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DOSSIER : CONFÉRENCE DE CONSENSUS Recommandations courtes du Jury de la conférence de consensus « Schizophrénies débutantes : diagnostic et modalités thérapeutiques » F. Petitjean a, *, M. Marie-Cardine b a Hôpital Saint-Anne, 1, rue Cabanis, 75674 Paris, France b CH Le Vinatier, Bron, France Les Annales Médico-psychologiques ont publié, dans le numéro 4 de l’année 2003, la version longue des recomman- dations élaborées par le jury de la conférence de consensus organisée les 23 et 24 janvier à Paris sur le thème : schizo- phrénies débutantes, diagnostic et modalités thérapeuti- ques. Compte tenu de l’importance du sujet sur le plan de la prévention et des soins précoces, l’Agence nationale d’Ac- créditation et d’évaluation en santé (ANAES) a suggéré à la Fédération Française de Psychiatrie de demander au jury la rédaction d’une version synthétique de ces recommanda- tions destinée à une diffusion très large auprès des profes- sionnels, des usagers et de leurs familles ainsi que du public. Cette version courte est publiée dans les pages qui suivent. F. Petitjean, M. Marie-Cardine 1. INTRODUCTION On désigne sous le terme de schizophrénies un ensemble d’affections dont la prévalence est habituellement estimée à 1 % de la population générale, partout dans le monde. Le caractère chronique de ces affections, les souffrances qu’elles engendrent pour les individus atteints et leurs fa- milles, la nécessité de développer des thérapeutiques et des programmes de soins intra- et extra-hospitaliers adaptés en font un enjeu majeur de santé publique. La Fédération Française de Psychiatrie avait organisé en 1994 une première conférence de consensus sur le traite- ment au long cours des psychoses schizophréniques. Il a paru opportun d’en organiser une nouvelle en 2003 pour préciser les éléments permettant un diagnostic pré- coce et d’actualiser les données concernant la conduite thérapeutique. 2. DIAGNOSTIC 2.1. Schizophrénies à début aigu L’étude d’ensemble des psychoses délirantes aiguës fait apparaître que l’évolution se fait schématiquement : dans 25 % des cas vers la résolution complète et cet accès restera un épisode unique ; dans 25 % des cas vers des récidives à plus ou moins long terme, chaque accès ayant la même valeur qu’un épisode unique, sans évolution vers une psychose chro- nique ; dans 50 % des cas, différentes études montrent une évolution d’un seul tenant ou, après plusieurs récidives, vers une psychose chronique, qui se subdivise en : 1/3 de schizophrénies, 1/3 vers des psychoses chroni- ques non schizophréniques à début plus tardif, 1/3 de troubles bipolaires. Le diagnostic différentiel entre schizophrénie et trouble bipolaire est souvent difficile au début. Il peut être difficile de distinguer la sémiologie schizophrénique négative de la symptomatologie thymique dépressive : l’apathie, le retrait, l’anhédonie peuvent appartenir aux deux registres. Quant aux états maniaques, ils comportent souvent chez le sujet jeune des symptômes psychotiques associés. Recommandations thérapeutiques pour les dé- buts aigus : voir question 4. 2.2. Schizophrénies à début insidieux. Prodromes Les formes à début insidieux sont les plus fréquentes (70 % des cas). Elles comportent quatre phases évolutives : une phase pré-morbide, sans symptomatologie clinique avérée mais pouvant témoigner d’une vulnérabilité (voir 2.3) ; une phase prodromique faite des premiers signes pré- curseurs, jusqu’à l’apparition du premier épisode pro- * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Petitjean). Annales Médico Psychologiques 161 (2003) 485–490 © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/S0003-4487(03)00120-3

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DOSSIER : CONFÉRENCE DE CONSENSUS

Recommandations courtes du Jury de la conférencede consensus « Schizophrénies débutantes :diagnostic et modalités thérapeutiques »

F. Petitjean a,*, M. Marie-Cardine b

a Hôpital Saint-Anne, 1, rue Cabanis, 75674 Paris, Franceb CH Le Vinatier, Bron, France

Les Annales Médico-psychologiques ont publié, dans lenuméro 4 de l’année 2003, la version longue des recomman-dations élaborées par le jury de la conférence de consensusorganisée les 23 et 24 janvier à Paris sur le thème : schizo-phrénies débutantes, diagnostic et modalités thérapeuti-ques.

Compte tenu de l’importance du sujet sur le plan de laprévention et des soins précoces, l’Agence nationale d’Ac-créditation et d’évaluation en santé (ANAES) a suggéré à laFédération Française de Psychiatrie de demander au jury larédaction d’une version synthétique de ces recommanda-tions destinée à une diffusion très large auprès des profes-sionnels, des usagers et de leurs familles ainsi que du public.Cette version courte est publiée dans les pages qui suivent.

F. Petitjean, M. Marie-Cardine

1. INTRODUCTION

On désigne sous le terme de schizophrénies un ensembled’affections dont la prévalence est habituellement estimée à1 % de la population générale, partout dans le monde.

Le caractère chronique de ces affections, les souffrancesqu’elles engendrent pour les individus atteints et leurs fa-milles, la nécessité de développer des thérapeutiques et desprogrammes de soins intra- et extra-hospitaliers adaptés enfont un enjeu majeur de santé publique.

La Fédération Française de Psychiatrie avait organisé en1994 une première conférence de consensus sur le traite-ment au long cours des psychoses schizophréniques.

Il a paru opportun d’en organiser une nouvelle en 2003pour préciser les éléments permettant un diagnostic pré-coce et d’actualiser les données concernant la conduitethérapeutique.

2. DIAGNOSTIC

2.1. Schizophrénies à début aigu

L’étude d’ensemble des psychoses délirantes aiguës faitapparaître que l’évolution se fait schématiquement :

• dans 25 % des cas vers la résolution complète et cetaccès restera un épisode unique ;

• dans 25 % des cas vers des récidives à plus ou moinslong terme, chaque accès ayant la même valeur qu’unépisode unique, sans évolution vers une psychose chro-nique ;

• dans 50 % des cas, différentes études montrent uneévolution d’un seul tenant ou, après plusieurs récidives,vers une psychose chronique, qui se subdivise en :1/3 de schizophrénies, 1/3 vers des psychoses chroni-ques non schizophréniques à début plus tardif, 1/3 detroubles bipolaires.

Le diagnostic différentiel entre schizophrénie et troublebipolaire est souvent difficile au début. Il peut être difficile dedistinguer la sémiologie schizophrénique négative de lasymptomatologie thymique dépressive : l’apathie, le retrait,l’anhédonie peuvent appartenir aux deux registres. Quantaux états maniaques, ils comportent souvent chez le sujetjeune des symptômes psychotiques associés.

Recommandations thérapeutiques pour les dé-buts aigus : voir question 4.

2.2. Schizophrénies à début insidieux. Prodromes

Les formes à début insidieux sont les plus fréquentes(70 % des cas). Elles comportent quatre phases évolutives :

• une phase pré-morbide, sans symptomatologie cliniqueavérée mais pouvant témoigner d’une vulnérabilité (voir2.3) ;

• une phase prodromique faite des premiers signes pré-curseurs, jusqu’à l’apparition du premier épisode pro-

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (F. Petitjean).

Annales Médico Psychologiques 161 (2003) 485–490

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/S0003-4487(03)00120-3

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cessuel. Sa durée moyenne est de 6 ans (variant demoins d’un an à plus de 20 ans) ;

• puis la phase symptomatique avérée ou premier épisodeavec des signes psychotiques francs, en continuité avecl’épisode précédent ;

• elle est suivie par une phase de rémission, plus ou moinscomplète, caractérisée par la persistance de symptômesrésiduels.

RecommandationsLes prodromes constituent des signes d’alerte qui doivent

attirer l’attention de l’entourage ou du médecin et doiventfaire redouter une évolution vers la schizophrénie. La majo-rité des auteurs s’accordent à considérer que la survenued’un changement dans le comportement et le vécu dessujets marque l’émergence des signes prodromiques, ce quipermet de les séparer de la phase prémorbide qui est le plussouvent silencieuse.

La phase prodromique est variable dans son mode d’ex-pression :

• modifications comportementales (retrait social, agres-sivité) ;

• symptômes de type névrotique (anxiété, irritabilité,troubles obsessionnels compulsifs ou hystériques, etc.) ;

• symptômes thymiques (oscillations de l’humeur, hu-meur dépressive, anhédonie) ;

• troubles de la volition (apathie, perte de motivation,d’intérêt) ;

• troubles cognitifs (troubles de l’attention, de la concen-tration, de la mémoire, phénomènes de blocage de lapensée) ;

• symptômes physiques, impressions corporelles bizar-res ;

• symptômes divers tels que méfiance, sensitivité dans lesrelations interpersonnelles.

Le diagnostic du caractère prodromique de ces symptô-mes n’est le plus souvent fait que de manière rétrospectivecar aucun de ces symptômes n’est à lui seul suffisammentspécifique.

Il est donc recommandé de rechercher systématique-ment et activement des symptômes productifs précoces(notamment les idées de référence, thème de persécution,télépathie, syndromes d’influence, hallucinations auditivesetc.), car si on n’interroge pas les patients, ceux-ci n’enparleront pas nécessairement (honte, oubli, troubles del’attention, déni de la pathologie).

2.3. Apports du bilan psychométrique et cognitif

Différentes recherches portent sur des tests neuropsy-chologiques dans des populations à risque génétique : Conti-nuous Performance Test, Wisconsin Card Sorting Test, WechslerIntelligence Test.

Cependant aucun test psychométrique ou cognitif nepermet d’asseoir avec certitude le diagnostic de schizophré-nie au début.

2.4. Apports des techniques neuro-physiologiqueset de neuro-imagerie

Certaines méthodes permettant d’identifier des mar-queurs de vulnérabilité chez des sujets à risque constituentdes pistes prometteuses (poursuite des mouvements oculai-res, potentiels évoqués cérébraux endogènes, conductancecutanée). Elles semblent peu utiles pour aider à diagnosti-quer ou traiter une schizophrénie débutante.

Seuls un scanner cérébral ou une IRM peuvent êtrerecommandés pour éliminer une cause organique.

3. DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES,VULNÉRABILITÉ, FACTEURS DE RISQUE

3.1. Épidémiologie

Le taux d’incidence de la maladie est d’environ 0,1 pour1 000 habitants.

L’apparition de la maladie se situe dans la plupart des casavant 25 ans. Elle est plus précoce chez les hommes que chezles femmes.

Les études de l’OMS ont établi l’universalité de la schi-zophrénie.

Son incidence et sa prévalence sont à peu près équivalen-tes, quel que soit le type de société étudiée.

Le rôle exact de la culture est difficile à déterminer. Leséléments retrouvés dans des groupes de sujets migrants depremière ou deuxième génération sont la difficulté d’accéderaux soins et la précarité économique.

Un vaste consensus existe pour dire que la schizophrénierésulte d’interactions complexes entre facteurs génétiqueset facteurs de risque environnementaux. Les facteurs envi-ronnementaux sont précoces (périnataux) et/ou tardifs(phase de l’adolescence) et interviennent dans le processusneuro-développemental.

3.2. Génétique

La génétique épidémiologique a permis de mettre enévidence l’existence d’une composante génétique dans laschizophrénie. Cependant les études de biologie molécu-laire ont produit des résultats contradictoires. Cette situa-tion peut être expliquée par les obstacles qui surviennentlors de la recherche des maladies à hérédité complexe. Deuxconclusions principales peuvent être tirées des études réali-sées jusqu’à présent :

• le pattern de risque familial suggère que plusieurs gènessont impliqués dans la schizophrénie ;

• afin de réduire le caractère non opérationnel des clas-sifications diagnostiques, de nouvelles stratégies ont étédécrites. Elles ont pour objectif la définition des phéno-types par des traits sub-cliniques, appelés endophéno-types.

3.3. Facteurs environnementaux précoces

Par facteurs de risque environnementaux, on entend lesfacteurs de risque biologiques, psychologiques et sociaux.

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Les facteurs de risque environnementaux précoces sontessentiellement périnataux : complications obstétricales, ex-position à des agents infectieux, carences nutritionnelles... Ilsont statistiquement une valeur prédictive faible.

Un certain nombre d’enfants présentent des particulari-tés antérieures au début de la psychose qui expriment desfacteurs de vulnérabilité et interagissent avec l’environne-ment.

Il s’agit d’anomalies du développement psychomoteur(retard à la marche), d’anomalies du développement cognitif(baisse de l’efficience intellectuelle, troubles du langage, de laconcentration), d’une tendance au repli sur soi et de pertur-bations de la relation précoce entre mère et enfant. La baissedes performances scolaires est un signe classique des débutsde la schizophrénie. Elle peut survenir au cours de la phaseprémorbide, et se manifeste toujours dans la phase prodro-mique. La phase aiguë entraîne une rupture scolaire.

La notion de vulnérabilité dans le domaine de la schizo-phrénie doit s’entendre d’une manière globale, faisant inter-venir à la fois des données issues de la biologie et desconcepts tirés des théories psychodynamiques et phénomé-nologiques.

3.4. Facteurs tardifs

Il existe une clinique de l’adolescent, soit révélatrice d’undépassement des capacités du sujet, soit témoignant de savulnérabilité, ou même constituant les premières manifesta-tions d’une schizophrénie : cette clinique justifie un repérageattentif et un traitement utilisant tous les moyens à disposi-tion, y compris la prescription de psychotropes. Il est incon-testable que le processus de l’adolescence en lui-mêmeaggrave la vulnérabilité à la schizophrénie. Le repérage desujets à haut risque dans une population d’adolescents ou dejeunes adultes s’avère particulièrement difficile du fait del’incidence relativement faible de la maladie. Il est doncindispensable de disposer d’outils permettant de sélection-ner les patients potentiels, par la méthode des filtres bienconnue en épidémiologie. La stratégie du repérage progres-sif (closing-in dans la littérature internationale) permet cettesélection. Certaines équipes (notamment à Melbourne, Aus-tralie) ont créé des centres d’accueil en milieu urbain quireçoivent, de manière non stigmatisante, ces sujets jeunesafin de répondre au malaise plus ou moins défini qu’ilsressentent, à leurs inquiétudes concernant par exemple desantécédents familiaux.

3.5. Lien entre certains troubles envahissants dudéveloppement et la pathologie schizophrénique

Le risque d’évolution des troubles envahissants du déve-loppement (psychose infantile) vers la schizophrénie estrelativement faible et identique à celui de la populationgénérale.

Les psychoses infantiles qui évoluent plus fréquemment(8 à 17 % des cas) vers la schizophrénie sont les suivantes :

Autisme de haut niveau, Syndrome d’Asperger, Dysharmo-nie psychotique (et Multiple Complex Developmental Disor-ders).

Les éléments significatifs dans l’appréciation du risquesont les signes productifs. Ils ne suffisent pas à affirmer lediagnostic de schizophrénie. C’est le critère de durée de cessignes qui est essentiel.

3.6. Schizophrénie infantile

Historiquement, on regroupait toutes les psychoses in-fantiles sous le terme de « schizophrénie infantile ». Lerepérage de l’autisme infantile et les travaux qui ont suivi ontindividualisé de façon plus claire de nombreuses formescliniques de ces psychoses. Les perspectives développemen-tales et longitudinales ont réintroduit la notion de schizo-phrénie infantile dans les différentes classifications nosogra-phiques. Le diagnostic différentiel de schizophrénie infantileest certainement difficile, en particulier avec les psychosesinfantiles non déficitaires, les troubles bipolaires et certainstroubles de la personnalité. Il est cependant important de lepréciser car ce diagnostic justifie le recours au traitementpharmacologique, en association avec les modalités habituellesde traitement des psychoses infantiles.

3.7. Abus de substances psycho-actives

Il ressort des différentes études que parmi les substancespsycho-actives c’est le cannabis qui est un des facteurs derisque les plus significatifs. C’est aussi le plus étudié en raisondu grand nombre de consommateurs.

Il est fortement recommandé :• de ne pas banaliser l’usage de cannabis et de revenir sur

la banalisation antérieure ;• d’informer plus largement le public et les professionnels

des risques de psychose induits par le cannabis et lesautres substances psycho-actives (ecstasy et autres dé-rivés amphétaminiques) dont la consommation aug-mente dans la population adolescente ;

• de poursuivre les études en population générale pouraffiner l’évaluation du risque induit par le cannabis et lesautres drogue dites récréatives.

3.8. Troubles graves du comportement

Il existe une relation significative mais modérée entreviolence et schizophrénie, avec un risque accru dans le casd’usage de toxiques. La violence observée peut être l’acteinaugural de la maladie.

On observe une sur-représentation de la population schi-zophrène en prison.

Les tentatives de suicides sont plus fréquentes et aboutis-sent plus souvent à un suicide.

RecommandationsRechercher en milieu carcéral si un comportement anti-

social ou des comportements automutilatoires ou suicidai-res ne masquent pas une schizophrénie.

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Rappeler l’importance de la notice individuelle établie parle magistrat d’après les informations données par le sujetlors de la décision d’incarcération. Elle comporte des ren-seignements sur l’état de santé du détenu qui devraient êtrecommuniqués dès son arrivée au service médical de laprison.

Demander que soit faite une plus grande information surces comportements à risque auprès des professionnels depolice et de justice.

4. THÉRAPEUTIQUE

4.1. Modalités générales du programmethérapeutique

Il est important de poser le diagnostic de la façon la plusprécoce possible. La prise en charge d’une schizophréniedébutante doit impérativement intégrer la triple dimensionbiologique, psychologique et sociale de l’individu.

Elle doit être multidisciplinaire et personnalisée.Elle doit inclure le dépistage des comorbidités somatiques

et psychiatriques (en particulier l’abus de substances psy-choactives).

Il est recommandéDe bien peser les indications du traitement ambulatoire

ou de l’hospitalisation.D’utiliser des méthodes d’information systématique du

patient et de sa famille à propos des symptômes, des facteursétiologiques, du traitement et de l’évolution de la maladie.Le travail avec la famille sur les problèmes concrets de la viequotidienne avec un jeune schizophrène doit être organisé.

De maintenir la chimiothérapie antipsychotique pendantune durée de un à deux ans après rémission symptomatiqued’un premier épisode psychotique (recommandation degrade A).

Cette recommandation est renforcée si, d’emblée ou àcourt terme, des signes de mauvais pronostic apparaissentou deviennent prédominants.

4.2. Structures de soins

Pour éviter toute stigmatisation, une prise en chargeambulatoire sera préférée. Lorsque le traitement à domicileest impossible, l’hospitalisation conventionnelle, au besoinsans consentement, conserve des indications indiscutables :si le patient et/ou sa famille le souhaitent et que la demandesemble adaptée, lors d’états cliniques requérant une sur-veillance permanente (risque suicidaire, troubles majeurs ducomportement et surveillance des effets indésirables médi-camenteux le cas échéant). Ces hospitalisations devrontavoir lieu dans des unités spécialisées pour ce type depatients. Les séjours seront de courte durée, suivis d’unereprise du traitement ambulatoire.

Quelle que soit la structure choisie le jury recommandequ’un soignant référent coordonne la prise en charge dans saglobalité.

4.3. Agents pharmacologiques

Le jury recommande l’utilisation en première intentiondes antipsychotiques de seconde génération, notammentchez l’adolescent. Cette recommandation est fondée surl’existence pour ces produits d’un ratio efficacité/toléranceplus favorable que celui des produits de première génération(recommandation de grade A).

En cas d’efficacité insuffisante, on pourra avoir recoursaux antipsychotiques conventionnels. Dans tous les cas, lesposologies devront tendre vers la dose minimale efficace afinde limiter au maximum les effets indésirables de ces traite-ments. La monothérapie antipsychotique doit être privilé-giée, si possible sous forme orale.

Ces traitements nécessitent une surveillance de certainsparamètres cliniques et biologiques (poids, pression arté-rielle, glycémie, bilan lipidique, ionogramme sanguin, élec-trocardiogramme). Des études complémentaires sont né-cessaires afin de mieux évaluer l’efficacité et le rapportbénéfice/risque (notamment la tolérance au long cours) desantipsychotiques de seconde génération.

L’utilisation de traitements thymorégulateurs peut cons-tituer un appoint ou une alternative intéressante en pré-sence d’un épisode psychotique aigu à tonalité thymique(recommandation de grade C).

4.4. Approches psychothérapiques

La pratique de la cure type psychanalytique chez les sujetsprésentant des manifestations schizophréniques débutantesest contre-indiquée.

Cependant la prise en compte des éléments théoriquestirés de la psychanalyse inspire la pratique de nombreuseséquipes de psychiatrie infanto-juvénile. Il existe un certainconsensus professionnel pour estimer que cette approchepeut apporter un éclairage utile à la compréhension destroubles.

Il est recommandé d’associer ces approches à des tech-niques comportementales et cognitives. Ces techniquessont centrées sur les symptômes, l’observance du traite-ment et les habiletés sociales. Elles sont indiquées à partird’une analyse comportementale ou cognitive conduite d’unemanière très méthodique avec la collaboration activementrecherchée du malade. Elles utilisent des instruments d’éva-luation à toutes les étapes du traitement.

RecommandationsLes thérapies cognitives et comportementales doivent

être mises en place, en complément des autres thérapeuti-ques, dès le diagnostic établi (recommandation de grade A).

Avec le support de ces techniques, les équipes soignantesdoivent soutenir les familles et leur apporter des conseilspratiques adaptés à chaque situation de la vie quotidienne.

Les techniques cognitives et/ou comportementales doi-vent être largement diffusées et la formation des profession-nels encouragée.

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4.5. Soutien aux familles

Un consensus existe actuellement sur le fait qu’à la priseen charge du patient dans la communauté doit s’associer,outre les autres formes de thérapies (pharmacologique,sociothérapique...), le soutien de sa famille. Actuellement leregard porté sur les familles ne doit plus être stigmatisant etl’on doit abandonner la vision d’une responsabilité causaledes parents.

RecommandationsDès les premiers signes évocateurs, il est capital d’asso-

cier la famille et l’entourage à la prise en charge médicamen-teuse et institutionnelle du patient. Cela favorise l’alliancethérapeutique, déculpabilise et soutient les proches dans lesdifficultés de vie quotidienne y compris dans les situations decrise.

On évitera tout dogmatisme. Le travail avec les familles nedoit pas se limiter à une seule approche. Il doit s’intégrer à laprise en compte de l’environnement global du patient.

En accord avec le patient, on informera au plus tôt lesfamilles des modes de prise en charge et des possiblesévolutions de la maladie.

La participation à des groupes de parole est recomman-dée aux familles, qu’ils soient mis en place par les équipessoignantes ou par les associations de familles. Une réflexionet une attention particulières doivent être accordées à lafratrie qui éprouve un réel besoin d’information et de sou-tien.

4.6. Approches médico-pédagogiques

La situation particulière du médico-pédagogique à l’inter-face de deux champs distincts porte en elle-même un risquede clivage. Si le principal enjeu est de préserver la continuitéde la scolarité, on peut aussi s’en saisir comme d’un « res-sort » thérapeutique. Les expériences prouvent que lespoursuites d’études sont possibles, parfois même à un ni-veau universitaire. Le pronostic social de la maladie endépend.

RecommandationsDans la prise en charge des schizophrénies débutantes,

un double dispositif doit se mettre en place précocement,associant la prise en charge thérapeutique et un accompa-gnement dans les études dès que l’état clinique le permet.

Les enseignants doivent pouvoir bénéficier d’une sensibi-lisation à ce type de problèmes.

L’Éducation Nationale doit développer son pôle sanitaire :création de postes de psychologues au sein des établisse-ments, augmentation du nombre des médecins et formationdes personnels soignants en milieu scolaire au dépistage dela schizophrénie.

Encourager la création de dispositifs soins-études-réadaptation dans chaque académie.

4.7. Alliance thérapeutique

L’alliance thérapeutique est fondamentale car elle permetl’engagement du patient, de son entourage et des soignants

dans le soin. Elle comprend une bonne qualité immédiate dela relation thérapeutique s’exprimant par l’accueil, le respectdes droits et de la dignité, le dialogue, l’évitement del’épreuve de force ou de l’administration de thérapeutiquesintrusives et la recherche opiniâtre du consentement ausoin. Il est reconnu qu’elle permet de réduire de façonmajeure le taux de rechute et ses conséquences et que dansle contexte d’un premier épisode psychotique où le tauxd’inobservance du traitement est important, elle en réduit lerisque.

RecommandationsToute démarche de soin doit reposer sur l’alliance théra-

peutique entre le patient, son entourage et l’équipe soi-gnante. La déstigmatisation et l’information grand publicpeuvent contribuer à lever les peurs collectives et individuel-les contre le recours au soin, la crainte des traitements,l’idée d’incurabilité.

Cette déstigmatisation passe aussi par l’amélioration desconditions matérielles d’accueil, par le confort et l’améliora-tion des locaux afin qu’ils renvoient une image plus valori-sante des soins spécialisés.

Dans les situations qui nécessiteront des soins sansconsentement, il importe de veiller au maximum à éviter lesconfrontations physiques, la violence, la contention et l’ad-ministration forcée de thérapeutiques médicamenteuses.

5. QUESTIONS ÉTHIQUES. ÉVALUATION

5.1. Prodromes

Le dépistage et le traitement des populations de patientsprésentant des prodromes du registre de la schizophrénieseront mis en œuvre dans le cadre de protocoles de recher-che (recommandation de grade C).

On utilisera dans le cadre de ces recherches des antipsy-chotiques de seconde génération.

L’information donnée au patient qui présente des mani-festations cliniques potentiellement prodromiques et à sonentourage doit tenir compte de la validité des tests d’évalua-tion disponibles et de la nature probabiliste du risque évalué.Elle doit également considérer les bénéfices, mais aussi lesrisques des interventions préventives ainsi que les consé-quences psychosociales possibles pour le sujet et sa famille.

5.2. Diagnostic avéré

L’information constitue un outil thérapeutique importantafin de favoriser la relation de soin et le pronostic ultérieur.L’information au malade, mais aussi à son entourage, amontré son efficacité dans l’amélioration du pronostic àcourt terme et probablement à long terme de la maladie.Cette information doit être adaptée à la demande, faite defaçon progressive, répétée, cohérente et partagée. L’utilisa-tion des programmes psycho-éducatifs est préconisée pouraméliorer l’observance thérapeutique et le pronostic (re-commandation de grade A). La loi du 4 mars 2002 fonde lanécessité et les règles de l’information au patient.

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5.3. Évaluation des dispositifs de soins

L’évaluation des dispositifs de soins accueillant des jeunesschizophrènes est indispensable pour mettre en adéquationl’offre de soin avec les besoins et les attentes des patients.

À l’heure actuelle, il n’existe pas d’accord sur la façondont les besoins doivent être évalués.

Recommandations

Les évaluations doivent toujours inclure le point de vuedu patient et seront complétées par des informations re-cueillies auprès des soignants et des membres de la famille.Les suicides et la violence font partie des axes prioritairesd’évaluation. On s’attachera également à évaluer la qualitéde vie des patients.

La démarche d’évaluation des besoins individuels doitêtre continue et intégrée au soin. Il est tout aussi importantd’évaluer les résultats des patients qui arrêtent prématuré-ment les soins. La gestion et la prévention des risquesdoivent faire l’objet d’une attention particulière pour amé-

liorer la sécurité des patients, de leur entourage et del’ensemble des intervenants.

L’évaluation des pratiques professionnelles doit être pri-vilégiée, en particulier : la qualité de l’accueil du patient et desa famille, l’accessibilité aux structures intra- et extra-hospitalières, la participation aux décisions thérapeutiques,l’information, le respect de la dignité, la pratique et lesmodalités de la contention, le recours aux hospitalisationssans consentement.

L’évaluation des besoins collectifs de soins devrait êtreplus développée dans le cadre de la planification régionale etdes projets d’établissement.

6. MEMBRES DU JURY

M. Marie-Cardine (Président), M. Batlaj-Lovichi, J. Bensi-mon, C. Cheriaux-Fallourd, L. Crant, N. Debiesse, M. DeMaximy, B. Escaig, B. Estrabol, C. Finkelstein, C. Gury,C. Launay, Ch. Marchandet, A. Owens, A. Plantade, M.Albistur, A.M. Lehr-Drylewicz, M. Misset, C. Petitnicolas.

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