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Aristote Seconds Analytiques Traduction (1939) J. Tricot (1893-1963) Éditions Les Échos du Maquis, v. : 1,0, janvier 2014.

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  • AristoteSeconds AnalytiquesTraduction (1939) J. Tricot (1893-1963)

    ditions Les chos du Maquis, v.: 1,0, janvier 2014.

  • Note sur cette dition" 8Introduction" 9Livre I - " 101 (71a - 71b) " 102 (71b - 72b) " 113 (72b - 73a) " 144 (73a - 74a) " 186 (74b - 75a) " 197 (75a - 75b)
  • 12 (77a - 78a) " 3619 (81b - 82a) " 3620 (82a)
  • 25 (86a - 86b) " 4826 (87a) " 5028 (87a - 87b) " 5232 (88a - 88b) " 5333 (88b - 89b) " 5434 (89b)
  • 5 (91b - 92a) " 627 (92a - 92b) " 7013 (96a - 97b) " 7314 (98a) " 7715 (98a) "7817 (99a - 99b) " 79

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  • 18 (99b) " 8119 (99b - 100b)
  • AristoteSeconds AnalytiquesTraduction (1939) J. Tricot (1893-1963)

    ditions Les chos du Maquis, v.: 1,0, janvier 2014.

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  • Note sur cette dition

    Il s'agit du texte intgral de la traduction de Tricot (traduction de 1939).Nous reproduisons l'Introduction du traducteur, mais non pas la Bibliographie,

    devenue trop incomplte avec le passage des annes.Pages 1112a et Lignes 25 ont t intercales selon les rfrences

    traditionnelles.Nous reproduisons la signaltique employe par Tricot : les crochets [...]

    indiquent un passage douteux ou interpol ; les une addition rendue ncessaire pour le sens.

    Les (ou de Livre) ne figurent pas dans les manuscrits; ce sont des ajouts de Tricot.

    Nous avons ajout entre crochets et en italique [] certains termes originaux qui nous ont sembl dignes d'une attention particulire.

    Les termes grecs sont prsents sans accents et esprits afin de maximiser la compatibilit avec les diffrents appareils de lecture.

    Parmi les trs nombreuses notes que contient l'dition de Tricot, nous avons conserv uniquement, en tout ou en partie, celles qui fournissaient des indications essentiellement informatives.

    Toutes les notes sont du traducteur, sauf indication contraire; (N.d..) signifie que la note est de nous.

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  • IntroductionLes Seconds Analytiques, dont nous prsentons ici la traduction,

    constituent la pice matresse de l'uvre logique d'Aristote. Les Premiers Analytiques exposaient seulement les conditions formelles auxquelles toute preuve est subordonne ; il restait appliquer la mthode syllogistique, en vrifier la fcondit dans le domaine de la dmonstration. Tel est l'objet que s'est propos Aristote dans l'ouvrage que les commentateurs appellent indiffremment , ou : il s'agit, en effet, de la science dmonstrative, considre en elle-mme, qui est fonde sur des prmisses ncessaires, et qui aboutit, par la connaissance analytique de la cause, des conclusions galement ncessaires.

    L'authenticit du trait n'a pas t mise en doute. Bien qu'il apparaisse, certains gards, moins achev que les Premiers Analytiques, il est manifestement postrieur aux Topiques, dont il contredit expressment certaines affirmations et qu'il cite plusieurs reprises. D'autre part, l'incertitude de la pense d'Aristote sur des points essentiels de la doctrine (notamment sa thorie des causes) montre clairement que les Seconds Analytiques ont t composs avant les grands traits de la dernire priode.

    Un expos gnral de la logique de la dmonstration nous parat hors de propos, pro libri consilio. On voudra bien se reporter l'ouvrage classique de H. Maier, Syllogistik des Aristoteles, Tubingue, 3 volumes, 1896-1900, et aux pages pntrantes de J. Chevalier, La notion du ncessaire chez Aristote et chez ses prdcesseurs, Paris, 1915, p. 98-189. On peut encore consulter utilement le rsum scolaire, mais gnralement fidle, de Gredt, Elementa philosophiae aristotelico-thomisticae, tome l, p. 173 et suivantes.

    J.T.

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  • Livre I - < Thorie de la dmonstration >1 (71a - 71b) < Ncessit de connaissances prexistantes >

    71a Tout enseignement donn ou reu par la voie du raisonnement []1 vient d'une connaissance prexistante. Cela est manifeste, quel que soit l'enseignement considr : les sciences mathmatiques s'acquirent de cette faon, ainsi que chacun des autres 5 arts []. Il en est encore de mme pour les raisonnements dialectiques, qu'ils se fassent par syllogismes ou par induction ; les uns comme les autres, en effet, tirent leur enseignement de connaissances prexistantes : dans le premier cas, c'est en prenant les prmisses comme comprises par l'adversaire, dans le second, c'est en prouvant l'universel par le fait que le particulier est vident. C'est encore de la mme faon que les arguments rhtoriques2 produisent la persuasion, car ils usent soit d'exemples, 10 ce qui est une induction, soit d'enthymmes, ce qui n'est pas autre chose qu'un syllogisme.

    La prconnaissance requise est de deux sortes. Tantt, ce qu'on doit prsupposer, c'est que la chose est ; tantt, c'est ce que signifie le terme employ qu'il faut comprendre ; tantt enfin ce sont ces deux choses la fois. Ainsi, dire que pour toute chose la vrit est dans l'affirmation ou dans la ngation, c'est poser que la chose est ; d'autre part, nous posons que triangle signifie telle chose ; enfin, 15 s'il s'agit de l'unit, nous posons la fois les deux choses, savoir, le sens du nom et l'existence de la chose. C'est qu'en effet chacun de ces cas n'est pas d'une gale vidence pour nous. Et il est possible qu'une connaissance rsulte tant de connaissances antrieures que de connaissances acquises en mme temps qu'elle, savoir les choses singulires qui tombent sous l'universel et dont on possde par l mme la connaissance. En effet, la proposition tout triangle a ses angles gaux deux angles droits est une connaissance 20 prexistante, mais la proposition cette figure-ci, inscrite dans le demi-cercle, est un triangle n'a t connue qu'au moment mme o l'on induit (car certaines choses s'apprennent seulement de cette faon, et ce n'est pas par le moyen terme qu'on connat le petit terme : ces choses sont toutes les choses singulires et qui ne sont pas affirmes de quelque sujet). Avant d'induire ou de tirer la conclusion du 25 syllogisme, il faut dire sans doute que, d'une certaine faon, on la connat dj, et que, d'une autre faon, on ne la connat pas. Si on ne connaissait pas, au sens absolu du terme, l'existence de ce triangle, comment

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    1 (...) L'enseignement dianotique s'oppose l'acquisition par l'intuition sensible ou par l'intuition intellectuelle (donne par le ). Ce n'est pas autre chose que la dduction syllogistique, laquelle se ramne toute science dmonstrstive. 2 Cf. Premiers Analytiques, II, 24 (exemple) et 27 (enthymme).

  • pourrait-on connatre, au sens absolu, que ses angles sont gaux deux angles droits ? En fait, il est vident que la connaissance a lieu de la faon suivante : on connat universellement, mais au sens absolu on ne connat pas. Faute de cette distinction, on tombera dans la difficult souleve par le Mnon3 : ou bien on n'apprendra rien, ou bien on 30 n'apprendra que ce qu'on connat. On ne peut pas, en effet, accepter la solution que certains proposent < du sophisme suivant >, Sais-tu, ou ne sais-tu pas, que toute dyade est paire ? < demande-t-on >. La rponse tant affirmative, on prsente l'interlocuteur une dyade dtermine qu'il ne pensait ni exister, ni par suite tre paire. La solution propose consiste dire qu'on ne sait pas que toute dyade est paire, mais seulement que tout ce qu'on sait tre 71b une dyade est pair. Pourtant le savoir porte sur ce dont on possde la dmonstration ou dont on a admis la dmonstration. Or la dmonstration qu'on a admise porte, non pas sur tout triangle ou tout nombre qu'on sait tre triangle ou nombre, mais, d'une manire absolue, sur tout nombre et tout triangle. En effet, on ne prend jamais de prmisse telle que 5 le nombre que tu sais tre nombre ou la figure rectiligne que tu sais tre figure rectiligne, mais bien des prmisses s'appliquant au nombre ou la figure en gnral. Tandis que rien, j'imagine, n'empche que ce qu'on apprend, en un sens on le connaisse, et en un autre sens on ne le connaisse pas. L'absurdit consiste, non pas dire qu'on connat dj en un certain sens ce qu'on apprend, mais dire qu'on le connat dans la mesure et de la faon qu'on l'apprend4.

    2 (71b - 72b) < La Science et la Dmonstration >

    Nous estimons possder la science d'une chose d'une manire absolue, et non pas, la faon des Sophistes, 10 d'une manire purement accidentelle5, quand nous croyons que nous connaissons la cause par laquelle la chose est, que nous savons que cette cause est celle de la chose, et qu'en outre il n'est pas possible que la chose soit autre qu'elle n'est. Il est vident que telle est la nature de la connaissance scientifique ; ce qui le montre, c'est l'attitude aussi bien de ceux qui ne savent pas que de ceux qui savent : les premiers croient se comporter comme nous venons de l'indiquer, et ceux qui savent se comportent aussi en ralit de cette mme faon. Il en 15 rsulte que l'objet de la science au sens propre est quelque chose qui ne peut pas tre autre qu'il n'est.

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    3 80e. Cf. Premiers Analytiques, II, 21, 67a 9 et ss. (...)4 Cf. Premiers Analytiques, II, 21. (...)5 Sur l'accident et l'impossibilit d'une science de l'accident, qui serait une science du non-tre, cf. Mtaphysique, E, 2, 1027a 5 ; K, 8, 1064b 27 et ss. (...)

  • La question de savoir s'il existe encore un autre mode de connaissance sera examine plus tard6. Mais ce que nous appelons ici savoir c'est connatre par le moyen de la dmonstration. Par dmonstration j'entends le syllogisme scientifique, et j'appelle scientifique un syllogisme dont la possession mme constitue pour nous la science. Si donc la connaissance scientifique consiste bien en ce que nous 20 avons pos, il est ncessaire aussi que la science dmonstrative parte de prmisses qui soient vraies, premires, immdiates, plus connues que la conclusion, antrieures elle, et dont elles sont les causes. C'est ces conditions, en effet, que les principes de ce qui est dmontr seront aussi appropris la conclusion. Un syllogisme peut assurment exister sans ces conditions, mais il ne sera pas une dmonstration, car il ne sera pas productif de science. Les prmisses 25 doivent tre vraies, car on ne peut pas connatre ce qui n'est pas, par exemple la commensurabilit de la diagonale. Elles doivent tre premires et indmontrables, car autrement on ne pourrait les connatre faute d'en avoir la dmonstration, puisque la science des choses qui sont dmontrables, s'il ne s'agit pas d'une science accidentelle, n'est pas autre chose que d'en possder la dmonstration. Elles doivent tre les causes de la conclusion, tre plus connues 30 qu'elle, et antrieures elle : causes, puisque nous n'avons la science d'une chose qu'au moment o nous en avons connu la cause ; antrieures, puisqu'elles sont des causes ; antrieures aussi au point de vue de la connaissance, cette prconnaissance ne consistant pas seulement comprendre de la seconde faon que nous avons indique, mais encore savoir que la chose est. Au surplus, antrieur et plus connu ont une double signification, car il n'y a pas identit entre ce qui est antrieur par nature et ce qui est antrieur pour nous, ni entre ce qui est plus 72a connu par nature et plus connu pour nous. J'appelle antrieurs et plus connus pour nous les objets les plus rapprochs de la sensation, et antrieurs et plus connus d'une manire absolue les objets les plus loigns des sens. Et les causes les plus universelles sont les plus loignes des sens, tandis que les causes particulires sont les plus rapproches, et ces notions 5 sont ainsi opposes les unes aux autres. Les prmisses doivent tre premires, c'est--dire qu'elles doivent tre des principes propres, car j'identifie prmisse premire et principe. Un principe de dmonstration est une proposition immdiate. Est immdiate une proposition laquelle aucune autre n'est antrieure. Une proposition est l'une ou l'autre partie d'une nonciation, quand elle attribue un seul prdicat un seul sujet7: elle est dialectique, si elle 10 prend indiffremment n'importe quelle partie ; elle est dmonstrative, si elle prend une partie dtermine parce que cette partie est vraie. Une nonciation est n'importe laquelle des parties d'une contradiction.

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    6 Cf. I, 3, 72b 19 ; 10, 76b 16, et surtout II, 19. (...)7 Cf. De l'interprtation, 5, 17a 20 et 8, 18a 13 et ss. (...)

  • Une contradiction est une opposition8 qui n'admet par soi aucun intermdiaire. La partie d'une contradiction qui unit un prdicat un sujet est une affirmation, et la partie qui nie un prdicat d'un sujet, une ngation. J'appelle un principe immdiat du 15 syllogisme une thse, quand, tout en n'tant pas susceptible de dmonstration, il n'est pas indispensable qui veut apprendre quelque chose ; si, par contre, sa possession est indispensable qui veut apprendre n'importe quoi, c'est un axiome : il existe, en effet, certaines vrits de ce genre, et c'est surtout de telles vrits que nous donnons habituellement le nom d'axiomes. Si une thse prend l'une quelconque des parties de l'nonciation, quand je dis 20 par exemple qu'une chose est ou qu'une chose n'est pas, c'est une hypothse ; sinon, c'est une dfinition. La dfinition est une thse, puisque, en Arithmtique, on pose que l'unit, c'est ce qui est indivisible selon la quantit ; mais ce n'est pas une hypothse, car dfinir ce qu'est l'unit et affirmer l'existence de l'unit n'est pas la mme chose.

    25 Puisque notre croyance en la chose, la connaissance que nous en avons, consiste dans la possession d'un syllogisme du genre que nous appelons dmonstration, et que ce syllogisme n'est tel que par la nature des principes dont le syllogisme est constitu, il est, par suite, ncessaire, non seulement de connatre avant la conclusion les prmisses premires, soit toutes, soit du moins certaines d'entre elles, mais encore de les connatre mieux que la conclusion. Toujours, en effet, la cause, en vertu de laquelle un attribut appartient un sujet, appartient elle-mme au sujet plus que cet attribut : par exemple, ce 30 par quoi nous aimons nous est plus cher que l'objet aim. Par consquent, si notre connaissance, notre croyance, provient des prmisses premires, ce sont celles-ci que nous connaissons le mieux et auxquelles nous croyons davantage, parce que c'est par elles que nous connaissons les consquences. Mais il n'est pas possible que notre croyance l'gard des choses qu'on ne se trouve ni connatre, ni en tat d'apprhender au moyen d'une science plus leve que la connaissance, soit plus grande que pour les choses qu'on connat. Or c'est ce qui arrivera, si 35 nul de ceux dont la croyance repose sur la dmonstration ne possde de savoir prexistant ; car il est ncessaire que la croyance soit plus ferme l'gard des principes, sinon de tous, du moins de quelques-uns, qu' l'gard de la conclusion.

    En outre, si on veut possder la science qui procde par dmonstration, il ne suffit pas que la connaissance des principes soit plus grande, la conviction forme leur sujet plus ferme, que ce qui est dmontr : 72b il faut encore que rien ne nous soit plus certain ni mieux connu que les opposs des principes d'o partira le syllogisme concluant l'erreur contraire, car celui qui a la science au sens absolu doit tre inbranlable.

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    8 Cf. Catgories, 10, 13a 37 et ss.

  • 3 (72b - 73a) < Critiques de certaines erreurs sur la Science et la Dmonstration >

    5 Certains soutiennent qu'en raison de l'obligation o nous sommes de connatre les prmisses premires, il ne semble pas y avoir de connaissance scientifique. Pour d'autres, il y en a bien une, mais toutes les vrits sont susceptibles de dmonstration. Ces deux opinions ne sont ni vraies, ni cohrentes. La premire, qui suppose qu'il n'y a aucune faon de connatre autrement que par dmonstration, estime que c'est l une marche rgressive l'infini, attendu que nous ne pouvons pas connatre les choses postrieures par les antrieures, si ces dernires ne sont pas elles-mmes prcdes de principes premiers (en quoi 10 ces auteurs ont raison, car il est impossible de parcourir des sries infinies) ; si, d'un autre ct < disent-ils >, il y a un arrt dans la srie et qu'il y ait des principes, ces principes sont inconnaissables, puisqu'ils ne sont pas susceptibles d'une dmonstration, ce qui, suivant eux, est le seul procd de connaissance scientifique. Et puisqu'on ne peut pas connatre les prmisses premires, les conclusions qui en dcoulent ne peuvent pas non plus faire l'objet d'une science, au sens absolu et propre ; leur connaissance se fonde seulement sur la supposition que les prmisses sont 15 vraies. Quant ceux qui professent la seconde opinion, ils sont d'accord avec les prcdents en ce qui regarde la science, puisqu'ils soutiennent qu'elle est seulement possible par dmonstration ; mais que toute vrit soit susceptible de dmonstration, c'est l une chose laquelle ils ne voient aucun empchement, la dmonstration pouvant tre circulaire et rciproque.

    Notre doctrine, nous, est que toute science n'est pas dmonstrative, mais que celle des propositions immdiates est, au contraire, indpendante de la dmonstration. 20 (Que ce soit l une ncessit, c'est vident. S'il faut, en effet, connatre les prmisses antrieures d'o la dmonstration est tire, et si la rgression doit s'arrter au moment o l'on atteint les vrits immdiates, ces vrits sont ncessairement indmontrables.) Telle est donc notre doctrine ; et nous disons, en outre, qu'en dehors de la connaissance scientifique, il existe encore un principe de science qui nous rend capable de connatre les dfinitions.

    25 Et qu'il soit impossible que la dmonstration au sens absolu soit circulaire, c'est vident, puisque la dmonstration doit partir de principes antrieurs la conclusion et plus connus qu'elle. Car il est impossible que les mmes choses soient, par rapport aux mmes choses, en mme temps antrieures et postrieures, moins que l'on ne prenne ces termes d'une autre faon, et que l'on ne dise que les unes sont antrieures et plus claires pour nous, et les autres antrieures et plus claires absolument, et c'est prcisment de cette autre faon que l'induction 30 engendre le savoir. Mais, dans ce cas, notre dfinition du savoir proprement dit ne serait pas exacte, et ce savoir serait, en ralit, de deux sortes. Ne faut-il pas penser plutt que l'autre forme de

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  • dmonstration, celle qui part de vrits plus connues pour nous, n'est pas la dmonstration au sens propre ?

    Les partisans de la dmonstration circulaire non seulement se trouvent engags dans la difficult dont nous venons de parler, mais encore leur raisonnement revient dire qu'une chose existe si elle existe, ce qui est 35 un moyen facile de tout prouver. On peut montrer que c'est bien l ce qui arrive, en prenant trois termes ; car peu importe que le cercle soit constitu par un grand nombre ou par un petit nombre de termes, qu'il y en ait quelques-uns seulement ou mme deux. Quand, en effet, l'existence de A entrane ncessairement celle de B, et celle de B celle de , il en rsulte que l'existence de A entranera celle de . Si donc l'existence de A entrane ncessairement celle de B, et l'existence de B celle de A, (c'est l en 73a quoi consiste la preuve circulaire), A peut tre mis la place de . Donc, dire que si B est, A est, c'est dire que si B est, est, ce qui donne la conclusion que si A est, est. Mais est identique A. Par consquent, ceux qui soutiennent que la dmonstration est circulaire se trouvent ne rien dire d'autre 5 que si A est, A est, moyen facile de tout prouver.

    En outre, une pareille dmonstration n'est mme possible que dans le cas des choses qui sont mutuellement consquences les unes des autres, comme les attributs propres.

    Nous avons prouv enfin9 que si on se contente de poser une seule chose, jamais une autre chose n'en dcoule ncessairement (par une seule chose, je veux dire qu'on pose soit un seul terme, soit une seule 10 thse), mais que deux thses constituent le point de dpart premier et minimum rendant possible toute conclusion, puisque c'est aussi une condition du syllogisme. Si donc A est le consquent de B et de , et si ces deux derniers termes sont le consquent rciproque l'un de l'autre et aussi de A, il est possible, dans ces cas, de prouver l'une par l'autre, dans la premire figure, toutes les propositions demandes, ainsi que nous l'avons prouv dans nos traits 15 du Syllogisme. Mais nous avons dmontr aussi10 que, dans les autres figures, ou bien on ne peut pas obtenir de syllogisme circulaire, ou bien la conclusion du syllogisme ne se rapporte pas aux prmisses poses. Or les propositions dont les termes ne s'affirment pas mutuellement l'un de l'autre ne peuvent jamais tre l'objet d'une dmonstration circulaire. De sorte que, puisque des propositions de ce genre sont en petit nombre dans les dmonstrations, il est vident qu'il est vain et impossible de soutenir que la dmonstration est rciproque et que, pour cette 20 raison, tout peut-tre dmontr.

    4 (73a - 74a) < Dfinition du de omni, du per se et de l'universel >

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    9 Premiers Analytiques, I, 25. (...)10 Premiers Analytiques, II, 5-7.

  • Puisqu'il est impossible que soit autre qu'il n'est l'objet de la science prise au sens absolu, ce qui est connu par la science dmonstrative sera ncessaire ; mais la science dmonstrative est celle que nous avons par le fait mme que nous sommes en possession de la dmonstration : par consquent, la dmonstration est un syllogisme constitu partir de prmisses ncessaires. Il faut, par suite, rechercher quelles sont les prmisses de la dmonstration, et 25 quelle est leur nature. Pour commencer, dfinissons ce que nous voulons dire par attribu tout le sujet, par soi et universellement.

    Par affirm de la totalit du sujet, j'entends ce qui n'est ni attribu quelque cas de ce sujet l'exclusion de quelque autre, ni attribu un certain moment l'exclusion de tel autre : par exemple, si 30 animal est dit de tout homme, et s'il est vrai de dire que ceci est un homme, il est vrai de dire aussi que c'est un animal ; et si la premire proposition est vraie maintenant, l'autre l'est aussi au mme moment. Et si le point est attribu toute ligne, il en est de mme. Et la preuve de ce que nous venons de dire, c'est que les objections que nous levons, quand nous sommes interrogs sur le point de savoir si une attribution est vraie de la totalit du sujet, portent sur ce que, dans tel cas ou tel moment, cette attribution n'a pas lieu.

    Sont par soi, en premier lieu les attributs qui appartiennent l'essence du sujet : c'est ainsi qu'au 35 triangle appartient la ligne, et la ligne le point (car la substance [] du triangle et de la ligne est compose de ces lments, lesquels entrent dans la dfinition exprimant l'essence de la chose). En second lieu, ce sont les attributs contenus dans des sujets qui sont eux-mmes compris dans la dfinition exprimant la nature de ces attributs : c'est ainsi que le rectiligne et le rond appartiennent la ligne, 40 le pair et l'impair, le premier et le compos, le carr 73b et l'oblong au nombre ; et pour tous ces attributs, la dfinition qui exprime leur nature contient le sujet, savoir tantt la ligne et tantt le nombre. De mme, pour tous les autres attributs, ceux qui appartiennent comme nous l'avons indiqu leurs sujets respectifs, je les appelle attributs par soi ; par contre, ceux qui n'appartiennent leur sujet d'aucune des deux faons, je les appelle accidents : par exemple, musicien ou blanc pour l'animal.

    5 En outre, est par soi ce qui n'est pas dit de quelque autre sujet : par exemple, pour le marchant, c'est quelque autre chose qui est marchant (ou blanc) ; la substance, au contraire, autrement dit tout ce qui signifie telle chose dtermine [ ], n'est pas quelque chose d'autre que ce qu'elle est elle-mme. Ainsi, les attributs qui ne sont pas affirms d'un sujet je les appelle attributs par soi, et ceux qui sont affirms d'un sujet, accidents.

    10 En un autre sens encore, une chose qui appartient par elle-mme une chose est dite par soi, et une chose qui n'appartient pas par elle-mme une chose, accident. Par exemple, tandis qu'on marche, il se met faire un clair : c'est l un accident, car ce n'est pas le fait de marcher qui a caus l'clair, mais

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  • c'est, disons-nous, une rencontre accidentelle. Si, par contre, c'est par elle-mme qu'une chose appartient une chose, on dit que l'attribut est par soi : c'est le cas, par exemple, si un animal meurt gorg, du fait de l'gorgement ; c'est parce qu'il a t gorg 15 qu'il est mort, et il n'y a pas seulement relation accidentelle entre l'gorgement et la mort.

    Ainsi donc, en ce qui concerne les objets de la science prise au sens propre, les attributs qui sont dits par soi, ou bien au sens que leurs sujets sont contenus en eux, ou bien au sens qu'ils sont contenus dans leurs sujets, sont la fois par soi et ncessairement. En effet, il ne leur est pas possible de ne pas appartenir leurs sujets, soit au sens absolu, soit la faon des opposs comme quand on dit qu' 20 la ligne doit appartenir le rectiligne ou le courbe, et au nombre l'impair ou le pair. La raison en est que le contraire est ou bien une privation, ou bien une contradiction dans le mme genre : par exemple dans les nombres, le pair est le non-impair, en tant que l'un rsulte ncessairement de l'autre. Par consquent, s'il est ncessaire ou d'affirmer ou de nier un prdicat d'un sujet, les attributs par soi doivent aussi ncessairement appartenir leurs sujets.

    25 Telle est donc la distinction tablir entre l'attribut affirm de tout sujet et l'attribut par soi.

    J'appelle universel l'attribut qui appartient tout sujet, par soi, et en tant que lui-mme. Il en rsulte clairement que tous les attributs universels appartiennent ncessairement leurs sujets. Le par soi et le en tant que soi sont, au surplus, une seule et mme chose : par exemple, c'est la ligne par soi qu'appartiennent le point, ainsi que le rectiligne, 30 car ils lui appartiennent en tant que ligne ; et le triangle en tant que triangle a deux angles droits, car le triangle est par soi gal deux angles droits.

    L'attribut appartient universellement au sujet, quand on peut montrer qu'il appartient un sujet quelconque et premier. Par exemple, le fait d'avoir des angles gaux deux droits n'est pas pour la figure un attribut universel. Car, bien qu'il soit possible de prouver qu'une figure a ses angles gaux deux 35 droits, on ne peut cependant pas le prouver d'une figure quelconque, pas plus qu'on ne se sert de n'importe quelle figure dans la dmonstration : en effet, un carr est bien une figure, et pourtant ses angles ne sont pas gaux deux droits. D'autre part, un triangle isocle quelconque a ses angles gaux deux droits, mais le triangle isocle n'est cependant pas le sujet premier : c'est le triangle qui est antrieur. Ce qui donc, pris comme sujet 40 quelconque et premier, est dmontr avoir ses angles gaux deux droits, ou possder n'importe quel autre attribut, c'est ce quoi, pris comme sujet 74a premier, l'attribut appartient universellement, et la dmonstration au sens propre consiste prouver qu'il appartient universellement ce sujet ; par contre, prouver que cet attribut appartient d'autres sujets, c'est l une dmonstration dans un certain sens seulement et non, au sens propre. Pas davantage, l'galit des angles deux

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  • droits n'est un attribut universel de l'isocle : en fait, elle s'applique un genre plus tendu.

    5 (74a - 74b) < Des erreurs dans l'universalit de la Dmonstration >

    Nous ne devons pas perdre de vue que souvent il nous arrive de nous tromper, et que la conclusion 5 dmontre n'est pas en fait premire et universelle, au sens o nous croyons la dmontrer premire et universelle. On commet cette erreur : d'abord quand on ne peut apprhender aucune notion plus leve en dehors du ou des sujets particuliers ; en second lieu, quand on en peut concevoir une, mais qu'elle n'a pas de nom, dans le cas de choses diffrentes par l'espce ; quand, enfin, ce qui est en ralit une partie du tout est pris, dans la dmonstration, pour 10 le tout, car alors, pour les cas particuliers compris dans cette partie il y aura dmonstration, et elle s'appliquera tous les sujets, mais cependant le sujet premier et universel ne sera pas dmontr. Je dis que la dmonstration est vraie du sujet premier en tant que tel, quand elle est vraie d'un sujet premier et universel. Si, par exemple, on dmontrait que les droites ne se rencontrent pas < parce que les angles forms par une scante perpendiculaire sont des angles droits >, on pourrait supposer que c'est l le sujet propre de la dmonstration, parce qu'elle 15 vaut pour toutes les droites. Mais il n'en est pas ainsi, s'il est vrai que leur paralllisme dpend non pas de l'galit des angles deux droits conue d'une certaine faon, mais de cette galit conue d'une faon quelconque. Et si, d'autre part, il n'existait pas d'autre triangle que le triangle isocle, c'est en tant qu'isocle qu'il semblerait avoir ses angles gaux deux droits. Enfin, la convertibilit des proportions tait dmontre sparment des nombres, des lignes, des figures et des temps, quoiqu'il ft possible de la prouver de toutes ces notions au moyen 20 d'une dmonstration unique. Mais par le fait qu'il n'y avait pas de nom unique pour dsigner ce en quoi toutes ces notions, savoir les nombres, les longueurs, les temps et les solides, sont une seule et mme chose, et parce qu'elles diffrent spcifiquement les unes des autres, cette proprit tait prouve pour chacune sparment. Mais prsent, la preuve est universelle, car ce n'est pas en tant que lignes ou que nombres que ces notions possdent l'attribut en question, mais en tant que manifestant le caractre qu'elles sont supposes possder universellement. 25 C'est pourquoi, mme si on prouve de chaque espce de triangle, soit par une dmonstration unique, soit par des dmonstrations diffrentes, que chacune a ses angles gaux deux droits, cependant, aussi longtemps qu'on considre sparment l'quilatral, le scalne et l'isocle, on ne connat pas encore que le triangle a ses angles gaux deux droits, sinon d'une faon sophistique, ni que le triangle possde cette proprit universellement, mme s'il n'existe en dehors de ces espces aucune 30 autre espce de triangle. On ne sait pas, en effet, que le triangle en tant que tel a cette proprit, ni mme que tout triangle la possde, moins d'entendre par l une simple totalit numrique. Mais dmontrer selon

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  • la forme n'est pas dmontrer de tous les triangles, mme si en fait il n'y en a aucun qui ne soit connu.

    Quand donc notre connaissance n'est-elle pas universelle, et quand est-elle absolue ? Il est vident que notre connaissance est absolue dans le cas o il y a identit d'essence du triangle avec l'quilatral, autrement dit avec chaque triangle quilatral ou avec tous. Si, par contre, il n'y a pas identit, mais diversit d'essence, et si l'attribut appartient l'quilatral en tant que triangle, notre connaissance manque 35 alors d'universalit. Mais < demandera-t-on >, cette attribution a-t-elle lieu pour le sujet en tant que triangle ou en tant qu'isocle ? Et quand le sujet de l'attribution est-il premier ? quel sujet, enfin, l'attribut peut-il tre dmontr appartenir universellement ? C'est videmment le premier terme auquel, par limination, se rattache l'attribution. Par exemple, les angles d'un triangle isocle d'airain sont gaux deux angles droits, mais une fois l'airain et l'isocle limins, l'attribut demeure. Mais, < peut-on objecter >, si on limine la figure ou la limite, 74b l'attribut s'vanouit aussi ? Certes, mais figure et limite ne sont pas des sujets premiers. Quel est donc le sujet premier ? Si c'est un triangle, c'est seulement en raison du triangle que l'attribut appartient aussi aux autres sujets, et le triangle est le sujet auquel l'attribut peut tre dmontr appartenir universellement.

    6 (74b - 75a) < Du caractre ncessaire et essentiel des prmisses de la Dmonstration >

    5 Si la science dmonstrative part de principes ncessaires (puisque l'objet de la science ne peut tre autre qu'il n'est) et si les attributs essentiels appartiennent ncessairement aux choses (car les uns appartiennent l'essence de leurs sujets, et les autres contiennent leurs sujets titre d'lments dans leur propre nature, et, pour ces derniers attributs, l'un ou l'autre des opposs appartient ncessairement au sujet), il est clair que c'est partir de certaines prmisses de ce genre que sera constitu le syllogisme dmonstratif : en effet, tout attribut, ou bien 10 appartient de cette faon son sujet, ou bien est accidentel ; mais les accidents ne sont pas ncessaires.

    C'est donc ainsi qu'il faut s'exprimer ; on peut encore poser en principe que la dmonstration a pour objet une conclusion ncessaire et qu'une conclusion dmontre ne peut tre autre qu'elle n'est, avec 15 cette consquence que le syllogisme doit partir de prmisses ncessaires. En effet, bien que de prmisses vraies il soit possible de tirer une conclusion sans dmontrer, pourtant si l'on part de prmisses ncessaires il n'est pas possible d'en tirer une conclusion qui ne soit pas une dmonstration : c'est dj l un caractre de la dmonstration. La preuve que la dmonstration procde de prmisses ncessaires rsulte aussi du fait que les objections que nous soulevons contre ceux qui croient nous apporter une dmonstration consistent contester 20 la ncessit de l'une des

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  • prmisses, soit que nous pensions que rellement elle peut tre autre qu'elle n'est, soit qu'on le dise seulement pour les besoins de la discussion. Cela montre bien quel point sont nafs ceux qui s'imaginent qu'il suffit de prendre pour principes des propositions simplement probables et mme vraies : tel est le cas de la proposition sophistique suivant laquelle savoir c'est avoir la science11. En effet, le probable ou le non-probable n'est pas principe : peut seulement l'tre ce qui est 25 premier dans le genre que la dmonstration a pour objet ; de plus, une proposition vraie n'est pas toujours approprie.

    Qu'on doive partir de prmisses ncessaires pour constituer le syllogisme, en voici encore une preuve. Si, l o il y a dmonstration possible, on ne possde pas la raison pourquoi la chose est, on n'a pas la connaissance scientifique. Admettons donc que A appartient ncessairement , mais que B, le moyen terme par lequel la dmonstration a lieu, ne soit 30 pas ncessaire : dans ces conditions, on ne connat pas le pourquoi. La conclusion, en effet, ne doit pas sa ncessit au moyen terme, puisque le moyen terme peut ne pas tre, alors que la conclusion est ncessaire. De plus, si on ne connat pas prsentement une chose, tout en retenant la marche de l'argument, en continuant soi-mme d'exister ainsi que la chose, et en n'ayant rien oubli, c'est qu'on ne connaissait pas non plus la chose auparavant. Or le moyen terme peut avoir pri dans l'intervalle, puisqu'il 35 n'est pas ncessaire. Il en rsulte que, tout en retenant l'argument et en continuant soi-mme d'exister en mme temps que la chose, on ne la connat pas, et par suite on ne la connaissait pas non plus auparavant. Et mme si le moyen n'a pas pri, mais est seulement susceptible de prir, cette consquence sera possible et pourra se produire. Mais il est impossible que, dans une situation de ce genre, on possde le savoir.

    75a Quand donc la conclusion est ncessaire, rien n'empche que le moyen, raison de la dmonstration, ne soit pas ncessaire, car il est possible de conclure le ncessaire, mme du non-ncessaire, comme le vrai peut dcouler du non-vrai. D'autre part, quand le moyen est ncessaire, la conclusion aussi est ncessaire, 5 de la mme faon que des prmisses vraies donnent toujours une conclusion vraie. Ainsi, si A est dit ncessairement de B, et B de , il est alors ncessaire que A appartienne . Mais quand la conclusion n'est pas ncessaire, il n'est pas possible non plus que le moyen soit ncessaire. Admettons, en effet, que A n'appartient pas ncessairement , 10 alors que A appartient ncessairement B, et B ncessairement : par suite, A appartiendra ncessairement , ce qui, par hypothse, n'est pas.

    Puis donc que la science dmonstrative doit aboutir une conclusion ncessaire, il faut videmment aussi que la dmonstration se fasse par un moyen terme ncessaire. Autrement, on ne connatra ni pourquoi la conclusion est ncessaire, ni mme qu'elle l'est. Mais ou bien on croira seulement avoir la

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    11 Cf. Euthydme, 277b. (...)

  • connaissance de la ncessit de la conclusion, tout en 15 ne la connaissant pas, quand on supposera comme ncessaire le non-ncessaire, ou bien on ne croira mme pas avoir cette connaissance, soit, indiffremment, qu'on sache simplement que la chose est vraie, par des propositions mdiates, ou mme qu'on sache le pourquoi, par des propositions immdiates.

    Pour ceux des accidents qui ne sont pas par soi, au sens o nous avons dfini les attributs par soi, il n'y a pas de science dmonstrative. On ne peut pas, 20 en effet, dmontrer la ncessit de la conclusion, puisque l'accident, au sens o je parle ici de l'accident, peut ne pas appartenir au sujet. Pourtant on pourrait peut-tre soulever la question de savoir pourquoi il faut demander l'adversaire d'accorder, dans la discussion dialectique, des propositions non-ncessaires, si la conclusion qui en dcoule n'est pas ncessaire ? Le rsultat ne serait pas diffrent, en effet, si, demandant l'adversaire d'accorder des propositions prises au hasard, on en tirait 25 ensuite la conclusion. En ralit, il faut demander l'adversaire de concder des propositions, non pas parce que la conclusion est ncessaire en vertu des propositions demandes, mais parce qu'il est ncessaire que, concdant ces propositions, on admette aussi la conclusion et qu'on conclue la vrit si elles sont elles-mmes vraies.

    Mais puisque sont ncessaires, dans chaque genre, les attributs qui appartiennent essentiellement leurs 30 sujets respectifs en tant que tels, il est clair que les dmonstrations scientifiques ont pour objet des conclusions essentielles et se font partir de prmisses elles-mmes essentielles. Les accidents, en effet, ne sont pas ncessaires, de sorte qu'on ne connat pas ncessairement une conclusion par sa cause, mme avec des propositions toujours vraies, si elles ne sont pas par soi : c'est ce qui se passe dans les syllogismes par signes. En effet, dans ce cas, ce qui est en ralit par soi on ne le connatra pas comme tant par soi, et on ne connatra pas non plus le pourquoi ; or 35 connatre le pourquoi, c'est connatre par la cause. Il faut donc que, par soi, le moyen terme appartienne au troisime, et le premier au moyen.

    7 (75a - 75b) < De l'incommunicabilit des genres >

    On ne peut donc pas, dans la dmonstration, passer d'un genre un autre : on ne peut pas, par exemple, prouver une proposition gomtrique par l'Arithmtique. Il y a, en effet, trois lments dans la dmonstration : 40 en premier lieu, ce que l'on prouve, savoir la conclusion, c'est--dire un attribut appartenant par soi un certain genre ; en second lieu, les axiomes, et les axiomes d'aprs lesquels s'enchane la dmonstration ; en troisime lieu, le genre, le sujet dont 75b la dmonstration fait apparatre les proprits et les attributs essentiels. Les axiomes, l'aide desquels a lieu la dmonstration, peuvent tre les mmes. Mais dans le cas de genres diffrents, comme pour l'Arithmtique et la Gomtrie, on ne peut pas appliquer la dmonstration

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  • arithmtique aux proprits des grandeurs, 5 moins de supposer que les grandeurs ne soient des nombres. Quant savoir comment le passage est possible dans certains cas, nous le dirons ultrieurement12.

    La dmonstration arithmtique a toujours le genre au sujet duquel a lieu la dmonstration ; et, pour les autres sciences, il en est de mme. Il en rsulte que le genre doit ncessairement tre le mme, soit d'une faon absolue, soit tout au moins d'une certaine faon, si la dmonstration doit se transporter d'une science une autre. Qu'autrement le passage soit impossible, 10 c'est l une chose vidente, puisque c'est du mme genre que doivent ncessairement provenir les extrmes et les moyens termes : car s'ils ne sont pas par soi, ce seront des accidents. C'est pourquoi on ne peut pas prouver par la Gomtrie que la science des contraires est une, ni mme que deux cubes font un cube. On ne peut pas non plus dmontrer un thorme d'une science quelconque par le moyen d'une autre science, moins que ces thormes ne soient l'un 15 par rapport l'autre comme l'infrieur au suprieur, par exemple les thormes de l'Optique par rapport la Gomtrie, et ceux de l'Harmonique par rapport l'Arithmtique. La Gomtrie ne peut pas non plus prouver des lignes quelque proprit qui ne leur appartienne pas en tant que lignes, c'est--dire en vertu des principes qui leur sont propres : elle ne peut pas montrer, par exemple, que la ligne droite est la plus belle des lignes ou qu'elle est la contraire du cercle, car ces qualits n'appartiennent pas aux lignes en vertu de leur genre propre, mais en tant qu'elles constituent 20 une proprit commune avec d'autres genres.

    8 (75b) < La Dmonstration porte sur des conclusions ternelles >

    Il est clair aussi que si les prmisses dont procde le syllogisme sont universelles, la conclusion d'une telle dmonstration, c'est--dire de la dmonstration prise au sens absolu, est ncessairement aussi ternelle. Il n'y a donc pour les choses prissables, ni de dmonstration, ni de science au sens absolu, mais seulement 25 par accident13, parce que la liaison de l'attribut avec son sujet n'a pas lieu universellement, mais temporairement et d'une certaine faon. Quand une telle dmonstration a lieu, il est ncessaire qu'une des prmisses soit non-universelle et prissable (prissable, parce que c'est seulement si elle est prissable que la conclusion le sera ; non-universelle, parce que le prdicat sera attribu certains cas compris dans le sujet l'exclusion d'autres), de sorte qu'on ne pourra pas obtenir une conclusion universelle, mais seulement une conclusion exprimant une vrit momentane. 30 Il en est de mme encore des dfinitions, puisque la dfinition est, ou principe de dmonstration, ou une dmonstration diffrant par la position de ses termes, ou

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    12 Ch. 9 et 13.13 Cf. Mtaphysique, Z, 15, 1039b 28.

  • la conclusion d'une dmonstration. Mais les dmonstrations et la science des vnements qui se rptent, comme par exemple une clipse de Lune, sont videmment, en tant que telles, ternelles, mais, en tant qu'elles ne sont pas ternelles, 35 elles sont ainsi particulires. Ce que nous disons de l'clipse s'applique galement aux autres cas.

    9 (75b - 76a) < Les principes propres et indmontrables de la Dmonstration >

    Il est clair qu'une chose ne peut tre dmontre qu' partir de ses principes propres, si ce qui est prouv appartient en tant que tel au sujet ; par suite, il n'est pas possible de le connatre, mme en faisant dcouler la dmonstration de prmisses vraies, indmontrables et immdiates. C'est l, en effet, 40 une dmonstration semblable celle dont Bryson s'est servi pour la quadrature du cercle14: les raisonnements de ce genre prouvent d'aprs un caractre commun, qui pourra appartenir aussi un autre sujet, et par suite ces raisonnements s'appliquent galement 76a d'autres sujets qui n'appartiennent pas au mme genre. Aussi connat-on la chose non en tant que telle, mais par accident, sinon la dmonstration ne s'appliquerait pas aussi bien un autre genre.

    Notre connaissance d'une attribution quelconque est accidentelle, moins de connatre au moyen de ce 5 par quoi l'attribution a lieu, d'aprs les principes propres du sujet en tant que tel : c'est le cas, si nous connaissons, par exemple, la proprit de possder des angles gaux deux droits comme appartenant au sujet auquel ladite proprit est attribue par soi, et comme dcoulant des principes propres de ce sujet. Il en rsulte que si cette proprit appartient aussi par soi ce quoi elle appartient, ncessairement le moyen rentre dans le mme genre que les extrmes. Il n'en peut tre autrement que dans des cas tels que les 10 thormes de l'Harmonique, qui sont dmontrables par l'Arithmtique. De tels thormes sont prouvs de la mme faon, mais avec une diffrence : le fait dpend d'une science distincte (car le genre qui leur sert de sujet est distinct), tandis que le pourquoi dpend de la science plus leve laquelle les attributs appartiennent essentiellement. Ainsi, mme ces exceptions montrent bien qu'il n'y a dmonstration, au sens propre, d'un attribut, qu' partir de ses principes appropris ; seulement, les principes de ces 15 sciences subordonnes possdent le caractre commun exig.

    Si cela est clair, il est clair aussi que les principes propres de chaque chose ne sont pas susceptibles de dmonstration, car les principes dont ils seraient dduits seraient les principes de toutes choses, et la science de laquelle ils

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    14 Sur le problme de la quadrature du cercle, cf. Premiers Analytiques, II, 25, 69a 32 (...)

  • relveraient, la science de toutes choses par excellence15. C'est qu'en effet, on connat mieux quand on connat partir de causes plus leves ; car on connat partir de prmisses premires, 20 quand on connat partir de causes qui ne sont pas elles-mmes causes. Par suite, si on connat mieux ou mme parfaitement, une pareille connaissance sera aussi science un degr plus lev, ou mme au plus haut degr. Mais, quoiqu'il en soit, la dmonstration ne s'applique pas un autre genre, sinon, ainsi que nous l'avons indiqu, dans l'application des dmonstrations gomtriques aux thormes de la Mcanique ou de l'Optique, ou des dmonstrations 25 arithmtiques aux thormes de l'Harmonique.

    Il est difficile de reconnatre si on sait ou si on ne sait pas : c'est qu'il est difficile de savoir si nous connaissons ou non partir des principes de chaque chose, ce qui est prcisment connatre. Nous croyons que possder un syllogisme constitu de certaines prmisses vraies et premires, c'est l avoir la science. Or il n'en est rien : ce qu'il faut, c'est que la conclusion 30 soit du mme genre que les prmisses.

    10 (76a - 77a) < Les diffrents principes >

    J'entends par principes dans chaque genre, ces vrits dont l'existence est impossible dmontrer. La signification du nom est simplement pose, aussi bien pour les vrits premires que pour les attributs qui en drivent. Quant l'existence, s'il s'agit de principes, il faut ncessairement la poser ; mais s'il s'agit du reste, il faut la dmontrer. Par exemple, nous posons indiffremment la signification de l'unit, 35 du droit et du triangle ; mais, alors qu'on pose aussi l'existence de l'unit et de la grandeur, pour le reste, on doit la dmontrer.

    Parmi les principes dont on se sert dans les sciences dmonstratives, les uns sont propres chaque science, et les autres communs : mais c'est une communaut d'analogie16, tant donn que leur usage est limit au genre tombant sous la science en question. Sont des 40 principes propres, par exemple les dfinitions de la ligne et du droit ; les principes communs sont des propositions telles que : si, de choses gales, on te des choses gales, les restes sont gaux. Mais l'application de chacun de ces principes communs est limite au genre dont il s'agit, car il aura la mme valeur, mme 76b s'il n'est pas employ dans sa gnralit, mais appliqu, en Gomtrie par exemple, aux grandeurs seulement, ou, en Arithmtique, aux nombres seulement. Sont propres encore une science, les sujets dont elle pose aussi l'existence et dont elle considre les attributs essentiels : tels sont les units 5 en Arithmtique, et, en Gomtrie, les points et les lignes. En effet, ces sujets sont poss la fois

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    15 Cf. Mtaphysique, A, 2, 982a 22 ; B, 2 et 3 ; , 1, 1003a 21. (...)16 Cf. 7, 75b 2 (...)

  • dans leur existence et dans leur signification, tandis que pour leurs attributs essentiels, c'est seulement la signification de chacun d'eux qui se trouve pose. Par exemple, l'Arithmtique pose la signification de pair et d'impair, de carr et de cube, et la Gomtrie celle d'irrationnel, ou de ligne brise ou oblique ; 10 par contre, l'existence de ces notions est dmontre, tant l'aide des axiomes communs qu' partir des conclusions antrieurement dmontres. L'Astronomie procde aussi de la mme faon. C'est qu'en effet, toute science dmonstrative tourne autour de trois lments : ce dont elle pose l'existence (c'est--dire le genre dont elle considre les proprits essentielles) ; les principes communs, appels axiomes, vrits premires d'aprs lesquelles s'enchane la dmonstration ; 15 et, en troisime lieu, les proprits, dont la science pose, pour chacune, la signification. Cependant, quelques sciences peuvent, sans inconvnient, ngliger certains de ces lments : par exemple, telle science peut se dispenser de poser l'existence du genre, si cette existence est manifeste (c'est ainsi que l'existence du nombre n'est pas aussi vidente que celle du froid et du chaud) ; on peut encore ne pas poser la signification des proprits quand elles 20 sont claires. De mme, pas n'est besoin de poser la signification d'axiomes communs tels que : si de choses gales on soustrait des choses gales, les restes sont gaux, attendu que c'est l un principe bien connu. Mais il n'est pas moins vrai que, par nature, les lments de la dmonstration sont bien au nombre de trois : le sujet de la dmonstration, les proprits qu'on dmontre, et les principes dont on part.

    N'est ni une hypothse, ni un postulat, ce qui est ncessairement par soi et qu'on doit ncessairement croire. < Je dis : qu'on doit ncessairement croire >, 25 parce que la dmonstration, pas plus que le syllogisme, ne s'adresse au discours extrieur, mais au discours intrieur de l'me. On peut, en effet, toujours trouver des objections au discours extrieur, tandis qu'au discours intrieur on ne le peut pas toujours. Ce qui, tout en tant dmontrable, est pos par le matre sans dmonstration, c'est l, si on l'admet avec l'assentiment de l'lve, une hypothse, bien que ce ne soit pas une hypothse au sens absolu, mais une hypothse relative seulement l'lve. 30 Si l'lve n'a aucune opinion, ou s'il a une opinion contraire, cette mme supposition est alors un postulat. Et de l vient la diffrence entre l'hypothse et le postulat : le postulat est ce qui est contraire l'opinion de l'lve, dmontrable, mais pos et utilis sans dmonstration.

    35 Les dfinitions ne sont pas des hypothses (car elles ne prononcent rien sur l'existence ou la non-existence) ; mais c'est dans les prmisses que rentrent les hypothses. Les dfinitions requirent seulement d'tre comprises, et cela n'est certes pas le fait de l'hypothse, moins de prtendre que tout ce qu'on entend ne soit aussi une hypothse. Il y a hypothse, au contraire, quand certaines choses tant poses, du seul fait que ces choses sont poses la conclusion suit. Pas davantage il ne faut admettre que le gomtre pose des

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  • hypothses fausses, ainsi que 40 l'ont soutenu certains, qui prtendent que, bien qu'on ne doive pas employer le faux, le gomtre s'en sert cependant quand il affirme que la ligne trace est d'un pied de long, ou est droite, alors qu'elle n'est ni d'un pied de long, ni droite. En ralit, le gomtre 77a ne tire aucune conclusion du fait de la ligne particulire dont il parle, mais seulement des notions que ses figures expriment. En outre, toute hypothse, comme tout postulat, est ou universelle ou particulire, tandis que les dfinitions ne sont ni l'une ni l'autre.

    11 (77a) < Les axiomes >

    5 Ainsi il n'est pas ncessaire d'admettre l'existence des Ides, ou d'une Unit spare de la Multiplicit, pour rendre possible la dmonstration. Ce qui est cependant ncessaire, c'est qu'un mme attribut puisse tre affirm de plusieurs sujets : sans cela, il n'y aurait pas, en effet, d'universel. Or s'il n'y a pas d'universel, il n'y aura pas de moyen, ni, par suite, de dmonstration. Il faut donc qu'il y ait quelque chose d'un et d'identique qui soit affirm de la multiplicit des individus, d'une manire non-quivoque.

    10 Le principe, suivant lequel il est impossible d'affirmer et de nier en mme temps un prdicat d'un sujet17, n'est pos par aucune dmonstration, moins qu'il ne faille dmontrer aussi la conclusion sous cette mme forme. Dans ce cas, la dmonstration prend comme prmisse qu'il est vrai d'affirmer le majeur du moyen, et non vrai de le nier. Mais il est sans intrt de poser la fois, pour le moyen, l'affirmation et la ngation ; et il en est de mme encore pour le 15 troisime terme. En effet, si on a admis un terme dont il est vrai d'affirmer homme, mme s'il est vrai aussi d'en affirmer non-homme, pourvu seulement qu'on accorde que l'homme est animal et non non-animal il sera toujours vrai de dire que Callias, mme s'il est vrai de le dire de Non-Callias, n'en est pas moins animal et non non-animal. La raison en est que le majeur est affirm, non seulement du moyen, mais encore d'une autre chose, par le fait qu'il s'applique 20 un plus grand nombre d'individus : il en rsulte que, mme si le moyen est la fois lui-mme et ce qui n'est pas lui-mme, cela n'importe en rien pour la conclusion.

    Le principe suivant lequel, pour tout prdicat, c'est l'affirmation ou la ngation qui est vraie, est pos par la dmonstration qui procde par rduction l'absurde, et encore n'est-il pas toujours employ universellement, mais seulement en tant que de besoin, c'est--dire dans la limite du genre en question. Par genre en question, j'entends le genre auquel 25 s'applique la dmonstration, ainsi que je l'ai indiqu plus haut.

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    17 tude du principe de contradiction (Cf. Mtaphysique, , 3 et ss.) (...)

  • Toutes les sciences communiquent entre elles par les principes communs. Or j'appelle principes communs ceux qui jouent le rle de base dans la dmonstration, et non pas les sujets sur lesquels porte la dmonstration, ni les attributs dmontrs. Et, de son ct, la Dialectique communique avec toutes les sciences, ainsi que fera toute science qui tenterait de dmontrer d'une faon gnrale des principes tels que : 30 pour toute chose, l'affirmation ou la ngation est vraie, ou : si de choses gales sont tes des choses gales..., et autres axiomes de ce genre. Mais la Dialectique n'a pas pour objet des choses dtermines de cette faon, attendu qu'elle n'est pas borne un seul genre. Autrement, elle ne procderait pas par interrogations. En effet, dans la dmonstration, il n'est pas possible d'interroger, du fait qu'on ne peut pas prouver une mme conclusion par le moyen de donnes opposes. Je l'ai dmontr dans mon trait 35 du Syllogisme.

    12 (77a - 78a) < L'interrogation scientifique >

    Si une interrogation syllogistique est la mme chose qu'une prmisse partant sur l'un des membres d'une contradiction, et si, dans chaque science, il y a des prmisses partir desquelles le syllogisme qui lui est propre est constitu, il y aura assurment une sorte d'interrogation scientifique, et c'est celle des prmisses qui seront le point de dpart du syllogisme appropri qu'on obtient dans chaque science. 40 Il est, par suite, vident que toute interrogation ne sera pas gomtrique ni mdicale, et qu'il en sera de mme dans les autres sciences : seront seulement gomtriques les interrogations partir desquelles on 77b dmontre soit l'un des problmes qui relvent de la Gomtrie, soit les problmes qui sont dmontrs par les mmes principes que ceux de la Gomtrie, ceux de l'Optique par exemple. Il en est encore ainsi pour les autres sciences. De ces problmes le gomtre est fond rendre raison, en prenant pour bases les principes gomtriques et ses propres conclusions ; 5 par contre, en ce qui concerne les principes eux-mmes, le gomtre, en tant que gomtre, ne doit pas en rendre raison. Et cela est vrai aussi pour les autres sciences. On ne doit donc pas poser tout savant n'importe quelle interrogation, ni le savant rpondre toute interrogation, sur un sujet quelconque : il faut que les interrogations rentrent dans les limites de la science dont on s'occupe. Si donc, dans ces limites, on argumente avec un gomtre en tant que gomtre, il est clair que la discussion 10 se fait correctement lorsqu'on part des prmisses gomtriques pour dmontrer quelque problme ; dans le cas contraire, la discussion ne se fait pas correctement, et on ne peut pas videmment non plus rfuter le gomtre, si ce n'est par accident. Il en rsulte qu'avec des gens qui ne sont pas gomtres on ne peut pas discuter gomtrie, car un mauvais argument passerait inaperu. Mme remarque pour 15 les autres sciences.

    Puisqu'il y a des interrogations gomtriques, s'ensuit-il qu'il y aura aussi des interrogations non-gomtriques ? En outre, dans chaque science, d'aprs

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  • quelle sorte d'ignorance les interrogations doivent-elles tre poses, tout en demeurant propres la Gomtrie par exemple ? De plus, le syllogisme fond sur l'ignorance est-il un syllogisme constitu partir de prmisses opposes au vrai, ou bien est-ce 20 un paralogisme, mais tir de prmisses gomtriques ? Ou plutt, < la fausset de la conclusion ne provient-elle pas de ce qu'elle est tire des prmisses > d'une autre discipline ? Par exemple, l'interrogation musicale est non-gomtrique en gomtrie, tandis que la conception suivant laquelle les parallles se rencontrent est gomtrique en un sens, et non-gomtrique d'une autre faon. C'est que le terme non-gomtrique se prend en un double sens, comme d'ailleurs le terme non-rythmique : dans un cas, il signifie ce qui est non-gomtrique du fait 25 qu'il n'a rien de gomtrique, dans l'autre, ce qui est une simple erreur gomtrique. Et c'est cette dernire ignorance, c'est--dire celle qui dpend de principes de cette sorte, qui est contraire la science. Dans les Mathmatiques, le paralogisme n'est pas aussi commun, parce que c'est toujours dans le moyen terme que rside l'ambigut : le majeur, en effet, est affirm de la totalit du moyen, et ce dernier, son tour, de la totalit du mineur (le prdicat 30 n'tant lui-mme jamais affect de la note tout) ; et < dans les Mathmatiques >, on peut en quelque sorte voir ces moyens termes par l'esprit, tandis que, dans la Dialectique, l'ambigut nous chappe. Par exemple : tout cercle est-il une figure ? En le traant, on le voit clairement. Mais si on ajoute : les vers piques sont-ils des cercles ? il est manifeste qu'il n'en est rien.

    On ne doit pas faire porter une objection contre un raisonnement dont la prmisse est inductive. Puisque, 35 en effet, il n'y a aucune prmisse qui ne s'applique une pluralit de cas (autrement elle ne sera pas vraie de tous les cas, alors que le syllogisme procde de prmisses universelles), il est vident qu'il en est de mme pour l'objection : c'est qu'en effet, les prmisses et les objections sont ce point les mmes que l'objection souleve pourrait devenir une prmisse soit dmonstrative, soit dialectique.

    40 D'autre part, des arguments illogiques dans la forme peuvent quelquefois se produire, du fait qu'on prend comme moyens les consquents des deux termes extrmes18. C'est, par exemple, la preuve de 78a Caeneus que le feu crot selon une proportion gomtrique. Le feu, en effet, augmente rapidement, dit-il, et c'est l ce que fait la proportion gomtrique. Un tel raisonnement n'est pas un syllogisme ; il n'y a syllogisme que si la proportion qui crot le plus rapidement a pour consquent la proportion gomtrique, et si la proportion qui s'accrot le plus rapidement est attribuable au feu dans son mouvement.

    5 Parfois donc il n'est pas possible de constituer un syllogisme partir de prmisses de cette nature, mais parfois c'est possible, bien que cette possibilit

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    18 Cf. Premiers Analytiques, I, 27, 43b 36 (...)

  • ne se voie pas. S'il tait impossible de dmontrer le vrai en partant du faux19, la rsolution serait facile, car il y aurait ncessairement rciprocation. Admettons, en effet, que A soit, et que l'existence de A entrane telles choses que je sais exister, par exemple B : en partant de ces dernires choses, je puis 10 montrer que la premire existe. Cette rciprocation a lieu surtout dans les Mathmatiques, parce que les Mathmatiques ne prennent comme prmisses rien d'accidentel (et c'est l encore une diffrence des Mathmatiques avec les discussions dialectiques), mais bien des dfinitions.

    Les dmonstrations ne progressent pas par l'interposition de nouveaux moyens termes, mais bien par l'adjonction de nouveaux extrmes. Par exemple, 15 A est affirm de B, B de , son tour de , et ainsi de suite indfiniment. Mais le progrs se fait aussi latralement : par exemple, A peut tre prouv de et de E. Ainsi, admettons qu'un nombre, aussi bien fini qu'infini, soit dsign par A ; le nombre impair fini, par B, et quelque nombre impair particulier, par : A est alors affirm de . Ensuite, admettons 20 qu'un nombre pair fini soit dsign par , et un nombre pair particulier, par E : A est alors affirm de E.

    13 (78a - 79a) < La connaissance du fait et de la cause >

    La connaissance du fait diffre de la connaissance du pourquoi. D'abord, cette diffrence peut avoir lieu dans une mme science, et cela de

    deux faons : la premire, c'est quand le syllogisme procde par des prmisses non immdiates (car alors la cause prochaine ne 25 s'y trouve pas assume, alors que la connaissance du pourquoi est celle de la cause prochaine) ; la seconde, c'est quand le syllogisme procde bien par des prmisses immdiates, mais au lieu que ce soit par la cause, c'est par celui des deux termes rciproques qui est le plus connu : rien n'empche, en effet, que des deux prdicats rciprocables le mieux connu ne soit parfois celui qui n'est pas cause, de telle sorte que c'est par son intermdiaire qu'aura lieu la dmonstration. 30 C'est le cas, par exemple, quand on dmontre la proximit des Plantes par le fait qu'elles ne scintillent pas. Admettons que soit Plantes, B le fait de ne pas scintiller, et A le fait d'tre proche. B est affirm avec vrit de , puisque les Plantes ne scintillent pas. Mais A est aussi affirm de B, puisque ce qui ne scintille pas est proche : proposition qu'il faut prendre comme obtenue par induction, autrement dit, 35 par la sensation. Par suite, A appartient ncessairement ; ainsi se trouve dmontr que les Plantes sont proches. Ce syllogisme, en tout cas, ne porte pas sur le pourquoi, mais sur le simple fait. En effet, les Plantes ne sont pas proches parce qu'elles ne scintillent pas, mais, au contraire, elles ne scintillent pas parce qu'elles sont proches. Mais il peut se faire aussi que l'effet soit dmontr par la cause, et on aura alors la dmonstration du pourquoi. Soit, par

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    19 Cf. Premiers Analytiques, II, 2-4 (...)

  • exemple, 40 signifiant Plantes, B le fait d'tre proche, et 78b A le fait de ne pas scintiller. B appartient alors , et A, le fait de ne pas scintiller, B. Par suite, A appartient aussi , et le syllogisme porte sur le pourquoi, puisqu'on a pris pour moyen la cause prochaine. Autre exemple : c'est quand on dmontre la sphricit 5 de la Lune par les accroissements de sa lumire. Si, en effet, ce qui augmente ainsi est sphrique, et si la Lune augmente, il est clair qu'elle est sphrique. nonc de cette faon, on obtient un syllogisme portant sur le fait, mais si la position du moyen est renverse, on aura un syllogisme du pourquoi : car ce n'est pas en raison de ses accroissements que la Lune est sphrique, mais c'est parce qu'elle est sphrique 10 qu'elle prend de tels accroissements (la Lune peut tre figure par , sphrique par B, et accroissement par A). De plus, dans les cas o les moyens termes ne sont pas rciproques et o le terme plus connu est celui qui n'est pas cause, c'est le fait qui est dmontr, et non le pourquoi. C'est encore ce qui se passe dans les cas o le moyen est pos en dehors des extrmes, car, ici encore, c'est sur le fait et non sur le pourquoi que porte la dmonstration, parce que la cause prochaine n'est pas indique. 15 Par exemple : Pourquoi le mur ne respire-t-il pas ? < On rpond > : Parce que ce n'est pas un animal. Si c'tait l rellement la cause de l'absence de respiration, tre un animal devrait tre la cause de la respiration, suivant la rgle que si la ngation est cause de la non-attribution, l'affirmation est cause de l'attribution : par exemple, si le dsquilibre du chaud et du froid est cause de la mauvaise sant, 20 leur quilibre est cause de la bonne sant. Et de mme, inversement, si l'affirmation est cause de l'attribution, la ngation est cause de la non-attribution. Mais dans l'exemple que nous avons donn, cette consquence ne se produit pas, car tout animal ne respire pas. Le syllogisme qui utilise ce genre de cause se forme dans la seconde figure. Admettons, par exemple, que A signifie animal, B le fait de respirer, 25 et mur. A appartient alors tout B (car tout ce qui respire est animal), mais n'appartient nul , de sorte que B n'appartient non plus nul : ainsi le mur ne respire pas. Des causes de cette nature ressemblent aux propos hyperboliques ; autrement dit on prend le moyen beaucoup trop loin : c'est, par 30 exemple, le mot d'Anacharsis20 que, chez les Scythes, il n'y a pas de joueurs de flte parce qu'il n'y a pas de vignes.

    Telles sont donc, dans une mme science et suivant la position des moyens termes, les diffrences entre le syllogisme du fait et le syllogisme du pourquoi. Mais il y a encore une autre faon dont le fait et le pourquoi diffrent, et c'est quand chacun d'eux est 35 considr par une science diffrente. Tels sont les problmes qui sont entre eux dans un rapport tel que l'un est subordonn l'autre : c'est le cas, par exemple, des problmes d'Optique relativement la Gomtrie, de Mcanique pour la Stromtrie, d'Harmonique pour l'Arithmtique, et des donnes de l'observation pour l'Astronomie (certaines de ces sciences 40 sont presque synonymes : par exemple, l'Astronomie

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    20 Cf. Diogne Larce, I, 104. (...)

  • mathmatique et l'Astronomie nautique, l'Harmonique 79a mathmatique et l'Harmonique acoustique). Ici, en effet, la connaissance du fait relve des observateurs empiriques, et celle du pourquoi, des mathmaticiens. Car ces derniers sont en possession des dmonstrations par les causes, et souvent ne connaissent pas le simple fait, de mme qu'en s'attachant 5 la considration de l'universel on ignore souvent certains de ses cas particuliers, par dfaut d'observation21. Telles sont toutes les sciences qui, tant quelque chose de diffrent par l'essence, ne s'occupent que des formes. En effet, les Mathmatiques s'occupent seulement des formes : elles ne portent pas sur un substrat puisque, mme si les proprits gomtriques sont celles d'un certain substrat, ce n'est pas du moins en tant qu'appartenant au substrat 10 qu'elles les dmontrent. Ce que l'Optique est la Gomtrie, ainsi une autre science l'est l'Optique, savoir la thorie de l'Arc-en-ciel : la connaissance du fait relve ici du physicien, et celle du pourquoi de l'opticien pris en tant que tel d'une faon absolue, ou en tant qu'il est mathmaticien. Enfin, beaucoup de sciences qui ne sont pas subordonnes entre elles se comportent de la mme faon. C'est le cas de la Mdecine par rapport la Gomtrie, car savoir 15 que les blessures circulaires gurissent plus lentement que les autres relve du mdecin, et savoir pourquoi, du gomtre.

    14 (79a) < Supriorit de la premire figure >

    De toutes les figures, la plus scientifique est la premire. En effet, elle sert de vhicule aux dmonstrations des sciences mathmatiques, telles que l'Arithmtique, la Gomtrie et l'Optique, et, on peut presque 20 dire, de toutes les sciences qui se livrent la recherche du pourquoi : car, sinon d'une faon absolue, du moins la plupart du temps et dans la majorit des cas, c'est par cette figure que procde le syllogisme du pourquoi. Il en rsulte que, pour ce motif encore, la premire figure est la plus scientifique, puisque le caractre le plus propre de la science c'est de considrer le pourquoi. Autre preuve : la connaissance de l'essence ne peut tre poursuivie que par 25 cette seule figure. Dans la seconde figure, en effet, on n'obtient pas de syllogisme affirmatif, alors que la connaissance de l'essence relve de l'affirmation ; dans la troisime, il y a bien syllogisme affirmatif, mais non universel, alors que l'essence est au nombre des universels, car ce n'est pas en un certain sens seulement que l'homme est animal bipde. Dernire raison : la premire figure n'a en rien besoin des autres, 30 tandis que c'est par elle que les autres figures ont leurs intervalles remplis et se dveloppent jusqu' ce qu'on soit parvenu aux prmisses immdiates. Il est donc clair que la figure la plus propre la science est la premire figure.

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    21 Cf. Premiers Analytiques, II, 21, 67a 9 - 67b 11.

  • 15 (79a - 79b) < Les propositions ngatives immdiates >

    De mme que A peut, avons-nous dit, tre affirm immdiatement de B, de mme il peut aussi, de cette faon, en tre ni. Je dis que l'attribution ou la non-attribution se fait immdiatement, quand il n'y 35 a entre les termes aucun moyen, car, dans ce cas, ce n'est plus suivant quelque chose d'autre que se fera l'attribution ou la non-attribution. Par suite, si ou A ou B, ou mme A et B pris ensemble, sont contenus dans un tout, il n'est pas possible que la non-attribution de A B soit immdiate. Admettons, en effet, que A soit contenu dans un tout, . Alors si B n'est pas dans le tout, dans (car il peut 40 se faire que A soit dans un tout qui ne contienne pas lui-mme B), il y aura un syllogisme concluant que A n'appartient pas B : si, en effet, appartient 79b tout A, et n'appartient nul B, A n'appartient nul B. De mme encore, si B est contenu dans un tout, qu'on peut appeler : si, en effet, appartient tout B, et si A n'appartient nul , il en rsulte par syllogisme que A n'appartiendra nul B. La dmonstration se fera encore de la mme faon si les deux termes sont contenus aussi bien 5 l'un que l'autre dans un tout. Que, du reste, B puisse ne pas tre contenu dans le tout qui contient A, et qu'inversement A puisse ne pas tre contenu dans le tout qui contient B, cela rsulte clairement des sries d'attributions qui ne se confondent pas entre elles. En effet, si aucun des termes de la srie A n'est attribu aucun des termes de la srie BEZ, et si A est contenu dans le tout , terme 10 de la mme srie que lui, il est clair que B ne sera pas dans , sinon les sries se confondraient. De mme encore si B est contenu dans un tout.

    Par contre, si aucun des deux termes n'est dans un tout et que A n'appartienne pas B, cette non-attribution sera ncessairement immdiate. S'il y a entre eux un moyen terme, l'un ou l'autre sera ncessairement contenu dans un tout, car le syllogisme 15 se formera soit dans la premire, soit dans la seconde figure. Si c'est dans la premire figure, B sera dans un tout (car la prmisse qui se rapporte B doit tre affirmative) ; si c'est dans la seconde, ce sera indiffremment n'importe lequel des termes qui sera dans un tout, puisqu'on obtient un syllogisme, que la prmisse ngative se rapporte l'un ou l'autre ; mais si les deux prmisses sont toutes deux 20 ngatives, il n'y aura pas de syllogisme.

    On voit ainsi qu'il est possible qu'un terme puisse tre ni immdiatement d'un autre, et nous venons d'indiquer quand et comment cela tait possible.

    16 (79b - 80b) < L'erreur et l'ignorance de prmisses immdiates >

    L'ignorance, entendue non pas comme une ngation du savoir mais comme une disposition de l'esprit, est une erreur produite par un syllogisme.

    25 Elle a lieu d'abord dans les attributions ou les non-attributions immdiates, et elle se prsente alors sous un double aspect : elle surgit, en effet,

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  • ou bien quand on croit directement une attribution ou une non-attribution, ou bien quand c'est par un syllogisme qu'on acquiert cette croyance. Mais l'erreur ne d'une croyance directe est simple, tandis que celle acquise par syllogisme revt des formes multiples. Ainsi, admettons que A n'appartienne nul 30 B immdiatement ; si alors on conclut que A appartient B en prenant pour moyen , ce sera une erreur produite par syllogisme. Or il peut se faire d'une part que les deux prmisses soient fausses, et il peut se faire d'autre part que l'une d'elles seulement le soit. Si, en fait, ni A n'est attribu nul B ni nul B, alors que le contraire tait assum dans chacune des propositions, les deux prmisses 35 seront l'une et l'autre fausses (il peut se faire que le rapport de A et B soit tel que ne soit ni subordonn A, ni attribu universellement B. Car, d'une part, B ne peut pas tre dans un tout, puisque A tait dit ne pas appartenir B immdiatement, et, d'autre part, A n'est pas ncessairement un attribut universel de toutes choses. Il en rsulte que les deux prmisses peuvent tre fausses l'une et l'autre). 40 Mais il peut se faire encore que l'une des prmisses soit vraie, bien que ce ne soit pas indiffremment n'importe laquelle mais seulement la prmisse 80a A ; en effet, la prmisse B sera toujours fausse, du fait que B n'est contenu dans aucun genre, tandis que la prmisse A peut tre vraie : comme si, par exemple, A appartient immdiatement et B ; quand, en effet, le mme terme est attribu immdiatement plusieurs, aucun de ces termes n'appartiendra l'autre. Peu importe, au surplus, que 5 l'attribution ne soit mme pas immdiate.

    L'erreur d'attribution se produit donc par ces raisons et de cette faon seulement (car nous avons dit22 que dans aucune autre figure que la premire il n'y avait de syllogisme d'attribution universelle). Quant l'erreur de non-attribution, elle a lieu la fois dans la premire et dans la seconde figure. Disons d'abord combien de formes elle revt dans la premire 10 figure, et de quelles faons les prmisses se comportent dans chaque cas.

    L'erreur peut se produire avec deux prmisses toutes les deux fausses : c'est le cas, par exemple, si on suppose que A appartient immdiatement et et B ; si, en effet, on prend A comme n'appartenant nul , et comme appartenant tout B, les deux prmisses seront fausses. L'erreur est encore possible quand l'une des prmisses est fausse, et cette 15 prmisse est indiffremment n'importe laquelle. En effet, il se peut que la prmisse A soit vraie, et la prmisse B fausse, la prmisse A tant vraie parce que A n'appartient pas toutes choses, et la prmisse B tant fausse parce qu'il y a impossibilit pour , auquel jamais n'appartient A, d'appartenir B : car < si la prmisse B tait vraie >, la prmisse A ne serait plus vraie, et, en mme temps, 20 si les prmisses taient toutes les deux vraies, la conclusion aussi serait vraie. Ou encore, la prmisse B peut tre vraie, l'autre prmisse tant fausse : par exemple, si B est contenu la fois dans et dans A, il est ncessaire

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    22 Premiers Analytiques, I, 1.

  • que l'un de ces deux derniers termes soit subordonn l'autre, de sorte que si on prend A comme n'appartenant nul , une telle prmisse sera fausse. On le voit donc : que ce 25 soit l'une des prmisses qui est fausse, ou toutes les deux, le syllogisme sera faux.

    Dans la seconde figure, les deux prmisses ne peuvent pas tre l'une et l'autre totalement fausses. Quand, en effet, A appartient tout B, on ne pourra prendre aucun moyen terme qui soit affirm universellement d'un extrme et ni universellement de l'autre : or il faut prendre les prmisses de telle faon que le moyen soit affirm d'un extrme et ni de 30 l'autre, si l'on veut qu'il y ait syllogisme. Si donc, prises ainsi, les prmisses sont totalement fausses, il est vident qu'inversement leurs contraires seront totalement vraies. Mais c'est l une impossibilit. Par contre, rien n'empche que chacune des prmisses soit partiellement fausse. Soit appartenant rellement quelque A et quelque B : si on prend A 35 comme appartenant tout A et comme n'appartenant nul B, les deux prmisses seront fausses, non pourtant en totalit, mais en partie seulement. Et si on renverse la position de la ngative, il en sera de mme. Il peut encore se faire que l'une des prmisses soit totalement fausse, n'importe laquelle. Ainsi, admettons que, en fait, ce qui appartient tout A appartiendra aussi tout B : alors, si on 40 prend comme appartenant la totalit de A et 80b comme n'appartenant aucun B, la prmisse A sera vraie, mais la prmisse B fausse. De plus, ce qui, en fait, n'appartient nul B n'appartiendra pas non plus tout A, car s'il appartenait tout A il appartiendrait aussi tout B ; or nous avons suppos qu'il ne lui appartient pas. Si donc, on prend nanmoins comme appartenant la totalit de A, et 5 comme n'appartenant nul B, la prmisse B est vraie, mais l'autre est fausse. De mme encore, si la ngative est transpose. Car ce qui en fait n'appartient aucun A n'appartiendra non plus nul B. Si donc on prend comme n'appartenant pas la totalit de A, mais comme appartenant la totalit de B, la prmisse A sera vraie et l'autre fausse. 10 Inversement, il est faux d'assumer que ce qui appartient tout B n'appartient aucun A, car ncessairement ce qui appartient tout B appartient aussi quelque A ; si donc on prend nanmoins comme appartenant tout B et comme n'appartenant nul A, la prmisse B sera vraie, et la prmisse A fausse.

    On voit donc que, aussi bien quand les deux prmisses 15 sont fausses que quand une seule l'est, il y aura syllogisme erron dans le cas de propositions immdiates.

    17 (80b - 81a) < L'ignorance et l'erreur provenant des prmisses mdiates >

    Dans les attributions ou les non-attributions non immdiates, quand c'est par un moyen propre que le syllogisme conclut le faux, il n'est pas possible que les deux prmisses soient fausses l'une et l'autre ; 20 peut seulement l'tre celle

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  • qui se rapporte au grand extrme (Par moyen propre, j'entends le moyen terme par lequel on obtient le syllogisme vrai contradictoire celui de l'erreur). Admettons, en effet, que A soit B par le moyen . Puis donc qu'il est ncessaire de prendre la prmisse B affirmativement pour obtenir un syllogisme, il est vident que cette prmisse doit toujours tre vraie, car elle 25 n'est pas convertie. Mais la prmisse A est fausse, car c'est par sa conversion que le syllogisme devient contraire. Il en est encore de mme si le moyen est emprunt une autre classe d'attributions. Supposons, par exemple, que soit non seulement contenu en A comme en son tout, mais qu'il soit encore affirm de tout B. Alors il est ncessaire d'une part de conserver la prmisse B, 30 et d'autre part de convertir l'autre : de telle sorte que la premire est toujours vraie, et la seconde toujours fausse. Une erreur de ce genre est peu prs la mme que celle qui rsulte du moyen propre. Supposons maintenant que le syllogisme ne soit pas obtenu par le moyen propre : quand le moyen est subordonn A mais n'appartient nul B, il faut ncessairement que les deux prmisses soient fausses. En effet les prmisses doivent tre prises d'une manire 35 contraire ce qui a lieu en ralit, si l'on veut qu'il y ait syllogisme ; or, si on les prend de cette faon, toutes les deux deviennent fausses. Si, par exemple, en fait, A appartient la totalit de , et si n'appartient nul B, par conversion de ces prmisses on obtiendra un syllogisme dont les prmisses seront l'une et l'autre fausses. Par contre, quand le 40 moyen, par exemple, n'est pas subordonn A, 81a la prmisse A sera vraie, et la prmisse B fausse : la prmisse A est vraie, parce que n'tait pas contenu dans A, et la prmisse AB est fausse, parce que, si elle tait vraie, la conclusion aussi serait vraie ; or, par hypothse, elle est fausse.

    5 Quand l'erreur vient par la seconde figure, il n'est pas possible que les deux prmisses soient l'une et l'autre totalement fausses (puisque, quand B est subordonn A, aucun terme ne peut tre affirm de la totalit d'un extrme et ni de la totalit de l'autre, ainsi que nous l'avons tabli plus haut), mais l'une des prmisses peut tre fausse, et ce peut tre indiffremment n'importe laquelle. Si, en effet, 10 alors que appartient la fois A et B, on prend comme appartenant A mais comme n'appartenant pas B, la prmisse A sera vraie, et l'autre fausse. Si, inversement, on prend comme appartenant B mais comme n'appartenant nul A, la prmisse B sera vraie, et l'autre fausse.

    15 Quand le syllogisme de l'erreur est ngatif, nous venons ainsi d'tablir quand et l'aide de quelles sortes de prmisses il y aura erreur. Mais quand le syllogisme est affirmatif, si la conclusion est obtenue par le moyen propre, il est impossible que les deux prmisses soient fausses, car il faut ncessairement conserver la prmisse B, si l'on veut qu'il y ait syllogisme, comme nous l'avons dit plus haut ; par suite, la prmisse A sera toujours fausse, car 20 c'est elle qui est convertie. Mme solution encore, si on empruntait le moyen une autre srie, ainsi que nous l'avons tabli pour le cas d'erreur ngative : en effet, il faut

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  • ncessairement conserver la prmisse B et convertir la prmisse A, et l'erreur est alors la mme que ci-dessus. Quand le syllogisme affirmatif ne procde pas par un moyen propre, alors, 25 si est subordonn A, cette prmisse-ci sera vraie, et l'autre fausse, car A peut tre l'attribut de plusieurs termes qui ne sont pas subordonns l'un l'autre. Mais si n'est pas subordonn A, cette prmisse-ci sera videmment toujours fausse (puisqu'elle est prise affirmativement), tandis que la prmisse B peut tre ou vraie ou fausse. Rien n'empche, 30 en effet, que A n'appartienne nul , et que appartienne tout B : par exemple animal n'appartient aucune science, alors que science appartient toute musique. Rien n'empche non plus que A n'appartienne nul , et nul B. Il est donc clair que, dans le cas o le moyen terme n'est pas subordonn A, non seulement les deux prmisses peuvent tre fausses, mais encore ce peut tre l'une d'entre elles seulement, quelle qu'elle soit.

    35 On voit ainsi de quelles faons et par quelles sortes de prmisses peuvent se produire les erreurs dcoulant du syllogisme, aussi bien dans le cas des propositions immdiates que dans le cas des propositions dmontrables.

    18 (81a - 81b) < L'ignorance envisage comme ngation de la science >

    Il est clair aussi que si un sens vient faire dfaut, ncessairement une science disparat, qu'il est impossible d'acqurir. Nous n'apprenons, en effet, que 40 par induction ou par dmonstration. Or la dmonstration 81b se fait partir de principes universels, et l'induction, de cas particuliers. Mais il est impossible d'acqurir la connaissance des universels autrement que par induction, puisque mme ce qu'on appelle les rsultats de l'abstraction ne peuvent tre rendus accessibles que par l'induction, en ce que, chaque genre, appartiennent, en vertu de la nature propre de chacun, certaines proprits qui peuvent tre traites comme spares, mme si en 5 fait elles ne le sont pas. Mais induire est impossible pour qui n'a pas la sensation : car c'est aux cas particuliers que s'applique la sensation ; et pour eux, il ne peut pas y avoir de science, puisqu'on ne peut la tirer d'universels sans induction, ni l'obtenir par induction sans la sensation.

    19 (81b - 82a) < Les principes de la dmonstration sont-ils en nombre fini ou en nombre infini ? >

    10 Tout syllogisme se fait par trois termes. Une espce de syllogisme est apte dmontrer que A appartient , parce que A appartient B, et B ; l'autre espce est le syllogisme ngatif, dont l'une des prmisses exprime qu'un terme appartient un autre, et la seconde, au contraire, qu'un terme n'appartient pas un autre. Il est pas suite manifeste que ce sont l les principes et ce qu'on nomme les hypothses du syllogisme. 15 Car, en les prenant de cette faon, on

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  • arrive ncessairement dmontrer, par exemple, que A appartient par B, et encore que A appartient B par un autre moyen terme, et pareillement que B est . Pour qui se contente de raisonner selon l'opinion et d'une manire dialectique23, il est vident que le seul point considrer, c'est de savoir si le syllogisme 20 procde partir des prmisses les plus probables possible ; il en rsulte que si un moyen terme entre A et B n'existe pas vritablement, mais parat seulement exister, en s'appuyant sur lui pour raisonner on raisonne dialectiquement. Par contre, pour atteindre la vrit, ce sont les attributions relles qui doivent nous servir de guides. Les choses se passent de la faon suivante : puisqu'il y a des attributs qui sont affirms d'un sujet autrement que par 25 accident (j'appelle attribution par accident, quand par exemple il nous arrive de dire cette chose blanche est un homme, ce qui n'a pas le mme sens que de dire l'homme est blanc : ce n'est pas en tant quelque chose d'autre que homme que l'homme est blanc, tandis que pour le blanc, c'est parce qu'il arrive l'homme d'tre blanc), c'est donc qu'il y a certains termes d'une nature telle qu'ils sont attribus essentiellement d'autres. Admettons donc que 30 soit un terme tel qu'il n'appartienne lui-mme aucun autre terme, mais qu'il soit le sujet prochain de B, sans autre intermdiaire entre les deux ; supposons qu' son tour, E appartienne Z de la mme faon, et Z B : est-ce que cette srie doit ncessairement s'arrter, ou bien peut-elle aller l'infini ? Supposons de mme que rien n'est affirm de A par soi, mais que A appartient immdiatement 35 sans appartenir aucun intermdiaire plus prochain, H, et H B : est-ce que cette srie, elle aussi, doit ncessairement s'arrter, ou peut-elle aller l'infini ? Cette seconde question diffre de la premire dans la mesure suivante : la premire consiste se demander s'il est possible, en partant de ce qui n'appartient soi-mme aucune autre chose mais qui une autre chose appartient, d'aller en remontant 40 l'infini ; l'autre, examiner si, en commenant 82a par ce qui est attribu un autre mais qui aucun autre n'est attribu, on peut en descendant aller l'infini. Il faut demander enfin si on peut insrer un nombre infini de moyens entre des extrmes dtermins. Voici ce que je veux dire. Supposons que A appartienne , et que B soit moyen entre eux, mais qu'entre B et A il y ait d'autres moyens, et entre ceux-ci 5 d'autres encore : sera-t-il possible aussi que cette srie de moyens soit infinie, ou bien sera-ce impossible ? Cela revient se demander si les dmonstrations vont l'infini, autrement dit s'il y a dmonstration de tout, ou si les extrmes se limitent l'un l'autre.

    J'ajoute que les mmes questions se posent aussi pour les syllogismes ngatifs et les prmisses ngatives. 10 Par exemple, si A n'appartient nul B, ou bien ce sera immdiatement, ou bien il y aura un intermdiaire antrieur B, auquel A n'appartient pas (appelons-le H, lequel appartient tout B), et il peut y avoir encore un autre terme antrieur H, par exemple qui appartient tout

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    23 Cf. Premiers Analytiques, I, 30, 46a 9.

  • H. C'est qu'en effet, dans ces cas galement, ou bien la srie des termes antrieurs auxquels A n'appartient pas est infinie, ou bien elle s'arrte.

    15 Par contre, pour les termes rciprocables, ces mmes questions ne peuvent pas se poser, puisque, quand le sujet et le prdicat sont convertibles, il n'y a ni premier ni dernier sujet : tous les termes rciproques sont les uns envers les autres, cet gard, dans le mme rapport, soit que nous disions infinis les attributs du sujet, ou que tant les sujets que les attributs en question soient infinis. Il n'en est autrement que si les termes peuvent se rciproquer de faons diffrentes, l'attribution se faisant pour l'un par accident, 20 et, pour l'autre, au sens propre.

    20 (82a) < Le nombre des moyens n'est pas infini >

    Il est vident qu'il est impossible qu'il y ait entre deux termes un nombre infini de moyens, si la srie ascendante et la srie descendante des attributions sont limites (j'entends par srie ascendante celle qui se dirige vers la plus grande gnralit, et par srie descendante celle qui se dirige vers le particulier). Si, en effet, A tant attribu Z, les intermdiaires 25 reprsents par B sont infinis, il est vident qu'il sera possible en partant de A, d'ajouter indfiniment des attributs les uns aux autres suivant la srie descendante (puisque, avant d'arriver Z, on aura un nombre infini d'intermdiaires) ; de mme, partir de Z en suivant la srie ascendante, on aura parcourir un nombre infini d'intermdiaires avant d'arriver A. De sorte que, si c'est impossible, il sera impossible aussi qu'entre A et Z il y ait un nombre infini 30 de moyens. Il ne sert non plus de rien de prtendre que certains termes de la srie AB...Z sont contigus entre eux de faon exclure un intermdiaire, tandis que les autres sont impossibles saisir. En effet, quel que soit le terme que je prenne parmi les B, le nombre des intermdiaires dans la direction de A ou de Z doit tre infini ou fini. Le point de dpart des sries infinies, qu'on le prenne immdiatement ou non immdiatement, n'a aucune importance, car les 35 termes qui viennent aprs ce point sont de toute faon inf