Rapport Ined Janvier 2004

Embed Size (px)

Citation preview

  • 8/3/2019 Rapport Ined Janvier 2004

    1/4

    Limmigration est un thme ce point passionneldans notre pays quil devient difficile de fairesereinemen t le partage entre les faits tablis et les idesreues. Essayons, la lumire des conn aissances dispo-nibles, de dissiper quelques confusions.

    Premire ide reue : la France seraitun pays dimmigration massive

    La France est certes un vieux pays dimm igration mais

    il y a dj vingt-cinq ans quelle nest plus un paysdimmigrat ion massive. Elle est deven ue au contraire lepays d Europe o la croissance dm ographique d pendle moins de limmigration : pou r un q uart u ncinqu ime seulement (figures 1 et 2). Chaqu e anne, laFrance comp te 200000 naissances de p lus qu e de d cs,alors que le solde migratoire (la diffrence entre les en-tres et les sorties de m igrants) est estim aux alentoursde 65 000 personn es. Mme en faisant lhyp othse in-vraisemblable qu e les statisticiens franais auraient tou tfaux et leurs collgues europens tou t juste, au p oint dedevoir d oubler notre solde migratoire et de laisser in-changs ceux des p ays voisins, lapp ort m igratoire nereprsenterait encore qu e 40% d e notre croissance, cequ i laisserait la France dans les derniers pays dEurop epar limportance d e limmigration (figure 2).

    Ce constat a beau figurer chaque an ne au bilandmographique de lInsee, celui dEurostat, etPopulation & Socits en faire tat systmatiquementdan s son num ro de mars, il reste largement m connu .Cest limage contraire qui p rvau t : celle dune Franceen dclin dmographique, prise dassaut par unevague m ontante d immigration. quoi tient u ne tellemconnaissance?

    Dabord au fait que des concentrations locales

    peuvent aboutir des proportions de population

    POPULATION

    SOCITS&immigre extrmement leves dans certaines com-mu nes. Ensuite et surtou t, au fait que lon confond la si-tuation actuelle et les consquences de la situationpasse. La France a bel et bien t un p ays de forte im-migration ap rs la Premire Guerre mon diale (le soldemigratoire reprsentait alors les deux tiers de la crois-sance d mograph ique) ainsi que des an nes soixanteau milieu d es annes soixante-dix (o sa contributionatteignait encore 40%, alors que le baby-boom ntaitpas achev) (figure 1) [1], [2]. Sur la longu e dur e, les

    historiens ont soulign juste titre lapp ort d es migra-tions au dveloppem ent d e la socit, particulirementvisible en milieu ou vrier ainsi qu e dan s lintelligentsia.Cet apport est plus ancien et plus soutenu que d ans lesautres pays europens.

    Numro 397 Janvier 2004

    ditorial Cinq ides reues sur limmigration Premire ide reue: la France serait un pays dimmigration massive - p. 1 Deuximeide reue: le taux de fcondit de la France serait largement d aux familles immigres - p. 2 Troisime ide reue: indnombrable, l immigration irr-gulire serait innombrable - p. 3 Quatrime ide reue: la statistique publique serait impuissante comptabiliser correctement les immigrs - p. 3 Cinquime ide reue: accueillir limmigration, cest accueillir la misre du monde - p. 3

    Cinq ides reues sur limmigration

    Franois Hran*

    * Institut national dtudes dmographiques

    -200

    -100

    0

    100

    200

    300

    400

    500

    600

    1936-1946

    1901-1906

    1906-1911

    1911-1921

    1921-1926

    1926-1931

    1931-1936

    1946-1954

    1954-1962

    1962-1968

    1968-1975

    1975-1982

    1982-1990

    1990-1999

    En milliers

    INED55803

    Solde migratoire

    Excdent naissances-dcs

    Figure 1 - Bi lan dmographique de la Franceau cours du XXesicle

    Lecture : du recensement de 1911 au recensement de 1921, laFrance a eu un exccent naturel ngatif (200000 dcs de plusque d e naissances) et un solde migratoire positif (40000 immi-grations de p lus que d migrations). Pendant la crise des annestrente, les immigrs sont renvoys chez eux (solde ngatif) et lesdcs lemportent sur les naissances. Le baby-boom daprs-

    guerre est su ivi dune forte immigration, qui se rdu it sensible-ment ap rs larrt d e la migration d e travail en 1974.Source: Insee Recensements.

  • 8/3/2019 Rapport Ined Janvier 2004

    2/4

    Si la France a un srieux problme dintgration rsoudre, que ce soit dans le systme ducatif ou lemarch d u travail, cela concerne d abord les enfantsissus des grandes vagues migratoires ouvrires desann es 1950-1974, parven us lge actif en tem ps d ecrise conomique. Cette question majeure nourrit au-jourdhui le dbat public. Il ne faut pas la confondreavec celle du flux actuel des imm igrant s, qui reste, ma l-gr toutes les majorations quon voudra, trs en dedes niveaux atteints il y a trente ans et sans commu nemesure avec les niveaux atteints aujourdhui enAllemagne et en Europe d u Sud : la matrise des fluxpar les autorits franaises est plus efficace quon n e led it, ce qui se combine av ec le fait que notre faible tauxde croissance rend le pays moins attractif.

    En rappelant ainsi les ordres de grandeur du ph-nomne, on ne nie pas la pression migratoire exerceaux frontires. Cette pression existe, en particulier travers la procdu re de d emand e dasile, mais elle nesassimile pas un e invasion, elle correspond pou r les-

    sentiel un flux rgulier en provenance de nos an-ciennes colonies dAfrique et d Asie, o les tud iantssont d e plus en plus n ombreux. Rien voir avec lesmigrations massives que lAllemagne a accueilliesen provenance de lex-Union sovitique et de lex-Yougoslavie. Rien voir non plus avec les migrationsde m ain-du vre qui affluent d ans les pays de lEuropemd iterranenne en pleine croissance.

    Deuxime ide reue :le taux de fcondit de la France seraitlargement d aux famille s immigres

    Une faon d e nier ces constats consiste d ire que lex-cdent des naissances sur les dcs observable enFrance, de trs loin le plu s imp ortant d Europe, seraitlargement d aux naissances des enfants dimmigrs.De faon logique, en effet, lInsee ne compte pascomme im migrs les enfants d imm igrs qui naissentsur le sol franais : ils nont franchi aucun e frontire. Ducoup, lenfant n en France dun couple dimm igrsfigure au solde n aturel et non au solde m igratoire. Celafausserait-il notre bilan dmographique par rapport celui de nos voisins? Cest oublier que le problme sepose lidentique d ans tous les pays d Europe : les d-

    mograp hes franais suivent l une norm e universelle.Si lon voulait y renoncer, il faudrait faire de mmedan s tous les pays d immigration, ce qui laisserait in-chang le classement rciproque d es pays.

    Peut-on nanmoins en avoir le cur net en va-luant la contribution rcente de limm igration la f-condit de la France? Le calcul vient dtre actualispou r la d cennie 1990 par Laurent Toulemon , grce lenqute tude de lhistoire familiale associeau recensement de 1999. Un prochain numro dePopulation & Socits lexposera en dta il. Disons seu le-ment que lcart entre la fcond it des imm igres et

    celle des Franaises natives est trs infrieur auxchiffres qui circulent. Dans la priode 1991-1998, lenom bre moyen denfants p ar femm e tait de 1,72 en

    France mtropolitaine pour lensemble des femmes, etde 1,65 pour les seules franaises natives. Les immi-gres, qui reprsentent seulement le douzime desfemm es en ge davoir des enfants, sont trop p eu nom -breuses pour pouvoir relever srieusement le taux de

    fcond it gnral d u pays (de 1,65 1,72, il ny a jamaisque 0,07 enfant). On p eut estim er qu elles avaient enmoyenn e 2,2 enfants dont 0,6 n avant leur arr ive enFrance et 1,6 n en France. Ce rsultat na rien de sur-prenan t qu and on sait qu elle vitesse la fcondit achut en Europe du Sud et, plus encore, au Magh reb(plus de 7 enfants par femm e vers 1970, prs de 2,5 au-jourdhui), baisse qui devient galement sensible dansles capitales de lAfrique subsaharienne.

    Si le public ne peroit gure ce phnomne deconvergence, cest en raison d u d calage tem porel. Les jeunes issus de limmigration, et dsormais visibles

    dan s lespace pu blic, sont ns il y a quinze ou vingt ans ;ils sont le fruit d un rgime d e fcondit largement r -volu. Bientt viendra le temps o limage classique de

    2

    INED

    Cinq ides reues sur limmigration

    Population et Socitsn397, janvier 2004

    -2 -1 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

    Taux d'accroissement pour 1 000 habitants

    Taux d'accroissement migratoire(solde entres sorties)

    Taux d' accroissement n aturel(solde naissances dcs)

    14,6

    France 20 %

    Norvge 39 %Finlande 44 %Pays-Bas 47 %

    Irlande 50 %Danemark 63 %

    Royaume-Uni 70 %

    Belgique 74 %Suisse 78 %

    Espagne 82 %

    Portugal 90 %Autriche 95 %

    Italie 97 %

    Grce 103 %Sude 107 %

    Allemagne 150 %

    INED55903

    Figure 2 - Bi lan dmographique 2001pour les principaux pay s d'Europe occidentale,

    classs selon la part de croissance due aux migratio ns

    N. B.: l'paisseur des bandes (axe vertical) indique la p opula-tion des pays ; les surfaces sont donc proportionnelles aux ex-cdents et aux dficitsLecture : Avec un tau x d'accroissement naturel d e 4 pour 1000

    et un taux d 'accroissement m igratoire de 1 pour 1000, la Franceest le pays d'Europe dont la croissance dmographique an-nuelle dpend le moins de l'immigration : seulement 20%, alorsque l'Allemagne, l'autre extrmit, compte plus d e dcs quede naissances (accroissement naturel ngatif infrieur -1 pourmille) et un accroissement m igratoire suprieur 3 pour millequi dpasse de 50% la croissance globale.Source: Ined (www.ined.fr)

  • 8/3/2019 Rapport Ined Janvier 2004

    3/4

    3

    INED

    Cinq ides reues sur limmigration

    Population et Socitsn397, janvier 2004

    la famille immigre surcharge denfants cessera decorrespondre la ralit.

    Troisi me ide reue : indnombrable,limmigration irrgulireserait innombrable

    Ce nest pas parce que limmigration irrgulire est entoute rigueur indnombrable quelle est ncessaire-ment innombrable. Les oprations d e rgularisation ef-fectues priodiquement dans les pays europensdon nent en fait une ide de leur ord re de grandeu r carle simp le bruit d un e rgularisation m obilise rapide-men t les intresss.

    En ralit, on surestime toujours le nombre dessans-papiers [3], [4]. La France a rgularis en 1982quelque 132000 immigrs et satisfait en 1997-1998environ 90000 dem and es sur 130000 (une fois dcomp-tes les dem and es dp oses en d ouble). Lerreur nepas faire serait dajouter ces donnes de stock des

    donnes de flux. Dans les deux cas, en effet, il sestavr que les du res de sjour d es migrants non d cla-rs stalaient sur u ne d izaine dannes, ce qui conduit les rpartir sur le solde migratoire des dix annes pr-cdentes, soit un supplment annuel de 13000 mi-grants. Compar au solde provisoire estim par lInsee(50000 en anne moyenne), cest une rvision lahau sse de 25%. Correctif important, sans d oute, quelon p eut encore majorer par acqu it de conscience, maisqui ne bou leverse pas les ordres de grand eur d e lim-migration, laquelle reste rgulire dans sa grand e majo-rit. On est loin des op rations de rgularisation d e trs

    gran de envergure qu ont d m ener lEspagne, lItalie etla Grce ces cinq d ernires ann es, avec des effectifs dedem and eurs qu i ont p arfois excd le dem i-million.

    Une au tre voie dapproche consiste concentrer lesanalyses sur les terrains privilgis du travail nondclar, principal sou tien conom ique d e limmigra-tion irrgulire. Comm e le rappelle une section d u r ap-port Weil de 1997 [4], ce type dactivit se concentre plu s de 90 % dan s le BTP, le tourisme, le travail agricole,la confection et le serv ice dom estique. Les investiga-tions menes dans ces secteurs montrent que limmi-gration irrgulire y ctoie une m ain-du vre au noirnationale encore plus nombreuse, ce qui limite le

    nombre m aximu m d immigrs impliqus. Une partiede cette irrgularit est engendre par la rglementa-tion du travail saisonnier et tempor aire, dont la dcla-ration est lourd e pou r lemp loyeur et peu intressantepou r lemp loy.

    Quatrime ide reue : la statistiquepublique serait impuissante comptabiliser correctement les immigrs

    La mesure d es flux migratoires est un a rt d ifficile: seuleun e partie d es entres sont enregistres par les orga-

    nismes officiels et les retours ne sont gu re observables.Mais la cohrence des quations d mograp hiques per-met en par tie de combler ces lacunes. Une fois ns et

    levs en France, les enfants de limmigration sont in-tgrs dans la statistique d mograp hique, sociale ouscolaire.

    Il est toujours p ossible de relever des incohrencescomptables quand on d escend d ans le dtail, mais lesdm ograph es nimaginent pas qu e leur r le soit de for-cer la ralit produ ire des donn es parfaites. Mieuxvaut chercher comprendre la source sociale des biaisque de vou loir les abolir. On sait, par exemp le, grce un e enqu te longitud inale de lInsee, quune fractioncroissante d es personnes ges ayant migr en Francedan s leur jeune ge tend ent avec le temp s se dclarerrtrospectivement Franaises d e naissance au lieude continuer dire quelles ont acquis la nationalit.Avec le temps, elles ne se sentent plu s imm igres. Il se-rait absurde d e dnoncer l une fausse dclaration etde somm er lInsee dy mettre bon ordre : cest lvi-dence u n signe dintgration accomplie.

    Il en est de mme pour les familles qui ne saventpas tou jour s si leurs enfant s ns en France sont franais

    de naissance (cest le cas, en vertu du double droit dusol, si les pa rents sont eux-mm es ns d ans lAlgriefranaise avant 1962) ou sils le deviennent lge de13 ans, 16 ans ou 18 ans (par app lication d u d roit du solsimple, avec la possibilit de demandes anticipes).Certaines familles d clarent ainsi au recensement un enationalit qui reste encore venir. Le dmograp he ap -pellera-t-il les autorits la rescousse pou r mettre fin ces flottements ? Tel nest p as son rle.

    Quan t faire du recensement d e la pop ulation unevaste opration d e reprise en main qui obligerait les im-migrs se faire enregistrer pour avoir droit aux

    services sociaux, cela reviendrait dnaturer le recen-sement, qui repose d abord sur des liens de confianceentre lInsee, les mairies et la popu lation. Ce serait aussiune rem ise en cause frontale du rgime dencadrem entstatistique d e la pop ulation franaise. On le dit troppeu : ce rgime est le plus libral dEurope avec celui dela Grande-Bretagne. Nou s ne sommes pas tenu s de d -clarer en m airie nos changem ents de r sidence sur d esregistres de pop ulation, alors que cette obligation estgnrale chez nos voisins et conditionne souvent lac-cs lcole et la protection sociale. Si ces registressont informatiss et centraliss (comme cela se fait enBelgique et dan s les pays nord iques), ils perm ettent de

    suivre la trace tous les foyers, immigrs compris.Mais on ne peu t oublier les leons d u p ass: la seule p-riode de notre histoire o la d claration d u changem entde r siden ce a t rendu e obligatoire est le rgime d eVichy, qui sen est servi pour organiser la rafle du VldHiv en juillet 1942. Ce systme a t aboli laLibration. Aucun organisme statistique nen dem and eaujourdhui le rtablissement.

    Cinquime ide reue :accueil lir l immigration,cest accueillir la misre du monde

    Adam Smith remerciait les pauvres de se dplacerspontanm ent vers les zones riches pour galiser les

  • 8/3/2019 Rapport Ined Janvier 2004

    4/4

    4 Cinq ides reues sur limmigration

    POPULATION ET SOCITS, bulletin mensuel dinformation de lInstitut national dtudes dmographiques ISSN 0184 77 83Directeur-Grant: Franois Hran Rdacteur en chef: Gilles Pison Assistante de rdaction: Cline Perrel Maquette: Isabelle Brianchon C.P. n1207 B 06304 ADEP- D.L. 1er trim. 2004Ined : 133, boulevard Davout - 75980 Paris, Cedex 20 Tlphone : (33) (0)1 56 06 20 00 Tlcopie : (33) (0)1 56 06 21 99 http:/ / www.ined.fr/ publications/ pop_et_soc/ index.html e.mail : [email protected] Responsable des ventes : Franoise Lautrette : 01 56 06 20 88 Le numro : 1,50 Abonnement 1 an - France : 10 - Etranger : 16 Imp. : Jouve

    RFRENCES

    [1] Michle TRIBALAT (dir.) - Cent ans d' immigration. tran-gers d' hier, Franais d'aujourd'hui, coll . Les cahiers delIned , n 131, 1991, 302 p.[2] Fabienne DAGUET - Un sicle de dm ograp hie franaise,Insee-Rsultats, 1995, 306 p.[3] Xavier THIERRY - Les entres dtrangers en France:volutions statistiques et bilan de lopration de rgularisa-tion exceptionnelle de 1997, Population, 55 (3), 2000, Ined,p. 567-620[4] Pat rick WEIL - Populations en mouvement, tat

    inerte, dans : Roger FAUROUX et Bernard SPITZ (dir.) -Notretat, Paris, R. Laffont, 2001, p. 413-433[5] Graziella CASELLI, Jacqu es VALLIN et Guillaum e WUNSCH(dir.) -Dmographie: analyse et synthse, t. 4:Les dterminantsde la migration, Paris, Ined, 2003, 225 p.[6] G ild a s SIMON - Les Migrations internationales,Population & Socits, n 382, Ined, septem bre 2002[7] Franois HRAN - Le systme des migrations dans lar-rire-pays de la Costa d el Sol , dans : A.-M. BERNAL et al. -Tourisme et dveloppement rgional en Andalousie, Paris, Casade Velazquez, 1979, p. 95-133[8] Sask ia VOETS, Jeannette SCHOORL et Bart DE BRUIJN(eds .) - Demographic consequences of int ernational migration ,Nid i, The H agu e, 1995, 430 p.

    [9] Franois HRAN (dir.) -Immigration, marchdu t ravail, in-tgration , Commissariat gnral du Plan, Paris, LaDocum entation franaise, 2002, 230 p.

    salaires dun e zone laut re. Tout en esquissant ce mo-dle de type gravitationnel, dbut dune longuesrie, il reconnaissait que lhomme est de tous les ba-gages le plus d ifficile dp lacer . Nombre d e cher-cheurs lont soulign : les homm es migrent beaucoupmoins qu e ne le prdisent les modles conomiqu es oudm ograph iques [5]. Attach ses proches, sa langu e, son pays, un capital hu main p eu tran sfrable fautedtre suffisamm ent stand ardis, lhom me a m ille rai-sons d e ne p as migrer. De fait, lchelle de la plante,une personne sur quarante seulement est installe ltranger (2,5%), souvent du fait dun conflit local etde p rfrence dans u n p ays limitrophe [6].

    Quand on voque la m isre du mond e , on songe limmigration en provenance des pays du Sud, lesplus pauvres de la plante. Mais o les migrants sesituent-ils au juste sur lchelle sociale de leur socitdorigine ? Rarement au plus bas, et souvent au -dessusde la m oyenne. Le cas du Portugal est rvlateur : lmi-gration des annes soixante et soixante-dix a t

    davantage le fait des petits propritaires du Nord quedes journaliers agricoles de lAlgarve, pour tant pluspau vres. Mme chose en Espagne. Une tud e anciennemene dans des villages de montagne du Sud delAndalousie claire le phnomne [7]: elle avaitconsist recenser la totalit des dparts depuishu it ans, pour tou tes les destinations possibles. Il enressort u n systme migratoire fortement hirarchis, oles chances de m igrer longue distance progressentavec le capital humain, mme si ce dernier reste encoremodeste par rapp ort au niveau m oyen de formationdes p ays d accueil. Les plus p auvres (ouvriers agri-

    coles, illettrs, chargs d e famille, relativement gs) sefaisaient ouvr iers ou m aons dans les provinces limi-troph es. Les jeunes alp habtiss se reportaient sur lesbarrages ou les usines du nord de lEspagne. Seuls lesmieux d ots (plutt jeunes, avec des tud es primaireset quelques conomies) pouvaient se permettre uneinstallation en France, en Allemagn e ou en Suisse.

    De telles tudes restent rares. La seule enqutedenvergure rcente qui ait port la fois sur des p aysde d part et d es pays de d estination est lenqute com-man de par Eurostat au Nidi (Institut d e dmograp hienerlanda is) [8]. Elle montre que les migrants sont p lusinstruits que les non-migrants dan s le cas de la Turqu ie,

    de lgypte et du Ghana, alors que cest linverse auMaroc. Mais les donnes socio-conomiques des paysdu Sud restent lacunaires: les conomistes du travailqu i cherchent estim er leffet des migrations su r la dis-tribution du capital humain et des revenus aux zonesde d part et au x zones darrive (le double impact delexode d es cerveaux) ont du mal trouver d es donnesfiables [9]. Dans lensemble, nan moins, les m igrantsreprsentent par rap port au x non-migrants de la soci-t d origine une pop ulation slectionne : en meilleuresant, plus instruite, plus entreprenante, dote dunminimum de ressources pour payer le voyage et

    les frais dinstallation la mise en place de filiresperm ettant seulement d allger le cot d e la migration.Plus que la m isre du mon de, cest la misre des

    tats quil faudrait voqu er comme ressort m ajeur d e lamigration. Sans parler des situat ions de gu erre civile etde p erscution q ui suscitent d es flots de rfugis, nom-breux sont les pays trop dmunis pour garantir unminimu m d e scurit aux p rojets ind ividuels (adm inis-tration dsorganise, systme politique instable, infra-structures insuffisantes). Sils disp osent d un m inimu mde ressources, ceux qu i veulent am liorer leur sort vontchercher ailleurs les garanties ncessaires leurs pro-jets, ce qu i rend pa rfois difficile la distinction ent re mi-gration conomique et migration politique. On aencore peu tud i ce lien entre gou vernance et migra-tion. Cette faon de p rotester avec ses pieds est la poin-te extrme d un e critique qui p rend la forme d un rvedmigration souvent indfini. Lenqute du Nidimontre que si les habitants des pays dorigine sontnombreux caresser lide dmigrer vers le Nord (lesprop ortions var ient de 20% 40% selon les pay s), bienpeu envisagent de le faire dans les deux ans (moins de5%) et seule une infime minorit a rellement entam

    des p rparatifs.* * *

    Sans contrle raisonnable des flux, sans travail dint-gration rciproqu e, sans lutte efficace contre les discri-minat ions (quelles svissent d ans le m ilieu daccueilou dans certaines communauts), limmigration nesaurait d evenir un e chan ce pour la France . Le d-mographe p eut contribuer au dbat en dm ontant lesides reues. Non , limm igration n est pas m assive, ellenest pas ma joritairemen t clandestine, elle nest ni pro-lifique n i misrable, et pas d avan tage insaisissable. Elle

    reste encore largement dcouvrir.