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Mise au point Stratégie diagnostique des lésions traumatiques du rachis cervical Diagnosis of cervical spine trauma O. Robert a , C. Savry b, *, M. Freysz c a DAR, hôpital des Chanaux, 71000 Macon, France b Réanimation polyvalente, centre hospitalier Bretagne Sud, 56322 Lorient cedex, France c DAR, hôpital général, CHU de Dijon, 21033 Dijon cedex, France Reçu et accepté le 23 août 2004 Résumé Les lésions cervicales post-traumatiques ont une fréquence variable en fonction de la violence du traumatisme (3 à 30 %) et augmentent avec l’âge. Les signes cliniques sont souvent trompeurs ce qui justifie un large recours à l’imagerie radiologique. Une stratégie fondée sur la clinique, les circonstances traumatiques et l’âge doit permettre un choix raisonné de l’imagerie, stratifié en fonction du risque de lésion traumatique du rachis cervical. Un patient, conscient, sans intoxication, sans signe neurologique focal, sans autre lésion associée et sans cervicalgie spontanée ou provoquée par la palpation des apophyses épineuses ne justifie pas d’examen radiologique. Dans les autres cas, l’imagerie est indispensable et le choix existe entre des radiographies standards et une tomodensitométrie hélicoïdale. La tomodensitométrie a une meilleure sensibilité que les clichés standards dans la détection des fractures et des luxations cervicales. Elle permet de préciser les lésions constatées sur les clichés standards ou explorer les zones difficiles d’accès (charnières). Elle est utile en première intention chez les patients dont le risque de lésion cervicale est élevé : patient traumatisé inconscient, polytraumatisés, traumatisme crânien sévère, troubles neurologiques focaux, traumatisme à cinétique élevée, âge supérieur à 50 ans. L’IRM est un examen de 2 e intention, justifié en cas d’irritation médullaire à TDM normale et en cas de doute sur lésion discoligamentaire ou vasculaire. L’instabilité ligamentaire est dépistée par des clichés dynamiques, à distance du traumatisme. © 2004 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract The frequency of cervical injuries varies with the trauma violence (3 to 30 %) and increases with age. Because clinical signs are often misleading, radiological evaluation must frequently be performed. A strategy based on clinical signs, traumatic causes, and age can allow a reasoned choice of cervical spine imaging according to the determination of fracture risk. Some patients with no midline cervical tenderness, no focal neurological deficit, normal alertness, not intoxicated, and not painful with no distracting injury do not need radiological examination. In the other cases, cervical spine imaging is essential. We have the choice to perform standard radiographs or helical CT-scan. CT-scan has a better sensibility than standard radiographs to detect cervical fractures or luxations and allows to explore the cervical spine lesions difficult to see (hinges). CT scan is necessary in first intention among patients at high risk of cervical lesions : unconscious traumatized patients, severe cerebral lesions on the CT-scan, multiple trauma, high energy traumatism with age older than 50. RMN is necessary in second time in case of medullar irritation with normal CT-scan or if a vascular or disco-ligamentary lesion is suspected. The diagnosis of ligamentar instability can justify dynamic radiographs, at distance of traumatism. © 2004 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Rachis ; Cervical ; Traumatisme ; Diagnostic Keywords: Cervical; Spine; Trauma; Diagnosis * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Savry). Réanimation 13 (2004) 471–476 http://france.elsevier.com/direct/REAURG/ 1624-0693/$ - see front matter © 2004 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reaurg.2004.08.008

Stratégie diagnostique des lésions traumatiques du rachis cervical

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Page 1: Stratégie diagnostique des lésions traumatiques du rachis cervical

Mise au point

Stratégie diagnostique des lésions traumatiques du rachis cervical

Diagnosis of cervical spine trauma

O. Robert a, C. Savry b,*, M. Freysz c

a DAR, hôpital des Chanaux, 71000 Macon, Franceb Réanimation polyvalente, centre hospitalier Bretagne Sud, 56322 Lorient cedex, France

c DAR, hôpital général, CHU de Dijon, 21033 Dijon cedex, France

Reçu et accepté le 23 août 2004

Résumé

Les lésions cervicales post-traumatiques ont une fréquence variable en fonction de la violence du traumatisme (3 à 30 %) et augmententavec l’âge. Les signes cliniques sont souvent trompeurs ce qui justifie un large recours à l’imagerie radiologique. Une stratégie fondée sur laclinique, les circonstances traumatiques et l’âge doit permettre un choix raisonné de l’imagerie, stratifié en fonction du risque de lésiontraumatique du rachis cervical. Un patient, conscient, sans intoxication, sans signe neurologique focal, sans autre lésion associée et sanscervicalgie spontanée ou provoquée par la palpation des apophyses épineuses ne justifie pas d’examen radiologique. Dans les autres cas,l’imagerie est indispensable et le choix existe entre des radiographies standards et une tomodensitométrie hélicoïdale. La tomodensitométriea une meilleure sensibilité que les clichés standards dans la détection des fractures et des luxations cervicales. Elle permet de préciser leslésions constatées sur les clichés standards ou explorer les zones difficiles d’accès (charnières). Elle est utile en première intention chez lespatients dont le risque de lésion cervicale est élevé : patient traumatisé inconscient, polytraumatisés, traumatisme crânien sévère, troublesneurologiques focaux, traumatisme à cinétique élevée, âge supérieur à 50 ans. L’IRM est un examen de 2e intention, justifié en cas d’irritationmédullaire à TDM normale et en cas de doute sur lésion discoligamentaire ou vasculaire. L’instabilité ligamentaire est dépistée par des clichésdynamiques, à distance du traumatisme.© 2004 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

The frequency of cervical injuries varies with the trauma violence (3 to 30 %) and increases with age. Because clinical signs are oftenmisleading, radiological evaluation must frequently be performed. A strategy based on clinical signs, traumatic causes, and age can allow areasoned choice of cervical spine imaging according to the determination of fracture risk. Some patients with no midline cervical tenderness,no focal neurological deficit, normal alertness, not intoxicated, and not painful with no distracting injury do not need radiological examination.In the other cases, cervical spine imaging is essential. We have the choice to perform standard radiographs or helical CT-scan. CT-scan has abetter sensibility than standard radiographs to detect cervical fractures or luxations and allows to explore the cervical spine lesions difficult tosee (hinges). CT scan is necessary in first intention among patients at high risk of cervical lesions : unconscious traumatized patients, severecerebral lesions on the CT-scan, multiple trauma, high energy traumatism with age older than 50. RMN is necessary in second time in case ofmedullar irritation with normal CT-scan or if a vascular or disco-ligamentary lesion is suspected. The diagnosis of ligamentar instability canjustify dynamic radiographs, at distance of traumatism.© 2004 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Rachis ; Cervical ; Traumatisme ; Diagnostic

Keywords: Cervical; Spine; Trauma; Diagnosis

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (C. Savry).

Réanimation 13 (2004) 471–476

http://france.elsevier.com/direct/REAURG/

1624-0693/$ - see front matter © 2004 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.reaurg.2004.08.008

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1. Introduction

La fréquence des lésions cervicales post-traumatiques(LCPT) est variable selon la nature du traumatisme : 2 à 3 %de l’ensemble des patients traumatisés, 15 % en cas deblessure du cou et 30 % en cas de traumatisme crânien grave[1,2]. De diagnostic parfois difficile, le risque est d’ignorerune LCPT instable dont les conséquences fonctionnellespeuvent être dramatiques [3]. La prudence impose doncl’immobilisation systématique du rachis cervical par un col-lier cervical rigide dès la prise en charge initiale d’un patienttraumatisé [4]. En fonction des circonstances traumatiques,de l’âge et de l’examen clinique, une investigation radiologi-que adaptée doit être réalisée à la recherche d’une LCPT.

2. L’examen clinique

L’examen clinique doit être complet, structuré et précis. Ilrecherche les circonstances de l’accident, une blessure ducou, une douleur cervicale, des troubles des fonctions supé-rieures, des signes neurologiques focaux (incluant des signesd’irritation médullaire) et des lésions associées. Les circons-tances habituelles sont les accidents de la voie publique (enparticulier à haute énergie) et les accidents de sports (ski,rugby, sports de contact, plongeon en eau peu profonde) [5].La conférence d’expert et différentes études ont défini unaccident à cinétique élevée : éjection de la victime, chute de3 m (5 m pour la conférence d’expert), accident avec hyper-extension ou hyperflexion du rachis [4]. On peut rajouterd’autres éléments d’appréciation (intérêt de l’équipeSMUR) : passager décédé dans le même véhicule, déforma-tion du véhicule, absence de casque, port de ceinture desécurité, vitesse estimée. Le risque lié à la vitesse est variableselon les études : il augmente pour une vitesse supérieure à50 km h–1 dans l’étude américaine intégrant les circonstancestraumatiques dans la stratégie diagnostique [6] et pour unseuil de 100 km h–1 dans l’étude canadienne [7].

La présence d’une lésion au niveau du cou peut d’embléeattirer l’attention : torticolis, contracture, érosion, ecchy-mose, hématome de la région cervicale. La douleur cervicale,spontanée ou provoquée, est quasi constante mais peut êtremasquée par des troubles de conscience associés ou par unedouleur distractive. En l’absence de signes cliniques locauxchez le patient conscient de moins de 65 ans et en dehors decirconstances traumatiques à risque, certaines équipesconseillent d’évaluer en plus la capacité de rotation volon-taire de la tête (45°) [7]. En présence de troubles de cons-cience (d’origine traumatique, toxique), l’examen cliniqueperd sa fiabilité alors que le risque de LCPT est supérieur àcelui des patients conscients [6,7].

Une atteinte médullaire doit être soigneusement recher-chée. L’examen neurologique comprend l’étude de la motri-cité volontaire, de la sensibilité (superficielle, profonde etsubjective), des réflexes ostéotendineux, des signes d’atteintepyramidale, des nerfs crâniens. En cas de doute sur une

atteinte médullaire, un examen périnéal (sensibilité et toni-cité du sphincter anal) est indispensable. Une lésion médul-laire (section, sidération...) peut se révéler par un arrêt car-diorespiratoire (C0→C4), une tétraplégie flasque avec ousans conservation d’une autonomie respiratoire, une sidéra-tion sympathique avec hypertonie parasympathique relative(bradycardie–hypotension) [8], une béance du sphincter anal[4]. Le résultat de l’examen neurologique doit être consignépar écrit et le score ASIA calculé [4]. Il doit être renouvelérégulièrement (évolutivité des lésions). Le diagnostic clini-que de lésion médullaire est aisé lors de circonstances évo-catrices chez un patient conscient. En revanche, le diagnosticest difficile chez un patient comateux chez qui une atteinterachidienne doit être systématiquement évoquée jusqu’àpreuve radiologique du contraire. Les syndromes incompletsdoivent attirer l’attention car ils peuvent témoigner d’uneLCPT instable (tétraparésie, atteinte radiculaire cervicale).Une hémiplégie peut être la conséquence d’une luxationoccipitoatlantoïdienne ou d’une dissection carotidienne trau-matique. Une atteinte isolée des nerfs crâniens peut être laconséquence d’une luxation atlanto-occipitale [9]. La pré-sence de lésions associées graves (polytraumatisme, trauma-tisme du bassin, fractures multiples de membre) témoigned’un traumatisme à cinétique élevé (donc à risque de LCPT)et peut perturber l’examen cervical. La menace du pronosticvital immédiat (rupture de rate en état de choc par exemple)peut conduire à surseoir provisoirement au bilan radiologi-que cervical initial sous réserve d’une immobilisation cervi-cale soigneuse et d’une technique d’intubation de la trachéepréservant la rectitude de l’axe tête–cou–tronc.

3. Examen radiologique

L’examen clinique guide l’investigation radiologique per-mettant le diagnostic d’une LCPT. Les clichés standards(CS) et la tomodensitométrie hélicoïdale (TDM) sont lesdeux examens de première intention. Le recours à la remno-graphie (IRM) vertébromédullaire ou à une exploration vas-culaire est parfois nécessaire. Les CS dynamiques ne sont pasrecommandés à la phase précoce [4].

3.1. Clichés standards

Historiquement, il s’agit de l’examen de première inten-tion. Le bilan standard comprend trois incidences : cliché deface, cliché de face bouche ouverte et cliché de profil.D’autres incidences peuvent être pratiquées (incidences obli-ques, de 3/4) [10], mais elles sont de réalisation difficile, avecun bénéfice faible dans la détection de lésion supplémentaireet l’intérêt de leur utilisation en routine n’a pas été démontré[11,12].

Comparés à la TDM, les CS ont les avantages de lasimplicité, d’un accès technique aisé et d’une irradiationmoindre [13]. Cependant, la qualité des images, souventmédiocre, est source de difficultés d’interprétation. Les cau-

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ses, multifactorielles, incluent d’abord un mauvais dégage-ment des charnières cervicales puis des superpositions dematériel (sonde d’intubation..), des incidences radiologiquesnon strictes, une non coopération du patient. Ainsi les CSsont de mauvaise qualité chez 36 et 50 % des sujets cons-cients [14,15] et chez plus de 90 % des traumatisés incons-cients [16]. Les principaux critères de qualité des CS sont lessuivants : cliché de profil strict dégageant la base de l’occiputjusqu’au bord supérieur de D1 ; cliché de face strict montrantles apophyses épineuses de C2 à D1 ; cliché de face boucheouverte dégageant les masses latérales de C1 et l’odontoïdedans sa totalité [17]. L’imagerie standard dégage mal lescondyles, les articulations occipitoatlantoïdienne voire C1–C2 justifiant une TDM systématique de la charnière cervicalehaute chez le traumatisé crânien grave [18,19]. Enfin latechnique est inadaptée au diagnostic d’atteinte discoliga-mentaire isolée. Par conséquent, si la sensibilité est de l’ordrede 100 % chez le sujet conscient avec une qualité d’imageoptimale, on note, chez le traumatisé grave, entre 20 et 40 %de faux négatifs dont 50 % de fractures instables [1,19,20].Reste le problème d’interprétation des CS qui est fréquem-ment réalisée par un médecin non spécialiste et qui expose àune sous estimation des lésions [16].

3.2. Tomodensitométrie hélicoïdale

La réalisation d’une TDM du rachis cervical est actuelle-ment aisée dans beaucoup d’établissements de santé. L’ac-quisition en coupes fines de l’ensemble du rachis cervical estrapide et le traitement informatique des données permet desreconstructions coronales et sagittales à partir des coupesnatives.

Elle offre une qualité d’examen constante sous réserved’une immobilisation parfaite. Elle permet une visibilité del’ensemble du rachis cervical. De plus l’examen est inter-prété par un médecin spécialiste. Il offre une sensibilité etune spécificité maximales pour le diagnostic de fractures oude luxations. Les données de la littérature sont néanmoinsdiscordantes et dépendent de l’évolution technologique del’imagerie scanographique. En effet, les TDM de premièregénération ont un mode d’acquisition incrémentale (coupepar coupe) et une rapidité limitée ne permettant pas la réali-sation de reconstructions. Les TDM de dernière génération(multibarettes) permettent l’analyse en coupes fines avec unegrande rapidité et la réalisation de reconstructions multipla-naires augmentant la sensibilité diagnostique (étude du murpostérieur). Les carences de la TDM il y a quelques années[20,21], ne sont donc plus d’actualité [2,22]. Les autresavantages de la TDM concernent le patient polytraumatisé oùelle s’intègre dans le bilan lésionnel exhaustif. Enfin, ellepermet un accès à l’angioscanner en temps réel en cas dedoute sur une dissection carotidienne (patient avec hémiplé-gie post-traumatique et TDM encéphalique initiale normale)ou vertébrale. Restent les problèmes de disponibilité de latechnique, du rayonnement délivré (supérieur à la radiologieconventionnelle) [13]. Enfin cet examen est inadapté pour

porter le diagnostic d’atteinte discoligamentaire ou médul-laire isolée [4].

3.3. IRM

L’IRM est un examen de deuxième intention en raison decontraintes techniques et de disponibilité. Elle est de moindreperformance que la TDM dans la détection de fractures maisest l’examen de choix dans les lésions médullaires, discoli-gamentaires et des tissus mous [23,24]. La validité de l’exa-men pour le diagnostic de lésions ligamentaires est néan-moins discutable car les ligaments sont couramment nonvisualisés chez le sujet sain [25].

3.4. Explorations vasculaires

Certains signes cliniques comme un déficit moteur hémi-corporel avec une TDM encéphalique normale, peuvent fairediscuter d’une atteinte vasculaire et requérir une explorationadaptée. Les techniques d’évaluation peuvent être non inva-sives (écho-doppler) ou faire appel à une injection de produitde contraste au premier rang de laquelle l’angioscanner est laplus accessible. L’angioIRM, moins disponible, donne desimages plus fines de l’atteinte vasculaire et peut renseignerprécocement sur des lésions ischémiques cérébrales poten-tiellement associées. L’artériographie reste la méthode deréférence.

3.5. Clichés dynamiques

Les CS et la TDM sont réalisés en condition statique et nepermettent pas le diagnostic d’instabilité ligamentaire. Lediagnostic dépend de clichés dynamiques réalisés en flexionou en extension, après des clichés statiques par un médecinexpérimenté. Les manœuvres, idéalement guidées par unorthopédiste ou un neurochirurgien, doivent être interrom-pues en cas de douleurs ou d’apparition de signes neurologi-ques [26]. Si ces manœuvres ne sont pas recommandées enphase précoce, elles restent indispensables à distance aumoment de la décharge.

4. Stratégie diagnostique

Le consensus est difficile sur la stratégie d’investigationradiologique du rachis cervical traumatique. Les pratiquesdifférent selon les équipes [6,7,27–30], et plusieurs recom-mandations ont été récemment publiées [4,17]. La comparai-son entre différentes approches cliniques est toujours sujetteà controverse comme en témoigne une étude récente trèsdiscutée [31–33].

Deux questions se posent : premièrement, existe-t-il dessituations cliniques à bas risque permettant de se passer del’imagerie ; deuxièmement, existe-t-il des critères de choixpour utiliser en premier intention les CS ou la TDM.

4.1. Existe-t-il des situations cliniques à bas risquejustifiant de l’absence de bilan radiologique ?

Deux études comprenant de très larges effectifs ont étudiécette question [7,27]. Ces deux approches ont fait l’objet

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d’une étude comparative [31] aux résultats très controversés,[32,33]. Les critères de Hoffman, repris par la conférenced’expert, sont : une conscience normale (score de Glasgow≥ 14), une absence de troubles des fonctions neurologiquessupérieures, une absence d’intoxication susceptible de modi-fier l’examen (alcool, morphiniques, drogues...), une absencede lésion traumatique douloureuse associée, une absence dedéficit neurologique focal, objectif ou subjectif, une absencede douleurs cervicale postérieure spontanée ou à la pressiondes apophyses épineuses cervicales jusqu’à D1 [4,27]. Ce-pendant, même si ces critères ont été éprouvés avec succèssur une énorme population (34 069 patients sur 21 centres),ces seules données cliniques ne prennent pas en compte lescirconstances traumatiques ni l’âge qui semblent être desfacteurs de risques associés importants [6,7,31,34]. La pré-sence de circonstances traumatiques, impliquant notammentune cinétique élevée (d’appréciation variable selon les étu-des) conduit à proposer de prendre en compte ce facteur dansl’abstention éventuelle d’un bilan radiologique [6,7]. Enfin,le facteur âge semble avoir, à lui seul, une influence sur lasurvenue d’une lésion rachidienne. La limite est cependantvariable selon les études : 50 ans [6], 65 ans [7,34], avec unfacteur aggravant particulier à partir de 75 ans [34]. Cesarguments ont été mis en avant pour expliquer, dans l’étudecomparative canadienne de Stiell et al. [31], la meilleuresensibilité relevée de l’association — critères cliniques (sta-tiques et dynamique par la rotation volontaire de la tête)+ absence de circonstance traumatique favorisante + âgeinférieur à 65 ans [31,33]) — sur les seuls critères cliniquesstatiques proposés par Hoffman [27]. Cependant, la diffé-rence de sensibilité relevée pour le groupe « critères cliniquesseuls » est importante entre l’étude princeps de Hoffman(99 %) et celle de Stiell (90,7 %), ce qui fait l’objet decraintes sur la conduite de l’étude comparative avec unecontroverse sur la validité du résultat [33]. La discussionreste donc ouverte.

4.2. CS ou TDM en première intention ?

Tous les cas échappant au cadre infra doivent impérative-ment bénéficier d’une exploration radiologique. La supério-rité de la TDM sur les CS étant établie, la tendance est derecourir largement à la TDM. Cependant, pour des raisonséconomiques, de disponibilité et d’irradiation, le choix de cetexamen doit aussi être raisonné. La logique veut que lespatients à haut risque lésionnel puissent bénéficier d’uneTDM première.

Cette notion de risque de LCPT a été définie dans plu-sieurs travaux [6,7,25,35,36]. Elle comprend des critèrescliniques, des circonstances traumatiques ainsi que l’âge. Laconférence d’expert définit ces patients à hauts risques selonune approche clinique : traumatisme crânien, déficit neurolo-gique post-traumatique attribuable à une lésion médullaireou radiculaire, fractures multiples, victimes polytraumati-sées [4]. Ces critères sont reconnus dans la plupart destravaux [6,7,36]. Ces patients justifient déjà d’une explora-

tion scanographique pour d’autres régions du corps et il y aavantage à associer d’emblée une TDM du rachis cervical.Par ailleurs, les CS sont de mauvaise qualité chez ces patientsnon coopérants, difficiles à mobiliser, et la TDM a unefiabilité diagnostique nettement plus importante dans ces cas.L’équipe de Blackmore et al. s’est plus particulièrementpenchée sur cette question avec deux études : l’une définis-sant les catégories à risques selon des critères neurologiques,de cinétique et d’âge (seuil de 50 ans) [6], la suivante éva-luant le rapport coût efficacité (prévention des cas de paraly-sie) de l’utilisation de la TDM/CS selon les risques trauma-tiques classés en trois catégories : élevé, moyen, faible [36].D’après l’étude de Blackmore et al. [6,36,37], le risque élevéconcerne les patients porteurs d’un traumatisme crânien sé-vère et/ou d’un déficit neurologique focal et/ou victimes d’unaccident à cinétique élevée (vitesse environ > 50 km h-1 )avec un âge > 50 ans ce qui correspond à un risque de fracturedu rachis compris entre 11 et 31 %. Le risque moyen (proba-bilité de fracture voisin de 5 %) concerne les patients demoins de 50 ans présentant un traumatisme à haute énergieou ceux de plus de 50 ans présentant un traumatisme demoyenne énergie (vitesse < 50 km h-1 ). Le risque faible(probabilité de LCPT ≤ 2 %) est défini par un traumatisme demoyenne énergie chez le patient de moins de 50 ans ou untraumatisme à énergie faible.Ainsi, comparativement au coûtdu handicap moteur potentiel, faire une TDM première estéconomiquement rentable dans la catégorie à risque élevé[36], économiquement déficitaire mais avec une préventionimportante des paralysies dans le groupe à risque modéré.L’intérêt clinique devient très faible dans la dernière catégo-rie pour un surcoût (trop) important. Les auteurs recomman-dent la TDM dans les deux premières catégories [36].

4.3. Pour une stratégie d’imagerie raisonnée

Une stratégie tenant compte des différents résultats peutêtre élaborée, fondée sur les signes cliniques locaux et géné-raux (en particulier neurologiques), les circonstances trau-matiques et l’âge. Cette proposition de stratégie est illustréeFig. 1.

L’exploration radiologique fait appel à :• des CS si le risque de LCPT est faible ;• une TDM si le risque de LCPT est moyen ou élevé. Une

TDM cervicale se justifie par ailleurs chez le patienttraumatisé inconscient (fréquence de LCPT élevée et CSde mauvaise qualité), pour préciser une lésion visible surles CS (doute, confirmation, extension), ou chez un patientdevant bénéficier d’une TDM d’une autre région du corps(le traumatisé grave). Enfin un patient présentant manifes-tement des signes d’irritation médullaire post-traumatiquedoit bénéficier d’une TDM à la recherche d’une urgencechirurgicale. En cas de TDM normale, l’IRM rechercheraune atteinte médullaire isolée ;

• une IRM devant un déficit neurologique avec cervicoarth-rose et/ou canal médullaire étroit sans lésion de naturetraumatique et pour contrôler les réductions par tractiondes fractures luxations du rachis cervical ;

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• des CS dynamiques ou une IRM en cas de doute sur uneatteinte discoligamentaire avec CS et/ ou TDM normale.

5. Conclusion

Le traumatisme du rachis cervical est très fréquent etpotentiellement grave par les conséquences fonctionnellesd’une lésion médullaire qu’il peut entraîner [35]. Cela justifieun bilan radiologique large mais adapté visant d’abord àlimiter au maximum le risque de lésion passée inaperçue.C’est aussi une situation clinique à risque d’excès dans laprescription d’examen complémentaire. Pour répondre à cesdeux écueils, le trop et le trop peu, une stratégie fondée sur lerisque lésionnel peut être proposée. Elle est fondée sur lesdonnées de l’examen clinique, des circonstances traumati-

ques et de l’âge. Elle a fait l’objet de très larges études ce quipermet de la rendre applicable sur le terrain. Par la hiérarchi-sation des pratiques d’examens complémentaires en adaptantla sensibilité des examens au risque lésionnel, on peut effec-tuer efficacement un dépistage optimal tout en ayant uneutilisation rationnelle des techniques toujours plus perfec-tionnées dont nous disposons.

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Fig. 1. Proposition de stratégie d’exploration radiologique initiale des traumatismes du rachis cervical (d’après [4,6,7,27,36]).

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