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Restructuration Janvier 2017 Pierre-Nicolas Ferrand Shearman & Sterling Christophe Bidan AJAssociés Saam Golshani Orrick RM Anne-Sophie Noury BDGS Michel Rességuier Prospheres Philippe Héry EY Jean-Pierre Farges Ashurst Christophe Ambrosi Perceva Table ronde

Restructuration - Le Magazine des Affaires€¦ · Si les restructurations d’entreprises revêtent une dimension toujours plus tech - nique et financière, leur réussite n’en

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Janvier 2017

Pierre-Nicolas FerrandShearman & Sterling

Christophe BidanAJAssociés

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Anne-Sophie NouryBDGS

Michel RességuierProspheres

Philippe HéryEY

Jean-Pierre FargesAshurst

Christophe AmbrosiPerceva

Table ronde

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Si les restructurations d’entreprises revêtent une dimension toujours plus tech-nique et financière, leur réussite n’en nécessite pas moins l’adhésion tacite ou officielle du corps social. C’est du moins l’avis exprimé par les participants de notre table ronde, réunis le 26 janvier dernier dans les nouveaux locaux du cabinet Shearman & Sterling.

Le redressement de l'entreprise passe par l'adhésion de toutes les parties

prenantes

Pierre-Nicolas Ferrand

� Associé du cabinet Shearman & Sterling LLP dont il dirige la pratique Insolvency & Restructuring à Paris, Pierre-Nicolas Ferrand y est également responsable de l’équipe Financement.

� Il intervient aux côtés des banques mais égale-ment des entreprises, leurs dirigeants et actionnaires ainsi que des repreneurs et des fonds de private equity ou de retournement, dans le cadre de procédures amiables ou judiciaires. L’équipe a également une grande expé-rience dans le cadre de restructurations transfrontalières pour lesquelles elle travaille en collaboration avec les bureaux européens et américains du cabinet.

� Au cours des dernières années, l’équipe a été régulièrement impliquée sur certaines des plus impor-tantes restructurations du marché telles que Doux, Fagor Brandt, Latécoère, Groupe d’Aucy, Quiksilver, Altis Semiconductor ou BSI.

Olivier Bénureau, MDA : Je vous propose de commencer par les tendances observées en 2016. Les statistiques font état d’une baisse des défaillances et dans le même temps, on a vu des gros dossiers, avec des enjeux sociaux très importants.

Philippe Héry, EY : Je crois qu’il est important de préciser que, même si les « statistiques de défaillance » révèlent une tendance, elles ne sont pas totalement pertinentes en termes de

gros dossiers. En effet, les entreprises de plus de 50 salariés ne représentent que 350 à 400 procédures selon les années. En 2016, il y a eu des gros dossiers à traiter, certes, mais dans le cadre de la prévention. Je ne sais pas si tout le monde est d'accord...

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Tout le monde connaît les dossiers de la place qu'il y a eus. Effectivement, pour certains d'entre eux il y a peut-être des impacts sociaux plus importants que

ce qu'on a pu voir par le passé, mais ce n'est pas le cas pour tous les dossiers.

Saam Golshani, Orrick RM : Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de PSE cette année 2016. Je ne pense pas qu'il y en ait eu beaucoup plus qu'en 2015.

Olivier Bénureau, MDA : Je pensais notamment à des gros dossiers boursiers comme CGG où un tiers des effectifs ont été supprimés.

Saam Golshani, Orrick RM : Je crois que la seule chose que l’on peut vraiment dire c'est qu'en 2016, il y a eu beaucoup de dossiers qui étaient déjà là depuis un moment et qui sont revenus (effectivement des dossiers d'une certaine taille). On continue à traiter la fin de beaucoup d'opérations avec effet de levier des belles années. Et puis, effectivement, il y a en plus un élément macro-économique, qui est la chute du cours du pétrole et, donc, un certain nombre de sociétés dans cette filière-là a été impacté. Cela va de Vallourec à CGG ou à des sociétés de services plus petites. Par conséquent il y a une espèce d'effet de marché. Ce sont les deux qui se télescopent sur l'année 2016. Mais, ce qui est vrai, c'est qu'alors même qu'il y a énormément de liquidités

sur le marché et que les banques reprêtent d'ailleurs avec des effets de

levier assez agressifs, je crois qu'on a tous été occupés - et pas simplement les conseils, mais aussi les investisseurs, c’est l'ensemble de l'environnement

Restructuring, qui me semble-t-il a été très actif en 2016.

Christophe Bidan, AJ Associés : Ce qu'on peut noter, en tout cas sur le grand Ouest et selon les autres mandataires de justice, c'est que globalement le nombre de défaillances d'entreprises en 2016 a baissé d'environ 10 à 20 %. Je parle hors prévention (en terme de prévention, c'est toujours un peu exceptionnel, parce qu'il y a quelque fois le gros

dossier qui effectivement modifie un peu la statistique), mais globalement les salariés impactés, c'est 10 ou 20 % de plus. Donc, il y a un écart de 20 à

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40 % par rapport à l’année précédente nombre constant. Cette tendance se vérifie sur la quasi-totalité des tribunaux de commerce du grand ouest.

Christophe Ambrosi, Perceva : Le flux de dossier que nous recevons est assez indépendant des cycles. On a parfois certains secteurs qui sont sur-représentés. Ainsi, nous avons effectivement reçu des dossiers dans le secteur du pétrole, que ce soit l'exploration ou les gens qui fournissent le matériel. Le pétrole baisse, les acteurs réduisent les investissements, du coup tous ceux qui fabriquent les machines, les tuyaux, etc., sont impactés. Nous avons aussi vu beaucoup de dossiers dans le bâtiment, qui est en phase de rebond, mais beaucoup d'entreprises ont souffert depuis plusieurs années. Nous avons repris en 2015 un des leaders français de la porte, et c’est un dossier qui se porte très bien.

Saam Golshani, Orrick RM : Les permis de construire, c'est une augmentation de 15 %, et de +18 % pour les constructions de logement depuis octobre 2016. Après, on peut se dire que cela va de nouveau s'écrouler, mais il y a des cycles longs dans le bâtiment et nous assistons à la fin d’un cycle et au début d’un nouveau. On le voit d’ailleurs bien, on a participé à une opération de cession de Consolis.

On a vu l'engouement, à nouveau, des grands groupes pour ce type d'actifs.

Christophe Ambrosi, Perceva : Il est intéressant de noter que, selon la phase de construction dans laquelle intervient l’entreprise, le cycle des permis de construire impactera l’entreprise dans six mois, 12 voire 18 mois.

Xavier Leloup, MDA : Et sur la loi travail, il y a un impact de la Loi Travail sur les modalités du licenciement en cas de difficulté économique ?

Michel Rességuier, Prospheres : Les changements permis par la loi Travail démarrent. Par exemple, les décrets relatifs aux recours aux référendums dans l’entreprise sont sortis à Noël. Je suis en train d'activer ces nouvelles possibilités dans une entreprise et c'est une première.

Xavier Leloup, MdA : Le fait que des LBO un peu mal soignées reviennent sur le marché, cela veut dire que les prévisions, les anticipations, avaient été trop optimistes, ou est-ce dû à des événements absolument imprévisibles ?

Philippe Héry, EY : Tout d'abord, certains LBOs bien connus souffrent par rapport au secteur d'activité sur lequel ils interviennent : notamment

ceux liés à la consommation des ménages, au textile en particulier, mais pas uniquement... Entre la baisse du pouvoir d'achat, les attentats, les grèves, je pense qu'en 2016 on a cumulé pas mal d’évènements défavorables. Cela affecte effectivement les niveaux de rentabilité, mais il y a également des dossiers qui reviennent car le sujet de la dette, au cours de la première restructuration, n'a pas été suffisamment traité sur le fond.

Xavier Leloup, MdA : Comme Vivarte par exemple ?

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Avec Vivarte, tout le monde savait au départ qu'on laissait probablement un peu trop de dette. En l'occurrence, la conjoncture a été mauvaise, c'est un fait. Et quand on fait un write-off de 2 milliards d’euros mais que les mêmes créanciers acceptent de réinvestir 500 M€ de new money, on peut comprendre qu'ils veuillent prendre le risque de laisser un peu trop d'argent sur le bilan. Néanmoins, est-ce que dès l'origine on se demandait s'il n'y en avait pas un peu trop ? La réponse est "oui". Mais c'était assumé. Je ne crois pas qu'il y ait eu beaucoup de précédents dans lesquels on ait accepté de consentir un write-off - je le répète - de 2 milliards d’euros, pour réinvestir 500 M€ concomitamment.

Anne-Sophie Noury, BDGS : C'est une tendance qui se confirme régulièrement. Il y a beaucoup de dossiers qui souffrent d’un niveau d’endettement très élevé, mais en réalité passer, du jour au lendemain, de centaines de millions d’euros à zéro, c’est extrêmement difficile à faire admettre aux différentes parties qui espèrent un retour à la performance et veulent donc conserver l’option de recouvrer tout ou partie de leurs créances ou de leur capital. Dans les dossiers les plus endettés, il faut

souvent des étapes, et donc plusieurs restructurations. C’est la raison pour

laquelle il arrive souvent que des restructurations n’aboutissent pas à un désendettement suffisant par rapport à la performance actuelle et anticipée. Par ailleurs, comme les négociations peuvent prendre plusieurs mois, il peut également arriver que l’activité se dégrade au long des discussions. Ce n’est pas pour autant qu’un nouvel IBR est lancé et qu’une discussion doit être relancée sur de nouvelles bases. A défaut, la restructuration n’est jamais mise en œuvre. Or des discussions trop

longues peuvent être également

Philippe Héry

� Depuis 23 ans, Philippe Héry assiste des inves-tisseurs et entreprises dans la conduite de leurs restructurations. Aux côtés de Guillaume Cornu (Associé, responsable du département Transaction Advisory Ser-vices), il anime l'équipe Restructuring d'EY et se trouve entouré d'une équipe d'une cinquantaine d'experts, com-posée notamment de Thomas Marcorelles (Associé), Améziane Abdat, Damien Mignot et Victor Chemineau (Directeurs). Grâce à une forte expérience des situa-tions de crise, cette équipe conseille et accompagne les entreprises sur les aspects financiers, stratégiques et opérationnels.

� Au delà de cette spécialité exercée sur l'ensemble du territoire national, il anime également les activités de Corporate Finance (Due diligence, Evaluation, M&A,...) sur la région Ouest.

� Son champ d'expertise sectorielle recouvre de nombreux secteurs : retail, textile, agroalimentaire ou encore transports ou medias.

� L'équipe restructuring d'EY est intervenue sur une centaine de dossiers en 2016, dont les principaux dos-siers de place dans les secteurs de la restauration, des aciers spéciaux, du textile et du digital, dans des contex-tes de prévention ou de procédures collectives.

Il y a aujourd'hui une volonté plus affirmée de dire que si le niveau de

dette constatée apparaît surdimensionné par

rapport à la capacité de remboursement, il faut peut-être en tirer les conclusions

dès maintenant

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Table rondeTable ronde

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éminemment préjudiciables pour une société et ses dirigeants qui le temps des négociations ne sont plus concentrés sur le redressement.

Pierre-Nicolas Ferrand, Shearman & Sterling : Oui, et puis il y a aussi eu un télescopage, en particulier pour ce qui concerne Vivarte, avec une conjoncture qui ne s'est redressée à aucun moment, un marché du retail qui est resté longtemps déprimé alors que les BPs prévoyaient qu'il allait redémarrer un peu. Du coup, les chances de redressement par le développement du chiffre d'affaires et de la marge n’ont pas été au rendez-vous.

Olivier Bénureau, MDA : Faut-il exonérer le management de toute responsabilité dans ces échecs ?

Michel Rességuier, Prospheres : Prospheres ne dirige et transforme qu’un petit nombre d’entreprises par an. Notre panel d’analyse est plus restreint que dans les autres métiers du restructuring. Sous cette réserve, je voudrais souligner avec joie que nous avons constaté en 2016, un meilleur soutien des bailleurs de fonds, c'est à dire principalement des actionnaires et des banquiers. Ma perception est qu’ils ont davantage confiance dans la capacité des entreprises à réussir leur redressement et à récompenser leurs efforts. La moins bonne période que

nous ayons connue, de ce point de vue-là, fut le premier semestre 2009 que je n'oublierai jamais, au cours de laquelle les actionnaires et les banques lâchaient les dossiers qui n’avaient plus d’autre issue que judiciaire. Inversement, depuis 16 ans que Prospheres œuvre au redressement des entreprises, 2016 fut la meilleure année du point de vue du soutien des partenaires. Une des conséquences est également que nos mandats s’exercent sur des durées plus longues : nos interventions duraient un an en moyenne, et cette moyenne est en train de s’accroître, ce qui permet un travail plus en profondeur. Je perçois une meilleure confiance des acteurs dans l'économie.

Saam Golshani, Orrick RM : Il y a de la liquidité sur le marché aussi.

Michel Rességuier, Prospheres : Bien sûr, cela fait partie des causes du meilleur soutien des bailleurs de fonds.

Saam Golshani, Orrick RM : Et puis les indicateurs économiques sont plutôt bons, aussi étranges que cela puisse paraître. Notre Président sortant avait raison quand il a dit que, à l'issue de son quinquennat, les indicateurs s'amélioreraient, parce qu'effectivement ils s'améliorent.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Moi je trouve que c'est une réalité statistique.

C'était le pari du sorcier africain, qui tourne en rond en disant "il va pleuvoir, il va pleuvoir"... Cela finit toujours par arriver. Mais je suis sans doute partisan !

Saam Golshani, Orrick RM : C'est comme le prêtre inca qui tue un prisonnier tous les matins pour que le soleil se lève. Les indicateurs économiques sont plutôt bons, il y a de la liquidité sur le marché, et à tous les niveaux, c'est-à-dire que les actionnaires ont de l'argent à déployer. Il y a énormément d'investisseurs alternatifs qui ont terminé les derniers dossiers qui restaient en Espagne et au Portugal ‒ par conséquent, aujourd'hui, la France est le marché européen par excellence pour ces investisseurs alternatifs. Évidement cela crée un peu de concurrence avec les investisseurs existants. Mais il y a énormément de liquidités sur le marché, et puis actuellement les banques françaises, actuellement, soit elles accompagnent, soit, quand il y a un problème, elles vendent tout de suite, ce qui laisse de la place à d'autres. Ce n'est pas mal.

Christophe Bidan, AJ Associés : Je suis tout à fait d'accord. Il y a aujourd'hui une meilleure disposition des financiers dans les tours de table en ad hoc et conciliation. J'ai eu l'occasion tout de même de voir que parfois on se limitait à régler une partie de la difficulté, avec une clause de revoir qui pouvait tout remettre en cause au bout d'un an ou deux ans, parce qu'on avait bien conscience que, certes, il fallait trouver une solution d'urgence, et donc maintenir des financements et un soutien, mais qu'on n'avait pas la prétention de régler absolument toutes les difficultés. Nous traiterons peut-être de cette question un peu plus avant, mais on s'aperçoit qu'une simple restructuration financière est quelquefois insuffisante pour pouvoir trouver une solution pérenne dans une entreprise en difficulté quel que soit le secteur.

Pierre-Nicolas Ferrand, Shearman & Sterling : Les banques sont bien souvent prêtes à soutenir, mais c'est vrai que les clauses de revoir sont importantes pour elles, dans la mesure où elles permettent de vérifier la trajectoire sur la durée et d’ajuster, le cas échéant, ou de demander la mise en œuvre de mesures supplémentaires. Elles veulent, lors de points d’étape, voir si les promesses, les hypothèses, sont tenues. Ce n'est pas choquant. C'est une contrepartie à leur soutien.

Christophe Bidan, AJ Associés : Il y avait la clause de revoir qui permettait de vérifier que les

indicateurs qu'on attendait étaient

réunis et que les conditions autorisant la continuité des mesures de soutien étaient effectivement remplies. Je dis simplement qu'on accepte le principe de tout remettre en cause au bout de la clause de revoir, parce qu'on a bien

conscience qu'on n'a pas forcément réglé toute la difficulté dans un premier protocole.

Xavier Leloup, MdA : Donc c'est presque une restructuration par étapes... C'est-à-dire qu'on règle 80 % mais on se dit que, dans un an, il en restera 20 %...

Christophe Bidan, AJ Associés : Exactement.

Saam Golshani, Orrick RM : Il faut être convainquant avec les CAC quand on rencontre ce type de clauses...

Christophe Bidan, AJ Associés : Tout à fait. Il faut que ce soit au moins à 18 mois.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Pour

Christophe Bidan

� Christophe Bidan est administrateur judiciaire à Rennes depuis 1986. Il a créé le bureau de Lorient en 1990 et s’est installé à Nantes en 2004. Il a siégé 8 années au Conseil National des Administrateurs Judiciaires et des Mandataires Judiciaires (CNAJMJ). Il a également été membre du conseil d’administration de la Caisse de Garantie et siégé durant de nombreuses années dans le jury d’examen d’aptitude à la profession d’administrateur judiciaire.

� Christophe Bidan a été président de l’Institut Français des Praticiens des Procédures Collectives (IFPPC) de 1996 à 1998. Il préside actuellement le Comité Permanent des Diligences. Il est intervenu récemment sur les dossiers ABRF, DECA France 1 et 2, Fonds de limitation de responsabilité de l’ERIKA, ROYAL MER BRETAGNE, COMBIWEST. Christophe Bidan est également Avocat inscrit au Barreau de Rennes

� Christophe BIDAN a rejoint AJAssociés en 2011. Pour mémoire, AJAssociés compte 18 bureaux et a été designée en 2016 dans 872 nouvelles missions dont 190 missions de prévention et 486 procédures collectives.

Certains représentants des

salariés ont une vision souvent très juste de leur entreprise, quelquefois plus juste que celle du

chef d'entreprise

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revenir sur le point précédent. Il y a ce que je trouve être une dérive. On l'a vu ensemble à la rentrée solennelle du Tribunal de commerce de Nanterre, et c'était pareil à Paris, sur la question de la responsabilité des dirigeants, voire des actionnaires ou des banques. C'est quand même rare que l'on puisse caractériser la responsabilité des dirigeants. Cela peut arriver qu'il y ait des gens qui se conduisent très mal et il faut évidemment qu'ils soient sanctionnés, mais l'erreur d'option pour orienter un groupe est quand même extraordinairement difficile à sanctionner,‒ me semble-t-il. Et je trouve quand même un peu curieux, voire inquiétant, que cela soit le nouveau sujet en vogue. C’est assez inquiétant pour le business. Un dirigeant d'entreprise fait en général ce qu'il peut. Je ne pense pas que l'on puisse dire, sur les dossiers dont j'ai eu connaissance, que qui que ce soit ait fait n'importe quoi. Les personnes ont essayé de faire ce qu'elles pouvaient au regard des éléments dont elles disposaient. Malheureusement il y a presque toujours un effet conjoncturel assez important, par exemple le virage du numérique qui n'a sans doute pas été pris à temps. C'est toujours une conjonction de facteurs qui fait qu'une entreprise se trouve en difficulté, voire en grande difficulté. Mais parler de "faute des dirigeants", je trouve cela un peu choquant : le business c'est un pari

et quand on perd un pari, ce n'est pas nécessairement que l'on a commis une faute. En revanche, cela ne veut pas dire que, parfois, il n'y ait pas des gens qui commettent des impairs.

Olivier Bénureau, MDA : Le virage du digital ou du numérique, certains le prennent, d'autres pas, dans un même secteur. L'idée ce n'est pas de mettre en responsabilité les dirigeants au sens juridique mais d’apprécier s'ils ont pris les bonnes options.

Saam Golshani, Orrick RM : On parle de deux responsabilités différentes : il y a la responsabilité au sens juridique de la faute en cas de défaillance... C'est quand même inimaginable qu'on devrait partir d'une présomption de faute du dirigeant. Par définition, le dirigeant prend des risques.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Cela a existé, la présomption de faute.

Saam Golshani, Orrick RM : Et puis le deuxième type de responsabilité est la responsabilité opérationnelle du dirigeant, qui effectivement peut être révoquée par ses actionnaires si, à tort ou à raison, ils estiment qu'il n'a pas rempli son mandat. Et cela est normal.

Christophe Bidan, AJ Associés : Oui, cela n'induit pas forcément derrière

une responsabilité judiciaire en fait. Et il faut être très prudent parce que sinon on ne va plus trouver aucun dirigeant. Au niveau de la commission européenne, il y a une proposition pour que la prescription pour engager la responsabilité du dirigeant soit limitée à trois ans, je crois. N’ya-t-il pas une proposition en ce sens ?

Jean-Pierre Farges, Ashurst : A nouveau, on a un corpus législatif et réglementaire déjà extrêmement touffu et fourni. Lorsque certains commettent des erreurs ou des fautes, c'est quand même relativement simple de les sanctionner. Comme le rappelait Saam, les actionnaires sont aussi là pour faire leur travail et indiquer quand un dirigeant ne leur plaît plus. Et d'ailleurs, parfois cela peut aussi être une erreur que de révoquer un dirigeant. Il ne faut pas oublier que, parfois, les dirigeants, dans des groupes comme ceux que l'on évoquait, n'ont pas les mains libres, au sens économique ; ils n'ont pas nécessairement les moyens de leur politique. C'est facile d'avoir des idées pour relancer un business, mais en règle générale, c'est corrélé à la nécessité de réinvestir de l'argent frais.

Xavier Leloup, MdA : C'est ce qu'expliquait d'ailleurs Patrick Puy au sujet de Vivarte, c'est-à-dire qu'il contextualisait le plan de cession, ou plutôt les cessions des filiales de certaines marques emblématiques de Vivarte, en disant : "Les repreneurs auront davantage de latitude, notamment financière, pour relancer ces marques « comme elles le méritent »". En tout cas c'est ce qu'il sous-entendait.

Saam Golshani, Orrick RM : C'est là une décision stratégique d'un dirigeant. L'avenir nous dira s'il avait tort ou raison. Ce qui est sûr c'est que l'on voit bien que sur ce marché du retail, la plupart de ceux qui ont réussi avaient un portefeuille assez limité de marques. Après, est-ce qu'il faut faire comme tout le monde ? Je ne sais pas.

Mais il y avait très peu, en Europe, d'acteurs de la taille de Vivarte, qui avaient autant de marques dans leur portefeuille.

Anne-Sophie Noury, BDGS : il faut également reconnaître que, notamment dans des dossiers LBO, les dirigeants font face à de fortes contraintes propres à la documentation de crédit et au souhait, logique, des actionnaires de maximiser l’EBITDA de sortie. A titre d’exemple, dans un dossier de retail, un dirigeant dont le parc de magasins est vieillissant ou démodé va vouloir rénover ce parc de magasins, voire changer le concept, et donc investir. Cet objectif du dirigeant peut être clairement contraire aux demandes des créanciers qui, dans une

société en difficulté, vont réduire les marges de manœuvre et demander à ce

que la trésorerie du groupe soit dédiée aux stricts besoins opérationnels. Cet objectif peut également être contraire aux attentes des actionnaires qui voudront quantifier le retour attendu des investissements et obtenir un tel

retour sur une durée relativement courte. Or des investissements de cette

nature ne permettent pas nécessairement de dégager de la croissance, mais seulement d’enrayer la baisse de fréquentation des magasins. Un dirigeant peut donc se voir dans certaines circonstances interdit d’agir face au refus des créanciers et des actionnaires. Il est donc difficile d'accuser un dirigeant, alors qu'il doit combiner avec des créanciers et des actionnaires.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Il y a l'évolution du marché. Bien sûr. Et ce sont des paris très compliqués. J'ai en tête le groupe dont tu parles. Ou au sujet de l'autre groupe dont on a parlé tout à l'heure, on a pu reprocher à certains d'avoir voulu faire

Christophe Ambrosi

� Associé de Perceva depuis 2009, Christophe Ambrosi a précédemment été investisseur au sein de l’équipe LBO Midcap d’Astorg Partners (2001), et de Butler Capital Partners (2005-08). Il jouit en outre d’une expérience professionnelle au sein de l’étude administrateur judiciaire de Régis Valliot.

� Pour mémoire, Perceva est depuis cinq ans le fonds de retournement français le plus actif.

� L’équipe s’est notamment illustrée sur les redéploiements des groupes Emova (anciennement Monceau Fleurs), Shark, BPI Group ou encore Ocealliance. Tout récemment, Perceva a repris Keyor (anciennement Premdor) et les activités de Cauval.

Comme pour les partenaires créanciers, il faut redonner confiance

au corps social quand une entreprise traverse des

difficultés

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une montée en gamme. Franchement, la montée en gamme, c'était repeindre des locaux et changer des néons, et puis remonter un peu les prix parce que sinon, il était impossible d'avoir une marge, et donc de faire des rénovations. C'est là que l'on s'aperçoit qu'il est très facile de juger a posteriori. Il y a beaucoup de gens qui ont des idées sur le sujet, en ayant une connaissance très limitée de ce qu'il s'est passé en pratique (c'est quasiment inversement proportionnel), mais la réalité, c'est que c'est extrêmement difficile. Par ailleurs, on s'est aperçu que, pour certaines boutiques, le fait qu'elles aient été rénovées sans qu'il y ait eu de hausse des prix n'a pas du tout fonctionné. Cela donnait l'apparence que les prix allaient augmenter parce que c'était plus propre et plus chic. Enfin, je pense que ces dirigeants font des paris compliqués. Si on prend toujours le cas de Vivarte, rappelez-vous, quand l'opération a été réalisée, tout le monde l'a saluée en disant "C'est génial ! Ce qui a été fait là, c'est extrêmement protecteur puisqu'on a des marques qui sont positionnées sur des segments différents, et cela permettra de lisser les problèmes de crise. Quand il y en aura une qui montera, l'autre baissera peut-être, mais comme cela on restera à un niveau tout à fait stable." Cela ne s'est pas révélé fonctionner, mais je ne crois pas que l'on puisse reprocher à qui que ce soit d'avoir fait ce type de pari. A l'origine, cela paraissait rationnel. Cela paraissait même tellement rationnel

que des investisseurs des quatre coins de la planète ont voulu souscrire, et tout le monde pensait que c'était extrêmement judicieux.

Michel Rességuier, Prospheres : Je ne peux que souscrire au fait que la complexité est plus dans l'exécution d’un business plan que dans sa conception, et qu’il est donc trop facile de dire "y'a qu'à", "faut qu'on"... Cela dit, le retail en particulier bénéficie d’un avantage magnifique, qui est de pouvoir tester. En effet, il est possible de vérifier sur un territoire limité que, effectivement, tel projet stratégique fonctionne ou ne fonctionne pas. En conséquence, les dirigeants ne sont pas obligés d'investir des sommes colossales (et de faire plaisir à des investisseurs qui ne savent pas quoi faire de leur argent), en partant sur des schémas complètement mythiques et fantasmagoriques sans vérifier préalablement si le changement de modèle économique fonctionne ou ne fonctionne pas. Aves des réseaux de magasins Agatha, Grain de Malice, Thomas Cook, ou PrimaVista (qui n'est pas un magasin, mais qui fonctionne aussi en BtoC), nous pouvons sélectionner un petit territoire et y vérifier ce qui se passe dans l’application d’une nouvelle stratégie. Je voulais un peu tempérer le propos, parce que je constate que trop de dirigeants partent bille en tête en essayant d'être l'homme génial que son prédécesseur n'a pas été.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Je suis d’accord. Mais, typiquement, parmi les dossiers dont on a parlé, j'en ai trois en tête : celui dont parlait Anne-Sophie, Vivarte, et un autre dossier qui avait un actionnaire quasiment unique, familial, plutôt dans le secteur du vêtement d'enfants. Ce sont des gens qui ont fait des essais, des tests grandeur nature. Je peux vous le garantir.

Saam Golshani, Orrick RM : C'est normal qu'il y ait un peu de concurrence. Notre métier, c'est aussi de traiter, d'une manière ou d'une autre, les conséquences d'une concurrence. C'est un peu darwinien ce que je vais dire, mais effectivement il y a des marques de retail qui avaient été mal gérées. Je peux prendre l'exemple de Gérard Darel : depuis que la famille a repris Gérard Darel, cela va beaucoup mieux. Donc il y a un effet darwinien qui est que certains sont capables et d'autres pas : c'est lié au talent des dirigeants, c'est lié au timing, c'est lié à la chance, c'est lié à mille choses différentes. Mais effectivement il faut bien que la concurrence fonctionne, qu'il y ait des gagnants et des perdants, et nous, notre métier à tous, c'est de faire en sorte que ces perdants-là ne disparaissent pas tous, et qu'il y ait un peu de destruction créatrice au sens de Schumpeter.

Anne-Sophie Noury, BDGS : je nuancerai fortement le propos de

Saam sur le dossier qu’il a évoqué. Les choses sont beaucoup moins simples que cela. En effet, sans prendre position sur le mérite ou le démérite de tel ou tel, il faut au moins reconnaître que les dirigeants passés ont souffert de marges de manœuvres significativement restreintes, avec un niveau de levier bien trop élevé dont ils n’étaient pas responsables. Je réitère ce que j’ai dit précédemment : on ne peut pas apprécier l’action ou l’inaction d’un dirigeant en dehors du contexte. Il faut tenir compte des contraintes financières qui pèsent sur eux.

Christophe Ambrosi, Perceva : Vu de

l'investisseur, certains métiers de retail sont délicats à appréhender, car les décisions de quelques personnes clés

engagent l’entreprise sur des cycles longs : un choix de collection, par exemple, peut très bien marcher, mais à l’inverse, une erreur est difficile à corriger car l’entreprise se retrouve avec des stocks en décalage par rapport à la clientèle. De même, le choix de la cible de clients est fondamental, et pose des questions difficiles : une chaine qui cible des jeunes, par exemple, doit-elle vieillir avec sa clientèle

? Ou renouveler la clientèle ? Ce sont des choix très lourds.

Jean-Pierre Farges

� Jean-Pierre Farges est associé au sein du département résolution des litiges et restructurations du cabinet Ashurst à Paris. Il conseille sur tous les aspects des restructurations dans le cadre des procédures de prévention et des procédures d'insolvabilité.

� Jean-Pierre assiste souvent dès les procédures de prévention, aussi bien des sociétés en difficultés ou leurs actionnaires que des créanciers de tous types, incluant des établissements de crédit que des CLO.

� Il a développé au cours des dernières années une expertise incontestée en restructuration de sociétés sous LBO et mis en œuvre pour elles des solutions novatrices. Il intervient également sur tous les aspects contentieux en cours de restructuration, ou postérieurement à celle-ci, et plus généralement sur tous types de contentieux commerciaux.

� Jean-Pierre Farges a notamment été l'avocat :-Des repreneurs d'Adrexo, Advertising Productions, Ad-vertising Services et CIP du groupe Spir Communication -Du groupe Vivarte lors de la précédente restructuration et dans le cadre de l'actuelle restructuration-De Solocal, du groupe Rapp, de Saur -Des organes de la procédure dans le dossier Tapie-Des créanciers séniors de Camaïeu et des créanciers lors de leur prise de contrôle dans le dossier DSBG

C'est toujours une conjonction de facteurs qui

fait qu'une entreprise se trouve en difficulté, voire en grande difficulté. Mais parler

de ‘‘faute des dirigeants’’, je trouve cela un peu

choquant

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Jean-Pierre Farges, Ashurst : Oui et puis dans le commerce du retail, il y a quand même un facteur particulier : je pense qu'aujourd'hui il y a plus d'offre que de demande. Donc il faut absolument se démarquer de la concurrence. Et lorsque l'on est positionné sur des produits de moyenne gamme, je pense que c'est extrêmement difficile de résister. Il y a le e-commerce. Je crois qu'il n'y a plus beaucoup de jeunes qui viennent aujourd'hui physiquement dans les magasins. Ils achètent tout sur internet.

Michel Rességuier, Prospheres : C'est assez darwinien, je suis assez d'accord... Si on regarde le voyage, par exemple, les parts de marché sur internet augmentent de 1 % par an. C'est gênant mais ce n'est pas un tsunami. Et si tu prends une gamme comme Grain de malice, qui est de l'entrée de gamme féminin (40 ans), internet c'est 0 % de croissance par an, parce que c'est une population qui n'a pas envie d'acheter sur internet. Ce n'est donc pas dans internet qu'il faut qu'on investisse pour ce type de produits. Juste pour décrire précisément comment on s'en est rendu compte : on a effectué un certain nombre de tests et il est apparu que, sur cette marque, le trafic ne changeait rien au chiffre d'affaires dans les magasins. Tu as plein de monde dans le magasin ou tu n'as pas de monde dans le magasin : tu fais le même chiffre d'affaires. En constatant cela, on s'est dit qu'il se passait quelque chose d'anormal. Par contre, si tu as plein de monde dans le magasin et que tu augmentes le nombre de vendeuses, tu augmentes le chiffre d'affaires. La conclusion c'est donc que la cliente papote avec la vendeuse.

Xavier Leloup, MdA : D'ailleurs sur internet il y a toujours des gens qui veulent converser avec toi. Quand tu vas sur internet, tu dis : "Comment puis-je vous aider ?" Tu as une jeune femme ou un jeune homme qui te

dit : "Voulez-vous échanger avec moi ?".

Michel Rességuier, Prospheres : Internet n'est pas nécessairement l’ennemi du retail en magasin. Il est clair que Les Librairies Chapitre (et, me semble-t-il, toutes les librairies), doivent complètement revoir leur modèle économique face à internet. Le client qui sait de quel livre il a besoin le trouvera facilement sur internet. Mais nous avons prouvé que la librairie a une raison d’être et peut vivre sur un modèle différent, en ne se contentant de distribuer des livres. Des dizaines de librairies issues du groupe Chapitre connaissent aujourd'hui des succès fantastiques.

Saam Golshani, Orrick RM : Je reviens juste sur un point, parce que là nous sommes tous très consensuels, c'est bien, mais il faudrait parler d'un sujet qui fâche un peu. On le voit dans le retail mais pas seulement. C'est ce conflit qui s'est créé entre les investisseurs financiers "sophistiqués ", qui interviennent dans la dette et qui participent à la restructuration, et puis le village gaulois autoproclamé des banques de détail, qui ne veulent plus accompagner les groupes en leur fournissant des cautions, des lignes de crédit... On se retrouve dans les situations que l'on connaît, où il existe un paradoxe absolu qui fait que les banques les moins exposées, parce que les plus proches de l'activité au quotidien des flux, deviennent celles avec lesquelles les discussions sont les plus difficiles, alors même que par ailleurs des investisseurs ou des créanciers leur abandonnent des montants très importants de dettes. Et je pense que l'une des difficultés qu'on retrouve dans la restructuration du retail, c'est la difficulté de négocier le "dernier bout de gras" avec ces gens qui sont les moins exposés. On a vu des histoires de caution surréalistes. On a eu des discussions ces derniers temps pour des montants qui représentent

moins de 5 % de ceux dont on parle dans les dossiers et qui prennent 50 % de notre temps.

Anne-Sophie Noury, BDGS : Il est vrai que, dans certains dossiers, nous pouvons consacrer un temps infini à convaincre des banques de détail à renouveler leurs engagements, malgré le risque limité pour elles. Mais, comme dans toute négociation, chacun use des armes dont il dispose pour obtenir les meilleures contreparties possibles. S’agissant des engagements de crédits documentaires ou de cautions, les banques n’ont pas l’obligation juridique de les renouveler et disposent du pouvoir de dire non, contrairement aux prêteurs dont le crédit est totalement tiré et qui doivent discuter pour obtenir le remboursement de leur crédit ou, le cas échéant, céder immédiatement leur créance dès la restructuration terminée.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Je suis plutôt d'accord avec cela, mais je pense que c'est une politique extrêmement court-termiste. Je pense qu'elle est même dangereuse pour nos institutions bancaires. On ne peut pas faire cela indéfiniment sans penser que cela n'aura pas de conséquences à long terme.

Saam Golshani, Orrick RM : On a des vrais sujets là-dessus... On les a rencontrés sur un certain nombre de dossiers cette année et c'est vrai que j'ai constaté personnellement que cela s'était exaspéré depuis l’année précédente. Habituellement quand il s'agit de discuter des lettres de crédit, des Credoc, des lignes de caution, des lignes de change, on a peu de sujets avec les banques puisque, en effet, les banques ne sont pas (ou très peu) exposées, ou alors sur des courtes périodes. Donc il faudrait vraiment que le groupe fasse défaut au moment où ces lignes sont tirées et qu’elles se retrouvent donc créancier alors même que souvent la dette financière de

ces groupes es groupes est elle-même souvent un, deux, trois ou quatre étages au-dessus. Donc, pendant très longtemps il y avait ce présupposé d’un maintien de l'accompagnement opérationnel ‒ au sens financier. Et là, depuis cette année, on se retrouve avec des gens qui nous disent : "Non je n'accompagne plus, je veux sortir, ou alors vous me donnez une garantie cash, ou une garantie à première demande d'une autre banque." On se retrouve donc à avoir des discussions absurdes avec des créances qui ne sont pas vraiment à risque

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Tu as complètement raison. J'ai le sentiment que cela fait plus que douze mois : cela fait deux ans, peut-être même trois ans que certaines banques ont adopté cette

politique (notamment dans le retail), de se dire : "Je veux sortir de ce type

de dossiers. C'est mon droit." Et d'un point de vue strictement juridique, elles ont raison, dès lors que les formes sont respectées. Mais cela paraît difficile quand même de se dire que, pour de grandes entreprises françaises, il est impossible de trouver des banques

françaises pour l'opérationnel, et elles n'ont pas des conduites alignées. C'est

ce qu'il faut vraiment souligner.

Christophe Bidan, AJ Associés : Une ligne bloquante dans un dossier peut se retrouver dans un autre.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Exactement. Et c'est ce qui est très perturbant. J'ai en tête un dossier où une banque, qui a la réputation d'être difficile, a finalement

été quasiment le seul soutien parmi les banques françaises. On s'est dit : "Chapeau bas. Ils sont vraiment là." Mais la dynamique que cela génère est compliquée, parce qu'ils "tournent". Chacun "choisit" son dossier et pense que le dossier en question est

Michel Rességuier

� Ancien conseil financier en restructuration chez Arthur Andersen, Michel Rességuier est Managing Partner et fondateur du cabinet de managers de crise Prospheres. Ce dernier compte aujourd’hui 20 professionnels dont cinq associés.

� Pour mémoire, Michel Rességuier et son équipe sont intervenus en tant que mandataire social dans 120 sociétés parmi lesquelles : Anovo, Librairies Chapitre, Altia, ATM, Autodistribution Poids Lourds, Continentale Nutrition, PLV Bolloré Thin Papers, Petitjean, Midmark, Nutrisens, Thomas Cook.

� Depuis cinq ans, Prospheres a été récompensé chaque année aux Grands Prix Restructuring du Magazine des Affaires dans la catégorie Manager de crise et pour ses interventions sur les Deals retournement de l’année (Anovo...).

Au fond les salariés sont comme les

banquiers : ils ont besoin de retrouver confiance dans

la pérennité d’un modèle économique pour

l’entreprise

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"meilleur". Je crois sincèrement que pour ces institutions, c'est quelque chose de dangereux. Il est difficile de comprendre que les sociétés françaises ne puissent parfois pas compter sur leurs banques. Et, comme le rappelait Saam, quand on fait du crédit documentaire, le risque est très faible. C'est faux de dire que le risque est important. Et il y a des moyens de les sécuriser quasiment totalement, avec différents outils ou mécanismes juridiques. C'est très difficile de comprendre la logique sous-jacente.

Anne-Sophie Noury, BDGS : Tu citais Gérard Darel tout à l'heure, et c'est vrai que, même en procédure collective, on voit que les crédits documentaires sont quasi intégralement remboursés. Dans les dossiers, je ne dis pas que c'est une bonne chose parce que c'est évidemment dommageable alors que, in fine, même dans les cas extrêmes il n'y a pas de risques. Néanmoins je pense que les banques raisonnent, comme tout autre investisseur, en termes de rentabilité. Et, pour elles, les cautions ou les crédits documentaires nécessitent au sein de la banque beaucoup de temps, beaucoup de personnel, des services complexes, pour une rentabilité qui est faible. Je pense qu'elles raisonnent aussi comme cela. Au lieu de proposer des gages-espèces très élevés qui bloquent une partie significative de la trésorerie de la société, nous pourrions concentrer les discussions sur la rentabilité attendue par les banques.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Non mais cela on peut le comprendre. Et la discussion rationnelle serait de dire : "Ce sont des dossiers qui vont devenir compliqués. Il faut qu'on ait une gestion beaucoup plus prégnante que dans le passé, donc le coût n'est plus le même. Le coût est multiplié par deux." Et je pense que, à la fin, tout le monde l'accepterait. Ce qui est très difficile à accepter pour un débiteur au bord du gouffre, c'est que l'on passe des heures voire des journées entières, à discuter

de points qui sont sans incidence.

Saam Golshani, Orrick RM : Juridiquement le droit Cambiaire s'est élaboré sur plusieurs centaines d'années. Donc c'est probablement le droit qui est le plus adapté au redressement judiciaire. C'est pour cela qu’auparavant on ne les traitait pas, parce qu'ils se traitaient tout seul : il n'y avait pas de risques. Et, là, on nous oblige à aller négocier des points avec des banques qui, in fine effectivement, souhaitent sortir. Et ce sont les mêmes banques qui, demain, vont venir taper à la porte pour retravailler avec ces grands groupes. Mais comme il n'y a pas d'alternative, puisque les banques étrangères interviennent peu sur ce marché en France, il y a un problème de financement à court terme pour les entreprises françaises. Sauf que le retail a un important besoin de crédits documentaires, mais pas seulement. Il y a aussi beaucoup de gens qui achètent à l'étranger.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Et qui font produire en Chine.

Christophe Bidan, AJ Associés : Les banques chinoises le font.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Oui, sauf que maintenant les banques chinoises commencent à le comprendre, et se disent : "Pourquoi venez-vous chez nous alors que vos banques en France ne le font pas ?". Et elles commencent à demander des choses qu'elles ne demandaient pas du tout il y a encore quelques mois. Par exemple, elles demandent des sortes de cash collateral, comme le font les banques françaises, sauf que les banques chinoises l'ont adapté à leur manière : il ne s'agit pas encore d'un véritable cash collateral, et tant mieux pour les entreprises françaises.

Xavier Leloup, MdA : "Cash collatéral", c'est redomicilier des choses ?

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Aujourd'hui en Asie, on est plus sur ce type de notions. Ce n'est pas un véritable compte séquestre au sens du droit français, où l'argent est bloqué et ne peut pas sortir.

Saam Golshani, Orrick RM : Si on fait du cash collatéral, pourquoi faire du crédit documentaire ?

Jean-Pierre Farges, Ashurst : On a vraiment besoin du crédit documentaire dans le secteur du retail parce que de nombreux contrôles sont effectués. Les entreprises ne sont pas nécessairement équipées pour le faire, donc elles en ont besoin. Un autre exemple : les cautions de bonne fin, pour les entreprises comme celles que tu citais tout à l'heure, c'est très important. Quand on ne les trouve plus, on ne peut plus passer de marchés…

Christophe Bidan, AJ Associés : Je pense que c'est une question de secteurs d'activités. Dans certaines banques on a fait des analyses un peu globalisantes, disant : "Là on n'y va pas ; là on peut encore y aller ; dans l'hôtellerie et la restauration où il y a des montages, on n'y va plus ; dans le retail, les centres villes, c'est trop risqué..." Et à partir de là il faut déployer beaucoup d'énergie pour convaincre les banquiers de dire : "Peut-être qu'on peut faire exception à cette politique générale de la banque pour pouvoir s'adapter à un dossier et trouver les solutions", ces mêmes solutions qui, pour tout le monde, paraissent évidentes et sans grands risques.

Saam Golshani, Orrick RM : Et ce sont les mêmes banques qui repartent aujourd’hui avec des effets de leviers importants.

Pierre-Nicolas Ferrand, Shearman & Sterling : On aborde le dossier uniquement du point de vue technique : finalement, s'il n'y a pas de risques, pourquoi les banques

ne restent-elles pas,? En réalité, les banques n'apprécient pas seulement les choses de cette manière-là. Il peut y avoir des domaines dans lesquels elles ne veulent plus être. Elles ont effectivement le droit de sortir, comme tu le disais. Si, pour une raison donnée, elles ne veulent plus faire de crédit, c'est leur droit. Si elles veulent sortir, il faut qu'elles puissent le faire. Ce que je trouve plutôt rassurant, c'est qu'en fait, compte tenu de la diversité des banques et des domaines d’activité, dans les dossiers, on ne se retrouve pas dans des situations de blocage généralisé.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Non, franchement, ce qu'on a vécu, là,

ce n'est pas normal. Comme, dans le dossier dont tu parles, où l'on a

écrasé la moitié de la dette. On parle de plusieurs centaines de millions qui sont écrasés. Et nous sommes restés bloqués par des cautions r e p r é s e n t a n t moins de 2% de la dette...

A n n e - S o p h i e Noury, BDGS : J’ai effectivement c o n n a i s s a n c e d’un dossier dans

Anne-Sophie Noury

� Anne-Sophie Noury a rejoint BDGS en qualité d’associée en 2016 afin de développer la pratique restructuration du cabinet.

� Elle a préalablement travaillé dans les départements corporate et restructuration des cabinets Linklaters (2005-2008), puis Weil Gotshal & Manges (2008-2016) au sein duquel elle a été nommée off-counsel.

� Anne-Sophie Noury est spécialisée dans les opérations de restructuration d’entreprises que ce soit dans un cadre amiable ou dans le cadre de procédures collectives. Elle a conseillé des entreprises, des actionnaires et des créanciers pour les assister dans la gestion d’une situation de crise, ainsi que des investisseurs pour les assister dans une reprise d’entreprises en retournement.

� Impliquée dans des dossiers de procédures collectives emblématiques tels que Fagor-Brandt comme dans des restructurations financières complexes (LBO) telles que Camaïeu, elle a récemment conseillé le groupe Necotrans dans le cadre de sa restructuration financière.

� Anne-Sophie Noury est membre de l’Association de Retournement des Entreprises ainsi que de l’Insol et enseigne à HEC.

Dans les dossiers les plus endettés, il faut souvent des étapes, et plusieurs

restructurations. Il peut donc arriver que des restructurations

n’aboutissent pas à un désendettement suffisant

par rapport à la performance anticipée

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lequel il a fallu consacrer des centaines d’heures de travail et envisager une procédure collective à cause de seulement 7 millions d’euros de crédits documentaires, sur un enjeu total de plus d'un milliard.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Voilà. Et on y a passé quatre mois. Quatre mois ! Quatre mois avec des discussions quasiment tous les deux jours...

Xavier Leloup, MdA : Est-ce que ce n'est pas le problème des minorités de blocage ? Dans les dossiers de restructuration, où il y a des minorités qui arrivent à bloquer alors qu'elles ont moins de risques ?

Saam Golshani, Orrick RM : Comme aujourd'hui ces banques ont cédé leurs créances sur la partie LBO et ne sont restées que sur la partie opérationnelle, il n'y a plus d'équilibre parce qu'elles n’ont pas des intérêts alignés. Et le jour où, sur le marché français, va arriver une banque complètement tournée vers le détail qui va accompagner les groupes, cette banque va faire un carton, parce que les entreprises sont prêtes à payer le prix. On a eu de multiples discussions là-dessus. On leur a dit : "Donnez-nous votre prix et je pense que la société va être prête à payer, parce que c'est un service qui est indispensable." Ce n'est pas une question d'argent.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Saam a totalement raison. La difficulté à laquelle nous sommes confrontés, ce n'est pas tant que des gens aient envie de sortir. A nouveau, il n'y a rien d'illégitime. Le banquier a le droit de vouloir se protéger. Ce qui est fou, ce sont ces espèces de dynamiques qui sont créées on ne sait pas bien comment... Parce que c'est toujours la même histoire : les gens pris individuellement, sont plutôt rationnels. Mais collectivement, on arrive à des blocages absurdes où l'entreprise essaie de trouver une solution qui puisse fonctionner, et rien

ne fonctionne parce que chacun veut "quelque chose" que l'autre ne veut pas. Et, là, il y a un véritable problème de discipline collective. On ne peut pas entraîner des groupes qui ont des milliers, voire des dizaines de milliers de salariés, suspendus à une difficulté qui, à la fin, va se résoudre. Parce que, en plus, à la fin, le problème insoluble est toujours résolu. Enfin, ce n'est pas vrai que quelqu'un va "mettre sur le carreau" plusieurs milliers de salariés. Pour des crédits documentaires sécurisés par un cash collateral , une clause de réserve de propriété, une garantie à première demande d'une banque et de la société mère et un privilège de new money...

Anne-Sophie Noury, BDGS : C'est vrai qu'avec des propositions finalement rationnelles, de cash collatéral et d'augmentation des marges ou en tout cas de rémunération supérieure, en réalité, ce n'est pas cela qui réussit immédiatement à les convaincre. Il faudrait donc que les entreprises puissent chercher des sources de financement de cautions et de crédits documentaires ailleurs que chez les banques et que le principe du monopole bancaire ne s’y oppose pas.

Xavier Leloup, MdA : Les Credoc sont en pool ? C'est ce qui pourrait être une justification, parce que c'est vrai que lorsque les Credoc sont en cours c'est toujours très compliqué...

Saam Golshani, Orrick RM : Mais non. Paradoxalement, je pense que cela aiderait qu'ils ne soient pas en pool. Si on en a sept ou huit personnes autour de la table, avec chacune d’entre elles on peut avoir un deal. Le problème c'est d'avoir le deal avec les sept.

Pierre-Nicolas Ferrand, Shearman & Sterling : On a eu ces discussions-là avec des banques. Cela a duré effectivement longtemps, mais cela finit par se faire, parce qu'in fine, personne ne veut vraiment prendre le risque et la responsabilité de mettre

l’entreprise parterre. On sait que très généralement le deal se fera.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Je ne suis pas sûr qu'ils se fassent tordre le bras quand on donne autant de garanties de toutes natures. J'ai plutôt l'impression que c'est l'entreprise qui se fait tordre le bras...

Christophe Bidan, AJ Associés : Il faudrait faire un petit peu attention, parce que dans les risques de responsabilité bancaire, il n'y en a de moins en moins, et les banques ne se font plus beaucoup condamner pour du soutien abusif ou pour rupture brutale de crédit. Mais il y a le fait de prendre trop de sûretés par rapport à un crédit. Là, le banquier peut engager sa responsabilité sur ce seul terrain-là, parce qu'il ne reste plus que l'immixtion dans la gestion ou bien la fraude, et puis le fait de s'être trop garanti et donc d'avoir "pompé" tous les actifs... Donc cela c'est quand même un risque de responsabilité bancaire. Et on pourrait penser qu'elles tombent volontairement dans le piège quelquefois.

Pierre-Nicolas Ferrand, Shearman & Sterling : Oui, parce qu'au moment de la négociation, les banques souvent veulent prendre beaucoup de sûreté et, parfois, même certaines qui ne sont pas très utiles. Mais, en réalité, cette négociation dépend aussi beaucoup du type de dossier, structuré ou corporate, par exemple, et de la phase du financement, c’est-à-dire si on est sur un financement initial ou une restructuration.

Saam Golshani, Orrick RM : C'est un déficit de conseil.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Je suis d'accord.

Saam Golshani, Orrick RM : Mais à un moment donné, avec Jean-Pierre, nous qui étions en principe à l'opposé l'un de l'autre dans ce dossier,

on a tous les deux levé la main en disant : "Je pense qu'il y a trop de garanties". Et on nous a regardés en se disant : « Mais vous n'êtes pas censés vous battre ? »... Et à partir du moment où on a fait admettre à tout le monde qu'il y avait trop de garanties, on a réussi à trouver un accord. Mais effectivement on ne peut pas être simplement le juriste bancaire qui dit "je veux ci, je veux ça", l'investisseur qui dit "mettez-moi le meilleur Security Package qui existe", le banquier qui dit "mais moi je veux ça"... À un moment donné il n'y a plus d’actifs pour l’entreprise, et on sait bien que le jour où il y a un défaut, des questions

vont se poser... Et, là, pour le coup, ce sont les mêmes qui disparaissent du dossier. Ils ne sont plus là pour avoir

la discussion avec le Parquet, pour répondre aux questions du Président. Là ils laissent les autres s’en occuper...

Christophe Ambrosi, Perceva : Là, on a beaucoup parlé de la technique, qui est intéressante, mais on oublie complètement le projet : est-ce que les banquiers croient au projet ou pas ? Est-ce que l'actionnaire l'accompagne ? Est-ce qu'il réinvestit ? Nous voyons une vraie différence dans un dossier qui est en

crise, avant notre arrivée et après, parce que nous apportons des fonds

Saam Golshani

� Basé au sein du bureau parisien d’Orrick, Saam Golshani est un avocat spécialisé en restructurations et fusions-acquisitions.

� Associé en charge du groupe M&A-Private Equity en France et co-Responsable du groupe Restructuring Europe, Saam représente une clientèle française et internationale constituée de fonds et banques d’investissements, d’entrepreneurs, d’industriels, de sociétés cotées et non-cotées ainsi que d’entreprises en difficulté.

� Expert du Restructuring en France, Saam conseille les créanciers, débiteurs, investisseurs et repreneurs potentiels sur toutes les questions soulevées lors d’une situation de crise, d’une réorganisation ou d’une procédure collective. Récemment, Saam est intervenu sur les dossiers de faillites, de M&A et de restructurations les plus médiatisés en France, notamment SoLocal, Ludendo, Vivarte ou Agripole.

� Saam conseille également dans le cadre d’opérations de fusions et d’acquisitions, françaises ou transfrontalières, ainsi qu’en private equity et venture capital, notamment dans le secteur des technologies. Il est intervenu entre autre sur l’acquisition de l’application Mobile "Replay" de Stupeflix par l'américain GoPro Inc et sur l’acquisition de La Fourchette, plateforme française de réservation de restaurants en ligne par TripAdvisor.

La France est le marché européen par excellence pour ces

investisseurs alternatifs. Évidement cela crée un

peu de concurrence avec les investisseurs

existants

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propres, parce que nous rétablissons le dialogue avec les créanciers, qu’ils ont à nouveau les informations qui leur sont nécessaires, parce qu’ils comprennent où l’entreprise veut aller. Ce dialogue, ce rétablissement de la confiance, et un réinvestissement d'un nouvel entrant, permettent de créer les conditions d'une poursuite de l’accompagnement bancaire.

Olivier Bénureau, MDA : Pour prendre des exemples concrets, dans les dossiers Cauval ou Shark, était-il compliqué de financer le développement de l'entreprise en attendant que les banques soutiennent ?

Christophe Ambrosi, Perceva : Sur Cauval, il fallait relancer le BFR. Quand on reprend une affaire en plan de cession, on reprend les stocks, les usines, etc., mais il faut réamorcer la pompe, redémarrer le cycle du BFR, et cela demande des moyens importants. Sur Shark, c’était complètement différent, puisque ce n'était pas un plan de cession. C'était une entreprise qui avait mal traversé son premier LBO. La transition d'une société familiale vers une société sous LBO, avec notamment un changement de

dirigeant et une nécessité de structurer l’entreprise, avait été délicate et s’était cumulée à l’impact de la crise sur le marché. Les fonds que nous avons apportés ont permis de relancer l’entreprise : le management a notamment pu redynamiser son innovation, qui était très liée à l’image de la marque, travailler sur une nouvelle segmentation clients, ou encore développer fortement l’export.

Xavier Leloup, MdA : Et par rapport au projet industriel dont parlait Christophe, est-ce que les banques sont sensibles à ce qu'on leur propose ou est-ce juste des questions de sûreté ? Autrement dit, est-ce qu'il faut les convaincre sur la qualité du projet ?

Christophe Ambrosi, Perceva : C'est fondamental.

Xavier Leloup, MdA : Là on parle de sûreté, mais est-ce que ce sont des interlocuteurs qui sont sensibles à l'histoire qu'on leur raconte ?

Philippe Héry, EY : Bien sûr. C'est effectivement important qu'il y ait un projet d'entreprise, mais au-delà de cela, les banques seront plus enclines à

faire des efforts lorsqu'il y a un nouvel intervenant, tel que Christophe, qui prend des risques et qui met de l'argent, plutôt qu’un actionnaire qui ne peut pas ou ne veut pas réinvestir. Le projet d'entreprise va susciter l’intérêt du nouvel entrant, qui en apportant du « sang neuf » et de la new money, va avoir une capacité d'entraînement des banques, qui devront également adhérer à ce projet.

Christophe Bidan, AJ Associés : Il faut que les banques reprennent confiance dans l'activité. Et si opérationnellement elles n'ont pas confiance, on aura du mal à trouver les solutions juridiques et financières, même au-dessus, au niveau des dettes senior.

Pierre-Nicolas Ferrand, Shearman & Sterling : Et là on aura beau avoir toutes les sûretés du monde, cela ne sert à rien bien sûr. Ce n'est pas la sûreté qui va déclencher la volonté de faire du crédit. Il faut d'abord qu'une histoire soit là, et ensuite, techniquement, elles regarderont ce qu’elles pourront avoir comme sûretés. Elles font évidemment les choses dans ce sens-là.

Xavier Leloup, MdA : Donc il y a un vrai travail d'évaluation des risques de la part des banquiers.

Pierre-Nicolas Ferrand, Shearman & Sterling : Bien sûr. C'est une forme d'investissement, c'est donc l'histoire opérationnelle qu'on leur raconte qui compte. Il faut qu’elles y croient, qu’elles soient convaincues. Ensuite, si elles l'achètent, elles voudront savoir comment elles se garantissent, mais uniquement dans un second temps. Toutes les sûretés du monde ne vont pas les faire aller vers un crédit dans lequel elles ne veulent pas aller.

Xavier Leloup, MdA : Le but n'est pas d'actionner la sûreté ?

Pierre-Nicolas Ferrand, Shearman & Sterling : Non, bien sûr. Et notamment

parce que, sauf cas particulier, les sûretés marchent mal lorsque l’on a besoin de les actionner.

Christophe Ambrosi, Perceva : Les banques ont une vision transversale de l’économie à travers tous les dossiers qu’elles traitent. Elles connaissent donc souvent très bien le secteur de l’entreprise, ce qui se passe chez certains concurrents, et peuvent ainsi apprécier la pertinence du projet présenté, qu’il s’agisse de stratégie ou même d’indicateurs opérationnels suivis par l’entreprise. De même, une banque peut aborder un dossier avec un a priori positif ou négatif selon ce qui se passe dans le même secteur chez d’autres clients de la banque.

Xavier Leloup, MdA : Et donc l'échange est fructueux, même pour vous en tant qu'investisseurs ?

Christophe Ambrosi, Perceva : L’échange est toujours fructueux puisqu’il est l’occasion de partager des informations sur le secteur et le projet.

Philippe Héry, EY : Et c'est dans ce contexte que les attentes des banquiers par rapport au « business model » sont un peu différentes. Elles ne sont plus uniquement financières, mais elles sont aussi opérationnelles, c'est-à-dire qu'elles vont avoir des attentes de la part de spécialistes comme nous du type : "Rassurez-nous sur le marché sur lequel l'entreprise intervient, son positionnement », et nous, nous jugerons également par rapport aux autres expériences qu'on peut avoir sur d’autres dossiers.

Xavier Leloup, MdA : Du coup, en tant que conseils financiers, en tant qu'auteurs des due diligences et des fameux IBR, vos interventions ‒ avec cette transversalité que vous avez aussi ‒ ont également vocation à rassurer tout le monde, et notamment les banquiers, sur des projections de revenus...

Philippe Héry, EY : Oui, bien sûr, s’il y a encore quelques années, ce qu'on peut appeler "l'IBR financier", qui a pour principal objectif de sécuriser l’information financière, suffisait, c'est de moins en moins vrai, surtout pour les dossiers d'une certaine taille, où les attentes ne sont plus limitées au seul prisme financier. Là, il s'agit de plus aborder les sujets opérationnels, c’est-à-dire la stratégie de l'entreprise, les leviers d'optimisation de la performance et autres... Donc on va un peu plus loin, pour challenger la topline, et les mesures de restructuration opérationnelles...

Xavier Leloup, MdA : C'est-à-dire que si je mets par exemple les fameuses vendeuses dont parlait Michel dans mes 150 magasins français, c'est vous qui sortez les chiffres sur cette hypothèse de développement ?

Philippe Héry, EY : Là c'est plus une revue financière. Quand je parle de stratégie, c'est être capable par exemple d'aller interroger les clients de l'entreprise concernée, de manière anonyme ou non, en leur posant la question suivante : "Je représente un client qui intervient dans tel secteur d’activité et j’aimerais recueillir votre ressenti, quelle est votre perception de vos fournisseurs, quelles sont vos attentes ?". Tout cela nous permet de comprendre si l'entreprise que l'on analyse répond correctement au marché, ou pas.

Xavier Leloup, MdA : Ce sont des études de marché, alors ?

Philippe Héry, EY : En effet. Par "stratégie", j'entends : l'entreprise sur son marché. La pérennité et la capacité de redressement d’une entreprise ne peuvent pas uniquement s’analyser au regard des mesures internes de réduction de coûts qu’elle peut décider de mettre en œuvre. Il faut également appréhender son environnement sectoriel.

Xavier Leloup, MdA : C'est un peu les fameuses études dont on parlait tout à l'heure.

Christophe Bidan, AJ Associés : Effectivement, aujourd'hui, restructurer seulement la dette pour l'étaler sur une plus longue durée, c'est terminé. Cela se révèle souvent insuffisant. L'autre mesure réflexe est de dire qu'il réduire les coûts de personnel. C’est certes souvent nécessaire mais pas suffisant non plus. Aujourd'hui, la plupart du temps il faut revoir complètement le modèle de l'entreprise. Il faut revoir le produit, il faut revoir le marché, il faut revoir l'organisation. Il faut tout revoir, donc c'est un passage en revue total. Et à partir de là on peut effectivement espérer avoir un budget prévisionnel qui prenne en compte toutes ces mesures de réorganisation, et dans ce cas-là convaincre des financiers de dire : "On vous accompagne, on apporte de la new money, on augmente le capital, etc.". Ce n'est plus aussi simple que par le passé.

Philippe Héry, EY : C'est clair. Et l'intérêt de ces travaux-là, c'est aussi, à la fin du jour, (même si ce n'est pas toujours écrit comme cela) de donner une valorisation de l'entreprise, notamment en regard du niveau de dette, ce qui peut parfois se traduire par des conclusions douloureuses pour tout le monde, mais c'est un peu cela l'idée...

Xavier Leloup, MdA : C'est cela. C'est un peu dire combien l'entreprise vaut aujourd'hui.

Philippe Héry, EY : Oui, il s'agit d'évaluer combien l'entreprise vaut aujourd'hui, et combien elle vaudra potentiellement demain avec les mesures envisagées et qu'on doit challenger. Et quand on a une idée de la valorisation future, avec éventuellement plusieurs scenarii, on peut en tirer des conclusions sur le niveau de dette acceptable.

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Saam Golshani, Orrick RM : Aujourd’hui, dans ces négociations avec la banque, on cale toujours la dette sur le meilleur espoir possible, en disant "Il y a des risques qu'on y repasse, mais on va quand même tenter notre chance."

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Je crois que les choses n'ont pas beaucoup changé. J'ai l'impression que c'est ainsi depuis 10-15 ans. On a toujours demandé, que ce soit à EY ou à leurs compétiteurs, de vérifier si le service de la dette était possible, s'il y avait de la marge, comment le service de la dette allait pouvoir se réaliser...

Xavier Leloup, MdA : Oui, mais les cycles sont peut-être plus courts aujourd'hui.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Oui, mais c'est parfaitement légitime. C'est le contraire qui pourrait paraître curieux : que les gens laissent leurs dettes, que personne ne se pose de questions, sans savoir si le remboursement est possible. Alors, parfois, tout le monde ferme les yeux

en disant : "On se revoit dans un an, parce que là on ne voit vraiment pas comment cela peut marcher."

Philippe Héry, EY : Oui, mais certaines choses sont quand même un peu différentes, Jean-Pierre.... Effectivement, il y a toujours eu cette volonté de s'assurer que le service de la dette était possible, mais souvent on raisonnait sur la base d’une approche assez court terme, c'est-à-dire notamment de s'assurer qu'on pouvait servir les 3 à 4 années à venir. Aujourd'hui il y a quand même une volonté de se poser la question : "Est-ce qu'on ne va pas traîner un « boulet » en repoussant une partie de la dette le plus loin possible ? " Après quelques années de crise (ce qui n'était pas le cas en 2009, où on avait plutôt tendance à repousser le « tas de sable » dans l’attente d’une hypothétique reprise), il y a aujourd'hui une volonté plus affirmée de dire que si on constate que le niveau de dette apparaît surdimensionné par rapport à la capacité de remboursement, il faut peut-être en tirer les conclusions maintenant. Et cela passera souvent

par un changement d'actionnaires.

Anne-Sophie Noury, BDGS : Nous avons effectivement tous noté cette tendance, mais je n’en déduis pas pour autant que les parties autour de la table, et notamment les banques, acceptent plus facilement des abandons parce qu’elles seraient plus « sages ». Cette tendance repose plutôt sur le fait que la réglementation prudentielle actuelle qui pèse sur elles les contraint d’avoir un niveau de fonds propres en cas de créances dites « à risque » tel qu’elles préfèrent céder à prix fortement décoté pour l’éviter.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Oui mais, là aussi, il ne faut pas qu'il y ait de mesures trop drastiques. Je pense que tu as en tête, comme moi, un exemple célèbre dans l'automobile où, à l'époque, l'entreprise était endettée, je crois, de 50 ou 60 millions d’euros. Pour la sauver il a fallu aller lever 350 millions. Aller lever 350 ou 400 millions quand une entreprise n'a que 50 millions d’euros de dettes, c'est compliqué. Pourtant, ils l'ont fait, mais certains acteurs n'y

croyaient pas… Au bout de sept ans l'entreprise allait mieux mais certains doutaient toujours de ce qu'elle puisse rembourser. Les banquiers ont cédé toute leur exposition à décote et le miracle s'est réalisé quelques mois plus tard. Ce n'était absolument pas anticipé. L'entreprise a gagné un arbitrage, et tout s'est mis au vert de façon incroyable en quelques mois. Olivier Bénureau, MDA : Et sur Spir Communications, Jean-Pierre, pouvez-vous nous parler de dossier avec des enjeux sociaux très importants ?

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Vous notez comme moi, sur la partie la plus importante, qu'il y a quand même près de 20 000 salariés. La cession s'est faite à des repreneurs que le Tribunal de commerce a qualifiés d'‘‘atypiques, mais apportant un parfum de fraîcheur’’. Ces repreneurs étaient très directs, inhabituellement directs, et ils ont interpelé les salariés puisqu'il y avait l'un des anciens dirigeants du groupe (l'ancien dirigeant d'Adrexo) qui reprenait, avec deux de ses partenaires personnes physiques. Ce sont des gens qui, quand même, ont fait leurs preuves, qui ont repris d'autres entreprises, y compris dans le groupe, et qui les ont vraiment retournées, et qui ont un véritable projet. Ce ne sont pas des gens qui sont arrivés "les mains dans les poches". Ils ont indiqué : "Voilà les commandes additionnelles que nous devrions obtenir, voilà pourquoi nous croyons que nous allons y arriver, voilà ces synergies que nous apportons avec d'autres entreprises du groupe, et enfin, voilà ce que nous allons faire sur un plan social". Ils ont aussi vraiment mis leur patrimoine à risque, à titre personnel, ce qui rassure toujours un peu l'environnement, puisque l'entreprise qu'ils avaient reprise, ils ne la mettaient pas au-dessus mais en dessous, ou à côté... Enfin ce sont de vrais entrepreneurs, et c'était d'ailleurs notable de voir que tout cela a vraiment

plu au Tribunal, et au Parquet aussi. Il ne s’agissait pas de repreneurs du type investisseurs ou fonds, mais de repreneurs extrêmement dynamiques capables de montrer un vrai track record.

Xavier Leloup, MdA : Donc c'est en cela que le dossier était atypique ?

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Oui. L'opération présente peut-être également d'autres éléments qui sont un peu atypiques... Il y a eu des actionnaires du groupe cédant qui ont été extrêmement responsables, aussi.

Xavier Leloup, MdA : "Responsables", qu'est-ce que cela veut dire ?

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Cela veut dire qu'ils ont fait le nécessaire pour accompagner un groupe déficitaire. Pour eux, cela aurait été beaucoup plus simple de dire : "On ferme. On ouvre un redressement judiciaire." Ce sont des gens dont on ne peut que saluer le soutien qu'ils ont apporté, le temps qu'ils ont consacré à une entreprise qui était en difficulté, pour permettre de la sauver... Tout cela avec des repreneurs atypiques, mais vraiment dans le bon sens du terme, et des salariés qui ont suivi. Non seulement les salariés étaient à l'audience, mais ils n'ont pas fait preuve de timidité. Je crois que j'ai rarement vu des salariés dire aussi clairement : "Nous on y croit, on est derrière. C'est un beau projet et on veut en faire partie. Peut-être que les délais n'ont pas été respectés mais on suit."Sur Consolis (ce n'était pas cette fois-ci mais la fois précédente, ou encore la précédente, je ne sais plus) : le dirigeant était un ‘‘personnage’’. Il a pris des positions très fortes lors du second restructuring, ce qui a fait déclarer au représentant de la CGT lors de l’audience : "Monsieur, on ne peut pas me soupçonner de complaisance, mais je tiens à dire devant ce Tribunal que je suis fier de mon patron." C'est la seule

fois où j'ai vu le dirigeant en question ému.

Saam Golshani, Orrick RM : Ceci dit, il s'était vraiment battu, en prenant des risques personnels.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Oui, il s'était battu au-delà de la raison.

Saam Golshani, Orrick RM : Là où neuf dirigeants sur dix se seraient couchés sous la mitraille, il n'a pas bougé.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Je crois que tu le disais et tu as complètement raison : une entreprise ne peut repartir que si les salariés sont derrière. Si une majorité de salariés est contre, c'est impossible...

Saam Golshani, Orrick RM : Ce qui est très compliqué dans le judiciaire, c'est que les représentants du personnel ne représentent pas toujours le personnel.

Xavier Leloup, MdA : C'est-à-dire que quand ils ne représentent pas le personnel, ils font de la politique ?

Saam Golshani, Orrick RM : Oui, c'est tout à fait cela. C'est ce qu'on avait dénoncé il y a deux ans.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Je crois qu'on va tous souscrire à ce que je vais te dire : c'est quand même malheureusement 80 % des cas.

Xavier Leloup, MdA : Et pour rebondir sur ce que vous venez de dire, est-ce que, quand on est créancier et qu'on devient dirigeant, il y a une méfiance naturelle du personnel vis-à-vis de vous ? Je reviens un peu sur Vivarte par le côté... Il y a deux ans on disait que c'était formidable parce qu'il y a une conversion de dette et des nouveaux dirigeants, et puis finalement, derrière il y a tous les six mois un nouveau dirigeant opérationnel...

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Jean-Pierre Farges, Ashurst : Pour les salariés c'est évidemment très compliqué. Pour autant, je ne vois pas bien comment on peut reprocher à des créanciers d'avoir accepté de convertir des montants aussi importants. Ils ont fait ce qu'ils pouvaient pour sauver l'entreprise. Mais leur ADN n'a pas changé immédiatement. Bien sûr ils peuvent avoir des réflexes qui ne sont pas bien compris. Mais ce qu'on dit dans la presse est complètement faux, et c'est inadmissible que certains fassent croire que de l'argent remonte à ces créanciers actionnaires. C'est totalement inexact.

Saam Golshani, Orrick RM : Ils n'ont pas touché un euro.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Ils n'ont pas touché un euro. Alors est-ce qu'ils ont été les meilleurs actionnaires qu'on ait rencontrés ? Je me garderais bien d'avoir une opinion sur le sujet. Mais ces créanciers " ont fait le travail" : ils ont converti deux milliards d’euros et on vient ensuite les solliciter à nouveau. Franchement, assez curieusement ce n'est pas compliqué du tout avec eux ; c'est compliqué avec les banques de Credoc. C'est un constat factuel, objectif et incontestable que je fais. Il n'y a pas eu de discussion... Ces créanciers veulent le faire. Ils veulent sauver l’entreprise.

Saam Golshani, Orrick RM : L'avantage des investisseurs, de manière générale, c'est que ce sont des gens rationnels. On leur a donné de l'argent et on leur a dit : il faut que vous fassiez fructifier cet argent. Donc ils prennent des décisions rationnelles. C'est important pour les entreprises de pouvoir avoir accès à ces investisseurs-là. Néanmoins, nous vivons aujourd’hui dans un environnement où ces investisseurs sont parfois mal perçus. OK, mais la réalité c'est que ce n'est pas eux qui ont monté le LBO, s'ils n'avaient pas été là, l'entreprise aurait déposé le bilan parce qu'elle était incapable de rembourser ses 2,4 Md€, et c'est eux qui ont fait cet effort d'ajuster la dette. Sans ces investisseurs-là, il n'y aurait pas eu d'ajustement de la dette.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Par ailleurs, à l'instar des managers qui ont pu se succéder, ils prennent des décisions, parce qu'ils sont au conseil d'administration.

Christophe Bidan, AJ Associés : Pour rebondir sur les salariés, parce que là on parle de dossiers atypiques très importants, mais on le voit aussi au quotidien dans les petites PME : on a nécessairement une communauté de vue, ou une fusion sur un projet, entre le chef d'entreprise qui est tout seul aux manettes, qui n'a pas des structures derrière lui pour fonctionner ; Dans ces

PME, les salariés viennent s'exprimer - et en général ils ont très bien compris comment les choses se passent. Et on a très souvent un soutien fort des salariés pour accompagner le redressement d'entreprise, y compris les PME, qui sont finalement les dossiers les plus importants en volume cumulé. C'est vrai que la presse ou les autres médias font toujours leurs choux gras d'une entreprise qui atteint 1 000, 2 000 ou 3 000 salariés, mais quand il y a 100 entreprises de 20 salariés qui ont disparu, l'effet sur l'économie est exactement le même. Et donc cela a des incidences importantes sur l'emploi, et sur la motivation des salariés, qui eux sont encore plus fragiles que dans les grands groupes. Dans les groupes, en effet, il y a des moyens d'accompagnement, il y a des moyens d'atténuer la contrainte du licenciement, la contrainte de la perte de l'emploi, alors que dans les PME il n'y a rien : il n'y a pas d'indemnités extra-légales, il n'y a rien. Et donc les salariés sont quand même assez attachés à ce que des solutions de sauvegarde de l'activité soient trouvées. Et en général, ils les approuvent pleinement.

Michel Rességuier, Prospheres : Au fond, les salariés sont comme avec les banquiers : ils ont besoin de retrouver confiance dans la pérennité d’un modèle économique pour l’entreprise.

Christophe Bidan, AJ Associés : Et dans le judiciaire, les salariés sont écoutés, je dirais. Il y a quelquefois des représentants des salariés qui viennent dire "Oui, nous on est contents de notre entreprise, il faut que cela continue." Il y en a qui ne disent que cela : ce n'est pas une contribution à grosse valeur ajoutée. Mais certains ont pris le soin de lire et comprendre les rapports, de regarder le plan, et qui viennent donner au tribunal une vision qui n'est pas inintéressante et souvent assez pertinente, plus proche de la réalité, et plus réaliste quant aux chances de redressement. Ils ont une vision souvent très juste de leur

entreprise, quelquefois plus juste que celle du chef d'entreprise.

Olivier Bénureau, MDA : Vous arrivez à trouver des repreneurs pour des plus petites entreprises, des PME, ou c'est compliqué ?

Christophe Bidan, AJ Associés : On a traversé une période ces dernières années où, comme plus grand chose ne bougeait, il était difficile de faire des plans de redressement et difficile de trouver des investisseurs pour faire des cessions, ou alors à des conditions financières et sociales ridicules. Mais les tribunaux, si on ne veut pas liquider tout et garder un minimum de tissu économique, sont quasiment obligés d'accepter ce genre de dossiers, parce que sinon, si on applique l'article L642-1 du Code de commerce, qui dit qu'il faut certes sauvegarder l'activité, préserver l'entreprise et les emplois mais aussi payer les créanciers... Le "et payer les créanciers" serait un obstacle infranchissable pour tous les plans de cession.

Xavier Leloup, MdA : Christophe, vous vouliez ajouter quelque chose ?

Christophe Ambrosi, Perceva : Je rebondis sur la partie judiciaire : dans le cas de Cauval, nous avons effectivement eu un soutien très fort du corps social. Mais il est important de souligner que ce n'est pas seulement judiciaire. Nous intervenons essentiellement sur des situations amiables et, même sans passer par le tribunal, il est essentiel de recueillir le soutien des salariés. Comme pour les partenaires créanciers, il faut redonner confiance au corps social : quand l’entreprise traverse des difficultés, les salariés ne savent souvent pas où ils vont, ils craignent pour leur emploi, leur famille. L'entreprise n'a plus de dirigeant, elle n’a plus d'actionnaires qui s'intéressent au dossier. Donc

pouvoir rencontrer un nouvel actionnaire qui arrive avec un projet, une stratégie, et qui remet des fonds propres pour relancer l'entreprise dans la bonne direction, cela redonne confiance.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Bien sûr. Et d'ailleurs s'ils peuvent participer un peu "au combat" parce que les salariés peuvent le voir comme cela et que cela sort plutôt bien, c'est un élément extrêmement positif pour l'entreprise. J'ai en tête un dossier comme Solocal, Pages Jaunes, où il y a des histoires invraisemblables avec parfois certains petits minoritaires.

Xavier Leloup, MdA : Oui, c'est la fameuse question de la minorité de blocage, c'est-à-dire des actionnaires minoritaires qui ont bloqué le processus à l'automne, c'est cela ?

Saam Golshani, Orrick RM : Ils l’ont pris en otage... Moi, je défendais de sympathiques créanciers.

Anne-Sophie Noury, BDGS : "De sympathiques créanciers" ?

Jean-Pierre Farges, Ashurst : "Sympathiques", je ne sais pas. Mais des créanciers, certainement... En tout cas, ce qu'il y a eu d'assez amusant c'est que les salariés actionnaires se sont vraiment saisis du sujet et l'émotion qu'il y a eue à l'assemblée générale, puisqu'il y avait un problème d'actionnaires minoritaires, était incroyable. Enfin je crois qu'on l'a rarement vu. Saam, je ne sais pas pour toi... Toute la direction était très émue, et les salariés aussi, à la limite des larmes…

Saam Golshani, Orrick RM : Un soutien incroyable, vraiment incroyable... Il y avait une sorte de confrontation (et je ne prends pas partie) entre le corps social, qui faisait bloc avec son dirigeant ‒ pour

�Christophe Bidan

‘‘Hors prévention, le nombre de défaillances d'entreprises a globalement baissé d'environ 10 à 20 % sur l’année 2016’’.

�Philippe Héry

‘‘Même si les « statistiques de défaillance » révèlent une ten-dance, elles ne sont pas totale-ment pertinentes en termes de gros dossiers’’.

�Christophe Ambrosi

‘‘Une banque peut aborder un dossier avec un a priori positif ou négatif selon ce qui se passe dans le même secteur chez d’autres clients de la banque’’.

�Michel Rességuier

‘‘Par démagogie, notre sys-tème tend à favoriser n'importe quel repreneur qui promet aux instances représentatives du personnel le moins de licencie-ments économiques, même si son projet n’a aucune chance de succès’’.

�Pierre-Nicolas Ferrand

‘‘Sauf cas particulier, les sûretés marchent mal lorsque l’on a besoin de les actionner’’.

�Saam Golshani

‘‘Ce qui est très compliqué dans le judiciaire, c'est que les représentants du personnel ne représentent pas toujours le personnel’’.

Ils ont dit

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quand les résolutions sont passées... Après, on peut quand même être un tout petit peu objectif en se disant que les choses sont nécessairement orientées. Le prospectus de SoLocal annonce au moins 20.000.000 euros de coûts liés à la restructuration. J’imagine que parmi ces coûts une partie importante a dû servir à financer la communication externe et interne de SoLocal. Je ne doute pas non plus que la communication interne a consisté à dire aux salariés : "Soit le plan passe, soit c'est le chaos". Donc, évidemment, vous êtes salarié sur des terrains complexes, vous vous dites : "Entre le chaos et une solution, je choisis la solution." Et j'imagine également ‒ il ne faut pas être naïf non plus ‒ que SoLocal a cherché à maximiser le nombre d’actionnaires favorables lors de l’assemblée générale, y compris parmi ses salariés... Donc, oui, de nombreux salariés se sont tous présentés à l'assemblée générale en se disant : "C'est la solution, parce que sinon, s'il n'y a pas cette solution-là, il n'y a rien, et c'est le redressement judiciaire."

Jean-Pierre Farges, Ashurst : C'est-à-dire que quand on a demandé aux minoritaires quelle était la solution, ils étaient un peu à court d'idées, même si l'une des solutions proposées était, pour les actionnaires, d'être mieux payés que les créanciers ! Mais, pour un actionnaire, ce n'est pas tout à fait la règle, enfin telle que nous la comprenons…

Saam Golshani, Orrick RM : Et puis, le corps social... On en revient à cela : de la même manière que lors d’une reprise d’une société à la barre du tribunal, il faut avoir l'appui des salariés, et on sait tous ‒ nous qui avons l'habitude de ce type d'opérations ‒, qu'il faut toujours passer par les salariés... Là on a bien vu qu'il y avait les actionnaires minoritaires qui n'avaient pas d'atomes crochus avec le corps social, et un corps social qui faisait absolument bloc autour de son dirigeant. Cela aussi il

faut l'entendre. C'est aussi une vérité de l'entreprise.

Xavier Leloup, MdA : J’aimerais vous poser la question du Brexit et des conséquences sur le droit de la faillite. Le Scheme of Arrangement aura-t-il toujours autant de succès ?

Christophe Bidan, AJ Associés : Il y a eu récemment à Berlin un colloque, un symposium des professionnels de l'insolvabilité des entreprises et des défaillances. Il s'est dit à ce colloque où il y avait de nombreux de Français et d'Allemands : "Maintenant que les Anglais sont partis, et que les Anglais empêchaient toute évolution du droit dans le système de notre conception continentale latine, il est temps, et c'est l'une des motions, l'une des conclusions qui a été retenue, que au moins les Allemands et les Français essaient de se mettre d'accord sur un système de droit des défaillances d'entreprises (en fait très proche de celui qu'on a aujourd'hui, avec une forte insistance sur la prévention, la possibilité de sauvegarder les entreprises, sans doute un peu au détriment des créanciers dont leur seul intérêt n’est plus forcément la priorité). Et donc c'était quand même assez intéressant, parce que pour une fois qu'un pan du droit français prend plutôt l'ascendant sur les Anglo-Saxons, cela mérite d’être souligné. Je pense qu'on a peut-être là une carte à jouer. Grâce à nos professeurs d'université du droit français, le droit des procédures collectives a été également complètement remanié en Afrique francophone, et la plupart des pays ont adopté un Code de commerce, et un Livre 6 du Code de commerce, qui n'est pas tout à fait identique, mais qui est finalement très proche du nôtre. Et cela même si notre droit est très complexe, parce qu'on a une boîte à outils importante (peut-être un peu trop, mais elle est ainsi). Finalement je pense que le Brexit est peut-être un événement qui va faire triompher la conception française

du droit de l’entreprise en difficulté, modeste revanche sur de nombreuses normes du droit des affaires ou des contrats qui demeurent d'inspiration anglo-saxonne.

Michel Rességuier, Prospheres : Est-ce que réellement cette évolution pourrait nous aider à donner plus d’importance au maintien de l'activité plutôt qu’aux promesses sans fondement relatives aux emplois ? Cet enjeu est « l’éléphant dans la pièce » des cessions judiciaires françaises : par démagogie, notre système tend à favoriser n'importe quel repreneur qui promet aux instances représentatives du personnel le moins de licenciements économiques, même si son projet n’a aucune chance de succès. Notre écosystème n'ose pas favoriser le sérieux du projet versus l'emploi.

Saam Golshani, Orrick RM : Oui mais quand ils osent, le Parquet intervient.

cet accord qui (on peut l'apprécier... on aurait pu l'améliorer...) permettait à la société de passer de 1,2 milliard à 400 M€ de dettes (ce n'est pas rien), et donc de rebondir ‒ et des actionnaires souvent individuels qui se sentaient légitiment lésés, ou en tout cas pour une minorité d'entre eux. On a vu cela. On a senti l'émotion dans un même lieu. Il y avait un peu de tragédie antique, d'une certaine façon : il y avait unité de lieu, de temps, d'espace...

Xavier Leloup, MdA : C'est un vieux dossier, d'ailleurs, Solocal. Cela fait

des années qu'il se réorganise, se restructure...

Saam Golshani, Orrick RM : Je pense que cette fois-ci c'est bon.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Exactement ! C'est parce qu'avant nous n'étions pas là... (Rires) Plus sérieusement, il y a eu une émotion incroyable. C'était fou. D'ailleurs, c'était la première fois qu’à la sortie de l’audience, les salariés avaient réservé pour nous un restaurant dans Paris. Et puis ils nous attendaient dans une

boîte de nuit. . Il y avait plus d'une centaine de personnes qui pleuraient.

Saam Golshani, Orrick RM : Pour la plupart, c’étaient des actionnaires, d'ailleurs !

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Tout à fait ! Des salariés actionnaires qui avaient perdu eux-mêmes leur mise... J'ai trouvé cela très fort. Et le dirigeant, qui d'habitude était placide, était très ému aussi. C'est suffisamment rare pour être souligné.

Saam Golshani, Orrick RM : Cela tranchait avec les discours des actionnaires minoritaires qui voulaient discuter de pourquoi il était important de rejeter l'accord.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Et de ce qu'il fallait remplacer le management.

Anne-Sophie Noury, BDGS : Non, non, non... tout ceci est présenté de manière totalement biaisée ! S’il est vrai que des investisseurs ont acquis des actions SoLocal relativement récemment, c’est aussi le cas de nombreux créanciers qui ont acquis de la dette à prix décoté en sachant pertinemment que la performance de la société SoLocal était décroissante depuis plusieurs années. Ensuite, sur la soi-disante « pris d’otages » par certains actionnaires, elle tient aux conditions dans lesquelles les négociations ont été menées. De fait les actionnaires défavorables ont été impliqués à la toute fin du processus, une fois la négociation avec les créanciers achevée. Certains actionnaires ont tenté de soumettre des contre-propositions permettant également le désendettement de SoLocal, mais le processus était déjà trop avancé. Enfin, sur l'assemblée générale de SoLocal de décembre dernier, parmi les actionnaires présents, une partie significative d'entre eux étaient des salariés. C'est tout à fait exact qu'il y a eu un engouement très fort et une joie très forte au terme de l’assemblée générale

�Anne-Sophie Noury ‘‘Il faudrait que les entreprises puissent chercher des sources de financement de cautions et de crédits documentaires ailleurs que chez les banques et que le principe du monopole bancaire ne s’y oppose pas’’.

�Jean-Pierre Farges

‘‘En matière de crédit, les gens pris individuellement sont plutôt rationnels. Mais collectivement, on arrive à des blocages absurdes où rien ne fonctionne parce que chacun veut "quelque chose" que l'au-tre ne veut pas’’.

Ils ont dit

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ou une totale inconscience de la réalité économique.

Saam Golshani, Orrick RM : Dans le dossier SNCM, il existait des voitures, avec à l'intérieur des réfrigérateurs, dans le coffre, pour que certains salariés puissent sortir la viande qui était commandée par la société, pour leur usage personnel, et l'inspection du travail a considéré que c'était un "usage de l'entreprise". Un "usage de l'entreprise" d'aller, prendre de la viande, de la mettre dans une voiture qu'on a garée dans le bateau ‒ voiture avec un frigo intégré qu'on a fait sur-mesure, parce qu'un frigo qui rentre dans une voiture, pour qu'il fonctionne, il faut le système électrique... Et voilà : cela fait partie des usages de l'entreprise.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Tu as raison. Il faut dénoncer ce type de pratiques. C'est vraiment cela qui rend illisible notre système à l'étranger. Même si au bout de plusieurs années de procédure, on a fini par gagner, comment voulez-vous que des investisseurs étrangers nous prennent au sérieux, quand on constate ce genre de choses et qu'elles reçoivent le soutien de tous les hommes politiques, quelle que soit leur sensibilité politique ?

Christophe Bidan, AJ Associés : La chancellerie a essayé d'intervenir pour la réforme de 2014 mais cela n'a pas été possible au niveau du ministère du Travail.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Le "pas possible", c'est un manque de volonté.

Anne-Sophie Noury, BDGS : Pour revenir sur l'adaptation du droit social aux restructurations, c'est un vrai sujet notamment dans les plans de cession. Autant, dans un PSE avec maintien de la structure juridique, il est logique que les salariés qui relèvent des instances représentatives du personnel et qui sont directement impliqués dans

la négociation du plan de sauvegarde de l’emploi soient protégés via une autorisation de leur licenciement par l’inspection du travail. Dans le cadre d'un plan de cession, le repreneur ne choisit pas les personnes reprises, mais des catégories professionnelles établies sur la base de critères objectifs. Et protéger un salarié dans ce cadre-là alors que le choix n'est pas fait ad nominem, cela n'a premièrement aucun sens, et surtout c'est très dangereux, puisque si in fine le salarié protégé est réintégré chez le repreneur si l’autorisation de licenciement n’est pas accordée. Des salaires courent entre la date du plan de cession et la date de réintégration qui doivent être supportés par le repreneur in fine, sans que le salarié ne produise quoi que ce soit pendant la période... C’est la raison pour laquelle dans le cadre des travaux de l’Association pour le Retournement des Entreprises, nous avons proposé la suppression de l’autorisation des licenciements des salariés protégés en plan de cession. L’objectif est de mettre un terme à une véritable insécurité juridique et financière pour le repreneur.

Saam Golshani, Orrick RM : De toute façon, comme ils ne sont jamais licenciés, ils finissent par s'agglomérer. On se retrouve avec une population de plus en plus importante de salariés protégés, qui de plans de cession en plans de cession continuent... Et comme ils ne travaillent pas, c'est parfait.

Xavier Leloup, MdA : Et, Christophe, vous y êtes attentifs, à ces questions-là, en tant que repreneur-investisseur d'entreprise ?

Christophe Ambrosi, Perceva : Évidemment "oui". Le soutien du corps social, et des représentants des salariés, est essentiel aussi bien à la barre que pour une reprise in bonis.

Xavier Leloup, MdA : Cela fait obstacle à des dossiers ? Cela a bloqué des dossiers, des décisions

d'investissement ou de reprises ?

Christophe Ambrosi, Perceva : La décision, dans un dossier, c'est un ensemble de plein de critères à prendre en compte. Il n'y a pas que le social, évidemment, mais nous regardons attentivement les sujets sociaux, très tôt dans notre étude d’une opportunité d’investissement

Christophe Bidan, AJ Associés : À un moment donné il faut un contact, mais l'ordonnance de 2014 a aussi rassuré tous les employeurs. En matière décision de cession de l’entreprise, c'est une exception à la loi Hamon, il n’est pas obligatoire d'informer les salariés. Donc, éventuellement, on n'a pas en mandat ad hoc de conciliation à informer les salariés d'une possible cession de l'entreprise. Après tout employeur peut néanmoins le faire, cela dépend des circonstances. Et on n'a pas non plus, théoriquement, à informer les salariés de l'existence d'un mandat ad hoc et d'une conciliation. On se posait la question auparavant si on ne commettait pas un délit d'entrave pour un chef d'entreprise à ne pas informer les salariés d'une conciliation. Donc, là, maintenant le problème est résolu : on ne le fera qu'au moment de l'homologation, sauf à considérer qu'effectivement avoir le soutien des salariés à un moment donné, en amont, c'est un atout. A ce moment-là, il faudra effectivement les faire intervenir. Mais du côté purement "droit du travail", cette fois-ci il y a une petite avancée qui permet de continuer à travailler dans la confidentialité, parce que le problème des salariés, c'est la non-confidentialité derrière. Il y a toujours des fuites, malheureusement. Si les IRP respectaient leur obligation de confidentialité, il n'y aurait pas de difficultés, mais la réalité est un petit peu différente, parce qu'on va leur dire confidentiellement l'information, et puis on a un article dans le journal le lendemain matin. Donc c'est un peu ennuyeux.

Christophe Bidan, AJ Associés : Peut-être que le bon sens ce serait enfin de convaincre le ministère du Travail d'accepter de venir à une table de discussion pour alléger les lourdeurs du droit du travail et les procédures lorsque l'entreprise est en difficulté. Quand l'entreprise est en phase de prévention, que les mesures sont confidentielles, ce n'est pas évident de sortir du droit commun, mais lorsqu'elle est en procédure il y aurait beaucoup à faire. Là, aujourd'hui, on a des temps infinis, et donc des coûts, et donc des créanciers qui ne sont pas payés parce qu'on doit mettre six mois pour prendre une mesure de restructuration, alors qu'elle est urgente, alors qu'elle est inévitable. Et nous avons en France un dispositif extrêmement avantageux, parfois considéré comme un puits sans fond, un tonneau des Danaïdes, c'est notre système de l'AGS. Cette manne financière encourage la contestation (contestation des PSE, etc.), et donc les salariés perçoivent plusieurs fois une indemnisation, aux frais de l’employeur finalement ou du groupe...

Saam Golshani, Orrick RM : Les salariés touchent trois fois. Ils prennent l'argent, ils prennent les AGS, et après ils vont chercher les actionnaires en responsabilité

Christophe Bidan, AJ Associés : Voilà. Et c'est sûr que cela c'est lourd, c'est très coûteux, et peut-être que c'est dans ce sens-là que les choses pourraient évoluer... enfin en tout cas, nous professionnels, on le demande depuis bien longtemps, mais pour l'instant nous n'avons pas été entendus.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Michel Sapin a lancé une commission de réflexion pour rendre la France plus attractive. Je pense qu'ils sont conscients de la difficulté. Je crois que ce qu'il faudrait vraiment c'est que l'on fasse comme l'ont fait avant nous les Anglo-Saxons : promouvoir notre droit. Le Lord Chancelor expliquait que le budget pour promouvoir le droit anglais s’élevait en Grande-Bretagne à plus d'un milliard de livres par an. En France, nous n'avons jamais promu notre droit, ce qui est une erreur fondamentale. Ce serait donc notre intérêt bien compris de promouvoir notre droit, même s’il ne faut pas rester hermétique, me semble-t-il, au droit anglo-saxon. Si l'on a réussi à avoir une loi de sauvegarde qui permette de modifier les choses, c'est grâce au droit anglo-saxon.

Christophe Bidan, AJ Associés : Et le Prépack...

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Le Prépack était copié, contrairement à ce que les gens croient, non pas sur le droit américain mais sur le droit canadien, sur le C-36 canadien. Mais il est clair qu'aujourd'hui nous disposons de bons outils que nous aurions tort de ne pas essayer d’exporter. Cela doit devenir une priorité pour le futur gouvernement quel qu'il soit.

Saam Golshani, Orrick RM : Le seul handicap, en droit des procédures collectives, c'est l'aspect social. Pour reprendre des sociétés à la barre, on se rend compte que le droit social a du mal à s'ajuster au droit des procédures collectives. Concernant les catégories socioprofessionnelles, quand on veut reprendre une société, on voit que c'est un casse-tête absolu. Et puis il y a les salariés protégés. Il y a des opérations qui échouent à cause de la masse des salariés protégés. On a un dossier un peu petit, mais je le cite (je le trouve très drôle) : on a un gars qui est salarié protégé et qui est «Fiché S » !. À l'époque on a été obligé de le réintégrer à la demande de l'inspection du travail, alors qu'il est suivi.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Mais ce n'est pas un critère économique. C'est un critère politique. Ce n'est pas retenu dans les critères de licenciement.

Saam Golshani, Orrick RM : On a été obligés de le réintégrer et il travaille dans une usine où il a accès à des explosifs.

Saam Golshani, Orrick RM : Il est rémunéré et il travaille dans un atelier où se trouvent des explosifs. C'est quand même extraordinaire cette histoire... Et il n'y a qu'en France où on a à ce point-là une autonomie de l'inspection du travail et du droit du travail qui fait fi de tout, en ce, y compris des problématiques de sûreté nationale.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : Bien sûr. Il y a une irresponsabilité totale

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regarder à ce moment-là quels sont les principes généraux de reconnaissance d'une décision étrangère. L’exequatur restera disponible.

Xavier Leloup, MdA : pouvez nous rappeler les spécificités d’un Scheme Of Arrangement ?

Saam Golshani, Orrick RM : C'est un processus judiciaire via lequel on va fixer la valeur. Et sur cette base-là, les créanciers votent pour procéder à l'allocation de la valeur telle qu'elle résulte de l'expertise, sur la base, souvent, d'une majorité simple. Cela permet de faire fi de toute forme de majorité prévue, contractuelle ou autre, y compris des majorités légales de droit des sociétés. Cela permet d'imposer un vote majoritaire, et donc d'imposer à des créanciers minoritaires un écrasement de la dette en dehors de toute procédure judiciaire.

Christophe Bidan, AJ Associés : Il y a quand même une ouverture par le juge et une homologation. Et c'est en cela que cela ressemble très fort à la conciliation quand même.

Pierre-Nicolas Ferrand, Shearman & Sterling : Oui, sauf que dans la conciliation il faut l’unanimité

Saam Golshani, Orrick RM : Et avec la question, peut-être, que ceux qui ne sont pas dans la valeur ne votent pas. Et c'est là la grande différence du Scheme of arrangement par rapport au système français : c'est que quand on estime, via l'expertise, on n'est pas dans la valeur, on ne vote même pas.

Xavier Leloup, MdA : Donc aucun espoir de recouvrement de sa créance ?

Saam Golshani, Orrick RM : Oui, mais tout cela est en fait très artificiel, parce qu'on sait bien que la valeur ne peut pas être déterminée à un instant donné. La valeur d'une société change quasiment tous les jours. Par exemple,

si on gagne un arbitrage, on multiplie la valeur par deux. Le cours du pétrole monte et la valeur peut être multipliée par trois... Alors pourquoi choisir ce moment-là ? D'ailleurs, on le voit bien, tous les systèmes de détermination de valeur un peu scientifiques ne prennent jamais la valeur à un moment donné. On prend les cash-flows futurs, on prend les multiples, les comparables... Et quand on regarde les fonds propres, finalement ces fonds propres sont quand même l'accumulation des valeurs précédentes. Mais dans ce système-là, on détermine la valeur à un moment donné et advienne que pourra. Alors que dans le système américain il y a un juge qui s'assure de l'équilibre général. Et donc la valorisation n'est qu'un moyen, n'est qu'un guide pour le juge, pour déterminer les votes et pour protéger les créanciers. Alors que le système du scheme est quand même un peu radical.

Pierre-Nicolas Ferrand, Shearman & Sterling : Si dans le contrat il y a une clause de juridiction anglaise, cela peut suffire.

Saam Golshani, Orrick RM : Il y a une petite inflexion de la jurisprudence anglaise sur ce point-là, où elle commence à être un peu plus regardante sur les éléments qui permettent d'appliquer le Scheme of Arrangement.

Jean-Pierre Farges, Ashurst : C'est beaucoup plus sain, parce que si on a fait un COMI-shift pour mettre l'entreprise en Angleterre...Nous on l'avait fait sur le premier qui était Deutsche Nickel : on l'avait basculé d'Allemagne en Angleterre pour faire cela. Mais on avait bien fait, alors même qu'on n'avait pas le problème de la documentation sous droit anglais et du juge. On l'avait fait pour des raisons d'opposabilité. Je crois que les gens qui font ce type de montage sans basculer le COMI, devraient indiquer à leurs clients les risques associés. Cela paraîtrait judicieux. Le scheme of

arrangement n'est pas une procédure au sens du Règlement communautaire. La seule manière de l'imposer serait via le Règlement n° 44/2001. S'il était applicable à ce type de procédures, ce qui n'est pas démontré, rien n'indique que quelqu'un ne pourrait pas se prévaloir de notre ordre public international pour contester l'exequatur en France.

Saam Golshani, Orrick RM : Pour le coup, cela a permis de faire la restructuration d'une bonne partie de sociétés d'Europe de l'Est de l'Union européenne, qui avaient des juridictions qui étaient peut-être moins sophistiqués...■

Xavier Leloup, MdA : Le Brexit change-t-il quelque chose aux grands dossiers de négociations, notamment financières, lorsque des créanciers sont basés à Londres ?

Pierre-Nicolas Ferrand, Shearman & Sterling : En Europe continentale, sur l'aspect restructuration, je ne pense pas que cela ait vraiment un impact. Je crois que c'est assez neutre en réalité. Cela aura peut-être un impact au Royaume-Uni, parce qu'effectivement, du point de vue investissement, cela peut conduire à un certain attentisme et peut-être re-flécher des investissements plutôt sur l'Europe continentale. Donc ce serait plutôt positif que négatif. En tout cas, nous n'avons pas travaillé sur des dossiers sur lesquels cela avait un impact. Après, tout à l'heure on en

parlait, est-ce que cela va permettre de promouvoir davantage le droit français, de l'exporter ? Moi, je ne crois pas. Est-ce que cela va mettre en difficulté le droit anglais dans les restructurations ? Je ne le crois pas non plus. Je pense que c'est une vue optimiste. Je crois plutôt qu’au contraire, avec le Brexit, les Anglais vont d'autant plus essayer de faire en sorte que leur droit soit retenu dans les contrats internationaux.

Xavier Leloup, MdA : Il n'y aura pas une convergence des deux systèmes ?

Pierre-Nicolas Ferrand, Shearman & Sterling : Concurrence accrue, au contraire. Et comme les juges britanniques, par exemple pour le scheme of arrangement, estiment que d'avoir un contrat en droit anglais

est un lien suffisant pour pouvoir déclencher, sur l'entreprise en question, un scheme of Arrangement et qu'il n'y a pas de recul du droit anglais dans les contrats (en tout cas, on n'a pas pu encore le voir), je pense qu'il n'y aura pas vraiment de recul des techniques de redressement anglais.

Saam Golshani, Orrick RM : Non, mais il y aura un problème d’opposabilité, une fois que le Royaume-Uni sortira de l'Union européenne.

Pierre-Nicolas Ferrand, Shearman & Sterling : Même pas, je pense. Effectivement, si on se fonde uniquement sur les textes européens, on pourrait penser qu'il y a un problème d’opposabilité. Mais il faut

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