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Serge E. Côté On n’oublie rien R O M A N (V. 01.1 du 15 juin 2012) miroirsauvage.com

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Serge E. Côté

On n’oublie rien

R O M A N

(V. 01.1 du 15 juin 2012)

miroirsauvage.com

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À ma fille

Ofelia Côté-Sánchez

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La qualité d’un homme se calcule à sa démesure ; Tentez, essayez, échouez même, ce sera votre réussite.

Jacques Brel

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I

LA QUÊTE Avant-propos

Villeray, le lundi 3 mai 2010

La folie suprême est de vivre la vie telle qu’elle est et non telle qu’elle devrait être.1

Au bout de mes voyages, me voilà seul avec mon chien sur le trottoir de la rue De Lorimier, j’ai la bouche sèche et du sable dans les yeux. C’est à se demander lequel de nous deux est au bout de la laisse. Aujourd’hui, mon existence n’est plus qu’un amas de paradoxes et de contradictions, une zone de turbulences permanentes. Et si je n’arrive pas encore à rire de la tête de fugitif que la vie m’a faite à cinquante-deux ans, je réalise néanmoins que je n’ai rien oublié de tout ce qui fait que j’en suis arrivé là. Ainsi commence mon histoire :

On l’appelait « ma tante Louisa » ; elle avait une jolie voix douce, un peu suave, qui donnait dans les hautes fréquences. Quand elle s’affairait autour de ses bébés, « ma tante » chantonnait souvent pour ponctuer la cadence. Vieille fille dont le cœur n’est pas en chômage, disait-elle, mademoiselle Lainesse a consacré sa vie aux enfants des autres. À l’époque, les familles étaient souvent nombreuses et c’est Louisa qui s’occupait des

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bébés naissants ou des enfants en bas âge pour permettre aux mamans de récupérer de leur accouchement. Même si j’étais l’aîné – tradition familiale oblige – mes parents me déposaient parfois chez-elle, à Warwick, pour respirer un peu. Ce furent mes premiers voyages. À la fin des années cinquante, dans son minuscule logement de la rue Notre-Dame aménagé en pouponnière d’un autre temps, elle savait consoler ses jeunes pensionnaires, avec amour et compassion, en fredonnant une p’tite toune qu’elle extirpait inopinément du fond de sa mémoire, toujours au bon moment. Ma préférée : Le petit sauvage du nord de La Bolduc.2 Louisa – sans le savoir – avait le rythme dans la peau et son p’tit galop swingait allègrement.

Sur le bord de la rivière Tang ti que lingue lingue lingue lingue dame

Le petit sauvage était couché par terre Pis y en avait d'autres sur le dos d'leurs mères3

Le tic tac de l’horloge, la mélodie d’une boîte à musique en forme de Tour Effeil, le murmure du chapelet à la radio, le bruit de la chasse d’eau et la jolie voix de Louisa : tous ces ingrédients étaient rassemblés pour habiller le silence et faire de ma vie naissante un joli refrain qui me suivrait le restant de mes jours. Petit enfant, j’évoluais déjà dans le sillage des femmes et des chansons.

Arrivé sur notre belle planète bleue à un moment de l’histoire où tous les espoirs étaient permis, je n’ai jamais accepté la vie pour ce qu’on m’a dit qu’elle devait être. Aussi, convaincu qu’un monde sans poésie est un monde sans intérêt, j’ai suivi ma bonne étoile, un peu tête heureuse, sans trop me préoccuper du lendemain ni du temps qui passe toujours un peu trop vite. À ce jour, j’ai eu

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beaucoup de chance, c’est certain, et je le dois pour l’essentiel au regard aimant des trois premières femmes de ma vie, disparues depuis fort longtemps, hélas, mais encore bien vivantes en mon âme et conscience.

Marie-Ange, ma grand-mère, la mère de ma mère et la sœur de Louisa, habitait encore la maison familiale du 1, rue Renault, à Victoriaville, pas très loin de Warwick. Elle aussi aimait bien la musique, mais elle était beaucoup plus rêveuse et romantique que Louisa ; avec elle, c’était Edith Piaf4 de Non, je ne regrette rien jusqu’À quoi ça sert l’amour. Parfois, au détour d’une absence passagère, son regard se perdait dans le vague et l’eau lui montait aux yeux ; alors nous savions qu’il s’agissait de son Jean-Paul, l’homme de sa vie, le père de ses enfants, qui lui avait souvent chanté La vie en rose dans l’auto, quand ils étaient tous en route vers le chalet et que c’était le bonheur sur terre.

Quand il me prend dans ses bras Qu’il me parle tout bas

Je vois la vie en rose Il me dit des mots d’amour Des mots de tous les jours Et ça m’fait quelque chose5

Après la guerre, c’était l’âge d’or de la radio ; dans ces années-là, il y a eu des centaines de nouveaux modèles qui sont apparus sur le marché, dans tous les formats, de toutes les couleurs, et désormais, la technologie était devenue vraiment populaire, accessible à tous. Jean-Paul, lui, électricien de son métier, se passionnait pour les appareils ; il les réparait sur l’établi du sous-sol de la rue Renault et en possédait plusieurs.

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Le dimanche, après la messe, ils écoutaient en famille les chansons de Maurice Chevalier, Tino Rossi, Charles Trenet ou encore Édith Piaf, et aussi d’autres grandes vedettes de l’heure, à l’antenne de CKAC.

Ma soeur Éthel et moi, nous sommes ses deux seuls petits enfants à l’avoir connue, Marie-Ange, et pour tout dire, intimement, car nous étions ses deux premiers ; aussi, à l’instar de tous les petits-petits qui sont pour une grand-mère totalement irrésistibles, elle nous adorait, et nous bien sûr, c’était pareil. Sur la vieille Remington portative, abandonnée par Jean-Paul quelques années plus tôt pour cause de mort subite à quarante-et-un ans, je lui avais écrit quelques mots sur une facture pour la consoler et lui dire combien je l’aimais pour toujours.

J’ai souvenir d’une enfance heureuse, mais très vite assombrie par le départ précipité de plusieurs figures importantes de ma famille que j’aimais bien.

À commencer par mon grand-père Émile, du côté paternel, tombé raide mort sur le plancher de l’appartement familial de la rue Kirouak, dans la soirée du 28 octobre 1964, foudroyé de congestion générale à l’âge de 64 ans. Son dernier boulot, à la Warwick Woolen Mills, avait été de déchiqueter de vieux tissus pendant 26 ans, dans un environnement pollué par les fibres textiles qui ont fini par obstruer totalement ses bronches et ses poumons.

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Mais je vais pas vous raconter ici l’histoire de toute la famille du paternel parce qu’ils sont beaucoup trop nombreux, au moins douze – je vous laisse imaginer le nombre de petits-petits – et que ça ralongerait de beaucoup la mienne d’histoire. Je dis seulement que c’était des gens simples et travaillants, que c’était pas l’amour qui manquait non plus, et qu’à eux seuls, à une certaine époque, ils constituaient quasiment toute la fanfare du village de Warwick. J’ai de qui tenir, quoi !

Heureusement qu’il y a la musique, cette musique qui me suit partout dans ma tête, à chacun de mes pas, jusque dans mes rêves les plus fous ; la petite musique de mon coeur qui bat ; et je chevauche des pianos de mirages en chantant l’amour qui me hante. Les mauvaises langues peuvent bien dire de moi que j’ai « raté » ma carrière dans la chanson, et c’est effectivement le cas au sens où on l’entend dans ce monde hypermédiatisé, où la valeur d’un artiste se résume au nombre d’entrées de spectacle ou de disques vendus. Mais tout bien réfléchi, avec un peu de recul, en ce qui me concerne l’idée n’était peut-être pas d’en faire une carrière commerciale. Justement. Au cours des centaines de spectacles que j’ai donnés pendant plus de trente ans, ce que j’en ai récolté vaut bien des premiers prix. D’abord, c’est à la chanson que je dois mes plus belles amitiés, ce qui n’est pas rien. Et puis, chanter nous ramène à notre humanité car le monde n’est une sinécure pour personne et la solitude est la même pour tous. Les bons soirs c’est super-chouette, peut-être, mais les mauvais c’est moins drôle, et je peux vous dire qu’il faut beaucoup d’humilité quand on se casse la figure devant tout le monde. Mais, au-delà de la question artistique et de ses contingences, la souffrance la plus terrible vient sans aucun doute du chagrin d’amour ; quoi qu’on en dise, on ne s’en remet jamais vraiment.

La peine de Marie-Ange a dû être immense quand le pire est arrivé ; dans son coeur, le matin du premier septembre 1952, quelque chose s’est brisé pour toujours.

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Quatorze ans plus tard, le 14 avril 1966, un jeudi, Marie-Ange s’est réveillée de bonne heure. Elle est descendue au sous-sol préparer une brassée de lessive puis, de retour dans sa chambre, au bout du rouleau, fatiguée de vivre, elle a mis son plus joli tailleur, avalé toutes ses pilules, et s’est recouchée définitivement. Elle n’avait que cinquante-deux ans.

Mon âge ! Même si je n’en suis pas à ma première dérape, cette fois-ci on peut dire que je mords vraiment la poussière. Ça déchire. Alors, j’écris pour faire le silence, par besoin de prendre le temps de réfléchir, de nommer les choses et d’enfin briser le cercle vicieux d’une certaine fatalité qui s’est acharnée sur plusieurs d’entre nous, je veux dire dans ma famille.

Au salon, dans l’odeur persistante des fleurs coupées que j’associerai pour longtemps à la mort – cet oiseau de malheur – nous étions tous rassemblés autour du cercueil gris métallique pour un dernier tour de chapelet avant de fermer le couvercle (sic) et de nous rendre aux funérailles de Marie-Ange. Ne sachant trop comment réagir aux torrents d’émotions qui submergeaient les nouveaux orphelins, encore sous le choc brutal du suicide de leur mère, je m’amusais à tenter de soulever la tombe pendant qu’ils priaient, et j’y suis presque arrivé.

–– Serge ! À la vue des bouquets qui tremblaient légèrement, de toutes parts on m’a lançé des regards fulminants, et mon oncle Pierre m’a pris par les épaules pour m’emmener prendre l’air… au fumoir. Tout juste s’il ne m’a pas offert une cigarette ! Vous vous rendez compte ? Il faut dire que fumer, dans les années 60, ce n’était pas encore dangereux, c’était pour se détendre et profiter de la vie ! On entendait souvent : « Prends donc le temps de fumer une bonne cigarette, ça va te relaxer !??! »

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La semaine dernière, je me suis fait extraire neuf dents, péridontite chronique, et depuis, mon cauchemar c’est le Blouse du dentiste en souvenir de mon amie Nicotine. Bref, avec ma gueule de Don Quichotte édenté, la santé de l’amour propre n’est pas à son meilleur… et je fume encore. Connard ! En finirais-je un jour pour de bon avec le mythe de Gainsbarre et du cowboy Malboro ? Pffff ! Les mythes ont la peau dure, ça c’est sûr !

À l’âge de neuf ans, j’ai compris soudainement que je ne reverrais plus jamais Marie-Ange, que je n’entendrais plus jamais sa voix, que nous allions tous mourir, que la vie est inutile, cruelle, absurde, et surtout que les adultes sont d’incorrigibles menteurs. Ma stupéfaction a été absolue et je me suis caché au fond de la garde-robe de mes parents, en larmes, totalement désespéré, floué, inconsolable. Je les entendais qui m’appellaient, qui me cherchaient, mais je suis demeuré un long moment prostré tout seul dans le noir, en sanglotant à m’en étouffer. Quelle horreur ! Moi, je n’avais rien demandé à personne, et voilà que mon enfance se terminait, du jour au lendemain, avec le départ de Marie-Ange qui, pour cause de dépression grave, m’avait laissé tout seul avec mon cafard sur un bout de trottoir de la rue De Lorimier… quarante ans plus tard !

Comme un animal blessé, je garde bien mes distances avec les autres. Misanthrope fini, poli avec tout le monde, je n’entre réellement en contact avec personne. Quand je croise des ados, je change de trottoir. Je me trouve ailleurs, là-bas, dans les nuages, et pour tout vous dire, sur une île imaginée, le plus loin possible de la violence et de la matière.

Dans ma famille, les silences étaient lourds comme de gros nuages gris ; les non-dits prenaient parfois des années à remonter en surface.

De Marie-Ange, j’ai hérité d’une âme d’artiste, mélancolique et rebelle, et c’est bien sûr que je lui en ai longtemps voulu d’être partie

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si vite. Toute ma vie, d’ailleurs, j’ai gardé la nostalgie d’une maison qui n’existe plus, d’un Jean-Paul que je n’ai jamais connu, mais qui fait néanmoins partie du portrait familial, comme un fantôme derrière la porte.

Parfois, quand je m’ennuyais d’elle, j’allais me plonger dans les quelques cartons qui avaient abouti chez-nous après sa disparition, pour feuilleter l’album noir rempli de photos de famille, ou pour renifler l’odeur d’un vieux chapeau. Une fois, mais pas content du tout, j’ai même lancé plusieurs de ses 78-tours de Piaf, un par un, sur le mur en béton de la cave de notre petit bungalow, juste pour le plaisir de les voir exploser en mille miettes. C’est comme ça quand on est encore petit et qu’on a déjà le coeur brisé.

Assumer n’est certes facile pour personne. En cours de route, j’ai fait un peu tous les métiers pour m’offrir le luxe d’une vie d’« artiste », et on peut dire aussi que j’en ai payé le prix. Il y a eu de bonnes années, et des moins bonnes aussi. Comme dit la chanson qu’aimait tant Marie-Ange, Non, je ne regrette rien, et si c’était à refaire, je n’hésiterais pas une seconde.

* * *

Ce qui est bien, pour notre clan et sa descendance, c’est que « ma tante Louisa » soit demeurée aussi longtemps parmi nous. Nous finissions tous par passer chez-elle, tôt ou tard, car elle avait le don de nous rassembler sans que cela paraisse, nous donnant des nouvelles des uns et des autres dispersés par la vie. Louisa occupait, sans préméditation, la place laissée vide par sa soeur Marie-Ange ; elle possédait un petit agenda de poche dans lequel elle notait scrupuleusement toutes les dates importantes de la famille, les naissances, les décès, les mariages… et enfin, comme on aurait pu s’en douter, les divorces.

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Ce jour-là, au téléphone, l’infirmière m’a dit que, si nous voulions la revoir, il fallait faire vite. Sans hésiter, nous avons pris la route, mes soeurs et moi, pour nous retrouver tous les trois à son chevet quelques heures plus tard. À la toute fin de sa vie, Louisa s’était résolue d’habiter au foyer l’Étoile d’Or de Warwick, où elle avait sa petite chambre dont la fenêtre, du côté Ouest, donnait sur un jardin magnifique. Quand nous sommes entrés, sa petite lumière faiblissait déjà à vue d’oeil, à 93 ans, et elle nous disait qu’elle n’était pas encore prête ! Elle combattait encore. À un certain moment, j’ai ouvert les rideaux qui donnaient sur un coucher de soleil resplendissant, tout de rouge et de noir, parmi quelques nuages égarés dans le feu du ciel. Un hommage. Alors, ma petite soeur Brigitte s’est mise à lui chanter la poulette grise qui a pondu dans l’église, et Louisa s’est éteinte doucement en fredonnant dans nos bras. À son dernier souffle, je me souviens qu’une larme est restée figée juste au coin de son oeil. Une très belle mort que nous avons accueillie comme un cadeau, mes soeurs et moi, à vrai dire comme une naissance.

Les chansons vous prennent par surprise et finissent par vous rattraper par hasard, au détour, à un moment inattendu. C’est une des plus vieilles inventions du monde. Elles vous tirent l’oreille, s’immiscent, s’insinuent, se découvrent, se retrouvent, et puis… s’oublient. Elles nous retournent mille et une images du monde toutes pleines d’émotions, de merveilles, de rêves et de silences. Elles ressemblent à la vie.

Aux funérailles de Louisa, je suis responsable de Marissa, 5 ans, fille d’Éthel, et d’Ofelia, 4 ans, la mienne de fille, pendant qu’Éthel et Brigitte participent à la cérémonie religieuse. Nous sommes tous les trois dans les derniers bancs, car elles sont plutôt agitées et qu’on

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peut sortir rapidement en cas d’urgence. À un moment donné, silence, je n’entends plus rien et je me demande ce qu’elles peuvent bien fabriquer. Alors, je me penche pour découvrir, stupéfait, que les deux pitounes sont couchées sur le dos, bien tranquilles et, qu’entre les crottes de nez séchés sous le banc d’église, elles décollent les vieilles gommes, les mâchent un peu, puis les remettent bien gentiment à leur place !??!

Inspiré, notamment par les plus belles rengaines qui ont jalonné mes aventures au fil des ans, j’entreprends avec ce tout premier bouquin un récit de mémoire, à partir de l’impasse dans laquelle je patauge, pour retrouver de la vie toutes ses couleurs. Quant à moi, et jusqu’à preuve du contraire, on ne vit qu’une fois. J’avais pour habitude d’avoir des chantiers partout, et me voici sans projet : Il n’y a plus rien. Je ne m’imagine plus nulle part en ce monde de pompes à fric, d’à-plat-ventrisme institutionnalisé, d’actionnaires sans remords, d’avocats et de comptables arrivistes et trop souvent sans scrupule, disons-le sans detour, en ce monde de… crosseurs. J’éprouve une grande mélancolie en pensant à mon enfance évanouie, à Marie-Ange, à Louisa, à maman ; et je cours à la clinique demander à mon médecin de famille de me prescrire des anti-dépresseurs pour passer au travers. Dans mon cirage, un peu cigale, je reviens de l’autre côté de l’océan, plus précisément de Bruxelles, épuisé, avec rien dans les mains, rien dans les poches, tout dans la tronche !

Et les villes s’éclabousseraient de bleu Parce qu’un malheureux6

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II

MADELEINE Maman

Jacques Brel7 est entré dans ma vie un samedi matin de l’été 72, magnifique et lumineux, sur le lecteur cassette de la Volvo 240 de mon voisin Gilles Chabot, l’architecte. C’était en montant la Côte-de-l’Église et nous étions en route pour rénover un grenier dans la Haute-Ville. À ce moment-là, le plus célèbre Belge de la chanson française m’était encore inconnu, et Gilles était bien fier de son coup. Les fenêtres grandes ouvertes et le volume au maximum, j’en ai pris plein la gueule. La première chanson : Madeleine.8 Dans une bonne humeur de cinéma muet qui se déglingue peu à peu le charleston, le Jacques attend ma mère qui ne viendra pas. Vous aurez compris que ma mère s’appelle Madeleine, qu’un ado de quinze ans nécessairement ramène tout à lui-même, et je trouvais bien amusant d’imaginer qu’un Jacques puisse l’espérer quelque part. Ce Jacques reviendrait pourtant l’attendre le lendemain, mais elle ne se pointerait toujours pas, et ainsi obstinément de jour en jour. Tiens, tiens, je me suis dit qu’il était « drôle » celui-là. Par la suite, je découvrirais au fil de ses chansons qu’il ne l’était pas toujours. Gilles était en pleine forme, totalement amoureux de sa belle Hélène. Aussi décrète-t-il que Brel est le plus grand et – sans le dire – que je viens de mettre le pied dans un engrenage dont je ne sortirais pas indemme. Tout comme le sourire et l’amour, la chanson c’est contagieux.

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À l’époque, il y avait une dizaine de familles qui habitaient Montferrand, une nouvelle coopérative d’habitation située sur le Chemin du Foulon, devant le fleuve, à Sillery. C’était une propriété immense avec une forêt magnifique derrière les trois bâtiments d’habitation de style contemporain, des tas de fenêtres, pas beaucoup de murs, une falaise, des sentiers dans les sous-bois, des enfants partout, un jardin communautaire, des corvées d’automne et de printemps, sans oublier le vent du bord de l’eau dans nos cheveux longs. Chez-nous, c’était vivant ! Au début des années 70, nous nous sommes retrouvés là, en famille, parmi les premiers occupants de ce petit paradis en plein coeur de la ville. Et si le bonheur ressemble à quelque chose en ce monde, c’est le souvenir que j’aimerais en garder. Ces années ont été assurément parmi les plus belles de ma vie. J’avais le sentiment de faire partie de l’avenir du monde, d’une aventure plus grande que ma petite personne, et de partager en quelque sorte le même rêve que mes compatriotes. Car nous vivions collectivement un grand moment d’utopie, au Québec, et je crois que ceux et celles qui ont vécu cette période, tout comme moi, en garderont à jamais une certaine nostalgie. Bien avant l’Internet, le numérique, les téléphones intelligents et les répondeurs, c’était l’apogée de l’analogique, des tables tournantes avec les disques de 33 et 45 tours par minute, des gros amplificateurs à lampe, le temps des téléphones muraux à roulettes qui nous obligeaient à parler devant tout le monde au milieu de la cuisine. Pour me faire un peu d’argent de poche, il m’arrivait parfois de garder les plus jeunes de la coop. Quand les enfants étaient enfin au lit, bien endormis dans les bras de Morphée, j’en profitais pour développer mes connaissances en parcourant la bibliothèque ou la discothèque de leurs parents. Chez Marceau, je suis tombé sur Léo Ferré (Amour et anarchie), Serge Gainsbourg (Je t’aime moi non plus), et bien sûr Félix Leclerc (MacPherson) à qui André vouait un véritable culte ; puis, j’ai découvert, chez Morrissette, le jazz avec Charlie Parker (Live at Birdland), Miles Davis (Kind of blues) et Bill Evans (Live au Festival de jazz de Montreux 68).

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Mais chez Chabot, je retrouvais chaque fois Jacques Brel qui n’en finissait pas de me surprendre avec ses extravagances, comme Le Gaz, par exemple, ou elle a des seins comme des soleils, ou encore farpaitement à jeun après avoir surpris sa femme dans les bras de son chef du contentieux, ou enfin Les bourgeois comme des cochons ! Avec lui, pas de demi-mesure, pas de temps à perdre, c’est droit au but. Les disques étaient alors des objets éminemment poétiques. D’abord la pochette, qui était de bonnes dimensions, permettait d’utiliser de vraies oeuvres d’art pour illustrer la musique. Et puis, la manipulation, ses deux faces, sa fragilité. Enfin, le plateau de la table tournante que l’on devait ajuster au moyen d’un stroboscope. Et surtout, le son du silence qui grésille, au bout de l’aiguille, de plage en plage. Je vivais la saison des toutes premières fois ; premier baiser dans les sous-bois, première bière, première promenade dans le quartier latin, première cuite carabinée au caribou lors de la parade du Carnaval. Au Biarritz, sur la rue Sainte-Anne, avec ma première « amoureuse », nous avions pu déguster des mets basques pour pas cher du tout, et découvrir un juke box unique au monde où on pouvait s’offrir Le cinéma, de Claude Nougaro, et bien d’autres classiques de la chanson française. Bernard, le proprio, avait accepté de nous servir un demi de rouge avec notre repas, même si, de toute évidence, nous étions loin d’avoir l’âge d’en consommer. La même année, au hasard d’un café crème Chez Temporel, j’ai découvert la petite voix de Guy Béart qui me rappellait celle de Gilles Vigneault. Parfois le dimanche, il nous arrivait de synthoniser Radio-Canada pour écouter le Cabaret du soir qui penche9 où, derrière son micro, un authentique poète dessinait des arabesques dans le ciel de nos insomnies. Petite fleur,10 l’indicatif de l’émission, nous ouvrait la porte d’un univers où l’amalgame des mots et de la musique menait à des sommets de poésie. Il fallait entendre ce vieux hibou tenir l’antenne, s’adressant à chacun personnellement, partageant ses plus beaux

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cailloux avec l’enthousiasme d’un jeune premier, mais aussi avec la nostalgie d’un vieux loup des steppes. À Montferrand, tous les 24 juin, les familles se rassemblaient autour d’un grand mechoui pour la Saint-Jean-Baptiste ; André pompait l’accordéon ; Gilles et moi passions la journée au feu à surveiller l’agneau et le cochon de lait. Était-ce la jeunesse qui me faisait pressentir autant de beauté, d’espoirs et de rêves ? On eût dit que le Québec tout entier était passé du noir et blanc à la couleur, curieusement à peu près au même moment que la télévision. La crise d’octobre de soixante-dix, et les mésaventures du Front de Libération du Québec, en plus d’avoir rafraîchi nos notions d’histoire, avaient semé la peur et la consternation dans la population, surtout après la mort de Pierre Laporte.11 Malgré tout, le balancier était encore du côté de la gauche, et si nous étions pour beaucoup souverainistes, nous étions néanmoins libres penseurs ! René Lévesque, l’indépendantiste, à la suite de l’élection qui devait porter au pouvoir Robert Bourassa, le libéral, avait parlé d’une défaite qui avait l’air d’une victoire. Tout semblait encore possible. Nous venions tout juste de nous libérer de l’intégrisme de la religion catholique et de l’obscurantisme du temps de Maurice Duplessis. La révolution tranquille avait fait son œuvre, l’air du temps était résolument moderne, tourné vers l’avenir ! Alors vous comprendrez, je l’espère, chers néo-québécois, que s’il nous arrive de croiser une femme portant la burka, à Montréal, pour nous c’est un retour en arrière on ne peut plus difficile à accepter ! Après mai 68, à Paris, Woodstock érotique en 69, aux USA, la guerre du Viêtnam était dans ses dernières années, nous étions en plein FlowerPower, Peace&Love et la mode des communes de jeunes à la campagne. Précisons qu’il n’y avait pas encore le sida, et qu’il était impossible de contracter quoi que ce soit de fatal en faisant l’amour. Je me souviens avoir été témoin d’assemblées de cuisine impromptues avec mes parents et leurs amis dont les plus épiques étaient sûrement celles avec Ann et André qui n’étaient pas toujours

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d’accord, avaient des opinions, beaucoup de liberté dans le propos et un sens critique bien affûté. Je les ai très souvent entendu lever le ton, ou encore éclater de rire au bout d’une idée, et je crois bien qu’aucun d’entre-nous n’aurait pris les armes pour la défendre. Et puis le mot Québec, d’origine amérindienne, qui signifie « là où le fleuve se rétrécit », un peu à la manière des eaux du Saint-Laurent qui, juste devant Québec, s’ouvrent sur le vaste océan d’où l’on peut arriver de n’importe où. Nous avions entre les mains un grand rêve, et avec un tel rêve on peut aller très loin.

Mais force est de constater qu’il suffit de bien peu de choses pour faire peur au Québécois. Et nous voilà largués du côté du folklore comme un vieux piano droit dans un sous-sol d’église. Nous sommes un peuple divisé, voilà le plus triste. Dans le contexte nord-américain que nous vivions au jour le jour, la question de l’indépendance du Québec n’a jamais été pour moi qu’une question de culture et de langue. Bien sûr, il y a ceux qui ramènent tout aux chiffres et qui ont probablement raison de le faire, mais c’est une autre histoire, et ça ne m’intéresse pas. Pour en revenir à nos moutons – c’est le cas de le dire – il semble que nous ayons su trouver nous-mêmes les moyens de nous contenir. Si nous, les québécois, sommes capables de grandes choses, nous le sommes tout autant de petites. Nous avons sabordé l’espoir d’une nation en l’emberlificotant dans la question même, parce que ce n’était ni OUI ni NON, la réponse, c’était autre chose et nous n’avons pas su y faire.

Sans blague, connaissez-vous quelqu’un qui parle encore français en Louisiane ? Je veux dire quelqu’un de moins de quatre-vingt-cinq ans ? Ils sont très rares. Et si, d’aventure, vous croisez des ados de l’est ontarien, je ne vous dis même pas l’état des lieux. Et on voudrait me faire croire que le français va encore tenir longtemps ! Pffff !

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Sillery, le vendredi 7 septembre 1973 La « Madeleine » et moi sommes devant la télé pour regarder l’émission populaire du moment : Appelez-moi Lise. Il est vingt-trois heures, l’orchestre de François Cousineau donne le signal du départ. Ce soir, Madame Payette12 reçoit un invité de marque : Jacques Brel ! C’est la première fois que je le vois et, pendant les treize minutes et cinquante-six secondes qu’a duré l’entretien, j’ai été littéralement fasciné par les propos de cet homme libre.

Lise Payette — Je pense qu’on peut dire ce soir, comme les Américains l’ont dit pendant des années aux États-Unis, Jacques Brel is well, alive, and living in Montreal for one night. C’est vraiment un passage en coup de vent. Et vous vivez comme ça maintenant ?

Jacques Brel — Avant aussi. C’est ma nature profonde, je crois. J’ai envie de bouger et je crois aux vertus de la mobilité. Quand on est immobile on devient très fragile. J’aime mieux être mobile. C’est fatiguant, mais c’est passionnant.

Il est bel et bien là, sous nos yeux, l’aventurier, le grand voyageur aux cheveux longs, toujours entre deux avions, avec aux lèvres la cigarette du cowboy Malboro chevauchant son Far West imaginé.

LP — Jacques Brel, cette phrase : Je m’arrêterai de chanter quand je serai devenu un adulte. Ça voulait dire quoi ? À quel moment avez-vous su que vous étiez devenu un adulte ? JB — Je ne suis pas devenu un adulte. De toutes façons, je crois que c’est trop tard, je ne deviendrai plus jamais un adulte. Je crois qu’on est adulte très tôt. À douze ans, c’était la guerre chez-nous, en Belgique, et je me souviens de m’être posé la question - car il y avait des adultes - alors j’étais petit et je les regardais comme ça. Ils étaient grands et ça fausse la compréhension, déjà, la taille des gens. Quand on est obligé de lever la tête on a déjà l’impression d’être idiot. (rires) Toujours. Et je me disais : Est-ce qu’ils disent des bêtises parce qu’ils sont bêtes, ou bien disent-ils des bêtises

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uniquement parce qu’il y a un petit garçon devant eux ? Je n’ai toujours pas répondu exactement à cette question, mais je ne veux pas devenir adulte, je n’ai pas envie, puis j’ai encore trop de santé.

Pour l’adolescent boutonneux qui rêve d’avoir enfin de la barbe et d’en finir avec l’enfance, ces propos du chanteur étaient de la plus haute importance et ils méritaient une réflexion des plus attentives, ce que je ne manquerais pas de m’appliquer à faire dans les quatre décennies qui ont suivi.

Jacques Fauteux13 — J’ai bien compris que votre définition, peut-être, d’un adulte, c’est de dire des bêtises, bêtement ? JB — Pas nécessairement, parce qu’ils ne savent pas qu’ils disent des bêtises. J’aime bien les hommes qui disent des bêtises, mais les hommes bêtes, j’aime pas. JF — Donc, pour vous, quelle est votre définition de l’adulte ? JB — Un adulte, c’est un homme qui a marché un certain temps, ne serait-ce jusqu’à douze ans ou quinze ans, n’est-ce pas, il a marché et puis un jour il se pose le cul et il croit qu’il continue à marcher. C’est aussi - si vous voulez - la définition du bourgeois dans le sens où je l’entends. C’est un homme qui marche ou une femme, enfin peu importe, c’est quelqu’un qui marche un certain temps ne serait-ce que par l’éducation, par les claques qu’il prend, par les chocs émotionnels qu’il reçoit et qu’il redonne. Et puis un jour, il est coincé, il s’installe quelque part ou par amour, très souvent pour des raisons belles, ou par sécurité ou pour des raisons comme celles-là, mais il ne sait pas qu’il est immobile. JF — Il n’ose plus. JB — Non, c’est même pas ça. Il ne sait même pas qu’il est assis, il croit qu’il est debout, qu’il marche et qu’il continue d’avancer. Et alors, il est assis, mais il croit et il continue. Ce sont ces hommes-là qui parlent toujours du service militaire, vous

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savez, de ces choses-là. En fait, c’est un assis, si vous voulez, un adulte. LP — Ils parlent des choses qui ne doivent pas changer… ils ne souhaitent pas de changements ? JB — Si. Les adultes souhaitent des changements, mais qui – alors par leur immobilité en général – sont des changements qu’ils souhaitent à leur profit et non pas au profit d’une communauté. Dès qu’on est assis on commence à s’occuper beaucoup de son fauteuil, c’est impératif, c’est obligé, vous comprenez, on ne peut pas être Vasco de Gama14 et Madame Pipi !15 (rires) Faut pas charrier là !

Même la « Madeleine » se passe de commentaire – c’est plutôt rare – comme si elle prenait un moment pour réfléchir à tout ce que l’homme laisse entendre entre les lignes. Nous sommes tous les deux saisis par le personnage hors norme que nous avons sous les yeux.

LP — Jacques, je pense que je ne suis pas la seule, il y a sûrement beaucoup de gens qui n’ont pas compris pourquoi vous aviez fait autant d’efforts pour réussir ? Parce que ça été long à démarrer, il vous a fallu un autre cinq ans, je pense, avant qu’on commence à savoir qui était Jacques Brel dans le métier qui vous aviez choisi. Vous avez parcouru le monde dans tous les sens, de façon complètement folle, vivant à gauche à droite, dans les vasiles, sans arrêt… Et puis, comme ça un jour, vous avez dit : je m’arrête. Pourquoi tous ces efforts pour en arriver là ? JB — D’abord, j’ai la faiblesse de penser que si on fait quelque chose il faut le faire totalement, sans quoi on triche vis-à-vis de soi, et ça c’est important. Quand on fait quelque chose, il faut plonger dedans comme un fou, sans quoi il faut pas plonger, sans quoi il fallait rester à l’usine vendre du carton, ou se faire pompiste, enfin j’sais pas... C’est un problème d’honnêteté morale et je trouve ça très important. Je l’ai fait avec une énergie d’efficacité, un moment donné, pour une raison extrêmement simple. J’étais marié – j’ai vingt-trois

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ans de mariage – et je crevais de faim. Après l’usine, c’était moins drôle. C’était une question de survie, il fallait donner à manger. Pendant un certain temps, je faisais jusqu’à sept cabarets par nuit, ce qui est énorme, quand je repense à ça, j’ai peur, en gros - je me souviens - je faisais 49 chansons par nuit et dans des cabarets pourris, il n’y avait que des dames nues enfin des choses… LP — Pas dans les meilleures conditions ? JB — Non. Mais, ce n’était pas triste du tout… Donc, il y avait un problème de nourriture, après, une espèce de rage d’essayer de bien faire et le tout s’est mêlé. En fait, je n’ai jamais voulu devenir une vedette, je n’ai jamais voulu ça, je voulais bien faire mon truc. LP — Une fois que ça été fait, c’est à ce moment-là que vous avez eu ce mouvement de recul ? JB — Je n’ai pas eu de mouvement de recul. Comment vous dire ? Il y a des démarches qui sont les démarches d’un certain temps ; un joueur de football a un certain temps pour jouer au football. On court le cent mètres, mettons en homme moyen qui se botte un peu, en douze secondes et demie. Et il arrive un temps où on s’aperçoit qu’on met quinze secondes ou seize secondes… Peut-être est-il préférable de s’occuper d’autre chose que du cent mètres à ce moment-là. LP — On dit ici qu’il est temps d’accrocher ses patins. JB — Oui, je comprends l’expression, mais je ne suis pas d’accord avec ça. Je crois qu’on n’arrête pas de faire des choses, on va ailleurs. Je crois que c’est ça l’important de la vie. Je ne sais pas comment on fait des chansons. J’en ai fait beaucoup. Je sais comment on ne fait pas une chanson, mais je ne sais pas comment on fait une chanson. LP — Quels sont les gens pour qui vous avez de la tendresse ? Comment sont-ils faits ? Ils ne se ressemblent pas tous un peu ces gens-là ?

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JB — Si, ils ont tous peur aux mêmes choses. Et ils ont tous surtout peur d’avoir peur. Ils vont pas voir. Ils sont lâches comme moi. C’est tout ça qui fait la tendresse. La tendresse, c’est la fragilité. LP — C’est parce que vous avez peur d’être lâche, que vous allez voir, vous ? JB — Oui. LP — C’est pour vous prouver que vous ne l’êtes pas ? JB — C’est pour me prouver que même quand on l’est on peut vaincre ça. LP — C’est ce qui vous a fait entreprendre, par exemple, de monter cette comédie musicale à Paris, je pense à L’homme de la Mancha. Un défi. JB — Toute ma vie c’est comme ça. Tout ce que j’ai essayé de faire a toujours ressemblé à un défi. LP — Tous ceux qui ont entendu le disque qui a été fait à partir des chansons de L’homme de la Mancha n’ont pu s’empêcher de frissonner en entendant : Rêver un impossible rêve. On a l’impression que ce sont des paroles qui vous collent à la peau. JB — Oui, je suis un rêveur et comme j’ai une certaine santé j’essaie d’aller au bout de mes rêves. Mais en fait je suis un rêveur.

Quelle vie d’aventures et de dépassement ! Quelle soif de liberté ! À l’affût de réaliser ses rêves les plus dingues ! Dans mon innocence, qui n’avait d’égal que l’étendue de mon ignorance, je me suis dit que je pourrais peut-être tenter le coup moi aussi. Mais quelle idée ai-je eu là !

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Nous avions, Jacques Brel et moi, plusieurs choses en commun, à tout le moins nos univers étaient-ils comparables. Nous étions tous deux issus de communautés minoritaires ; nous venions de deux pays où deux solitudes, deux langues, deux cultures, deux richesses provoquaient les étincelles d’une bagarre permanente. Et puis, la religion catholique – en déclin chez-nous comme en Belgique depuis les années cinquante – nous avait tenu la bride bien serrée, tant et si bien que nous ne voulions plus rien entendre. Au Québec, je fus parmi les derniers à suivre ce que nous appelions alors un cours classique avec la nomenclature des années suivante : élément latin, syntaxe, méthode, versification, belles-lettres et réthorique. En Élement latin, nous étudiions La guerre des Gaules de Jules César. Comme dans la chanson, je me rappelle de Rosa, Rosa, Rosae, Rosam Rosae Rosa, Rosae, Rosae, Rosas, Rosarum, Rosis, Rosis, cent fois déclinées sur un tango de jeunes puceaux rêvant de tenir une femme dans le creux de leurs bras trop maigres, le dortoir et ses rangées interminables de petits lits de fer comme dans les casernes, les longs lavabos pour se brosser les dents en troupeau, le savon à la main en file pour la douche, les rêves tout mouillés dans la nuit monotone. Les petits soldats du bon Dieu rêvant sous les étoiles. Les matins d’hiver tout gris où, en guise de réveil, on entendait l’aiguille se poser sur le disque, le grésillement du silence dans les haut-parleurs, et Henri Salvador qui chantait Mais non, mais non ! ou alors La bonne humeur16 de Sacha Distel17 qu’on devait se farcir au complet TOUS LES JOURS en attendant son tour pour se brosser les dents. Au suivant ! Les scouts. Le Mikado. Le camp d’été. Les premières amitiés. Les bons sentiments. La messe à gogo. Mais on sentait fort que cet univers-là était sur point de basculer et Brel, le premier, avait entrepris de me le signaler dans ses chansons. Pour moi l’école n’était plus qu’un prétexte, je n’y croyais pas. Marcel Proust, le soporifique, m’ennuyait souverainement avec sa « recherche du temps perdu ».18 Alors qu’il n’y avait pas une seule seconde à perdre ! Alors que la vie brûlait de se vivre ! Alors que chaque seconde me rapprochait de la fin !

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J’enviais tous ceux qui prenaient la route et chaque nuit je rêvais moi-même de prendre le large. Mais à défaut de trouver le courage de partir, dans mes temps libres, je passais des heures à me faire les doigts sur de vieux pianos de bois qui résonnaient magnifiquement dans les petits cubicules vitrés d’un long corridor. Une navigation extrême, seul à m’acharner à apprendre par moi-même, à l’oreille, les mélodies romantiques de Claude Léveillée,19 et tout ça finalement pour que Christophe Colomb découvre la musique.20 Dès lors je vivais dans le pur plaisir de la découverte des mots et des musiques, des sensasions et des émotions nouvelles. La confiance se mérite. Un monde se construit. L’arbre que tu as planté la veille te chauffera demain. Ça commence dans le cœur tout ça… avant de monter à la tête. La jeunesse.

* * *

Ma soeur Éthel et moi, peu après l’inauguration du Grand Théâtre, avions découvert ensemble la très impressionnante murale du sculpteur Jordi Bonet,21 chef d’œuvre de sa vie, avec cette phrase controversée de Claude Péloquin,22 gravée dans le béton, qui m’est restée longtemps coincée de travers dans la mémoire :

Vous êtes pas écoeurés de mourir bande de caves, c’est assez ! Cette œuvre magistrale a provoqué un débat passionné sur la liberté artistique, des lignes ouvertes, des pétitions et bien des fanfaronnades. En bout de ligne, fort heureusement, c’est la liberté d’expression de l’artiste qui a prévalu et la question de Pelo est toujours aussi pertinente aujourd’hui, n’en déplaise à Monsieur Jean-Noël Tremblay23 qui la trouvait d’une vulgarité indigne d’un lieu de culture.

Nous, les artistes, la seule arme que nous ayons pour dénoncer sans tuer c’est notre art.

Jordi Bonet

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Moi, je n’aspirais qu’à vivre et à laisser vivre, et cela ne pouvait consister à suivre des chemins tracés à l’avance, des itinéraires où tout est prévu du diplôme à la retraite. Dès lors, à tout ça j’ai préféré l’aventure, même si cela devait comporter le chagrin des départs.24 Maman n’avait que trente-sept ans. J’étais l’aîné de ses trois enfants, son seul garçon. Alors, en ce qui me concerne, elle plaçait la barre haute et je ne voulais pas la décevoir. Même si elle aurait préféré que je choisisse une profession libérale – raison pour laquelle d’ailleurs je suivais un cours classique au Séminaire Saint-François – quand elle a décelé que j’avais vraiment l’âme d’un artiste, elle a tout de suite décidé que je serais le meilleur. Elle m’a encouragé jusqu’à la toute fin malgré plusieurs déconfitures et quelques demi-succès. C’était une femme généreuse, entière et totale ; l’histoire qui suit témoigne à quel point.

* * * Québec, le jeudi 22 août 1974

On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade25

À la soirée d’ouverture de la Superfrancofête, plus de cent mille francophones de toutes les couleurs et en provenance de vingt-cinq pays se sont retrouvés sur les Plaines d’Abraham pour assister au spectacle J'ai vu le Loup, le Renard, le Lion avec Robert Charlebois,26 Gilles Vigneault27 et Félix Leclerc.28 Événement marquant de l’été 74, une fête comme celle-là devait laisser des traces dans le coeur des gens. J’y étais, perdu au milieu d’un océan d’humanité. Il faisait beau, le ciel était tout bleu. Ils portaient fièrement les couleurs de leur pays, avec à la main une petite boîte-à-lunch bleue, en plastique, affublée d’une fleur de lys blanche et contenant un

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sandwich, quelques craquelins, du fromage en crottes ainsi qu’une petite bouteille de jus de pommes. Bienvenus au Québec ! Ce soir-là, Vigneault, le passeur, a chanté :

De mon grand pays solitaire Je crie avant que de me taire À tous les hommes de la terre Ma maison c'est votre maison

Entre mes quatre murs de glace Je mets mon temps et mon espace

A préparer le feu, la place Pour les humains de l'horizon

Et les humains sont de ma race29 Quand on a vu la beauté sauvage de Natashquan, on comprend bien humblement sa place dans l’univers. Et puis, au moment où Félix a commencé Quand les hommes vivront d’amour, l’émotion fut portée à son comble et la foule a chanté avec lui.

Quand les hommes vivront d’amour Il n’y aura plus de misère

Les soldats seront troubadours Mais nous nous serons morts mon frère

Dans la grande chaîne de la vie Pour qu’il y ait de meilleurs temps Il faut toujours quelques perdants De la sagesse ici bas c’est le prix

Cela peut sembler cucul, en 2012, mais ce moment-là est un grand moment de notre histoire. Après tout ce que nous venions de vivre au Québec, et je ne peux

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m’empêcher de penser à la guerre d’Algérie qui a inspiré à Raymond Lévesque30 cette chanson parmi les plus belles de tous les temps. En cherchant sur l’Internet, je découvre étonné que ce conflit a opposé les autorités et l'armée françaises à des indépendantistes musulmans, principalement réunis sous la bannière du Front de Libération Nationale. Tiens, tiens, tiens… Rien, jamais, ne mérite de faire la guerre ou de tuer des innocents, mais les adultes sont tellement cons.31

Pendant douze jours, l’Afrique francophone a envahi la Ville de Québec et la chimie a opéré. À ce moment-là, l’immigration n’était pas ce qu’elle est devenue. Nous ne connaissions rien et avions tout à découvrir de nos pareils venus de si loin nous dire à quel point on se ressemble. Une vraie rencontre, une fête du tonnerre ! En rentrant à la maison, dix jours plus tard, le paternel lisait son journal au salon et me dit au passage que des amis m’attendaient au coin du feu. Lorsqu’elle me voit arriver dans la pénombre, un peu beaucoup de bonne humeur, la « Madeleine », elle donne le signal à la délégation du Cameroun qui s’élance dans un Bon anniversaire ! à l’afouicaine avec deux balafons, quatre danseuses aux huit seins nus et des percussionnistes qu’elle a invités chez-nous pour célébrer les dix-sept ans de son fils en échange d’un bon repas autour du feu. La « Madeleine » était comme ça. Je ne vous décris pas l’auberge espagnole ! Quelle nuit magique ! J’ai même dansé, ce soir-là, moi qui n’osais jamais. Certains voyageaient à l’étranger pour la toute première fois, et de se retrouver ainsi en Amérique francophone avait de quoi les dépayser, c’est le moins qu’on puisse dire. Éthel, alors âgée de seize ans, s’est fait demander deux fois en mariage en moins de deux heures. Un invité, en adoration devant la Volvo de Gilles – les larmes aux yeux – avait demandé à la conduire, n’ayant jamais vu une si belle automobile de sa vie. Une autre, pétrifiée par le frais de la nuit de Québec, avait emprunté une veste de laine à mon père qui la lui avait offerte tout simplement. Cette année-là, je suis devenu un citoyen du monde.

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Mais ce que la vie nous offre, elle finit par le reprendre un jour ou l’autre. Rien n’est jamais acquis à l’homme, ni sa force, ni sa faiblesse, ni son cœur.32 Ni sa jeunesse. Nous sommes tous de passage en ce monde. Comment reconnaître l’essentiel dont un certain Saint-Exupéry écrivait qu’il était invisible pour les yeux ?33 Plus facile à dire qu’à faire pour un adulte. Aujourd’hui, seul devant le miroir de l’envers de tout, je vous jure que c’est à mon tour de l’attendre, la « Madeleine », toutes les semaines, sachant trop bien qu’elle ne viendra pas, que c’est fichu pour le cinéma, qu’il n’y aura plus de je t’aime ni de lilas. Mais je l’attends tout de même malgré tout. Parfois, il me semble la reconnaître dans quelqu’un qui lui ressemble et qui aurait son âge. Cela m’est inimaginable de penser que je sois désormais plus vieux qu’elle ! Son absence est comme la mer à boire quand, de temps à autres, j’en arrive à me remémorer l’horreur de ce mercredi du 11 février 87 où ma petite soeur Brigitte l’a retrouvée sur le plancher de sa cuisine, le cœur brisé, toute seule, avec le combiné du téléphone en main, morte au bout de son fil. Avait-elle tenté de m’appeler ? Je ne le saurai pas et ne m’en suis jamais remis.

C’est décidé. Ma vie à moi sera une aventure. Comme Jacques Brel je deviendrai un artiste indépendant, libre, et la « Madeleine », je sais qu’elle aimera ça !

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III

JACKY La vie « d’artiste »

Être une heure une heure seulement Être une heure une heure quelques fois

Être une heure rien qu’une heure durant Beau et con à la fois !34

AU WASTELAND La bohème

Un peu à contrecœur, au cours de l’été 75, nous avons quitté Montferrand pour Ottawa, où mon paternel avait dégoté un meilleur job dans son domaine au Fédéral. Un samedi après-midi, au hasard d’une ballade en mobylette près du centre-ville, j’ai repéré une petite boîte-à-chansons,35 située dans le sous-sol d’un pavillon de l’Université, où je jetterais l’ancre pendant deux bonnes années, c’est-à-dire jusqu’à sa fermeture en 77. L’endroit ouvrait au public vers 18 heures, mais par un coup de chance, dans le stationnement, il y avait là Jean-Paul, le maître des lieux, bérêt sur la tête et cigarette au bec, occupé à rentrer les caisses de bière et de Szekszardi, du vin hongrois bon marché à 2.60 $ le litre ! En l’aidant à rentrer ses bouteilles, je m’informe des activités de la boîte et lui demande si je pouvais passer une audition. Mais bien sûr ! m’a-t-il lancé avec un grand sourire. Quand ? Le soir même

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et devant public, en première partie de Daniel Carrière, un auteur-compositeur- interprète que je ne connaissais pas encore. Je saute sur ma mob et file à la maison pour faire part de la nouvelle à la « Madeleine » ; le temps de me faire un sandwich, de prendre une douche, de réfléchir à ce que je pourrais bien présenter, que j’y retourne aussitôt. En ouvrant la porte extérieure, on aperçoit l’escalier abrupt et les affiches collées sur les murs ainsi qu’au plafond - on dirait le sas d’un autre monde - puis tout en bas la porte d’entrée. Quand je suis revenu, ce soir-là, dès l’ouverture pour découvrir la faune qui se terrait dans ce petit royaume souterrain, Claude s’occupait de changer les disques et de préparer la sono pour le spectacle, Gisèle faisait du café et Daniel accordait sa guitare dans la cuisine. Il était encore tôt, c’était tranquille, et la lumière du jour filtrait toujours par les fenêtres. On y servait du Szekszardi, de la bière, du café et il y avait déjà beaucoup de boucane car il se fumait toutes sortes de choses au Wasteland. Puis, entre les deux faces d’un disque d’Alan Stivell que Claude tardait à retourner, dans le silence crépitant de la fin de la plage, on a pu entendre la porte extérieure s'ouvrir, des pas descendre l'escalier, bientôt le pied chaussé d'un chausson noir... un mollet... le bas d'une grande jupe noire... et la voilà qui nous est apparue : la grande Lucie, un livre à la main, l’une des déesses de ce petit théâtre magique où ne revenaient que les fous. Je suis tombé sous le charme des lieux. L’ambiance de ce nouveau monde et les personnages qui s’y trouvaient m’ont tout de suite séduit. On eut dit une autre dimension où il était permis de vivre sa propre démesure ; on s’y sentait à la fois ailleurs et chez-soi. Puis, il y avait surtout la musique, somme toute, tant de découvertes à partager dans un nouveau mode de vie qui convenait parfaitement à l’été de mes dix-huit ans. La bohème ! Pleine à craquer, la petite salle pouvait contenir environ une soixantaine de personnes. Malgré son modeste gabarit, le Wasteland

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était bien fréquenté ; les habitués des lieux étaient des étudiants, quelques apprentis poètes, des musiciens, des peintres, des écrivains et bien sûr de très jolies filles. Nous étions jeunes, romantiques, infatiguables et insouciants. À l’exception peut-être de Jérémie, le sans-abris qui, toujours seul à sa table, buvait déjà beaucoup trop ; il avait le regard éthylique de celui qui est sur le point de se noyer dans l’alcool. Je me souviens d’un soir où, envoûté par les chansons de Robert Grégoire que j’entendais pour la première fois, j’ai rencontré Mimi « la lionne » qui avait déjà toute une réputation dans l’Outaouais. Après le spectacle, nous avions parlé, ensemble tous les trois, du projet Connivence et des musiciens de la région ; tout ça sans se douter que nous nous retrouverions, quelques années plus tard, et que nous deviendrions de grands amis. Pour la première fois, je quitte la maison familiale pour me louer une toute petite chambre au 115 de la rue Goulburn, dans la Côte-de-sable, à distance de marche de ce bouiboui fantasque qui deviendrait le haut lieu de ma bohème et de certaines amitiés qui lui survivent encore à ce jour. À ce moment-là, je ne faisais qu’apprendre à vivre. On ne m’avait pas dit grand chose sur la question et, de toutes façons, comme la plupart des jeunes, je ne voulais rien entendre. Je devais plonger moi-même, c’était à mon tour. Une sono, quelques microphones, deux projos et un piano acoustique ; des spectacles tous les weekends, du jazz, de la poésie, de la chanson et souvent des jam sessions improvisées. J’y ai rencontré des artistes admirables et ne me priverais pas de m’inspirer de leur travail. L’« expatrié » – que je suis dans ma tête – découvre, étonné, qu’il y a des francophones hors du Québec ! Si plusieurs d’entre-nous étudiaient à l’Université d’Ottawa, je faisais partie de ceux qui apprenaient leur métier à l’école de la vie, mon nouvel ami Pablo aussi ! Alors, à peine avions-nous fait connaissance que toutes les occasions étaient bonnes pour faire un jam. Il avait beaucoup à m’apprendre, ce Pablo qui arrivait tout juste

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du Vénézuela avec sa guitare et ses congas, des rythmes qui m’étaient alors inconnus, pleins de soleil, de joie de vivre, et parfois des traces de poudre blanche à la commissure des narines qu’il avait impressionnantes.

Quand tu as vu Mirabel Du hublot du boeing, Pablo

Le rêve américain s’étendait sous tes pieds De Montréal à San-Diego Tu es venu tenter ta chance Au pays de l’indifférence Avec au fond du cœur

L’espoir de jours meilleurs, Pablo36 Les paradis artificiels étaient dans l’air du temps ; marijuana, LSD, champignons magiques, coco et mescaline ; nous partagions une grande soif de connaissance et d’expériences nouvelles. Il fallait sentir l’énergie déployée, entre-deux fêtes, les uns revenant de tournée, et les autres rêvant de partir à leur tour. Le Wasteland était devenu notre port d’attache. Voilà le décor de mes premières galères dans le « merveilleux » monde du spectacle, c’était la chance du débutant, et je n’avais encore rien vu !

Pour tout bagage on a vingt ans On a des réserves de printemps

Qu’on jetterait comme des miettes de pain À des oiseaux sur le chemin37

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AUX 4-JEUDIS La tourmente

Le café Aux 4-Jeudis a ouvert ses portes en 78, peu de temps après la fermeture du Wasteland, pas d’alcool, avec un menu santé à tendance grano. Ça aussi c’était dans l’air du temps, et comme tout bon établissement de l’époque qui se respectait, il y avait un piano acoustique dans un coin. J’y venais souvent pour entendre un pianiste à la tête de viking, des tresses dans la barbe, au style de jeu unique en son genre et avec qui j’ai sympathisé instantanément, un bon vivant du nom de Steve. C’était un lieu chaleureux, et avec mon pote Daniel Carrière, ami des premières heures du Wasteland, nous y avons bu des litres de café en imaginant une suite poétique intitulée La tourmente, composée de musiques, de poèmes et de bribes de chansons. 25 minutes sans interruption, une expérience. À l’époque, Daniel écrivait des poèmes fleuve, son écriture coulait de source.

Je suis l’éternel petit matin Blême éveil en laine du pays

Je suis de lendemains emmêlés au passé Et d’aujourd’hui jusqu’à l’ombre d’hier

Singulièrement tourmenté

Roule un joint Samuelle Pour Chimène qui s’ennuie déjà

Pour l’envie de t’aimer qui me gagne Roule boule jusqu’à demain encore38

Daniel Carrière

Je l’ai présenté à quelques reprises, La tourmente, mais il faut dire que ce n’était pas le genre de truc à faire dans les cafés ou dans les bars, car un peu trop… poétique !

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Au comptoir du café, il y avait bien sûr Julôt et François, les deux jeunes entrepreneurs, mais aussi et surtout Momone et Michèle, deux pétards avec du caractère et de très jolis restes qui assuraient le service aux tables. J’avais la Momone dans le collimateur, et je la voyais – pour ainsi dire – dans ma soupe aux légumes. Un jour, je lui ai fait le coup de l’invite à griller un p’tit pétard dans le parking, et elle a accepté pour me faire plaisir ! J’étais cuit, amoureux, prêt à servir. Elle était tellement belle et nous nous sommes tant aimés. Notre histoire aura duré quelques années, nous nous aimions vraiment, mais la vie « d’artiste » a fini par avoir raison de notre bel amour de jeunesse. Et là, j’ai eu l’intuition que ce ne serait peut être pas aussi simple que je l’avais d’abord imaginé.

On s’est rencontré par hasard Ici ailleurs ou autrepart

Il se peut que tu t’en souviennes Sans se connaître on s’est aimé Et même si ce n’est pas vrai

Il faut croire à l’histoire ancienne Je t’ai donné ce que j’avais

De quoi chanter, de quoi rêver Et tu croyais en ma bohème

Mais si tu pensais à vingt ans Qu’on peut vivre de l’air du temps

Ton point de vue n’est plus le même39

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LE MORIBOND Un passage

Adieu l’Émile je t’aimais bien

Jacques Brel meurt, le lundi 9 octobre 1978, dans un hôpital de Bobigny, en région parisienne, à la suite d’un cancer du poumon. Il avait 49 ans ! Nous venions tout juste de découvrir ses dernières chansons parues quelques mois plus tôt. Triste nouvelle, petit lundi.

* * *

FAUT QUE ÇA TIENNE ! Le « Grand »

Peu après, j’ai fait la connaissance d’un être tout à fait hors du commun : le « Grand » Serge. Une dégaine assez spéciale, le bonhomme, on dirait un vieil oiseau sans aile. Il hante les rues du Vieux-Hull, à vélo, et ne parle à personne ou presque. De tous les marginaux que j’ai connu dans ma vie, c’est le seul anarchiste. À côté de lui, les autres faisaient figures de prétendants. Ensemble, nous avons loué La Ruche pour y produire deux représentations d’un spectacle pour le moins original intitulé Faut que ça tienne ! Nous partagions le programme, lui à la guitare et moi au piano. Mais il n’en fallait pas beaucoup au « Grand » pour le distraire et lui faire perdre le Nord. Dans ces cas-là, il cabotinait ferme et finissait – les bons soirs – par faire rire son public de bon coeur et – les mauvais – par les emmerder littéralement. Travailler avec lui était toujours un peu risqué.

Le mot est un geste mal regardé.40

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Lors de la Première, qu’elle n’aurait manquée pour rien au monde, exédée par le fait que le « Grand » n’arrivait pas à commencer sa chanson, la « Madeleine » lui avait crié de se fermer la gueule, d’arrêter de niaiser pis de chanter sa toune. Cela nous avait valu une pirouette magistrale comme lui seul est capable d’en inventer. Il se met alors à sangloter, tombe à genoux par terre, et lui déclare passionnément avec de grosses larmes de crocodile : « Je t’aime à la folie, comme une puce à l’agonie ! » (Éclats de rire du public, un bon soir !) Là, j’ai bien vu dans les yeux du paternel qu’il regrettait d’avoir manqué sa partie de hockey à la téloche. Et il en a remis, le « Grand », à l’envi, juste pour la « Madeleine », question de lui offrir un bon tour de manège dont elle se souviendrait sûrement. Et elle s’en est souvenue, j’en mettrais ma main au feu. Il y a beaucoup de fébrilité dans ce programme, car avec le « Grand », quand il arrive à démarrer, c’est intense. À ma grande surprise, le lendemain matin, la critique inespérée d’une journaliste du journal Le Droit tombe sur ma table de cuisine, une bonne critique ! J’arrive à peine à le croire, elle avait saisi ce que nous avions tenté de faire.

LE DROIT, OTTAWA, VENDREDI 29 JUIN 1979 Sur la minuscule scène de la Ruche Un anti-show décravaté si sympathique Serge Côté et Serge Taillefer dans « Faut qu’ça tienne », hier soir, à la Ruche S’il existe quelque chose comme une école de l’anti-show, Serge Côté et Serge Taillefer peuvent s’en proclamer les disciples les plus fidèles. Sur la minuscule scène de la Ruche, sympathique boîte de la rue Laurier à Hull, les deux auteurs-compositeurs-interprètes qui ajoutent également l’art poétique à leur science, ont en effet donné un spectacle aux antipodes du conventionnel. La soixantaine de spectateurs,

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attroupés autour de bières rafraîchissantes et de chandelles aux tables de la Ruche, ont trouvé plaisir et amusement à suivre, d’évolutions en circonvolutions, l’itinéraire du spectacle. Tout critique féru des règles classiques de l’art « zartistique » aurait inconditionnellement poussé les hauts cris devant l’attitude nonchalante d’un Serge Taillefer, perdu dans ses paroles, dans l’ordre de présentation de ses chansons, trébuchant sur scène, posant et redéposant sans cesse sa guitare. Mais comme l’atmosphère était de toutes façons au non-conformisme et au sans prétention, le public a pris parti d’en rire, comme l’invitait d’ailleurs à le faire Serge Taillefer lui-même. Décravaté dans sa présentation scénique, M. Taillefer ne manque pas de panache dans l’interprétation de ses compositions où ses talents innés de comédien trouvent tout naturellement à s’épancher. Il brille notamment dans « Les bourgeois » du regretté Jacques Brel, et son interprétation parviendrait peut-être même à éclipser celle de l’auteur s’il ne se bornait pas à répéter deux trois fois le même couplet. Le style de M. Taillefer impressionne davantage que sa prose ou sa poésie qui parodie maladroitement ce que de bons auteurs contemporains donnent avec puissance. À sa manière, Serge Côté vient rétablir l’équilibre du spectacle, en y apportant plus de discipline et un contenu poétique traversé de temps forts, qui s’adressent autant à l’intellect qu’aux viscères. Il sabre avec conviction dans l’indifférence des populations qui préfèrent se donner bonne conscience plutôt que de voir en face les problèmes de l’existence. Cet engagement du poète ne déclenche pas autant d’applaudissements publics qu’a pu en recevoir son comparse de scène, mais il n’en présente pas moins plus d’intérêt aux yeux de la culture.

Marthe Lemery

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La vie, la mort, l’amour L’amour qui meurt d’ennui

L’envie qui vit d’amour La mort qui dort la nuit

Serge Taillefer Mais ça fait rien

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SUR LE BOULEVARD DU CRIME Mimi « la lionne »

Au Festival d’été de Québec, en 1983, nous sommes arrivés à la Porte Saint-Jean dans une immense Lincoln Continental toute noire que le locateur nous avait offert en remplacement d’une familiale réservée pour transporter nos instruments ; Peter, le clarinettiste, avec sa gueule patibulaire de mafioso italien et ses cheveux gominés, au volant. En ce bel après-midi de juillet, il y avait déjà une foule considérable au Carré d’Youville, entre le Capitole et le Palais Montcalm. Munis d’un laisser-passer, nous avons lentement traversé la foule, attirant les regards des curieux intrigués par qui pouvait bien se cacher derrière les vitres teintés de la limousine. Devant la scène, nous sommes sortis du véhicule, dans nos costumes rétros des années 30, pour la mise en place des instruments, du réverbère et de la toile qui nous servaient de décor. Avant même d’avoir joué la première note, nos personnages avaient fait leur petit effet au pied de la rue d’Auteuil où s’agglutinaient déjà les aficionados de spectacles gratuits.

Lorsque « la lionne » a testé son microphone, le public a flairé la bonne affaire. Quelle voix ! Pour l’occasion, le Festival avait aménagé une loge à l’intérieur même de la porte Saint-Jean, juste à côté de la scène, et le public occupait toute la première partie de la

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côte d’Auteuil. Pour moi qui avais souvent imaginé ce qu’il pouvait y avoir à l’intérieur des fortifications, derrière les épaisses portes de bois, j’ai été bien déçu : rien que du béton, rien qu’un décor de cinéma. Aussi, à quelques minutes du début de la représentation, la foule était devenue si dense que nous ne pouvions même plus nous rendre aux toilettes ; alors, en surveillant chacun notre tour par la porte entrebaillée, nous avons tous les deux fait pipi dans le coin en attendant le signal de départ du régisseur. Ni vu, ni connu.

Du même titre que la chanson de Claude Léveillée et Michel Rivgauche, composée à l’époque pour Édith Piaf, Boulevard du Crime, spectacle de chansons réalistes du début du XXième siècle, met en scène un monde difficile à imaginer aujourd’hui, un univers de mélodrames, d’amours déçus et de grandes misères.

La chanson réaliste est un genre qui demande beaucoup de malheurs, parce c'est un genre populaire. C'était surtout à la mode au début du siècle, quand il n'y avait pas la sécurité sociale et qu'on mourait beaucoup de misère et de la poitrine, et l'amour avait beaucoup plus d'importance qu'aujourd'hui car il n'y avait ni la voiture, ni la télé, ni les vacances, et lorsqu'on était enfant du peuple, l'amour était tout ce qu'on pouvait avoir de bien.41

Émile Ajar, alias Romain Gary L’angoisse du Roi Salomon

Boulevard du crime, c’est la poésie du trottoir, la gouaille de la rue ; je portais la casquette, les bretelles et le grimpant de l’époque, et personnifiais le mauvais garçon des faubourgs de Paris. « La lionne », elle, dans sa petite robe noire, jouait la fille de la rue et faisait les cent pas autour de son réverbère, en attendant qu’un homme lui sourit pour l’emmener à l’hôtel.

C’est un mauvais garçon Qui a des façons

Pas très catholiques On a peur de lui

Quand on le rencontre la nuit C’est un méchant p’tit gars

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Qui fait du dégat Sitôt qu’il s’explique Mais il y a pas mieux

Pour donner le grand frisson Qu’un mauvais garçon

À un moment, vers la fin du spectacle, j’ai pu apercevoir furtivement le visage d’un vieil homme s’illuminer sur un air que chantait à l’époque le grand Maurice :

Vous qui passez l'âme en peine Si vous soupirez tout bas

C'est que la vie paraît vaine Quand l'amour n'y rentre pas

Je connais votre mystère Vous avez peur d'un affront

Et vous restez solitaire Mais pourtant sachez le donc

L'amour est passé près de vous

Un soir dans la rue n’importe où Mais vous n’avez pas su le voir en chemin

L’amour est un Dieu si malin Prenez bien garde une autre fois

Ne soyez pas si maladroit Sachez le comprendre et le garder toujours

Si vous voyez passer l’amour

La magie de cette rengaine magnifique, qu’il n’avait pas entendue depuis des lustres, lui est remontée en mémoire et l’a replongé sans crier gare dans un autre temps. J’ai vu alors, du coin de l’œil pendant que je chantais, une grosse larme couler sur sa joue, aussitôt balayée du revers de la main. Voilà qui en dit plus long que je ne saurais l’écrire ! De 1983 à 1985, nous avons donné plus de 250 représentations de Boulevard du crime ; « la lionne » a décidé pour sa part de continuer à

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chanter Piaf pour payer son loyer, et moi, qui avais envie d’autre chose, j’ai repris la route vers de nouvelles aventures.

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La décennie 80 n’était pas celle de la chanson. Il y avait une panoplie de nouveaux bidules numériques sur le marché et la plupart des artistes avaient le même « son ». Platte. Comme on ne chante pas pour soi-même, entre deux boulots alimentaires, je m’en suis tiré en interprétant du Brel et le répertoire du Boulevard du crime, parce que mes compositions étaient, semble-t-il à l’époque, un peu trop « bizarres » pour retenir l’attention.

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IV

ZANGRA M. « Fridolin »

Plateau Mont-Royal, été 1990 À Montréal depuis peu, je vais tous les lundis soir au Central, juste au-dessus du Quai des Brumes, pour écouter du jazz et voir des musicos formidables du calibre de Yannick Rieu ou de Jean Beaudette. Mathieu est souvent au bar, parfois sur la scène, et me sert ma bière comme si j’étais un habitué. Je suis un étranger dans la métropole, à part lui je ne connais personne sinon Daniel et Claude, mes vieux copains du Wasteland. Après une bonne douzaine d’années, j’avais réussi à me tailler une jolie petite place dans l’Outaouais, avec de bons amis, un boulot, une certaine reconnaissance du public même pour mes spectacles, mais j’avais fais mon temps comme une chandelle en arrive à s’éteindre. Après la disparition soudaine de la « Madeleine », plus rien ne me disait rien et j’avais besoin de changer d’air, de poursuivre ma route… ailleurs. Aussi ai-je décidé de me rendre dans la métropole et de refaire ma vie. Après six ans, j’ai laissé mon travail de recherchiste musical à Radio-Canada, puis je me suis retrouvé à Montréal… au chômage. Au bout d’un certain temps à vivoter de petits contrats en prestations d’assurance-emploi, et grâce à l’intervention d’une « ex » qui travaillait dans une agence bien connue, j’ai trouvé un excellent filon pour faire des sous en me permettant d’écrire mes chansons

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dont je savais bien qu’elles étaient « invendables » : je suis devenu chauffeur pour des artistes en tournée. Pas mal du tout comme combine ! D’autant plus que j’ai toujours aimé la route, la vie de tournée, la solitude des chambres d’hôtels, les loges et les coulisses, bref, l’envers du décor. Pour moi, l’autodidacte, le bonus suprême c’était l’école de la scène gratuite à regarder faire des grands noms, tous les soirs, et dans tous les angles possibles et imaginables. J’ai pris le volant pour la première fois avec La Compagnie Créole42 qui sont loins d’être ennuyeux, On the road de Jack Kerouack,43 en édition de poche, dans mon sac-à-dos. Ce grand Jack, celui-là même qui croyait que la vie est un rêve déjà terminé… Et puis, question de faire un peu de name dropping, pour les fanas de showbizzzz, j’ai poursuivi avec Kashtin, le duo innu de Florent Vollant et Claude McKenzie qui m’avait surnommé « John Lennon » à cause de mes lunettes de soleil… et de mon petit format. Puis, j’étais de la dernière tournée de Jean Duceppe en abittibi. Enfin, j’ai eu le grand bonheur d’accompagner les Fleurs d’acier, avec notamment Andrée Lachappelle, Béatrice Picard, Françoise Faucher, Linda Sorgini, Monique Richard et France Castel. Grâce à ce boulot formidable, j’ai eu la chance de rencontrer des icônes du théâtre québécois et de visiter certaines régions du Québec qui m’étaient encore inconnues. Je garde d’ailleurs un excellent souvenir des comédiens pour en avoir fréquenté plusieurs qui semblaient s’amuser de leur métier comme on se joue de la vie. Des artistes fabuleux. Mais ma préférence était sans conteste pour les plus vieux qui ne cessent de travailler passés l’âge de la retraite. M. « Fridolin » était un de mes clients favoris ; à 80 ans, c’était un homme intelligent, calme, affable et généreux. Un jour que nous étions à Québec pour la présentation de sa pièce La passion de Narcisse Mondoux au Palais Montcalm, je l’ai accompagné à une entrevue promotionnelle dans une station de télévision locale. Dans un décor de papier mâché de très mauvais goût, M. « Fridolin » se retrouve devant un animateur insignifiant qui

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déblatère des futilités - à tu et à toi - avec lui qui, poliment et avec beaucoup de classe, ramène la question au théâtre et sur le texte qu’il a lui-même écrit et qu’il défendra, ce soir-là, sur la scène avec son épouse, Madame Oligny. Après l’enregistrement de l’émission, en traversant le stationnement pour se rendre au véhicule, c’est plus fort que moi, je lui lâche :

— Sans vouloir être indiscret, M. « Fridolin », dites-moi pourquoi faut-il perdre votre temps avec des imbéciles, insipides et sans saveur, comme cet animateur à la con que nous venons de croiser ?

Alors, l’air bien amusé par la question, il me répond gentiment :

— Sache, mon cher Serge, qu’en dix minutes, j’ai rejoint un plus grand nombre de gens que Sarah Bernhard44 dans toute sa carrière. Et, pour moi, ce qui compte aujourd’hui, c’est que le Palais Montcalm soit plein ce soir. Je fais mon travail, tu comprends ?

— Euh… Oui, je comprends, ça s’explique, c’est certain.

Il n’y a rien à rajouter, et je démarre la Buick de location. À la radio, Jacques Languirand45 termine son petit commentaire tripatif sur le sens du mot vieillir avec un éclat de rire communicatif qui ne manque pas de nous faire sourire tous les deux, et il lance Zangra46 de Brel. Ça roule, en route pour le théâtre ! Salle comble, évidemment, un triomphe ! J’étais alors bien loin de me douter que cette route enchantée me mènerait dans un cirque ! Et pas n’importe lequel, LE Cirque avec un C majuscule !

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V

LE BON DIEU Le « Gros » Bob

Villeray, automne 2003 À la direction du casting, ce n’est pas le boulot qui manque. Le Cirque a le vent dans les voiles. Cette année seulement, nous organisons des auditions au Québec, en France, en Angleterre, en Argentine et au Brésil. J’ai l’occasion de me rendre moi-même à Amsterdam, Paris, Bruxelles et Las Vegas, au cours de voyages éclairs où je fais des découvertes parfois surprenantes. J’apprends à mieux connaître les arts de la piste, la vie des saltimbanques, les milieux traditionnels du cirque, la routine des gymnastes, les musiciens, les comédiens et les danseurs. Nous avons pour mission de débusquer des talents inouïs jusque de l’autre côté de la planète. Je suis littéralement fasciné par le travail des clowns qui sont des artistes étonnants ! Le cirque est le seul art qui peut rassembler autant de différences sur une même scène. Autour de moi les gens parlent l’anglais, le russe, le mandarin, l’espagnol, le mongol et le français. Les idées fusent de partout, les semaines passent vite, c’est créatif, je suis dans mon élément. Double vie. Le temps file entre nos doigts encore plus vite que je ne peux l’imaginer, et j’essaie désespérément de le retenir. Souvent je me lève à cinq heures du mat juste pour apprécier la rêverie du

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temps qui passe, seul avec moi-même, méditatif devant le mystère de vivre, pour un peu de poésie. Je travaille fort, et je dois faire mon boulot pendant que la vie, elle, continue. Alors, je gruge sur les heures de sommeil, et au moment de quitter « l’usine à acrobates » pour le weekend, c’est toujours avec plaisir. Ce jour-là, j’étais à la bourre parce que j’avais invité mes vieux copains Richard Lupien47 et Robert Grégoire à la maison. J’ignorais que ce repas serait notre dernière scène avec Robert que j’avais perdu de vue depuis des années et que je n’aurais plus l’occasion de revoir par la suite. Nous nous étions revus avec Mimi lors du spectacle VIVANT, au Lion d’Or en 2001, mais dans le tourbillon de la production, nous n’avions pas eu le temps de vraiment nous parler.

La chanson mène au cirque, et le cirque ramène à la chanson. Je pense à la vie que je menais dans l’Outaouais, à la douzaine d’années que j’y ai vécue, et à nos galères musicales. Robert éprouvait un besoin viscéral de se constituer une famille autour de lui. Participer à un spectacle de Grégoire, c’était d’abord se retrouver entre amis pour refaire le monde. Il n’était pas question de travail, mais de connivences. Parfois, nous étions envahis par les enfants durant les répétitions. Nous considérions tous les deux la chanson comme un espace de liberté, et ne faisions aucun compromis devant les impératifs de l’industrie musicale et les lois du marché. Nous étions des artistes pauvres, peut-être, mais libres, ce qui est hors de prix.

C’est la fin de la saison dans le petit jardin de la rue Ferland, mais il reste encore du persil, de l’aneth, des carottes et quelques oignons ; une petite jungle sauvage de légumes qui montent en graines à l’automne. J’arrive du Marché Jean-Talon avec des darnes de saumon de l’atlantique, du brocoli et trois bouteilles de bon vin. Au menu : saumon à l’aneth, pommes de terre rissolées aux échalottes, le tout accompagné de brocolis et de carottes à peine blanchis. Un classique de la maison.

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Je me fais une grande joie de revoir le Robert dont je relis souvent la poésie entre les Illuminations d’Arthur48 et les Contemplations de Victor.49 Dans son unique bouquin intitulé La Résistance, publié en 1989, on retrouve presque toutes les chansons de cet artiste remarquable et malheureusement inconnu du grand public. Quelques unes d’entre-elles sont de véritables perles ; Mon Pays d’outre rêve50 un chef-d’œuvre. Sur le dos de couverture, il écrit :

Mes idées ont foulé des laps de silence, des intensités secrètes, à tisser des chansons et des poèmes qui ont le respect de la vie. Surtout, ne pas être à côté de ce que je ressens ! par choix ; pour que tienne ma langue ; pour qu’elle soit habitée d’humains en mal de vérité, sans souci des frontières ou de la politique ; pour que le français survive !

Richard est en avance et nous prenons le temps d’évoquer quelques souvenirs en attendant Grégoire. On se rappelle sa colère à l’origine du titre de son livre. Insulté d’entendre un cosmonaute averti51 déclarer en substance que ce ne sont pas des propos à la Rimbaud qui vont permettre à l’humanité de conquérir l’espace, le Robert avait composé, indigné, ce cri du cœur : La résistance52 qu’il finira pourtant par renier ce soir-là. Car ni l’homme ni l’artiste n’est au bout de ses peines et de ses contradictions. Il arrive à l’heure, ponctuel comme je m’y attendais. Le « Grand » l’avait surnommé amicalement « le Gros » et l’ennui c’est qu’il l’est devenu. Portant désormais sur lui tout le poids de ses grandes amours inachevées, il était devenu énorme, méconnaissable. Quand j’ai ouvert la porte, en le voyant pour la première fois dans son costard de Témoin de Jehovah, j’ai fait semblant de rien, mais je me suis senti soudainement nettement tellement plus vieux. En lui faisant l’accolade, je n’arrivais même pas à faire le tour de mes deux bras ! Assis à la table, il dénoue sa cravate en riant, et commence par s’excuser pour sa dent manquante zuste là par devant. Le malaise se

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dissipe vite pour faire place aux souvenirs de nos amitiés communes. On se donne alors des nouvelles plus ou moins fraîches du « Grand », de Mimi « la lionne ». On se remémore aussi certaines sessions d’enregistrement au studio Canartiste avec Marc et Gisèle qui conservent précieusement les archives sonores de cette période.

Ainsi tu t’en vas53 a été écrite dans la cuisine du « Grand » Serge, au 171 de la Promenade du Portage, dans un de ces rares moments surréalistes que nous avons vécus ensemble tous les trois, au hasard de nos rencontres au Café des 4-Jeudis, car avec le « Grand » les rencarts officiels ne fonctionnaient pas toujours. C’était une valse à trois temps. Le « Gros » tenait le crayon et parlait presque tout le temps, le « Grand » le contredisait continuellement juste pour le provoquer et moi, le « P’tit », j’essayais un truc à l’accordéon dans mon coin en laissant les vieux s’illusionner avec leurs conneries. Alors le « Grand » s’est mis à gueuler sur l’air de lalala… et ça s’est soldé inévitablement par des éclats de rire boréaux.54 Fallait voir la dynamique, la dynamite devrais-je écrire, quelle équipée ! En une heure, la chanson était terminée dans un bordel innommable de mots, de notes et d’émotions pures. Un ange passe.

Je lui dis que j’écoute régulièrement les versions de Lundi de pluie55 et de Violaine56 orchestrées et enregistrées à Paris pour un éventuel disque qui devait paraître en Europe. Ce disque, par ailleurs excellent – avec de vrais violons – n’a jamais vu le jour car la compagnie qui en détenait les droits a déclaré faillite entre son enregistrement et sa mise en marché. Après que Robert eût remporté le premier prix à Spa en Belgique, en 77, un producteur français l’avait remarqué et avait voulu l’aider à lancer sa « carrière » en Europe. Un enregistrement inédit de ce disque circule encore sous le manteau. La guigne. Pendant que je sers les assiettes, il accepte volontiers un verre de vin offert par Richard, un Saint-Émilion pas piqué des vers, il n’en

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boira que deux. De fil en aiguille, nous parlons de nos boulots alimentaires respectifs, Richard à la Sureté, Robert à la Faune et moi au Cirque. Robert dit qu’il ne supporte plus ses contrats de traduction, même s’il s’agit de travailler avec les mots, Richard fait mine de s’intéresser à son job chez les flics. Côté boulot digestif, c’est plutôt le désenchantement pour les « artistes » que nous sommes tous les trois. Nous avions rêvé de gagner notre vie avec notre musique, et nous avons beaucoup travaillé pour nous retrouver le bec à l’eau. Il y a si longtemps depuis notre dernière rencontre. Avec lui à ma table, j’ai l’impression d’être de passage à Montréal et de vivre encore dans l’Outaouais. Bien sûr, on parle de nos enfants, Nicolas, Mathieu, Sandrine et Ofelia, de la suite du monde. Ses yeux de grand-papa sourient rien qu’à décliner les noms de ses petits-petits. On en vient même à sortir les photos de nos porte-feuilles ! De vraies commères de village ! Puis, je ne me souviens plus comment la question de l’homosexualité est tombée sur la table – peut-être ai-je eu le mauvais goût de commettre une farce platte sur les fifs57 car j’en suis capable – mais c’était vers la fin du repas. Bob insinue que les Témoins ne sont pas en accord avec le fait d’aimer quelqu’un du même sexe. Alors, Richard – d’un naturel plutôt pacifique – est sorti de ses gonds et lui a dit qu’il ne le reconnaissait plus, qu’il ne pouvait pas comprendre ça venant de lui, Robert Grégoire. Il n’en suffisait pas plus pour allumer la mèche du pétard qui nous a explosé en plein visage. Très vite, notre conversation s’est abîmée dans une suite de maladresses monumentales et le Robert n’a eu d’autre choix que de se réfugier dans son ultime retranchement, c’est-à-dire la Parole, se justifiant par les « saintes » écritures, remettant sa cravate pour nous faire comprendre qu’il était sur son départ. Mais, il n’était déjà plus avec nous, resassant ses litanies de pacotille toutes faites dont on sait pertinemment qu’elles ont été écrites par des humains, puis récupérées par d’aucuns pour en contrôler d’autres. L’Inquisition. Benoit XVI et les jeunesses hitlériennes, la pédophilie et l’avortement. Le niqab ou la kippa. Le même gimmick anachronique, surranné, désuèt et décadent. Vous croyez que

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j’exagère ou que je mélange tout, amis croyants, mais je ne suis pas le seul. En vérité je vous le dis, la religion c’est le Proche-Orient, et il n’y a vraiment pas de quoi se péter les bretelles de mon accordéon. Vous ne pensez donc pas ? Vous préférez compter les morts peut-être ? Les Témoins de Jehovah, eux, en font une affaire publique de leur Dieu, et sont convaincus d’être les seuls à avoir raison, les Juifs d’Israël et les Arabes de Palestine aussi. C’est pitoyable. À compter la recette pour déterminer si la journée à été bonne, le petit commercant à parfois les idées courtes et sa Guerre Sainte est un tissu de conneries monumentales engluées dans les questions de pétrole ou d’argent, au moment même où le sort de la planète en dépend. La religion n’est pas l’Amour, elle mène tout droit à la Guerre ; dans l’histoire de l’humanité la preuve est dix mille fois faite et personne ne semble toutefois vouloir l’admettre. En somme, les adultes, quand ils sont plus de deux, il faut déjà se méfier. Il n’est pas du tout surprenant que le « frère » Robert se soit retrouvé enfirouapé parmi les Témoins, dans cette secte immorale où l’Amour et le bon Dieu sont prétextes à de formidables inepsies. Propagande divine = Marketing céleste ! Un îlot d’humanité – faut-il toutefois le préciser – dans cet océan d’indifférence qu’est devenu notre monde de comptables et d’actionnaires sans cœur – qui n’ont pas encore compris que la croissance, il fallait désormais imaginer ça… autrement. Les actionnaires de BP qui passent à la caisse malgré la marée noire de la Louisiane, sans oublier les détenteurs des actions de Wal Mart qui se balancent éperdument des esclaves qui fabriquent autant de cochonneries inutiles dans leur prison d’usine pour trois fois rien. Dans cette Amérique, l’idée c’est d’en faire le moins possible pour encore plus de fric, pour encore plus de cochonneries dans les garages et dans les sites d’enfouissement. En arriver le plus vite possible à ne rien faire. Dans ce contexte, les Témoins c’est un havre pour les bateaux ivres comme le « frère » Robert, démâtés par la tempête. Il était un candidat idéal. Revenu de l’amour par la petite porte, le voilà accueilli dans une communauté qui l’accepte tel qu’il est – gros – et qui doit le réconforter devant plus grand que lui, au-delà de son ego

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blessé, sensible et tourmenté d’artiste maudit, quelque part où le libre arbitre n’existe même plus. La belle affaire. In God we trust. Difficile d’admettre qu’il en vienne à renier certains de ses textes parmi les plus beaux, qu’il considère l’homosexualité contre nature et refuse les transfusions sanguines qui pourraient sauver des enfants de la mort. J’essaie de tempérer le jeu avec Richard, mais le charme de la soirée est définitivement rompu. On n’en sortira pas. Plus fort que moi, je ne peux m’empêcher de lui dire que je respecte ses choix, que ce sont là ses convictions intimes, personnelles, mais je rajoute qu’il a dû renoncer au monde en cessant d’avoir envie de lutter pour une vie meilleure, de se fâcher pour quelque chose de temps en temps. Et le voilà au milieu de l’arêne, tout nu comme un taureau de trois cent livres, déjà mort bien que toujours vivant. Il jure que non. La situation devient intense tout à coup. J’ose prononcer le mot « psychose », évoquer la douleur de vivre comme un naufrage inévitable. Et là, d’un geste théâtral, je lui sors son bouquin en disant que lui au moins – à l’instar de Rimbaud – il avait le mérite d’avoir une œuvre, je veux dire une vraie, complète, écrite, définitive. Une œuvre pour laquelle j’éprouve, et encore davantage aujourd’hui, la plus grande admiration. Rimbaud l’aventurier décide de vendre des armes ; Grégoire l’illuminé se met au service de Dieu. Ainsi va la vie quand plus rien n’est supportable en ce monde ; un pays sans poète serait un pays sans avenir. À ce moment-là, j’ai senti que nous ne nous reverrions plus. Aussi ai-je pris le temps de lui dire combien je l’aimais, que je demeurais son ami à jamais et malgré tout. Mais quelle déconvenue ! Comment tout cela avait-il pu se produire ? Si le « Gros » Bob avait été le Bon Dieu, là, je crois, il n’aurait pas été fier. Il aurait fait du ciel bleu pendant des semaines pour soulager un peu les humains de leur misère, ça, j’en suis certain. Après qu’il soit parti en haletant reprendre son métro vers l’Ouest de Montréal qui lui ressemble si peu, faut-il le préciser, Richard et moi, nous nous sommes retrouvés seuls devant nos verres de rouge, et pas vraiment amusés de la tournure des événements. Nous

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n’avons même pas bu la dernière bouteille, c’est tout dire. Saloperie de vie !

Et quand on a appris que rien ne changera On a fait du chemin depuis le premier pas

Et j’ai envie de fuir cette hécatombe58 Quatre ans plus tard, lorsque Richard m’a téléphoné pour m’informer de la mauvaise nouvelle de son décès, à soixante-deux ans, des suites d’un cancer de l’estomac, ma première réaction aura été de lui dire : J’espère qu’il ne sera pas trop déçu, le « Gros » Bob. Depuis notre dernier repas, moi, j’ai encore plus soif de vivre.

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VI

ON N’OUBLIE RIEN Monsieur Henri

Montréal, le vendredi 17 décembre 2004 Aujourd’hui, c’est ma dernière journée de travail dans le plus gros cirque du monde où je suis devenu coordonnateur de l’information à la Vice-présidence des affaires publiques. Les gens sont plutôt sympas et le milieu vachement branché. Top niveau. Quand je leur ai annoncé ma décision de quitter non seulement mon emploi, mais aussi le Cirque après douze ans, mes collègues m’ont regardé comme si je leur avais dit que j’avais le cancer. Qu’avais-je en vue ? Rien. J’en avais marre, voilà tout. Encore du Brel tout craché. La vie trop courte. La solitude. Le quotidien. Le travail. Les habitudes, les mauvaises surtout. Les années passent trop vite. Je devrais arrêter de fumer. Pour une fois que j’ai une vie stable, organisée, que l’argent tombe toutes les deux semaines dans mon compte. Mais les dossiers traînent, le défi ratatine, les malentendus s’élèvent, et les rêves sont en rade. Si je devais mourir là, ce serait bien décevant. Burnout in the rat race. Mais qu’est-ce donc, vivre ? Qui a fermé la lumière ? Les ambitieux prêts à tout me font chier ! J’ai besoin de neuf, mais il n’y a personne. Personne ! J’ai rien qu’envie de sauter dans mon char et de crisser mon camp dans le Bas-du-fleuve. Gardez la ligne je vous prie. Est-ce à moi qu’elle parle ? Je n’ai pas besoin de répondre à ça. Un moment s’il vous plaît, mais

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que se passe-t-il ? Mais c’est pas moi ! Parano. Citron pressé. Je suis au fond du plat. L’armoire est vide. J’ai envie de tout plaquer. Je ne suis définitivement pas quelqu’un d’assez prévoyant. Faudrait peut-être mieux protéger mes arrières… Basta ! J’étais dans ma tête à ressasser tout ça bien calmement quand ma collègue Loulou, une petite pétillante et conviviale, me donne un coup de coude : Les voilà, ils arrivent ! Monsieur Henri59 était de passage à Montréal pour l’enregistrement d’une émission spéciale de télévision avec Isabelle Boulay et Johnny Halliday à l’Hôtel Sacacomie. Il devait aussi participer à Tout le monde en parle avec Gilles Vigneault qui, malgré ses soixante-seize piges, avait l’air d’un gamin à ses côtés. Une pointure Monsieur Henri ! Imaginer que ce vieux monsieur – comme il s’appelait lui-même – avait pu prendre un verre un jour entre Boris Vian et Michel Legrand sur une terrasse de Saint-Germain-des-Prés, c’était tout de même quelque chose. Avec Loulou, nous l’attendions à l’entrée principale. Ce midi-là, il devait bien faire moins vingt-deux et le vent était vif. On l’aperçoit sortir du taxi, emmitouflé dans un Kanuk trop grand pour lui – probablement offert par le producteur de l’émission – sans chapeau, mais avec une écharpe de laine immaculée et au bras d’une jolie blonde. Ils avancent à petits pas sur la neige, nous allons à la rencontre de nos invités pour leur souhaiter la bienvenue au Cirque. En enlevant son manteau et ses gants, il nous dit : Moi, votre pays, c’est pas mon truc ! Premier rire légendaire. Il est en costard bleu poudre et porte un col roulé blanc, une vraie star ! Voyant qu’on l’observait, Loulou et moi, il rajoute: Quand on dépasse les quatre-vingt-cinq ans, tout le monde s’inquiète autour de vous, je veux dire à votre sujet. Vous devez vous demander si je ne vais pas vous claquer dans les mains, pas vrai ? Encore ce rire ! Mais je suis en pleine forme, rassurez-vous. Sur ce, il me tend son Kanuk en regardant autour de lui et en s’exclamant : Ah, c’est donc ça le Cirque ! J’ai vu tous vos spectacles à Las Vegas, je suis un fana du Cirque ! J’étais scié.

Il faut savoir que le cirque, en 1929, c’est-à-dire l’année où le jeune Henri débarque à Paris, était pour ce gamin

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de douze ans, encore sous les jupes d’Antonine, le plus merveilleux et le plus fascinant des spectacles du monde à découvrir. Ils venaient d’arriver à Paris après un voyage en paquebot depuis la Guyane française. On imagine le plaisir de l’enfant à voir briller ces corps tournoyant dans la lumière, les hommes forts, les acrobates, les écuyères, les artistes ! On le voit fasciné par les orchestres formidables, acoustiques, avec un chef et des cuivres pour ponctuer les saltos sur la piste.

Et surtout ce clown magnifique, Rhum,60 qui l’ayant entendu s’esclaffer de si bon coeur, lui avait offert un billet pour tous les dimanches de la saison au Cirque Medrano.

Il enviait Rhum d’être tant aimé de tous, du bourgeois comme du prolétaire, alors qu’il en prenait plein la gueule, tout comme eux en ces temps de crise, mais dans le sillage d’une poursuite, au beau milieu de la piste, et pour leur plus grand bonheur.

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Nous avons commencé la visite par un bon repas. Une bouteille de jaja qu’il accepte volontiers, et une seconde à sa demande un peu plus tard. Pas mal, ce pinard ! Il nous avait prévenu qu’il était en forme, et c’était indubitablement vrai. Loulou aussi d’ailleurs – elle le tutoyait même – et l’atmosphère était détendue. On a d’abord parlé de tout et de rien pour faire connaissance, puis des mille et une merveilles du Cirque et, voyant que cela m’intéressait peut-être, un peu de Boris Vian, de Jacques Brel et de chanson. Avec Boris, il nous arrivait d’écrire des chansons en quinze minutes. Nous parlions de quelque chose ? Alors il me disait : Et si on en faisait une chanson ? Avec lui, c’était la conduite sans rétroviseur, il ne s’intéressait qu’à ce qu’il y avait devant. Et une phrase me revint en tête, du bouquin Attention ma vie, l’autobiographie de Monsieur Henri, publiée en 94 alors qu’il était âgé de soixante-dix-sept ans, à la dernière page : Pour vivre les mille présents et les mille soleils de chaque jour, il faut avoir les yeux toujours fixés vers son avenir. Une seule urgence : le futur.61 Mais quand on a vécu, forcément, de temps à autres les souvenirs remontent à la surface. Dans les cabarets de la rive gauche du Paris des années cinquante, deux artistes se tapaient régulièrement le bide – qu’il me dit – Boris avait le don d’emmerder son public avant même de chanter, et Jacques de l’ennuyer avec les chansons un peu beaucoup boy scout de sa première période. Il me dit aussi : Quand ma femme Jacqueline est décédée en 76, notre ami Charley m’a proposé d’aller voir Brel aux Marquises. En tous cas, mon p’tit bonhomme, c’était un personnage hors du commun le « Jacques ». Ce con-là m’a foutu une de ces trouilles ! Il s’envolait dans les nuages, comme ça, dans son aéroplane. Et là, de faire un grand signe de la main avec sa fourchette en équilibre au bout de ses doigts, laissant entendre planer majestueusement comme un oiseau dans les airs ! En sirotant nos cafés, on se rend compte soudain que le temps file, allons-y ! Il y a beaucoup à voir et nous avons bien peu de temps. Commençons par les studios d’entraînement, le cœur de l’animal. Notre caravane se met en branle à petits pas sous les yeux médusés des employés surpris de voir Monsieur Henri au centre, bras-dessus bras-dessous entre Loulou et moi, suivis de la belle Isabelle, relationniste de son état. Alors commence notre petit baratin

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habituel, on appuie sur le bouton play de la cassette, mais c’est plus chouette que d’habitude : le plus haut çi, le plus gros ça, le meilleur du monde dans tous les coins. Les défis sans cesse repoussés. Des créations uniques, des créateurs géniaux, des artistes exceptionnels qui viennent de partout sur la planète. Il semble fasciné et franchement impressionné par l’ampleur de la bête avec un C majuscule.

— Mais vous êtes fous !

Mike « The White », Michel Leblanc de son vrai nom, nous attendait avec un sourire complice, tout habillé de noir. C’est un gréeur acrobatique attriqué pareil à un alpiniste autrichien avec des crochets partout, des yeux bleu de mer et des tatouages plein les bras. C’est le chum à Loulou, le plus ancien de tous les riggers des studios, pour ne pas dire le plus vieux. Chef rigger, un vrai singe. Venant vers nous, un rouleau de cordage en bandoulière, Mike lui tend la main : Tiens, tiens, d’la belle visite ! À petits pas, ce qui n’est pas dans ses habitudes, il nous explique qu’il faut une bonne dose de folie pour créer un truc comme le Cirque, que cela ne peut pas être l’affaire d’un seul homme. Il attire notre attention sur ce que nous voyons au-dessus de nos têtes, les grandes mécaniques de répétition pour les spectacles fixes comme le grand volant de Mystère et le bateau de « O » que Monsieur Henri lui-même avait pu voir live in Las Vegas. Ces appareils de plusieurs tonnes suspendus à quinze mètres du sol dont les chutes des artistes au filet sont à couper le souffle. Et puis, il nous fait voir les entraînements de trampoline, de trapèze ballant, de danse et de percussions. Mike dit que le cirque est une grande famille où chacun est important. Il insiste sur la sécurité des artistes et les risques du métier, il nous apprend que l’erreur humaine est responsable de la très grande majorité de leurs blessures.

Henri n’a rien oublié de cet autre clown claudiquant et dont on riait de la démarche, mais qui avait été une grande vedette du fil-de-fer, au début des années 20, à une époque où la sécurité au cirque se résumait

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à bien peu de choses. Il avait dû tomber de son fil, un soir de mauvaise fortune.

Il est toujours saisissant de voir performer les meilleurs acrobates. Ça fait peur ! Entendre le bruit de la main qui rattrappe le trapèze au vol, admirer un voltigeur propulsé de la balancoire russe dessiner des figures dans l’espace, des sauts périlleux, des vrilles. Et si, après le claquement sec de la planche sautoir, l’artiste rate sa montée au quatrième niveau de la colonne et se retrouve à balancer dans le vide au bout de sa longe, comme en punition, il faut recommencer ; au cirque, pas de doublure. La vraie affaire all the way ! précise « The White ». Au moment de quitter cet espace hors norme, assez grand pour y loger un Airbus A380, une gymnaste l’ayant reconnu s’approche au pas de course et s’arrête juste devant nous, toute en sueur, en le dévisageant. Mais… Et Monsieur Henri de l’interrompre : Qu’est-ce que tu fous là, toi ? Il avait dû déceler un zeste d’accent parigot dans l’exclamation de la jeune fille. Elle a dix-neuf ans, belle comme le jour, blonde et Française jusqu’au bout des doigts. Elle a participé à l’audition de Paris l’année précédente, et sa candidature a été retenue ! Ayant tout plaqué, la voilà à Montréal, partie pour la grande Aventure avec le Cirque, en transit vers une fontaine au milieu du désert, « O », mise en scène de Franco Dragone à Las Vegas pour trois ans ! Je m’appelle Bénédicte Durand, qu’elle lui dit. J’aime beaucoup vos chansons. Je peux vous demander un autographe ? Et lui sortant son stylo : Mais bien sûr ma jolie, en pensant, amusé, que c’était peut-être pour l’offrir à sa grand-mère lorsqu’elle serait de retour au pays. Chacun s’embarque pour Un tour de manège,62 chacun son tour. En marchant dans le ventre du dragon, dont les couloirs paraissent interminables pour un jeune homme de quatre-vingt-six ans, j’ai eu l’occasion de lui dire que c’était ma dernière journée de boulot au Cirque et que je trouvais que ça finissait drôlement bien. Il me demande alors ce que je vais faire, je lui parle vaguement d’écrire, mais n’ose pas lui dire des chansons. Il me regarde d’un air interloqué, un peu comme s’il ne comprenait pas, lui non plus, que je quitte cette boîte formidable, un regard vaguement réprobateur. Puis… Ici nous passons devant les moulages des têtes des artistes utilisés pour

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fabriquer des chapeaux ou des prothèses, une très belle exposition soit-dit en passant.

* * * Avant de poursuivre, permettez-moi la petite parenthèse suivante. Marie, originaire de la Guadeloupe, est couturière dans l’atelier de costumes. Elle est toute petite avec un sourire à vous faire revenir à la vie. Elle sourit presque tout le temps. Dans mes derniers tours de pistes, parfois le midi, il nous arrivait de partager un repas à la cafétéria au hasard des places disponibles. Elle a un humour et une sensibilité remarquables. Avec elle, peu de choses vraiment semblent valoir la peine de s’en faire, à part l’Amour bien sûr. Une femme vivante, belle, une grand-mère qui bosse dans un environnement de jeunes sans que personne ne s’en aperçoive. Elle me fait beaucoup penser à Monsieur Henri. Même gabarit, même type de visage buriné par le temps, mais en beaucoup plus jeune. Quand je lui ai annoncé que, pour la dernière journée, mon boulot consisterait à passer l’après-midi à visiter le Cirque avec lui, elle s’est écriée : Henri Salvador ! Mais, c’est pas vrai ! Marie connaît Monsieur Henri depuis sa plus tendre enfance. Elle me raconte que sa maman lui chantait Une chanson douce (La biche et le chevalier) pour l’endormir, que c’est un artiste fabuleux qui occupe une place toute spéciale dans son cœur. Vous visiterez sûrement l’atelier de costumes, s’il te plaît, promets-moi de venir me le présenter. Promets-moi ! Elle semblait si excitée à la perspective de le rencontrer en chair et en os, et j’ai bien compris que je n’avais pas intérêt à oublier ma promesse.

* * *

Il pense aux places à cinquante centimes, dans le poulailler du Cirque d’Hiver, une matinée de décembre, avec en main le bilboquet à l’effigie des Fratellinis63 que lui avait offert Antonine Paterne, sa

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maman à lui, pour contrôler son impatience avant la représentation du trio mythique qu’ils étaient venus applaudir et qui l’avait bouleversé.

Nous nous sommes donc dirigés tout doucement vers l’atelier de costumes. Comme il semblait un peu fatigué de la promenade, au lieu de faire la visite habituelle qui passe par les ateliers de chaussures, de chapeaux, de dentelles, de perruques et d’effets spéciaux – tous plus spectaculaires les uns que les autres – nous avons tout de suite bifurqué vers les costumes où elle nous attendait pour l’étape ultime de cette visite inoubliable. En entrant la vision est impressionnante, on croirait pénétrer dans l’atelier du Père Noël. Plus d’une centaine de fées artisanes s’y trouvent et fabriquent sans relâche les mêmes costumes fantastiques qui s’usent parfois très vite selon les disciplines, sur le dos des acrobates. Il y a des mannequins de personnages un peu partout, le Rêveur de Saltimbanco, un Con de La Nouba dans son coin, la Chanteuse en noir d’Alegrìa, Monsieur Fleur. De vraies œuvres d’art. Des bouts d’étoffes, des paillettes, des kilomètres de lycra peint à la main, du fil de toutes les grosseurs, des dizaines de tiroirs pleins de petites pierres multicolores, des machines à coudre immenses. Une ruche. On se rend en zigzagant parmi les tables jusqu’à celle de Marie qui trône au milieu de tout ce capharnaüm. Elle est magnifique, habillée de couleurs éclatantes, sur son trente-six spécialement pour Monsieur Henri. Un vrai rayon de soleil !

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On s’approche, je les présente : Marie, voici Monsieur Henri. Monsieur Henri, Marie. Quand leurs regards se sont croisés, il s’est passé quelque chose et le vieil enfant a soudainement eu l’air un peu perdu dans ses pensées. Et Marie de lui dire dans une attitude souveraine et avec une ascendance que je ne lui connaissais pas : Henri, c’est gentil d’être venu, je suis tellement contente ! Regarde, j’ai un cadeau pour toi. Et elle lui offre une petite boîte emballée avec un joli ruban. Il l’ouvre. À l’intérieur se trouve une pièce d’art autochtone – des bouts d’os de phoque ratachés par une lanière de cuir – qui est en fait un jeu de patience et de précision chez les Inuits. Devant son air à la fois ahuri et soudainement très sérieux elle poursuit : Reeeegarde, tu dois passer ce truc-là dans le trou, ici, et puis de toutes manières, tu trouveras les instructions dans la boîte. C’est pour exercer ta patience, Henri.

Il neigeait cet après-midi là sur Paris. L’air était bon. En sortant du Cirque d’Hiver aux côtés de sa maman, ils ont tranquillement pris le Boulevard du Temple en direction de la Place de la République pour y manger quelques gâteaux, bien au chaud dans un café. Seuls tous les deux : le bonheur.

Le Cirque d’Hiver64

Sans mot dire le vieux monsieur s’est blotti dans les bras de Marie, comme pour la remercier, nous tournant le dos, mais c’était en fait pour pleurer à chaudes larmes dans son cou pendant une bonne minute. Bruyamment. C’est long soixante secondes devant cent

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vingt huit personnes qui vous regardent. Elle lui caressait doucement les cheveux et je vous assure que nous étions très loin de Las Vegas et de Paris. Voyons Henri, tout va bien, tout va bien aller, tu verras. Il sort son mouchoir, s’essuie le visage, puis la prenant par la main l’amène un peu à l’écart. Tout le monde revient à son affaire, mine de rien. Pendant qu’ils échangent quelques mots en privé, LouLou dans l’énervement me glisse à l’oreille : Il est tout de même près de ses émotions cet homme-là. Dans l’ascenseur, en s’essuyant toujours les yeux de son mouchoir qu’il a gardé dans sa main gauche, il me lance :

— Elle ressemble à ma mère comme deux gouttes d’eau. Tu m’as bien eu, mon salaud !

Et là, j’ai eu l’intime conviction qu’il se souviendrait à jamais de ce jour-là. Pourtant, tout juste avant de nous quitter, et ce furent ses dernières paroles, il me confie :

— Faut pas se faire d’illusions, mon p’tit bonhomme, nous sommes tous faits pour être oubliés. Maurice était le plus grand ! Et qui s’en souvient aujourd’hui ? Pffff…

Et là, il nous a balancé un dernier éclat de rire légendaire, mais un peu jaune quand même, avant de se diriger vers son taxi, à petits pas, aux bras de sa belle Isabelle de relationniste par moins vingt-deux, en route pour l’enregistrement de Tout le monde en parle. Mon amie LouLou et moi, un peu secoués, avons repris les escaliers jusqu’au fumoir pour en griller une dans un silence entrecoupé de quelques onomatopées. Ce soir-là, pendant mon dernier party de Noël des employés du Cirque, dans le rave techno baba cool toutte too much, entre une brochette d’agneau, un couscous marocain, un p’tit pétard, une fille en bikini dans une fontaine en chocolat et un verre de jaja, j’ai fait mes adieux au Cirque et à La Couette65 qui n’en avait déjà plus.

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VII

VOIR UN AMI PLEURER Jojo

Mon copain Jojo est un saxophoniste hors pair ; il aura été le son de Saltimbanco66 pendant des milliers de spectacles. À son retour de la tournée du Cirque au Japon, il s’est installé dans un duplex du quartier Villeray, en co-propriété avec son amie Brigitte, musicienne elle aussi. Dans le sous-sol où ils ont aménagé un studio d’enregistrement qu’ils partagent, Jojo et moi, on bosse depuis bientôt trois mois sur un projet de disque. Nous avons composé cinq titres inédits : Je rêve déjà, Sheherazade, Tous les chats sont gris, Cargo et Immonde. Juste de quoi présenter une maquette pour jauger la réaction des gens, demander une subvention pour en écrire cinq nouvelles, puis produire convenablement un vrai disque dans un vrai studio. C’était le plan. Mais, rien de tout cela ne devait se produire. Disons que l’offre artistique, dans notre petit fief francophone d’Amérique, est immense et semble intarissable. Nonobstant l’inculture ambiante, il se trouve que des artistes de qualité chez-nous, il en pleut des cordes. Si d’aventure vous êtes un peu à côté de la plaque, pas trop tendance ou un même différent, on ne misera pas nécessairement sur vos chances à moins que vous ne soyez un phénomène médiatique du genre alcoolique, borgne ou encore batteur de femmes. Petite province de colonisés, voilà ce que nous sommes ! Nous fonctionnons au rating. L’artiste n’est plus qu’un vulgaire produit, on appelle son oeuvre du « matériel », et sa valeur est tributaire des statistiques de ventes. Encore des hosties de

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comptables ! Monsieur Henri n’aimait pas beaucoup les producteurs et ne se gênait pas pour dire à quel point il les trouvait… cons. Il se plaisait à raconter qu’au moment de faire son grand retour, en 2000, à plus de 80 ans avec son disque Chambre avec vue, personne n’avait voulu prendre de risque, si ce n’est qu’un jeune producteur indépendant. On le croyait « fini » Monsieur Henri, et il en a vendu des millions de disques ! Il les emmerde souverainement ! Les temps changent. Le numérique. Le piratage. Aujourd’hui pour faire du blé avec le disque, il faut être « major », l’homme, main stream, avec le potentiel de rejoindre un maximum de consommateurs, dixit Jojo. Je peux comprendre. Passé cinquante ans, tu oublies ça. Ce soir-là, nous avons enregistré la piste vocale de la chanson Immonde, un texte intense qui en a dans les tripes. J’avais insisté pour que le « Jojo » m’écrive une ballade même si ce n’était pas son truc. Il trouvait la toune un peu heavy.

L’amour est notre seul espoir C’est la seule chose à faire

Pour donner du sens et du coeur À nos vies de misère

Et ça commence aujourd’hui Dans les plaines arides de ton lit

Où tu coules comme rivière C’est la seule chose à faire Mets ma main sur ton sein

Près du coeur l’amour a son jardin Comme si c’était le premier jour

Réinventons l’amour La plupart de nos chansons ont été créées dans le plaisir car, pour un musicien, faire de la musique n’est pas triste. La semaine précédente, lors de l’enregistrement de Tous les chats sont gris, je l’ai fait tomber en bas de sa chaise, le Jojo, tellement qu’il riait. En guise d’introduction à son solo, je venais de lui balancer, pile poil sur le tempo : Mesdames, Messieurs, au retour d’une tournée triomphale qui l’a mené de New York à Tokyo : Jo jo ! C’était vrai en plus !

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Au moment de glisser l’enveloppe contenant notre demande de subvention dans la boîte aux lettres, je ne le « sentais » pas vraiment, mais il y a toujours de l’espoir dans le geste du naufragé qui jette sa bouteille à la mer.

* * * Au lendemain de cette session mémorable, et c’était mon dernier contrat, je devais animer un événement devant huit cent personnes à La Tohu.67 Un contrat de maître de cérémonie. J’avais une bonne dizaine de pages de texte à mémoriser, plus une chanson à interpréter au yukulélé. Alors, pour faire passer le trac qui me prend quand je dois me produire en public, je me dis que ça me détendrait d’aller promener Loula à l’enclos pour chiens du parc Jarry. C’est attachant un chien, mais c’est con aussi. Ils ressemblent aux humains, mais en mieux car, eux, ils ne savent pas mentir. Soudainement, du fin fond du parc d’où elle m’aperçoit en se retournant, elle fait mine de me reconnaître comme si nous ne nous étions pas vu depuis trente ans, et toute contente – comme pour me faire une bonne blague – la grosse coquine prend son élan, traverse le parc au complet en un éclair pour finalement me projeter par terre et me lécher le visage avec sa grosse langue baveuse. Je me blesse la cheville – CRAC ! – et tombe dans la crotte de chien. Entorse au troisième degré. Trouver un taxi avec un Labrador de cent livres n’est pas chose facile à Montréal. Je dois donc retourner chez-moi à petits pas pour me préparer au spectacle, le taux d’adrénaline au maximum. Un kilomètre en boitant, ça trompe, ça trompe... Je suis livide. Ça sent pas bon. La tête me fait wong wong et je regarde, pétrifié, mon pied gonflé de noyé. Merde ! Je sors du taxi, le tuxedo dans son étui entre mes dents, avec une paire de béquilles en aluminium que Jojo m’a prêtée in extremis. Je passe au maquillage. Le spectacle est en deux parties : La Strada suivie de El Museo. Ça tombe bien, le décor aussi est en aluminium. Concept. D’ailleurs, me voyant arriver, tout pâle, avec mon yukulélé dans le cou, une grande partie du public a tout de suite tenu pour

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acquis que cela faisait partie de la mise en scène. Et moi, je n’y avais même pas pensé. Dès lors, j’aurais pu jouer davantage là-dessus. C’est pourtant un des principes de base du métier, justement, de savoir détourner une situation à priori désagréable, à son avantage au point de créer une certaine empathie dans le public. J’y étais presque et sans le savoir. En passant, demandez à un clown et il vous confirmera qu’un bon coup de pied au cul, ça fait mal pour de vrai. Vous avez ma parole. Ce soir-là, j’ai fait le boulot du mieux que j’ai pu et m’en suis vraiment sorti par la peau des fesses. Les contrats se raréfiant, le petit pécule s’amenuisant de jour en jour, arrive l’heure fatidique où il faut faire face à une très dure réalité. Grosse semaine. Tout s’enchaîne. La chute. L’enfer. Je peux d’ores et déjà vous prédire que le vingt et unième siècle sera celui des comptables, des administrateurs et des… administrés. Font chier !

* * * Le syndic s’appelait Jocelyne et son bureau de la Plaza Saint-Hubert, tout près de chez-moi, était aussi triste qu’une mine de charbon désaffectée de La Louvière.68 Plafond bas, murs vert pâle, mobilier brun en mélamine, néons blafards, il n’y avait aucune plante. Elle travaillait seule dans cet environnement tout en demi-teinte. Elle aurait pu être jolie, cette femme, mais la pauvre semblait n’avoir aucune imagination. Avec mes béquilles, j’ai gravi lentement les trente-deux marches de l’escalier jusqu’au pas de sa porte, un matin d’automne, avec en main tous mes papiers pour y déclarer une deuxième faillite personnelle. Je sonne. Ceci explique cela. Je dois rendre mon véhicule au concessionnaire dans les sept jours. Vidéotron viendra me couper mon accès à l’Internet, aussi bien dire le seul contact qui me reste avec le monde extérieur depuis chez-moi. Et je devrai payer mon piano une seconde fois pour l’avoir vendu l’année précédant ma faillite. Toutes les autres dettes seraient effacées de mon dossier. Je pourrai

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conserver les électroménagers, les meubles et mon ordinateur au cas où je trouverais du boulot. Je signe ici et là sans même lire les petits caractères tellement ça me fait mal au coeur. De toutes façons, pour peu qu’elle puisse grapiller les pinottes que la loi m’oblige à lui verser mensuellement pendant une année, le reste, elle en a rien à cirer. Elle est d’une indifférence totale, aussi drabe qu’un habit brun sur un Denis Drolet.69 Je rentre chez-moi le cœur en poussière et la bite sous le bras ; j’ai l’amour-propre en totale déconfiture, les mains sales et plus aucun contrat. Dans ma boîte aux lettres, je trouve une lettre type du Ministère de la culture et de la condition féminine : La qualité de votre projet, etc. : subvention refusée. Le fric éveille ce qu’il y a de plus petit dans l’être humain ; d’aucuns prétendent le contraire, mais je les emmerde. Je hais l’argent, même si je préfère ne pas en manquer ; il me reste du petit change pour m’acheter deux bières. Soit. Après un petit ménage des bouteilles vides, je reviens du dépanneur avec les quatre grosses Tremblay que je m’enfile entre trois p’tits pétards pour avaler la pilule. Si j’aime bien prendre un verre, je déteste toutefois être saôul. Quand Jojo s’est pointé aux nouvelles, il m’a trouvé dans le jardin, complètement cuit sur un transat, à pleurer tout mon soul dans mon froc. Dégoûté du monde.

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VIII

AU SUIVANT Monsieur De Sévigny et Sœur Veronica

C’est lundi matin, lendemain de veille, et j’ai le cul dans la face comme disent les Belges. Monsieur De Sévigny, quant à lui, semble en pleine forme. Au Ministère de la solidarité sociale, nous sommes les deux seuls Caucasiens parmi quelques autochtones, quatre Haitiens, trois Arabes, un couple de Mexicains et toute une famille de Tamouls. J’ai en main mon ticket, le numéro dix-huit. Devant moi, accompagnant ses parents, un enfant magnifique à la peau foncée et avec des yeux de jade attend patiemment qu’on les appelle ; timide, il doit avoir autour de douze ans. Je me demande de quoi sa vie sera faite en Amérique, ce qui peut bien l’attendre ici. Et qu’est-ce que je donnerais pour avoir son âge ! Quand on a rien, que peut-on perdre ? Mon numéro s’affiche : Au suivant ! Au moment où il aperçoit ma tronche de jeune cinquantenaire magané, De Sévigny a l’air de se demander ce que je fais là. Je ne dois pas avoir le profil de sa clientèle régulière. Il ouvre méticuleusement mon tout nouveau dossier. Pour obtenir une aide d’urgence, je dois signer un papier comme quoi je suis totalement sans ressource, pas de compte en Suisse, aucun actif. J’ai une attestation de mon médecin. Diagnostic : dépression. Facile. J’ai envie de rajouter que le chevalier à la triste figure s’est fait baiser la nuit dernière dans une ruelle du Red Light par deux molosses qui s’étaient jurés d’avoir sa peau. Mais je me retiens, trop mal au cœur.

— Vous recevrez un chèque par la poste dans deux semaines.

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Recul de la faim dans le monde : Un enfant meurt toutes les six secondes !??!

L’estomac dans les talons, j’entends des symphonies de borborygmes et je ne suis pas tout seul. Dans la salle Santa-Teresa-de-Avila du sous-sol de l’église Saint-Arsène, sœur Veronica prépare les aliments pour la distribution en entonnant du gospel en espagnol. Dans la file d’attente, j’entends les gens se raconter leurs petits bobos, les opérations, l’hôpital, la grosseur des aiguilles, la couleur des pilules, leurs histoires qui se répandent en mille éclats de miroir brisé sur mon silence. Petite vie, grandes misères. La cour des miracles. Les temps sont durs, la crise m’a rattrappé. Je sens la fumée de cigarette, l’index et le majeur de la main gauche jaunis par le tabac, défraîchi comme la salade de Sainte-Véronica que je vais devoir me farcir tout à l’heure, obligé.

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IX

LES COEURS TENDRES Le « Rustre » et Monsieur Paul

C’est à ce moment-là, précisément, que le « Rustre »70 entre en scène. Le « Rustre », c’est une vieille galoche d’idéaliste un peu perdu dans un monde dénaturé. Je l’aime beaucoup, il est plein d’espoir, sensible, anachronique, généreux, regorge d’aphorismes à la con, et avec lui tout est dans l’instant présent. Le modèle Wesfalia 68 avec un chat, le classique. Un coup de téléphone, et il me propose de remonter sur les planches ; pourquoi pas, me dis-je ? Il n’y a rien de tel pour transmuer les énergies négatives en poussières d’étoiles. La série noire avait assez duré. Après tout ce qui m’était arrivé, il était plus que temps que le vent tourne. Devant la chanson, je suis comme un oiseau et les oiseaux chantent quand ils en ont envie. C’est donc avec plaisir que je retrouve la musique. Les répétitions ont eu lieu dans un grenier de la rue Lavigne, à l’orée de la forêt du parc de la Gatineau, tout près du Dépanneur Sylvestre où nous avions prévu de faire notre grand - (sic) - retour. Au cours de cette semaine formidable, pleine de rires et de chansons, je retrouve l’esprit du « Gros » Bob dans cette nouvelle aventure. Je réalise à quel point l’amitié est un trésor inestimable qui traverse le temps. Je revois avec tellement de plaisir Mimi « la lionne », le « Rustre » et Jean-Marc, comme si on s’était vu la veille ; ce qui m’a valu notamment une bonne cuite au Caballero de Chile avec Mimi, des discussions pointues sur le métier avec le « Rustre » et quelques présomptions bien futiles sur les femmes avec Jean-

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Marc. Après plusieurs mois d’isolement dans la grisaille de la métropole, j’avais grand besoin de ce printemps musical, et de me retrouver entre amis pour rigoler un bon coup parce que c’est bon pour la santé. Affirmatif ! Il a tout allongé, le « Rustre », avec lui j’ai eu droit à mon ardoise jusqu’à la Première ; je pouvais enfin travailler tranquille, relax, sans me soucier des repas, des cigarettes, des p’tits pétards et des bières. Le pire – quand on est pauvre – n’est pas de manquer de tout, mais de devoir quémander quand plus rien d’autre n’est possible. Avec lui, ce n’était même pas nécessaire. Le « Rustre » croit en moi, l’artiste. Alors que ma vie n’était plus qu’un océan de doutes, il m’a poussé au meilleur de moi-même. C’est quelque chose, et ça ne s’oublie pas. Nous avons intitulé notre spectacle Dériv’Gauche, et il a existé le temps d’une chanson. Mais vous m’auriez prévenu que je l’aurais fait quand même, c’était plus fort que moi!

Dans chaque homme, il y a un con qui sommeille.71

En travaillant sur le programme, nous décidons de pousser un peu plus loin les pistes de l’humour et de l’absurde. Sans nous prendre au sérieux, nous discutons longuement de la question du timing si importante dans la mécanique du rire. On ouvre le spectacle avec une chanson que le « Rustre » a composé et qui s’appelle Le tube digestif.72 Le mot tube – pour désigner un grand succès populaire – vient de Boris Vian qui en avait fait une chanson Le tube interprétée à l’époque par nul autre que… Monsieur Henri ! C’est avec cette chanson-là que nous avons alors imaginé une entrée clownesque pour présenter nos personnages. On arrive sur scène : lui, le grand chic me précède, moi, le petit con je le suis. On sent bien que je voudrais être ailleurs, n’importe où, mais pas là. Le « Rustre » présente sa chanson, une présentation interminable où il explique longuement l’origine du mot tube, que lui aussi aurait bien aimé avoir un tube à son répertoire ne serait-ce que pour payer les factures, et blablabla tandis que je piaffe d’impatience,

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ostensiblement, mon yukulélé entre les mains, bien remonté, prêt, en attendant qu’il se décide à commencer. Mesdames, messieurs, Le tube digestif ! Et la petite valse country se met en branle. Je peux enfin m’abandonner à mon instrument, passionnément, totalement dans ma bulle. Le petit con joue celui qui veut que tout se passe bien, mais il en fait un peu trop. Et bien sûr, le grand chic, au final ça l’énerve. Nous tenions là une bonne situation et je sentais que si nous avions pu y travailler davantage, cette idée avait le potentiel de faire du chemin et même de devenir un excellent numéro. Le travail, tout est là. Mais il faut avoir les moyens de se le permettre. Toute ma vie j’aurai vécu la frustration de ne pas pouvoir travailler à mon goût avant de monter sur scène. Tout va toujours beaucoup trop vite autour de moi. Je suis plutôt lent… comme un Belge, m’a déjà dit une Parisienne, sèche et frustrée, exédée par le temps que je prenais à choisir mes clopes. Et je ne suis pas d’accord avec les puristes qui tiennent mordicus à ne présenter que des titres originaux. Moi, j’ai tout appris en interprétant les plus grands. On réinvente sans cesse les standards du jazz, pourquoi n’en serait-il pas de même pour les classiques de la chanson ? Ça nous éviterait peut-être de vilaines niaiseries, quand à court d’inspiration on chante n’importe quoi. Notre répertoire est éclectique. En plus de nos chansons originales respectives, on présente Métamorphose et La résistance du « Gros » Bob, et bien sûr Ainsi tu t’en vas que nous avions écrite, Robert et moi, avec le « Grand » Taillefer. Et puis, une de mes meilleures reprises : Blouse du dentiste,73 texte de Boris, musique de Monsieur Henri ; une chanson prémonitoire, adaptée en québécois pour la circonstance. Aussi Jacky de Brel, devenue Sergio, également transposée en joual, car de ce côté-ci de l’océan Knokke-le-Zoute, c’est Miami. Le printemps des bretelles que j’avais composée avec Didier Dumoutier74 pour l’événement du même nom à Montréal, au Petit Medley en 2003. Les moulins de mon coeur d’Eddy Marnay (paroles) et Michel Legrand (musique), en duo avec Mimi « la lionne », le pied ! Deux pianos, une batterie et un zeste d’accordéon. Les premiers succès de Claude Léveillée, Gigue et jazz, Les vieux pianos et puis la magnifique Emmène-moi, si belle chanson d’amour, ma seule chanson « sérieuse » de toute la soirée. À bout de souffle, le

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« Rustre » se tape même cette chanson difficile, écrite par Claude Nougaro,75 sur la musique de Blue Rondo à la Turk du jazzman Dave Brubeck.

Je suis convaincu d’une chose : le talent ça n’existe pas. Le talent c’est d’avoir l’envie de faire quelque chose. Tout le restant c’est de la sueur, c’est de la transpiration, c’est de la discipline. Je suis sûr de ça. L’art, moi, je sais pas ce que c’est. Les artistes, je connais pas. Je crois qu’il y a des gens qui travaillent à quelque chose, qui travaillent avec une grande énergie finalement et l’accident de la nature je n’y crois pas.76

* * * Guy Perreault, bien connu dans l’Outaouais pour son humour, sa plume élégante et de très belles chansons, est un pince-sans-rire qui a pour habitude de demander – toujours le plus sérieusement du monde – lorsqu’il arrive dans une nouvelle salle :

— Je me demande combien ça coûte de chanter ici ? Entendons-nous pour dire que si vous faites le métier dans l’espoir de faire des sous, vous risquez fort d’être déçus. Ils sont fort peu nombreux à bien en vivre. Hors de la télévision et de la radio, point de salut ! Avec nos modestes cachets de Dériv’Gauche, il aurait fallu jouer tous les jours de la semaine et deux fois le weekend juste pour payer le loyer et l’épicerie. Tout ça ne pouvait donc pas durer très longtemps.

* * * Alors, nous avons fait un détour par le Vieux-Montréal, pour deux représentations au Pharaon Lounge du Petit Moulinsart, un restaurant belge tenu par Éric Lehousse qui dit être le fils de Jacques Brel, et qui – en effet – lui ressemble très étrangement. Enfin, on dérive

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dans la camionnette de Mimi jusqu’à la Quatrième salle du Centre National des Arts, à Ottawa, pour trois représentations.

* * * Je crois que les plus belles destinations sont les rencontres que l’on fait sur sa route. Il y a des gens que l’on croise au bon moment, que l’on revoit malheureusement trop peu souvent, mais qui – et parfois même sans savoir à quel point – comptent pour beaucoup dans nos vies. Monsieur Paul, bibliothécaire à l’école secondaire Franco Cité d’Ottawa, en est un pour moi. Nous nous sommes connus il y a fort longtemps, au temps du Wasteland. Les ados, lui, il connait ça ! C’est un vrai pédagogue, un authentique comme il s’en fait peu. Avec un style très personnel qui fait appel au silence, à l’imagination et au rire, monsieur Paul nous laisse le temps de réfléchir ; avec lui, on se sent un peu plus intelligent, rien n’est jamais ennuyant, il y a toujours quelque chose à faire, à découvrir, une piste à suivre. Sa porte est ouverte en permanence. Ce cher Paul, que j’avais retrouvé à la première du Dépanneur Sylvestre, avait généreusement offert de m’héberger pendant ce séjour et comme je ne voulais pas abuser de la générosité du « Rustre », j’ai accepté son invitation avec grand plaisir. Il m’a répété que, pour lui, « les artistes sont importants », à moi qui avais bien besoin de l’entendre. Nos solitudes se croisent et, le temps d’un bon repas, nous nous racontons nos histoires respectives. Le rire est au rendez-vous, la légèreté aussi. Monsieur Paul est né à Schaerbeek, une commune bilingue de Bruxelles, là même où est né et a vécu le jeune « Jacky » Brel. D’origine flamande lui-aussi, il se souvient même l’avoir vu passer devant chez-lui au volant du camion de la cartonnerie familiale. Pendant la journée, alors qu’il s’occupe à déboucher les cerveaux des ados qui font bien ce qu’ils peuvent de leur vie, je sors ses deux chiennes, Kooni et Maya. Je leur récite des textes pour les distraire

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dans leur enclos. Elles m’écoutent poliment, les filles, appréciant ma présence parce que je les fais sortir de la maison, mais au fond elles n’en ont rien à cirer. Pour ma part, la situation me convient parfaitement. Avant de partir au spectacle, je lui laisse sur la table de cuisine ces quelques vers griffonnés de L’Auvergnat.77

Ce n’était rien qu’un peu de pain Mais il m’avait chauffé le corps Et dans mon âme il brûle encore À la manière d’un grand festin

* * * Dériv’Gauche a été présenté à sept reprises. Puis, la veille de notre dernière représentation, à Ottawa, plus précisément le neuf octobre, un courriel tombe dans ma boîte de réception. À peu de choses près cela disait : Tu te souviens de moi ? Que dirais-tu de venir travailler quelques temps en Belgique ? Mille millions de mille sabords, c’est le « Capitaine » ?!!? Au rapport !

De  :  Serge  Côté  [mailto:[email protected]]    Envoyé  :  vendredi  10  octobre  2008  18:16  À  :  Le  «  Capitaine  »  [mailto:[email protected]]    Objet  :  Dragone  casting      Cher  Capitaine,      Si  je  me  souviens  de  toi  !      Je  termine  mes  tours  de  chants  le  25  octobre  à  Montréal,  suis  disponible  et  très  intéressé  par  ta  proposition,  réécrirai  plus  longuement  dimanche  lorsque  je  serai  de  retour  chez-­‐moi…      Au  plaisir  de  te  revoir  très  bientôt  et  mes  amicales  salutations.      Serge  ;o).  

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Une invitation inattendue à me rendre au pays de Brel, de Magritte78 et de Tintin. Décidément j’ai quelque chose avec la Belgique. C’était là une offre inespérée qu’un individu dans ma situation ne pouvait pas refuser. Bonnes conditions, un salaire. Alleluia ! J’ai mis Loula en pension à la campagne, chez Éthel, et j’ai sauté dans le premier avion pour Bruxelles. Je n’avais pour tout bagages que mes vêtements, quelques livres… en moins, l’accordéon, le yukulélé et mon sempiternel chapeau sur la tête. Une valise dans chaque main.79

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X

J’ARRIVE Le « Capitaine »

Lundi 3 novembre 2008 Pascal et le « Capitaine » m’attendaient à Zaventem. Après avoir récupéré mes bagages, nous avons tout de suite pris la direction de La Louvière située à une soixantaine de kilomètres de l’aéroport. Sur l’autoroute, je les écoute attentivement parler des projets qui sont sur la table, essayant de prendre le pouls de la situation et de mesurer l’ampleur du défi qui m’attend. Or, The most remarquable showmaker in the world – entendez Franco Dragone80 – travaille sur plusieurs spectacles à grand déploiement et pour en parler, mes amis, ils en parlent. J’aime les gens qui ont envie de faire des choses. Amorti par le décalage, chemin faisant, je m’abandonne à contempler le paysage et nous passons devant le fameux lion de Waterloo. Si je ne suis pas très fort en histoire, j’ai le mérite d’être curieux. Alors j’ose demander à Pascal, en observant ce lion tout en haut de sa colline artificielle, ce que ça pouvait bien vouloir dire ? Alors Pascal ne se gêne pas pour me rappeler mon ignorance, lui, l’historien qui se souvient de tout. À sa manière, il me répond :

— Waterloo, Napoléon, ça te dit quelque chose ? Allo, y a quelqu’un ô Québec ? Qu’il me fait.

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Nonobstant l’inévitable commentaire que j’encaisse avec humour, il finit néanmoins par me refiler l’info et même davantage. Avec Pascal on apprend toujours quelque chose :

— C’est un souvenir de nos amis les Anglais, ce lion, coulé avec le métal des canons de Napoléon, qui pointe vers la France comme un avertissement ou une provocation, dépendamment du côté de la frontière où tu te trouves.

Évidemment, c’est à Pascal que je dois presque tout ce que je connais des arts de la piste. Lors de mon premier voyage pour le Cirque à Paris, en 93, une complicité réciproque s’est vite installée entre-nous. Il m’a ouvert les portes de lieux prestigieux et partagé avec moi sa passion pour le cirque en me dévoilant son fabuleux trésor, sa collection de bouquins, de revues, de peintures, de programmes, d’affiches, de costumes, de boules-à-perruques, d’estampes, de gravures, d’accessoires et même de produits dérivés du début du siècle dernier !

Je me rappelle entre autres de notre passage au Musée des arts et traditions populaires où, à la faveur d’une visite privée en compagnie de Môssieur le directeur en personne, nous nous sommes émerveillés tous les deux devant quelques tirages originaux de Man Ray81 et l’œuvre intégrale des sœurs Vesque82 alors conservés dans les voûtes, attendant le jour d’être présentés au grand public.

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Au centre de documentation de l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, grâce à lui, j’ai même pu tenir dans mes mains – avec des gants blancs – un bouquin

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rarissime, Trois dialogues de l'exercice de sauter et voltiger en l'air, le premier traité d’acrobaties, publié en 1599 – avant même la fondation de Québec ! – par Archangello Tuccaro, un jongleur de la cour de Charles IX, surnommé le Saltarin du Roy.

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Bien sûr, au cours de ce voyage initiatique, j’ai été fort impressionné par la richesse d’un art séculaire que nous avions eu la prétention d’avoir réinventé au Cirque. Pffff !??!85

Un peu engourdi, je dépose mes affaires à l’hôtel et on se rend au Bruit qui court pour un premier briefing du « Capitaine » qui a des projets pour les dix prochaines années. Au digestif, on se donne rendez-vous le lendemain à neuf heures pour le premier de mes deux cent vingt jours de CDD (Contrat à durée déterminée) chez Franco Dragone Entertainment Group, et je rentre seul à pied jusqu’à la chambre 110 de l’Hôtel TRISTAR où je vivrai en attendant de me trouver un appartement à Bruxelles. Le chagrin des départs, là nous y sommes. Le cœur en compote, je suis de la couleur du temps qu’il fait. Tout gris. J’ai dû laisser derrière ma belle Ofelia, seize ans, seule dans la petite maisonnette de la rue Ferland, et Loula à la campagne. Elles me manquent toutes les deux dès le premier jour et, d’ici le mois de juin, un long hiver de travail et de voyages nous sépare. En me promenant dans les rues de La Louvière, je fredonne La complainte du phoque en Alaska86 ;. habituellement, ce sont les enfants qui quittent la maison pour suivre le cirque, pas les parents.

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À La Dolce Vita,87 le restaurant de l’hôtel, je découvre pour la première fois les vertus réconfortantes de la minestrone. En fait, ils sont pour beaucoup d’origine italienne dans la région du Hainaut, comme Giuseppe – le papa de Franco – venu en Wallonie pour travailler dans les charbonnages. Ici, trois générations se souviennent de la minestrone de la Mama. Lorsque je demande au garçon, un peu piteux, s’il n’aurait pas une bonne soupe à me proposer, il m’offre la minestrone qui n’est pas sur la carte, mais il nous faudra le temps de vous la préparer ! Pas de soucis, personne ne m’attend. Avec ou sans pâtes ? Sans. Dans l’intervalle, je vais m’enfiler une bonne bière belge en écrivant des conneries sur le napperon plein de clichés des films de Fellini. Quarante minutes plus tard, une excellente soupe chaude, pleine de légumes frais et de fines herbes, le quignon de pain et les deux verres de rouge me raniment et me consolent un peu. L’hiver est à nos portes, il commence à faire froid ici et certains soirs une pluie glaciale fait même fuir les ados qui ne traînent plus nulle part sur la Place Maugretout. Les premiers jours, je rêve en Amérique et me réveille en Europe. Bizarre. J’ai peine à croire que toute ma vie ait basculé aussi vite. Comme un rêve en réalité. Et je connais le boulot pour l’avoir fait pendant neuf années au Cirque, de ce côté-là pas de soucis, je sais comment m’y prendre. Les collègues sont pour la plupart charmants. Au matin, hommes et femmes se font la bise quand ils se croisent pour la première fois. Il y a plein de jolies filles autour de moi, ce qui n’est pas pour me déplaire même si elles sont trop jeunes, hélas, ou déjà casées. Faire du casting est une entreprise de séduction avec les artistes, mais c’est aussi une question d’exciter les sens d’un créateur – à la démesure de Franco – à coup d’opportunités et de propositions. Je peux vous dire qu’il n’est pas facile de l’impressionner, notre bon maître, parce qu’il a beaucoup voyagé, a vu des centaines de spectacles et connaît personnellement un très grand nombre d’artistes de tout acabit. Il faut donc se lever de très bonne heure pour le surprendre, « oui notre Monsieur ». Intuitif, le « Capitaine » s’était constitué une équipe de rêve au Casting – dont j’ai eu le privilège de faire partie avec Pascal – pour calmer l’appétit insatiable de l’ogre en quête perpétuelle de

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nouvelles inspirations. Sous sa gouverne, nous avons proposé de jeunes et beaux artistes talentueux – frais émoulus de l’école – que Franco ne pouvait évidemment pas connaître. Malin il est, le « Capitaine » ;o).

J’ai rencontré Franco pour la première fois au moment de la création de Saltimbanco, en 1991, à ma toute première journée de travail au Cirque. On m’avait demandé de l’accompagner au Centre Immaculée-Conception88 pour filmer une session de travail avec les artistes de la troupe maison engagés par la jeune Direction du Casting, alors sous la gouverne de la belle Nicolette, pour ce spectacle qui nous surprendrait tous par son universalité et ses records de longévité. À sa demande, je me suis installé au centre du grand gymnase avec mon trépied et la caméra. Il me dit : « Tu les filmes tous, puis, lorsque je m’adresse à un artiste en particulier, tu le filmes en gros plan. » Alors, il les a fait longuement déambuler dans l’espace en les observant avec intensité. J’ai filmé tout l’après-midi, impressionné par l’énergie que les jeunes déployaient dans ce travail de création, et par l’intuition de Franco pour les amener à sortir de leurs gonds et à nous laisser entrevoir quelque chose d’authentique. C’est ainsi que les baroques89 naissent, un à un, sous nos yeux. Ses instruments à lui, ce sont les artistes. Et je les enviais presque, fasciné par la manière que Franco avait de leur parler, de les pousser au maximum à exprimer quelque chose de vrai. Une de ses forces est de reconnaître les capacités de chacun, leurs potentiels, et de les incorporer avec bonheur dans la création de personnages à partir de leur nature intime. Par la suite, le défi des gens du casting sera de les remplacer à la fin de leur contrat, mais ça c’est une autre histoire.

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À mon premier week-end louviérois, au hasard d’une promenade au centre-ville, j’ai découvert la toute petite boutique d’une vieille dame qui vend des bouquins d’occasion, à quelques minutes de marche de l’hôtel. Elle est sans âge. Derrière ses fonds de bouteilles, de petits yeux vifs vous observent et elle s’exprime à demi-mot. Chez-elle, ça sent le vieux papier et son petit commerce est surchauffé par un poële à charbon datant du XIXième siècle. Le Livre des illusions, un magnifique roman de Paul Auster,90 m’attendait en vitrine pour 4,5 €. En me rendant la monnaie elle dit : Ah, oui, Paul Auster c’est bien. Mais elle n’avait pas sur ses rayons Le loup des steppes que j’aurais bien aimé relire. Herman Hesse,91 c’est bien aussi. Si je me suis toujours senti étranger, là, je le suis effectivement. Dès que j’ouvre la bouche, les gens comprennent assez vite que je viens de loin. Plusieurs même reconnaissent l’accent québécois et s’en amusent. Le « Capitaine » est un homme de parole ; ce que j’aime de lui, c’est son intégrité. Mais il faut être prêt à se défendre, car s’il a une idée, en général, c’est la bonne. Je comprends vite qu’avec lui il est préférable de ne pas souffler sur le feu au risque de déclarer un incendie majeur, voire une catastrophe nationale ! Tout est toujours urgent, et quand c’est urgentissime… attention, prioritaire ! Alors je me lance avec lui dans un mini tour du monde du cirque en trois festivals. Au Festival Internacional de Pallassos de Cornellà, commune de Barcelone, j’ai l’occasion de voir performer Peter Shub,92 Bello Knock93 et Andrei Gigalov,94 trois clowns remarquables dont j’admire le travail depuis fort longtemps. Au bar de l’hôtel en fin de soirée, Bello, après m’avoir dit qu’il aimerait beaucoup travailler avec Franco – quitte à revoir son image de clown à l’américaine – me raconte sa vie de saltimbanque en compagnie de sa maman, une ancienne trapéziste. C’est un enfant de la balle, Bello, un vrai, de la septième génération, et je vous assure que, du haut de ses quarante piges, il en a du kilométrage au compteur. Né entre deux valises, il a atteint les plus hauts sommets à New York avec Ringling. En 2008, le magazine Time l’a même désigné comme le meilleur des clowns américains ! Il me montre des photos de ses inventions, de son personnage ; ici on le voit exécuter ses cascades comiques au trampoline, là il est suspendu à

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un hélicoptère en train de déconner au-dessus de la statue de la Liberté ! À Paris, c’est le Festival mondial du cirque de demain, une trentième édition haute en couleur aux pelouses de Reuilly, sous le grand chapiteau de l’Européenne des spectacles. Là, il faut dire que nous avons fait très fort. La qualité parle d’elle-même. Facile à repérer dans la foule grâce à mon chapeau, je fais des relations publiques et du gnougnougniafiage95 d’artistes dans le foyer du chapiteau où l’équipe de La Louvière a monté une superbe exposition intitulée Le Tailleur du rêve, du titre du bouquin qui relate la vision et le travail de Claude Renard,96 le concepteur des costumes du spectacle Le Rêve que Franco a créé à Las Vegas, sous son propre label. Ce sont des costumes magnifiques, et nous présentons les planches originales de l’artiste ainsi qu’un montage vidéo en boucle dans une mise en place assez réussie. Un carton. Enfin, pour ce qui est du Festival international de cirque de Monte-Carlo, il n’y a rien à dire. Je risquerais de n’être pas gentil, ce qui n’est pas dans ma nature.

* * * À Bruxelles on organise une super manif contre la politique d’Israël à l’égard de la Palestine. Quand il en a vraiment marre de se faire tirer dessus, le bon peuple descend dans la rue ! Et c’est ce que nous avons fait, le « Capitaine », la « Castafiore » et moi par un matin de janvier frileux en compagnie de tout ce que Bruxelles comptait d’Arabes et de pacifistes en état de se tenir debout et de marcher un peu. La « Castafiore », c’est le pseudonyme de la blonde du « Capitaine », aux fins de ce récit, même si elle n’a rien à voir avec la célèbrissime cantatrice de bande dessinée que l’on connaît bien. Activiste, c’est une femme engagée, comme Éthel à qui elle me fait penser et dont je m’ennuie souvent. Mais la « Castafiore » avec le « Capitaine », nous avons là deux personnages, et pourquoi pas ?

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Quand elle m’a demandé si je voulais participer à la manif, je n’ai pas hésité une seconde à accepter. Il faut se méfier des « adultes » qui ont la « foi » et qui sont convaincus d’avoir de bonnes idées ! À vos marques, les comptables, nous allons maintenant compter les morts inutiles depuis plus de soixante ans... et c’est parti ! Combien ? Beaucoup trop, certes, mais pas encore assez semble-t-il ! Et tout ça au nom de Dieu ? Immonde à vomir ! Alors, depuis Hankar et jusqu’à la Gare du midi, nous étions en minorité, les Caucasiens, dans le métro. Le « Capitaine » me dit alors à l’oreille, mais pour que sa blonde entende : Attention, surveille bien ton portefeuille, c’est plein d’Arabes ici ! Je pouffe de rire. La « Castafiore », qui ne la trouve pas vraiment drôle, rit quand même. Moi, ce qui m’énerve un peu chez les Arabes c’est que souvent, sur la photo, ils font la baboune. Remarquez, ils ont sûrement leurs raisons, mais je trouve que ça manque un peu d’humour, leur truc. Qui ne vaut pas une bonne risée ne vaut pas grand chose disait parfois la « Madeleine » quand elle se trouvait conne. Eh oui, encore l’humanité.

* * * Tous les dimanches, j’appelle mon paternel, et ne manque pas un seul rendez-vous de toute l’année. C’est impératif. N’eût été de ce coup de fil hebdomadaire, où nous ne nous en disions pas davantage que d’habitude, je serais sûrement rentré plus tôt à Montréal. C’est un sage le paternel qui, devant les différences, sait lire entre les lignes. Mais en Belgique, de jour en jour, le « Capitaine » est de plus en plus… soupe au lait. Plutôt à vif, le personnage, et parfois même tragi-comique. Je sens bien qu’il y a quelque chose qui cloche, mais je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. À l’heure du midi nous allons manger au Coin, le restaurant qui est situé juste à côté du bureau. Il a de l’appétit pourtant : les deux p’tites bières, l’entrée, deux verres de rouge, le plat, le dessert et pour finir un J&B et / ou un expresso ! Mais visiblement ce n’est pas la forme, il cherche son air et n’est pas très agréable avec son entourage immédiat. Devant

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tant d’anxiété, je lui dis que ça ne vaut pas le coup de s’énerver comme ça pour personne – pas même pour Franco Dragone – et que ce n’est sûrement pas très bon pour sa santé… mais, songeur, il ne me répond même pas. À Coraline, ma collègue et amie, qui commence à s’inquiéter sérieusement de la santé et de la mauvaise humeur croissante du « Capitaine », je lui chante quelques vers de la petite chansonnette pour enfant que nous écoutions, Ofelia et moi, extraite du disque Lala et le cirque du vent d’Anne Sylvestre97 que je lui avait offert pour ses quatre ans.

Il y a des gens qui ont l’air méchant Qui vous aiment bien pourtant

Il y en a beaucoup Des gentils comme tout

Qui vous briseraient bien le cou Faut pas croire Faut pas croire Faut pas croire

Tout ce qu’on voit Il faut deviner l’histoire Écouter le cœur qui bat

Et puis, un jour qu’il se fâche pour une connerie et que j’en ai tout à coup marre de l’entendre râler, je demande à Coraline – en m’organisant pour que le « Capitaine » m’entende de son bureau – SI ELLE CONNAÎT LE POÈME LE PLUS COURT DU MONDE ? Dans la négative, je lui balance en lui faisant un clin d’œil :

SI QUELQU’UN VOUS DIT : JE ME TUE À VOUS LE DIRE…

LAISSEZ-LE MOURIR !

Jacques Prévert98

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Et merde, je vais me taper une clope avec Tof, mon pote musico, sur la terrasse des fumeurs. Tant pis pour lui.

* * *

Le 4 mai, la « Castafiore » m’appelle vers six heures du mat pour me dire que le « Capitaine » a subi un infarctus dans la nuit et qu’il est passé à deux doigts d’y laisser sa peau. Tout s’explique, il avait une artère obstruée à plus de 90 % ! Il était complètement bouché le « Capitaine » ! Quand je suis allé lui rendre visite, le surlendemain de son accident, avec Pascal, je me suis bien gardé de lui dire que je l’avais prévenu. Il était en convalescence dans un hosto où les patients pouvaient descendre au restaurant manger convenablement avec des parents ou amis. Pour l’occasion, le « Capitaine » s’était habillé. Malgré sa petite voix de lendemain d’intervention chirurgicale, en toute dignité pour fêter leur anniversaire de mariage, à lui et la « Castafiore », il s’est même payé le luxe d’une bonne bouteille de vin et d’un J&B sur glace, un seul, non, deux. La vie est belle, on s’entend tous là-dessus. Pour lui, exit la clope, définitivement. Mon paternel aussi a déjà eu des ennuis cardiaques, et un jour il a dû subir un triple pontage coronarien. Quand il m’a aperçu sur le pas de la porte de sa chambre d’hôpital, il a tout de suite pris dans ses bras son « bébé », un petit coussin que tu presses sur ta poitrine quand tu tousses ou que quelqu’un te fait rire, pour ne pas faire sauter la suture ! Il connaît bien son fils, le bougre, mais après m’avoir montré ses deux cicatrices, les jambes molles, je n’avais même plus envie de faire de blagues. Par contre le « Capitaine », lui, n’a pas de cicatrices ! Les toubibs ont fait leur travail en insérant un cathéter par son poignet dans son artère – ouille quand même – mais pas de soucis pour la suture. Quelques jours plus tard, en allant le visiter afin de lui remettre ses papiers d’assurance, je lui raconte une anecdote qui aurait assurément fait sauter la suture, si j’en crois les rires qui ont suivi.

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Attention, je commence. Il ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec de la Colle Folle. Jamais. La veille, un Pascal à l’air embêté me demande si j’ai un couteau coupant ou alors un exacto à lui prêter. Devant son embarras, je lui dis que je dois bien avoir ça quelque part et demande si je peux l’aider de quelque manière. Précisons que Pascal – un Parisien authentique – ne travaille que quelques jours par semaine à La Louvière et qu’il fait des allers-retours hebdomadaires en Thalys (Paris – Bruxelles en moins de deux heures !). À Bruxelles, il habite le même gîte que moi sur la rue des Trois-Ponts. Le pauvre, le talon s’était décollé de sa chaussure et il avait voulu – ce qui est louable – le réparer lui-même. Alors Pascal, en appliquant la Colle Folle, avait laissé couler par inadvertance quelques gouttes du produit miracle sous son talon. Alors, au moment de vérifier si ça tenait le coup, naturellement, le bottillon est resté… bien collé au plancher ! C’est ennuyeux, ça, quand on a qu’une paire de chaussures et qu’il faut prendre son train pour aller bosser. Après plusieurs tentatives, il avait fini par réussir à décoller le talon récalcitrant, mais il en restait encore une trace sur le plancher qu’il aurait bien aimé faire disparaître pour ne pas embêter le proprio plutôt sympathique. Et nous voilà tous les deux assis par terre, en rigolant comme des mômes, avec en main des couteaux de cuisine et du solvant, en train de se dire que parfois les choses ne tournent pas toujours comme on l’avait prévu.

* * * Pour suivre à distance les périgrinations de ma belle Ofelia laissée à elle-même au Québec, à la suggestion d’Éthel, je me suis inscrit sur FaceBook. WOW ! OMG ! LOL ! MRD !??!

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XI

BRUXELLES La « belgitude »

C’est le printemps. J’habite un petit studio dans une mansarde de la rue des Trois-Ponts à Auderghem, jolie commune de Bruxelles depuis cinq mois : le Studio Soleil, sans blague. Les cerisiers sont en fleurs et l’immense maronnier du Boulevard des Invalides aussi. Quand je me rends à L’Avant-Première du Square Saint-Julien, le soir après la journée de boulot, Thierry m’apporte le menu et je choisis ce qui me tente, parfois avec un apéro, toujours un quart de rouge maison, et quand j’ai la forme, un digestif. Je mange lentement, épiant discrètement les conversations autour de ma table et j’ai le sourire facile. C’est délicieux ! Cette année, il fait tellement beau que les Belges ne se font pas prier pour faire du temps supplémentaire sur les terrasses, toutes générations confondues. Il faut dire que le soleil se couche ici, à Bruxelles, beaucoup plus tard que chez-nous, au Québec. Même si Thierry a repéré le Québécois dès le premier jour – c’est un amateur de grands espaces – je connais encore peu de gens et, dans mes temps libres, je griffonne des conneries, peinard, sur les pages du petit moleskine que je traîne partout.

Le ciel de la Belgique dessine des nuages fabuleux qui me dictent cette histoire. Je fais le grand ménage dans ma tête enfumée, j’ouvre des fenêtres sur l’infini, je m’accroche aux parois des falaises oubliant les vertiges de la peur pour faire place à l’Amour. Voilà mon seul courage pour faire face à la vie, faire place à l’Amour…

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Ici, savoir c’est pouvoir. On s’en rend compte assez vite. Les gens sont affables, pas trop pressés et je le dis sans ambage, J’aime les Belges ; 99 je me suis senti tout de suite accueilli chez ces gens-là. Ils nous ressemblent. En plus j’avais raison, Brel et moi, nous étions du même univers, d’un monde d’humains, parfois tout gris, d’autres fois éclatant de lumière, jamais tranquille. Au lendemain du mariage de Coraline, où j’avais bu pas mal de vin rouge en compagnie du « Capitaine » et de la « Castafiore », j’ai enfilé mon tuxedo, mon chapeau et mes lunettes de soleil, puis j’ai improvisé une petite vidéo sur Le théâtre magique100, un texte que m’avait offert le « Gros » Bob, en m’accompagnant au yukulélé. J’avais emprunté une caméra du boulot, et mon collègue Tof a eu la gentillesse de me le mettre sur CD, de sorte que je puisse le faire parvenir à mon ami Marc, chargé de sa diffusion lors du spectacle en hommage à la vie et l’œuvre du « Gros » Bob, à l’occasion du deuxième anniversaire de son décès, par le collectif de L’envolée des oies sauvages dont je fais partie, même ici à distance, de l’autre côté de la grande mare.

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Sur le quai de Bruxelles Central, voie 8, en attendant le train de La Louvière que je prends désormais tous les matins en l’absence du « Capitaine » qui « convalescence » chez-lui, incorrigible avec son Blackberry, trépignant d’impatience de revenir au boulot, j’ai l’impression d’être dans une bédé d’Hergé.101 Je voyage dans un vieux train dont la locomotive est pleine de graffitis, à l’heure des ados, et je suis à même de constater qu’ils sont aussi cons en Belgique qu’au Québec. Me voyant tirer sur ma clope, il y en a même un qui se risque à me demander une sèche et je lui tends mon paquet de tabac Pall Mall avec le papier-à-rouler Rizla à l’intérieur. Il refuse, même pas poliment, l’air de me dire : Non, mais tu me prends pour qui ?

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L’adolescence est un âge ingrat où le cerveau s’atrophie – semble-t-il – temporairement pour les plus chanceux.

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XII

CES GENS-LÀ Le « Chicon »

« La liberté, Sancho, est un des biens les plus précieux que le ciel ait accordé aux hommes. De tous les trésors enfouis sous la terre ou cachés sous les mers, aucun ne saurait l’égaler. C’est pour la liberté et aussi pour l’honneur, que l’on peut, que l’on doit risquer sa vie ; car l’esclavage est le pire de tous les maux qui puissent accabler les hommes. »

Don Quichotte de la Manche, le chevalier à la triste figure

La station de métro Hankar – à deux pas de chez-moi – sent plus souvent la pisse que la bière. Eh oui, c’est le « Chicon », SDF en titre à Auderghem. Un personnage tout droit issu d’une toile de Bruegel,102 un phénomène. Nez rouge et petite bedaine. C’est lui que l’on retrouve au matin, sur un banc de parc quand il fait beau, ou de métro s’il drache.103 Le « Capitaine » me raconte que sa maman – une personne par ailleurs fort respectable – le laisse entrer chez-elle, une fois la semaine, pour qu’il prenne une douche, fasse son lavage et puisse se changer. Devant la pâtisserie où Madame Anthierens lui offre régulièrement son pain de la veille pour le petit déjeuner, le « Chicon » m’explique un jour, souverain, que le pain d’hier est aussi bon que celui d’aujourd’hui. Il n’y a pas de soucis, me dit-il. Z’auriez pas quelques centimes d’Euro, par hasard, mon bon monsieur ?

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Seuls sont libres ceux qui veulent véritablement l’être, de l’avis de mon neveu Léo. Qui sait ? Toujours est-il que le « Chicon », un peu tête brûlée, se soulage dans l’instant et où il peut ; bizarrement, c’est souvent dans l’escalier du métro Hankar. Il y a même une expression pour ça, à Bruxelles, quelque chose comme du terrorisme urinaire ou de la pisse sauvage, j’ai oublié, enfin y sentait pas bon.104

Mais il est tard Monsieur Il faut que je rentre chez-moi105

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XIII

LA VILLE S’ENDORMAIT Christophe

Auderghem, le samedi 22 août 2009 Cher ami, La voici enfin cette bafouille à l’ancienne dont nous avons brièvement parlé au téléphone. J’en ai mis du temps, mais c’est la première lettre que j’écris depuis des lustres. Aujourd’hui, tout passe par le courriel, on pense vite à ce qu’on va écrire, on prend à peine le temps de se lire. Tout est dans l’immédiat. Cela dit, je n’étais pas étonné d’apprendre que, toi, tu n’aies pas encore l’Internet. Ça te ressemble. Pas surpris non plus de te savoir en Bretagne, près de la mer. En revanche, j’ai trouvé curieux le fait de vivre moi-même en Europe au moment où tu retrouves ma trace après toutes ces années. Nos retrouvailles virtuelles sur FaceBook, par l’entremise d’Anna W. dont je n’ai pas encore compris le lien qui vous unissait ou alors tu les choisis bien jeunes ;o). Et le titre du message que j’ai tout de suite reconnu : Un jour, une route en Irlande… premier vers de notre toute première collaboration : La route106 qui n’est pas une chanson très réussie, soit dit en passant. Mon cœur n’a fait qu’un tour et je me suis retrouvé tout de go trente ans en arrière avec de la brume dans les yeux.

La Karman Ghia, même si elle n’était pas tout confort, avait le mérite d’avoir de la gueule et ne nous a jamais laissé tomber. Sur les routes enneigées du Québec, Christophe et moi roulions avec pour seul chauffage un bricolage de dégivreur tirant sa chaleur du moteur

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même, des couvertures sur les genoux, avec des gants. Car – c’est bien connu – les chaufferettes à gaz de Wolkswagen brisent tout le temps, coûtent cher à réparer et consomment beaucoup trop d’essence. Il faut dire que nous avions pour cette tournée un budget très limité, que nous en étions nous-mêmes les producteurs.

La liberté se calcule en kilomètres… la preuve,

c’est qu’on met les prisonniers entre quatre murs.107

Vian / Brel, de Saint-Cucufa à Knokke-le-Zoute ! était le titre complet du spectacle. Accessoires : une valise, des partitions et un piano acoustique. En deux parties : la première c’était Boris Vian (De Saint Cucufa…) et la seconde Jacques Brel (…à Knokke-le-zoute !). En noir et blanc comme au cinoche. Concept.

Au Québec, Boris Vian n’était alors connu que de quelques initiés. Je revois la tête des motoneigistes de L’Entracte, à Chicoutimi, devant leurs tables pleines de grosses bières, géants hirsutes à cheveux longs, s’arrêter de parler d’un coup sec quand ils ont aperçu le ti-cul en costard cravate et qu’on leur a balancé On

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est pas là pour se faire engueuler ! en début de programme. Il y a eu comme un moment de doute, là, qui m’a semblé un peu long. Quant à Brel, il était venu chanter chez-nous à plusieurs reprises depuis la fin des années cinquante, il faisait déjà partie de la famille. Interpréter ses chansons, en 80, alors qu’il venait à peine de disparaître, c’était un hommage.

Nous savons tous les deux Que le monde sommeille

Par manque d’imprudence Chicoutimi, Roberval, Alma, Montréal, Ottawa et Québec, plus de cinquante représentations en trois mois ; la Karman dévorait la route à une vitesse maximale de cent kilomètres heure, cent dix avec le vent dans le dos, infatiguable sur des milliers de kilomètres. Nous étions jeunes, j’avais vingt-deux ans ; nous étions libres, et nos bagages étaient d’une légèreté déconcertante !

Il en est passé de l’eau sous les ponts depuis trente ans, par quel bout commencer ? Disons que, malgré quelques silences, je ne me suis jamais arrêté de chanter, mais toujours en marge du business et d’un milieu artistique qui ne m’ont jamais vraiment attiré. Moi, ce qui me plaît c’est chanter, jouer et aller vers le public. Le copinage, les gangs, l’ambition, la carrière, la mafia, le faire savoir, l’esbrouffe, les putes, le cabotinage, le fric et j’en passe, ce n’est pas mon truc comme dit Monsieur Henri. Je fais cavalier seul à chevaucher des nuages, là-bas, dans un ciel tout bleu plein de silences. Tu t’en souviens peut-être, lorsque nous nous sommes rencontrés à l’audition du Café le Hobbit, j’habitais Québec avec Momone depuis peu. Nous arrivions tout juste de l’Outaouais. Après ton retour à Paris, ne trouvant pas de boulot et venant de perdre le meilleur accompagnateur du monde, j’ai dû faire des ménages dans les bureaux de mon ami Gilles pour joindre les deux bouts. J’ai un peu piqué du nez, tu vois. Puis un jour, j’en ai eu marre de regarder faire les autres, et suis retourné dans l’Outaouais où il y avait beaucoup plus d’occasions pour un « artiste », comme moi, en début de parcours.

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Et cette soirée, Aux 4-Jeudis, avec la « Madeleine » qui nous a fait le coup de glisser sur les tuiles des toilettes, ivre d’émotions mêlées à du gros gin De Kuyper. C’était pendant Au suivant, si ma mémoire est bonne. Quand j’ai entendu le bruit de sa chute, je me suis précipité dans les toilettes des dames, juste à côté de la scène, pour m’assurer que tout allait bien. Par chance, ce n’était rien qu’une bonne prune en plein front. Que le spectacle continue ! Je remonte sur les planches et Momone la raccompagne à la maison.

Dans l’Outaouais, je me sentais un peu comme à l’étranger, ce qui n’était pas pour me déplaire, et curieusement j’étais beaucoup moins timide. Aussi ai-je fini par me frayer un chemin sur la scène locale en produisant des spectacles dont je m’organisais souvent pour faire la première partie, Monique Leyrac, Suzanne Jacob, Robert Grégoire, et jusqu’à la radio de Radio-Canada où je suis devenu recherchiste musical dans un curieux concours de circonstances. À compter de cette année-là, j’ai réalisé qu’il me faudrait toujours un boulot alimentaire pour me permettre de mener mes projets de chansons en toute indépendance. La différence a un prix, diront les comptables. Mais tu sais comme j’aime voyager, il n’y a alors rien d’étonnant qu’au final je me sois retrouvé au Cirque. Décidément, rien de ce que j’entreprends ne marche comme prévu, mais ça finit toujours par mener quelque part. Maintenant je m’y suis habitué, c’est tout, et ce tout, je le prends au jour le jour et comme il vient.

À L’Emprise de l’Hôtel Clarendon, j’ai reçu un télégramme laconique, mais émouvant de la « Madeleine » pour la Première. Le « Grand », lui, en tuxedo défraîchi, s’occupait de déchirer les billets à l’entrée et de souhaiter la bienvenue au public. La classe ! Avec panache, il jouait ça comme au théâtre. Après la dernière représentation, la douzième, nous avons repris la route une dernière fois, Christophe et moi, en Karman Ghia, direction Boston, où l’attendait le boeing de son retour sur Paris.

Je ne regrette rien de toutes ces années de galère, bien au contraire, mais j’en suis venu tout de même à la conclusion que ce monde du spectacle n’est qu’une illusion, que le fond des choses est ailleurs, plutôt vers l’intérieur de soi, je pense.

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Une année que les demi-finales du Festival International de la chanson de Granby avaient lieu sous le chapiteau du Cirque parce que le théâtre Palace était en restauration, j’y ai pris un bide du tonnerre en tentant de défendre trois chansons originales, sur un piano électronique de merde, juste après qu’Isabelle Boulay eut cassé la baraque avec Amsterdam.108 Une jeune fille de moins de vingt ans qui interprète Amsterdam ! Une jeune poulette qui pisse comme elle pleure sur les femmes infidèles ! Faut le faire. Quelle déception pour moi ! Recalé pour la seconde fois en semi-finales, tu te rends compte ? Si tu avais été avec moi ce soir-là, cher Christophe, j’aurais sans mot dire changé le programme et on leur aurait fait Amsterdam… rien que pour foutre un peu la merde dans leur concours. Comme je te l’ai déjà dit, je ne regrette rien, je suis un dur à cuire malgré le petit format. Mais quelle ironie tout de même ! Au restaurant, après le spectacle, j’ai avoué à mon paternel – qui tentait comme il pouvait de tempérer les choses – à quel point j’avais honte d’avoir été aussi mauvais. Mais il en fallait plus que ça pour m’arrêter ; j’ai tourné le dos à ce petit jet set provincial, j’ai repris ma route, et surtout… j’ai continué d’écrire mes conneries. Quelques années plus tard, à l’été 93, j’ai écrit L’Amour et la Cage,109 sur une mélodie de Claude Dubois110 entendue à la radio, une jolie ballade pour la mère de ma fille que j’ai tant aimée, même trop, même mal. C’était un concours, et c’est mon texte que l’interprète du Blues du businessman a choisi parmi les mille et quelques textes proposés. Alors, je suis retourné à Granby pour la troisième fois, mais cette fois-ci pour voir et entendre Claude Dubois interpréter mon texte, ce qui voulait dire que je n’étais pas si mauvais en bout de ligne.

Comme un amant Rebelle et fou

Sous les ponts de la vie J’t’ai cherché partout De l’aube à la nuit

Seul, j’allais jusqu’au bout De ma vie d’aventures

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Chevalier errant sans armure Rêveur de grand chemin

J’avais la peau dure Et peur de rien quand je satais la clôture

Pour suivre mon étoile Sache que je garde de notre tournée Vian / Brel le plus merveilleux des souvenirs. Nous étions les enfants du voyage. Les répétitions. Les murs de l’appartement de la rue Sault-aux-Matelots comme une page blanche pour l’écriture de notre spectacle. Tes gammes quotidiennes. Avec ton voilier dans la tête et ta pipe au bec, tu trimais dur à ton piano, écrivant à la main tous les arrangements transposés dans mon registre. Nous avons bien bossé ensemble, j’ai eu beaucoup de chance de te rencontrer. Tu n’étais pas un fonctionnaire de la musique, toi, comme il y en a trop dans ce milieu, qui arrivent sur la scène en se demandant ce qu’ils vont faire de leur cachet. Les musicos, parfois même virtuoses, peuvent n’avoir rien à dire et être ennuyeux à mourir, mais ce n’était pas ton cas. Après une année en Belgique, je dois rentrer chez-moi au Québec, à la mi-octobre, et d’ici là le boulot chez The most remarquable showmaker in the world me retiens de te rendre visite en Bretagne. Dommage, mais ce sera pour une autre fois, dès que possible. Promis ! Dans l’attente de te lire, cher vieux loup de mer, je termine en te disant que ce fut pour moi un immense bonheur de passer ces quelques minutes en ta compagnie. Au plaisir de te revoir, Ton « vieil » ami québécois Serge

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XIV

UNE ÎLE Loula et la suite du monde

Val-des-Monts, le premier juillet 2012 Son joli petit cul de labrador trottine devant moi, sa truffe bien collée au sol, car c’est le nez qui mène la grosse Loula. Je la connais depuis qu’elle est toute petite. Avec elle ce n’est pas compliqué ; elle aime être là, voilà, c’est tout simple, si simple que – pour certains – ça peut même paraître compliqué. On est les meilleurs amis du monde, elle et moi, nous partageons des tonnes de beaux souvenirs. Des fois, sans rien se dire, on s’assoit côte à côte et on reste là à regarder passer le temps et les odeurs. Quand je viens la visiter, chez ma soeur et mon « beauf », c’est elle qui me fait marcher trois fois par jour. Elle a de l’humour, la grosse Loula, et quand je me fous de sa gueule, elle semble s’en douter, ce qui ne manque pas de me faire rigoler à tous les coups devant son air dubitatif, ses oreilles à l’attention et sa tête penchée sur le côté. Elle est sans rancune. Aussi ai-je fini par faire la paix avec moi-même en apprenant à vivre avec mes vieilles blessures – vive les anti-dépresseurs – et j’accepte désormais beaucoup plus facilement l’impermanence de toutes choses en ce monde. Toujours sur la lançée du big bang initial qui se déploie comme une idée dans l’espace temps, au piano, je m’éternise sur un accord de seconde qui me fait flipper. Je ne suis pas certifié bio. Je regarde s’agiter les autres dans leurs certitudes et,

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pour ma part, c’est l’éloge de la lenteur, je ne retiens que le plaisir de l’instant présent. La vie est trop courte ! Je ne sais pas grand chose, mais ça je le sais ! On dit que la fin du monde est pour bientôt et je ne vois vraiment pas pourquoi on en fait tout un plat. C’est évident que le monde se termine avec moi, et que c’est pour bientôt. Qu’est-ce qu’on est cons !

La vie est belle La vie est brève Elle est cruelle Et on en crève La vie est belle

Aussi belle qu’un rêve

Aujourd’hui, je découvre à petits pas que le plaisir se trouve à faire des choses et non pas à s’en débarrasser ; ceux qui font tout vite pour en arriver plus vite encore à ne rien faire n’ont rien compris aux plaisirs de la vie, et je les emmerde souverainement comme « Le Chicon » saurait le faire. Un illustre, dont j’ai oublié le nom, disait fort à propos que c’est le voyage qui compte, et non pas la destination. Tant de gens ne se doutent même pas d’être déjà morts ! Ils me font penser à ce trait d’esprit du Dalaï Lama : Ils vivent comme s’ils n’allaient jamais mourir, et meurent comme s’ils n’avaient jamais vécu. Bien assis à regarder faire les autres, aurait pu rajouter Brel. Certes, il n’est pas toujours facile de se faire sa propre idée des choses, j’en conviens, mais il ne faut pas croire non plus tout ce qu’on nous dit, et même quand tout le monde en parle, que tout le monde le dit !

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Le chant des oiseaux, une chienne tranquille, la mémoire en péril et le rêve est sans fin. Il y a longtemps que je ne me suis pas senti aussi bien. Ici, l’air est tellement pur que c’est gênant de fumer, tu vois,

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alors un jour, facile, j’ai décidé d’écraser ma dernière clope et de passer à autre chose. La vie est une grande défaite ponctuée de petites victoires comme arrêter de fumer. J’aime penser à ce que l’on perd quand on gagne, et à ce qu’on gagne à perdre. Beautiful losers, écrivait Leonard Cohen, ça me parle, les perdants magnifiques. Quinquagénaire débutant, je demeure un éternel amateur dans le sens de celui qui aime et ne suis toujours spécialiste de rien. Ils m’énervent, les spécialistes ; avec eux, souvent, les choses doivent se faire d’une façon, alors qu’il y a mille et une autres manières de se réinventer chaque jour. Je les trouve ennuyeux, les pros, alors que moi, bien humblement je suis pauvre, peut-être, mais libre d’aller où ça me tente et quand ça me chante. Si la vie est un voyage, ma valise est toujours prête.

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Il faut être toujours ivre. Tout est là :

c'est l'unique question. Pour ne pas sentir

l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules

et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu, à votre guise.

Mais enivrez-vous.111

Un beau matin, il n’y a pas si longtemps, j’étais occupé à corriger mon texte pour la millième fois, alors que tout le monde dormait encore dans la maison. Alors, discrètement comme à leur habitude, bien habillés, bien peignés, bien propres, les Témoins sont arrivés

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devant la porte, mais Loula m’avait déjà prévenu avant même qu’ils ne sonnent. Ils apportaient de la lecture au « beauf » qui avait commis l’erreur, un jour, de leur faire la conversation. Je suis sorti et, sans trop savoir le pourquoi du comment, je me suis mis instinctivement dans le rôle du Dalaï Lama que j’admire infiniment pour son humour caustique et son détachement phénoménal ; aussi l’ai-je imité du mieux possible, en allant à leur rencontre pour leur tendre la main, accueillant, un grand sourire serein au milieu du visage. Le plus grand des deux me dit alors qu’il aimerait beaucoup discuter avec moi, un jour, du bouquin Mankind’s Search For God qu’il m’avait déjà laissé pour le « beauf », en son absence, et que j’avais lu, par curiosité, en souvenir de mon ami le « Gros » Bob. Le petit, plus âgé, avec ses yeux de Juif errant, pour ne pas dire de chien battu, me dit, avec un regard de père qui voit se noyer son enfant, qu’il a vu de ses yeux vu les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale et que c’est pas jojo, quoi, qu’il n’y a que DIEU pour nous sortir de cette humanité de merde. Non, ça, il ne l’a pas dit, n’ayant pas le droit, chez les Témoins, de dire : « humanité de merde », mais DIEU, ouiiii DIEU comme ultime refuge, toujours. Le SEUL responsable de TOUT ! La belle affaire ! Alors, chaleureux, affable et compatissant, je l’ai pris par les épaules, le plus petit, plein d’amour, vraiment, en lui demandant de se faire discret, car je n’apprécie guère les journalistes qui écrivent n’importe quoi. Puis, en baissant le ton comme on le fait quand on va dire quelque chose de très important, je leur avoue ne pas croire un traître mot de leur histoire et pour cause, car je les informe – et on ne peut plus sérieusement – que JE suis DIEU, en fait que DIEU c’est MOI, incognito, et que c’est une affaire personnelle. Je rajoute que mon vrai nom est Small, et que Small is beautiful ! Remember ! Respect ! Comme ils nous partagent souvent la leur, je leur dis la mienne de prière, et voici donc la prière de DIEU lui-même : Oh, forces de l’univers, souhaitons d’arriver le plus tard possible aux soins palliatifs avec le sentiment d’avoir eu une belle, une bonne vie, que ça se passe vite et sans

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douleur. En cours de route, je me délesterai du superflu et, croyez-moi, cela me fera un bien immense. AAAOOOUUUMMM…

— Avez-vous remarqué quel matin magnifique nous avons ? Savez-vous à quel point la vie est belle ? Le savez-vous ? Laissez-vous donc aller, déshabillez-vous et plongez tout nu dans la rivière, tête première ! Demain, il sera trop tard, vous serez réellement morts, et qui sait, pleins de remords peut-être en regard de tous les mensonges que vous aurez perpétrés de votre vivant.

En refermant la portière de leur automobile, on aurait dit qu’ils revenaient de l’avortement de leur fille, et je les ai achevés en les remerciant de garder tout ça entre nous. Surtout pas de journalistes ! Enfin, je les ai bénis, sans blague, et du mieux que j’ai pu. Ce matin-là, j’ai vraiment fait un très bon show, j’étais en forme, et je parierais n’importe quoi qu’ils s’en souviennent encore ;o).

* * *

Après avoir vécu si longtemps en absence de moi-même, mon âme, aujourd’hui, se retrouve sur un chemin de cailloux à la campagne, pas trop loin de ma famille. Aussi ai-je retrouvé, au fond de moi, intact, l’amour inconditionnel des premières femmes de ma vie, et je n’ai plus rien à prouver qu’à moi-même. Je conserverai encore longtemps, je l’espère, les plus beaux souvenirs de mes amitiés que rien n’achève, malgré ce que la vie a pu en faire : le « Rustre » avec son Wesfalia dans la tête, le « Gros » Bob et ses amours fous, Mimi la voix magique, « Jojo » avec son biniou dans un solo d’enfer, « Monsieur Henri » et son rire légendaire, Monsieur Paul et ses ados boutonneux, le « Capitaine » qui continue de s’agiter quelque part pour une bonne cause, Franco qui ne se prend toujours pas pour n’importe qui, Christophe et ses voiliers dans la tête, Pascal, le cirque de la vie, et enfin le « Grand »… toujours incapable de terminer sa chanson. Je n’ai rien oublié.

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Ainsi vont les jours dans la douceur de vivre et selon le temps qu’il fait. En admirant la beauté fascinante d’un coucher de soleil, je discute longuement du mystère du hasard et de la violence avec Loula, et j’imagine de nouveaux voyages et des lendemains qui chantent. La prochaine fois que je pars, tiens, je mettrai le cap sur la Bretagne. Qui sait ce qui m’attend ? L’aventure n’est pas finie, chaque jour elle recommence.

Je crois à la dernière chance Et tu est celle que je veux

Voici venu le temps de vivre Voici venu le temps d’aimer

F I N

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XV

ARCHIPEL DE RÊVES Poèmes et chansons

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AINSI TU T'EN VAS le cœur qui s'amuse au gré de la muse se gonfle d'appâts l'esprit se rebelle tout en décibels ça fait du fracas un poète chante les joies les tourmentes de notre ici-bas regarde tes songes l'ampleur qui les ronge ainsi tu t'en vas les mots me raniment de toutes ces rimes que je ne fais pas le temps qui s'effrite comme la marguerite qu'on ne porte pas un peintre se damne à trouver son âme mais ne la voit plus son oeil qui gravite se sent en orbite quand il ne peint pas regarde tes songes l'ampleur qui les ronge ainsi tu t'en vas la route s'enflamme du regard d’une femme au brasier de sabbat

regarde mon frère toute la misère que nous nous faisons on veut tout avoir cela sans comprendre on perd la raison laisse-moi dans mon rêve j'suis bien sur cette grève c'est là ma maison regarde tes songes l'ampleur qui les ronges ainsi tu t'en vas les mots me raniment de toutes ces rimes que je ne fais pas Paroles et musiques : Robert Grégoire Serge Taillefer Serge E. Côté © miroirsauvage.com 1988

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BRUXELLES CENTRAL Bruxelles Central au milieu de la gare un clodo m’a tendu le journal de la rue j’ai pris mon billet au guichet des départs destination finale l’aéroport de Montréal je ne ramène rien que les beaux souvenirs que les éclats de rire des amitiés nouvelles Auderghem – La Louvière dans la belle lumière d’un ciel tout bleu plein de mystères Bruxelles Central mélo sentimental un jour je reviendrai errer dans ces couloirs perdus et j’emporte avec moi les millions de regards qui ne font que passer se croiser par hasard je n’oublie rien de rien ni Tintin, ni Milou ni tous les rendez-vous manqués, c’est un peu lâche ni les petits matins à monter dans le train à suivre mon chemin dans la vie

Bruxelles Central je suis ma bonne étoile et je m’égare autant qu’en emporte le vent le chagrin des départs l’humour au bord des larmes ma folie qui désarme à vif et sans retard je ne sais plus très bien si je repars, si je reviens en ce matin de « belgitude » dans ce dernier refrain où je vous tends la main mon cœur s’emballe et c’est déjà la fin Paroles et musiques : Serge E. Côté © miroirsauvage.com 2011

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CARGO j’imaginais le fleuve en chemin vers la mer un navire attendait le moment du départ vers les pays d’orient d’ailleurs ou d’autre part où la vie se défend en dollars faut-il autant souffrir que la vie n’est plus qu’être prisonnier d’une quête de vanille ou de soies dans les pays lointains d’ailleurs de n’importe où pour une poignée de main et quelques sous arrivée à bon port la cargaison d’armes de blé ou de bois mort sera extirpée du ventre des cales et les marins retrouveront le temps d’une escale leurs occupations banales c’est un aller-retour jusqu’au bout de la terre en traversant les guerres les mers les océans à l’autre bout du monde ce sont les mêmes misères qui font les cimetières depuis la nuit des temps Paroles : Serge E. Côté Musique : Jocelyn (Jojo) Drainville © miroirsauvage.com 2004

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IMMONDE l’amour est notre seul espoir c’est la seule chose à faire pour donner du sens et du cœur à nos vies de misère et ça commence aujourd’hui dans les plaines arides de ton lit où tu coules comme rivière c’est la seule chose à faire mets ma main sur ton sein près du cœur l’amour a son jardin comme si c’était le premier jour réinventons l’amour la femme, l’homme et l’enfant enfin réunis dans le temps pour vivre et non plus survivre c’est la seule chose à faire on a tous vu les oiseaux noirs dans le ciel bleu de manhattan et les trains de madrid arrêtés sur les rails pour nous faire croire que l’amour est mort mais ils ont tort des enfants quelque part se lèveront pour changer l’histoire ils se feront entendre et nous finirons par enfin les comprendre puisqu’il faut changer le monde car le monde est immonde à chaque seconde on meurt pour rien puisqu’il faut changer le monde car le monde est immonde à chaque seconde on meurt pour rien de faim, de guerre ou de chagrin… Paroles : Serge E. Côté Musique : Jocelyn (Jojo) Drainville © miroirsauvage.com 2004

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JE RÊVE DÉJÀ évanescente il semble qu’elle me passe sous le nez cent fois par jour et partout où je vais mais que ce ne soit jamais la bonne ou alors il est trop tôt ou bien il est très tard pour mille raisons bizarres on dirait une rivière insaisissable évaporée déjà qu’il commence à pleuvoir ailleurs une femme, pour moi, ce sont des milliards de choses et j’y arrive pas, non j’y arrive pas encore et pourtant des océans d’amour sommeillent dans mon grand lit de ton absence et des oiseaux perdus s’éveillent au milieu de l’indifférence ainsi dans les rues de la ville vont les naufragés d’un grand rêve qui se cherchent et se croisent au fil du temps que passe la vie brève je rêve que tu m’aies dans la peau, bébé que mon nom à lui seul fasse mouiller tes lèvres tièdes et que je n’aie plus peur que tu me quittes et que je n’aie plus peur de m’abandonner à l’idée de t’aimer davantage un peu plus chaque jour des océans d’amour sommeillent dans mon grand lit de ton absence et des oiseaux perdus s’éveillent au milieu de l’indifférence ainsi dans les rues de la ville vont les naufragés d’un grand rêve qui se cherchent et se croisent au fil du temps que passe la vie brève je rêve que je t’aime déjà ! Paroles : Serge E. Côté Musique : Jocelyn (Jojo) Drainville © miroirsauvage.com 2003

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L’AMOUR ET LA CAGE comme un amant rebelle et fou sous les ponts de la vie j’t’ai cherché partout de l’aube à la nuit seul, j’allais jusqu’au bout de ma vie d’aventures chevalier errant sans armure rêveur de grands chemins j’avais la peau dure et peur de rien quand je sautais la clôture pour suivre mon étoile on nous vend le rêve et la cage l’oiseau et les nuages jour après jour on se prend au jeu des images et des passions sauvages nous font l’amour passe le temps que vienne l’heure où sur un quai de gare loin des vendeurs on prenne le même départ pour des jours meilleurs fidèles au rendez-vous

une pluie fine est tombée du haut de son nuage et mes chimères se sont perdues dans la nuit des vendeurs de rêves

je prends tout l’amour et la cage l’oiseau et les nuages au jour le jour t’es encore plus belle qu’une image viens, qu’on parte en voyage mon bel amour ! Paroles : Serge E. Côté Musique : Claude Dubois © éditions musicales pingouin 1993

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LE PRINTEMPS DES BRETELLES Valse swing un beau matin c’est trois fois rien y a quelque chose de tout léger dans l’air comme si ce n’était déjà plus l’hiver tout gris c’est la chanson de l’accordéon un p’tit air à trois temps suspendu aux bretelles de la boîte à frissons à qui poussent des ailes dans la rue où dégèlent des milliers de glaçons jolie chanson de nos toujours je t’aime dans le vent nous entraîne comme neige qui fond et c’est du bout des doigts que la vie nous appelle à rêver dans les bras des musiques rebelles du printemps des bretelles ! et c’est du bout des doigts suspendu aux bretelles de la boîte à frissons que la vie nous appelle à rêver dans les bras des musiques rebelles du printemps des bretelles ! tsoin ! tsoin ! Paroles : Serge E. Côté Musique : Serge E. Côté et Didier Dumoutier © miroirsauvage.com 2003

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PABLO Quand tu as vu Mirabel du hublot du boeing, Pablo, le rêve américain s'étendait sous tes pieds de Montréal à San Diego. Tu es venu tenter ta chance au pays de l'indifférence, mon beau, avec au fond du coeur l'espoir de jours meilleurs, au Québec on a tout ce qu’il faut… Pablo t'as pas la plume de Gilles Vigneault, mais tu rallumes dans ton saxo toutes les brumes de Santiago Il a neigé sur ton exil des fluorures d'hydro-carbone, des ballounes gonflées à l'hélium dans l'euphorie des centres-villes, des jours où tu n'es plus personne, des nuits derrière ton saxophone et des petits matins fragiles… Pablo t'as pas l’étoile de Picasso, quand tu comptes les trente sous dans l'chapeau parfois tu y penses Une dame de Bolivie venue bercer tes insomnies a bientôt pris toute la place et son sourire fut de glace quand elle est sortie de ton lit, quand elle est sortie de ta vie… Pablo tu rêves de gagner la loto mais t'as jamais l'bon numéro t'as pas de chance Quand tu penses à Mirabel tu as le coeur bien lourd, Pablo, le rêve américain n'est plus ce qu'il était, on si loin d'Eldorado… Paroles et musiques : Serge E. Côté © miroirsauvage.com 1983

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SHEHERAZADE

à la première nuit sheherazade sourit et le sultan conquis lui dit je t’offre mon pays il est à toi, tout ça tu vois, c’est à toi mais aime-moi, aime-moi ou j’te fais couper la tête même les plus grands palais n’achèteront jamais l’amour qui passe quand il passe même les plus grands sultans n’achèteront jamais ni l’amour, ni le temps ni les gens, ni le vent à la centième nuit sheherazade s’ennuie et le sultan épris se demande pourquoi c’est ainsi le voilà qui l’épie dans ses palais de glace à la suivre à la trace il a tué l’amour

à la millième nuit sheherazade a fui et le sultan surpris comprend qu’il n’avait rien compris elle est partie sur sa moto d’occase toute seule pour aller voir ailleurs si on voudrait pas de sa gueule il était une fois dans un pays fort lointain un pauvre sultan qui s’était endormi avant la fin de son histoire il pouvait pas savoir qu’elle était partie pour ne plus revenir… les cheveux dans le vent elle regarde en avant la route qui défile sous ses roues comme un long ruban elle est libre dans son cœur elle n’aura plus peur sans foi ni loi elle ira où elle le voudra Paroles : Serge E. Côté Musique : Jocelyn (Jojo) Drainville © miroirsauvage.com 2003

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VOLAGE Belle et cruelle Dans le matin inondé de soleil Au milieu du jardin des merveilles Je papillonne et tourbillonne autant Que la feuille emportée par le vent De l’été... La vie est belle La vie est brève Elle est cruelle Et on en crève La vie est belle Aussi belle Qu’un rêve C’est le plus beau des matins du monde Dans la lumière bleue de chaque seconde Je m’abandonne aux tourbillons du vent Et je frissonne emportée par le temps Des amours... Seul importe ce temps qui me reste Aujourd’hui c’est le plus beau jour Je papillonne et tourbillonne autour D’un arc-en-ciel où poser mes ailes Pour toujours... Paroles et musiques : Serge E. Côté © miroirsauvage.com 2009

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XVI

BIBLIOGRAPHIE

- Ajar, Émile, L’angoisse du roi Salomon, Mercure de France, Paris, 1979.

- Arban, Dominique, Cent pages avec Brel, Seghers, Paris, 1967. - Bamy, Madly, Tu leur diras, Éditions Fixot, Paris, 1999. - Behr, Edward, Maurice Chevalier L’homme-légende de l’âge d’or du

music-hall, Robert Laffont, Paris, 1993. - Brel, Jacques, Œuvre intégrale, Robert Laffont, Paris, 1982. - Carr, Allen, La méthode simple pour en finir avec la cigarette, Pocket

Évolution, Paris, 1997. - De Cervantes, Miguel, L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la

Manche 1, Paris, 1997. - De Cervantes, Miguel, L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la

Manche 2, Paris, 1997. - Grégoire, Robert, La résistance (Poèmes et chansons), Les Éditions du

Vermillon, Gatineau, 1989. - Przybylski, Eddy, La valse à mille rêves, l’Archipel, Paris, 2008. - Salvador, Henri, Attention ma vie, JCLattès, Paris, 1994.

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XVII

REMERCIEMENTS Ce livre est né dans le regard des autres, et je réalise que nous existons tous plus ou moins dans la mesure où quelqu’un, quelque part, se souvient de nous. Et c’est en pensant d’abord à toi, ma belle Ofelia, que j’ai voulu raconter une partie de mon histoire, pour que tu saches un peu mieux comment j’en suis arrivé là où tu sais. Merci à ma famille (Jean-Luc, Éthel et Brigitte, Émile, Léandre, Fredéric et Marissa) sans qui ce projet n’aurait jamais vu le jour. Merci à Jean-Pierre et Brian, mes « beaufs », pour m’avoir accueilli dans leur maison. Merci à mes amis Joseph, Claude et Michel qui m’ont accompagné dans ces trois années d’écriture. Merci aussi à Maurice (Rogen) Boyer pour avoir pris le temps d’enculer quelques mouches lors de la correction d’épreuve. Merci à tous les personnages dont j’ai parlé dans ce bouquin, pour leur humanité, et le privilège de les avoir cotoyés. Merci enfin à tous ceux et celles qui n’ont jamais rien fait pour moi ; sans vous, je n’en serais pas là. On n’oublie rien a été écrit, alors que j’étais en cavale, sans subvention aucune si ce n’est qu’une allocation mensuelle du Ministère de la solidarité sociale que je remercie également.

Serge E. Côté

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XVIII

ON N’OUBLIE RIEN Table des matières

I

LA QUÊTE……….…..........…………………………………… 7

II

MADELEINE…………...……………………..……………… 19

III

JACKY……………….……...…………………….…………… 37

IV

ZANGRA…...……………………………………..…………... 51

V

LE BON DIEU…….…………………………….…………… 55

VI

ON N’OUBLIE RIEN.…….…………………….…………. 65

VII

VOIR UN AMI PLEURER.…………………….…………… 77

VIII

AU SUIVANT…………………………………….…………. 83

IX

LES COEURS TENDRES………………..………….……….. 87

X

J’ARRIVE…………….………………………………………. 95

XI

BRUXELLES………...……………...……..…………………. 107

XII

CES GENS-LÀ………………………………………………. 111

XIII

LA VILLE S’ENDORMAIT…………………………………. 115

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XIV

UNE ÎLE……………………………………………………. 123

XV

ARCHIPEL DE RÊVES……………….……..…………... 131

Ainsi tu t’en vas……………………………………………... 132

Bruxelles Central……………………………………….……. 133

Cargo…………………………………………………….… 134

Immonde………………………………………………..….... 135

Je rêve déjà……………………………….…………….……. 136

L’Amour et la Cage…………...…………………………….... 137

Le printemps des bretelles………………………………….….... 138

Pablo………………………………………………………... 139

Sheherazade…………………………………………….….… 140

Volage..………………………………….………….…….… 141 XVI

BIBLIOGRAPHIE………………….……..…………... 143 XVII

REMERCIEMENTS………………………...……….... 145 XVIII

ON N’OUBLIE RIEN Table des matières…..………………………...……….... 147 XIX

WIKINOTES ETC……………………………………. 151

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XIX

WIKINOTES ETC. On n’oublie rien

1 Extrait de L’Homme de la Mancha, comédie musicale américaine inspirée de Don Quichotte de Miguel de Cervantès, un livret original de Dale Wasserman avec Jo Darion pour les textes des chansons et des musiques de Mitch Leigh, version revisitée par Jacques Brel et présentée en 1968 à Bruxelles et à Paris.

2 La Bolduc (née Mary Rose Anna Travers le 4 juin 1894 à Newport (Gaspésie), Québec et morte à Montréal le 20 février 1941) est une auteure-compositrice-interprète québécoise. Musicienne autodidacte, considérée comme la première « chansonnière » du Québec, elle connaît un succès phénoménal auprès du public québécois et la consécration par le biais du disque.

Madame Bolduc a donné à la chanson québécoise des années 1920-1930 un vent de fraîcheur : trouver les mots justes et l'humour nécessaire en plein cœur de la crise économique des années 1930, en racontant le quotidien des petites gens de la ville et des campagnes et ce, dans la langue du peuple, tant avec optimisme (Ça va venir, découragez-vous pas, Nos braves habitants) qu'avec ironie (Toujours l'R-100, Les médecins).

« Un lien de profonde identification survient entre un artiste et son public, lien essentiel à la base de tout succès populaire. »

— Robert Léger, "La chanson québécoise en question", 2003, Éditions Québec Amérique, p. 29-30

Les auteurs antérieurs ou contemporains à l'œuvre de Madame Bolduc (entre autres Roméo Beaudry, Ovila Légaré, Louis-Joseph Paradis, Paul Gury) écrivaient des textes intéressants et de bonne facture pour l'époque, mais doivent leur style à la chansonnette française du moment, quand ce ne sont purement et simplement des adaptations de chansons américaines. Sa "signature": les refrains de la plupart de ses chansons sont turlutés et les interludes musicaux sont ponctués à l'harmonica. La turlute, jeu de langue qui ponctue les mélodies et leur donne un rythme particulier, se retrouve dans plusieurs folklores (Irlandais, Écossais).

3 Le petit sauvage du nord, paroles et musique Madame Bolduc.

4 Édith Piaf, de son vrai nom Édith Giovanna Gassion, née le 19 décembre 1915 à Paris, et morte le 10 octobre 1963 à Grasse, est une chanteuse française de music-hall et de variétés. Considérée comme l'archétype de la chanteuse française, elle reste près de

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cinquante ans après sa mort la plus célèbre interprète francophone, tant en France qu'à l'étranger.

5 La Vie en rose, paroles d’Édith Piaf, musique de Louiguy et Marguerite Monnot.

6 Tiré de La quête, chanson phare de l’Homme de la Mancha qui est l’adaptation de Jacques Brel de la chanson Impossible Dream (The Quest) du livret original de Joe Darion et de la musique de Mitch Leigh.

7 Jacques Brel, né Jacques Romain Georges Brel, le 8 avril 1929 à Schaerbeek, une commune de Bruxelles (Belgique), et mort le 9 octobre 1978 à Bobigny (France), est un auteur, compositeur et chanteur belge. Il était également acteur et réalisateur de films. 8 Madeleine, paroles et musique : Jacques Brel.

9 Guy Mauffette (Montréal, 8 janvier 1915 - Montréal, 29 juin 2005) était un acteur, poète et un animateur de radio québécois. Il s'est avant tout fait connaître à partir des années 1960 comme animateur de multiples émissions dont la très populaire émission radiophonique Le cabaret du soir qui penche, qui était présentée les dimanches soir, à la radio de Radio-Canada (de 1960 à 1973).

10 Sidney Bechet (né le 14 mai 1897 à La Nouvelle-Orléans (États-Unis) et décédé le 14 mai 1959 à Garches (France) etait un clarinettiste, saxophoniste et compositeur américain de jazz. Petite Fleur, immense succès de Sidney Bechet, était le seul disque de jazz de que nous avions à la maison.

11 Pierre Laporte (25 février 1921 - 17 octobre 1970), était un avocat, journaliste et homme politique québécois. Il fut kidnappé puis assassiné par des membres du Front de libération du Québec, au cours de la Crise d'Octobre, en 1970.

12 Lise Payette, (née à Montréal, le 29 août 1931) est une femme politique, féministe, écrivaine, animatrice de télévision et animatrice de radio québécoise. Elle a occupé plusieurs responsabilités ministérielles dans le gouvernement de René Lévesque.

13 Jacques Fauteux (1933 - 2009) est un animateur de télévision québécois. Il a co-animé l'émission Appelez-moi Lise avec Lise Payette dans les années 1970. Il meurt à l'âge de 76 ans le 30 juin 2009.

14 Vasco de Gama ou da Gama en portugais (né v. 1469 à Sines au Portugal — mort le 24 décembre 1524 à Cochin aux Indes) est un navigateur portugais, premier Européen à arriver aux Indes par voie maritime en contournant le cap de Bonne-Espérance.

15 Une madame pipi est une femme de ménage préposée au bon fonctionnement et au nettoyage des toilettes installées dans les lieux publics. Généralement assise à l'entrée, elle fait financer sa prestation en demandant un pourboire symbolique que l'on place le plus souvent dans une soucoupe placée devant elle.

16 La bonne humeur, S.Distel-G.Gustin-M.Tézé.

17 Sacha-Alexandre Distel, dit Sacha Distel (Sacha est le diminutif russe du prénom Alexandre), est un guitariste de jazz, compositeur et chanteur français d'origine russe né à Paris, le 29 janvier 1933, mort au Rayol-Canadel-sur-Mer le 22 juillet 2004.

18 Valentin Louis Georges Eugène Marcel Proust, né à Paris, le 10 juillet 1871 et mort à Paris le 18 novembre 1922, est un écrivain français dont l'œuvre principale s'intitule À la recherche du temps perdu.

19 Claude Léveillée (né le 16 octobre 1932 à Montréal – mort le 9 juin 2011 à Saint-Benoit-de-Mirabel) est un auteur-compositeur-interprète québécois. Empreinte de lyrisme, d'une

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expressivité théâtrale, l'œuvre de Claude Léveillée est l'une des plus marquantes de sa génération, sur les plans tant musical que poétique.

20 De la chanson L’espoir, paroles et musique de Léo Ferré.

21 Jordi Bonet (7 mai 1932 – 25 décembre 1979) est un peintre, céramiste, muraliste et sculpteur québécois d'origine catalane.

22 Claude Péloquin est un poète, écrivain, chanteur, scénariste et réalisateur québécois né en 1942.

23 Monsieur Jean-Noël Tremblay était alors ministre des affaires culturelles du Québec et c’était sa patate chaude à lui. Aujourd’hui, quand il admire et commente la murale de Bonet dont il admire néanmois le talent, il passe tout droit devant la phrase décriée, prétendant qu’elle n’existe même pas pour lui.

24 Tiré de La quête, chanson phare de l’Homme de la Mancha.

25 Du texte Roman d’Arthur Rimbaud poète français, né le 20 octobre 1854 à Charleville, mort le 10 novembre 1891 à Marseille. Il a écrit ses premiers poèmes à quinze ans et demi, ses derniers à 20 ans.

26 Robert Charlebois, né le 25 juin 1944 à Montréal, est un auteur-compositeur-interprète, musicien et acteur québécois.

27 Gilles Vigneault, né le 27 octobre 1928 à Natashquan, au Québec, est un poète, auteur de contes et de chansons, auteur-compositeur-interprète québécois.

28 Félix Leclerc (2 août 1914, La Tuque, Québec – 8 août 1988, Saint-Pierre-de-l'Île-d'Orléans, Québec) est un auteur-compositeur-interprète, un poète, un écrivain, un acteur québécois et un homme engagé pour la souveraineté du Québec et pour la défense de la langue française.

29 De la chanson Mon pays, paroles et musique de Gilles Vigneault.

30 Raymond Lévesque (7 octobre 1928 à Montréal, Québec - ) est auteur-compositeur-interprète, poète, romancier et dramaturge québécois.

31 Tiré de la chanson Fernand, paroles et musique : Jacques Brel.

32 Du poème Il n’y a pas d’amour heureux par Louis Aragon, poète, romancier, journaliste et essayiste français, né le 3 octobre 1897 à Neuilly-sur-Seine et mort le 24 décembre 1982 à Paris. Il est également connu pour son engagement et son soutien au Parti communiste français de 1930 jusqu'à sa mort. Avec André Breton, Paul Éluard, Philippe Soupault, il fut l'un des animateurs du dadaïsme parisien et du surréalisme. À partir de la fin des années 1950, nombre de ses poèmes ont été mis en musique et chantés (Jean Ferrat, Léo Ferré, etc.) contribuant à faire connaître son œuvre poétique.

33 Le Petit Prince est une œuvre de langue française, la plus connue d'Antoine de Saint-Exupéry. Publié en 1943 à New York, c'est un conte poétique et philosophique sous l'apparence d'un conte pour enfants.

34 Tiré de la chanson Jacky, paroles et musique: Jacques Brel.

35 Populaires dans les années 60, sur le déclin dans les années 70, les boîtes-à-chansons sont en quelque sorte des petits cabarets où on y présentait, comme son nom l’indique, des spectacles de chanson, mais aussi de musique et de poésie.

36 Pablo, paroles et musique: Serge Côté, texte intégral à la page x.

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37 Tiré de la chanson Vingt ans, paroles et musique de Léo Ferré.

38 La tourmente, paroles : Daniel Carrière, musique : Serge E. Côté, texte intégral à la page x.

39 La vie d’artiste, Paroles et musique: Léo Ferré.

40 Tiré du poème On est là malgré tout de Serge Taillefer, texte intégral à la page x.

41 L'angoisse du roi Salomon, Romain Gary (Émile Ajar), éd. Mercure de France, coll. Folio, 1979, p. 48

42 La Compagnie Créole est un groupe caribéen-guyanais populaire des années 1980 et encore très populaire à travers la francophonie. Le groupe a été fondé en 1975 et son premier album était intitulé Blogodo en 1982. En 1983, ils sortent: Vive le douanier Rousseau. Ils ont été élus "groupe des années 80 qui fait le plus danser".

43 Jack Kerouac, comme mon grand-père Émile Côté, est un canadien français né dans l’Est des Etats-Unis. Jack Kerouac (né le 12 mars 1922 à Lowell, dans le Massachusetts, mort le 21 octobre 1969 à St. Petersburg, en Floride) est un écrivain et poète américain. Considéré aujourd'hui comme l'un des auteurs américains les plus importants du xxe siècle, il est même pour la communauté beatnik le « King of the Beats ». 44 Sarah Bernhardt est une comédienne de théâtre française née le 22 octobre 1844 à Paris dans l'ancien XIIe arrondissement (actuel Ve) et morte le 26 mars 1923 à Paris. Elle était surnommée « la Voix d'or » (expression de Victor Hugo) ou « la Divine » mais aussi « la Scandaleuse ». Considérée par beaucoup, avec Rachel, comme une des plus grandes tragédiennes françaises du xixe siècle, elle fut la première comédienne à avoir fait des tournées triomphales sur les cinq continents, Jean Cocteau inventant pour elle l'expression de « monstre sacré ».

45 Jacques Languirand (né en 1931 à Montréal) est un animateur de radio, un dramaturge, un écrivain, un animateur de télévision, un comédien, un journaliste, un réalisateur, un metteur en scène, un professeur et un producteur québécois. Touche-à-tout, polyvalent et encyclopédique, il est connu pour les pièces dramatiques qu'il a écrites, mais surtout en tant qu'animateur de radio. En 2006, son émission Par 4 chemins, diffusée sur les ondes de Radio-Canada, a eu 35 ans. Celle-ci est entrée en ondes le 13 septembre 1971.

46 Zangra , paroles et musique : Jacques Brel.

47 Richard Lupien, compositeur et guitariste québécois.

48 Arthur Rimbaud, Op. cit.

49 Victor-Marie Hugo, né le 26 février 1802 à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris, est un écrivain, dramaturge, poète, homme politique, académicien et intellectuel engagé français, considéré comme l'un des plus importants écrivains romantiques de langue française.

50 À noter que la fiffure n’est pas l’appanage exclusif des homosexuels de ce monde, je connais personnellement plein d’hétéros qui sont encore plus fifs que le plus fif des fifs.

51 Le capitaine de vaisseau Joseph Jean-Pierre Marc Garneau CC, CD, Ph.D., F.C.A.S.I. (né le 23 février 1949 à Québec) fut le premier Canadien à être allé dans l'espace. Devenu politicien, député de Westmount, il est la preuve vivante qu’il y a plusieurs type d’intelligence en ce monde.

52 La résistance, Paroles et musique : Robert Grégoire. Texte intégral à la page x.

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53 Ainsi tu t’en vas, Paroles et musique: Robert Grégoire, Serge Taillefer et Serge Côté. Texte intégral à la page x.

54 Les cloches de bronze, Paroles et musique: Robert Grégoire. Texte intégral à la page x.

55 Lundi de pluie, Paroles et musique : Robert Grégoire. Texte intégral à la page x.

56 Violaine, Paroles et musique : Robert Grégoire. Texte intégral à la page x.

57 À noter que la fiffure n’est pas l’appanage exclusif des homosexuels de ce monde, je connais personnellement plein d’hétéros qui sont encore plus fifs que le plus fif des fifs.

58 Le premier pas, Paroles et musique: Robert Grégoire. Texte intégral à la page x.

59 Henri Gabriel Salvador, né à Cayenne en Guyane française le 18 juillet 1917 et mort à Paris le 13 février 2008, est un immense personnage de la chanson française. Ayant connu le succès très jeune, au cours de sa longue carrière, il a eu le privilège de côtoyer les plus grands noms de la chanson de la période rive gauche des années cinquante, les plus importants musiciens et poètes de son époque. Guitariste de jazz, on lui attribue même une certaine paternité de la bossa nova - genre dans lequel il excelle - rien de moins. Sa discographie est impressionnante et contient des centaines de titres. À l’instar de Maurice Chevalier, d’Édith Piaf, de Charles Aznavour et de Jacques Brel, il a mené une carrière internationale phénoménale. Pour les plus jeunes, c’est lui la voix de Sébastien, le sympathique et truculent crabe de La petite Sirène avec l’accent… des îles. Vous ne vous doutiez pas qu’il était agé de plus de soixante-quinze ans, non?

60 Rhum, de son vrai nom Henri Sprocani, est né en 1904 et décédé en 1953. Cet artiste merveilleux est reconnu comme l'un des plus grands clowns de son temps.

61 Salvador, Henri, Attention ma vie, JCLattès, Paris 1994, p. 306.

62 À l’âge vénérable de 83 ans, Monsieur Henri a fait un come back remarquable avec la parution de son disque Chambre avec vue dont la magnifique chanson Un tour de manège, paroles: Keren Ann, musique: Henri Salvador.

63 La famille Fratellini est une famille d'artistes de cirque d'origine italienne, dont trois frères furent des clowns mondialement célèbres entre 1909 et 1940.

64 Le Cirque d'hiver de Paris est situé rue Amelot, dans le 11e arrondissement. Construit en 1852 par l'architecte Jacques Hittorff, il était appelé autrefois Cirque Napoléon.

65 La Couette, c’était le surnom amical attribué au Président fondateur du Cirque qui, avant de devenir totalement chauve, portait une petite couette tressée dans le haut du cou. Un talisman que je le soupconne d’avoir conservé quelque part dans ses archives et qui finira sûrement dans un musée… comme celle de Napoléon chez Ben Weider.

66 Salt imbanco est un spectacle de tournée du Cirque du Soleil mis en scène par Franco Dragone et dont la première a eu lieu à Montréal le 23 avril 1992. C'est la plus ancienne production encore en activité, la sixième de la compagnie, qui lui a permis d'acquérir une renommée artistique internationale1. Le spectacle a été présenté sous grand chapiteau pendant 14 ans dans 75 villes sur 5 continents, totalisant plus de 4 000 représentations devant plus de 9,5 millions de spectateurs.

67 La Tohu est un pavillon ceint d'une place publique pouvant accueillir un grand chapiteau offrant des services aux artistes et la diffusion d'événements culturels. L'organisme à but non lucratif TOHU, a vu le jour en novembre 1999 à l'initiative d'En Piste (le regroupement national des arts du cirque), de l'École nationale de cirque et du Cirque du Soleil.

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68 La Louvière (en wallon El Lovire), ville natale de Franco Dragone, est une ville francophone de Belgique située en Région wallonne dans la province de Hainaut. 69 Les Denis Drolet sont des humoristes québécois hirsutes et bien ordinaires qui misent sur l’ordinaire, dans des prestations ordinaires pour les gens ordinaires. Ils s’habillent de bruns pour nous épater.

70 www.lerustre.com

71 Brel aimait bien cette tirade et l’utilisait abondamment dans ses entrevues.

72 Le tube digestif, Paroles et musique: Jean-Pierre Picard, texte intégral à la page x.

73 Orchestrée à l’origine par le jeune Quincy Jones, dans les années 50, l’arrangeur du célébrissime disque Thriller de Michael Jackson, la version originale du Blouse du dentiste de Boris Vian pour le texte et de Monsieur Henri pour la musique, vaut le détour. Petit monde.

74 Didier Dumoutier, accordéonniste-fondateur du Printemps des Bretelles, un événement d’importance dans le monde de l’accordéon à Montréal et au Québec. Le printemps des bretelles, paroles: Serge Côté – musique: Serge Côté et Didier Dumoutier, texte à la page x.

75 Claude Nougaro est un chanteur et poète français de variétés et de jazz (9 septembre 1929 à Toulouse - 4 mars 2004 à Paris). Il s'essaya également à la peinture et au dessin.

76 Entrevue avec Jacques Brel, à Knokke, au printemps de 1971, réalisation : Marc Lobet. - L’intelligence du réalisateur Marc Lobet est de rester en gros plan sur Jacques qui raconte sans retenu et en confiance le « voyage » qui correspond à sa conception de la vie. (Texte de présentation du document)

77 Paroles et musique de Georges Brassens, L’Auvergnat est une chanson magnifique et touchante, pleine de reconnaissance. Georges Brassens, né à Sète, Hérault, le 22 octobre 1921, mort à Saint-Gély-du-Fesc, Hérault, le 29 octobre 1981, est un poète auteur-compositeur-interprète français.

78 René Magritte René François Ghislain Magritte, né le 21 novembre 1898 à Lessines1 dans le Hainaut (Belgique) et mort à Bruxelles le 15 août 1967, est un peintre surréaliste belge.

79 Tiré de la chanson Les t imides – paroles et musique : Jacques Brel.

80 Franco Dragone naît à Cairano, village de Campanie (Italie), en décembre 1952. Metteur en scène et homme d'affaires, il se fait connaître en signant de nombreux spectacles pour le Cirque du Soleil. Depuis 2001, il assure son rôle de chef d'entreprise et directeur artistique au sein de sa propre société de spectacles et d'évènements, Franco Dragone Entertainment Group, à La Louvière (Belgique).

81 Man Ray, né Emmanuel Rudzitsky, ou Rudnitsky ou Radnitzky, le 27 août 1890, à Philadelphie (États-Unis), mort le 18 novembre 1976, à Paris, est un peintre, photographe et réalisateur de films, acteur du dadaïsme à New York, puis du surréalisme à Paris.

82 Pendant un demi-siècle correspondant en gros à l'âge d'or du cirque en France (1890-1940), les soeurs Vesque, dessinatrices et décoratrices par profession, consacrèrent leurs loisirs à constituer les archives du cirque de leur temps. Elles léguèrent au Musée des Arts et Traditions Populaires (Paris) des milliers de manuscrits et de dessins dont la publication systématique est en cours.

83 Gravure sur bois tirée de Trois dialogues de l'exercice de sauter et voltiger en l'air, premier traité d’acrobaties, publié en 1599, par Archangello Tuccaro.

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84 Gravure sur bois tirée de Trois dialogues de l'exercice de sauter et voltiger en l'air, premier traité d’acrobaties, publié en 1599, par Archangello Tuccaro.

85 Pour les intéressés, voici la recette secrète du Colonel « La Couette » pour faire un show du Cirque ;o). D’abord, vous trouvez des créateurs ambitieux et talentueux qui ont envie de faire du fric puis vous entendez sur un thème – en l’occurence l’urbanité pour Saltimbanco et le pouvoir pour Alegria (ce sont là des exemples de Franco); vous rajoutez quelques numéros invités mondialement reconnus que vous adaptez selon le caractère de leurs protagonistes à la thématique du spectacle; vous recrutez ensuite une trentaire de gymnastes top niveau pour la troupe maison – si vous avez de la chance – ayant la capacité de sourire et de s’amuser sur scène; quelques musicos talentueux prêts à jouer cinq mille fois la même partition; et finalement un zeste de connerie avec des clowns originaux – de préférence de l’extérieur du pays car si ça ne marche pas on peut toujours dire que c’est une question de culture – et qui, oh pôvres bouffons, n’ont jamais fait l’unanimité nulle part. C’est aussi simple que ça. Et la représentation doit impérativement débuter par une animation des clowns dans le public avant le spectacle. Ah, oui, j’oubliais… il faut que le marketing trouve le titre en un seul mot, d’au plus quatre syllabes, qui finit préférablement en O (« O », Saltimbanco, Corteo, Ovo, etc.) ou en A (Alegría, La Nouba, Zaïa, Kooza, Ka, Ama Luna, etc.) avec bien sûr quelques variantes pour casser la routine (Varekai, Totem, Love, Dralion etc.). Quand il lui arrivait de prendre une décision dont il savait qu’elle était controversée, en vrai capitaliste, «La Couette » disait parfois : Ceux qui sont pas contents, tabarnak, qu’ils s’en achètent un cirque ! La classe.

86 La complainte du phoque en Alaska, paroles et musique: Michel Rivard, une très belle chanson que Felix Leclerc a repris lui-même sur un de ses derniers opus.

87 La do l c e v i ta , sorti initialement en France sous le titre La Douceur de vivre, est un film italo-français de Federico Fellini, sorti en 1960. Ce film marque un tournant dans la filmographie de Federico Fellini. Il fait suite à trois films proches du néoréalisme : La strada (1954), Il bidone (1955) et Les Nuits de Cabiria (Le notti di Cabiria) (1957) et inaugure le vocabulaire cinématographique personnel qui deviendra définitivement la marque de fabrique « fellinienne » des films de la maturité.

88 Le Centre des loisirs Immaculée-Conception, situé au coeur du Plateau Mont-Royal, est considéré comme le berceau de l’acrobatie et de la gymnastique au Québec. Il a été fondé par le Père Marcel de la Sablonnière avec pour mission d’offrir aux enfants d'abord, puis aux adultes de tous âges et de toutes conditions, une programmation d'activités sportives, culturelles, éducatives et de plein air de qualité, dans un environnement propice à l'épanouissement personnel. À l’époque, le Cirque ne disposait pas d’espace de répétition et le bon Père, qui croyait à l’avenir de cette jeune entreprise, lui offrait des conditions avantageuses pour y répéter.

89 Les Baroques sont des personnages de la troupe maison du spectacle Salt imbanco , un spectacle de tournée du Cirque du Soleil mis en scène par Franco Dragone et dont la première a eu lieu à Montréal le 23 avril 1992. C'est la plus ancienne production encore en activité, la sixième de la compagnie, qui lui a permis d'acquérir une renommée artistique internationale. Le spectacle a été présenté sous grand chapiteau pendant 14 ans dans 75 villes sur 5 continents, totalisant plus de 4000 représentations devant plus de 9,5 millions de spectateurs.

90 Paul Auster est un écrivain américain né le 3 février 1947 à Newark, New Jersey, aux États-Unis. Une partie de son œuvre évoque la ville de New York. D'abord traducteur de poètes français, il a écrit des poésies avant de se tourner vers le roman. Il a également travaillé pour le cinéma. Il réside maintenant à Brooklyn.

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91 Hermann Hesse (né le 2 juillet 1877 à Calw, Allemagne; mort le 9 août 1962 à Montagnola, Suisse) était un romancier, poète, peintre et essayiste allemand puis suisse. Il a obtenu le prix Goethe, le prix Bauernfeld en 1905 et le Prix Nobel de littérature en 1946.

92 Peter Shub est un mime exentrique de réputation internationale dont le travail, par ailleurs hilarant, est d’une précision remarquable.

93 Bello Knock, célèbre clown américain dont les cascades comiques sont à vous faire dresser les cheveux sur la tête et éclater de rire.

94 Andrei Gigalov est un auguste contemporain, sans maquillage, dont les mimiques ridicules traduisent néanmoins tout le spectre des émotions humaines. 95 « Il me reste deux solutions, ou bien frapper André ou bien gnougnougnafier la femme d’André sous son balcon » tiré de la chanson À jeun, paroles et musique de Jacques Brel. Entendez séduire la femme d’André.

96 Claude Renard avec qui je dînais souvent à La Louvière puisque nous nous entendions bien car, en plus d’être un artiste formidable, c’est un homme capable de rire. Animateur de l'atelier de bande dessinée « le 9e rêve » qui contribua profondément au renouveau de la bande dessinée belge (Sokal, Schuiten, Berthet, Goffin, Cossu, Andréas, etc, furent ses élèves), Claude Renard co-réalise avec François Schuiten deux albums de bande dessinée (Aux médianes de Cymbolia et Le Rail aux Humanoïdes Associés) avant de lancer sa propre série, Les Aventures d'Ivan Casablanca. Il est également l'auteur de plusieurs albums d'illustrations, dont Galilée, journal d'un hérétique et Maroc : Lettres à Matisse sous le protectorat (Gallimard). Source : lesimpressionsnouvelles.com

97 Anne Sylvestre, surnommée la « Brassens en jupon », est une auteure, compositrice et interprète française exceptionnelle qui a écrit des albums magnifiques autant pour les adultes que les enfants.

98 Neuilly-sur-Seine (act. Hauts-de-Seine), mort le 11 avril 1977 à Omonville-la-Petite, (Manche). Après le succès de son premier recueil de poèmes, Paroles, il devint un poète populaire grâce à son langage familier et ses jeux de mots. Ses poèmes sont depuis lors célèbres dans le monde francophone et massivement appris dans les écoles françaises. Il a également écrit des scénarios pour le cinéma. 99 Lorsqu’Ofelia est venue séjourner en Europe pendant la semaine de relâche de mars, j’ai pris quelques jours de vacances bien méritées pour être avec elle et nous sommes allés voir ensemble l’exposition intitulée J’aime les belges !, à Bruxelles, sur la vie et l’œuvre de Jacques Brel. Les années soixante, décennie où Brel était à l’apogée de sa carrière, sont inimaginables pour une ado. Pas de cellulaire, ni d’Internet, ni de FaceBook… impensable !

100 Le théâtre magique, paroles: Robert Grégoire – musique: Serge Côté Texte intégral à la page x. En 85, le « Gros » Bob m’avait écrit cette chanson pour une série de spectacles à l’Espace René-Provost, à Hull, intitulée Les miroirs sauvages. Après lui avoir raconté les aventures d’Harry – il a relu le livre – et le voilà qui m’arrive avec un texte que je n’avais plus qu’à mettre en musique. Un cadeau.

101 Hergé, de son vrai nom Georges Prosper Remi (né le 22 mai 1907 à Etterbeek et mort le 3 mars 1983 à Woluwe-Saint-Lambert, Belgique), est un auteur belge de bande dessinée francophone, principalement connu pour Les Aventures de Tintin. 102 Pieter Bruegel (ou Brueghel) dit l'Ancien est un peintre flamand né à Brueghel, près de Bréda vers 1525 et mort le 5 septembre 1569 à Bruxelles.

103 Si un belge vous dit qu’il drache, c’est qu’il pleut à boire debout.

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104 Tiré de la chanson Ces gens-là, paroles et musique de Jacques Brel.

105 Idem.

106 La Route, paroles: Serge Côté – musique: Christophe Barthel. Texte à la page x.

107 Arban, Dominique, Cent pages avec Brel, Seghers, Paris, 1967.

108 Amsterdam, paroles et musique: Jacques Brel.

109 L’amour et la cage, paroles: Serge Côté – musique: Claude Dubois, texte intégral à la page x.

110 Claude Dubois (né le 24 avril 1947 à Montréal) est un chanteur et auteur-compositeur-interprète québécois. Il est considéré comme une des plus belles voix de la scène musicale pop du Québec.

111 Enivrez-vous, par Charles Pierre Baudelaire, poète français, né le 9 avril 1821 et mort le 31 août 1867 à Paris. Il est l'un des poètes les plus célèbres du xixe siècle : en incluant la modernité comme motif poétique, il a rompu avec l'esthétique classique. Serge Reggiani, interprète et comédien français d’origine italienne, en a fait une interprétation extraordinaire.