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pratique | suivi clinique 14 OptionBio | Lundi 6 octobre 2008 | n° 406 dès l’entrée, la prise en compte de données cliniques et l’outil informatique associées aux données biologiques permettent d’intervenir dans un délai très court, et ce au grand bénéfice du patient. Rôle du laboratoire dans le dépistage et le suivi des troubles nutritionnels Dans un programme de prise en charge de la dénutrition des personnes hospitalisées, les biologistes de laboratoire peuvent jouer un rôle pivot dans le dépistage et le suivi de ces personnes. Une procédure avec relevé des poids et taille L a prévention de la dénutrition à l’hôpital est devenue un objectif de santé publique, déclinée dans les PNNS (Plan national nutrition santé) 1 et 2, respectivement sur les périodes 2001-2005 et 2006-2010. Le labora- toire peut apporter une contribution précieuse à ce programme, et cela très tôt dans la prise en charge du patient, bien en amont des dosages biologiques de confirmation et de suivi de l’état de dénutrition. Quand parler de dénutrition ? La Haute Autorité de santé (HAS) a fixé comme indicateurs de dénutrition l’indice de masse corporelle (IMC), ainsi que le taux et la vitesse de perte de poids. Ces indicateurs devaient être en place dans les hôpitaux dès fin 2007. Il est important de préciser que la prévention de la dénutrition ne s’applique pas qu’aux personnes âgées mais bien à l’ensemble des personnes hospitalisées. Durant son hospitalisation, des situations d’agressions aiguës (traumatisme, chirurgie lourde...), une affection chronique (insuffisance organique, cancer...) mais également la dou- leur, les traitements, l’alimentation ou encore l’organisation des soins peuvent amener le patient dans le cercle négatif de la dénutrition. Celle-ci commence quand les pertes tissulaires ont des conséquences délétères fonctionnelles, et se manifeste généralement par une anémie, puis un défaut de cicatrisation, une pathologie respiratoire, une perte de la capacité à mar- cher, une infection urinaire avant l’installation d’un état grabataire. Le manque d’apport et/ou un hypermétabolisme sont responsables de la dénutrition, qui provoque une baisse des défen- ses immunitaires et conduit ainsi à la survenue d’infections qui vont aggraver le tableau clinique de départ et ainsi renforcer l’engrenage de la dénutrition. L’IMC pour identifier les patients dénutris La HAS demande que soit pris en compte l’indice de masse corporelle (IMC), ou indice de Quete- let. Il se calcule en faisant le rapport du poids (en kg) sur le carré de la taille (en m) et son interprétation est résumée dans le tableau I. Il est pour cela indispensable de mesurer le poids comme la taille du patient au début de son hospitalisation. Seul le poids sera ensuite surveillé, la valeur pronostique de l’amplitude et de la rapidité d’installation de la perte de poids est liée au fait que toute perte importante de poids entraîne une perte d’autonomie. On sait en effet que 10 % de perte de poids augmente de façon significative morbidité et mortalité et qu’une perte de 50 % du poids entraîne le décès. En pratique Selon les établissements de soins et la mobilité des patients, peser n’est pas toujours facile... donc pas toujours fait. Quant à mesurer les patients, il est plus pratique d’estimer la taille à partir de la mesure de la distance talon-genou, tout au moins pour les personnes de plus de 50 ans (tableau II). Bien sûr, il faut prévoir une feuille de saisie du poids (mais aussi de la taille), un support sur lequel le personnel hospitalier notera ces don- nées. Aux centres hospitaliers de Draguignan (83) et Hyères (83), le laboratoire intervient dès ce stade. Les informations de pesée et taille sont notées sur des bons par les aides-soignantes. Le laboratoire saisit les données dans le logiciel du laboratoire qui calcule l’IMC, le délai d’amaigrisse- ment et alertera, automatiquement, si nécessaire. En effet, les dosages biologiques ne seront faits qu’en 2 e intention, si le suivi des patients le justifie, c’est-à-dire s’il existe une perte de poids de plus de 2 % en 1 semaine, de 5 % en 1 mois ou de 10 % en 6 mois. Dans ce cas, un “dénutrimail” automatique est envoyé, par le système infor- matique du laboratoire, à destination du service (médecin, cadre), mais également à l’attention du département d’information médicale (DIM) et du diététicien. Il s’agit bien ici d’identifier un risque de dénu- trition, risque qu’il est important de valider pour écarter des pertes de poids non associées à une dénutrition. Les limites de l’IMC La mesure de l’indice de masse corporelle doit s’accompagner le plus possible des informations issues de l’interrogatoire du patient, afin de pou- voir intégrer un contexte d’isolement éventuel, d’état dépressif, de polymédication, de résection digestive, de vomissements, diarrhées... Le constat d’une perte de poids significative doit toujours s’accompagner des résultats de l’examen clinique : fonte musculaire et adipeuse, sècheresse de la peau, atrophie papillaire, saillie inhabituelle des os et des tendons. Le travail pluridisciplinaire avec les diététiciens notamment est important ici, Tableau I. Interprétation de l’indice de masse corporelle ou IMC. IMC < 10 Dénutrition de grade V 10-12,9 Dénutrition de grade IV 13-15,9 Dénutrition de grade III 16-16,9 Dénutrition de grade II 17-18,4 Dénutrition de grade I 18,5-24,9 Normal 25-29,9 Obésité de grade I 30-34,9 Obésité de grade II 35-39,9 Obésité de grade III > 40 Obésité de grade IV Tableau II. La taille selon la formule de Chumea. Pour les hommes de plus de 50 ans (2,02 x H) – (0,04 x âge) + 64,19 Pour les femmes de plus de 50 ans (1,83 x H) – (0,24 x âge) + 84,88 H : distance talon-genou exprimée en cm.

Rôle du laboratoire dans le dépistage et le suivi des troubles nutritionnels

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pratique | suivi clinique

14 OptionBio | Lundi 6 octobre 2008 | n° 406

dès l’entrée, la prise en compte de données cliniques et l’outil informatique associées aux données biologiques permettent d’intervenir dans un délai très court, et ce au grand bénéfice du patient.

Rôle du laboratoire dans le dépistage et le suivi des troubles nutritionnels

Dans un programme de prise en charge de la dénutrition des personnes hospitalisées, les biologistes de laboratoire peuvent jouer un rôle pivot dans le dépistage et le suivi de ces personnes. Une procédure avec relevé des poids et taille

La prévention de la dénutrition à l’hôpital est devenue un objectif de santé publique, déclinée dans les PNNS (Plan national

nutrition santé) 1 et 2, respectivement sur les périodes 2001-2005 et 2006-2010. Le labora-toire peut apporter une contribution précieuse à ce programme, et cela très tôt dans la prise en charge du patient, bien en amont des dosages biologiques de confirmation et de suivi de l’état de dénutrition.

Quand parler de dénutrition ?La Haute Autorité de santé (HAS) a fixé comme indicateurs de dénutrition l’indice de masse corporelle (IMC), ainsi que le taux et la vitesse de perte de poids. Ces indicateurs devaient être en place dans les hôpitaux dès fin 2007. Il est important de préciser que la prévention de la dénutrition ne s’applique pas qu’aux personnes âgées mais bien à l’ensemble des personnes hospitalisées.

Durant son hospitalisation, des situations d’agressions aiguës (traumatisme, chirurgie lourde...), une affection chronique (insuffisance organique, cancer...) mais également la dou-leur, les traitements, l’alimentation ou encore l’organisation des soins peuvent amener le patient dans le cercle négatif de la dénutrition. Celle-ci commence quand les pertes tissulaires ont des conséquences délétères fonctionnelles, et se manifeste généralement par une anémie, puis un défaut de cicatrisation, une pathologie respiratoire, une perte de la capacité à mar-cher, une infection urinaire avant l’installation d’un état grabataire. Le manque d’apport et/ou un hypermétabolisme sont responsables de la dénutrition, qui provoque une baisse des défen-ses immunitaires et conduit ainsi à la survenue d’infections qui vont aggraver le tableau clinique de départ et ainsi renforcer l’engrenage de la dénutrition.

L’IMC pour identifier les patients dénutrisLa HAS demande que soit pris en compte l’indice de masse corporelle (IMC), ou indice de Quete-let. Il se calcule en faisant le rapport du poids (en kg) sur le carré de la taille (en m) et son interprétation est résumée dans le tableau I. Il est pour cela indispensable de mesurer le poids comme la taille du patient au début de son hospitalisation.Seul le poids sera ensuite surveillé, la valeur pronostique de l’amplitude et de la rapidité d’installation de la perte de poids est liée au fait que toute perte importante de poids entraîne une perte d’autonomie. On sait en effet que 10 % de perte de poids augmente de façon significative morbidité et mortalité et qu’une perte de 50 % du poids entraîne le décès.

En pratiqueSelon les établissements de soins et la mobilité des patients, peser n’est pas toujours facile... donc

pas toujours fait. Quant à mesurer les patients, il est plus pratique d’estimer la taille à partir de la mesure de la distance talon-genou, tout au moins pour les personnes de plus de 50 ans (tableau II).Bien sûr, il faut prévoir une feuille de saisie du poids (mais aussi de la taille), un support sur lequel le personnel hospitalier notera ces don-nées. Aux centres hospitaliers de Draguignan (83) et Hyères (83), le laboratoire intervient dès ce stade. Les informations de pesée et taille sont notées sur des bons par les aides-soignantes. Le laboratoire saisit les données dans le logiciel du laboratoire qui calcule l’IMC, le délai d’amaigrisse-ment et alertera, automatiquement, si nécessaire. En effet, les dosages biologiques ne seront faits qu’en 2e intention, si le suivi des patients le justifie, c’est-à-dire s’il existe une perte de poids de plus de 2 % en 1 semaine, de 5 % en 1 mois ou de 10 % en 6 mois. Dans ce cas, un “dénutrimail” automatique est envoyé, par le système infor-matique du laboratoire, à destination du service (médecin, cadre), mais également à l’attention du département d’information médicale (DIM) et du diététicien. Il s’agit bien ici d’identifier un risque de dénu-trition, risque qu’il est important de valider pour écarter des pertes de poids non associées à une dénutrition.

Les limites de l’IMCLa mesure de l’indice de masse corporelle doit s’accompagner le plus possible des informations issues de l’interrogatoire du patient, afin de pou-voir intégrer un contexte d’isolement éventuel, d’état dépressif, de polymédication, de résection digestive, de vomissements, diarrhées...Le constat d’une perte de poids significative doit toujours s’accompagner des résultats de l’examen clinique : fonte musculaire et adipeuse, sècheresse de la peau, atrophie papillaire, saillie inhabituelle des os et des tendons. Le travail pluridisciplinaire avec les diététiciens notamment est important ici,

Tableau I. Interprétation de l’indice de masse corporelle ou IMC.

IMC

< 10 Dénutrition de grade V

10-12,9 Dénutrition de grade IV

13-15,9 Dénutrition de grade III

16-16,9 Dénutrition de grade II

17-18,4 Dénutrition de grade I

18,5-24,9 Normal25-29,9 Obésité de grade I

30-34,9 Obésité de grade II

35-39,9 Obésité de grade III

> 40 Obésité de grade IV

Tableau II. La taille selon la formule de Chumea.

Pour les hommes de plus de 50 ans

(2,02 x H) – (0,04 x âge) + 64,19

Pour les femmes de plus de 50 ans

(1,83 x H) – (0,24 x âge) + 84,88H : distance talon-genou exprimée en cm.

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afin de mieux connaître également le régime et le comportement alimentaire du patient (et de révé-ler des difficultés liées à la dentition notamment). Enfin, ne pas oublier les actes médicaux : une perte notoire de poids, consécutive à une ponc-tion d’ascite ne signifie pas systématiquement dénutrition !

La biologie pour confirmer la dénutritionAyant reçu un “nutrimail”, le médecin va pouvoir faire appel au bilan biologique. Ce sont en effet les tests biologiques qui confirment l’état de dénutri-tion. Pour cela, le laboratoire dispose d’indicateurs pronostiques qui sont l’albumine et la pré-albu-mine ou transthyrétine, à condition de prendre garde à l’état inflammatoire et aux données clini-ques pour les interpréter de manière pertinente. Ces valeurs biologiques sont alors associées au sein d’indices nutritionnels.

L’albumineL’albumine est un reflet de l’état de santé glo-bal (demi-vie 20 jours), indépendante du sexe et de l’âge. Ses valeurs de référence sont de 35 à 50 g/L (néphélométrie), sachant que l’amplitude de variation circadienne est de l’ordre de 10 %, avec la valeur la plus haute vers 11 à 12 heures. Il faut être prudent dans son interprétation si la CRP

est élevée et/ou en contexte d’insuffisance rénale ou hépatique ou d’hémodilution/concentration.

La transthyrétine ou pré-albumineLa transthyrétine est un reflet instantané de l’état nutritionnel (demi-vie 2 jours). Ses valeurs de réfé-rence sont de 0,22 à 0,34 g/L (néphélométrie), sachant que l’amplitude de variation circadienne est supérieure à 10 %, avec la valeur la plus haute vers 14 heures. Une valeur inférieure à 0,14 g/L témoigne d’une dénutrition sévère ; son suivi est pertinent à court terme dans un programme de renutrition. Il faut être prudent cependant dans son interprétation si la CRP est élevée.

Les protéines inflammatoires ou protéine C réactive est un marqueur

d’inflammation aiguë, elle permet de différencier infection (où elle est supérieure à 100 mg/L) et inflammation (seuil à 25 mg/L). Elle doit absolu-ment être mesurée pour interpréter albumine et pré-albumine.

ou alpha-1-glycoprotéine acide est plutôt un marqueur d’inflammation chronique et son suivi permet d’objectiver une guérison de la pathologie inflammatoire ou au contraire un passage à la chronicité.

Les indices nutritionnelsAvec les indices nutritionnels, il s’agit soit de prendre uniquement en compte les marqueurs biochimiques au sein du PINI (Pronostic inflam-matory and nutritional index), soit d’y associer des données anthropométriques (le poids et l’âge), au sein du NRI (indice de risque nutritionnel ou Buzby) pour les patients de moins de 70 ans, ou du GNRI (indice de risque nutritionnel gériatrique) pour les personnes de plus de 70 ans. Les formules et inter-prétations de ces différents indices sont données dans le tableau III.

Surveiller la disparition de l’état de dénutritionUne fois la confirmation de la dénutrition posée, médecin, cadre et diététicien sont à même de mettre sur pied et sans retard un programme de renutrition. Le laboratoire intervient à nouveau pour témoigner de l’efficacité de ce programme, notamment par un dosage hebdomadaire de la transthyrétine.

En conclusionDans ce programme de prise en charge de la dénutrition des personnes hospitalisées, les bio-

logistes ont montré que le laboratoire peut jouer un rôle pivot dans l’organisation dès lors qu’il “sort” du laboratoire pour prendre en compte les données cliniques et qu’il met son savoir-faire informatique au service du patient. Ainsi, c’est le laboratoire qui prend en charge la surveillance des indicateurs imposés par la HAS, et surtout qui déclenche rapidement l’alerte, permettant un diagnostic et donc une prise en charge précoce de l’état de dénutrition.L’intervention rapide de l’équipe pluridiscipli-naire pour pallier cet état est non seulement au bénéfice du patient mais également en termes de santé publique. Il peut être intéressant par cette surveillance de repérer également les surpoids, notamment en psychiatrie.Le retour d’expérience dans le service de gastro-entérologie de l’hôpital de Draguignan montre une prévalence qui rejoint la prévalence nationale, à savoir qu’environ 30 % des patients présentent une dénutrition. Sur 97 alertes codées par le DIM, un quart ont changé de GHM (groupe homogène de malades), pour les autres patients, la dénutri-tion n’était pas un cofacteur majeur. La tarifica-tion à l’activité (T2A) est valorisée si la dénutrition est prise en compte par l’intermédiaire de ces indicateurs. |

ROSE-MARIE LEBLANC

consultant biologiste, Bordeaux (33)

[email protected]

Tableau III. Indices nutritionnels.

PINI

CRP (mg/L) x Orosomucïde (mg/L)Albumine (g/L) x Transthyrétine (mg/L)

< 1 : patient non dénutri, non inflamm. 1 à 10 : risque faible 11 à 20 : risque modéré 21 à 30 : risque élevé > 30 : risque vital

RNI

[0,519 x albumine (g/L)] + [0,417 x P/Pth x 100]

> 97,5 : rien à signaler 7,5 à 83,5 : dénutrition modérée < 83,5 : dénutrition avérée

GNRI

[1,489 x albumine (g/L)] + [41,7 x P/PI]

> 98 : rien à signaler92 à 98 : risque bas82 à 92 : risque modéré< 82 : risque majeur

Avec PI ou poids idéal selon formule de LorentzHomme : T – 100 - [(T-150)/4]Femme : T – 100 - [(T-150)/2,5]Pth : poids théorique ou habituel

© P

hani

e-A

PH

P-B

rous

se

SourceCommunications de A. Raoult-Zumbo, laboratoire de biologie poly-

valente au CH Treffot de Hyères (83), et C. Zumbo, laboratoire de

biologie polyvalente au CH La Dracénie de Draguignan (83), lors

du 36e Colloque national des biologistes des hôpitaux, Dijon (21),

octobre 2007.