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Réflexions Kevin Hegarty Directeur de la Bibliothèque publique de Tacoma QUAND LES MYTHES SONT MITÉS LES NEUF MYTHES DE L'lNFORMATlSATlON DES BlBLlOTHÈQUES* « I L Y A quelque chose de « pourri au royaume de l'informatisation » ... Telle est la conclusion qui se dégage des propos décapants d'un vieux routier de l'automatisation. Ou- tre-Atlantique, aurait-on parfois informatisé pour informatiser ? L'informatisation donnerait-elle lieu à de gigantesques fantas- mes collectifs ? Il est permis de poser ces questions impies au vu des mythes allègrement mis en pièces par Kevin Hegarty. Qu'on se rassure : ce n'est pas au pays de Descartes qu'il pour- rait se passer des choses pareil- les - ou, du moins, qu'on ose- rait en faire état. Au fond, tout n'est jamais qu'une question de vocabulaire même s'il n'y a qu'à Tacoma qu'on ose appeler chat un chat... Des centaines de systèmes ont été implantés dans les bibliothèques au cours des dix dernières an- nées ;cependant la littérature pro- fessionnelle, à l'exception de cinq ou six articles, est restée étran- gement silencieuse sur les coûts comparatifs des systèmes auto- matisés, semi-automatisés ou ma- nuels. Avant de prendre son poste, Don Sager, actuellement directeur de la bibliothèque pu- blique de Milwaukee, a mené pendant toute une année une re- cherche sur l'informatisation des bibliothèques en tant que cher- cheur à l'OCLC. Certains de ses résultats sont fort intéressants. Au cours du congrès de l'ALA (American Library Association) tenu à Denver pendant l'hiver 1982, Don Sager a organisé une série d'entretiens collectifs réu- nissant plus de 100 responsables de bibliothèques; cet échantillon représentait toutes les tailles de bibliothèques sur l'ensemble des Etats-Unis. Certains disposaient déjà d'un système de prêt auto- matisé, d'autres non, mais tous visiblement, s'étaient déjà inté- ressés à la question. Bizarrement, aucun des respon- sables ayant déjà informatisé leur système de prêt ne déclara l'avoir fait dans le but de faire des éco- * L'article dont nous publions la traduction estparu dans Library Journal, vol. 110,no 16, octobre 1985 publ. par R.R. Bowker, cop. 1985 by Xerox corporation, sous le titre de «Myths of Library Automation ». nomies ! Les autres n'attendaient pas de l'automatisation qu'elle puisse les aider sur ce chapitre. Ceci nous amène au premier mythe de l'informatisation, mythe que je souhaite démystifier. Mythe n° 1 Informatisation ≠ économies Ces mêmes directeurs de biblio- thèques en attente d'automatisa- tion étaient convaincus que celle-ci entraînerait un surcroît de dépenses et ils se demandaient à combien s'élèveraient ces coûts par rapport à leurs dépenses ac- tuelles. Il faut se souvenir qu'à ce moment-là, janvier 1982, les bi- bliothèques étaient au creux de la récession économique la plus forte jamais enregistrée depuis les années 30, contraintes à des réductions d'horaires et de per- sonnel, laissant stagner les fonds et se détériorer les bâtiments. Et pourtant, selon D. Sager, les res- ponsables de bibliothèques s'em- barquaient, en pleine période de pénurie, dans des dépenses ac- crues pour l'informatisation sans en espérer la moindre possibilité de faire des économies. D. Sager en tire la conclusion qu'il ne faut pas s'attendre à faire des écono- mies lorsqu'on achète un système de prêt automatisé. Je m'inscris en faux contre une telle opinion. Même si le souci de réaliser des économies n'était pas la principale préoccupation des responsables de la bibliothèque de Tacoma lorsqu'ils prirent la décision d'automatiser le prêt, cette mesure n'en a pas moins permis de réaliser des économies qui, en dollars 1977, s'élèvent en moyenne à 115 000 dollars par an. Tacoma n'est qu'une exception ? Cela dépend. En janvier 1954, une assemblée distinguée, com- posée des directeurs de biblio- thèques desservant des métropo- les, a élaboré les Normes pour les bibliothèques publiques. Ces normes ont été largement suivies dans tout le territoire des Etats- Unis. Tacoma, dans la foulée, a appliqué ces normes aveuglé- ment, recrutant fièvreusement et bouleversant la pyramide des emplois, tant et si bien qu'en 1975 on y comptait 35 bibliothécaires sur un effectif total de 95 person- nes. Aujourd'hui nous en avons 22 ! L'application des normes dé- bouchait finalement sur du per- sonnel en surnombre et sur une

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« I L Y A quelque chose de« pourri au royaume del'informatisation » ... Telle est laconclusion qui se dégage despropos décapants d'un vieuxroutier de l'automatisation. Ou-tre-Atlantique, aurait-on parfoisinformatisé pour informatiser ?L'informatisation donnerait-ellelieu à de gigantesques fantas-mes collectifs ? Il est permis deposer ces questions impies auvu des mythes allègrement misen pièces par Kevin Hegarty.

Qu'on se rassure : ce n'est pasau pays de Descartes qu'il pour-rait se passer des choses pareil-les - ou, du moins, qu'on ose-rait en faire état. Au fond, toutn'est jamais qu'une question devocabulaire même s'il n'y a qu'àTacoma qu'on ose appeler chatun chat...

Des centaines de systèmes ont étéimplantés dans les bibliothèquesau cours des dix dernières an-nées ; cependant la littérature pro-fessionnelle, à l'exception de cinqou six articles, est restée étran-gement silencieuse sur les coûtscomparatifs des systèmes auto-matisés, semi-automatisés ou ma-nuels. Avant de prendre sonposte, Don Sager, actuellementdirecteur de la bibliothèque pu-blique de Milwaukee, a menépendant toute une année une re-cherche sur l'informatisation desbibliothèques en tant que cher-cheur à l'OCLC. Certains de sesrésultats sont fort intéressants.

Au cours du congrès de l'ALA(American Library Association)tenu à Denver pendant l'hiver1982, Don Sager a organisé unesérie d'entretiens collectifs réu-nissant plus de 100 responsablesde bibliothèques; cet échantillonreprésentait toutes les tailles debibliothèques sur l'ensemble desEtats-Unis. Certains disposaientdéjà d'un système de prêt auto-matisé, d'autres non, mais tousvisiblement, s'étaient déjà inté-ressés à la question.

Bizarrement, aucun des respon-sables ayant déjà informatisé leursystème de prêt ne déclara l'avoirfait dans le but de faire des éco-

* L'article dont nous publions la traduction

est paru dans Library Journal, vol. 110, no 16,octobre 1985 publ. par R.R. Bowker, cop.

1985 by Xerox corporation, sous le titre de«Myths of Library Automation ».

nomies ! Les autres n'attendaientpas de l'automatisation qu'ellepuisse les aider sur ce chapitre.Ceci nous amène au premiermythe de l'informatisation, mytheque je souhaite démystifier.

Mythe n° 1Informatisation≠ économies

Ces mêmes directeurs de biblio-thèques en attente d'automatisa-tion étaient convaincus quecelle-ci entraînerait un surcroît dedépenses et ils se demandaient àcombien s'élèveraient ces coûtspar rapport à leurs dépenses ac-tuelles. Il faut se souvenir qu'à cemoment-là, janvier 1982, les bi-bliothèques étaient au creux de larécession économique la plusforte jamais enregistrée depuisles années 30, contraintes à desréductions d'horaires et de per-sonnel, laissant stagner les fondset se détériorer les bâtiments. Etpourtant, selon D. Sager, les res-ponsables de bibliothèques s'em-barquaient, en pleine période depénurie, dans des dépenses ac-crues pour l'informatisation sansen espérer la moindre possibilitéde faire des économies. D. Sageren tire la conclusion qu'il ne fautpas s'attendre à faire des écono-mies lorsqu'on achète un systèmede prêt automatisé.

Je m'inscris en faux contre unetelle opinion. Même si le souci deréaliser des économies n'était pasla principale préoccupation desresponsables de la bibliothèquede Tacoma lorsqu'ils prirent ladécision d'automatiser le prêt,cette mesure n'en a pas moinspermis de réaliser des économiesqui, en dollars 1977, s'élèvent enmoyenne à 115 000 dollars par an.Tacoma n'est qu'une exception ?Cela dépend. En janvier 1954,une assemblée distinguée, com-posée des directeurs de biblio-thèques desservant des métropo-les, a élaboré les Normes pour lesbibliothèques publiques. Cesnormes ont été largement suiviesdans tout le territoire des Etats-Unis. Tacoma, dans la foulée, aappliqué ces normes aveuglé-ment, recrutant fièvreusement etbouleversant la pyramide desemplois, tant et si bien qu'en 1975on y comptait 35 bibliothécairessur un effectif total de 95 person-nes. Aujourd'hui nous en avons22 ! L'application des normes dé-bouchait finalement sur du per-sonnel en surnombre et sur une

diversification trop poussée, ceque ne justifient pas les chargesde travail actuelles de la biblio-thèque.L'introduction d'un système deprêt automatisé ne signifie passeulement l'informatisation desdifférentes fonctions et procédu-res de prêt. L'automatisation a uneincidence certaine sur tous lesservices de la bibliothèque, prêt,référence et services techniques.C'est l'organisation de la biblio-thèque dans son ensemble quisera modifiée du fait de l'automa-tisation du prêt et tout le systèmede fonctionnement devra être re-

défini de A à Z.

A Tacoma l'informatisation du sys-tème de prêt nous a permis desupprimer cinq postes : par lasuite, avec la mise en placed'UNIFACE, un ensemble de logi-ciels de micro-informatique fai-sant l'interface entre le servicebibliographique (WLN) et le sys-tème de contrôle des prêts (quiétablit également cartes et borde-reaux et gère la comptabilité),nous avons encore supprimé unposte. Les coûts d'entretien et demaintenance de notre systèmerestent inférieurs au montant deséconomies que l'informatisationnous fait faire chaque année.

Je reviens au rapport de recher-che (non publié) de D. Sager. Undes buts poursuivis lorsque lesbibliothèques décidaient d'auto-matiser leur système de prêt étaitl'effet escompté sur les vols. Cecipourrait s'énoncer comme suit :

Mythe n° 2Automatisation

= dissuasion

Là aussi la littérature profession-nelle est curieusement muette. Iln'existe pas d'étude publiée pré-cisant le taux de pertes enregis-trées par une bibliothèque - do-cuments prêtés qui ne reviennentpas - avant et après l'informatisa-tion. Même les directeurs de bi-bliothèques interviewés parD. Sager n'avaient pas évaluéleurs disparitions. Les estimationsgénérales, qui situent le taux deperte dans la plupart des biblio-thèques publiques entre 1 et 2 %,sont des estimations faites à lalouche. Ce taux peut toutefoisvarier d'une bibliothèque à l'autreet, dans certains cas, de façonsignificative, en fonction de lapolitique des établissements.

Tout récemment, une bibliothè-que du voisinage évaluait lepourcentage de ses disparitions à10 % - un chiffré renversant. En1975 la bibliothèque de Tacomaestimait que les disparitions re-présentaient 5% des prêts. Cescore est moins consternant quecelui de notre voisin mais il esttout de même significatif. En 1983le taux des disparitions était de0.75 % et, pour 1984, nous tablonssur un taux de 0,50 %.

Que s'est-il passé ? Cette évolu-tion est, pour une grande part, àporter au crédit du systèmeautomatisé gérant les prêts, dansla mesure où il nous a donné desinformations pertinentes nouspermettant de contrôler la gestion,nous disant exactement combiend'ouvrages prêtés ne revenaientpas, etc. Fort de ces informations,j'ai proposé au conseil municipalde rédiger un règlement plusrigoureux, stipulant que la déten-tion illégale d'ouvrages apparte-nant à la bibliothèque seraitconsidérée comme un délit passi-ble d'amendes plus élevées. Gé-néralement un arrêté est accepté- ou repoussé - en premièreou en seconde lecture. Cet arrêtéparticulier n'est passé qu'à laquatrième lecture. Certains mem-bres du conseil municipal s'in-quiétaient à la perspective de voirincarcérer des enfants qui gar-daient indûment les ouvrages dela bibliothèque. Pendant cetemps, les médias mettaient enépingle l'importance de nos dis-paritions et, au même moment,nous décrétâmes une périoded'amnistie. Toute cette histoire eutle résultat escompté et nos dispa-ritions diminuèrent - momenta-nément. Après un certain temps,tout redevint comme avant. En1981 le conseil mit en place toutun système de récupération desouvrages et le personnel se mit àfaire la chasse aux lecteurs quioubliaient systématiquement derendre leurs livres : la vérificationde l'identité et de la résidencedes emprunteurs se fit de façonplus rigoureuse. Toutes ces mesu-res ont joué un rôle dans la dimi-nution appréciable de nos dispari-tions.

Dura lex sed lex

La bibliothèque publique de Dal-las faisait savoir récemment quele nombre d'ouvrages rendus endehors des limites du prêt et queles amendes sur les retardsétaient presque trois fois moinsimportants qu'en 1983. Que s'est-il

passé ? La bibliothèque aconvaincu le conseil municipal demodifier les tarifs des amendesimposées sur les ouvrages enretard et de les porter à 50 dollarspar jour; ceci pour s'attaquer àl'arriéré des quelque 600 000 ou-vrages manquants et des quelque14 000 voleurs caractérisés. Sur labase de 10 dollars par ouvrage,en moyenne, ce « trou » de6 millions est littéralement affo-lant.

Même dans la petite ville dePage, en Arizona, les difficultés dela bibliothèque ont amené leconseil municipal à prendre unarrêté imposant une amende de300 dollars et 30 jours de prison àquiconque ignorerait délibérem-ment les réclamations d'ouvragesen retard. L'arrêté a été abrogé auprintemps dernier, mais pas avantd'avoir eu l'effet escompté. Dansson numéro d'avril 1984, Ameri-can Libraries relate le cas de labibliothèque du comté de Cum-berland à Fayette-ville (Carolinedu nord). L'attorney du comtéavait retenu des charges criminel-les contre quinze emprunteursdélinquants et avait émis un man-dat d'arrêt contre quinze autres.Les journaux locaux, Observer etTimes, ont fait de gros titres àpropos du juge de district qui acondamné une jeune fille de17 ans à une amende de 50 dol-lars plus 35 dollars de frais dejustice. Le délit pour lequel elle aplaidé coupable était de n'avoirpas rendu à la bibliothèque cinqouvrages - valant en tout57,78 dollars - sur les vitamineset la santé. Elle a restitué les livrespendant que sa mère payaitl'amende. Une autre femme re-connue coupable du même délit- il s'agissait de douze ouvragesvalant au total 137,38 dollars - aété traduite devant une cour cri-minelle. Elle risque une peinepouvant aller jusqu'à dix ans deprison.

Ce n'est pas une coïncidence siles trois bibliothèques citées enexemple ont toutes les troisautomatisé leurs prêts. L'informa-tisation a fourni les éléments quiont permis à chaque directeur deprendre des mesures de contrôlerigoureuses et de réduire les tauxde non-retour. Un système infor-matisé en lui-même ne réduirapas l'importance des disparitions;il ne le permettra que s'il estépaulé par la ferme volonté d'unresponsable et par l'applicationde mesures adéquates.

Les interviews menées par D. Sa-ger ont également fait ressortirqu'il n'existait pas d'études analy-sant l'incidence de l'automatisa-tion sur le budget des bibliothè-ques. En d'autres termes, cesentretiens n'ont pas permis dedémontrer que l'automatisationpermettait aux responsables defaire meilleur usage de leur bud-get d'acquisitions. Ce qui nousamène au mythe numéro 3.

Mythe n° 3

Budget : l'informatique,à quoi ça peut bien servir ?

Alors que les recherches de D.Sager vont dans le sens de lamythologie déjà établie, ma pro-pre expérience d'automatisationest radicalement différente. In-formatiser la gestion des prêtspermet au responsable de la bi-bliothèque de répartir rationnel-lement les crédits d'acquisitions,tout cela en fonction du contenu etdu nombre de comptes rendus degestion prévus lors de l'informati-sation. Notre système actuel com-porte une série de rapports décri-vant dans le détail l'évolution desdifférentes classes Dewey. Cesstatistiques donnent le nombre

exact de documents empruntésdans chacune d'elles; en mêmetemps le système nous sort,comme il en a la possibilité, lenombre de documents (titres etexemplaires) existant dans cha-cune de ces divisions. Si voussouhaitez diriger réellement votrebibliothèque, si vous voulez êtreen mesure de jouer sur la répar-tition du moindre dollar, lorsquevous préparerez votre appel d'of-fres et que vous rédigerez lecahier des charges en vue del'automatisation, ne manquez pasd'exiger la sortie d'états statisti-ques sur la gestion. Cette possi-bilité (ou impossibilité) devraitconstituer un facteur de choixdécisif parmi les différentes pro-positions qui vous seront faites.

Mythe n° 4

L'informatique n'économisepas de personnel...

Sager n'a trouvé aucun articleparu depuis dix ans démontrantque les bibliothèques ayantautomatisé leurs prêts pouvaientse passer de personnels supplé-mentaires si le volume des prêtsaugmentait. La chose est peut-êtreexacte en ce qui concerne la

littérature publiée mais notre ex-périence va dans un tout autresens. En 1982, les effectifs de labibliothèque de Tacoma repré-sentaient l'équivalent de 91,5 pos-tes à temps plein et le total desprêts s'élevait à 1 375 000. L'annéesuivante on comptait 91 postes et1 596 000 prêts; en 1984, en raisondes restrictions budgétaires, noseffectifs ne représentent plus que85 postes et le montant des prêtss'établit, par extrapolation, à1 724 000.

Mythe n° 5... et n'a aucun effet

sur le rendement

En 1983 plusieurs membres despersonnels technique et adminis-tratif de Tacoma ont séjourné lon-guement dans une bibliothèquepublique d'importance apprécia-ble à l'occasion de l'implantationd'UNIFACE, qui est un systèmed'interface. La comparaison queje me propose de faire ne sup-pose pas que tous les élémentssoient comparables entre lesdeux établissements; néanmoins,compte tenu des différences, j'es-time que cette comparaison restevalable. En 1983 la bibliothèque

de Tacoma a dépensé une sommetotale de 603 000 dollars pouracheter et pour traiter la totalitédes documents entrés à la biblio-thèque (y compris les périodi-ques). Neuf personnes travaillantà temps plein étaient affectées àcette tâche. Parallèlement cegrand établissement canadiendont je tairai le nom dépensait925 000 dollars pour les acquisi-tions et le traitement; dans cettebibliothèque, ces tâches requé-raient l'intervention de 56 person-nes employées à temps plein...

Pourquoi une telle différence ? Acause de l'informatisation et de lavolonté de reconnaître quecelle-ci permet à une bibliothè-que de réduire le coût des tâchestechniques. Si les bibliothèquesveulent sortir du dilemme « ma-tière » (dépenses d'acquisi-tions)/« façon » (dépenses depersonnel), elles devront s'atta-quer à ce problème des coûtsprohibitifs en personnel.L'informatisation peut et doit per-mettre de réduire les coûts destâches techniques et les écono-mies qui en découlent doiventêtre redistribuées, soit directe-ment en augmentant les budgetsd'acquisition et de traitement desdocuments, soit indirectement enréaffectant le personnel disponi-ble au service public. Je suispersonnellement partisan de lapremière solution, qu'il s'agissed'une bibliothèque publique oud'une bibliothèque universitaire.Toutes les économies faites auniveau de la productivité peuventêtre répercutées sur les servicesrendus et les améliorer.

Mythe n° 6Le catalogue en ligne

Il existe,je ne l'ai pas rencontré

Le catalogue en ligne existe. Danstoute l'Amérique du Nord s'orga-nisent des séminaires, travauxdivers, sessions préparatoires,réunions plénières, groupesd'études, tous célébrant à l'envi lagloire et les merveilles du catalo-gue en ligne. Très vraisembla-blement, n'importe quel systèmede gestion des prêts comportantles clés d'accès normalisées -auteur, titre, sujet - pourra êtreconsidéré comme un catalogueen ligne, du moins tant qu'il nesera utilisé que par le personnelde la bibliothèque. C'est une autrehistoire si l'on parle de catalogueen ligne accessible au public.

Présentant le marché des systè-mes automatisés de bibliothèquesen 1983, Joe Matthews notait que« 475 systèmes « clés en mains »avaient été installés de par lemonde à la fin de 1983. Sur ceuximplantés au cours de l'année,51 % (un pourcentage équivalentà celui de l'année précédente)comportaient plus de 17 termi-naux. Pourtant la majorité dessystèmes installés sont de taillerelativement réduite, les deuxtiers comptant 16 terminaux oumoins; 34 % des systèmes enplace comportent huit terminauxou moins ».

J'ai souvenance de m'être bien-égayé, il y a déjà plusieurs an-nées, à la lecture de la communi-cation présentée par une petitebibliothèque de collège au Texas;celle-ci commençait par déclarerqu'elle proposait le premier cata-logue en ligne du monde universi-taire. Je lus ensuite l'article endétail: la bibliothèque disposaiten tout et pour tout de huit termi-naux !La plupart des systèmes de basepour la gestion du prêt n'ont ja-mais été conçus pour constituerdes catalogues en ligne accessi-bles au public. Soit ils ne compor-tent pas d'entrées par sujet et,dans ce cas, ils ne correspondentpas à la définition d'un catalogue;soit ils n'ont pas la puissancenécessaire pour supporter lenombre de terminaux indispensa-bles à l'utilisation du catalogue enligne par le public. Même lesoi-disant catalogue en ligne denotre bibliothèque texane vit lavocation de ses huit malheureuxterminaux contestée par ... levendeur; ce dernier fit savoir qu'ilne donnait aucune garantie d'en-tretien s'ils étaient utilisés com-mes tels.Les affirmations des vendeurs surles performances de leurs catalo-gues en ligne me laissent scepti-que pour plusieurs raisons :- La plupart de ces systèmesn'ont pas été conçus au départcomme des catalogues en ligne;ce sont des systèmes de gestiondes prêts, purement et simple-ment. Les autres systèmes necomportent pas les entrées né-cessaires pour pouvoir être quali-fiés de catalogues.- Comme ils n'ont été ni conçusni vendus comme des cataloguesen ligne pour le public, il est peuvraisemblable qu'ils soient assezpuissants pour pouvoir faire faceà la multiplication du nombred'interrogations sans allongement

des temps de réponse supporta-bles.- Je ne me sentirais pas tran-

quille si je devais avoir sur lemême mini-ordinateur un catalo-gue en ligne cohabitant avec unsystème de gestion des prêts; cemini-ordinateur devrait être infail-lible ou avoir une grande margede tolérance pour les erreurs. Ilexiste des systèmes sur minis quiprétendent au titre de catalogueen ligne - CLSI, ULISYS, GEAC,DRA, etc. A ma connaissance,aucun d'entre eux ne gère unnombre appréciable de termi-naux.

Small is not beautiful

Il existe des systèmes basés surune unité centrale gérant denombreux terminaux. Mais nousentrons là dans des coûts quiexcèdent largement les possibili-tés financières d'une bibliothèquemoyenne universitaire, publiqueou scolaire.

Hugh Atkinson, directeur de labibliothèque de l'Université del'Illinois, considère que « la com-plexité croissante des systèmesde télécommunications va déve-lopper l'utilisation des mini-ordi-nateurs en bibliothèque. L'argu-mentation des partisans dumini-ordinateur est séduisante, lemini-ordinateur semblant repré-senter un substitut, meilleur mar-ché, aux systèmes lourds. Il estvrai que les progrès réalisés tantau niveau du stockage que dutraitement ont été phénoménauxtout comme au niveau de la minia-turisation. A l'heure actuelle cer-tains mini-ordinateurs sont plusperformants que les configura-tions les plus lourdes il y a vingtans ».

Voire, mais la difficulté tient à ceque les besoins reconnus et lenombre de données nécessairesont fait des progrès encore plusrapides que ceux de la miniaturi-sation. On parle actuellement enbillions de caractères en mémoireavec des temps de réponse quasiinstantanés. Les mini-ordinateursdéterminent eux-mêmes les limi-tes à leur utilisation dans la me-sure où il devient plus coûteux deles chaîner en série que d'acheterune grosse unité. En fait, pourconstituer une base de donnéesd'importance raisonnable, cer-tains mini-ordinateurs utiliseraienttoute leur puissance uniquementpour composer des séries.D'ores et déjà on envisage dessystèmes qui ne se contenteraient

pas de donner l'informationcontenue dans des catalogues,des états de collections ou desenregistrements des prêts, maisqui informeraient sur la page detitre, sur les index et sur la reliurede chaque ouvrage. À moinsd'une percée technologique en-core plus foudroyante, le mini-ordinateur ne me paraît pas ap-pelé à remplacer les grossesconfigurations. Même si leurscoûts chutent, il faudra néanmoinsrester très prudent quant à lapossibilité de relier plusieursminis de manière à permettrel'interrogation en ligne à partir den'importe quel point du réseau.

A Tacoma on a déjà donné

La bibliothèque de Tacoma entredans la catégorie des bibliothè-ques « moyennes à grandes »avec une base de données de250000 titres, 600000 exemplai-res et 65 000 inscrits. Notre sys-tème consiste en un Data PhaseALIS-I, Data General EclipseS-250, avec une mémoire centralede 3/4 de mégabyte, 38 terminauxen ligne et une mémoire surdisques de 900 mégabytes. Nousfrôlons dangeureusement la satu-ration pour ce qui est d'ajouterquelques terminaux supplémen-taires. Un catalogue en ligne ac-cessible au public est au-delà denos possibilités.En 1977 un système de gestiondes prêts a été acheté. Il s'agissaitpour l'époque d'un système depointe, tournant sur un des plusgros mini-ordinateurs disponiblessur le marché avec un nouveaulogiciel complètement révolution-naire. Depuis 1975 l'industrie del'informatique a opéré une muta-tion fantastique; notre logiciel, quia maintenant sept ans n'a plus riende révolutionnaire et serait plutôtcomplètement dépassé. En outrenotre système de connexion entreles terminaux des 7 annexes et lemini-ordinateur de la centrale, luiaussi un produit de la techniquedes années 77 (tant pour le logi-ciel que pour le matériel), est nonseulement un système lent maisaussi un système qui devient deplus en plus onéreux à mesureque la dérèglementation provo-que une escalade des coûts delocation des lignes.En ce moment nous avons le choixentre trois options (inexistantes en1977) nous permettant d'accéderà un catalogue en ligne; elles sontdisponibles auprès de notre four-

nisseur, Data Phase, et d'unedemi-douzaine de sociétés faisantcommerce de systèmes de ges-tion de bibliothèques et quin'étaient pas encore créées en1977. Les nouveaux matériels surle marché sont des systèmes« nonstop », « infaillibles » (failsafe), « indulgents » (fault tole-rant). Actuellement la moindrepanne dans l'un des principauxcomposants de notre systèmebloque le fonctionnement de l'en-semble.Les nouveaux minis sont un as-semblage de plusieurs ordina-teurs, si bien que si l'un d'euxtombe en panne les autres peu-vent prendre le relais - toutcomme dans la navette spatiale oùce concept de boucle redondantea été appliqué*. En 1983 le sys-tème informatique a été bloqué152 heures pendant les heuresd'ouverture de la bibliothèque deTacoma à cause des défaillancesdu matériel. Impossible pour lepublic et pour le personnel defaire les réservations, de retrou-ver les exemplaires d'un ouvrage,de vérifier les sorties, etc. Sans laprésence de notre catalogue, leservice rendu aurait bien plussouffert. Cette interruption, mêmesi elle ne représente que 4 % desheures d'ouverture de la biblio-thèque, n'en est pas moins signifi-cative.

Pour quelques dollars de plus

Comme les catalogues en ligneen sont encore à faire leurs pre-miers pas, il n'existe que très peud'éléments disponibles sur leurscoûts. Dans son ouvrage, PublicAccess to Online Catalogues, JoeMatthews avance des coûts pourdeux bibliothèques universitaires,l'une avec 40 terminaux mis à ladisposition du public et 10 pour lepersonnel; la seconde avec unparc de 100 terminaux - 85 pourle public, 15 pour le personnel.Pour la première année les deuxsystèmes ont coûté respective-ment 805 000 et 1 280 000 dollars.

* Rappelons que l'article a été publié en1985. La navette spatiale aurait-elle consti-tué le 10e mythe de l'informatisation?[NDLR]

L'exemple cité par J. Matthews nesemble pas prendre en compteun système de gestion des prêts.Ces évaluations font supposerque chaque bibliothèque a plusd'un mini-ordinateur à sa disposi-tion. Les coûts doivent toutefoisêtre estimés sur la base d'unedurée de fonctionnement de septans. Dans cette hypothèse le sys-tème de 50 terminaux coûterait,tout au long de son cycle de vie,1 346 000 dollars, soit unemoyenne annuelle de 192 286dollars, tandis que le second coû-terait 1 970 000 dollars au total,soit 281 429 dollars par an.Les trois hypothèses sur lesquel-les, à Tacoma, nous travaillons,sont les suivantes :Passer au modèle supérieur de lamême gamme que celle que nousavons actuellement nous permet-trait, moyennant 150 000 dollars,d'avoir un Data General MV-8 000avec une mémoire de 3/4 demégabyte et un logiciel ALIS II.Nous disposerions ainsi de 60terminaux avec une possibilité deconsultation, très limitée, offerteau public - pas plus de 25 termi-naux. Par ailleurs il ne s'agirait pasd'un système infaillible - ce quinous obligerait à garder notrecatalogue actuel sur microficheCOM. Les coûts de fonctionne-ment courants s'élèveraient danscette hypothèse à 30 000 dollars.Un nouveau système de gestionlourd, de l'ordre de 500 000 dol-lars, entraînerait l'achat d'un desnombreux mini-ordinateurs ac-tuellement disponibles et le choixd'un nouveau logiciel. Le choixdépendrait du fabricant (DataPhase, GEAC, CLSI, ULISYS). Nouspourrions ainsi, avec 90 termi-naux, élargir les possibilités deconsultation du public qui enaurait 60 à sa disposition. Lescoûts de fonctionnement s'établi-raient dans cette hypothèse entre50 000 et 60 000 dollars par an.

La troisième hypothèse consiste àacheter un système infaillible,nonstop et tolérant, coûtant envi-ron 1 000 000 de dollars, le sys-tème Tandem : 2 ou 3 unités detraitement, tout un réseau decommunications, plus de 100 ter-minaux dont 60 à 65 réservés aupublic. Les coûts de fonctionne-ment s'éleveraient à 85 000 dollarspar an. Il va sans dire que j'auraisbeaucoup de mal à prendre unetelle option, même en sachant queTandem est un système de pointeet qu'il fournit le meilleur servicepouvant exister à l'heure actuelle.

Mythe n° 7On a toujours besoin

d'un consultant

Qui est consultant ? Un consultantc'est quoi ? En fait la seule qualifi-cation véritable pour devenir unconsultant est d'avoir un client quiaccepte de payer pour recevoirdes conseils. Selon Joseph Brady,président de l'Association desconsultants en gestion, « n'im-porte quel individu sans emploipeut se lancer dans la professionde consultant s'il a dans sa poche6,99 dollars pour acheter centcartes de visite ». Les consultantsjouent, dans le monde des affai-res, le rôle des mages et dessorciers et ils n'hésitent pas à sevendre comme tels, menaçant latribu à l'image de tout sorcier quise respecte : « les pluies ne vien-dront pas si je n'exécute pas madanse sacrée ! ». Hélas ! Quand lesorcier a terminé sa danse, c'estune sècheresse encore pirequ'auparavant qui s'abat sur latribu. Selon les estimations lesplus optimistes le milieu des affai-res engloutit 3 milliards de dollarspar an en frais de consultants. Leconsultant et le psychanalyste ontbeaucoup de points en commun :une fois qu'il les a sur les bras, leclient ne peut plus s'en passer eten a pour toute son existence !Loin de moi la pensée qu'il n'estjamais bon de prendre un consul-tant ! Il n'y a aucun mal à allerchercher à l'extérieur l'avis d'unexpert et à le rémunérer. Nousavons bien recours à des avocatslorsque nous avons besoin d'assis-tance juridique, à des médecinspour la médecine du travail et àdes architectes pour la construc-tion. Toutefois, en matière d'in-formatisation de bibliothèques, ilse pourrait bien que l'on paye desconsultants pour faire ce qu'unresponsable digne de ce nomaurait dû faire dès le départ. Enréalité le travail du consultantconsiste pour l'essentiel à infor-mer les responsables de certaineschoses qu'ils auraient trouvéestous seuls s'ils s'étaient donné lapeine de les chercher. Il n'estcependant pas niable qu'un beaurapport, venant de l'extérieur, surl'informatisation d'un établisse-ment, contenant quelques re-commandations à l'intérieur d'unbel emballage relié, étiqueté etcoquettement facturé, aura beau-coup plus de poids auprès del'administration de tutelle qu'uneargumentation dans le style : « on

va acheter le dernier systèmed informatisation de bibliothèquesparce que mon personnel etmoi-même nous en avons besoinet que c'est le meilleur ».

Consultation : ça gratouilleou ça chatouille ?

Il y a plusieurs années un consul-tant renommé recommanda l'ac-quisition d'un système de gestionpour les bibliothèques d'un Etatentier. Deux ans plus tard le bi-bliothécaire responsable arrivait àconstater que ce système n'exis-tait pas et n'existerait jamais. Quecroyez-vous qu'il arriva ? J'eus lasurprise de voir le bibliothécairecourir après le consultant pour lerecruter à nouveau et lui fairefaire une deuxième sélection...

J'ai eu tout le loisir, dans l'Etat deWashington, d'observer la malé-diction qui frappait les bibliothè-ques qui s'informatisaient enayant recours à un consultant. Aune exception près les systèmesretenus n'étaient pas assez puis-sants et avaient des mémoires decapacité insuffisante. L'exceptions'est avérée due à l'insistance d'undes membres du personnel quiavait exigé une plus grande ca-pacité de mémoire-disque et uneunité de traitement plus puissante.

Tout au long des sept dernièresannées j'ai suivi de près et j'aisévèrement critiqué les « presta-tions » de presque tous lesconsultants. Leur incapacité à éva-luer les volumes de stockagenécessaires a invariablementconduit les bibliothèques à ache-ter des configurations insuffisan-tes si bien qu'en moins de deuxans tous les systèmes étaient par-venus à saturation.

Caveat emptor: cet adage s'ap-plique moins aux fabricantsqu'aux consultants. Peut-être est-ilnécessaire de créer un organismed'habilitation, délivrant licences etattestations, qui nous protègera,nous autres bibliothécaires, deces charlatans déguisés enconsultants.Le corps des consultants devraitpouvoir reconnaître ses respon-sabilités, voire, le cas échéant, saculpabilité, tant pour les erreursfaites au niveau du choix que pourles difficultés de gestion qui enont découlé. Ils ont le devoir im-pératif de conseiller le client enmodérant ses attentes à l'égard del'informatisation; ils ont aussil'obligation toute particulière demettre le client en garde contre

les dangers inhérents à l'achat deproduits d'avant-garde. La fonc-tion des consultants est d'équili-brer les rapports fabricants/bi-bliothécaires et d'organiser lescontrats de manière à minimiserles risques encourus par les bi-bliothèques en faisant ce type detransaction.Là où est le drame, c'est que noscollègues, pour Dieu sait quelleraison - orgueil ou vanité - nerépondent pas honnêtement auxenquêtes sur les services renduspar les consultants. Peut-êtrecraignent-ils que la mise à nu desdéficiences du consultant ne soitla mise à nu des déficiences dubibliothécaire... Les enquêtes surles performances des différentssystèmes informatiques donnentlieu à des phénomènes du mêmegenre.Si vous avez vraiment le sentimentque vous ne pouvez pas vouspasser des « services » d'unconsultant, choisissez-le de lamême façon que vous avez choisivotre système automatisé : cahierdes charges, appels d'offres,examen des réponses, descriptifdes prestations, contrat - contratd'exécution de préférence. Insis-tez sur les limites financières,assignez des objectifs mesura-bles, assurez-vous que le consul-tant ne sera pas rémunéré enfonction des heures de travaildéclarées mais au vu des presta-tions effectives. Si vous n'êtes passatisfait de ses services, bloquezle paiement jusqu'à ce que votreconsultant vous ait donnésatisfaction.

Mythe n° 8La basilique Saint-Marc

Au royaume des bibliothèques, leboeuf Apis est connu et révérésous le nom de MARC. A l'origine,MARC était un format d'échange,utilisé pour l'enregistrement desdonnées bibliographiques surbandes magnétiques. Il y a vingtans, alors qu'on travaillait à samise au point, quelques visionnai-res eurent l'audace de contrerl'équipe chargée de l'élaborationde MARC, prétendant qu'au lieude se limiter à la transpositioninformatique de la fiche de cata-logage, il fallait saisir le taureaupar les cornes - utiliser toutes lesressources de l'informatique etréviser de fond en comble lesprincipes du catalogage. Ces il-luminés furent réduits au silenceet ce fut la fiche de catalogue quifut informatisée.

Une étude sur les catalogues enligne et sur leur public a étérécemment menée pour lecompte du « Council on LibraryResources »; elle a permis d'éta-blir que la demande du publicporte, pour l'essentiel, sur la re-cherche-matières et que, contrai-rement à la mythologie populaire,cette démarche de recherche estbeaucoup plus fréquente qu'onne s'y attendait. En outre les limi-tes inhérentes au catalogues ap-paraissent frustrantes pour l'usa-ger ; au fur et à mesure que cedernier se fera plus exigeant,s'appropriant le maniement desystèmes en ligne, l'interrogationde catalogues en ligne le laisserade plus en plus insatisfait.Les difficultés de l'interrogation-matières des catalogues en lignene tiennent pas tant aux catalo-gues eux-mêmes qu'à la basede données utilisée. L'en-registrement MARC ne proposepas d'accès-matières satisfaisantspour les documents auxquels ilest censé donner accès; or, si leproblème tient à la base de don-nées elle-même, il n'est pas desolution technologique suscepti-ble d'améliorer la situation. Si lesdonnées ne se trouvent pas dansla base, il est impossible d'allerles chercher... Les prouesses dela recherche par équations boo-léennes s'avèrent vaines lorsquele nombre moyen d'entrées parenregistrement est de 1,7; quandvous utilisez l'opérateur de re-cherche « et » vous excluez

automatiquement tous les ouvra-ges auxquels on n'a attribuéqu'une seule vedette-matière. Parailleurs la recherche par équa-tions booléennes déclenche unremue-ménage insensé chez l'or-dinateur, littéralement « bouffé »par une base de données malindexée. Voilà la triste et tragiquehistoire des banques de donnéessur format MARC ou des catalo-gues en ligne réalisés à partird'une base en MARC...

ForMARC de café

Je suis tout à fait conscient de lanécessité d'un format standard etj'admets volontiers que MARC entient lieu; j'admets aussi que nousdevrons toujours passer par unformat standard jusqu'à ce quenous ayons trouvé quelque chosede mieux. MARC n'est pas unformat convivial pour le grandpublic; il peut l'être pour les ca-talogueurs mais, pour le grandpublic, et en particulier celui desbibliothèques publiques et desbibliothèques scolaires, il repré-sente certainement ce qu'il estconvenu d'appeler un format ré-barbatif. Les catalogueurs sontlittéralement coiffés de leurMARC bien-aimé, de ses étiquet-tes, de ses champs et de sessous-champs, au point qu'on pour-rait parler de « MARCotique »pour définir leur état d'esprit.Comme je ne souhaite pas m'em-bourber dans des zones« MAR(E)Cageuses », je résume-

rai mon propos comme suit:grosso modo, et mis à part le casdes bibliothèques de recherchebriquées dans le moindre détail,il n'y a guère avantage à pouvoirconsulter en ligne le détail desdifférents enregistrements avectous les champs, leurs étiquetteset leurs sous-champs. Je crois quecette attitude a pour origine latradition - ou l'inertie - du for-mat MARC, tradition en place bienavant l'apparition des cataloguesen ligne. Elle provient d'encoreplus loin, des promesses, aussigénéreuses que mensongères,que certains vendeurs de systè-mes automatisés ont faites auxbibliothécaires, prétendant sansavoir réfléchi qu'ils pouvaient in-corporer intégralement ce formatà des systèmes de gestion enligne. Cinq remarques sur MARC :- Charger les données d'un en-

registrement MARC sur bandeentraîne inévitablement une perted'information, à moins que l'onn'ait stocké sur disque la totalitédu texte des enregistrements;- la structure linéaire de l'enre-

gistrement MARC ne correspondpas à la structure d'une base dedonnées indexée consultable enligne;- il est inutile de charger une

grande partie des informationscontenues dans les enregistre-ments MARC;- il est possible de combiner des

étiquettes et des sous-champs;- il faut expliciter les étiquetteset les codes des sous-champspour le public.La création d'étiquettes MARC àpartir d'un système en ligne nesignifie rien de plus que le refor-matage en étiquettes et ensous-champs, en créant ainsi di-rectement un nouvel enregistre-ment pouvant être mis sur bande.Les enregistrements ainsi créésseront nécessairement plus sim-ples (vos étiquettes et vossous-champs) que ceux entrésdans le système, mais les deuxformats peuvent rester totalementcompatibles, si bien qu'on dis-pose d'une bande lisible parn'importe quel autre système àbase de MARC. Encore une fois,le choix des étiquettes et dessous-champs qui pourront êtrecombinés ou abandonnés doitêtre déterminé par le catalogageet par l'utilisation du public; cechoix peut être le fait d'une biblio-thèque particulière agissant demanière autonome à l'intérieurd'un réseau.

Mythe n° 9

Clés en mains ou tout en kit ?

La plupart des systèmes automati-sés existant sur le marché sontannoncés et affichés comme dessystèmes « clés en mains ». Cetteexpression provient du scénariomis au point par les vendeursd'automobiles : vous achetez votrenouvelle voiture, vous prenez lemanuel de conduite, le vendeurvous donne quelques indications,vous sautez dedans et vous dé-marrez ! A mesure que les biblio-thèques sont de plus en plusnombreuses à s'automatiser, ellescommencent à grincer des dentsdevant les épisodes du feuilleton.Dans l'Etat de Washington, quatreétablissements ont acheté un sys-tème automatisé à peu près aumême moment il y a trois ans decela. Les systèmes retenus ne sontpas encore prêts pour passer letest de l'acceptation définitive.Cet épisode n'a rien à voir avecles défauts ou avantages de tel outel système, mais montre bien quel'achat d'un système automatisé,quel qu'il soit, signifie des res-ponsabilités accrues et des char-ges de maintenance qui dépas-sent celles du simple entretien.Dans ma propre bibliothèque, cesont deux personnes à tempsplein qui s'occupent attentivementdu système informatique, indé-pendamment de tout logiciel oude tout matériel. Cette évaluationne tient pas compte du tempsconsidérable passé par le respon-sable de l'informatisation sur lesystème. Bien entendu ces dispo-sitions ont réduit l'ampleur deséconomies faites par la bibliothè-que à la faveur de son automatisa-tion. Il vous faudra tenir comptede l'affectation de personnel aufonctionnement de votre systèmeinformatique - le nombre depostes nécessaires dépendra desdimensions du système et de sacomplexité.Peut-être y a-t-il lieu de rappelerun mythe corollaire découlant despropos que je viens de tenir :« vous n'avez pas besoin de vousy connaître en informatique pourutiliser notre système automatiséde manière efficace ». En 1977,lorsque la bibliothèque publiquede Tacoma s'est munie d'un sys-tème automatisé, personne, à l'ex-ception de quelques membres dupersonnel administratif, n'avait lamoindre notion d'informatique. En1982, un seul membre de l'effectifen place en 1977 avait passé un

diplôme d'expert en informatique.L'année suivante, la bibliothèquerecevait une subvention spécialepour mettre en place un pro-gramme de formation à l'informa-tique. L'objectif ostensiblementaffiché était de donner au grandpublic des ouvrages d'informati-que. La subvention arrive actuel-lement à expiration: tous lesmembres du personnel aurontsuivi le programme de formation.En janvier 1984 nous avons ins-tallé un micro-ordinateur Coronaavec deux lecteurs de disques etune imprimante dans un des bu-reaux. Au départ l'ordinateur trô-nait solitaire, sous les regardscraintifs et occasionnels d'un per-sonnel vaguement inquiet. Par lasuite il a fallu établir des calen-driers d'utilisation et, le plus sou-vent, on est obligé de faire laqueue. Tout cela ne serait jamaisarrivé sans ce programme deformation à l'informatique.

Bibli-octet-cairesEn avril 1983 paraissait le rapportde la « National Commission onExcellence in Education », A Na-tion at Risk; The Imperative forEducational Reform, qui analysele problème de l'éducation en cestermes : « La recherche de solu-tions au problème de l'éducationdans notre pays passe aussi par ledéveloppement de la formationcontinue. Reconstruire notre sys-tème d'éducation représente unetâche gigantesque quil convientde bien analyser et de réaliseravec soin. Bien qu'il y ait chaqueannée 1,5 million de personnessortant de l'école pour entrer dansla vie active, les adultes qui sontactuellement en activité représen-teront encore 75 % de la maind'oeuvre en l'an 2 000 ».Les personnels de bibliothèquedoivent impérativement se mettreà l'informatique. Il ne suffit pas deleur donner des notions de basesur les services qu'ils peuventattendre de l'informatique. Ils doi-vent aussi acquérir un minimumde compétence et d'autonomie enla matière. Cela ne se fera quepar l'expérimentation directe surle clavier. Le secteur privé conti-nuera à nous proposer des solu-tions pour un certain nombre denos problèmes d'automatisation;les autres problèmes devront êtrerésolus par nous-mêmes.Le délai nécessaire pour passerde la découverte en laboratoired'un procédé à la commercialisa-

tion d'une technique ou d'un pro-duit s'est réduit, passant de sept àcinq ans. Malheureusement l'ap-plication des nouvelles technolo-gies à l'informatisation des biblio-thèques continue pour une largepart à dépendre du secteur privé,lequel répugne souvent à investirprématurément dans des techno-logies de pointe car il a déjàbeaucoup investi dans des systè-mes plus anciens. Ce phénomènese produit fréquemment, tant pourles logiciels que pour les maté-riels. Au bout du compte, c'estl'informatisation des bibliothèquesqui en pâtit. Toutefois, à mesureque nous nous donnerons laculture et la compétence informa-tiques qui nous font défaut, nousserons à même de faire pressionsur les vendeurs et de les amenerà améliorer leurs prestations et àoffrir des services de pointe. Cecine pourra se faire que par laformation de nos personnels quidevront être formés et reforméssans cesse.

L'informatisation des bibliothè-ques n'est pas une fin en soi. C'estun instrument qui peut servir àaméliorer l'efficacité et la produc-tivité des bibliothèques. Nous vi-vons une époque où les ressour-ces se réduisent et où s'accrois-sent les responsabilités. Pour lesbibliothèques publiques les pers-pectives des années 80 s'ouvrentsur l'austérité budgétaire. En pé-riode de croissance économiquefaible ou nulle, en période deréduction des dépenses publi-ques, un service public facultatif,utilisé par un pourcentage relati-vement limité de la population,paraît tout désigné pour connaîtredes budgets rigoureux et des res-ponsabilités accrues. Nous nepouvons plus continuer à nousmettre la tête dans le sable, ennous abritant derrière les autresmythes que nous avons forgés,tels notre rôle éducatif, l'aide auxdéfavorisés, l'intégration des im-migrants. Le caractère social ethumanitaire de notre action nenous autorise pas à ignorer lesconsidérations de productivité etd'efficacité.

Les bibliothèques publiques ont,en général, été lentes à adopter età intégrer les innovations techno-logiques. Cette tendance s'estmanifestée avec éclat au début dusiècle, la machine à écrire ayanteu longtemps à attendre avantd'être admise et utilisée. Elle s'estégalement manifestée au coursdes deux dernières décennies,lorsque les bibliothèques en gé-néral et les bibliothèques publi-

ques en particulier balancèrentlongtemps avant d'apprécier lesavantages offerts par l'informati-que pour améliorer les servicesrendus et le fonctionnement in-terne, Jusqu'en 1978, sur les 31bibliothèques publiques les plusimportantes des États-Unis, plusde la moitié (16) ne proposaientpas de services de référence enligne et ne prévoyaient pas de lefaire.

Au delà de ces mythes

Votre ticket devient valable

Mon but, en décortiquant ces neufmythes, était de démontrer qu'ilne fallait pas prendre pour argentcomptant tout le folklore de l'au-tomatisation, que les bibliothécai-res devraient plutôt se montrerexigeants et obliger l'informatiqueà se plier à leurs besoins. End'autres termes les bibliothécairesdevraient prendre en charge leurpropre automatisation. Les remar-ques qui suivent résument monpoint de vue sur le bien fondé dechacun des mythes démystifiés.- Les systèmes informatiques, àcondition d'avoir été bien choisiset bien implantés, permettront defaire des économies.- Les systèmes informatiques

n'empêcheront pas, par eux-mê-mes, les vols de se multiplier; ilsfourniront en revanche les infor-mations et le suivi indispensablesà la gestion, permettant ainsi à labibliothèque de prendre les dis-positions politiques et pratiquesnécessaires; si ces dernières sontappliquées de manière rigou-reuse et maintenues en vigueur,non seulement vous verrez leniveau des vols s'abaisser mais levolume des prêts augmentera.- L'informatisation permettra à la

bibliothèque de gérer un accrois-sement important du nombre deprêts sans qu'il soit besoin depersonnel supplémentaire.- L'informatisation permettra à la

bibliothèque de faire un meilleurusage de ses crédits d'acquisitioncar il lui sera possible à la fois deprévoir les demandes et de lessatisfaire.- Au fur et à mesure que les

bibliothèques disposeront decrédits d'acquisition plus consé-

quents, l'informatisation leur per-mettra d'accroître leur rendementsans disposer de postes supplé-mentaires.- Méfiez vous des vendeurs quivous racontent que leur systèmepeut permettre la mise en placede catalogues en ligne consulta-bles par le public. Renseignezvous, allez discuter avec les pion-niers du catalogue en ligne avantde décider si vous voulez devenirleurs descendants.

- Il n'est pas indispensable de

passer par un consultant poursélectionner un système. Avis auxdécideurs: vous êtes en droitd'attendre de vos administrateursla compétence nécessaire pouréquiper votre bibliothèque d'unsystème adapté et performant. Sivous devez passer par un consul-tant, prenez les précautions né-cessaires pour avoir un résultat àla fin.

- Le format MARC a maintenantune longue histoire derrière lui.Toutefois, il s'agit d'un standard

inadéquat pour les catalogues enligne. Agissez pour un remanie-ment de cette norme.- Mettez vous bien en tête queles systèmes automatisés ne sontpas des systèmes « clés enmains » et qu'il est vital, pour leursurvie, que les bibliothèquesaient un personnel formé à l'in-formatique. Même si le fonction-nement de votre bibliothèquen'est pas encore automatisé, vousdevriez vous mettre dès mainte-nant à l'informatique.Les années 80 marqueront dansl'histoire de l'automatisation desbibliothèques une série de pro-blèmes permanents et de défis.Le déferlement et la multipli-cation d'innovations technologi-ques - micro-ordinateurs, ban-ques de données, ordinateurspersonnels, réseaux câblés, vi-déodisques, vidéocassettes, etc. -offriront aux bibliothèques à lafois des occasions et des défis.Prenez espoir mais, par dessustout, prenez en charge l'informati-sation de votre bibliothèque.