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Images en Ophtalmologie Vol. X - n° 6 novembre-décembre 2016 206 Scotome cæcocentral • Atrophie optique dominante • Pâleur papillaire • Glaucome. Centrocecal scotoma • Domi- nant optic atrophy • Optic disc pallor • Glaucoma. Cas clinique Légendes Figure 1. Photos des nerfs optiques mon- trant une pâleur papillaire bilatérale, notam- ment dans la partie temporale. On retrouve également des anomalies du calibre artériel en rapport avec les antécédents cardio- vasculaires de la patiente. Figure 2. Le champ visuel Humphrey 24.2 SITA standard montre un déficit bitemporal qui respecte le méridien vertical en inférieur à gauche et sur la partie centrale à droite. Le seuil fovéolaire est anormalement bas à gauche. Figure 3. IRM en coupes coronales fines pondérées T2 montrant des nerfs optiques fins sur l’image de gauche (cercles) et l’absence de compression chiasmatique sur l’image de droite. L’aspect du chiasma (ellipse) a été considéré comme un peu fin par le radiologue, qui a évoqué le diagnostic de glaucome à pression normale. Scotome bitemporal et IRM cérébrale normale Bitemporal scotoma with normal brain MRI C. Lamirel (Fondation ophtalmologique Adolphe-de-Rothschild et hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris) U ne patiente, âgée de 65 ans, est adressée pour un second avis sur un glaucome à pression normale atypique. Observation Cette patiente a comme antécédents une hypertension artérielle, une hyper- cholestérolémie et un diabète non insulinodépendant, découverts il y a 3 ans et traités depuis. Ses antécédents familiaux comprennent une mauvaise vision chez son père et chez sa fille, sans diagnostic. Son traitement comprend metformine, olmésartan médoxomil, simvastatine, brimonidine et trimétazidine. Elle décrit avoir une mauvaise vision aussi loin qu’elle se souvienne, avec une acuité visuelle entre 4 et 5/10. Compte tenu d’une forte hypermétropie, celle-ci est prise pour de l’amblyopie. C’est en consultant un ophtalmologue pour revoir sa correction optique que celui-ci aurait remarqué des nerfs optiques pâles (figure 1) . Son champ visuel (CV) montre un déficit d’allure bitemporale (figure 2) . Une IRM cérébrale, effectuée pour rechercher une compression du chiasma optique, ne montre pas de compression du chiasma, mais une “atrophie opticochiasmatique bilatérale” conduisant le radiologue à évoquer le diagnostic de glaucome à pression normale (figure 3) . La patiente est traitée par brimonidine, et un avis spécialisé est demandé. Son acuité visuelle est de 5/10 P2 avec + 7,50 (– 0,75 à 35°) à l’œil droit et de 4/10 P3f avec + 6,75 (– 0,75 à 165°) à l’œil gauche. L’oculomotricité est normale. Les pupilles sont de même taille, sans déficit du réflexe pupillaire afférent. L’examen à la lampe à fente est normal. La pression intra-oculaire est de 13 mmHg aux 2 yeux. Le fond d’œil montre une pâleur de la partie temporale de la papille sans excavation, bilatérale et symétrique (figure 1) . La macula et la périphérie rétinienne sont normales aux 2 yeux. Le CV 24.2 montre un déficit bitemporal, qui semble respecter le méridien vertical. Le CV 10.2 montre qu’en fait le déficit ne respecte pas complètement le méridien vertical, ce qui suggère un scotome bilatéral cæcocentral (figure 4) . Il y a une forte perturbation de la vision des couleurs, principalement dans l’axe tritan (figure 5) . La fille de la patiente a pu être examinée en consultation de neuro-ophtalmo- logie : elle présente une mauvaise acuité visuelle depuis l’enfance, avec un scotome cæcocentral bilatéral, une vision des couleurs très perturbée et une pâleur papillaire temporale bilatérale. Une analyse du gène OPA1 est demandée pour la mère et la fille : elle retrouve une mutation hétérozygote pathologique c.2569C>T de l’exon 25, confirmant le diagnostic d’atrophie optique dominante.

Scotome bitemporal et IRM cérébrale normale

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Page 1: Scotome bitemporal et IRM cérébrale normale

Images en Ophtalmologie • Vol. X - n° 6 • novembre-décembre 2016206

S co t o m e c æ co ce n t ra l • Atrophie optique dominante • Pâleur papillaire • Glaucome.

Centrocecal scotoma • Domi-nant optic atrophy • Optic disc pallor • Glaucoma.

Cas clinique

Légendes

Figure 1. Photos des nerfs optiques mon-trant une pâleur papillaire bilatérale, notam-ment dans la partie temporale. On retrouve également des anomalies du calibre artériel en rapport avec les antécédents cardio-vasculaires de la patiente.

Figure 2. Le champ visuel Humphrey 24.2 SITA standard montre un défi cit bitemporal qui respecte le méridien vertical en inférieur à gauche et sur la partie centrale à droite. Le seuil fovéolaire est anormalement bas à gauche.

Figure 3. IRM en coupes coronales fines pondérées T2 montrant des nerfs optiques fins sur l’image de gauche (cercles) et l’absence de compression chiasmatique sur l’image de droite . L’aspect du chiasma (ellipse) a été considéré comme un peu fi n par le radiologue, qui a évoqué le diagnostic de glaucome à pression normale.

Scotome bitemporal et IRM cérébrale normale Bitemporal scotoma with normal brain MRI C. Lamirel (Fondation ophtalmologique Adolphe-de-Rothschild et hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris)

U ne patiente, âgée de 65 ans, est adressée pour un second avis sur un glaucome à pression normale atypique.

Observation Cette patiente a comme antécédents une hypertension artérielle, une hyper-cholestérolémie et un diabète non insulinodépendant, découverts il y a 3 ans et traités depuis. Ses antécédents familiaux comprennent une mauvaise vision chez son père et chez sa fille, sans diagnostic. Son traitement comprend metformine, olmésartan médoxomil , simvastatine, brimonidine et trimétazidine.

Elle décrit avoir une mauvaise vision aussi loin qu’elle se souvienne, avec une acuité visuelle entre 4 et 5/10. Compte tenu d’une forte hypermétropie, celle-ci est prise pour de l’amblyopie. C’est en consultant un ophtalmologue pour revoir sa correction optique que celui-ci aurait remarqué des nerfs optiques pâles (figure 1) . Son champ visuel (CV) montre un déficit d’allure bitemporale (figure 2) . Une IRM cérébrale, effectuée pour rechercher une compression du chiasma optique, ne montre pas de compression du chiasma, mais une “atrophie opticochiasmatique bilatérale” conduisant le radiologue à évoquer le diagnostic de glaucome à pression normale (figure 3) . La patiente est traitée par brimonidine, et un avis spécialisé est demandé.

Son acuité visuelle est de 5/10 P2 avec + 7,50 (– 0,75 à 35°) à l’œil droit et de 4/10 P3f avec + 6,75 (– 0,75 à 165°) à l’œil gauche. L’oculomotricité est normale. Les pupilles sont de même taille, sans déficit du réflexe pupillaire afférent. L’examen à la lampe à fente est normal. La pression intra-oculaire est de 13 mmHg aux 2 yeux. Le fond d’œil montre une pâleur de la partie temporale de la papille sans excavation, bilatérale et symétrique (figure 1) . La macula et la périphérie rétinienne sont normales aux 2 yeux. Le CV 24.2 montre un déficit bitemporal, qui semble respecter le méridien vertical. Le CV 10.2 montre qu’en fait le déficit ne respecte pas complètement le méridien vertical, ce qui suggère un scotome bilatéral cæcocentral (figure 4) . Il y a une forte perturbation de la vision des couleurs, principalement dans l’axe tritan (figure 5) .

La fille de la patiente a pu être examinée en consultation de neuro-ophtalmo-logie : elle présente une mauvaise acuité visuelle depuis l’enfance, avec un scotome cæcocentral bilatéral, une vision des couleurs très perturbée et une pâleur papillaire temporale bilatérale.

Une analyse du gène OPA1 est demandée pour la mère et la fille : elle retrouve une mutation hétérozygote pathologique c.2569C>T de l’exon 25, confirmant le diagnostic d’atrophie optique dominante.

0206_IOP 206 14/12/2016 12:27:22

Page 2: Scotome bitemporal et IRM cérébrale normale

Œil droit Œil gauche

1

3

Fovéa : 30 dB Fovéa : 34 dB

Déviation totale Déviation individuelle Déviation totale Déviation individuelle

THGHors limites normales

VFI : 76 %

MD : –7,18 dB p < 0,5 %PSD : 9,83 dB p < 0,5 %

THGHors limites normales

VFI : 82 %

MD : –5,12 dB p < 0,5 %PSD : 8,68 dB p < 0,5 %

< 5 %< 2 %< 1 %< 0,5 %

< 5 %< 2 %< 1 %< 0,5 %

Œil gauche Œil droit

2

Images en Ophtalmologie • Vol. X - n° 6 • novembre-décembre 2016207

0207_IOP 207 14/12/2016 12:27:22

Page 3: Scotome bitemporal et IRM cérébrale normale

Images en Ophtalmologie • Vol. X - n° 6 • novembre-décembre 2016208

Cas clinique

DiscussionDevant l’aspect bitemporal du déficit campimétrique, il était tout à fait logique de demander une IRM cérébrale pour éliminer la possibilité d’une compression du chiasma optique. L’aspect atrophique des nerfs optiques et du chiasma a conduit le radiologue à évoquer le diagnostic de glaucome à pression normale ; cela n’est pas justifié, car une telle atrophie des nerfs optiques sur l’imagerie n’est pas du tout spécifique du glaucome et suggère simplement une neuro-pathie optique chronique. La présentation clinique n’évoque pas une neuropathie optique glaucomateuse : mauvaise acuité visuelle depuis l’enfance, pâleur papillaire plutôt qu’excavation, vision des couleurs très perturbée. L’absence de compression du chiasma doit faire revoir la localisation du processus patho-logique. Le déficit campimétrique est en réalité un scotome cæcocentral mis en évidence sur le CV 10.2 (un CV de Goldmann aurait aussi permis de lever le doute). C’est l’espacement important tous les 6° des points du CV 24.2 qui peut donner l’apparence d’un scotome bitemporal. Il s’agit donc d’une neuropathie optique bilatérale chronique, présente probablement depuis l’enfance, avec des antécédents familiaux de malvoyance compatibles avec une transmission auto-somique dominante : il faut évoquer le diagnostic d’atrophie optique dominante, qui sera confirmé par l’examen clinique de la fille et par l’analyse génétique.

Un scotome cæcocentral bilatéral peut passer pour un scotome bitemporal sur le CV 24.2, mais sans lésion chiasmatique à l’IRM. Un CV 10.2 ou un CV de Goldmann redresse le diagnostic topographique en montrant que le déficit ne respecte pas le méridien vertical. Cette présentation suggère une neuropathie optique chronique non glaucomateuse, et un bilan neuro-ophtalmologique à la recherche d’autres causes de neuropathie optique doit être réalisé. II

C. Lamirel déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Pour en savoir plus…• Fraser JA, Biousse V, Newman NJ. The neuro-ophtalmology of mitochondrial disease. Surv Ophthalmol 2010;55(4):299-324.• Lamirel C. Neuropathies optiques glaucomateuses. In : Vignal C, Milea D, Tilikete C, eds. Neuro-ophtalmologie. 2e édition. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson, 2016.• Biousse V, Newman NJ. Neuro-ophthalmology illustrated. 2e édition. New York: Thieme, 2016.

Légendes

Figure 4. Le champ visuel Humphrey 10.2 SITA Fast permet de mieux visualiser l’aspect du scotome qui ne respecte pas réellement le méridien vertical. Il s’agit en fait d’un déficit cæcocentral bilatéral, qui oriente vers une neuropathie optique non glaucomateuse.

Figure 5. L’étude du sens coloré par le test de Lanthony 15 hues désaturé retrouve de nombreuses erreurs aux 2 yeux et plutôt dans l’axe tritan.

0208_IOP 208 14/12/2016 12:27:23

Page 4: Scotome bitemporal et IRM cérébrale normale

Fovéa : 32 dB Fovéa : 34 dB

Déviation totale Déviation individuelle Déviation totale Déviation individuelle

MD : –14,96 dB p < 1 %PSD : 14,27 dB p < 1 %

MD : –13,28 dB p < 1 %PSD : 13,97 dB p < 1 %

< 5 %< 2 %< 1 %

< 5 %< 2 %< 1 %

Œil gauche Œil droit

4

Pastillede

référence

Pastillede

référence

P1

23 4 5

6P

12

3 4 5

6

7

8

9

7

8

9

101112

1314

15

101112

1314

15

OD OG

TritanTritan

Deut

an

Prot

an

Deut

an

Prot

anDÉSATURÉ

5

Images en Ophtalmologie • Vol. X - n° 6 • novembre-décembre 2016209

0209_IOP 209 14/12/2016 12:27:23