdel’anprochainsoit

mieuxqueceluidecetteannée.Son regard était féroce,brillant au clair de lune. Jene savaispas trop cequi causait ce soudain

changementd’attitude.Pourtant,jehochailentementlatête.—Promis.Ildesserrasonétreinte.—Désolé,jenevoulaispasmecomportercommeundémentavectoi.—Désolée,jenevoulaispastesauterdessus.—Hein?Tunem’aspas…Je lui appuyai sur la têtepour le faire couler et tâchai de regagner le côtémoinsprofondde la

piscineenm’accrochantaubord. Jen’étaispasencoreassezbonnenageusepouryparvenir seule.J’étais tout près du but. Mais soudain, les mains de Wes se posèrent sur ma taille. Ses doigtsm’effleurèrentlesseinsparmégarde.Jemefigeai.Luiaussiparutcesserde respirer,et ilme fit lentementpivoterentresesbras.Sesyeuxaffamés

dévoraientchaquemillimètrecarrédemoncorps.J’étaisàdemihorsdel’eau.Putain,qu’est-cequej’étaiscenséefaire?—Sijen’étaispassimotivépourallerauparadis…Avecunsouriretriste,ilmerelâcha.—Allonsregarderunfilm.—Fini,lebaindeminuit?—Sionresteuneminutedeplusdanscettepiscine,commeça,toutnus,jepeuxdireadieuàmes

promesses.Etildétournalesyeuxdansunjuron,avantdes’éloigneràlanageducôtéleplusprofonddela

piscine.—Ahoui?Jeportaimesmainsauxhanches,pasmécontentequ’ilaitdesdifficultésàsemaîtriser.—Oui,genresi tunesorspasdecette fichuepiscined’icicinqsecondes, jevaisprofiterde toi

contrelecarrelage,orjem’envoudraisquetapremièrefoissoitaussiviteterminée.Jemesentisrougir.Etpuisjefilaihorsdelapiscine,àlafoisgênéeettoutexcitée.

—Bonchoix!lança-t-ildansmondosalorsquej’attrapaisuneserviettepourallermerhabiller.Conscientequ’ilétaitridiculededevoirpasser lanuitdanslesbrasdeWespournepasavoirde

cauchemars, je me préparai à aller me coucher en me promettant d’essayer de dormir seule etd’arrêterdefairelebébé.J’étaisentraind’entasserlescoussinsdansuncoinquandonfrappaàmaporte.Lelitfutbientôt

débarrassédetoutcequil’encombrait.Jemedirigeaiverslaporte,quej’entrouvrisàpeine.Wesétaitlà,torsenudenouveau,seulementvêtud’unbasdepyjama.—Petitagneau?fit-ilenpenchantlatête,àlamanièred’unprédateur.—Loup,répondis-jesèchement.—Jemesuisditqueturisquaisd’avoirpeur.Ils’éclaircitlagorgeetsebalançasursespieds.—Alorsjesuisvenut’offrirmesservicesdecâlins.—Ahoui?m’esclaffai-jeencroisantlesbras.Commec’estnobledetapart.—Eneffet.Ilbaissalesyeuxausolets’appuyaàl’encadrementdelaporte.—Àdirevrai,reprit-il,jevoulaisjustepasserlanuitavectoi.Ilestpresqueminuitetvraiment…

jen’aipasenviedemeréveillerseul,paspourBlackFriday.J’ouvrisplusgrandlaporteetlelaissaientrer.—Tuconnais les règles, commençai-je, avant dem’éclaircir la gorge.Tudoisdormir emboîté

derrièremoi.—Laisse-moisortir!Laisse-moisortir!Iléclataderireetfitminedeseruerverslasortie,maisjelerattrapai.—Promets-moi,ordonnai-je,lesdeuxpaumescontresontorse.Jelaissaidescendremesmainscontresesmusclesetplongeaidanssonpantalondepyjama.Ilbalançalebassinversmoi.—Jeteprometstoutcequetuveux,situcontinuescommeça.—Sifaible,commentai-jeensecouantlatête.—Siattirante,contra-t-ilenmelevantlementon.Sidur…detedire«non».—Alorsdis«oui».Etavecunclind’œilpar-dessusmonépaule,jesautaisurlelit.—Dis-moi,depuisquandtuesdevenueunetentatricepareille?—C’estlescheveuxroux.Soupirant,jemetournaisurleflanc.—Touts’explique,confirma-t-il,et il tenditunemainpourenenroulerunemècheautourdeses

doigts.Ilsvontmemanquer,tescheveux.—Tucroisquejevaislescouper?—Non,çavajustememanquerdenepasêtreétoufféparcettecrinièreaumatin.Tun’aspasidée

del’excitationqueçameprocurequandjemeréveilleavectonodeurpartoutsurmoi.Jenesavaispastropquoirépondreàça.—Jet’aimisemalàl’aise,comprit-il,penaud.Désolé,tusaiscommejesuisnulenautocensure.Jecalailesmainsderrièrematête.—C’estbon,çava.Lesilencetombasurlapièce.Wesétaitallongésurledos,lesyeuxrivésauplafond.Sarespiration

était régulière et assez forte. Une fois de plus, je remarquai les cernes noirs sous ses yeux, et je

l’examinaideplusprès.Sapeaun’avaitpassateintedoréehabituelle;elleétaitpluspâle,onauraitpresqueditqu’ilavaitpassélanuitàtraînerenvilleenquêtedesadose.Jemepassailalanguesurleslèvres.—Wes,est-cequetupourraismementir?—Hein?Ilsetourna,sivitequenostêtesfaillirentseheurter.—Réponds-moi.—Non.Etildétournaaussitôtlesyeux.—Tutesensbien?Sespupillessedilatèrent,ilbaissalesyeuxetpuissesépauless’affaissèrent,commes’ilsupportait

lepoidsdumonde.—Repose-moilaquestionaprèsHomecoming.—Hein?PourquoiaprèsHomecoming?Ilhaussalesépaules.—Jenepeuxpastementir,alorsrepose-moilaquestionaprèsHomecoming.Etjetedirai.—Tum’expliqueraspourquoiparfois tuas l’air fortcommeunbœufalorsqued’autresfois, tu

semblesteniràpeinedebout?—Jetediraitout,répondit-ild’unevoixépaisseetrauque.Jetelepromets.—OK.Je n’étais pas satisfaite, loin de là. Il souffrait peut-être de diabète ou d’un truc comme ça ? Je

savais comment les hommes se comportaient vis-à-vis de lamaladie, surtout s’ils ressemblaient àmononcle.Pourdesraisonsdefierté,ilsepouvaitqu’ilsoitgênéd’enparler.Sonbrasmusclévints’enroulerautourdemesépaulesetilm’attiracontrelui.—Ilestl’heuredes’emboîter,petitagneau.—Jenemesuisjamaisemboîtéequ’avectoi.—Tantmieux,me susurra-t-il à l’oreille. Je veux que toutes tes premières fois se passent avec

moi…Commeça,jepeuxtuertousceuxquiessaientdepasserendeuxième.—Jeneveuxquedespremièresfois.Ilpromenasamaingauchesurmahanche.—Jeveuxlamêmechose.—Bonnenuit,Wes.—Bonnenuit,monpetitagneau.

Chapitre37

WESTON

Letempspassebeaucouptropvite.Moncorpsleressent,monâmedétesteçaetmoncœursebriseunpeupluschaquejour.

Jeplaçaiceweek-endavecKierstentoutenhautdemalistedesmeilleursweek-endsdemavie.Le

vendredi, je n’étais pas d’humeur à faire autre chose que traînermon ennui.Nous avions passé lajournéeàregarderdesfilmsenmangeantdupop-corn.Le samedi, nous étions retournés nager et le dimanche, je l’avais aidée à mettre en place son

planningdudeuxièmesemestre.Ellesecherchaittoujoursunematièreprincipale.Elledisaitvouloirenchoisirune,histoiredesedébarrasserdece tracas.Àson idée, lamatièreprincipaledevaitêtredésignéepourlasignificationqu’ellerevêtait;Kierstenvoulaitdonnerunsensàsavie.Choixdontjenepouvaislablâmer,alorsjemecontentaiderestersilencieux,etdel’aideràétablirlesmatièresdetronccommun,dontelleauraitbesoindetoutefaçon.Quand arriva le lundi, je savais que la pendule ne jouait pas enma faveur. J’avais entamémon

nouveautraitement,etn’avaispassubicegenredenauséesdepuisletoutdébut.DavidetJamesétaientinquiets,surtoutàcausedemonderniermatchdefootballàvenir,avantquejenesoisofficiellementexcludel’équipe.Ellenem’avaitjamaisvujouer.J’avaistoujoursjouépourl’équipe,pourlessupporters,pourmonpère,pourTye,etmêmepour

moi.Jamaisdemaviejen’avaisjouépourunefille.Maislàc’étaitspécial,etjevoulaisbienfaire,cequisignifiaitquej’avaisdûmetraîneràl’entraînementalorsquejen’avaisqu’uneenvie:vomiretdormir.La nourriture avait perdu tout son goût.En fait, les choses empiraient lentement depuis lemoisdernier.Kierstennes’enrendaitmanifestementpascompte,maisc’étaitcommesichaquefoisqu’ellemangeait,j’essayaisd’imaginerquelgoûtçaavait.Quej’essayaisdemerappelerlasaveurdeladinde,celledusucre.Et me concentrer sur ce genre de détails m’affaiblissait encore plus. C’est vrai, quoi, quelle

connerie,pourunmecd’unmètrequatre-vingt-quinzeetcentkilos,d’êtrebouleverséparcequ’ilnesentaitpluslegoûtdeladinde!J’essuyai la sueur de mon front et soulevai le poids de nouveau. Tony me surveillait, comme

d’habitude,quandlecoachvintprendreplacederrièrenous.—Tut’ensenscapable?medemanda-t-ilalorsquej’effectuaisuneautrelevée.—Ouais,répondis-je,lesdentsserrées,enreposantlepoids.C’estbon.—Mouais.Lecoachdétournalatêteets’essuyalesyeux.—Ets’ilyaquoiquecesoitquejepuissefaire…—Jenesuispasencoremort,coach,rétorquai-je.—Jesais.

Pourtant,ilavaitleregardmouillédelarmes.Etmerde. Lesmains sur les hanches, je lâchai un soupir et détournai les yeux de l’homme qui

m’avaitaccordémabourseet regardé jouerquandj’étaisendernièreannéede lycée.Onavait toutvécu,ensemble,lesmeilleurscommelespiresmoments,etj’étaiscertainqu’ilavaitl’impressiondeperdreunepartiedesafamille.Jelesavais,parcequeçamefaisaitlemêmeeffetàmoi.Monéquipe,c’étaitmafamille.Mesfrères.Jem’inquiétaispoureux,jemebattaisaveceux,jemangeaisaveceux.Nousétionsuneéquipeetje

détestaislesimaginercontinuersansmoi.Songerquejeneseraispaslàpourleuroffrirmonsoutienquandilsauraientleurdiplôme,oudécrocheraientleurpremierboulot,voirequandilsgagneraientletitresiardemmentdésirédepuisquel’universitéd’Oregonnousl’avaitvolél’andernier.— Je suis un battant, repris-je enfin, les yeux fixement plantés dans ceux du coach. Et je vais

gagner.—Çaoui,tuvasgagner.Ils’approchademoid’unegrandeenjambéeetseplantaàquelquescentimètresdemonvisage.—Tuvasbattrecettesaloperie,poursûr,ettuvasmerendrefierdetoi,pigé?—Cinqsurcinq,coach.Etjetoussotaipourravalerleslarmesquimebrûlaientlefonddelagorge.—OK,fit-ilenmetapotantdansledos.Bienparlé.Maintenantfiletedoucher.Et en se passant une main sur le visage, il se dirigea vers son bureau, dont il claqua la porte

derrièrelui.—C’estmoioulecoachestdevenusuperémotif,cesdernierstemps?m’interrogeaTony.Ilsetenaitderrièremoi,etjemedemandaicequ’ilavaitentendudelaconversation.—Oh, il est juste stressé à cause dumatch, répondis-je en ponctuantmes paroles d’une bonne

claquedanssondos.Tul’asentendu,àladouche!Etjecriaipourrameutermonéquipe,peut-êtrepourladernièrefois.Lematchavaitlieudemain,

mardi.Etceseraitmondernierpourunboutdetemps.

Chapitre38

KIERSTEN

Je le veux plus que tout au monde… On peut choisir Weston Michels, comme moduleprincipal?Parcequejechoisiraiscelui-làaulieudekinésiologie,sanshésiter!

—Enfile-moiça!s’écriaGabeavecunsoupirenmejetantletee-shirtàlafigure.Onvaêtreen

retard.Jeme sentis rougir de honte etme ruai versma chambre pour enfiler lemaillot, sur le devant

duquelavaitétéfloqué«ÉquipeWes»enrouge,entourédecœursgéants.PourquoiGabeavait-ilfaitça?Jenecomprenais toujourspaspourquoi jedevais l’enfiler.MaisGabeavait insisté,prétendantqu’ils’agissaitd’unetraditionpourHomecomingetqueWesseraitsuperfierdemevoirporterunvêtementavecsonnomdessus.Queçaluidonneraitducourage.Jenepouvaism’empêcherdedouterqu’un gars tel queWes ait besoin d’encouragements pour faire quoi que ce soit,mais je préférailaissertomber.D’autantqueGabesemblaitagacéparmoi,pouruneraisonquej’ignorais.—Çavamieux,commeça?demandai-jeenressortantdemachambre.J’effectuaiun rapide tour surmoi-même. Jeportaisde joliesbasketsNike,un jeandéchiré et le

fameux tee-shirt. Je m’étais attaché les cheveux en queue-de-cheval, et peinturluré le visage dunumérodeWes–trente-deuxenmauvevifetor.—Génial,lançaGabeenlevantlepoing.Ehbien,tuvois,qu’est-cequ’ilyavaitdesicompliqué?—Det’écouter?suggérai-jeenbalançantunehanchesurlecôté.C’esttoujourscompliqué.—Moiaussi,jet’adore,répliqua-t-il,lesyeuxauciel.Maintenant,prendstesaffairesetonyva.Ilponctuasesparolesd’unetapesurmesfessesetappelasacousine.—Ramène-toi,Lisa,sinonjetejurequeje…—J’arrive!EtLisasortitdesachambrecommeunefusée.Vuqu’ils’octroyaitunepauseavecsesadmiratrices,

Gabeavaitacceptéd’emmenerLisaaumatch,àconditionqu’ellesetiennebienetneramènepasunmaladementalàlamaison.Elleavaitdûavoirunpasséplusturbulentquejel’avaiscruapriori,carGabesemontraittoujourssuperinquietdesesrelationsaveclesmecs.Jejetaiuncoupd’œilàmontéléphone.Wesdevaitencoresetrouveràl’échauffement.Tantpis,je

luienvoyaiquandmêmeunSMS.Allez32!

—C’estparti!Je courus vers la porte, surexcitée. Je n’avais jamais assisté à une rencontre universitaire, et

franchement,jesavaisqueWesétaitpopulaire–c’estvrai,quoi,ilsuffisaitdeleregarder–,maispasqu’ilétaitLAstard’uneécolecommel’universitédeWashington.Ouais,c’étaitdingue.Gabedisaitqu’ESPN couvrait lematch parce qu’ils affrontaient lesCougars. Super rivalité.Apparemment, ilsn’avaient toujours pas digéré le fiascoduBowl, qui remontait pourtant à de nombreuses années –enfin,sionencroyaitGabe.

Noussuivîmeslafouleendirectiondustade.Ilyavaitdel’électricitédansl’air.Descamérasetdesgenspartout.C’étaitimpressionnant,pournepasdireplus.Jenem’attendaispasàunefoirepareille.Et alors que les lumières m’éblouissaient, je me surpris à être très nerveuse pourWes. Il jouaittoujoursdanscesconditions?Commentfaisait-ilpournepaspiquerunecrisedenerfs?Gabemesaisitparlamainpourmeguiderjusqu’ànossièges.Wesnousavaitréservédesplaces

très proches du terrain, afin que l’on voie bien les joueurs. On était quand même dans la zoneétudiante,maisc’étaitmieuxquerien.—Levoilà!hurlaLisa, l’indextenduversle terrainoùWeséchangeaitdesballesavecunautre

type. Punaise, tu as fait fort, là, Kiersten, commenta-t-elle en secouant la tête avec un sifflementadmiratif. Il est super beau. S’il te plaît, dis-moi comment il embrasse ! Allez, dis-moi, je t’ensupplie!Etellem’attrapaparletee-shirtpourm’attirerprèsd’elle.—Bon,jecroisquejevaism’installerentrevous,lesfilles.Gabevintprendrelesiègedumilieu,etLisaluitiralalangue.—Excusemacousine,soupira-t-il.Elleestcélibatairedepuisbeaucouptroplongtemps.—Jemedemandeàquilafaute,entonnal’intéressée.—Jeprotègetaréputation,arguaGabe.Enriant,jeluitapotailebras.—Mercid’avoirinsistépourquejeporteletee-shirt.IlhochabrusquementlatêteetdésignaWes.—Regarde,ilnousobserve.Dépêche-toidetelever,qu’illevoie,cetee-shirt.J’obtempéraietpointai ledoigtsurlemilieudemonmaillot,à l’endroitoùétaientimprimésles

cœursetsonnuméro.Ilauraitdûavertirletypeaveclequeliléchangeaitdesballesqu’ilfaisaitunepause,carleballonle

heurtaenpleinepoitrine.—Bravo!s’exclamaGabe,hilare.S’ilteplaît,Kiersten,resteassisependantlematch.Onn’apas

enviequ’ilfasseunecommotion.Jememordislalèvrepourm’empêcherdesourireniaisement,maisenvain.J’étaisfichueetre-

fichue.J’étaisàlui.Etjevoulaisquetoutlemondelesache.Leprésentateurpritlemicroetlesjoueurss’alignèrent.Etquandlagarded’honneurentonnal’hymnenational,j’étaisauborddelacrisedenerfs.J’avais

déjà rongé toutmonvernis à ongles, et j’entamais les ongles eux-mêmesquandGabeme saisit lamaindroitepourlacoincersoussajambe,sibienqu’ilseretrouvaassisdessus.—Je te jure, tumerendsnerveux.Or jedoisrestersobre,cesoir.Alorspour l’amourdeDieu,

arrêtedet’agiter!fit-ilavecunregardcourroucé.—OK.Jeprisplusieursprofondesinspirationsetmeconcentraisurlesjoueursquientraientsurleterrain

aupetittrot.Jeconnaissaislefootball.Enfin,pashyperbien,maisassezpourcomprendrecequisepassait.L’équipefrappait,ilsrevenaient,etpuisquandceseraitlemomentd’attaquer,Wespiqueraituncentmètres,marqueraitdespointsetremporteraitlematch.Pointbarre.L’équipe donna le coup d’envoi et les battements demon cœur grimpèrent en flèche. Comment

allais-jesurvivreàplusieursmatchs,avecWessurleterrain?Mamainrecommençaàs’agitersouslajambedeGabe.Marmonnantunjuron,ilfouilladanssapocheetmejetaunchewing-gumauvisage.—Mâche.Çat’aidera,jetejure.

Jeprislechewing-gumavecaviditéetmemisàmâchercommesimavieendépendait.—Bien,commentaGabeenramassantl’emballage.Essaiedenepastemordrelalangue.Wesne

melepardonnerajamaissitun’espasenétatdel’embrasser.Sansquitter le terraindesyeux, je luidonnaiuncoupdecoudedans lescôtes.L’attaqueprit fin.

Wessetournarapidementversmoietm’adressaunsignedelamain.Ilallaitbien.Ilavaitl’airbien.Toutiraitbien.

Chapitre39

WESTON

Jecomprisquequelquechoseclochaitquandmavuesebrouillaauniveaudel’œildroit.Jesecouai la tête et continuai à pousser. Je devais gagner. Sans trop savoir pourquoi, jeconsidéraiscematchcommemabataillecontrelecancer.Sijeperdais,jeperdaistout.Jedevaisgagner.Paslechoix.

Jesecouailatêtedenouveau,etmavisionredevintnette.Lesmédicamentsprovoquaientbeaucoup

plusd’effetssecondairesquejel’avaisimaginé.Jerejoignislesgarsdanslecercleetleurannonçailatactiqueàsuivre.C’étaituntempsdejeucomplexe,plutôtrisquépourundébutdematch,maisonvoulaitdéstabiliserlesCougars.Putain,jelesdétestais,cesCougars;touslesHuskieslesdétestaient.Jedétestaismêmeleurscouleurs.—Prêts?Onyva!Jecourusjusqu’aucentreduterrainetcriai:—Rougevingt-neufgauche,un,deux!Laballeatterritentremesmains.Jereculaicommepourajusteruntrès longtir,et finalement je

lançai à ma droite, tout en courant sur la gauche. Tony bloqua devant moi, cinq mètres… dix…quinze.Unpremière ligne tentadem’attraperpar lacheville,mais jesautaipar-dessusetcontinuaimacoursejusqu’àlalignedesvingtmètres.—Bellecourse!mefélicitaTony,ponctuantsesparolesd’unebonneclaquedansledos.Mavisionsetroubladenouveau,maiscettefoisellerestafloue.Merdeetre-merde.J’essayaide

secouer la tête, en vain. Je distinguais les silhouettes, mais de façon vague. Tout se brouillait,d’ailleurs.Heureusement,jevoyaisencorelaballeetmarespirationétaitnormale.J’allaiscontinueràjouer.Paslechoix.Onmarquasansdifficulté,etainsidébutalematchleplusdurdetoutemavie.Chaquefoisquejesecouaislatête,mavueempirait.Etquandarrivalequatrièmequart-temps,je

mesentaiscommeuntypequiauraitbuunebouteilleentièredetéquila.Mavuen’étaitplusclairedutoutetmonéquilibresimauvaisquejedevaismeconcentrersurchacundemespas.Onavait déjà tellement d’avance au scoreque le coachme sortit pourpermettre auquarterback

remplaçantd’acquérirdel’expérience.Enréalité,jepensequ’ilm’avaitvudécliner.Jem’assissurlebancetfismined’êtrehyperconcentrésurlematch,alorsquetoutcequimepréoccupait,c’étaientles tachesnoiresquienvahissaientàprésentmonchampdevision.Pasbon. Je sentaispoindreunemigraine,maisjen’enétaispascertain.Peut-êtreavais-jetropforcé.Labonnenouvelle,c’étaitquelematchétaitplié,doncpeuimportaitdésormais.J’avais juste envie de m’allonger avec une compresse froide sur le crâne. Enfin, ça et serrer

Kiersten dans mes bras. Mais si elle me voyait dans cet état, elle comprendrait certainement quequelquechoseclochait.OndevaitassisteràlafêtedeHomecoming,cesoir,etjen’étaispascertaind’êtreenmesured’yaller.

J’avalaiencorequelquesgorgéesd’eauetfermailesyeux,enespérantquemonétats’améliore.Quelquesminutes supplémentaires s’écoulèrent et le coach s’approchapourmedonnerune tape

surl’épaule.—Tuveuxentrerpourunedernièreattaque?Jesavaiscequ’ilmedemandaitenréalité.Unedernièreattaqueavantquemonavenirglauquedeviennecomplètementnoir.Iln’étaitpasplus

optimistequemoiquantàmacapacitéàrelancerunjourunballondefoot.Alors tachesnoiresoupas,jedevaisyaller.Je me mis debout sur des jambes tremblantes et gagnai la pelouse sous les hurlements des

supporters.BonDieu,çaallaitmemanquer.Lasensationquandonentrait sur le terrain, lamontéed’adrénaline.Avec un soupir, je me tournai vers les gradins. Kiersten était debout, qui criait. Je clignai des

paupières,mavisionredevintjusteasseznettepourquejelavoieapplaudiravecfrénésie.Etaveccecœurdessinésursontee-shirt,ellen’avaitpasidéeducouragequ’ellemedonnait.Gabe,lui,lesavait.Jeluienvoyaiunbaiseràelleethochailatêteàsonattention,àlui.J’auraispujurerl’entendrehurler:—Fais-leurvivreunenfer!Enriant,jemedirigeaid’unpasmalassuréverslecercledemescoéquipiers.Onavaitdéjàgagné,

il ne nous restait plus qu’à dérouler notre talent pour les supporters. Je lançai donc une fausseannonce,histoiredemettrel’autreéquipehors-jeu,etdécidaidetenterexactementlemêmecoupqueBoiseStatelorsdelafinaledelaFiesta,quelquesannéesplustôt.Comme je l’avais imaginé, les gars accueillirentmon idée avec enthousiasme et l’équipegagna

cinqmètres.Moncœurbattaitviolemmentdansmapoitrine.Toutmesemblaitpesant,commesionm’avaitposéunpianosurlesépaules.Jeprisplusieursinspirationsetlançail’annonce:—Babyblue,babyblue,BSU,un!En reculant, je trébuchai, m’empêtrai les pieds, ou quelque chose comme ça, et cet instant

d’hésitation suffit. Un première ligne adverse se rua surmoi. Trop tard.Ma vue se brouilla, toutdevintcomplètementnoiretjemesentistomberenarrière.Ladernièrechosedont jemesouvienne,c’estd’avoirpenséque jene luiavais jamaisditque je

l’aimais.Etc’étaitnul,parcequ’elledevaitlesavoir.J’allaismourir,j’étaisdéjàsansdoutemourant,etladernièrepenséequimetraversal’esprit,lederniermotquifranchitmeslèvresfut«Kiersten».

Chapitre40

KIERSTEN

Est-cequenotrecœurpeutsebriserdansnotrepoitrine?Parcequejecroisbienquec’estcequivientd’arriveraumien…

—Yaquelquechosequinevapas.GabeserramamaindanslasienneenregardantWestrébucher.Quandilcourait,onauraitcruqu’il

étaitsoûl.Peut-êtrequ’ilessayaitjustedefairelemalinoudenousfairerire.Jehaussailesépaules.—Ilneseraitpassurleterrainsiçan’allaitpas.Gabepouffa.—Toi,tunesaisvraimentpascommentfonctionnentlesmecs.Ilagitalamainau-dessusdesatêtepouressayerd’attirerl’attentionducoach.—Merde!Etavantquej’aieletempsdecomprendrecequiluiprenait,ilmerepoussaverslessiègesetsauta

surlapelouse,courantendirectionducoach.Alorsjevis.LaballeéchappadesmainsdeWes.Ilvacillaets’écroulaausol.Etj’eusl’impressionquelestadetoutentiersetaisait,alorsquemoijehurlais.Lisamepritdans

sesbras,toutencherchantfrénétiquementGabedesyeux.Quiétaitentraind’insulterlecoach!Ce dernier se précipita sur la pelouse, les joueurs échangeaient des regards perdus. Et en cet

instant,jesusqueWesavaitmenti.Cen’étaitpasdudiabète.Paspossible.Quelquechosen’allaitpasetilnem’enavaitpasparlé.Onnes’évanouissaitpascommeçasurun

terrain.Carenfin,ilétaitfort,non?Etenbonnesanté?Lesdocteursseruèrentsurlapelouse,etjeretinsmonsouffle.Jepriai.Jepriaidetoutmoncœur

pourqueWespuissebouger,quejevoiesesdoigtss’agitersurl’herbeouqu’ilsautesursespiedsetsemetteàrire,commes’ilvenaitdenousfaireàtousuneblaguehilarante.Jenem’étaispasrenducomptequejepleuraisavantqueLisanetireunmouchoirenpapierdesonsacàmainetmeletende.— Il va bien, pas vrai ? demandai-je d’une voix rauque. Pas vrai ? Il est juste fatigué ? Ou

déshydraté?—Maisoui,m’assuraLisa,serrantmamaindanslasienne.Lasirèned’uneambulancemanquademetuer.Jenepouvaispas.Jenepouvaispasresterplantée lààattendre.Alors jecourus.Jecourusaussi

vite quepossible et sautai par-dessus la barrière, afin deme retrouver sur le terrain avecGabe. Ilm’interceptaalorsquejecontinuaisendirectiondeWes.Etpuisuneautrepairedebrasm’enlaça.Jemetournaietéclataiensanglots.JepleuraiscontreletorsedeRandyMichels,commes’ilétaitmonpèreoumabouéedesauvetage.

Jem’accrochais à lui de toutesmes forces.Et le plus drôle, c’était qu’ilme serrait avec lamêmeénergie,aussifortquesisavieendépendait.—Ilvas’ensortir,mechuchota-t-il.C’estunbattant,d’accord?C’estunbattant,n’oubliezjamais

ça!Ettandisqu’ilhochaitlatête,jesentaisbougersapommed’Adamcontremajoue.—Iln’estpascommesonfrère,paixàsonâme.Wesestfort.Ilestcommesamère.Allez,venez,

ajouta-t-ilensoupirant.Jevousemmèneàl’hôpital.JetenaislamaindeRandyd’uncôtéetcelledeGabedel’autrequandlesappareilsphotosemirent

àcrépiter.Mourantd’enviedehurler,jesortisnéanmoinsduterrainlatêtebaissée,aumilieudesflashsetdes

crisdesupporters.Ilsvoulaientsavoircequin’allaitpas.Ilsvoulaientsavoirtoutesceschosesquejesouhaitaissavoirmoiaussi.Saufquejen’avaispaslesréponses.Encheminpour l’hôpital,moncorpsseretrouvaenétatdechoc ; jen’arrêtaisplusde trembler.

J’étaisfurieusedeconstaterqu’àladifférencedemoi,Gabesemblaitaucourantdecequisepassait.MêmeRandyneparaissaitpasétonné.Commes’ils’étaitattenduàcequeWesmeure.Quelgenredepères’attendàcequesonfilsdécèdesurunterraindefootball?—Vienslà.Gabemecalasoussonbras,etonsedirigeaversl’aileprivéedel’hôpitaluniversitaire.—Ileststable?s’enquitRandyunefoisdevantlachambreoùl’infirmièrenousavaitconduits.Elles’immobilisaetbaissasonporte-bloc.Elleposabrièvementlesyeuxsurmoi,avantdereportersonattentionsurRandy.—Lafamille,indiqua-t-il.Ilssontdelafamille.—Bien.Denouveau,ellenousregardatouràtour,avantdeselancer:—Ileststable,maisilafaituneréactiontrèsviolenteàsadernièresériedemédicaments.Comme

vouslesavez,c’estuntraitementexpérimental,nousn’avionsdoncaucunmoyend’anticipercegenrederéaction.Heureusement,commeilsetrouvaitdansunlieupublic,ilareçul’aideappropriéeàlasecondeoùils’estévanoui.S’ilavaitétédanssachambre,oumême…—Çasuffit,l’interrompitRandyenagitantlamain.Nousvoudrionslevoir,àprésent.—Mais…—Maintenant,insistaRandy,sanssedépartirdesavoixaimable.Ilabesoindesafamille.—Bien,monsieur.Et l’infirmière s’écarta, avant de s’éloigner dans le couloir d’un pas raide, son porte-bloc

fermement calé sous son bras. Je détestais voir son nom déjà inscrit sur la porte. Je détestaismeretrouverdansunhôpital.—Qu’est-cequej’ignore?demandai-jed’unetoutepetitevoixaumomentdefranchirlaporte.RandydéglutitetregardaGabe.PourquoiilregardaitGabe?Avecunjuron,cederniersepassalalanguesurleslèvresetdésignal’intérieurdelachambred’un

gestedumenton.—Demande-lui.Jerefused’êtreleporteurdecegenredenouvelles.«Cegenredenouvelles»,merépétai-jeenboucle.Qu’est-cequeçavoulaitdire?Moncœurse

serra.J’avaisl’impressionquemonventreétaitnouéunmilliondefois,etpourtantj’avançaidanslapièce.Wes était relié à une perfusion et à unmoniteur cardiaque, mais sinon, il semblait normal. En

forme,même.Ilouvritlesyeux.—Onagagné?demanda-t-ildansungrognement.—Largement,mec,réponditGabeenriant.Mêmesionauraitpusepasserdelascènefinale.—La«scène»finale?Savoixétaitunpeupâteuse.—Putaindemerde!Kiersten!Oùelleest?Ilfautquejeluidise.Ilfaut…IllaissasaphraseensuspensenmevoyantapparaîtrederrièreGabe.Leslarmesquimecoulaient

surlesjouesdevaientruinermespeinturesdeguerre.JevislevisagedeWessecrisper.—Laissez-nousuneminute,chuchota-t-il.Son père hocha la tête dans ma direction, puis il alla embrasser Wes sur le front et sortit,

accompagnédeGabe.Unsilencefou,tendu,nousenveloppa.—Bon,commençai-jed’unevoixchevrotante.Homecomingestpassé.Wesneréponditrien.Peum’importait.J’étaistellementcontentequ’ilrespire!J’allaimepostersurlecôtédesonlitet

m’assis,lesmainscroiséessurlesgenoux.—Tuaspromisquetumediraistout.Plusdemensonges,plusd’omissions.Avecunfrisson,jeplongeaidanssesyeux.Ilsétaientbaignésdelarmes.Ilcillaàplusieursreprises

etfinalement,baissalespaupières.—Jesuismalade.—Ça,j’avaisdeviné.(Jememordislalèvre.)Maladecomment?— Tu sais que les gens posent toujours cette question ? fit-il en pouffant. « Tu es malade

comment?Suruneéchelledeunàdix,combiendechancestuasdemourir?Tuesnauséeux?Quelleforce,lesnausées?»Ilritdenouveau.—Petitagneau,leloupesttrèsmalade.—Genre le loups’est fait tirerdessus,maisc’est justeuneblessuresuperficielle?demandai-je,

pleined’espoir.Nouveaurire.— Les Monty Python. Un classique. Et pour répondre à ta question, c’est sans doute plus que

superficiel.—Ah.Jememordislalèvrepourm’empêcherdepleurer,maisleslarmesmontèrentquandmême.Ilne

le savait donc pas ? Je lui appartenais. Il m’appartenait. Comment Dieu pouvait-il me faire ça ?Comment pouvait-ilm’enlever la seule chose sur laquelle je pouvais compter ? Jeme tordais lesmainscommeunefolle.Jemelesseraisdéboîtées,siWesnelesavaitpassaisiespourm’attireràsescôtésetmecaresserlevisageduboutdesdoigts.—J’aiuncancer.Lesolsedérobasousmoi.Jemenoyais.Jemenoyaiscommejel’avaistoujoursredouté.Saufquecettefois,jen’étaispasdansl’eau,j’étais

dansl’air.Jenepouvaisplusrespirer,plusréfléchir.Cemot:«cancer».Lemotdonttoutlemondeavait peur.Unmot qui avait le pouvoir de détruire unepersonne,mais pas d’un seul coup.C’étaittoujourslent.Torturé.J’avaisl’impressionquemoncœuravaitcessédebattre.J’essayaideprendreuneinspiration,maisriennevint.

—Eh,bébé.Wesmepritlatêteetlacollacontresontorse.Ilsoupira.—Çava.Toutvabien.Tuesjustesouslechoc.Çava.Respire.À croire que mon corps avait besoin de sa permission pour réussir une action aussi simple.

Respirer.Jeprisquelquesinspirationsavantdeposerlaquestioninévitable.—Tuvasguérir?—Jeleveux,répondit-ildansmescheveux.Alors je haletai. Soudain, tout s’éclairait. Son obsession pour mes cheveux, tous ses discours

énigmatiquessurlefaitdenepasêtrelàoudem’accordertoutletempsdontildisposait.Jesanglotaicontresapoitrine.Jenepouvaispasm’enempêcher.—Non,non,non!Jefrappaidupoingcontrelematelas.Wesmetenaittoujoursfermementcontrelui.—Tuasplusde tempsque ça,Wes.Putain !Tu asplusde temps !Promets-moi !Promets-moi

qu’onn’estpasentraindesedire«aurevoir»!Promets-le-moi,Wes,promets-le!Desbrasm’enlacèrentquin’étaientpaslessiens.Jem’effondraiausoldanscesbras-là.Jeremarquaid’abordlestatouages.Gabe.C’étaitGabe.—Reprends-toi,mechuchota-t-ilàl’oreille.Etlaisse-leparler.Jeseraiprêtpourteraccompagner

ensuite,OK?Jehochailatête.Pasquestionquejerentre.PasquestionquejequittelechevetdeWes,merde!Et

pourtantjehochailatête.Gabemerelâchaetsortitdelachambre.—Tunepeuxpasmourir,dis-jed’unevoixtremblante.Wessourit.—Jen’enaipasenvie.—Pourquoit’es-tuévanoui?Iltapotalematelasetjeretournaim’asseoir,entâchantdenepascéderàl’hystérie.—Monpèreestriche,queveux-tuquejetedise?Jesuisdansmadernièresemainedetraitement

expérimentalavantd’êtrehospitalisépourmonopération.Jerelevaibrusquementlatête.—«Opération»?—Oui,pourretirerlatumeur.—Etellesetrouveoù?C’étaitbonsigne,ça,non?S’ilslaretiraient,lecancerdisparaîtrait!—Enveloppéeautourdemoncœur.—Oh,monDieu.Jefermailesyeuxetdenouvelleslarmesmecoulèrentsurlesjoues.—Est-cequ’ils…euh…Jereniflai.—Est-cequ’ilspensentpouvoirlaretirerentièrement?Wessepenchaversmoietdesespouces,ilessuyaleslarmessurmesjoues.—Oh,petitagneau,nepleurepas.Ilserramamainqu’il tenait toujoursdans lasienne.Commentpouvait-ilavoirunetumeuralors

qu’ilsemblaitenpleineforme?— C’est à peu près cinquante-cinquante, à ce stade. Ils ignorent s’ils peuvent la retirer

complètement, et comme elle se trouve tout près de mon cœur, ils risquent de me tuer s’ils s’en

approchentdetrop.D’unautrecôté,s’ilsnel’annihilentpas,jemourraiaussi.Incapabledeparler,jemecontentaidefixersesyeuxbleucristal,enpriantpourquelecauchemar

prennefin.—Tuveuxbien…(Ils’humectaleslèvresetsemitàjoueravecmamain.)Tuveuxbienresteravec

moi?—Descauchemars?tentai-jedeplaisanter,maisleslarmescontinuaientàruisseler.— Oui, bafouilla-t-il. Des cauchemars. Disons que j’ai besoin d’un preux chevalier pour les

chasser.—Jelescombattrai.Jeteprotégerai,jetrancherailatêtedudragonett’attendraidanslatourdu

château.—Promis?Ilmesourit,lesyeuxremplisdelarmes.—Detoutmoncœur.—J’adoretoncœur.Ilsoupiracontrematête.—Lescœursetlescheveux,maintenant?plaisantai-jeenposantunemainsursapoitrine.—Lescœursetlescheveux,répéta-t-il.Fais-moiplaisir.—Toutcequetuveux,murmurai-je.—Quoiqu’ilarrivedanslesjoursàvenir,promets-moiquetuirasauboutdetaliste.—Wes…—Promets-le-moi,insista-t-ilavecleplusgrandsérieux.Jefermailesyeuxetunenouvellecouléedelarmeschaudesmemouillalesjoues.—Jetelepromets.—Bien,fit-ilavecunsoupir.Bien.

Chapitre41

WESTON

Jel’aigardéedansmesbrastoutelanuit.Plustard,quandGabeestentrépourl’emmener,jeluiaiditquejelagardais.Avecunsourirenarquois,ilm’aannoncéqu’ilrepasseraitluiapporterdesvêtementspropres.Ilyaunandeça,jen’auraispasmiséunkopecksurcemec…etmaintenant,j’avaisl’impressiond’avoirenluimonmeilleurami.Ettoutçagrâceàlafillequidormaitdansmesbras.

Jenefisaucuncauchemar,età5heuresdumatin,quandl’infirmièrevintmerendrevisite,j’avais

retrouvémaformehabituelle.Saufqu’ilsavaientavancéladatedel’opération.Elleauraitlieudansmoinsdecinqjours.Cequi

signifiaitquemontempsavecKierstenétaitàprésentdrastiquementlimité.Danssixjours,jepouvaisêtremort,etsijenel’étaispas,jeseraissoitdanslecoma,soitrenvoyéàlamaisonpourymourir.J’avais promis à Gabe de me battre et j’en avais envie, mais il était difficile de rester optimiste.Vraiment,vraimentdifficile.JenecessaisdeprierDieuqu’ilm’épargne,nonquejemesouciebeaucoupdemavie,maisparce

quejetenaisàlasienne.Lesommeilserefusantàmoi,quandGabesepointaavecunpetitsacdevoyage,j’avaislesyeux

grandsouvertsetj’étaisprêtpourlecafé.Enfin,n’importequoiplutôtquecesfichuespilulesqu’ilsm’obligeaientàavaler.—Elledortencore?chuchotaGabeenentrant.—Commeunemorte.Ilpritunsiègeetposalatêtesursesmains.—C’estpasdrôle,mec,rétorqua-t-ild’unevoixpointue.Pasdrôledutout.—Troptôt?fis-jeenriant.—Jenepeuxpas…Gabesepassalalanguesurleslèvresetfixasonregardsurmoi.—Ilyad’autrespersonnesquimériteraientplusd’avoir lecancer, tuvoiscequejeveuxdire?

C’est çaquime rend fou.PourquoiDieupermetquedesgarscomme toi…?Desgensquiontunavenirtellementbrillantdevanteux…Pourquoituaslecancer,alorsquedestueursdemassepassentleurvietranquillemententauleàregarderHBOgratos?Jenecomprendspas.—Jen’ensaisrien,mec,soupirai-je.Jen’aipasd’explication.Fautcroirequec’estlesrisquesde

lavie.Onneprometrienàpersonne.C’estcequilarendaussiprécieuse.—Çaauraitdûêtremoi,murmura-t-il,sibasquejel’entendisàpeine.—Gabe?Ilricana.—Quoi?Tuaslamoindreidéedelaviequej’aimenée?Ladrogue,lesexe,lesfilles.Volerpour

mepayerdelacame.Putain,mec,çaauraitdûêtremoi.Jeprendrais…

Ils’étranglasursesmotsetdétournalesyeux.—Jeprendrais taplace.Jeveuxquetulesaches.SiDieum’annonçaitquec’étaitmonchâtiment

pourlaviedemerdequej’aimenée,jeprendraistaplace.Putain,jeleluiaimêmedemandé,jel’aisuppliéhiersoir,ettusaisquoi?Quedalle.Silence.— Eh bien, vis une vie meilleure, rétorquai-je sèchement. Améliore-toi. Que ma mort serve à

quelquechose.S’ilfautquejesoissacrifiépourquetucomprennesça,ehbientantmieux.Nelaissepascetructedétruire,faisensortequeçaterégénère,aucontraire.Gaberenifla.Jelesentaisauborddelâcherprise.Moi,j’avaispassétoutelanuitdanscetétat-là.

Ça faisait unmal de chien, de retenir ses larmes, de rester fort quand l’amour dema vie était là,allongéecontremoi,àpleurerdanssonsommeil.—Commentseportemonpatientpréféré?lançal’infirmièrequientradanslachambreetsesaisit

duporte-bloc.PrêtpourvotreIRM?Non,ohputainnon.Jenevoulaispasconnaîtrelavérité.Alorsjeleuravaisdemandédenerienme

dire.Sijedevaismourir,jenevoulaispaslesavoir.Jenevoulaispasentrerensalled’opérationdansunétatd’espritdéfaitiste.—Pasdeproblème,ilfautjustequejeréveillelaBelleauboisdormant.Gabebonditsursespieds.—Jevaisl’attendredanslecouloir.Jesuissûrqu’elleaurafaim.—Gabe?lerappelai-je.Ilseretourna.—Ouais?—J’aiquandmêmeunefaveuràtedemander.—Toutcequetuveux.— J’ai besoin que tu fasses quelque chose pour ma nana, commençai-je en souriant. (Je

m’humectaileslèvres.)Ellevaêtrefurax,maispromets-moiquetuleferas.Gabeéclataderire.—J’aimedéjàl’idée.—Jet’enverraiunSMSplustard.J’organiseçapourdemain,OK?—Super.Etilagitalamain,avantdesortir.JemepenchaietdéposaiunbaisersurleslèvresdeKiersten.—Mmm,grommela-t-elle.Jel’embrassaidenouveau.Elleouvritdoucementlesyeux.—Dis-moiquej’aifaitunmauvaisrêve,Wes.—Pasvraimentunmauvaisrêve,maispasmonpréférénonplus.J’écartai les cheveux de son visage, fermai les yeux tandis que sesmèches glissaient entremes

doigts.—Bon,j’adoret’avoircolléeàmoi,maiscettegentilleinfirmièrequetuvoislàdoitm’emmener

passeruneIRM.—Oh.Kiersten bondit sur ses pieds, un peu vacillante au début, puis elle enfonça les mains dans les

pochesdesonjean.—Detoutefaçon,jedoisavoirunetêteatroce.Jevaisallerprendreunedouche.—Gabeadesaffairespour toi, lui indiquai-jeendésignant laported’ungestedumenton.Mon

pèreaunesuitedanssonaileprivéedel’hôpital.Gabeettoipouvezydormiretprendreunedouche,d’accord?Enfin,ensupposantquetuaiesenvied’êtrelàet…

—Jenequittepastonchevet,protesta-t-elle.Voilàbiencequejecraignais.D’êtreceluiquipartiraitet…elle,cellequiresterait.Jebâillaietluidécochaiunclind’œil.—OK.Jen’enaipaspourtrèslongtemps,etquandjereviendrai,onpourraparlerdufaitqueje

suislepirepetitamiaumondederaterlafêtedeHomecoming.Àquoiellemesourit,avantdesedirigerverslaporte.—Magnifiquepetiteamie.Jeregardail’infirmière.Jememoquaisbienqu’ellemeprennepourundingue.—Jeferaisd’ellemafemme,sijelepouvais.Ensouriant,ellemetapotalebras.—Nevousrésignezpassivite.ParfoisoncroitqueDieuaécritlemotFIN,alorsqu’enréalité,il

voulaitdireDÉBUT.L’IRMmefichaunetrouillebleue.J’avaistoujoursdétestéça,maisenl’occurrenceonnem’avait

pas vraiment donné le choix. Au lieu de me concentrer sur le fait de ne pas bouger, je pensai àKiersten. J’imaginai à quoi elle ressemblerait à trente ans. Son sourire resterait-il lemême ? Sonventreserait-ilarrondiparunenfantànaître?Merde,jevoulaisqu’ilsoitlemien,cetenfant.Jememordisfortlalèvre.Jedevaisresterimmobile,etpourtantmespoingsbrûlaientdeseserrer.J’avaisenviedehurler.MesvisionsconcernantKierstenpassèrentenaccéléré.Jelavisvieille,assisesurunporche,tenantlamaindesonmari.J’ignoraispourquoijemetorturaisainsi.Jenelaconnaissaisquedepuis troismois, nomdeDieu,mais ça n’avait rien à voir avec le genre de coupsde foudre quim’étaientarrivéspendantmonadolescenceetmesannéesdefac.Jesavaisquec’étaitpourdevrai.Peut-êtreétait-celederniercadeaudeDieu:l’amourvrai.Jenevispasletempspasser,ettoutàcoupl’IRMétaitfinieetmonvisagecouvertdelarmes.Àla

seconde où je pus bouger, jem’essuyai les joues, histoire que personne ne s’en rende compte.Ladernièrefoisquej’avaispleuré,c’étaità lamortdeTye.C’estdrôle,commelamortfaitdel’effetauxgens.Troismois enarrière, j’étaisprêt.Troismois enarrière, j’avais acceptémon sort.Maismaintenant…Maintenant,jevoulaisfairepartiedel’histoiredeKiersten,etpasn’enconstituerqu’unchapitre:jevoulaisêtrelelivretoutentier.Maisvoilà,jeneconnaissaispasl’avenir.Toutcequejesavais,c’étaitqu’ilm’échappait.Etc’étaitpeut-êtreça,lepluseffrayant.Danslavie,onatoujoursunecertainemaîtrisedeschoses,quecesoitnosémotionsounoschoix.Maisenmatièredecancer…Leseultrucquel’onpuissecontrôler,c’estlafaçondontonyfaitface.—Commentvoussentez-vous?s’enquitmoninfirmièreattitrée.Avecsescheveuxblondclair,presque transparents, sapeauquasiblanche, sanspourautant faire

délavée, elle était très jolie.Même si jen’arrivaispas à luidonnerunâge.Trente ?Quarante ? Jedevaisavoirl’airperplexe,carelleposasamainchaudesurmonavant-bras.—Vousvoussenteznauséeux?Jeris.—Non,désolé.Jesaisqueçavaparaîtreétrange,maisjemedemandaisjustequelâgevousaviez.Sonsourires’illumina.—Onal’âgequel’onressent,pasvrai?—Eneffet.Moi, jemesentaiscarrémentvieux.Surtoutaprès ladosedemédicamentsdecematin.Labonne

nouvelle,c’étaitquejen’avaisplusrienàavaler.Non,ilsm’injectaienttoutescesdrôlesdemoléculesdirectementdanslesveines.Quelchanceuxjefaisais!

—Weston,reprit-elled’unevoixtendue.Toutirabien.Ellemesaisitlamainetlatapota.Je regardai son badge : Angela. Ça lui allait bien. Elle ressemblait plus à un ange qu’à une

infirmière.—Merci,Angela.Ellemejetaunregardsurpris.Jedésignaisonbadge.Ellerit.—Vousêtesmalins,vouslesétudiants.— Eh bien, vous m’avez percé à jour, fis-je avec un grand sourire tandis qu’elle m’aidait à

regagnermonlit.Entre quarante-et-un et quarante-cinq, j’allaism’en tenir là. Probablement lemême âge quema

mèreàsamortinattendue.Elleaussi,elleétaitblonde.Sansdoutecequimepoussaitàmeconduirecommeundingo.Jemedemandaissic’étaitl’effetdesmédicaments,s’ilsmerendaientplusémotifqued’habitude.—Dormez,m’ordonnaAngelaaprèsm’avoirinstallé.Etnevoustracassezpas,jevousréveillerai

dèsquevotrefutureépousereviendra.Elleponctuasapromessed’unclind’œil.Jepréférainepasparler.Mêmesij’appréciaissonoptimisme,iltombaitdansl’oreilled’unsourd.

Carjesentaisdéjàlefroidserépandredansmesmembres–commesilamortvenaitmechercheretqu’iln’yavaitriend’autreàfairequed’attendresaprésencedévorante.—Dieu…Jem’étranglaisurcemot.—Jesaisqu’onn’apasbeaucoupparlé,cesdernièresannées.Punaise, jet’aimêmeditquejete

haïssaisquandTyes’estdonnélamort.Denouveaujejuraietmepinçail’arêtedunez.—Jenemesoucieplusdemoi,àcestade,maispromets-moiqueçairapourelle.Sijenesurvis

pas…Situmerappellesàtoi,faisensortequeKierstenaillebien.Ellenepeutpasrevivreça…Jemefichequetudoivesmepunir,monDieu.Sielledoitsouffrir,donne-moisadouleur.Sielledoitavoirlecœurbrisé,briselemienàlaplace.S’ilteplaît,monDieu.S’ilteplaît.Les médicaments donnés par Angela commençaient à faire leur effet, et je sombrai dans un

sommeilsansrêves,cetteprièreenboucledansmatête.

Chapitre42

KIERSTEN

Troismoisenarrière, jen’aurais jamaisétéassez fortepour traverserça.Maintenant…Maintenant j’étais comme Hulk. Je lui tiendrais la main tout du long, on livrerait labatailleensembleetàlafin,onseraittoujoursmaindanslamain.

— Je doism’inquiéter que tu n’aies pas prononcé un seulmot depuis qu’on estmontés dans la

voiture?demandaGabe.Jesecouailatête.—Non,jeréfléchis,c’esttout.—OK, jevois, les femmeset la réflexion.Voilàquin’a jamaiscausé lemoindreproblèmeà la

racehumaine.—Hilarant.Levantlesyeuxauciel,jeluiprislamain.—Gabe…—Oui?répondit-ilenserrantmapaume.—Merci.— Je ne fais qu’accomplir mes devoirs d’ami. Considère ça comme ma pénitence pour mes

nombreuxpéchés.Il rit, et je voyais bien qu’il essayait deminimiser l’importance de ses actes. Jeme demandais

pourquoiilluiétaittoujoursaussinécessairederabaissercequ’ilfaisait.Maisbon,ilétaitcommeça.—Çavabienplusloinquel’amitié,affirmai-jeenluiserrantlamain,avantdelarelâcher.Celadit,

jesuiscurieuse:onvaoù?JevoudraisêtreprésentequandWesvaseréveiller.Ilmesourit.—Netetracassepas,joliepetitetête.Wesatoutpréparé.Enfait,àlabase,ilavaitprévuqueLisaet

moi,onsoitaussidelapartie.Maisc’estmieuxainsi.Wesm’aditquejedevaistefilmer.—Mefilmer?répétai-je,avecunmélangedecrainteetdepeur.Filmerquoi,exactement?Ilsecontentadesouriredetoutessesdents.Environtrenteminutesplustard,nousnousgarionssurunvieuxpont,aunorddeSeattle.—Etvoilà!lançaGabeenfrappantdanssesmains.Çavaêtreépique.—J’aiunmauvaispressentiment.—Pasquestiondetedéfiler.TulefaispourWes,intima-t-ilenpointantsonindexsurmoi.Puisils’éloignaàgrandspasendirectiondupont,oùquelquespersonnesinstallaientundrôlede

bidule.Ohnon.Ohnon,non,non.—Kiersten,annonçaGabe, je teprésente l’équipeduSeattleBungee.C’esteuxquivontvérifier

touslestrucsdesécuritéafinquetun’aillespast’écraserausol.—Voilàquiestfortrassurant,marmonnai-jesèchement.

—Netetracassepas!Ungarsquiparaissaitencoreplusjeunequemoimetapadansledosenriant.—Onesttrèsaupoint,c’estnotretravail.Onn’aencoreperduaucundenosclients,mêmesiune

filleavomi,unefois.Maisbon,dumomentqueturegardesverslebas,toutsepasserabien.Lespaumesmoites,jeluirépondisparunhochementdetêtemalassuré.Ilsmepassèrentharnais,casqueetmousquetons.Oh,là,là!J’allaisvraimentfaireça?Tremblant

detousmesmembres,jelaissail’équipemeharnacher,puisilsmerelièrentàGabe.J’étaissisecouéequemêmemes lèvres frémissaient. Jedétestais le vide, j’en avaispresque aussi peurquede l’eau.Qu’est-ce quim’avait pris d’aller écrire ça sur cette fichue liste ? Je fermai les yeux, refusant deregarderpar-dessusleparapet.—Regarde-moi,ordonnaGabe.Jerouvrislespaupièresaumomentoùilm’enveloppadesesbras.—Wesvoulaitquejetedisequelquechose.Sesyeuxs’embuèrentdelarmes.—Iladitquepeuimportaitl’obstaclequisurgissaitdevanttoi…Savoixsefitchevrotante.—Etquellequesoittapeur,tupeuxtoujoursfairelechoixdetebattre.Tupeuxtoujoursfairele

choixdetraverserlesflammes.Iladitqu’ilfallaitlefairemalgrélapeur.Jehochailatête,incapabledeparlertantmagorgeétaitgonfléeparl’émotion.J’enavaismêmedu

malàrespirer.—Iladitqu’ilnerenonçaitpas…etdoncquetunedevaispasrenoncernonplus.—Non,promis-je.Non,jenerenonceraipas.—Bravo.Et Gabe me donna un baiser sur la joue. C’était drôle, quandmême, comment un garçon était

devenumonâmesœur,pendantqu’unautredevenaitmonmeilleurami.—Un…,chuchotaGabe.Deux…Jem’agrippaissifortàluiquejen’arrivaisplusàrespirer.—Trois.Eton tombapar-dessus lepont.Deuxplumes.Complètement enapesanteur. Jen’étaismêmepas

sûredehurler,maisj’avaislaboucheouverte.Puisl’élastiquesetendit,rebondit.Ilnoussouleva,etpuisontombadenouveau.Alorsunechosetrèsbizarreseproduisit.Jememisàrire.Puisàpleurer.Puisàriredenouveau.J’avaisréussimalgrélapeur.J’avaisvaincumescraintes,parcequeWescroyaitsuffisammenten

moipourm’ypousser–toutcommej’allaislepousser.Ilnevoulaitpasquej’ailleverslesténèbres.Plusjamais.Etjenelelaisseraispasysombrernonplus.—Merci,murmurai-jeàl’oreilledeGabetandisquel’équipenousremontait.Ilpritmonvisageentresesmains.—Cequevouspartageztouslesdeux,çan’arrivequ’unefoisdansunevie.Bats-toipourlui,ma

belle.Bats-toijusqu’àtonderniersouffle.Etn’aiepasderegrets,d’accord?—D’accord.GabetenditsontéléphoneàWes.Apparemment,j’avaisbeletbienhurlé.Etdefaçonhorrible.Jene

pusm’empêcherderire.PauvreGabe,ilallaitsansdouteengarderdesacouphènesjusqu’àlafindesesjours.—Ungrandclassique,commentaWesenriant.Puisilsemitàtousser.Jeluiposailamainsurlebrasetilm’offritunsourire.—Jemesensmalàcausedesmédicaments,maispasdesouci,çava.—Gabe,tupeux…euh…—Oui,detoutefaçonLisavientdem’envoyerunSMS.Elles’estperduedansl’hôpital.Sijenela

retrouvepas, elleva tomber sur l’undesdocteurs, etvraiment, jepréfèrenepasavoir àgérer lesconséquencesd’unetellerencontre.Etavecunsalutmilitaire,ilquittalachambre.JesourisàWes.—Jel’aifait.Ilm’attiracontresontorse.Jerepliailesjambessurlelitd’hôpitaletposailatêtecontresoncœur.

C’étaitbizarre,jel’entendaisetilsemblaitsisain,sifort.Jeplaçailamainàl’endroitenquestionetcommençaiàtapoter.—Qu’est-cequetufais?Jesoulevailatêteetluidonnaiunfaiblesourire.—Jebatsnotrecadence.Sabouchetrouvalamienneetsoudain,jemeretrouvaiàcalifourchonsurlui,jetantmavesteen

bouleausol.Ilmepassalesmainsdanslanuqueetm’attiraplusprèsdelui.Mêmesilesmédicamentsl’affaiblissaient,toutenluiparaissaitvivantetchaud.—Onvalebattre,cetruc,affirmai-jecontreseslèvres.Ilsoupiraetapprofonditsonbaiser.—Jemebats.Jem’écartaietluiprislevisageàdeuxmains.—Écoute-moi. Tu n’abandonnes pas. Je ne t’abandonne pas, alors tu nem’abandonnes pas non

plus.OK?Çan’estpasfini.Illâchaunjuron.—Jeveuxquetusoispréparée,aucasoù…—Non, l’interrompis-je, en l’embrassant sur la joue. Je refusemême de l’envisager. Et tu sais

pourquoi?—Pourquoi?—Ungarstrèsbrillantm’aexpliquéunjourquesitutedisquetun’arriveraspasàfairequelque

chose,voiresituenvisagesseulementlapossibilitédel’échec,toncorpscommenceàs’ypréparer.Ils’affaiblit.Toncerveautemurmurequetun’yarriveraspeut-êtrepas,alorstutemetsàcouler…—Hum,çamerappellequelquechose.— J’avais commencé à couler, admis-je en lui caressant les joues. Je coulais parce que j’étais

convaincuedemenoyer.—Jenemenoiepas.— Et tu ne coules pas non plus, affirmai-je en l’embrassant sur la joue. Tu flottes, comme je

flottaisdanslapiscine.Ilfautjustequeturestesau-dessusdel’eauuntoutpetitpeupluslongtempsquelamoyennedesgens,maisjeteprometsquelafinlevautbien.—Ilvayavoirunbaindeminuitaubout?Ilpenchalatêted’unaircomiqueetj’éclataiderire.C’étaitbondeplaisanteraveclui.—Absolument.Pleindebainsdeminuit.

—Mespréférés.Seslèvresétaientchaudesdansmoncou.Jerenversailatêteenarrièrepourlelaisserdéposerune

lignedebaiserslelongdemamâchoire.Je m’affalai sur lui et lui donnai le baiser le plus acharné possible. Nous finîmes par nous

endormirentrebaisersetconversation.Chaquefoisquejemeréveillais, je l’embrassaisencore.Etchaquefoisquejemerendormais,c’étaitaucontactdesabouchedansmescheveux,moncou,ausondeshistoiresqu’ilmeracontait.Plustard,LisaetGabearrivèrentetondécidaquelemeilleurmoyendenepasnouslamentersur

l’avenir, c’était denousoccuper.Oncommençapar jouer àTriche, puison enchaînaparquelquesfilmsdeNoëlenmangeantdupop-corn.Lisafutlapremièreàs’endormir,suiviedeGabeetenfindemoi.Ladernièrechosedont jemesouvienne,c’estd’avoirpenséquel’infirmièreallaitenprendrepleinlavueenentrantdanslachambre.Gabeétaitallongésurunfauteuil,Lisasurlepetitlitdestinéauxfamilles,etmoij’étaisaffaléesurWes.Jem’endormisunsourireauxlèvres.Mesamis.Mesmeilleursamis.Jelesavais.Etj’avaisWes.Je

battislerythmedesoncœurduboutdesdoigts,etsacadencemepermitdesombrerdansunprofondsommeil.

Chapitre43

WESTON

Laplupartdesgensmeurentsansavoirvéculamoitiédecequej’airessentiaucoursdesderniers mois. Incroyable. J’ai une vie incroyable. Je me suis réveillé plein dereconnaissance.Malgrélecancer.Jemesuisréveilléavecl’enviedediremerci.

Je ris d’entendre Kiersten gémir dans mes bras. Il était l’heure de ma dernière dose de

médicaments.Ilsvoulaientm’injecterunultimecocktailavantmonopérationdulendemain.—Commentvousvoussentez?medemandaAngelapendantqu’elleinséraitleliquidetransparent

dansmonsachetdeperfusion.—Commeunerockstar,mentis-je.Nauséeuxetétourdi.Ellerit.—Vousavezl’airenforme,etfort.Avecunlargesourire,ellesortitsonstéthoscopeetleposacontremapoitrine.—Lerythmecardiaqueestbon.Ça ne changeait rien, et pourtant elle me regonflait d’espoir, sans que je comprenne pourquoi.

Soudainellefronçalessourcils,puiselleôtalestéthoscopeetplaçalesdeuxmainssurmapoitrine.Etquandellefermalesyeux,j’auraispujurerqu’elles’étaitmiseàpleurer.Génial,voilàqueletraitementmecausaitdeshallucinations,maintenant.Je sentis ma langue s’épaissir dans ma bouche. Je désignai ma gorge d’un doigt et elle retira

aussitôtlesmains,avantd’ajouterquelquechoseàmaperfusion.Lasensationd’épaisseurdisparut.—Anaphylaxie,fit-elleavecunhaussementd’épaules.Cesmédicamentsonttendanceàprovoquer

ça,maisavecl’épinéphrinequejeviensd’injecter,vousallezlessupporter.—Épi…quoi?—Lemotcompliquépourdireanti-allergène,expliqua-t-elleenclignantdel’œil.Etdésolée,au

fait.C’estvotrecœur,sonrythmeestplusfortqu’hier.C’estpourçaquej’aiposélesmainscontrevotrepoitrine.C’estvraimentétrange.Ellehaussadenouveaulesépaules.—Quoiqu’ilensoit,félicitations,Weston.C’estvotredernièredosedemédicaments.—Jen’aimepaslemot«dernier».Àquoielleréponditparunsourirechaleureux.—Rappelez-vouscequejevousaidit:parfoislafinestuncommencement.—Merci,Angela.Etavecundernierhochementdetête,ellequittalachambre.J’observai les cheveux de Kiersten, la façon dont ils s’enroulaient autour de mes doigts. Des

flocons dorés illuminaient lesmèches. Je fermai les yeux et portai quelques boucles àma bouchepouréprouverleurdouceurcontremapeau.

—Tufaisencoretonzarbiàreniflermescheveux,dit-elled’unevoixensommeillée.—C’estpaszarbi,arguai-je.—Trèszarbi,intervintGabedepuissonsiège.J’aitoutvu,etjepeuxtedirequeçafaitflipper.—Maisnon,c’esthyperromantique!s’écriaLisa.— Alors comme ça, vous étiez tous réveillés pendant que l’infirmière me donnait mes

médicaments,maisvousavezpréféréfairesemblantdedormir?—Uneinfirmière?s’étonnaGabe,balayantlachambredesyeux.Oùça?—Elleétaitjustelà.Etjedésignaimaperfusion,d’oùleliquides’insinuaitgoutteàgoutteàl’intérieurdemoncorps.

Jesentaissouslaformed’unebrûluresaprogressionàtraversmesveines.—Étrange,commentaLisaensegrattantlatête.Jen’aivupersonne.Maisbon…—Maisbon, l’interrompitGabe, tu t’esendormiedeuxfoisdevant lesAvengers.Onnepeutpas

vraiment faire confiance à ton jugement, ni à ta perception des choses, y compris quand ellest’explosentsouslenez.—Merci,cousin.Elleluijetasavesteauvisage.—Bon,reprit-elle,setournantversKierstenetmoi,qu’est-cequ’onfaitaujourd’hui?—Jenesaispas,BonneConscience,qu’est-cequetuveuxfaire?—JiminyCricket!Aujourd’hui,onconquiertlemonde!s’écriaKiersten,toujoursdansmesbras.ÀquoiGabeéclataderire,sifortquejecrusbienqu’ilallaittomberdesonsiège.Jem’étranglaiunpeuavecmonpropre rire, tandisqueLisanousdévisageait touscommesion

avaitcomplètementperdulatête.—TuneconnaispasJiminyCricket,labonneconsciencedePinocchio?s’étonnaGabe.Non,mais

sérieux,quellesorted’enfancetuaseue?Lisahaussalesépaules.—Uneenfancesansdessinsanimés.— Bien, affaire conclue, dans ce cas, intervins-je en me frottant les mains. La rencontre entre

JiminyCricketetPinocchio!Kierstenseredressa.—Commentonvaretrouvercepassage?—YouTube, répondis-je dans un haussement d’épaules. Et au cas où vous l’auriez oublié,mon

pèreestRandyMichels.Iln’estdoncrienquinepuisseseréglerparquelquescoupsdefil.Kierstenlevalesyeuxauplafond.—OK,maisjevaisprendreunedoucheavantqu’onneconquièrelemonde.—Moiaussi,fitLisaenbondissantsursespieds.—Etmoiaussi?demandai-je.Kierstenmedonnaunetapesurlebras.—Pasdenuditépourtoiavanttonopération.—Etmoiquipensaisquetuvoulaismerendreheureux.JemimaiunemouetristetandisqueGabem’adressaitunpoucelevé.—Joueurunjour…,commentaLisasuruntonfaussementexaspéré.—Àplus,lesgars.KierstenpritLisaparlamain,etellesquittèrentlachambre,melaissantseulavecGabe.—Comment se fait-il qu’on n’ait jamais été amis ? lui demandai-je après quelquesminutes de

silence.

Ilrit.—Ehbien,pourcommencer,jenefaispasdesport,ettuavaistoujoursuncercledegensautour

detoi,dontjemerendscompteàprésentqu’ilsétaientpluslààcauseducancerqu’autrechose.—Ouais,confirmai-jeencroisantlesbras.L’und’euxétaitmonpsy,l’autremongardeducorps

depuisl’enfance,ettouslesdeuxpensaientques’ilsmelaissaientmedébrouillerseul,j’allaisoublierdeprendremesmédocs,oubienmebuter,commemonfrère.—PourquoituesdevenuRA?Jem’humectaileslèvres.—Quandilestmort,sonRA,cecon,aditqu’ils’inquiétaitpourTyedepuisunmoment.Qu’ilne

prenaitpartàaucuneactivitéets’enfermaitsouventdanssachambre.Etpourtant,ceRAn’enafaitpartàpersonne,ilconsidéraitquecen’étaitpasdesonressort.Jenepouvaism’empêcherdepenserquesijedevenaisRAmoi-même,j’arriveraispeut-êtreàsauverdesétudiantsendétresse.Jelaissaiéchapperunéclatderire.—Jenem’attendaispasàtomberamoureuxd’unepremièreannée.Gabesejoignitàmonrire.—L’amour,onnes’yattendjamais.—Ettoi?—Jen’ycroispas.Onestvraimententraind’avoircetteconversation?Ilsegrattalanuqueetsemitàregarderparlafenêtre.—Ondiraitbien,oui.—Moi,jenepratiquepasl’amour…nilesrelations.Plusmaintenant.—Mauvaiseexpérience?—Onpeutdireça.Ilravalaunjuron,puispoussaunlongsoupir.—Maisçaneveutpasdirequejenesuispascapabledelereconnaîtrequandjelevois.Ellet’aime.—J’espère.Malàl’aise,j’évitaisdecroisersonregard.—Parcequejel’aimeaussi.C’estdingue,non?—Pasplusdinguequelefaitdeparlertoutseul,commetulefaisaiscematin.Jeneparlaispas toutseul.Çan’était toutdemêmepasmafautes’ilsétaient tropendormispour

voirl’infirmièreentrer.Lesmédicamentsnemerendaientpasaussinauséeuxqued’habitude,c’étaitforcémentbonsigne,non?—Bon, jevais chercherun truc àgrignoter.Vadoncprendreunedouche,histoireque tapetite

amieaitenviedes’allongeràtescôtés.Ilagitalessourcilsdefaçoncomique.—Etjepeuxterapporterducafé.—Bravegarçon,fis-jeenriant.Gabesortit.Aumomentoùje tendais lamainpourappuyersur leboutond’appel,Angelarevint

danslachambre.—Besoind’aide?—Oui,admis-jeensouriant.Enfait,jevoudraisprendreunedouche,etpuisjemedemandais…

Serait-il possible que je porte autre chose que ma casaque d’hôpital aujourd’hui ? C’est vrai,maintenantquevousm’avezinjectétouslesmédicaments,jenerestelàquepourattendrel’opération,pasvrai?—Bienentendu,fit-elleavecunclind’œil.Jecroismêmequelemédecinajustementprescritun

jeanetuntee-shirtblanc.Jelâchaiunsoupirsoulagé.—Merci.—Pasdeproblème!Allonsdoncvouspréparerpourvotrefutureépouse.—Ça,vousn’avezpasfinidemelerépéter,j’ail’impression,lataquinai-je.— J’aime bien les gens qui annoncent le cours de leur vie.Vous voulez qu’elle devienne votre

femme, ça va arriver. Je sais que ça peut paraître bête,mais j’admire votre façon d’y croire. Passeulementenvous,maisdanslesgensengénéral.C’estadmirable,etjepeuxvousdire…queçanepassepasinaperçu.Pasplusquevotregénérosité.Cesqualitéssonttoujoursrécompensées,etonnedevraitjamaispenserqu’ellesvoussontdues.Un peu confus, je souris néanmoins. Sérieux, cette infirmière était particulièrement profonde.

J’avais passé pas mal de temps dans les hôpitaux, mais jamais rencontré personne d’aussiencourageant.Ellemefaisaitdubien,voilà.Commesilecheminquej’empruntaisétaitlebon.Ellenem’envoyait pas ce genre de regards tristes que vous balancent les docteurs quand ils savent qu’ilsvousvoientpourladernièrefois.C’étaitpeut-êtrepourçaquejel’appréciais.Danssesyeuxàellebrillait une lueur d’espoir et d’amusement, comme si elle connaissait quelque énorme secret quej’étaissurlepointdedécouvrir.Onpassalajournéeaulit.Touslesquatre.C’étaitcomique,pournepasdireplus.Commepromis,

j’avaiseul’autorisationdeporterunjeanetuntee-shirt,cequimepermettaitplusfacilementdetenirKierstendansmesbrassansmontrermesfessesàtoutlemonde.Elleétaitassiseentremesjambes,adossée àmon torse. Et régulièrement, je la sentais taper notre cadence contrema jambe, commepourmerappelerdegardernotrerythme.Queletempsnousappartenait.VerslafindelaversiondePinocchioquenousavionsdénichéesurYouTube,monpèrearrivadans

lachambre,suividequelquespersonnes.Qu’est-cequ’ilfabriquait?—J’aipenséquevousauriezfaim,lesenfants.Etavecunlargesourire,ils’écartapourquelesgenscommencentàinstallerquelquechosequeje

nepourraisdécrireautrementquecommeunbuffetdigned’unroi.—Est-cequec’est…?demandaGabeendésignantunfiletdesaumongéant.Monpèreopinafièrementduchef.—Anthony,letraiteur.Àvotreservice.Gaberestabouchebéetandisqu’ildévoraitdéjàlebuffetdesyeux.—Hyper.Bonne.Qualité,secontenta-t-ildecommenter.L’odeurétaitexquise.Alorslà,j’endevaisunebonneàmonpèrepourcetteidée.Onnous distribua de petits gobelets en plastique etmonpère sortit une bouteille de champagne

bienfrais.—Bon,jenesuispasdugenreàcautionnerl’alcoolchezlesmineurs.Etc’étaitvrai.Laseulefoisoùilm’avaitsurprisàboire,j’avaisétéprivédesortiespendantdeux

mois.—Maisjemesuisditqu’onpourraitporteruntoastàmonfils,Wes.Kierstenappliquaunelégèrepressionsurmajambe.Onversaduchampagnedanstouslesverres.Sachantquejen’avaisplusqu’uneheureàpouvoir

mangeretboireavantqu’onm’ordonnedejeûnerpourl’opération,jemesaisisdemongobeletsanstarder.

—Quetufassesdebeauxrêvesetteréveillesenpleineformeetprêtàaffronterl’opération,lançamonpèreenlevantsonverre.Àmonfils,moncombattant,monhéros.—«Tchin»!répondittoutlemondeàl’unisson.Pourmapart,j’avaisperdulavoix.Jedévisageaimonpère.C’étaitlui,lecourageux,pasmoi.Il

avaitvumourirsafemmeetsonfils,etmaintenantlaseulefamillequiluirestaits’apprêtaitàsubirune opération qui changerait sa vie.Moi ?Courageux ?Non, ceux qui restent en retrait, ceux quicombattentàvoscôtés,cesonteux, lescourageux.C’estfacile,desefaireopérer,ons’endort.Mabataille àmoi était quasi terminée. J’allais dire àmon corps de se battre, et puis je laisserais lesdocteursfaireleurtravail.Maiseux…Jepassaienrevuelesvisagesdemesamisetdemonpère.Eux,leurbataillenefaisait

quecommencer.— Merci, papa, répondis-je enfin, levant mon verre dans sa direction, avant d’en avaler une

gorgée.Pourtout.—Fiston,jesuisextrêmementfierdetoi.Ilnem’avaitjamaisrienditdetel,encoremoinsdevantunepiècerempliedegens.Puisilhochala

têteunedernièrefoisetfranchitlaporte.Gabeseredressad’unbondetsortitdelachambreencourant.Jesavaisquecegars-làcombattait

sespropresdémons,ducoupjeneluienvoulaispas.Ilavaitsansdoutebesoindequelquesminutesdesolitude.—Etsionmangeait?suggéraLisapourbriserlesilence.—Jesuisaffamé.Jeme levaidu lit etentreprisdeme rempliruneassiette.Gabe revint sans riendiredesa sortie

précipitée.Lebuffetétaitincroyable.Jedévoraijusqu’àn’enpluspouvoir.Onapprochaitde19heures.Jecessaidemanger,busunpeud’eauetm’allongeaisurlelit,attirant

Kierstencontremoiafinquel’onpuissesecalerl’uncontrel’autre.—OK,Lisa,fitGabeenprenantsacousineparlamain.Jepensequec’estlesignaldenotredépart.

Àdemain,mec,ajouta-t-ilavecungrandsourire.IlvintcognermonpoingetguidaLisadehors.—Tuaspeur?medemandaKiersten.—Ettoi?—J’aiposélaquestionlapremière.Enriant,jepassaiunemèchedecheveuxderrièresonoreilleetchuchotai:—Jevaisyallermalgrélapeur.

Chapitre44

KIERSTEN

Pouruneraisonquim’échappe,jen’avaispaspeur…bizarre.Unsentimentdiffusdepaixdescenditsurlapiècequejenesavaisexpliquer.

—Désolé.Wesmedéposaunbaisersurlefront.Jemetournaifaceàlui.—Pourquoi?—Jet’avaispromisdet’aiderpourtaliste.Ilsecoualatêteenriant.—Apprendreàvivre…Merde,enlisantça,j’aipenséquetuavaisdécouvertmonsecretillico.Jehaussailesépaules.— On souffre tous mille morts au cours d’une vie, non ? On souffre tous des ténèbres… les

miennesétaientjustedifférentesdestiennes.Ilmetouchalajoue.—Maispasmoinsimportantes.Quoiqu’ilensoit,jesuisdésoléqu’onnesoitpasallésauboutde

taliste.Jem’écartai.—Tufaisallusionaucoulisd’airelles?Parcequ’onenaeupourThanksgiving.—Non,fit-il,avantdesemordreleslèvres.Jepensaisplutôtàl’autretruc.—Hum.Depuis son hospitalisation, la liste n’avait pas quittéma poche.Complètement froissé, le papier

avaitconnudesjoursmeilleurs.JeledépliaiavecprécautionetletendisàWes.—Onatoutfait.J’avaisrayétouslesitems,àl’exceptiondeceàquoiWesfaisaitallusion.—Tuasunstylo?Ilmejetaunregardperplexe,puistenditlamainverslatabletteoùilavaitjouéauMorpionavec

Gabeetmepassalestylo.Lagorgeserréeparl’émotion,jetraçaiunelignesurl’item«Tomberamoureuse»,puisuneautre

sur «Avoir le cœur brisé ».Wesprit unebrusque inspirationquandmon stylo resta suspendu au-dessus de la dernière ligne. Cette fois, en revanche, je l’encerclai : « Tomber amoureuse quandmême».Unelarmemecoulalelongdelajoue,quiatterritsurlafeuilledepapier.Wesattiramonvisageverslesien,prenantmesjouesdanssespaumes.—Jet’aime,Kiersten.— Je t’aime aussi, parvins-je à répondre d’une voix étranglée. Tellement fort que ça fait mal.

Vraimentmal.

Fermantlesyeux,ilvintposersonfrontcontrelemien.—Unjour,tuvasm’épouser.—Ahbon?m’étonnai-jeàtraversmeslarmes.— Ouaip, confirma-t-il avec un grand sourire. Je me mettrai à genoux et je te demanderai de

m’épouser.Jenesuispasdugenrepatient,commegarçon,doncjevaistelaisserfairedeuxannéesdefacavantdeposerlaquestion,pasplus.—Etsijen’avaispasbesoindedeuxans?Ilouvritlesyeux.—Etsijevoulaisquetulefassesmaintenant?Illâchaunlégerrire.—PourquetononcleJoBobselanceàmapoursuitepourmefairelapeau?Jenepréfèrepas…—OK,alorsunan.Etjeplissailesyeuxdansundéfimuet.—Unanàcompterd’aujourd’hui…,murmuraWes.Jehochailatête.—Ettumediras«oui».—Etoncontinueraàbattrenotrecadence.Jefermailesyeux,pourmieuxmémoriserlesouvenirdesonvisageentremesmains.—Etonauratroisenfants,ajoutai-je.—Quatre,corrigea-t-il.Ilfauttoujoursunchiffrepair.—Etonvivra…—Oùl’envienousprendradevivre!—Maisilfaudraquejeterminel’université,soupirai-je,avantdel’embrassersurlajoue.Mêmesi

tuespleinauxas,ilfaudraquejeterminel’université.Aufait,j’aichoisimonfuturmétier.—Ahoui?fit-ilens’asseyant.Pourquoitunem’enaspasparlé?—Jevoulaistefairelasurprise.Jeluisourisàtraversmeslarmes.—Tuveuxsavoirlequelc’est?—Enseignante?proposa-t-il.—Non.—Danseuseexotique?J’éclataiderire.—C’estunmétier,ça?—Çadevrait.—Infirmière,chuchotai-je.Jeveuxdevenirinfirmière,travaillerdanslescentresanticancéreux.Je

veux… Je veux aider les gens, comme toi tu m’as aidée. Je veux les aider à repousser leurscauchemars,leursténèbres.Jeveuxlessauver,commetum’assauvée.Jesentisdenouvelleslarmesmemouillerlesjoues.—Tum’assauvéeettuasaussicausémaruine.Jememordislalèvre.—Jesuisperduepourlesautres, jesuisàtoi…etjamaisplusjeneserailamême.C’estleplus

beaucadeauqu’onm’aitjamaisoffert.Ilessuyameslarmes.—Taruine?—Oui,maruine,carenm’aidantàrenversertousmesdémons,tum’asreconstruite.Etjeneserai

jamaiscapabledeterendrelapareille.—Raisonpourlaquellenousauronsquatreenfants,etpastrois,murmura-t-il.Enriant,jeluinouailesbrasautourducou.—Jet’aime.—Jet’aimeaussi…Êtreavectoi,c’estleplusbeaucadeauquequiconquepuissejamaism’offrir.

Etdirequetoutçaacommencéparcequetum’assautédessuslepremierjourdescours.—Jenet’aipas…—Chut,petitagneau.LeslèvresdeWestouchèrentlesmiennes.Salangueavaitlegoûtduchampagne.Jeluirendisson

baiser avec toute la fougue que j’avais au fond de moi. Ce baiser n’était pas une fin. C’était uncommencement.Ledébutdenotrevieensemble.Oncontinuaàs’embrasserjusqu’àcequemabouchesoitenfléeducontactdeseslèvres.Ilgoûta

chaquepartiedemoi,etpourtantilrefusadeprendrecequejevoulaisleplusluioffrir:moi-même.Ilm’expliquaqu’ilvoulaitavoirquelquechosequilerendraitimpatientàsonréveil.C’étaitbienWes,d’utiliser lesexecommeunebonneraisondenepasmourir. Jenepusm’empêcherderiredesonexplication. Puis mon rire fit place à de doux halètements et des soupirs silencieux tandis qu’ilcaressaitmoncorpstoutenembrassantmapoitrine,mesbras,mesdoigts.Ilpassamêmelamainsurmes mollets, il embrassa le creux de mes genoux – comme s’il s’agissait de zones si spécialesqu’ellesméritaientautantd’attention.Je gémis aussi quand sa bouche retrouva la mienne. Je mêlai mes doigts à ses cheveux blond

cendré.Nos langues entamèrent unedanse, nosbouchespoussèrent, nos lèvres se collèrent, et noscorps étaient aussi proches l’un de l’autre que nos vêtements nous le permettaient. Jem’endormisavec ma bouche posée sur la sienne. Il s’endormit avec les mains sur mes hanches. Quand jem’éveillai,jememisàcompterlesjoursquimeséparaientdeceluioùj’épouseraiscethomme.Dansunanàpartird’aujourd’hui.Dansunan,lecinqdécembre,jedeviendraisMmeKierstenMichels.

Chapitre45

WESTON

J’ai rêvé de ma mère. De ses longs cheveux blonds et de ses yeux bleus brillants debonheur.Elleétaitsibelle.Ellemedemandaitsij’avaispeur.Jeluirépondaisquenon.Onétait assis sur la balançoire rouge que mon père m’avait offerte pour mon sixièmeanniversaire.Mamèreaportémamainàseslèvresetdéposéunbaisersurmesdoigts,enme disant que tout irait bien. Et je ne sais pas pourquoi, mais je la croyais. Avant dedisparaître,elleaposélesdeuxmainssurmapoitrineetfermélesyeux.

—Wes,murmuraAngela.Ilestl’heuredevouslever,mongarçon.Ondoitvouspréparer.Je bâillai, puis hochai la tête avant de secouer doucement Kiersten pour la réveiller. Elle resta

accrochéeàmoiquelquespetitesminutes,puisquittalachambre.Jelareverraisjusteavantd’entreren salle d’opération, et je savais qu’elle souhaitait se changer d’ici là, l’opérationdevant durer aumoinsdixheures.—Commentvoussentez-vous?medemandaAngela,avecsonhabituellesollicitude.—Bien.Jeplissailesyeux.—C’estsuperbizarre.J’airêvédemamère.Vousluiressemblezbeaucoup.—Ahoui?fit-elleenpenchantlatête.J’imaginequ’elleétaitbelle,doncjevaisprendreçacomme

uncompliment.J’éclataiderire,etellem’aidaàenfilermacasaqued’hôpital.—Çaoui,elleétaitbelle.Unefoisquejefusaffublédematenue,Angelamerebranchaàlaperfusionetmedonnadesanti-

nauséeux.Toutallatrèsvite.Monpèrevintmeserrerdanssesbras.Lisasepointaavecunballondebaudrucheetunoursonenpeluche.Jeprislecadeauetl’embrassai.Lesgarsdel’équipedefootballn’étaientpasaucourantdel’opération.Mesprofesseursnonplus.

Maislecoach,oui.Ducoup,quandilentradanslachambre,pleurantcommeunbébé,jenefuspassurpris.Onavaittraversétantd’épreuves,luietmoi.N’empêche,c’étaitsurréalistedevoirsangloterunancienpilierdecentcinquantekilos–ilavaitjouépourl’ÉtatdeFloride,vingtansplustôt.Ilmesaisitlamainensecouantlatête.—Tubatscetruc,etjetelaissejouerlafinale.Enriant,jeluiserrailamain.—Vousavezintérêtàmelaisserjouer.Aprèstout,jesuislastardesquarterbacks.—Ça,c’estvrai,admit-ilenricanantetmetapotantlamain.Onserevoitàtonréveil.—Àmonréveil,répétai-jeaprèsluitandisqu’ilquittaitlapièce.CefutensuiteautourdeGabe.Ilvints’asseoirensilence.

—Çava,mec?m’enquis-je.—Çadevraitpasêtreàmoideposercettequestion?Maisilrefusaittoujoursdecroisermonregard.—Gabe…—J’aidemandéàDieudemedonnerlecancer.Jecontinueàregretterqueçanesoitpaspossible.

Tuestropbien,mec.Tune…Je…Illâchaunebordéedejurons.Choquantemêmepourmoi.—Moncerveauneparvienttoujourspasàl’assimiler,reprit-il.—Arrêted’essayerdecomprendre,luiconseillai-jeensoupirant.Etrappelle-toicequejet’aidit:

faisensortequeçatechange.—Jesuiscleandepuistroisans.Ilsecalacontreledossierdesachaise.—Etc’est ladeuxièmefoisdepuisque jesuis tentéde toutenvoyerbalader.Ladouleurest trop

insupportable,etpuisjemesenségoïstedenepenserqu’àmoi.Jenesuispasfort,contrairementàtoi.—Maissi,arguai-je.Jesaisquetul’es.—Merci.Puisilselevaets’approchademoi.—Mercid’êtremonmeilleurami.—Enfait,Lisam’apayé…,plaisantai-je.—Jesuiscontentdevoirquetugardeslesensdel’humour,têtedenœud.Ilmetapasurl’épaule,avantdemeserrersifortdanssesbrasque,l’espacedequelquessecondes,

jefusincapablederespirer.—Tuasintérêtàflanquerlapâtéeàcecancer,sinonc’estmoiquitelamets,OK?—Pigé.Ils’apprêtaitàquitterlachambrequandjelerappelai.—Gabe?—Oui?—Tuseraismontémoin?—Témoin?—Oui,danstroiscentsoixante-sixjours,jememarieavecKiersten.Tuseraismontémoin?—Tuastonhomme,répondit-ilenricanant.Kierstenestaucourant?—Biensûr.Ellem’aime,tusais.—Ouais,jesais,admit-il,rianttoujours.Onserevoitdel’autrecôté,mec.Dixminutess’écoulèrentetKierstenentra.Vêtued’unerobeblanche.—Désolée,c’esttoutcequej’aiputrouver.—Tuportesune…—Robedemariée,sourit-elle.Jemesuisditqueçastimuleraittoninspiration;tuenaurasbien

besoin.Maintenant tu pourras rêver demoi enblanc, de toi en train dem’enlever la robeblanchesusmentionnée,demoiquidis«oui»quandtumeproposesdet’épouser…et«oui»àtoutcequiaétéénoncéprécédemment.—Viensparici.Jetendislesmainsverselle.Aussitôtellefutdansmesbras,latêteenfouiecontremapoitrine.—Jet’aime,monpetitagneau.

—Jet’aimeaussi,loup,répondit-elledansunsanglot.Tuesmonpréféré.—Tonpréféré…quoi?Elles’écarta,sesgrandsyeuxemplisd’espoir.—Montoutpréféré.Tuesmonpréféré.Detoutesleschosesquejepourraisavoiraumondequi

seraientmespréférées,c’esttoiquil’emportes.Tuemportestout.—Waouh,voilàquiestsacrémentflatteur.Ensouriant,j’enfonçailesmainsdanssescheveux.—Qu’est-cequetuaimesleplus?demanda-t-elle,taquine.Mescheveuxoumoncœur?—Pourquoitunemeproposesquedeuxchoix?N’oubliepastesjambes,tonrire,lafaçondonttu

temordilleslalèvrequandturéfléchis,lecontactdetonsoufflesurmonvisage,lesondetavoixaumatin, ton goût, les trois taches de rousseur sur ton nez, la longueur de tes cils, ta gentillesse, tadétermination…Pourquoi t’arrêterà tescheveuxetà toncœur?Commentveux-tuque je fasseunchoix,quandcequej’aimelepluscheztoi…c’esttoi?Je vis qu’elle se retenait pour ne pas pleurer. Ses joues étaient rougies, ses yeux brouillés de

larmes.—Bref,jet’aime,conclus-je,lesyeuxplantésdanslessiens.Etçan’estpaslafin.—Jesais.Jelesaisici,acquiesça-t-elleenposantunemainsurmapoitrine.Etjelesaisici,répéta-

t-elle,déplaçantsamainpourlapressercontresaproprepoitrine.Repose-toibien,Wes,etsachequejeresterailà,àattendrequetuteréveilles.Jehochailatête.—C’estl’heure.Uneautreinfirmièrevenaitd’entrer,quejenereconnuspas.ElleoffritàKierstenunsouriretriste

etl’escortadehors,aumomentoùAngelaarrivait.—Bien,mongarçon,dit-elleenprenantmonvisageentresespaumes.Ilesttempsdedormir.Et

quandvousvousréveillerez…plusdecancer.Perplexe,jelafixai.Jelafixaivraimentdroitdanslesyeux.J’auraispujurerquejeregardaisma

mère.Jeclignaiplusieursfoisdespaupièresetsecouailatête.—Merci,répondis-jeenfin.Vousavezétéuneinfirmièrefantastique.—Rappelez-vousbienunechose,reprit-elle,poussantmonlitroulantverslaporte.—Quoi?Elles’arrêtadepousser.—Vousnevoyezpeut-êtrepastouteslespiècesdupuzzlequicréevotrevie.Vousnevoyezpeut-

être pas tous les coups que joue le maître de ce grand échiquier. Mais sachez qu’il contrôleparfaitement le jeu. Parfois, certaines pièces sont déplacées ou renversées pour faire de la place àd’autres.D’autresfois,leschosesseproduisentàcausedumondedanslequelonvit.Maisauboutducompte, toutse terminera toujoursbien.C’estune joliepromesse,pasvrai?Desavoirqu’ilexisteuneraisonàtout?Uneraisonpourvotrecancer…Peut-êtrequ’enayantcecancer,vousavezsauvélaviede troisdevosmeilleursamis.Sivousn’aviezpasétémalade, lesauriez-vous rencontrés?Sivousn’aviezpasétémalade,auriez-voustrouvél’amourdevotrevie?Cen’estpeut-êtrepasdanslaperfectionqueleschosesprennentleursens,maisdanslechaos.Etellecontinuaàmepousseràtraverslecouloir.Sesparolesmehantèrenttoutlerestantdutrajet.

Etquandonentradanslasalled’opération,jetendislamainverslasienne.Ellemelaserrafort…Àsonannulaire,elleavaitunebague.Lamêmeexactementquemonpèreavaitofferteàmamère,cellequ’elleavaitportée jusqu’au jourde samort. J’ouvris labouchepour le lui faire remarquer,maismespaupièresétaientsoudaintrèslourdes.Etjesombraidansunprofondsommeil,unsourireaux

lèvres.

Chapitre46

KIERSTEN

Dixheures?Qu’est-ceque j’étaiscensée fairependantdixheures?Prier?Jepriai. Jem’efforçaisdenepaspleureretGabeessayaitdemeremonter lemoralenmeracontantdes histoires embarrassantes sur Lisa enfant. Ça ne servait pas à grand-chose, mais ilfaisaitdesefforts.

Auboutdecinqheures,j’étaissurlepointdedevenirfolle.Ilsavaientditquel’opérationpouvait

durerdedixàdouzeheures.Randyaffirmaitques’ilsressortaientdanslapremièreheure,çaneseraitpasbonsigne.Çavoudraitdirequ’ilétaitinopérable.Maisilavaitbonespoir,alorsunefoisfranchilecapdifficiledesdeuxpremièresheures,jeparvinsàmedétendreunpeu.Jeregardaiunenouvellefoislapendule.Midi.À17heures,jedevraisavoirdenouveauWesdans

mesbras.Ensouffrancemaisdumoinsenvie.Jefermailesyeuxetmeconcentraisursesbaisers.Gabemetapasurlebras.Jelevailesyeux.Undocteursedirigeaitversnous.Têtebasse.C’esttrop

tôt.Non!Non!Jesavaisqu’ilétaittroptôtpourquelemédecinviennenousfaireuncompterendu.Lesbattementsdemoncœurs’arrêtèrent, avantde reprendrecommedes fousdansmapoitrine. JesaisislamaindeGabeetattendislesnouvelles.Le docteur sourit et Randy se leva. S’il souriait, c’était bon signe, non ? Je pris une profonde

inspiration.Jel’auraissenti,si lecœurdeWess’étaitarrêtédebattre.Jel’auraissudansmonâme.Non,ilétaitencoreparminous,c’étaitobligé.—C’esttrèsétrange…,commençalemédecinensecouantlatête.L’opérationestterminée.—Pourquoiest-ceétrange?s’enquitRandy.—Satumeur.Lechirurgiensemblaitàcourtdemots.—Quandonl’aexaminée,ilyaquelquesjours,elleétaitgrossecommemapaume,expliqua-t-il

enmontrantsamain. J’ignorecomment,maisaucoursdes joursquisesontécoulésdepuis,elleadiminuépourneplusexcéderlatailled’unepetiteprune.—Jevousdemandepardon?Randycillaàplusieursreprises.Jevoyaisbienqu’ilretenaitseslarmes.— Le cancer a disparu, reprit lentement le médecin. La tumeur était localisée en un point très

procheducœur,maisopérable.Onl’aretiréesansaucunecomplication.Votrefils…Lavoixdudocteurtremblaetilprituneinspirationsaccadée.—Votrefilsvavivretrèsvieux,siDieuleveut.Gabe me rattrapa tandis que je m’effondrais contre sa poitrine, secouée par des sanglots

reconnaissants.—Quandpeut-onlevoir?s’enquitRandyd’unevoixrauque.— Il dort encore, répondit le médecin en souriant. J’ignore si tout ça résulte finalement du

traitement,ous’ils’agitd’unmiracle.Jesuisdanslachirurgiethoraciqueoncologiquedepuisquinze

ans,etjen’aijamaisrienvudetel.Onvaexaminerendétailtouslesmédicamentsqu’aprisvotrefils,pourvoirs’ilyaquelquechoselà-dedansquiagitsurlestumeurscancéreusesenstadeterminal.—Trèsbien,conclutRandy,tendantlamainaudocteur,quilaluiserra.Merci.Mercipourtout.—C’étaitunplaisir.Lemédecinnoussalua,puisilsortit.Jenevoyaisplusrienàtraversmeslarmes.JesentaislecorpsdeGabesecouécontremoi.Desanglots,pensais-je.Jelevailesyeux.Enfait,il

riait,ilriaitsifortquejecrusqu’ilallaits’évanouir.Jem’écartaidelui.—C’estquoi,tonproblème?—Cetenfoirém’afaitpromettred’êtresontémoin.Etilritdeplusbelle.—Ilasurvécu,uniquementpourmevoirensmoking.Ils’essuyalesyeux.Jememisàrireaveclui.Lisaselevadesachaiseetmepritlesmains.Dusoulagement,voilàtout

cequejeressentais.Lesoulagementdesavoirquetoutiraitbien,qu’onallaitêtreensemble.Jedevaismeretenirdecourirjusqu’àlasallederéveilpourmejetersurlui.Ilétaitenvie.L’amourdemaviem’attendait.Putaindemerde.J’allaismemarierdansunan.Etj’éclataiderirepourdebon.

Chapitre47

WESTON

J’airêvédeKierstenenrobedemariée.J’étaisauboutdel’alléeetellemarchaitversmoi.Puismoncerveauaavancéenaccélérésurdesimagesdenousmaindanslamain,denosgaminsentraindejouerdanslejardin.Etpuis,plusloinencoredansletemps,j’aivunosmainsridéessetoucheràlanaissanced’unautredenosarrière-petits-enfants.Mavie…monavenir.Toutluiappartenait.

Lapremièrepersonnequejevisàmonréveil,cefutmonpère.Ilétaitpenchéau-dessusdemonlit,

unairdesidérationabsoluesurlevisage.Àl’instantoùj’avaisaperçul’alliancedemamèreaudoigtd’Angela, j’avaissuquetoutsepasseraitbien.J’avais lacertitudequ’enfait, j’allais justefaireunesieste,etpuismeréveillerpourcommencermavie.Unnouveaudépart.Le visage demon père, tout comme celui deKiersten, disparaissait et réapparaissait. J’ignorais

combiendetempsj’avaisdormi.Unjour,mesyeuxrestèrentouverts.J’essayaidemeconcentrersurquelquechose–n’importequoi.Lesouriredemonpèremedonnaitmalàlapoitrine,àmoinsqueçane vienne de l’opération. J’étais incapable de dire si c’était physique ou émotionnel. D’ailleurs jem’en fichais. J’avaismal, or avoirmal, ça signifiait que j’étais envie.Enfin, je parvins àvoir unautrevisage.—Commenttutesens?medemandamonpère.—Commeunquarterback.Mavoixrestaitrauqueàcausedutubequ’onm’avaitenfoncédanslagorge,maispeum’importait.

Jevoulaisparler.Carparler,çasignifiaitquejenerêvaispastoutecettescène.Chaqueinspirationmefaisaitunmaldechien,pourtantjecontinuaisàrespirer.Etjesongeaiqueceseraitunprivilègederespirerainsidansladouleurpourlerestedemesjours.Ensachantquechaquerespirationétaituncadeau.Monpèrerit.—BonDieu,tupensesquelecoachvatelaisserjouersivousêtesenfinale?—Quandonseraenfinale,lecorrigeai-je.Etj’essayaidem’éclaircirlagorge,histoirededonneràmavoixunsonplusnormal.—Lecoachapromisdemelaisserjouer,repris-jeavecunclind’œil.Oùilssont,tous?—Jevoulaisunmoment…pourparleràmonfils,acheva-t-ilaprèsunbreftoussotement.Seulà

seul. Pourm’assurer que c’était bien vrai.Que tu étais là et plus dans cette salle d’opération. Lesmédecinst’ontexpliquécequ’ilsontdécouvert?Jehochailatête.—Latumeuradiminué.—Fiston,elleaperdulestroisquartsdesataille,etça,enquatrejours.Je n’étais pas certain de pouvoir parler. Une infirmière avait évoqué un miracle, alors que les

docteursenattribuaientlemériteauxmédicaments.Aufond,jenesauraisjamaisvraiment,etpeut-

êtrequeçan’avaitpasd’importance,lafaçondontj’avaisétéépargné,dumomentquejel’étais.—Incroyable,hein?fis-jeenfin.—Unmiracle,réponditmonpèreenmetapotantlamain.Jet’aime,Wes.—Jet’aimeaussi,papa.Ilseleva,puiss’immobilisadansl’encadrementdelaporte.—Tuvasvraimenttemarierdansunan?—Ouaip.Etjenepusréprimerunlargesourire;j’auraismêmejuréquemoncœuravaitratéunbattement.Monpèresecoualatêteenriant.—OK,ehbienjevaisdevoirfairelaconnaissancedelafamilledecettejeunefille,danscecas.Quelquessecondesplustard,Kierstenentradanslachambrecommeunebombe.Uneboulerouge

toutefloueetchaudequisautasurmonlit,enprêtanttoutefoisattentionànepastouchermontorse.Ben oui, quoi, je venais de subir une opération balèze. Elle posa les lèvres sur ma bouche etm’embrassapendantunebonneminuteavantdes’écarter.—Bienjoué,Wes.—Ilyades trucs…(Jepassaiunemèche roussederrière sonoreille.)quivalent lapeinedese

battre.Uneinfirmièreentra,quivérifiamonporte-bloc.—OùestAngela?luidemandai-je.L’infirmièreposaundrôlederegardsurmoi.—Angela?—Oui,l’infirmièrequis’occupaitdemoi.Blonde,jolivisage…—Hmm…L’infirmièrereposaleporte-blocetmesourit.—Nousn’avonsaucuneAngeladansceservice,dumoinspasàmaconnaissance.D’aprèsvotre

tableau, vous étiez sous unemédication particulièrement lourde. Les hallucinations sont normales,avec une quantité pareille de médicaments dans le système, Weston. Je vais notifier les effetssecondairesaudocteur,afinqu’ilenprennebiennote.Etavecunnouveausourire,ellesortitdelachambre.—Angela?C’estqui?medemandaKiersten.—Jenecroispasavoirhalluciné.Jet’aibiendemandédem’épouser,non?Ellehochalatête.—Ettuasbienpromisdeporterunerobeblanche?Nouveauhochementdetête.—Etlanudité.J’auraisjuréqu’ilyavaitunehistoiredenudité.Kierstenrouladesyeux.—Oui,destasdenudité.—MaistuneterappellespasAngelanonplus?—Pasdutout, répondit-elleenhaussant lesépaules.C’étaitpeut-être tonimagination,oubientu

avaisunangegardien.On s’embrassait quand quelqu’un frappa à la porte. Un infirmier apportait un plateau-repas.

Derrièrelui,j’aperçusunsourirefamilier,encadrédecheveuxblonds.—C’estelle?s’enquitKiersten.Angelanousfitunpetitsignedelamain,ressortitdelapièce,puisentradansl’ascenseur.Etpileau

momentoùlesportesserefermaient,ellemelançaunclind’œil.

—Putaindemerde.Kierstenmetapotal’épaule.—C’étaitqui?JesoupiraietremerciaiDieuensilencepoursesmiracles,detouteslestailles.—Jevaisteparlerdemamère.

Chapitre48

WESTON

Deuxmoisplustard

Merde,j’étaishyperstressé.Lemédecinavaitditquejepouvaisjoueràcapacitélimitée,maisilnepensaitpasquejepuissetenirunmatchentier.C’estvrai,quijoueaufootballaprèsqu’onluiaouvertlapoitrine?Pourtant, jemesentaisenpleineforme.J’avaisrecommencé l’exercicephysiquedeuxsemaines après l’opération, lentement mais sûrement. Je me sentais de nouveau au top. Plus denausées,plusrien.J’étaisenvie,etDieuquej’étaisreconnaissant!J’agitailamainendirectiondeKiersten.Elleétaitassisedanslesgradinsavecsononcleetsatante.

MonpèreetJoBobs’étaientbeaucouprapprochésaucoursdesmoisécoulés.Bizarrement,ilsemblaitquelechagrindemoncôtéetdeceluideKierstenrapprochaitcesdeuxhommes.Iln’avaitpasfalluplusd’unesemaineàJoBobpourallerau-delàdesasidérationpremièrefaceàlastarqu’étaitmonpère.Auboutdedeuxsemaines,ilfaisaitdesblaguessurmonpèrequinousfaisaientmourirderire.C’étaitbonderire.Etencoremeilleurdevoirriremonpère.Surlebordduterrain,monpèreagitalamainluiaussi,puisildésignaGabe,assisprèsdeLisaet

arborantunpanneaugéantquiproclamait:«Vas-yWes!»enlettresrouges.Etilsavaientdessinéunénormecœurautour.Commenousl’avionsprévu, lanouvelledemonopérationetdemaluttecontre lecancers’était

diffusée.AvecdenombreusesinterviewsviaSkypepourGoodMorningAmericaetAndersonCooper,sansparlerd’ESPN,j’avaistoutjusteletempsdepenseràlafinale,etàcequej’allaisfaireàlami-temps.Onaffrontaitl’Oregon.Encore.Unechancesurjenesaiscombienqueçaseproduise.LesDucks

étaientbons,maisonétaitmeilleurs.Jelançaileballonunefoisdeplusetlevailesbrasau-dessusdematête.C’étaitlechampionnatinteruniversitaire.J’auraisdûpenseraujeu,penserànepasmefairetacler,àgagner…Pourtant,jenepensaisqu’àelle.—Tuesprêt?medemandaTonyenm’envoyantlaballeunedernièrefois.—Biensûr,répondis-je,rieur.Ettoi?—Onvamangerducanardpourledîner.Et il tendit deux doigts dansma direction, avant de renverser la tête en arrière et de lancer un

mugissement.Dans lesgradins, lesgenschantaientGreenandYellow 6 à pleinspoumons. Je savaisqueçarendraitGabefurax.Lepauvre,personnenedétestaitpluslesDucksquelui,bienqu’ilrefusedenousrévélerlaraisonexactedecettehaine.Lecommentateurpritlemicro.Etjesongeaique,bizarrement,ladernièrefoisquej’avaismisles

piedssurunterrain,jepensaisquemavieétaitfinie.Alorsquefranchement…ellevenaitdecommencer.Lesdeuxpremiersquart-tempsfurentfinisavantmêmed’avoircommencé.Lesscoressetenaient,

et j’étaisofficiellementépuisé.Lecoachessayabiendemefairesortiràquelquesreprises,maisje

refusai.Jefaisaisdusuperbonboulotetjevoulaisportermonéquipe.Jenepouvaispasleslaissertomber,pasmaintenant.—Tuessûrque tuesenétat?medemandamonpèrequand lasonnerieannonçant lami-temps

cessaderetentir.—Ouaip,répondis-jeenmeléchantleslèvres.J’aiattenducemomenttoutemavie.Ilplongealamaindanssapocheetmetenditlapetiteboîte.—Alorsvas-y.—Sitoutlemondeveutbienregagnersaplace,lançal’hommeaumicro,nousavonsuneannonce

spéciale.Jeme dirigeai aumilieu du terrain sous les cris et les applaudissements des gradins.Même les

supportersdesDucksétaientdebout.Àl’instantoùjemetournai,jecomprispourquoi.Chaquemembredupublicsoutenantmonéquipe

portaituntee-shirtaffichant:«J’♥WesMichels».J’étaistropsouslechocpourpouvoirparler.Leshurlementsenflèrent.Jesaluaid’unsignedelatêteetretiraimoncasque.Nerveux,jem’éclaircislagorgeavantdeprendrelemicro.—Merci,commençai-jed’unevoixrauque.Vousn’avezpasidéedecequevotresoutiensignifie

pourmoi,mafamille,monéquipe.Denouveau,jem’éclaircislagorge.—Jevousaime.Tous.Maisilyaquelqu’un…quelqu’undespécialàquijedoisvraimentparler,

aujourd’hui.Kiersten?Lafouleexulta.—Kiersten,tupeuxmerejoindre?Mapetitefemmefitlechemindepuislesgradinsjusqu’aucentreduterrainsousleshurlementset

les«hourra».—Bonsang,commentai-jedanslemicro,tuesaussibellequelepremierjouroùjet’aivue.Lesjouesaussirougesquesescheveux,ellefranchitlesderniersmètresquinousséparaient.—Petitagneau,repris-je.Elle leva les yeux au ciel, mais je voyais bien qu’elle était heureuse. Je devais contenir

l’enthousiasmequejeressentaisdepouvoirenfinladéclarermienne.—Quandjet’airencontrée,j’avaislecœurenmiettes.Lafoulesetut.—J’étaisempoisonnéparquelquechosequimedépassait.Certainspensentquec’estunmiraclesi

jesuislà,aujourd’hui;d’autresattribuentçaauxmédicaments.Maismoi,ajoutai-jeenluiprenantlesmains,jeconnaislavérité.Ellefronçalessourcils.—Quand je t’ai rencontrée…ehbien, tum’as soigné.De l’intérieur, tout entier.Ensembleona

vaincu nos peurs, on a appris, on a ri et on a aimé. Je te jure, tu as fait battre mon cœur plusintensémentaucoursdesmoisécoulésqueduranttoutemavie.Moncœurestentierparcequetuaschoisidepartagerletienavecmoi,etc’estpourçaquejevaistombernonpassurun,maissurmesdeuxgenoux…Jem’agenouillaidevantelle,sanslâchersamain.—Etjetedis«merci».Mercidem’avoirsauvélavie,mercid’avoirétémaforcequandjen’en

avaispas.J’aimeraispenserquenoscœurssontmêléspourtoujours,maissachantqueçan’estpasuneunionlégaleausensstrict,j’aiunequestionpourtoi.Danslestade,onentenditdeshalètements.

—Tuveuxbienm’épouser?Fairedemoil’hommeleplusheureuxdelaterre?J’ouvris l’écrin, révélant la bague demamère.Celle que j’avais vue en fermant les yeux avant

l’opération.Un solitaire de trois carats, taillé à l’ancienne, avec lesmots «Mon cœur pour toi »gravésà l’intérieurde l’anneau.Monpèrem’avaitditque lorsqu’il l’avait faitgraver, ilnepensaitqu’à sonamourpourmamère. Jamais il n’aurait imaginéquecettephrasepuisseprendreun sensdifférentpournous.Peut-être,ouipeut-être,qu’ilyavaiteneffetuneraisonpourquetoutçasoitarrivé.Peut-êtreque

lescoïncidencesn’existaientpas.Jedéglutisdansl’attentedelaréponsedeKiersten.Avecuncri,ellejetalesbrasautourdemoncou,mefaisantvacillerenarrière.Etsabouchetrouva

lamienne.Jegoûtaiseslèvres.—Çaveutdire«oui»?grognai-jecontresabouche.—Çaveutdire«pourquoiçat’aprissilongtemps?»!Ellemedonnauneclaquesurletorse,puisdétournalesyeuxalorsquedeslarmesdégoulinaientle

longdesesjoues.—Jet’aime,WesMichels.—Ohoui.Ungrandsourireauxlèvres,elledésignasontee-shirt.—Tuaimes?—J’adore.—J’♥WesMichels,chuchota-t-elleenm’embrassantdeplusbelle. Je t’auraisdonné lemien, tu

sais…—Quoi?demandai-je,perdu,laserranttoujoursdansmesbras.—Moncœur…Jevistremblersalèvreinférieure.—Jetel’auraisdonné…pourtesauver.J’auraisfaitn’importequoi.—Jeveuxbienleprendrequandmême.—Quoi?—Toncœur,murmurai-je.Jeleprends,sil’offretienttoujours.Jeleveuxtoutentier,mêmeles

morceauxcassés,lespiècesquines’assemblentplus.Jeveuxtout.Toutdetoi.J’aibesoindetout.—Tul’as.Elle resserra son étreinte autour demon cou, avant de sauter dansmesbras et d’envelopper les

jambesautourdemataille.Les équipes de photographes devenaient dingues, à essayer de capturer nos corps sous tous les

angles. Et exactement comme je l’avais prévu, le feu d’artifice se déclencha pile au moment oùretentitlachansonBeneathYourBeautiful.—Waouh!s’exclama-t-elleenrenversantlatêteenarrièrepourregarderleciel.Toi,tuaslechic

pourfaireleschosesengrand!—JesuisunMichels,répondis-jeavecunclind’œil.Bon,fautallergagnerlematch,maintenant.Onauraitperduquej’auraisquandmêmeétéheureux.Heureusement,onneperditpas.Lesjauneet

vert n’étaient plus. Gabe semblait sur le point de verser des larmes de joie, et puis il se mit àinvectivernosadversaires.Ondutl’éloignerenurgencedessupportersdesDucks.JesaisislamaindeKierstenetl’embrassai.Jen’avaisqu’uneenvie:larameneràlamaison.Manominationcommemeilleurjoueurdel’année?Çanevalaitrien.Êtreprisenliguenationale

defootball?Riennonplus.MaisKiersten…Alorslà,oui.Elleétaittout.Jepartis donc rapidement. Jedis au revoir aux caméras, aux flashs, à la célébrité. Jenevoulais

qu’elle.Etdansletunnelsombrequinousconduisaitàl’extérieurdustade,ensentantl’alliancedemamèrecontremondoigt,jesusquejecommençaislerestedemavie.

6.ChansondeLilWaynesouvententonnéedanslesgradinspoursupporteruneéquipeenvertetjaune.

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Milady

REMERCIEMENTS

Avanttout,jedoisremercierDieu.Cettehistoiren’auraitpasexistésanslesbonheursconstantsdontIlémaillemavie.C’estgrâceàLuiquejesuisenmesuredefairetoutcequejefaischaquejour.Commebeaucoupd’entrevouslesavent,mononcleJoBobestatteintd’uncancerenphaseterminale.J’ai écrit ce roman en son honneur, et en celui de tous ceux dont la vie a été marquée par cettemaladie.Sivoustraversezcetteépreuveavecvosamisoudesmembresdevotrefamille,j’espèrequecelivrevousdonneralesarmespoursurmonterl’inévitabletristesseetvousaideraàguérir.MerciàGrandCentralPublishingdem’avoirencouragéeàprendreletempsd’écrirecettehistoire,etdem’avoirsoutenuetoutaulongduprocessusd’écriture.LaurenPlude,tuesuneéditriceincroyable.Je l’ai déjà dit, je vais le dire de nouveau : c’est un privilège de travailler avec toi et l’équipe deGrandCentral.LauraHeritage,mercipourlesmilliersd’heuresquetuaspasséesàrelireetàéditercelivrealorsquetuattendaisunenfant.Leprésentouvragen’auraitpasvulejoursanstesbonssoins.Sansrire,tuesunestar!Quellechancej’aidetecompterparmimesamis!Monéquipe sur le terrain,mesbêta-lecteurs, jevous aime !Vous avez été lespremiers à avoir ceromanentrelesmains.J’ignorecequejeferaissansvotresoutien,vosencouragementsconstantssurFacebook!Vousêtesmadeuxièmefamille.Commetoujours,quevousayezaiméoudétestélelivre,laissezuncommentaire.Chaquecritiqueestutile.Lesbénéficesdesdeuxpremièressemainesdecommercialisationduromanservirontàfinancerlessoinsmédicauxdemononcle.LeresteserareverséàMake-A-Wish.N’hésitezpasàrecommandercelivreautourdevous,àvosamis,votrefamille.Sivousavezaimé,parlez-en.Sivousn’avezpasaimémaisquevouslepensezsusceptibled’aiderquelqu’un,faites-lecirculer.Mercidem’avoirlue.

RachelVanDykenestuneplumederéférenceenromanceetnewadult.Quandellen’estpasoccupéeàécrire,elledescenddeslitresdecaféchezStarbucksouposelesjalonsdel’histoiredesonprochainromanenregardantleBacheloràlatélévision.Ellevitdansl’IdahoencompagniedesonépouxetdeSirWinstonChurchill,leurboxerquironfle.

MiladyestunlabeldeséditionsBragelonneTitreoriginal:RuinCopyright©2013RachelVanDykenTousdroitsréservés.©Bragelonne2016,pourlaprésentetraductionPhotographiedecouverture:©ShutterstockL’œuvreprésente sur le fichierquevousvenezd’acquérirestprotégéepar ledroitd’auteur.Toutecopieouutilisationautrequepersonnelleconstitueraunecontrefaçonetserasusceptibled’entraînerdespoursuitescivilesetpénales.ISBN:978-2-8205-2606-9Bragelonne–Milady60-62,rued’Hauteville–75010ParisE-mail:[email protected]:www.milady.fr

CouvertureTitreDédicacePrologue1.Kiersten2.Kiersten3.Kiersten4.Kiersten5.Weston6.Kiersten7.Weston8.Kiersten9.Weston10.Kiersten11.Weston12.Kiersten13.Weston14.Kiersten15.Weston16.Kiersten17.Weston18.Kiersten19.Weston20.Kiersten21.Weston22.Kiersten23.Weston24.Kiersten25.Weston26.Kiersten27.Weston28.Kiersten

29.Weston30.Kiersten31.Weston32.Kiersten33.Weston34.Kiersten35.Weston36.Kiersten37.Weston38.Kiersten39.Weston40.Kiersten41.Weston42.Kiersten43.Weston44.Kiersten45.Weston46.Kiersten47.Weston48.WestonRemerciementsBiographieMentionslégales