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J Radiol 2008;89:64-7 © Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2008 Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés fait clinique ostéoarticulaire Sarcome alvéolaire des tissus mous M Runge (1), H Katranji (2), G Viennet (3), B Kantelip (3) et JF Bonneville (1) existence d’une lésion ostéoly- tique associée à une expansion tu- morale de nature tissulaire dans les plans adjacents évoque une tumeur os- seuse primitive envahissant les tissus mous, une tumeur primitive des parties molles érodant l’os ou une localisation se- condaire d’un cancer ostéophile. Le sar- come alvéolaire est une lésion maligne, rare, de haut grade associant une tumeur tissulaire très vascularisée qui s’accompagne d’une extension osseuse. Elle affecte préférentiellement les tissus mous des membres inférieurs. Observation Monsieur B., 36 ans, sans antécédent, pré- sente depuis quelques semaines une tu- méfaction du cuir chevelu, rétro auricu- laire gauche, indolore, s’accompagnant de céphalées diffuses calmées par un trai- tement symptomatique. L’augmentation de cette tuméfaction l’amène à consulter. À l’examen, cette masse est indurée et ad- hérente au plan profond. Un examen tomodensitométrique du crâne met en évidence une lésion ostéoly- tique à l’emporte-pièce développée aux dépens de la voûte s’accompagnant d’une extension intracrânienne refoulant la dure-mère et d’une extension dans les parties molles. L’IRM encéphalique (fig. 1) confirme l’ostéolyse pariétale et l’extension tumo- rale endo et exo-crânienne. Le signal tu- moral est de type intermédiaire en T1, élevé en T2 et rehaussé de façon hétéro- gène par l’injection de gadolinium. L’an- giographie cérébrale met en évidence une hypervascularisation tumorale et elle est suivie d’une embolisation avant la biopsie chirurgicale. L’examen anatomo-pathologique de la pièce opératoire (fig. 2) retrouve une pro- lifération néoplasique constituée de lo- bules de taille variable, formés de cellules de grande taille, arrondies, séparés par des tractus fibreux riches en vaisseaux. Des douleurs dorsolombaires en hémi- ceinture à gauche apparaissent quelques mois plus tard. Il n’existe pas de systéma- tisation radiculaire et l’examen neurolo- gique est normal. Le scanner thoraco-abdomino-pelvien réalisé dans le cadre du bilan d’extension de la lésion cérébrale révèle l’existence de lésions ostéolytiques rachidiennes et une masse tumorale dans le muscle vaste ex- terne au niveau de la cuisse gauche. En T 8 et en L3 (fig. 3a), il existe une lésion lytique polycyclique, à bords nets, avec une sclérose marginale, de siège corporéal postérieur, s’accompagnant d’une lyse du mur vertébral postérieur sans extension épidurale. Il existe également une ostéo- lyse focale dans le segment postérieur de l’aile iliaque gauche. La matrice tumorale est homogène et de densité tissulaire. Au niveau de la cuisse gauche, le scanner vi- L’ (1) Service de Radiologie B, CHU Jean Minjoz, 3, boulevard Fleming, 25030 Besançon Cedex. (2) Service de Neurochirurgie, CHU Jean Minjoz, 3, boulevard Fleming, 25030 Besançon Ce- dex. (3) Service d’Anatomo pathologie, CHU Jean Minjoz, 3, boulevard Fleming, 25030 Besançon Cedex. Correspondance : M Runge E-mail : [email protected] Fig. 1 : IRM cérébrale. Ostéolyse pariétale gauche avec extension tumorale endo et exo-crânienne. Prise de contraste hétérogène et images de flow voids. Coupes axiales : a T2 flair b SPGR avec gadolinium c SE T1 après gadolinium. abc

Sarcome alvéolaire des tissusmous

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J Radiol 2008;89:64-7

© Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2008Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

fait clinique

ostéoarticulaire

Sarcome alvéolaire des tissus mous

M Runge (1), H Katranji (2), G Viennet (3), B Kantelip (3) et JF Bonneville (1)

existence d’une lésion ostéoly-tique associée à une expansion tu-morale de nature tissulaire dans

les plans adjacents évoque une tumeur os-seuse primitive envahissant les tissusmous, une tumeur primitive des partiesmolles érodant l’os ou une localisation se-condaire d’un cancer ostéophile. Le sar-come alvéolaire est une lésion maligne,rare, de haut grade associant une tumeurtissulaire très vascularisée qui s’accompagned’une extension osseuse. Elle affectepréférentiellement les tissus mous desmembres inférieurs.

Observation

Monsieur B., 36 ans, sans antécédent, pré-sente depuis quelques semaines une tu-méfaction du cuir chevelu, rétro auricu-laire gauche, indolore, s’accompagnantde céphalées diffuses calmées par un trai-

tement symptomatique. L’augmentationde cette tuméfaction l’amène à consulter.À l’examen, cette masse est indurée et ad-hérente au plan profond.Un examen tomodensitométrique ducrâne met en évidence une lésion ostéoly-tique à l’emporte-pièce développée auxdépens de la voûte s’accompagnant d’uneextension intracrânienne refoulant ladure-mère et d’une extension dans lesparties molles.L’IRM encéphalique

(fig. 1)

confirmel’ostéolyse pariétale et l’extension tumo-rale endo et exo-crânienne. Le signal tu-moral est de type intermédiaire en T1,élevé en T2 et rehaussé de façon hétéro-gène par l’injection de gadolinium. L’an-giographie cérébrale met en évidence unehypervascularisation tumorale et elle estsuivie d’une embolisation avant la biopsiechirurgicale.L’examen anatomo-pathologique de lapièce opératoire

(fig. 2)

retrouve une pro-lifération néoplasique constituée de lo-

bules de taille variable, formés de cellulesde grande taille, arrondies, séparés pardes tractus fibreux riches en vaisseaux.Des douleurs dorsolombaires en hémi-ceinture à gauche apparaissent quelquesmois plus tard. Il n’existe pas de systéma-tisation radiculaire et l’examen neurolo-gique est normal.Le scanner thoraco-abdomino-pelvienréalisé dans le cadre du bilan d’extensionde la lésion cérébrale révèle l’existence delésions ostéolytiques rachidiennes et unemasse tumorale dans le muscle vaste ex-terne au niveau de la cuisse gauche. EnT 8 et en L3

(fig. 3a)

, il existe une lésionlytique polycyclique, à bords nets, avecune sclérose marginale, de siège corporéalpostérieur, s’accompagnant d’une lyse dumur vertébral postérieur sans extensionépidurale. Il existe également une ostéo-lyse focale dans le segment postérieur del’aile iliaque gauche. La matrice tumoraleest homogène et de densité tissulaire. Auniveau de la cuisse gauche, le scanner vi-

L’

(1) Service de Radiologie B, CHU Jean Minjoz, 3, boulevard Fleming, 25030 Besançon Cedex. (2) Service de Neurochirurgie, CHU Jean Minjoz, 3, boulevard Fleming, 25030 Besançon Ce-dex. (3) Service d’Anatomo pathologie, CHU Jean Minjoz, 3, boulevard Fleming, 25030 Besançon Cedex.Correspondance : M RungeE-mail : [email protected]

Fig. 1 : IRM cérébrale. Ostéolyse pariétale gauche avec extension tumorale endo et exo-crânienne. Prise de contraste hétérogène et images de flow voids. Coupes axiales :

a T2 flairb SPGR avec gadoliniumc SE T1 après gadolinium.

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sualise une hypertrophie des structuresmusculaires latérales avec disparition desfascias et la présence d’une lésion prenantle contraste en périphérie et présentantune zone d’hypodensité.L’IRM du rachis

(fig. 3b)

confirme la pré-sence de lésions corporéales dont le signalest modérément élevé en pondération T1,élevé en T2 et nettement rehaussé parl’injection de gadolinium avec des imagesde vide de signal caractérisant un flux vas-culaire rapide (signal void). L’absence d’ex-tension épidurale franche est confirmée.L’IRM de la cuisse

(fig. 4)

visualise la lé-sion musculaire dont le signal en T1 est

légèrement plus intense que le signal dumuscle sain adjacent alors qu’il est nette-ment plus intense en T2. Il est très rehaussépar le produit de contraste qui fait appa-raître une hétérogénéité. L’angio IRM

(fig. 5)

confirme le caractère hypervascu-laire de la lésion suspecté par la présencede structures à flux rapide sur les diffé-rentes séquences.La lésion corporéale en L3 a fait l’objetd’une biopsie et les résultats de l’examenanatomo-pathologique sont identiques àceux de la biopsie de la lésion cérébrale.Les données cliniques avec l’âge du pa-tient, la présence d’une tumeur intramus-

culaire, les localisations au crâne et aurachis, les caractères en IRM et les don-nées anatomo-pathologiques font retenirle diagnostic de sarcome alvéolaire des tis-sus mous avec métastases cérébrale et ra-chidienne.

Discussion

Le sarcome alvéolaire est une tumeur ma-ligne des parties molles de haut grade.Elle est rare, d’étio-pathogénie indéter-minée et représente selon les auteurs entre0,5 et 1 % des tumeurs des tissus mous

Fig. 2 : Anatomopathologiea Cellules tumorales agencées en nids compacts ou pseudo-alvéoalaires, qui sont délimités par de fins tractus conjonctifsb Quelques cellules tumorales renferment des inclusions cristallines (coloration au PAS après amylase).

a b

Fig. 3 :a Scanner centré sur L3. Ostéolyse corporéale à contours géographiques nets.b IRM lombaire en coupes sagittales pondérées T1 et T2.c Lésion de signal intermédiaire en T1 et élevé en T2 avec des images de flux.

a b c

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(1-3). Cette entité fut décrite pour la pre-mière fois par Christopherson en 1952 (4).La lésion intéresse habituellement lemuscle sans que son origine musculairesoit bien établie. Cette tumeur, qui prendla forme d’une masse longtemps asymp-tomatique et à croissance lente, affectepréférentiellement les adultes jeunes desexe féminin mais elle est également re-trouvée chez le nourrisson et l’enfant. Lesarcome alvéolaire qui présente une pré-dilection pour les membres inférieurs serencontre également au niveau du crâneet du cou principalement chez l’enfantainsi qu’au niveau des membres supé-rieurs et du tronc. Dans les localisationscrâniennes et au cou (5, 6) qui sont peufréquentes, la tumeur affecte classique-ment la langue et l’orbite surtout chezl’enfant et beaucoup plus rarement l’espa-ce buccal, la fosse temporale et le larynx.Elle survient généralement entre la se-conde et la quatrième décade devenantrapidement agressive avec une atteinteosseuse locale et très souvent on note le

développement de métastases à distancedont la survenue est souvent tardive aucours de l’évolution. Toutefois, quelquespublications (7) font état d’une fréquenceélevée (23-67 %) de métastases à distancedécouvertes au moment du diagnostic ini-tial. La survenue des métastases est un fac-teur de mauvais pronostic. Les sites lesplus fréquents de ces métastases sont lepoumon, l’os et le cerveau.Le sarcome alvéolaire des tissus mousprésente en scanographie et en IRM unaspect caractéristique (8-12). Il se traduiten scanographie par une masse de densitéfaible et légèrement supérieure à la densi-té du muscle normal, à contours relative-ment bien délimités et prenant fortementle contraste après l’injection de produitiodé. En IRM, le signal de la lésion est gé-néralement plus élevé que le signal mus-culaire en pondération T1 et T2 avec desimages vasculaires de flux rapide (flowvoids) intra ou extra-tumorales. Commedans notre observation le signal void estprésent à la périphérie de la tumeur dont

a bc dFig. 4 : IRM de la cuisse. Coupes axiales SE pondérées en T1 (a et b) et en densité

protonique (DP) avec saturation du signal de la graisse (Fat sat) (c et d). Masse tumorale intramusculaire de signal intermédiaire en T1 légèrement supérieur au signal musculaire (flèches) et élevé en DP fat sat avec images de flux (signal voids).

le signal est très fortement rehaussé parl’injection de gadolinium.L’angiographie conventionnelle ou l’an-gio IRM confirme le caractère hypervas-cularisé de la tumeur et corrobore l’inté-gration de l’embolisation dans le schémathérapeutique (13).À l’examen anatomo-pathologique, la tu-meur est formée d’amas de cellules rondesou polyédriques séparés par des travées àrevêtement endothélial ou réticulaire rem-plies de sang.Le diagnostic différentiel est difficile enimagerie et inclut les métastases osseuses,les tumeurs osseuses primitives avec uneextension aux parties molles adjacentesou une tumeur des tissus mous envahis-sant l’os. On peut discuter un sarcome àcellules claires, une métastase de méla-nome, un hémangiome, un liposarcomeou une tumeur molle avec remaniementhémorragique devant une lésion de signalélevé en pondération T1. Les images vas-culaires font discuter un hémangiome,une malformation artério-veineuse ouune métastase d’un carcinome rénal. Lejeune âge du patient et le caractère hyper-vascularisé de la tumeur sont des argu-ments pour le diagnostic qui ne peut êtreporté que par la réalisation d’une biopsie. Le diagnostic concernant les métastasesrelève également de la biopsie.Les modalités thérapeutiques sont repré-sentées par l’embolisation suivie de lachirurgie et de la chimiothérapie. L’IRMparticipe au suivi thérapeutique aprèschimiothérapie et/ou embolisation préopératoire avec l’utilisation des tech-niques dynamiques et de la diffusion(14). Elle permet d’objectiver la surve-nue d’une nécrose tumorale, les varia-tions de volume de la tumeur ainsi quedes modifications de l’intensité du signaltumoral.

Conclusion

Le sarcome alvéolaire des tissus mous estune tumeur rare qui doit être incluse dansle diagnostic étiologique des tumeursmolles à croissance lente, bien délimitées,très vascularisées chez le nourrisson, l’en-fant et l’adulte jeune. L’âge du patient, lataille de la tumeur et la présence de mé-tastases sont des facteurs pronostiques.Une lésion tumorale dont le signal estplus élevé que le signal du muscle adja-cent sur les coupes IRM pondérées T1, T2et présentant des images de signal void est

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très évocatrice d’un sarcome alvéolairedes tissus mous. La présence d’une massetissulaire différencie le sarcome alvéolairede la malformation artério-veineuse.

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Fig. 5 : IRM de la cuisse après gadolinium. Hypersignal tumoral intense avec hypervascu-larisation confirmée par l’angio MR.

a Coupe axiale SE T1,b Coupe coronale SE T1 Fat sat,c angio MR.

a bc