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TTHHÈÈSSEE
En vue de l'obtention du
DDOOCCTTOORRAATT DDEE LL’’UUNNIIVVEERRSSIITTÉÉ DDEE TTOOUULLOOUUSSEE
Délivré par l'Université Toulouse III - Paul Sabatier
Discipline ou spécialité : Didactique des disciplines scientifiques et technologiques
JURY
Yvon LEZIART, Professeur, Université Rennes II
Gérard VERGNAUD, Directeur de recherche émérite, CNRS
André ANTIBI, Professeur, Université Toulouse III
Eric MARGNES, Maître de conférences, UPPA
André TERRISSE, Professeur émérite, IUFM Midi-Pyrénées
Ecole doctorale : CLESCO
Unité de recherche : DiDiST, CREFI-T (EA 799)
Directeur(s) de Thèse : André TERRISSE, Eric MARGNES
Rapporteurs : Yvon LEZIART, Gérard VERGNAUD
Présentée et soutenue par Pablo BUZNIC-BOURGEACQ Le 23 septembre 2009
Titre : La transmission du savoir expérientiel. Etudes de cas et analyses comparatives en didactique clinique de l'EPS
Remerciements
A l‟issue de la rédaction de cette thèse, je souhaite particulièrement remercier
André Terrisse et Eric Margnes qui m‟ont accordé leur confiance du début à la fin. Il y
a eu des moments où il m‟était très difficile de produire. Sans leur confiance, je n‟aurai pas
trouvé le courage de mener à terme ce travail. Ce fut un soutien que je n‟oublierai pas. Ils
m‟ont aussi ouvert les portes de l‟enseignement et de la réflexion sur cet enseignement, sans
me donner une seconde l‟impression de ne pas être à ma place. Je les remercie de m‟avoir
offert cette place.
Les enseignants qui ont accepté de faire leurs premiers pas dans l‟enseignement sous
un regard extérieur. Ils se sont prêtés au jeu comme je n‟aurai pu l‟espérer. Ils ont bien voulu
m‟ouvrir simplement leur classe et m‟offrir sincèrement le temps de leur parole. Je leur en
suis particulièrement reconnaissant. Enseigner pour la première fois des savoirs que l‟on ne
connaît pas et accepter d‟y être observé me semble être une preuve de l‟honnêteté de leur
engagement.
Tous les membres de l‟équipe EDiC pour avoir enrichi mon immersion dans la
recherche de précieux et amicaux conseils. Ils ont su me guider et m‟écouter en préservant
toujours une relation symétrique pleine d‟empathie.
Yvon Léziart, Gérard Vergnaud et André Antibi qui me font l‟honneur de participer à
ce jury.
Tous les proches qui m‟ont aidé à mener ce travail, dont je n‟oserais ici énumérer la
liste. Ce travail m‟apparaît parfois comme une recherche collaborative. Je les remercie pour
les nuits blanches passées à m‟accompagner dans une tâche que seule la force de leurs
sentiments pouvait justifier. Je les remercie d‟avoir accepté ma transparence et mes
complaintes. Je les remercie de m‟avoir pris par la main.
Table des matières
PARTIE 1 : Origines, Questionnements, Orientations Epistémologiques et Théoriques de la Recherche
1
1. Origines et questionnements 2
1.1 Préoccupations scientifiques et origines de la recherche 2
1.1.1 Origines épistémologiques 2
1.1.2 Origines empiriques 5
1.1.3 Une recherche antérieure : le travail mené en DEA 7
a. Problématique et méthodologie 7
b. Résultats et interprétations 8
c. Ouvertures 11
1.2 Questions d’enseignement et questions de recherche 13
1.2.1 Questions d’enseignement, questionnement d’enseignant 13
a. « C‟est ça la difficulté du métier… » 14
b. Des interrogations de la pratique 14
1.2.2 Questions de recherche 16
2. Cadre théorique 18
2.1 De l’expérience au savoir 19
2.1.1 Situer le savoir : le réel, le sujet et les institutions 20
a. Les limites du savoir 20
b. Un savoir rationnel et institutionnel 22
c. Savoirs, savoir, sujet et acte 24
2.1.2 D’une épistémologie de la pratique à la théorisation du savoir expérientiel 27
a. Théorie et pratique : spécificités du savoir dans l‟expérience de l‟acte 27
b. Problématiques épistémologiques pour une théorisation du savoir expérientiel 32
c. Le savoir expérientiel : théorisation autour des schèmes 41
2.1.3 La distanciation sujet/savoir : corps, représentations et signifiants 54
a. L‟expérience institutionnelle : stabilisation des savoirs et signifiants 55
b. L‟expérience corporelle : des savoirs en deçà des représentations 59
c. Modélisation finale du savoir expérientiel et ouverture des questions didactiques :
la distanciation sujet/savoir
65
2.2 Le savoir expérientiel et la transposition didactique 72
2.2.1 Une transposition didactique de l’expérience ? 73
a. La transposition didactique : genèse d‟une problématique, genèse d‟un outil
d‟analyse
73
b. L‟expérience comme référence du savoir enseigné 76
c. Un savoir expérientiel impossible à transposer ? 79
2.2.2 Analyse transpositive du savoir expérientiel 82
2.2.2.1 Analyse transpositive des six dimensions constitutives du savoir expérientiel 84
a. La dimension conceptuelle organisant le contenu du processus de transmission des
savoirs
84
b. La dimension signifiante organisant le contenu du processus de transmission des
savoirs
90
c. La dimension corporelle organisant le contenu du processus de transmission des
savoirs
92
d. La dynamique représentationnelle/situationnelle organisant le contenu du
processus de transmission des savoirs
95
e. La part d‟initiative organisant de contenu du processus de transmission des savoirs 98
f. L‟organisation globale du contenu du processus de transmission des savoirs 102
2.2.2.2 Un cadre d‟analyse des pratiques effectives d‟enseignement : conclusions et
ouvertures théoriques
105
a. Les six dimensions du savoir expérientiel organisant le processus de transmission
des savoirs : un cadre d‟analyse des pratiques d‟enseignement effectif
105
b. Conclusions : de l‟ « en plus » issu de l‟expérience aux dimensions constitutives
du savoir expérientiel organisant le contenu des pratiques
108
3. Conclusions théoriques, ouvertures méthodologiques : un cadre d’analyse du
didactique, des interprétations en didactique clinique
112
3.1 Les six dimensions du savoir expérientiel pour identifier le poids de
l’expérience
112
3.2 Vers une théorie du sujet didactique 114
PARTIE 2 : Méthodologie 117
1. Problématique de recherche 118
2. Contexte de la recherche et analyse préalable 121
2.1 Choix du terrain de la recherche 121
a. Des expériences personnelles 121
b. Des enseignants débutants 122
c. Des comparaisons 122
d. Des contextes d‟enseignement 123
e. Des séances d‟enseignement 124
2.2 Les enseignants, leurs établissements et leurs classes 124
a. Professeur 1 (P1) 125
b. Professeur 2 (P2) 125
c. Professeur 3 (P3) 125
d. Professeur 4 (P4) 126
2.3 Les enseignants et les APSA : croisements d’expériences 126
3. Méthodologie de recueil des données 127
3.1 Identification empirique des données à recueillir 127
a. Identification empirique de la dimension conceptuelle organisant le processus de
transmission
128
b. Identification empirique de la dimension signifiante organisant le contenu du
processus de transmission
130
c. Identification empirique de la dimension corporelle organisant le contenu du
processus de transmission
130
d. Identification empirique de la dynamique situationnelle/représentationnelle
organisant le contenu du processus de transmission
131
e. Identification empirique de la part d'initiative organisant le contenu du processus
de transmission
132
f. Identification empirique de l'organisation globale du contenu du processus de
transmission
133
3.2 Protocole de recueil des données 134
3.2.1 Fondements et justifications du protocole de recueil des données 134
a. L‟ « épreuve » 135
b. Le « déjà-là » 136
c. L‟ « après-coup » 137
3.2.2 Les observations 139
a. Organisation des observations 139
b. Constitution du document à partir des observations 141
3.2.3 Les entretiens 141
a. Organisation des entretiens 141
b. Constitution du document à partir des entretiens 145
3.2.4 Récapitulatif du protocole de recueil des données 146
4. Méthodologie d’exploitation des données 147
4.1 La présentation des cas relative au contenu des pratiques effectives 148
4.2 Le poids de l’expérience personnelle : comparaisons macroscopiques 151
4.3 Identification des organisations singulières du contenu : analyse qualitative
des résultats significatifs
153
4.3.1 Extraction des résultats significatifs 153
4.3.2 Analyse qualitative et interprétative 155
4.4 La « construction des cas » à partir de l’analyse des pratiques 157
4.5 La « construction des cas » à partir de l’analyse du discours des enseignants 158
PARTIE 3 : Résultats et interprétations : analyse des pratiques effectives
161
1. Le contenu des pratiques : présentation des cas 163
1.1 Le contenu des pratiques : le cas de P1 164
1.1.1. Enseignements de rugby 165
1.1.2. Enseignements de natation 168
1.1.3. Enseignements de gymnastique 171
1.2 Le contenu des pratiques : le cas de P2 173
1.2.1. Enseignements de rugby 174
1.2.2. Enseignements de basket 177
1.3 Le contenu des pratiques : le cas de P3 179
1.3.1. Enseignements de danse 180
1.3.2. Enseignements de basket 183
1.4 Le contenu des pratiques : le cas de P4 184
1.4.1. Enseignements de danse 185
1.4.2. Enseignements de natation 188
1.4.3. Enseignements de basket 191
1.5 Conclusions 193
2. Le poids de l’expérience personnelle : comparaisons macroscopiques 194
2.1 La dimension conceptuelle organisant le contenu 195
2.1.1 Résultats quantitatifs 196
2.1.2 Interprétations 197
2.2 La dimension signifiante organisant le contenu 199
2.2.1 Résultats quantitatifs 200
2.2.2 Interprétations 200
2.3 La dimension corporelle organisant le contenu 202
2.3.1 Résultats quantitatifs 203
2.3.2 Interprétations 203
2.4 La dynamique situationnelle/représentationnelle organisant le contenu 206
2.4.1 Résultats quantitatifs 206
2.4.2 Interprétations 207
2.5 La part d’initiative organisant le contenu 210
2.5.1 Résultats quantitatifs 211
2.5.2 Interprétations 211
2.6 L’organisation globale du contenu 214
2.6.1 Résultats quantitatifs 214
2.6.2 Interprétations 215
2.7 Conclusions 218
3. Des organisations singulières du contenu : analyse qualitative des résultats
significatifs
220
3.1 Des organisations singulières de la dimension conceptuelle 223
3.1.1 Extraction des résultats significatifs 223
3.1.2 Interprétations 223
a. P2 en rugby : interventionnisme didactique et densité conceptuelle 223
b. P4 en natation : de quelques longues institutionnalisations 224
c. P1 en gymnastique : interventionnisme didactique, redondance et hiérarchisation 225
d. P4 : le primat des situations 226
e. P1 : le « pourquoi » de l‟APSA et la hiérarchisation 227
f. P2 : interventionnisme didactique et automatisation 228
g. Le rugby : une APSA propice à la densité conceptuelle ? 229
3.2 Des organisations singulières de la dimension signifiante 230
3.2.1 Extraction des résultats significatifs 230
3.2.2 Interprétations 230
a. P3 en danse : le langage du hip-hop et la verbalisation du corps 230
b. La danse : la verbalisation du corps et l‟importance de la dimension signifiante 232
c. P4 : les situations, la verbalisation et la spécificité de la danse 232
d. P3 : la culture de l‟APSA 233
e. P2 : des sports collectifs au basket, du (Ex) au (NEx*) 234
f. Les sports collectifs et le basket : contextes matériels et spatio-temporels 235
3.3 Des organisations singulières de la dimension corporelle 235
3.3.1 Extraction des résultats significatifs 235
3.3.2 Interprétations 236
a. P4 : le corps de l‟enseignant et le milieu de l‟élève 236
b. P1: la logique du corps 237
c. Danse, gymnastique et natation : des enseignements du corps 239
d. P1 en gymnastique : les limites du corps de l‟enseignant 239
e. P2 en rugby : le corps de l‟enseignant ou le corps de l‟élève 241
3.4 Des organisations singulières de la dynamique
situationnelle/représentationnelle
243
3.4.1 Extraction des résultats significatifs 243
3.4.2 Interprétations 243
a. P1 : un contenu dynamique au service de la preuve 243
b. La natation : régulations situationnelles et spécificité du milieu de l‟élève 247
c. P4 : un contenu bloqué dans la situation et dans le contrat didactique 247
d. La danse : spécificités de l‟activité créative 250
e. P3 en basket : des matchs et des commentaires 250
f. P2 : les injonctions situationnelles et la progressivité des automatismes 251
3.5 Des organisations singulières de la part d’initiative 254
3.5.1 Extraction des résultats significatifs 254
3.5.2 Interprétations 255
a. P1 : des principes de l‟APSA pour accomplir la tâche et le compromis en rugby 255
b. Natation, gymnastique, rugby : initiative et activité décisionnelle 257
c. P2 : l‟enseignement du choix et les automatismes 257
d. La danse : l‟activité créative et expressive, l‟initiative et les compromis 258
e. P4 en basket et en danse : l‟initiative dans les situations adidactiques 260
3.6 Des organisations globales singulières 262
3.6.1 Extraction des résultats significatifs 262
3.6.2 Interprétations 262
a. P4 : la complexité de l‟APSA, la complexité des aménagements 262
b. P3 : la globalité de l‟immersion culturelle et l‟école de hip-hop 266
c. P2 : densité conceptuelle, émergence contextuelle et complexité de l‟APSA 267
d. P1 : logique complexe de l‟APSA, justifications et
globalisation/décomplexification
269
3.7 Conclusions 271
PARTIE 4 : Interprétations et conclusions : l’expérience, le sujet didactique et l’enseignement effectif
273
1. La construction des cas : synthèse de l’analyse des pratiques 275
1.1 Le cas de P1 276
1.1.1 Le cas de P1 : synthèse de l’analyse des pratiques 276
1.1.2 La logique singulière de P1 et le poids spécifique de l’expérience : synthèse de
l’analyse des pratiques
277
a. La logique de P1 277
b. Le poids spécifique de l‟expérience chez P1 278
1.2 Le cas de P2 279
1.2.1 Le cas de P2 : synthèse de l’analyse des pratiques 279
1.2.2 La logique singulière de P2 et le poids spécifique de l’expérience : synthèse
de l’analyse des pratiques
280
a. La logique de P2 280
b. Le poids spécifique de l‟expérience chez P2 281
1.3 Le cas de P3 283
1.3.1 Le cas de P3 : synthèse de l’analyse des pratiques 283
1.3.2 La logique singulière de P3 et le poids spécifique de l’expérience : synthèse de
l’analyse des pratiques
284
a. La logique de P3 284
b. Le poids spécifique de l‟expérience chez P3 284
1.4 Le cas de P4 286
1.4.1 Le cas de P4 : synthèse de l’analyse des pratiques 286
1.4.2 La logique singulière de P4 et le poids spécifique de l’expérience : synthèse de
l’analyse des pratiques
287
a. La logique de P4 287
b. Le poids spécifique de l‟expérience chez P4 288
2. La construction des cas : le point de vue des sujets 290
2.1 Le cas de P1 293
2.1.1 Le cas de P1 : le point de vue du sujet 293
2.1.2 Le cas de P1 : interprétations 295
2.1.2.1 Précisions et controverses sur le cas de P1 295
2.1.2.2 La logique singulière du sujet et le poids spécifique de l‟expérience : le cas
de P1
295
a. Désir de justification 295
b. Justification et relativisme, Le « pourquoi » et les situations 296
2.1.2.3 Le sujet didactique et le poids spécifique de l‟expérience : le cas de P1 296
a. Le compromis du temps de la justification, Pas d‟élève sans solution et Le
charabia de la pratique
296
b. La culpabilité de l‟enseignant 298
c. L‟enseignant désarmé, Faire illusion et Une illusion éphémère 299
d. L‟assurance de la décomplexification 300
2.2 Le cas de P2 302
2.2.1 Le cas de P2 : le point de vue du sujet 302
2.2.2 Le cas de P2 : interprétations 304
2.2.2.1 Précisions et controverses sur le cas de P2 304
a. Une impression de non directivité 304
b. L‟émergence contextuelle : continuité des séances, conceptualisation, précision,
temps de l‟enseignement, et réminiscence
305
c. Comprendre les situations 307
d. Un point d‟appui, Transversalité des milieux didactiques, Le choix et la
tactique/technique
307
2.2.2.2 La logique singulière du sujet et le poids spécifique de l‟expérience : le cas
de P2
308
a. L‟automatisme, l‟inné, le machinal, L‟effort, le travail, la répétition et Les
automatismes du haut niveau
308
2.2.2.3 Le sujet didactique et le poids spécifique de l‟expérience : le cas de P2 310
a. La proximité de l‟entraîneur, Les situations et la responsabilité de l‟enseignant 310
b. L‟injonction ou les situations pour être écouté 310
c. Protection, intention didactique et L‟enseignant sur ses gardes 311
2.3 Le cas de P3 313
2.3.1 Le cas de P3 : le point de vue du sujet 313
2.3.2 Le cas de P3 : interprétations 315
2.3.2.1 Précisions et controverses sur le cas de P3 315
a. Une issue plus générale 315
b. Accolé aux élèves 316
2.3.2.2 La logique singulière du sujet et le poids spécifique de l‟expérience : le cas
de P3
317
a. La culture et le groupe, L‟ailleurs et les relations humaines 317
2.3.2.3 Le sujet didactique et le poids spécifique de l‟expérience : le cas de P3 319
a. Le verbe pour paraître compétent, Crédibilité, Honnêteté, verbe et démonstration 319
b. L‟identité du sujet en dehors du didactique, l‟implication humaine et la
responsabilité de l‟enseignant
321
c. Les « choses pures » de « l‟école de danse », L‟initiative de la création ou la
normativité de la technique, Réussir ensemble
324
2.4 Le cas de P4 326
2.4.1 Le cas de P4 : le point de vue du sujet 326
2.4.2 Le cas de P4 : interprétations 328
2.4.2.1 Précisions et controverses sur le cas de P4 328
a. Une complexité toujours limitée 328
b. Le corps de l‟enseignant ou la confusion, Le contrat et l‟incertitude de
l‟enseignant, L‟éternel recommencement
329
2.4.2.2 La logique singulière du sujet et le poids spécifique de l‟expérience : le cas
de P4
330
a. Le vécu enfermé dans les situations, Situations ou démonstrations, Ne pas
comprendre l‟élève
330
b. Expérience et expérimentation 332
c. Le contrat didactique, un contenu social, Un contenu d‟organisation 333
2.4.2.3 Le sujet didactique et le poids spécifique de l‟expérience : le cas de P4 334
a. Le sentiment d‟utilité et les situations, Un sentiment d‟impuissance,
Responsabilité et impuissance, Le courage de la transmission
334
b. Qu‟ils fassent quelque chose, Se protéger avec les situations 335
c. Ça doit marcher, L‟épreuve de la contingence, Repartir sur quelque chose de posé,
Le refuge de l‟enseignant
336
d. La peur de l‟épreuve, Démonstration et jugement des élèves, Les situations et la
relation humaine, Ça marche tout seul
338
2.5 Conclusions : quatre sujets dans le didactique 340
3. Conclusions : le poids de l’expérience personnelle 341
3.1 Quatre cas face au poids de l’expérience 341
3.1.1 P1 face au poids de l’expérience 342
3.1.2 P2 face au poids de l’expérience 343
3.1.3 P3 face au poids de l’expérience 344
3.1.4 P4 face au poids de l’expérience 345
3.2 L’enseignement effectif face au poids de l’expérience 346
3.2.1 Le poids de l’expérience : les six dimensions du savoir expérientiel organisant
le contenu des pratiques
347
3.2.2 Le poids de l’expérience : des six dimensions du savoir expérientiel aux
organisations singulières du contenu des pratiques de chaque enseignant
348
3.2.3 Le poids de l’expérience : la place du sujet dans le didactique 350
3.2.4 Le poids de l’expérience : le savoir expérientiel et le sujet didactique 354
4. Discussion : La transmission du savoir expérientiel en didactique clinique 357
4.1 L’expérience, le savoir, le sujet 357
4.2 Perspectives de recherche 360
Bibliographie
1
PARTIE 1 : Origines, Questionnements,
Orientations épistémologiques et
théoriques de la recherche
2
1. Origines et questionnements
1.1 Préoccupations scientifiques et origines de la recherche
On présente ici l‟ensemble des éléments épistémologiques et empiriques qui ont
recouvert le début de nos recherches, pour ensuite exposer la recherche menée précédemment,
lors d‟un DEA en sciences de l‟éducation et les perspectives qu‟ils ont fait entrevoir comme
pistes actuelles de recherche.
1.1.1 Origines épistémologiques
L‟origine est en didactique de l‟EPS (Education Physique et Sportive). On s‟est
initialement questionné sur la transmission des savoirs dans cette discipline scolaire. Une
multiplicité de savoirs, dans une abondance d‟APSA (Activité Physique Sportive et
Artistique), toutes spécifiques, chargées de la contingence de leur pratique, de leurs histoires
dans des fédérations, des clubs, des communautés, sont finalement inscrits dans un processus
de transmission qui, dans son étape finale, est sous la responsabilité d‟une personne :
l‟enseignant. Voilà une tâche troublante que nous ne pensions gérable que sous des formes
singulières, propres à chacun. Car, de cette vaste étendue d‟objets, n‟entrera dans la classe que
son concours avec un autre ensemble : l‟expérience de l‟enseignant. C‟est ainsi le poids de ce
concours et ses multiples implications didactiques qui ont orienté nos recherches en
didactique de l‟EPS.
La recherche en didactique se veut particulièrement centrée sur les spécificités (et les
généricités, comme la didactique comparée problématise le réel de leur transmission) des
savoirs, objets centraux du processus d‟enseignement (Terrisse, 1999). Ces savoirs étant
inscrits dans le processus de diffusion des savoirs (Chevallard, 2002), lui-même spécifié en un
double processus de transmission par l‟enseignant et d‟appropriation par l‟élève (Marsenach,
3
1991), la didactique a élaboré comme objet de recherche le système didactique. Ce système,
pris comme un « triangle didactique » (Johsua, Dupin, 1993), spécifie ainsi la didactique
d‟autres recherches purement disciplinaires ou épistémologiques, ou encore de travaux en
psychologie, en ce que ce sont les relations, les articulations, les jeux d‟influence, les
« boucles de régulation » (Develay, 1992) entre chacun de ses pôles qui sont au cœur des
recherches. « La didactique prend en compte tous les partenaires de la relation didactique,
relation spécifique qui s‟établit entre un maître, un élève, un savoir (…). Il faut donc toujours
tenir compte des trois pôles, sans réduire l‟analyse à un seul d‟entre eux » (Jonnaert, 1988).
De cette articulation nécessaire, il nous semble qu‟une problématique fondamentale de la
didactique, qui interroge le lien entre des sujets, apprenant et enseignant, des savoirs et leur
enseignement, est celle qui est diversement traitée en sciences de l‟éducation : celle des
rapports au(x) savoir(s). La didactique y a largement trouvé sa place (Chevallard, 1989 ;
Terrisse, 1999 ; Venturini et Albe, 2002 ; Garnier, 2003). C‟est alors au croisement de cette
problématique des rapports au(x) savoir(s) et d‟un questionnement sur l‟expérience
personnelle de l‟enseignant (sa singularité) comme cause fondamentale de l‟évolution du
système didactique1 que l‟on a entamé nos recherches.
Pour un positionnement épistémologique et théorique plus précis, plusieurs sources et
ancrages ont permis leur avancée.
Tout d‟abord, dans cette perspective, l‟examen de l‟évolution du système didactique se
confronte à des nécessités. Il s‟agit bien de l‟examen de la réalité effective d‟une activité,
l‟activité d‟enseignement, qui s‟ancre alors dans un champ précis des sciences de l‟éducation,
celui de l‟analyse des pratiques effectives d‟enseignement (Venturini, Amade-Escot, Terrisse,
2002). Plus précisément, en didactique, il s‟agit de l‟analyse du didactique « ordinaire »2. Le
chercheur ici n‟est pas un expérimentateur proposant des dispositifs didactiques, ou des
contenus d‟enseignements spécifiques à évaluer par l‟intermédiaire de leur mise en œuvre par
un enseignant. Il est un observateur armé du réel de l‟enseignement quotidien, ordinaire,
habituel.
1 Il s‟agit là de la problématique fondamentale qui caractérise ces recherches : soit, d‟un point de vue théorique,
celle du lien entre le fonctionnement didactique de la classe, interprété au travers des concepts de la didactique
de l‟EPS, d‟importations des didactiques disciplinaires et de la didactique comparée, et le fonctionnement du
sujet enseignant, interprété au travers des mêmes concepts, mais aussi, par l‟intermédiaire de ceux issus de la
clinique, particulièrement psychanalytique, et inévitablement d‟autres édifiés de nos investigations et de celles
des chercheurs du groupe EDiC en didactique clinique (DiDiST, CREFI-T, EA 799, Université de Toulouse),
compte tenu de la nouveauté de ces interprétations. 2 C'est-à-dire le monde de l‟enseignement et de l‟étude considérés relativement à des organisations culturelles
d‟objets (Venturini, Amade-Escot, Terrisse, 2002)
4
Un observateur armé du didactique ordinaire : dans cette perspective, le didacticien est
incontestablement proche de l‟anthropologue (Clanché, 2002). Il reste à voir alors de quoi
ressort ce didactique, pour comprendre un autre de nos ancrages. « Il y a du didactique quand
un sujet, Y, a l‟intention de faire que naisse, ou que change, d‟une certaine manière, le rapport
d‟un sujet, X, à un objet, O. » (Chevallard, 1991)1. Ainsi, le didactique, se loge dans le
continent anthropologique (comme le religieux, ou le politique) et le didacticien doit
apprendre à l‟y voir. Hors de toute didactique générale, c‟est finalement dans une perspective
proche que la didactique (celle des mathématiques à l‟origine) est née, contre une étude
psychologique des savoirs et distincte d‟une épistémologie disciplinaire. Sûre qu‟il était
possible « de théoriser cette activité d‟enseignement en tant qu‟objet original d‟études et non
pas en tant que simple conjonction de faits théorisables uniquement dans des domaines
autonomes » (Brousseau, 1986). Si la spécificité du savoir mathématique était au centre des
préoccupations de G. Brousseau, c‟est surtout en mettant à jour la spécificité de l‟activité de
transmission des savoirs qu‟il a fait émerger cette discipline. L‟anthropologie didactique (ou,
plus précisément, la didactique des savoirs) de Y. Chevallard, est quelque part une forme
gratifiante de poursuite de l‟entreprise. Mais, elle devait attendre, pour ainsi maintenant
apprécier les spécificités disciplinaires dans le champ du didactique. Nous adhérons
fondamentalement à cette perspective et nous rattachons ainsi nos recherches en didactique de
l‟EPS à la perspective anthropologique initiée en didactique des mathématiques.
Enfin, un dernier point d‟ancrage vient spécifier et englober plus intensément nos
travaux. Notre centration sur le sujet enseignant laisse déjà entrevoir celui-ci. Il s‟agit de la
didactique clinique (Terrisse, 1994 ; Terrisse, Carnus, 2009). Car, si la didactique centre ses
analyses sur les savoirs disciplinaires et leur transmission, si l‟anthropologie du didactique,
centre les siennes sur les savoirs, les pratiques et leur diffusion, il reste une énigme
intrinsèque à ces préoccupations. Ces objets institutionnels que sont les savoirs ne semblent
exister qu‟au travers des rapports établis avec eux. « Improbables hypostases » (Chevallard,
1991), objets impalpables, ils n‟existent pour les sujets qui les produisent, les utilisent, les
transposent ou les diffusent qu‟en tant que connaissance. Bref, « il n‟y a de savoir que dans un
rapport au savoir » (Charlot, 1997). Or, « il n‟y a de rapport au savoir que d‟un sujet » (op.
cit.), eut-il pris une forme institutionnelle. Si la phrase est du sociologue, elle peut nous
1 L‟intention de faire naître ou de changer le rapport d‟un sujet à un objet peut relever d‟une volonté de
manipulation de ce dernier dans des fins propres à soi-même ou à une institution. Or les fins du didactique ne
nous semblent pas simplement servir une institution ou un instituant. Toutefois, prendre en compte l‟objectif de
ces pratiques, fait appel à un monde de valeurs qui peut rendre ambiguë la rigueur d‟une telle définition. Le
monde didactique vise t‟il à construire l‟émancipation, la socialisation, l‟altérité, la citoyenneté, l‟autonomie… ?
5
éclairer sur la perspective clinique en didactique. En effet, chaque sujet qui rencontre un
savoir établit un rapport avec lui et ce rapport ne peut être amputé de la subjectivité de celui-
ci, c‟est-à-dire du produit de son histoire, des traumatismes et des angoisses, de ses désirs et
de ses défenses. Lorsqu‟il s‟agit d‟un enseignant, donc d‟un sujet chargé de transmettre des
savoirs qu‟il a, a priori1, déjà rencontrés, ce rapport repose sur des bases préexistantes, un
« déjà-là » (Terrisse, 2001), qui ne peut qu‟inspirer le processus de transmission de ces
savoirs. Enfin, cet enseignant, pris dans le vif des séances d‟enseignement et dans sa propre
historicité, fait évoluer le système didactique tout en étant assujetti aux contraintes
intrinsèques de ce système, aux contraintes institutionnelles2, mais aussi à « ses propres
contraintes intérieures de sujet, au sens de sujet de l‟inconscient » (Berdot, Blanchard-Laville,
Camara Dos Santos, 1997). Toutefois, puisqu‟il ne s‟agit pas de quitter le champ de la
didactique ni de le psychologiser3, rappelons que ces contraintes sont bien celles du sujet pris
dans le didactique, du « sujet didactique ». C‟est ce sujet didactique qui préoccupe la
didactique clinique, n‟oubliant pas qu‟il n‟est pas autre que le « sujet de la science » (Lacan,
1966).
C‟est donc avec ces arrière-plans épistémologiques que nous avons entamé nos
recherches. Il reste alors à présenter le questionnement empirique qui a initié nos
interrogations et dont découlera ce travail de recherche.
1.1.2 Origines empiriques
S‟il y a plusieurs sources épistémologiques à nos recherches, la didactique clinique rend
le mieux compte de nos préoccupations de terrain. L‟étymologie de clinique (klinê, « qui se
fait près du lit du malade ») aide à entrevoir dans quelle orientation la perspective clinique en
didactique peut trouver une légitimité. Ainsi nos préoccupations relèvent d‟interrogations sur
les troubles, les conflits, les déséquilibres auxquels sont confrontés les enseignants du fait du
statut qu‟ils ont à assumer dans leur classe.
En effet, on s‟est intéressé à une population qui sur de nombreux points est la plus
confrontée à ces difficultés : celle des enseignants débutants. Plusieurs approches théoriques
1 On verra que ce n‟est particulièrement pas le cas en EPS.
2 Ce sont ces systèmes de contraintes qui ont assuré l‟autonomie de la recherche en didactique, puis plus
précisément l‟émergence de l‟approche anthropologique du didactique. 3 Une des critiques faite à la didactique clinique relève de la conception selon laquelle elle tenterait de
psychologiser la recherche en didactique. Or, cette considération nous semble plutôt relever d‟un malentendu
épistémologique quant à son véritable statut. La didactique clinique s‟intéresse bien au « sujet didactique », c'est-
à-dire à l‟enseignant dans ce qu‟il est assujetti au didactique.
6
ont déjà montré la complexité de l‟entrée dans la profession : la sociologie (Rayou, Van
Zanten, 2004), les didactiques (Carnus, Garcia-Debanc, Terrisse, 2008), la clinique
psychanalytique (Blanchard-Laville, 2001).
Sans dissimuler le processus sublimatoire sous-jacent à nos préoccupations, et plus armés
de sa reconnaissance (Devereux, 1980), ce sont donc les difficultés inhérentes au sujet
enseignant débutant, ayant à assumer une nouvelle posture dans le didactique, qui ont amorcé
ces travaux.
Plus précisément, l‟intérêt porté sur les difficultés des enseignants débutants, a été
exacerbé vers une situation davantage troublante. Car le professeur d‟EPS, comme celui de
l‟enseignement élémentaire, ou ceux de physique-chimie, d‟histoire-géographie, et dans une
certaine mesure chaque enseignant, est inévitablement confronté à devoir enseigner un jour
une activité qu‟il ne connaît pas, avec laquelle il n‟est jamais véritablement entré en rapport.
Transmettre des savoirs jamais rencontrés auparavant est un inévitable en EPS. Si la
formation initiale à l‟enseignement de l‟EPS permet aux futurs enseignants de gérer cette
difficulté en proposant des unités d‟enseignement fondées sur la pratique et la théorie
d‟APSA, elle ne peut englober la multiplicité des APSA constituant le champ social, et donc,
dans une certaine mesure, celui de l‟enseignement scolaire. L‟expérience d‟enseignement
réduit au fil des années l‟éventualité d‟enseigner une APSA inconnue, mais alors, l‟enseignant
débutant n‟est, a priori, que partiellement armé face à ces futures rencontres.
D‟une manière plus générale, c‟est donc le poids de l‟expérience personnelle, notamment
l‟expérience corporelle, antérieure de l‟enseignant débutant dans une APSA qui est interrogé ;
ceci à partir d‟un point critique. Comment se fait le passage de l‟expérience à
l‟enseignement ?1 Comment peut-il s‟organiser en absence de cette expérience ?
Cette réflexion a aussi été amplifiée par la spécificité de l‟EPS. « Si ce problème se pose
dans d‟autres disciplines, comme enseigner la géographie quand on est historien de formation
ou la chimie quand on est physicien, il prend en EPS une importance plus affirmée du fait du
statut du corps dans ce processus » (Terrisse, Loizon, Buznic-Bourgeacq, 2005). Car le savoir
en EPS est fondamentalement un savoir issu de la pratique, peu symbolisable, non amputable
du réel de sa pratique, d‟une pratique du corps, de ses sens, de sa mémoire propre. La
« logique corporelle » peut être dans une certaine mesure symbolisée, par certains efforts
efficients des chercheurs et praticiens de l‟EPS, pour être transmise. Toutefois, l‟importante
1 La recherche précédente menée en DEA s‟intitulait ainsi « De l‟expérience à l‟enseignement : une étude de cas
didactique d‟une enseignante d‟EPS débutante ».
7
part « non symbolisable » de ces savoirs pose les conditions de leur transmission. Lorsqu‟elle
n‟existe pas chez l‟enseignant son activité devient problématique. Il ne lui reste qu‟à trouver
des solutions, conscientes et inconscientes. Il ne nous reste qu‟à les comprendre.
1.1.3 Une recherche antérieure : le travail mené en DEA
Il nous semble nécessaire de revenir sur ce travail, car il justifie largement notre
orientation actuelle de recherche. En effet, nous poursuivons la même problématique, celle du
poids de l‟expérience personnelle de l‟enseignant, dans une approche épistémologique très
proche. Mais, plusieurs controverses épistémologiques et méthodologiques constituent le
cœur même de notre centre d‟intérêt actuel. Ainsi, la présentation qui suit a pour intention de
situer la démarche de recherche qui nous a permis d‟interroger notre problématique. Mais
surtout, elle nous permettra de montrer comment, à partir des controverses de notre propre
recherche, nous questionnons aujourd‟hui le poids de l‟expérience personnelle de
l‟enseignant.
a. Problématique et méthodologie
Nous avons examiné le lien entre l‟expérience personnelle de l‟enseignant dans une
APSA et l‟évolution du système didactique à partir de l‟étude du cas d‟une enseignante d‟EPS
débutante. L‟analyse a été menée en deux principaux temps : l‟identification du lien entre le
contenu de son expérience et le contenu de son enseignement et l‟examen interprétatif du lien
entre cette expérience et certains aspects de la forme du processus de transmission des savoirs.
Pour que le poids de l‟expérience personnelle soit mis en avant, l‟étude de cas s‟est voulue
comparative : entre deux enseignements de deux activités dont l‟expérience antérieure de
l‟enseignante dans chacune d‟elles était fondamentalement différente. On a alors examiné
l‟enseignement de la danse par une danseuse avertie, ayant plus de dix ans d‟expérience dans
cette activité, et celui de la lutte, activité définissant le paroxysme de son ignorance.
Dans un premier temps, son expérience a été interprétée en terme de rapport aux savoirs
de chaque activité. Ainsi, une comparaison en terme de pourcentages entre les objets
ressortant de son rapport aux savoirs et ceux mis en jeu en classe, renforcée par une analyse
qualitative de cette diversité, nous a permis d‟identifier le jeu de déterminations entre rapport
aux savoirs et contenu de l‟enseignement.
8
Dans un deuxième temps, il a s‟agit de comparer pour chaque enseignement l‟intensité
du poids de la matrice institutionnelle sur l‟enseignante lors de sa transmission d‟objets de
savoir. On a alors identifié deux types de phases, révélatrices de la construction du contrat
didactique : les phases d‟institutionnalisation (Brousseau, 1986) et celles de gestion par
l‟enseignante des ruptures de contrat didactique provoquées par les élèves. Puis, on a examiné
le statut des savoirs mis en jeu dans ces phases de gestion des ruptures : des savoirs a priori
officiels1 ou des savoirs émergeant singulièrement en réponse à l‟obstacle spécifique d‟un
élève. Enfin, on s‟est interrogé aussi sur la prégnance des procédures ostensives locales
(Salin, 2002) en distinguant notamment les formes verbale et corporelle de l‟ostension des
savoirs ; c'est-à-dire lorsque l‟enseignante explicite verbalement ou montre corporellement la
bonne solution aux élèves.
Alors, en donnant la parole à l‟enseignante dans des entretiens post-séances et un
entretien d‟après-coup, nous nous sommes penchés sur la manière dont elle interprétait le
vécu de ses séances. Ceci nous a alors permis d‟être éclairés sur de semblables causes
subjectives des procédures didactiques analysées.
On a pu ainsi identifier dans chaque enseignement une forme distincte de transmission
des savoirs, fondée, on va le voir, sur un rapport spécifique à la contingence du système
didactique et à un aspect fondamental de son identité professionnelle.
b. Résultats et interprétations
A partir de l‟identification des objets constitutifs de son rapport aux savoirs dans chaque
APSA, nous avons tenté de les identifier dans les pratiques effectives. Ainsi, en danse comme
en lutte2 son rapport aux savoirs transparaissait particulièrement dans le contenu de sa
transmission. Alors, semblant voir dans le contenu de ses enseignements des formes
didactiques de ce qu‟elle avait vécu, on a proposé de caractériser l‟activité d‟enseignement
comme un processus de conversion didactique de sa propre expérience. Mais, dans une
situation déséquilibrante d‟un point de vue didactique, comme celle de l‟enseignement d‟une
1 L‟adjectif officiel est ici pris dans le même sens que lorsque Chevallard (1989) parle de rapport officiel aux
objets. Il s‟agit de « la face visible de l‟institution (…). Lorsque l‟objet Os est mis en jeu (…), un rapport
institutionnel à cet objet va se créer que nous appellerons, durant toute la période où l‟objet est enjeu didactique,
le rapport officiel à Os ». Nous considérons ainsi que la diversité de ces savoirs forment, pour chaque séance, le
versant officiel (clivé pour l‟enseignant et l‟enseigné). Donc, pour l‟enseignant, le versant officiel est constitué à
chaque instant par l‟ensemble des savoirs qui doivent être officiels pour la classe (ceux considérés a priori de
chaque séance) et ceux institutionnalisés antérieurement in situ 2 L‟expérience de lutte était en fait référée à un cycle de judo qu‟elle avait effectué dans son premier cycle
universitaire en STAPS.
9
activité inconnue, cette confrontation antérieure n‟ayant jamais eu lieu et aucune conversion
directe étant alors envisageable, nous avons pu alors identifier une transmission prenant une
forme spécifique. D‟une part, ce sont des savoirs issus d‟expériences dans d‟autres activités,
comme ici le judo à la place de la lutte, tous aussi imprégnés des assujettissements de
l‟enseignante, qui fondent le contenu de l‟enseignement. D‟autre part, leur faible amplitude ne
lui permet pas de répondre à la diversité des obstacles des élèves. Ainsi, nous avons pu
identifier en lutte des savoirs émergents dans le contexte didactique des séances qui
n‟apparaissaient pas dans son rapport aux savoirs. Ce n‟est alors ici qu‟en enseignant qu‟une
première expérience, paradoxalement nécessaire à l‟enseignement, se forme. Ce n‟est donc
qu‟en s‟adaptant à des savoirs simultanément à l‟enseignement qu‟elle peut agir. C‟est alors
cette adaptation troublante qui nous avait semblé spécifier l‟enseignement mené en lutte de
celui de danse.
Comment alors s‟organise cette transmission adaptative ? C‟est ce que nous avons tenté
de caractériser au travers du deuxième temps de la recherche.
Nous avons donc identifié dans ses deux enseignements la récurrence des phases
d‟institutionnalisation ainsi que le poids du versant officiel sur ses interventions ponctuelles.
Cette identification nous a mené à différentier ces deux enseignements. En effet, son
enseignement de lutte s‟inscrit dans des contours officiels particulièrement cadrés. Presque
uniquement des savoirs formant le versant officiel de la classe émergent et fondent la
direction de son cours. Au travers de plusieurs phases d‟institutionnalisation, elle fige
symboliquement les savoirs pour la classe. Alors, si la diversité des obstacles des élèves la
contraint à faire émerger des savoirs in situ, ceux-là semblent moins répondre singulièrement
à ces obstacles que lui permettre de structurer le versant officiel de la classe. Ces phases
d‟institutionnalisation nous ont alors semblé ressortir de la nécessité pour l‟enseignante de
légitimer l‟émergence, troublante, de nouveaux savoirs. Car, nous disait-elle, « le problème
c’est que des fois tu maîtrises pas du tout et… le problème, c’est que ça, ils le savent… ils le
ressentent… ouais, en lutte, c’est sûr… ». Or, la contingence inhérente à la direction du cours
ne peut que lui rappeler l‟ambiguïté de son autorité didactique. L‟ancrage officiel des savoirs
semble ainsi être fondamental pour elle-même : « ça fait un peu… pour pouvoir se dire… j’ai
trouvé quelque chose à leur dire… alors autant en parler à tout le monde… au moins ça sera
posé quoi… ». A l‟opposé, en danse, c‟est une grande diversité de savoirs, n‟ayant pas pris de
statut officiel a priori, qui émerge en réponse à une multiplicité de ruptures de contrat. La
contingence de l‟enseignement ne la trouble pas ; elle n‟a pas d‟autorité didactique illégitime
10
à dissimuler dans des fondements institutionnels. Cette diversité semble plutôt s’imposer à
elle, confrontée à la fois à l‟activité adaptative maladroite et dénaturante des élèves et à ses
considérations élaborées sur le pratiquant de danse. « Il y a des fois ça ne ressemble plus trop
à de la danse… et ça, ça m’embête…». Ainsi, ce sont des savoirs inscrits dans un contrat
didactique aux contours flous qui émergent tout au long des séances, gravitant inévitablement
pour l‟enseignante autour de chaque situation singulière.
Enseigner ce que l‟on ne connaît pas semble ainsi poser un problème fondamental pour
l‟enseignante, celui de ne pouvoir assumer son statut, pour une grande part professionnel, de
« sujet supposé savoir »1 (Lacan, 1966 ; Chevallard, 1991 ; Terrisse, 1994 ; Blanchard-
Laville, 2001). Et la réalité de son non-savoir, la contraint à se réfugier sous la protection de
l‟officiel, au travers d‟institutionnalisations. Sûrement ces phases sont-elles nécessaires
comme première étape de la conversion de son expérience. Alors qu‟enseigner une activité
particulièrement connue permet d‟assumer légitimement ce statut de « sujet supposé savoir »,
sans éprouver le besoin de circonscrire officiellement les savoirs émergeants de la
contingence du contexte didactique.
Comment alors ce statut est il valorisé lorsqu‟il est légitimement acquis, c'est-à-dire, ici,
lors des enseignements de danse ? La problématique de l‟ostension des savoirs peut permettre
un certain éclairage.
Si en danse, la forme corporelle de l‟ostension des savoirs, c'est-à-dire la démonstration,
est récurrente, ce n‟est pas le cas en lutte. Dans cette activité, elle énonce certains éléments
constitutifs du savoir, mais elle ne s‟aventure presque jamais à montrer elle-même le savoir.
Car, la démonstration en lutte n‟est que peu envisageable : « tu ne montres pas parce que tu es
flag (tu es pris en flagrant délit), donc tu te discrédites ». Montrer elle-même le savoir la
placerait en flagrant délit de non-savoir, mettant à jour l‟usurpation de son statut de « sujet
supposé savoir ». Or, comme elle nous le dit, « ils le savent… ils le ressentent ». Ce ne sont
donc pas des performances corporelles, comme en danse, qui lui permettent d‟assumer son
statut, mais seulement, quelques éléments structurels des savoirs. Si la formation initiale à
l‟enseignement de l‟EPS (en biomécanique, en psychologie, etc.) permet de former un
praticien réflexif, elle semble aussi permettre de former un professeur apte à enseigner des
activités qu‟il ne connaît pas. Lequel ne peut ainsi que commencer par enseigner ce qu‟il
connaît : certaines déterminations scientifiques des savoirs.
1 Nous reviendrons sur cette problématique dans la recherche actuelle. Elle constituait lors de cette recherche de
DEA une première réflexion sur l‟articulation didactique/clinique.
11
En revanche, lorsqu‟une grande expérience vient appuyer l‟enseignement d‟une activité,
il n‟y a pas d‟illégitimité professionnelle à dissimuler dans une transmission partielle
d‟éléments structurels des savoirs. C‟est la démonstration de savoirs globaux qui permet
d‟affirmer son statut, et même, au delà d‟une perspective professionnelle, de conforter le
plaisir narcissique d‟être un sujet sachant. « Si tu fais un truc et que tu le fais bien, c’est vrai
que c’est bien aussi pour toi », « c’est vrai, la démonstration, c’est aussi leur en mettre plein
la vue ».
La construction identitaire professionnelle de l‟enseignant est à son apogée lorsqu‟il est
encore débutant et assumer son statut de « sujet supposé savoir » en est sûrement un élément
fondamental. Ainsi, deux expériences antithétiques dans deux activités forment, par une
même nécessité mais par des potentialités différentes, deux enseignements ostensifs : une
ostension officielle des déterminants scientifiques du savoir ou une ostension plus privée
du savoir global, inséparable du sujet qui le montre.
c. Ouvertures
Dans le système didactique, l‟enseignant possède un « savoir supposé ». Ce savoir de
l‟enseignant est pour une grande partie le fondement de son identité dans la classe. Il est le
maître, l‟instituant, le professeur, bref, celui qui sait, et plus exactement le relais du savoir.
Toutes les demandes que peut suggérer cette position vis-à-vis du savoir lui sont adressées
personnellement et il n‟a qu‟à savoir. Or, on l‟a vu, il se retrouve parfois relais malgré lui.
Lorsqu‟une danseuse enseigne la lutte, l‟évolution du système didactique prend des formes
spécifiques qui semblent révéler les troubles de cette position à assumer.
D‟autre part, le savoir n‟est pas univoque, monomorphe. Lorsqu‟il est enseigné il peut
être plus ou moins désyncrétisé, de diverses manières, à différents niveaux. M. Verret (1975)
posait à juste titre la désyncrétisation du savoir comme condition de transmission scolaire du
savoir, mais il semble que parfois l‟enseignant confronté à ce syncrétisme du savoir ne puisse
parfaitement s‟en défaire. Lorsqu‟une danseuse enseigne la danse, une diversité de savoirs
s’imposent à elle de sa confrontation à l‟activité adaptative des élèves et émergent souvent
dans des formes spécifiques, lesquelles contiennent le savoir global imprégné de l‟expérience
de sa rencontre.
Etre formé à l‟enseignement d‟une activité nécessite de se confronter aux savoirs qu‟il
s‟agira ultérieurement d‟enseigner. Or, particulièrement en EPS, cette confrontation dépasse
largement le cadre de la formation initiale et celle-ci ne peut englober toute la diversité d‟un
pré requis souhaitable. Il nous semble alors que cette recherche met en exergue le lien
12
fondamental qui unit le savoir transmis et le sujet qui le transmet. Ce savoir semble inscrit
dans l‟expérience réelle de l‟enseignant et ne peut vraiment s‟en détacher. Ainsi, la
conversion didactique de cette expérience, identifiée comme un phénomène générique des
processus didactiques, pose les limites d‟une transmission normée des savoirs et met en
lumière la spécificité de chaque enseignement, de chaque conversion.
Le chercheur qui tente de comprendre le processus de transmission des savoirs se
confronte donc à un « savoir supposé », révélateur de l‟identité de l‟enseignant et donc
travaillant perpétuellement ses désirs et ses défenses, un savoir toujours, au moins en partie,
syncrétique, lié à la réalité globale de son utilisation, et plus précisément, un savoir lié à la
réalité de son utilisateur, à la réalité du sujet enseignant et de son expérience.
C‟est donc toujours l‟expérience personnelle de l‟enseignant débutant qui nous intéresse,
mais prise comme constitutive du savoir transmis et comme premier fondement de son
identité dans la classe. Il s‟agit alors de comprendre les sources du savoir construit dans
l‟expérience personnelle de pratique dans toute sa complexité et le fonctionnement du sujet
pris dans le didactique.
Nous avons alors insisté sur cette recherche pour deux raisons. D‟une part, les
conclusions dégagées nous semblent trouver leur pertinence dans leur dimension
épistémologique. A défaut d‟expérience personnelle, l‟enseignant ne peut pas enseigner la
même chose. Il ne le peut pas, car il n‟a pas les moyens, notamment corporels, de le faire.
Pour autant, le contenu de ses enseignements semble ressortir d‟une conversion de son
expérience. Ainsi, lorsque cette expérience fait défaut, cette conversion s‟avère ambiguë.
Cette ambiguïté le place alors de manière spécifique dans le didactique. Nous voulons alors
poursuivre cette voie : il y a des choses que seule l’expérience permet d’enseigner, pour
des raisons épistémologiques et didactiques, mais aussi pour des « raisons » qui
appartiennent au sujet didactique. D‟autre part, il nous semble, après-coup, que nous
n‟avons pas réussi à identifier cette chose qu‟il n‟est pas possible d‟enseigner à défaut
d‟expérience. Cela pour une simple raison : nous n‟avions pas de cadre d‟analyse pour la
caractériser.
Notre intention consiste alors aujourd‟hui en deux points. Tout d‟abord, nous voudrions
proposer un tel cadre d‟analyse. Le processus de conversion didactique que nous avons défini
nous semble pertinent. Il renvoie à une relecture clinique du processus de transposition
didactique (Chevallard, 1991) qui a émergé dans une problématique institutionnelle. Mais,
l‟identification en terme de pourcentages de savoirs appartenant à l‟expérience de l‟enseignant
13
et au contenu des pratiques d‟enseignement nous semble aujourd‟hui relativement ambigu. En
effet, à partir de quel point d‟appui le chercheur peut-il vraiment circonscrire un savoir et le
reconnaître dans des processus particulièrement différents ? Cette chose que seule
l‟expérience personnelle permettrait d‟enseigner peut-elle vraiment être identifiée sous la
forme d‟objets monomorphes ? Il nous semble ainsi que pour pouvoir identifier ce que
l‟expérience permet d‟enseigner, le chercheur se doit de réfléchir sur ce qui peut se retrouver
à la fois dans cette expérience et dans les pratiques d‟enseignement. Nous voudrions alors
tenter de construire un cadre d‟analyse théorique de cette chose pour pouvoir ensuite
l‟identifier dans les pratiques effectives d‟enseignement.
Ensuite, les « raisons » qui appartiennent au sujet didactique ont été dégagées dans leurs
prémisses au travers de cette recherche. Les problématiques du « sujet supposé savoir », du
« rapport à la contingence », voire très succinctement celle du « plaisir narcissique » ont
émergé de manière peu systématisée. Nous voudrions alors au travers de ce nouveau travail de
recherche poursuivre cette voie, creuser ces problématiques, les articuler progressivement et
tenter de les articuler dans un cadre interprétatif cohérent ; ce qui constitue à vrai dire notre
intention de contribuer à l‟élaboration d‟une « théorie du sujet didactique » (Terrisse, 2009),
comme projet conceptuel de la didactique clinique.
Il y a d‟autres points plus spécifiques qui nous semblent devoir être controversés dans ce
travail. Nous tenterons alors de les exposer et les prendre en compte au fil de la recherche
actuelle. Ainsi, de ces éléments généraux, de nouvelles interrogations, à la fois plus vastes et
plus précises, nous préoccupent. Il s‟agit maintenant de les présenter.
1.2 Questions d’enseignement et questions de recherche
1.2.1 Questions d’enseignement, questionnement d’enseignant
Il s‟agit là de présenter un questionnement qui appartient à la pratique d‟enseignement en
même temps qu‟à celui qui s‟y adonne : l‟enseignant. Ce questionnement, totalement inscrit
dans la pratique, permettra ainsi de poser une première base à nos préoccupations, avant
même la prise de recul épistémologique qui initiera notre problématisation.
14
a. « C’est ça la difficulté du métier… »
On laisse en premier lieu la parole à l‟enseignante à cœur de la recherche précédente.
Lorsque pour terminer le dernier entretien d‟après-coup, on l‟interroge sur les différences,
d‟une manière générale, entre les enseignements de danse et de lutte, elle nous répond sans
s‟arrêter :
« Il y a une différence énorme… c’est que… autant, en danse, quand tu connais, t’es dix fois
plus à l’aise, t’as beaucoup plus d’interactions avec les élèves parce que… t’es capable de leur
donner des retours… en lutte… ben, moi, j’avais l’impression de papillonner sur le tatami… et sans
rien donner de vraiment constructif… parce que, je savais pas quoi leur dire… Et… maintenant peut-
être un peu plus… oui… déjà, je les ai vu faire, donc, j’ai une idée de ce que sait faire un élève de
sixième… après… à force de… enfin, finalement, j’ai quand-même compris des principes logiques au
niveau des… enfin, je perdrais moins de… il y aurait moins de tâtonnement je pense… c’est vrai que
mon cours de lutte, j’ai l’impression que j’étais plutôt papillon… sur le tatami, à gérer ma classe…
mais au niveau des contenus… un peu léger quand-même… autant, en danse, quand j’allais entre les
groupes, je savais quoi leur dire… donc, tu te sens vachement plus à l’aise… je me sentais beaucoup
plus utile en danse qu’en lutte (…). Enfin… c’est peut-être un peu rude comme mot… mais c’est un
peu vrai quand-même… ouais… c’est sûr que ça te change… ça te revalorise quand t’es dans un sport
que tu connais, où tu sais que tu peux donner plein de choses… c’est bien… mais… mais c’est ça la
difficulté du métier de toute façon… c’est devoir enseigner une activité que tu connais pas... que tu
connais pas du tout… c’est balaise… Et de toute façon, tu connais pas tout… t’as pas le vécu
partout… ou alors, il faut être vraiment super complet, mais c’est super chaud quand-même… Ouais,
après, à force d’enseigner tu prends de l’assurance, tu commences à connaître les activités… ça se
met petit à petit en route quoi… voilà… »
Ces quelques mots soulèvent alors brutalement quelques interrogations issues du réel de
la pratique d‟enseignement. Considérant nos préoccupations actuelles, nous les envisageons
de la manière suivante.
b. Des interrogations de la pratique
Il s‟agit bien d‟interrogations d‟une enseignante débutante qui se confronte à
l‟enseignement d‟APSA dont son expérience antérieure dans chacune d‟elles est
fondamentalement différente.
Considéré ici comme « la difficulté du métier », le manque de « vécu » dans une activité
qu‟il s‟agit d‟enseigner pose problème. Il s‟y pose des problèmes intrinsèques au sujet
enseignant, qui se voit « papillonner » entre les élèves sans véritable responsabilité et qui, au
contraire, se sent « plus utile » dans une activité connue, s‟y sent « revalorisé ». Ainsi, il s‟y
pose aussi des problèmes, relativement objectivés, d‟un point de vue didactique, quand dans
une activité connue, elle a « beaucoup plus d’interactions », elle est « capable de donner des
retours », alors que dans une autre, elle ne donne « rien de vraiment constructif », proposant
un cours « au niveau des contenus… un peu léger quand-même ».
15
Il nous semble en effet, que du point de vue de l‟enseignement, cette problématique de
l‟expérience antérieure, peut être réinterrogée ainsi par ses acteurs, professionnels débutants1 :
- Qu‟ai-je acquis dans mon expérience avec une APSA qui avantage ma transmission
des savoirs ?
- Que me manque-t-il dans telle APSA, que j‟ai acquis par l‟expérience avec une autre,
pour pouvoir transmettre des savoirs tout aussi pertinemment ?
- Qu‟est-ce que j‟enseigne véritablement de plus lorsque je connais l‟APSA
enseignée ?
- Qu‟est ce qu‟un autre enseignant qui connaît telle APSA que moi je ne connais pas,
peut enseigner de plus que je ne le peux ?
- Comment alors puis-je assumer la transmission d‟une APSA que je n‟ai jamais
rencontrée auparavant ?
- Comment puis-je ne pas simplement rester à la surface de l‟APSA lorsque je
l‟enseigne sans l‟avoir déjà rencontrée ?
- Que puis-je enseigner de vraiment constructif pour mes élèves lorsque je ne connais
pas l‟APSA que j‟enseigne ?
Ces interrogations, sans prétendre à exhaustivité, introduisent le questionnement sous-
jacent au rapport entre expérience dans une activité et perspective de son enseignement. Il y a
pour ce questionnement, chez les acteurs comme chez le chercheur, une centration sur un en
plus potentiellement transmis grâce à l‟expérience de la rencontre du savoir ; cet en plus qui
détermine alors simultanément le contenu du processus de transmission et le positionnement
du sujet enseignant dans ce processus.
Il reste maintenant à s‟éloigner de la pratique pour l‟interroger. Rompant
épistémologiquement, mais gardant cet en plus et ce qu‟il entraîne avec lui en arrière-plan, on
peut alors présenter nos questions de recherches, puis l‟ancrage théorique qu‟on leur associe,
pour revenir ultérieurement, méthodologiquement armés, sur le terrain.
1 Il s‟agit bien ici d‟un questionnement totalement inscrit dans l‟action, puisqu‟il est considéré comme celui d‟un
éventuel acteur. Il comporte donc un principe, en permanence sous-jacent, d‟efficacité, principe qui n‟appartient
pas au chercheur. La présentation de ce questionnement à pour seul intérêt de présenter un problème de terrain
afin d‟axer celui qui appartiendra au chercheur.
16
1.2.2 Questions de recherche
Tout d‟abord, il ne s‟agit pas d‟un questionnement en terme d‟efficacité ou d‟expertise
qui présupposerait une norme experte à laquelle on identifierait la nature de l‟enseignement
mené. Cette norme experte, on ne peut se permettre de l‟édifier car elle préjuge des
considérations sur les effets des enseignements en terme d‟apprentissage, ce que nous ne nous
engageons pas à identifier dans cette recherche.
Aussi, notre préoccupation reste d‟identifier des processus d‟enseignement et non
d‟apprentissage. Bien entendu, comme l‟indique l‟objet de recherche de la didactique, soit le
système didactique, toute recherche ne peut délaisser un des pôles du système dans ses études.
Ainsi, la prise en compte des élèves et du processus d‟appropriation des savoirs ne peut être
esquivée. Cette prise en compte ne nous échappera pas, dans la mesure où elle ne sera pas
considérée simplement comme un effet du processus d‟enseignement, mais comme un
élément du système qui interagit avec le processus qui nous préoccupe. On y voit là des
boucles de régulations toujours identifiables quelque soit l‟approche du système employée ;
mais identifiées selon des formes spécifiques à chacune des approches envisagées.
Concrètement, la prise en considération des élèves et de leur processus d‟apprentissage sera
effectuée en considérant justement leur prise en compte par l‟enseignant lui-même. On
s‟intéressera donc aux phénomènes de transfert qu‟opèrent les élèves sur ce « sujet supposé
savoir » et leur intégration par l‟enseignant, ainsi qu‟aux obstacles des élèves et leur
perception par l‟enseignant. Ceci nous permettra de comprendre certains aspects du processus
de transmission des savoirs, sans délaisser la complexité du système.
On entame alors cette recherche à partir d‟un questionnement relatif au poids de
l‟expérience personnelle de l‟enseignant sur le contenu de ses pratiques d‟enseignement. Nous
nous appuyons sur un postulat de départ : l‟expérience personnelle de l‟enseignant dans une
activité lui permet d‟enseigner quelque chose en plus. Ce postulat ne consiste pas en une
hypothèse que nous souhaiterions tester. Il s‟agit simplement d‟une base à partir de laquelle
nous initierons cette recherche.
Nos questions de recherche sont alors les suivantes :
- Quel est le poids de l‟expérience personnelle dans une activité sur les pratiques
d‟enseignement de cette activité ? Quel est le poids de cette expérience sur le contenu de ces
pratiques ? Quel est le poids de cette expérience sur l‟organisation de ce contenu ?
17
- Qu‟est ce qui ne peut être transmis qu‟à partir d‟une expérience personnelle ?
- Qu‟est ce que l‟enseignant peut transmettre en plus lorsqu‟il témoigne d‟une expérience
personnelle dans l‟activité enseignée ? Qu‟est-ce que cet en plus ?
- Quelle est la part du savoir qui ne peut être construite qu‟au travers d‟une expérience
personnelle ? Quels sont les aspects du savoir spécifiques à l‟expérience ? Quel est l‟en plus
de savoir spécifiquement construit dans l‟expérience personnelle ?
- L‟expérience personnelle pèse t‟elle de manière identique sur les pratiques
d‟enseignement menés par différents enseignants ? Existe-t-il un poids générique de
l‟expérience sur les pratiques d‟enseignement ?
- Comment l‟expérience personnelle pèse t‟elle sur le sujet enseignant lui-même ?
Comment pèse-t-elle sur la place qu‟il occupe dans la classe ? Comment le défaut
d‟expérience pèse t‟il sur le sujet enseignant et la place qu‟il occupe dans la classe ?
Comment pèse-t-il sur ses responsabilités vis-à-vis de la transmission des savoirs ?
L‟ensemble de ce questionnement sous-tend déjà des préoccupations théoriques et
méthodologiques. L‟en plus de savoir que nous postulons pour initier la recherche nécessite
alors un cadre d‟analyse qui nous permettra de le caractériser théoriquement pour pouvoir
ensuite l‟identifier de manière empirique dans des pratiques effectives. Nous présentons donc
maintenant la construction de ce cadre. Nous partons alors de l‟expérience pour finir dans les
pratiques d‟enseignement, en passant par ce qui constituera notre pivot théorique : le savoir
expérientiel.
18
2. Cadre théorique
Notre intention est de proposer un cadre nous permettant d‟identifier dans les pratiques
effectives d‟enseignement ce qui peut constituer l‟en plus de savoir issu de l‟expérience. Or,
postulant que cet en plus est issu de l‟expérience, pour pouvoir l‟identifier dans les pratiques
effectives, encore faut-il pouvoir déterminer ce que le sujet a pu construire en plus dans son
expérience en terme de savoir.
Ainsi, la construction de notre cadre d‟analyse théorique est divisée en deux grandes
parties. Avant même de questionner les pratiques d‟enseignement, nous voulons proposer une
longue réflexion sur cet en plus1 de savoir issu de l‟expérience, sans qu‟il ne soit encore
inscrit dans une intention didactique. Au travers d‟un parcours théorique au croisement de la
didactique, des sciences de l‟éducation, des sciences cognitives, de l‟épistémologie et de la
philosophie de la connaissance, nous voulons alors en premier lieu tenter de modéliser cet en
plus de savoir issu de l‟expérience. Il s‟agit ainsi de proposer une analyse épistémologique de
l‟expérience pour en dégager progressivement la part proprement épistémique. Cette analyse
nous conduira alors à construire une modélisation de cet en plus de savoir que nous définirons
alors en terme de savoir expérientiel. Nous postulons que ce savoir expérientiel peut être
identifié de manière générique à toute activité. Nous tenterons donc de proposer une
modélisation du savoir expérientiel à partir de ses dimensions transversales à toute activité.
Nous essaierons alors de construire une modélisation à la fois systémique, pour respecter la
dimension globale de l‟expérience, et analytique, pour pouvoir commencer à l‟actualiser sous
la forme de cadre d‟analyse.
Ensuite, à partir de cette modélisation, nous proposerons une analyse transpositive
théorique de ce savoir expérientiel. Considérant que la transposition didactique transforme
fondamentalement le savoir, nous tenterons de caractériser comment l‟inscription didactique
du savoir expérientiel détermine ses dimensions constitutives transversales. Après avoir
proposé une réflexion didactique sur la possibilité d‟une transmission de l‟expérience, nous
tenterons alors de caractériser comment les dimensions constitutives du savoir expérientiel
peuvent organiser le contenu des pratiques d‟enseignement. Cette étape constituera alors la
1 L‟en plus postulé comme produit de l‟expérience est soutenu par la définition générale de l‟expérience qui
comporte en elle-même une valeur appréciative : « ensemble des modifications avantageuses qu‟apporte
l‟exercice à nos facultés, des acquisitions que fait l‟esprit par cet exercice, et, d‟une façon générale, de tous les
progrès mentaux résultant de la vie » (Lalande, 1926)
19
construction progressive de notre cadre d‟analyse des pratiques effectives. Notre intention est
alors d‟aboutir à l‟identification des dimensions constitutives du savoir expérientiel
organisant le contenu des pratiques d’enseignement.
Nous laisserons alors ensuite la place à la méthodologie d‟analyse en concluant notre
cadre théorique sur sa spécificité en didactique clinique.
2.1 De l’expérience au savoir1
Lire, regarder, écouter, jouer, communiquer, réfléchir, sont autant d‟activités qui bien
souvent génèrent du savoir. Mais alors qu‟en est-il de cette genèse immatérielle ? Il reste
quelque chose chez un sujet de sa confrontation passée avec le réel et qui permet une
confrontation future inédite avec le réel. Sûrement alors dans ces traces de la réalité passée
reste ce qui nous préoccupe : du savoir. Ce chapitre a ainsi pour intention d‟identifier, de
caractériser et de systématiser ce reste sous ces différents aspects. Précisons tout de même
qu‟il ne s‟agit pas d‟établir une classification d‟espèces ou de variétés d‟objets naturels que
l‟on nommerait savoirs, alors qu‟ils ne sont que des formes spécifiques de rapports au monde
(Charlot, 1997), mais bien d‟identifier les aspects sous lesquels ils peuvent se donner à voir et
à comprendre pour le chercheur.
Disons simplement qu‟il s‟agit ici de clarifier la notion de savoir pour pouvoir
comprendre ensuite ce qu‟il en est de sa transmission. Ayant comme fil directeur le rapport du
savoir à l‟expérience, on commencera par situer ce savoir par rapport au réel dans lequel toute
expérience est générée, en situant ainsi les limites que ce réel affecte au savoir. On se
penchera en suivant sur un point complexe du savoir, cher à l‟EPS, celui de son rapport à la
pratique, à la situation, à l‟acte. On s‟attachera ensuite à caractériser, organiser et systématiser
les différents aspects sous lesquels le chercheur peut identifier les savoirs bâtis dans
l‟expérience, en identifiant particulièrement leurs formes cognitives, corporelles et
1 Cette partie théorique, avant même d‟analyser de front les pratiques d‟enseignement, est une première étape
dans la construction de notre grille de lecture des données empiriques, particulièrement de tout ce qui relève des
manifestations de savoir. Ainsi, deux démarches sous-jacentes nous semblent nécessaires à cette étape. D‟une
part, le recours à divers champs théoriques pour questionner la problématique extrêmement vaste du savoir
nécessite une démarche épistémologique parallèle et permanente ; ceci afin de bien situer ce que nous
regarderons effectivement. D‟autre part, la multiplicité des questionnements, des concepts et des notions
qu‟appelle cette problématique du savoir nous contraint à l‟aborder dans une démarche méthodologique. Ainsi,
plusieurs mots ou syntagmes fondamentaux ponctueront la continuité de cette étape de construction théorique. Ils
nous serviront alors d‟analyseurs et nous les présentons dans le texte en italique, pour pouvoir au fur et à mesure
les articuler dans un schéma interprétatif des différents aspects du savoir expérientiel.
20
institutionnelles et les principes épistémologiques qui les organisent. Et l‟on finira en
proposant une modélisation du savoir expérientiel qui nous servira de structure théorique de
base sur laquelle nous poserons un regard didactique.
2.1.1 Situer le savoir : le réel, le sujet et les institutions
Il est fort complexe de caractériser ce que peut être un savoir. La notion ne semble pas se
prêter à être isolée. Verbe et substantif, produit du passé, immanence au présent et
appréhension du futur, pouvoir contextuel et abstraction universelle, identité du sujet et vérité
sociale, aboutissement des sens et de l‟entendement, rien n‟est plus ambigu que le savoir.
Ainsi, avant même de tenter la caractérisation de ses différents aspects, il s‟agit
préalablement de situer ce savoir, notamment par rapport à ce dont il peut être extrait, le réel.
a. Les limites du savoir
Le savoir ne se présente pas dans le réel, il n‟est qu‟une construction humaine, une
extraction, à finalité ordonnatrice, du syncrétisme qu‟il présente. Du réel au savoir, il y a
l‟homme, perceptif et avide d‟ordre.
Un parallèle avec l‟activité à pure vocation de création de savoirs, l‟activité scientifique,
peut permettre de cerner cette distinction1. Dès les prémisses de la science objective la volonté
de rendre compte le plus fidèlement possible du réel a été centrale. Ainsi, R. Descartes
propose sa Méthode (1637) qui se veut permettre de répondre rigoureusement aux questions
que le scientifique se pose. Pour cela, il propose une linéarité de principes à respecter, parmi
lesquels se suivent la division rationnelle de la complexité en éléments simples et la
reconstruction, intuitive et déductive, du simple au complexe. Ainsi, « la Méthode (…) se
veut capable, à condition de ne pas marcher au hasard et de procéder de façon méthodique, de
conduire avec certitude au résultat que l‟on recherche. » (Develay, 2001, p.69). Alors, si le
regard provoqué de la science expérimentale n‟est pas encore présent, la rigueur scientifique
amène déjà au savoir que le chercheur cherchait. On attendra alors C. Bernard (1865) qui
systématisera un principe méthodique, moins imprégné du simple raisonnement et du bon
sens, faisant une place centrale à l‟hypothèse de recherche et donc au regard conçu sur la
réalité. Dès lors, la science expérimentale est née et le savoir scientifique devient
1 Il n‟est pas tout à fait vrai que l‟activité scientifique a pour pure vocation la création du savoir, dans une
approche plus axiologique et pragmatique, elle cherche aussi le juste et l‟émancipation des acteurs à qui elle
s‟intéresse. Toutefois, pour les fins de l‟exposé, c‟est en tant que création de savoir que la science est interpellée.
21
explicitement une construction par excellence, dans laquelle l‟homme, le chercheur, extirpe
du réel le savoir par l‟intermédiaire de sa propre mise en ordre. En aucun cas il ne s‟agit là
d‟une critique des prémisses de la construction du savoir scientifique, puisque nous posons cet
intermédiaire humain comme consubstantiel de la création de savoir.
Toutefois, on attendra le 20ème
siècle pour qu‟une réflexion épistémologique sur la valeur
de ce savoir trouve sa place et puisse refonder la création du savoir scientifique et les
méthodes qui l‟accompagnent. Les théories de la complexité et l‟approche systémique en sont
l‟archétype. Ayant compris que le réel ne donnait du savoir que par l‟intermédiaire du regard
porté sur lui, c‟est une ouverture du regard même qui a pu renouveler la création du savoir
scientifique. Ainsi, avec en tête de file E. Morin (1994), d‟autres principes viennent
caractériser la méthode de création du savoir. Un accent est mis sur la multiréférentialité des
théories (des regards) qui appréhendent la réalité, sur la valorisation d‟une perception globale
des phénomènes s‟attachant à identifier les multiples interactions entre leur tout et leurs
parties, sur les rapports entre ordre et désordre, c'est-à-dire finalement sur les conditions du
savoir. Ainsi, on ne peut plus parler dans cette perspective, par exemple, de la réalité sociale
de l‟échec scolaire mais d‟un regard social, disons un regard sociologique, sur la réalité de
l‟échec scolaire, qui ne peut alors à lui seul ordonner la compréhension globale du
phénomène.
Mais, pour notre propos, c‟est surtout l‟acceptation explicite de l‟impossibilité d‟un
savoir, compte rendu parfait et absolu du réel, qui marque ce renouveau. On trouvera là
principalement les idées de G. Bachelard (1938) qui, sous une conceptualisation
épistémologique, expliquera qu‟il n‟y a pas, dans le processus d‟extraction du savoir de la
réalité, du simple mais bien seulement du simplifié. Le réel est complexe, c'est-à-dire
enchevêtré, et le savoir devient sa simplification, sa mise en ordre. Sur ce point, on peut se
référer à K. Popper (1978) qui propose une distinction éclaircissante. Il différentie d‟un point
de vue philosophique trois mondes, dont deux nous semblent caractériser celui du savoir et
celui du réel. Le premier monde est alors proprement celui du réel auquel le sujet se
confronte, le monde des choses, de la matière physique ou vivante, qui est. Le troisième
monde, production du deuxième qui relève de la conscience et de l‟expérience personnelles,
du monde proprement construit par un sujet, est celui des idées et des théories qui subsistent
au-delà de ce deuxième monde. C‟est le monde, rationalisé grâce au langage, qui édifie le
savoir scientifique et qui sous-entend le caractère rien de plus que normatif du savoir objectif.
Reste à savoir si le deuxième monde ne contient pas lui aussi du savoir, un savoir personnel
22
produit de la conscience et/ou de l‟expérience personnelles. On y reviendra ultérieurement,
mais il s‟agit pour l‟instant d‟éclaircir cet aspect normatif du savoir.
Avant cet éclaircissement, éloignons nous brièvement de l‟activité scientifique pour
conclure sur un rapport explicité entre réel et savoir. Sans rendre compte ici de la topologie
lacanienne de la structure du sujet, on s‟arrêtera sur ce que dit J. Lacan (1966) de ce réel : il
est « ce qui ne cesse de ne pas s‟écrire », c'est-à-dire ce qui échappe à la symbolisation, cet
« impossible » qui demeure au-delà du savoir. Alors le savoir n‟est-il qu‟un savoir humain
construit par et pour l‟homme, susceptible d‟organiser le réel. C‟est lui qui révèle la
distanciation de l‟homme par rapport au réel ; point de vue quelque peu agnostique, qui admet
« l‟existence d‟un ordre de réalité inconnaissable par nature » (Lalande, 1926), mais qui
n‟empêche pas pour autant de savoir.
b. Un savoir rationnel et institutionnel
Le troisième monde de K. Popper nous rappelle que c‟est la rationalité qui donne
naissance au savoir objectif. C'est-à-dire que ce savoir ne naît que de son indépendance vis-à-
vis du sujet qui le porte. Mais surtout, ce savoir, qui existe en dehors des sujets et subsiste
après eux, renvoie à la normativité, seule véritable forme de l‟objectivité. Comme il peut le
dire, « croire à la raison, c‟est croire à la raison des autres » (Popper, 1978). L‟objet réel
devient ainsi savoir en devenant objet norme. A ce propos G. Sensevy (1997), établit une
analogie éclairante entre les théories et les institutions. « Les théories mathématiques sont des
institutions et réciproquement (…). Les institutions accomplissent les mêmes tâches que les
théories. Elles aussi confèrent une identité aux objets ». Dans cette perspective, le savoir ne
trouve son identité qu‟à l‟intérieur d‟un schéma cohérent et surtout d‟une acceptation
commune. Il y a d‟ailleurs peu de chemin à faire pour retrouver, d‟une théorie, une ou
plusieurs institutions de recherche : « Bien comprise, l‟objectivité scientifique décrit et
consacre l‟intersubjectivité des hommes de science. » (Besnier, 2005). Ainsi, le savoir peut
être pris ici comme un objet institutionnel.
On voit ici le courant de la sociologie de la connaissance qui inspire depuis plusieurs
années la didactique des mathématiques. En effet, dès 1912, E. Durkheim explique que les
classifications, les opérations logiques, les métaphores privilégiées sont données à l‟individu
par l‟intermédiaire des institutions au travers desquelles alors seulement il peut savoir. « La
connaissance de la vérité est l‟activité de l‟homme la plus conditionnée socialement, et le
savoir, la création sociale souveraine » nous dit L. Fleck (1979). Ce serait donc dans une
23
rationalité n‟existant que par l‟intersubjectivité que le savoir résiderait. Et par là même, la
création du savoir serait vérifiée par la création d‟un objet normatif, institutionnel, social,
intersubjectif, et l‟appropriation du savoir serait un pur processus d‟assujettissement
institutionnel (Douglas, 1986 ; Chevallard, 1992).
Sûrement est-ce en partie vrai, mais cette restriction enlèverait tout savoir d‟un sujet. Il
nous semble alors que la rationalité inhérente au savoir doit renvoyer à une objectivation pas
exactement intersubjective. Car un sujet peut savoir ce que personne d‟autre ne sait, et l‟on
postule que dans ce cas il possède parfois à proprement parler un savoir. On peut prendre ici
un exemple parlant, celui du sport de haut niveau, dans ses aspects les plus compétitifs et en
allant voir du côté de l‟entraînement. Au plus haut niveau de compétition, l‟entraîneur de
l‟athlète a pour intention de faire de celui-ci le champion. Pour y parvenir, il possède une
panoplie de savoirs dont une grande partie est connue des institutions d‟entraînement, mais
dont inévitablement une autre partie ne peut appartenir qu‟à lui, puisqu‟il n‟y a qu‟un
champion et qu‟un entraîneur du champion. A ce niveau l‟ultime victoire se joue à peu et les
enjeux sont trop lourds pour que tous les savoirs soient partagés et relèvent donc de
reconnaissances communes.
Mais alors, s‟il y a du savoir hors norme et que le savoir ne naît que d‟une certaine
indépendance vis-à-vis du sujet, où ce savoir est-il restreint à exister ? On dira ainsi que le
savoir se trouve dans une intersubjectivité fictive, c'est-à-dire dans l‟effacement d‟une simple
subjectivité par l‟effet du rapport du sujet à lui-même. C‟est le savoir qui signe la
distanciation de l‟homme par rapport au réel, disions-nous ; celui-ci étant inscrit dans ce réel,
le savoir signe alors par là même sa distanciation par rapport à sa réalité. On peut y voir ici la
fameuse distinction entre savoir et connaissance1 : en s‟attachant à la définition la plus
acceptée en didactique, voire plus largement en sciences de l‟éducation, le savoir relève d‟une
connaissance « détachée de la gangue dogmatique où la subjectivité a tendance à s‟installer »
(Charlot, 1997). Distanciation du sujet par rapport à lui-même, le savoir d‟un sujet, largement
débordé par ses connaissances, est ce qui lui reste de restituable, d‟exprimable, de traduisible
aux fins de cette intersubjectivité fictive. Bref, il n‟y a de savoir que transmissible : « on peut
dès lors se demander quels sont, dans toute cette panoplie, les savoirs qui sont transmissibles,
et donc les façons de faire qui méritent véritablement le terme de savoir. » (Beillerot, 2000a).
Pour exemple, ce n‟est pas un hasard si ceux à qui incombe la tâche sociale de l‟évaluation
1 Cette distinction n‟est en fait que peu stabilisée théoriquement et trouve même une inversion parfaite des
définitions selon les référents théoriques qui la développent. Nous gardons donc celle qui est la plus simple et la
plus courante dans notre champ de recherche.
24
des savoirs aiment à répéter : « Faîtes comme si je ne savais rien », soit, moins implicitement,
« Faîtes comme si vous vouliez me l‟expliquer, comme si vous aviez une intention didactique,
et seulement là je pourrai évaluer vos savoirs »1.
Objets institutionnels ou fictivement intersubjectifs, produits de l‟homme face au réel, les
savoirs semblent encore conserver deux ambiguïtés. D‟une part, ils gardent un double aspect
qui ne facilite pas leur examen : appartiennent-ils aux sujets ou aux institutions, ou bien ont-
ils une double existence ? D‟autre part, leur rapport de distanciation à la réalité ne les
empêchent pas pour autant d‟avoir un effet sur cette réalité : dans quelle mesure lui sont-ils
indépendants ?
c. Savoirs, savoir, sujet et acte
Il y a des savoirs dans les institutions, tout comme chaque sujet possède des savoirs qui
n‟appartiennent qu‟à lui. Car le savoir n‟est pas une finalité2, il est construit par les sujets
selon un double mouvement. D‟une part, c‟est par son intermédiaire que l‟humanité est
édifiée, que chaque sujet peut entrer dans cette humanité, entrant ainsi dans un monde culturel
permettant aux sujets de vivre ensemble. Il s‟agit principalement ici des savoirs en tant
qu‟objets institutionnels qui ne sont, bien souvent, que peu remodelables, dont les archétypes
seraient les règles de grammaire, la chronologie de l‟histoire de France. Ces savoir-là
semblent ainsi être « du côté de la mémoire et du passé, du côté des pouvoirs installés, des
institutions et de l‟administration » (Beillerot, 2000a). Le sujet qui entre en rapport avec eux
forme une succincte partie de son rapport au savoir, celle qui relève d‟un rapport à
l‟extériorité du savoir, au stock de savoirs socialisés, rapport producteur de représentations
pour le sujet (Beillerot, 2000b). Mais, d‟autre part, il y a aussi une certaine intériorité du
savoir chez le sujet. Ce savoir que le sujet crée en se confrontant et se distanciant du réel, ce
savoir du sujet, ne vaut que par les pratiques d‟où il est généré et dans lesquelles il retrouvera
sa fin. « Au commencement des savoirs, les pratiques, et à la fin du processus, de nouveau les
pratiques ou l‟utilisation. Les savoirs existent pour produire, pour toujours « mieux » produire
et plus largement pour agir. » (Beillerot, 2000a).
1 On remarquera que si l‟exemple parle, il demeure ambigu dans de nombreuses activités, particulièrement dans
le champ de la pratique physique. En EPS, la fiction d‟une intention didactique sous-jacente à la restitution du
savoir n‟est pas valable et interroge de fait un autre aspect du savoir que l‟on examine en suivant, son rapport à
la pratique. 2 La recherche fondamentale peut sembler ne créer du savoir que pour créer du savoir ; or, ce n‟est que ce qu‟on
pourra faire de ce savoir dans un deuxième temps qui la justifie véritablement. Aussi, le sujet autodidacte qui
s‟instruit librement ne trouve pas dans le savoir la finalité même de sa démarche ; il cherche à savoir pour se
cultiver, c'est-à-dire s‟humaniser, ou pour ajuster sa position ou trajectoire sociale, ou peut-être encore pour le
plaisir, dans quel cas ce plaisir est-il la finalité.
25
Ainsi, cette double existence apparente des savoirs traduit en fait le destin, cyclique, des
savoirs, lesquels sont générés dans la pratique1 par un ou plusieurs sujets, puis ils peuvent être
transmis et distanciés de ces sujets, parfois éventuellement réactualisés dans la pratique, et
certains se stabilisent dans les institutions constituant le « déjà-là » culturel de l‟humanité ;
alors, pratiquant au sein d‟institutions, les sujets se confrontent à ces savoirs, en assimilant
une part, et en récréant une autre. Les institutions permettent alors de ranger et hiérarchiser les
savoirs qui ne peuvent l‟être parfaitement par chaque sujet, car « le capital culturel construit
par les humains depuis leur origine ne peut être réinventé par chacun » (Mayen, Mayeux,
2003). Mais c‟est aussi entre deux pratiques que le sujet les détient. Peut-être alors peut on
différentier les objets de savoir institutionnalisés qui s‟organisent, à des fins civilisatrices et
comme éléments de distinction et de hiérarchisation sociales, et le savoir du sujet qui, à
chaque instant et pour chaque pratique, s‟organise en sélection, en partie inconsciente, pour
agir. S‟il s‟agit alors pour le chercheur d‟identifier du savoir, peut-être faut-il considérer
qu‟« un savoir n‟existe que dans un rapport entre un langage et des actions dans le champ
d‟une pratique sociale déterminée » (Beillerot, 1996a).
On peut ainsi remarquer que cette dialectique entre savoir institutionnel et savoir du sujet
est une des plus fondamentales considérations en didactique. Car, « le maître souhaite que
l‟élève veuille ne tenir la réponse que de lui-même mais, en même temps, il veut, il a le devoir
social que l‟élève donne la bonne réponse » (Brousseau, 1998). C‟est donc le jeu entre
dévolution et institutionnalisation que l‟on retrouve là. L‟apprenant construit son savoir, mais
ce savoir est a priori communément reconnu et doit donc, a posteriori de sa construction par
l‟élève, retrouver son véritable statut de savoir institutionnel, dans un premier temps celui de
l‟institution classe2. Il semble ainsi que le rapport entre savoir institutionnel et savoir du sujet,
tels qu‟ils sont mis en jeu dans la classe par l‟enseignant, puisse trouver pertinence vis-à-vis
de son lien avec le savoir expérientiel.
Ainsi, le savoir semble osciller entre institutions et sujets, comme garde-fou d‟un ordre
humanisé du réel, et dont la transmissibilité effective ou potentielle assure son véritable statut.
De ce fait, ce que le sujet enseignant a pu construire dans son expérience personnelle renvoie
aux savoirs qui organisent pour lui chaque champ de pratique qu‟il est chargé d‟enseigner,
compte tenu de tous les glissements possibles entre les différents champs de pratiques qui
révèlent la globalité du réel et sa remise en ordre singulière par le sujet enseignant. Ces
1 Parfois cette pratique est d‟ailleurs orientée pour créer des savoirs, comme dans la recherche scientifique.
2 Néanmoins, le statut institutionnel du savoir dans la classe précède parfois sa construction par les élèves au
travers de la pratique, comme il en est plusieurs fois le cas dans l‟enseignement mené en lutte dans notre travail
de DEA présenté en introduction.
26
savoirs ressortent alors d‟objets institutionnels, auxquels l‟enseignant a pu être confronté,
mais aussi de ses créations dans, pour et face à la pratique. Car, si l‟expérience de la rencontre
du savoir ressort en partie de l‟expérience institutionnelle du sujet, elle est aussi l‟expérience
de la création du savoir qui détermine la genèse, et a posteriori l‟existence, d‟un en plus de
savoir, par rapport à celui qui n‟a pas vécu cette expérience. Mais on voit bien alors que cet en
plus est directement lié à l‟expérience de l‟acte : s‟interroger sur le passage de l‟expérience au
savoir, c‟est questionner la genèse pratique du savoir. Car, « ce sont l‟acte et les situations qui
révèlent, signent et vérifient l‟existence d‟un savoir pour un sujet, qui se construit, en
construisant son expérience sous la forme de savoirs » (Beillerot, 2000a).
Toutefois, les rapports entre savoir et pratique constituent une problématique ambiguë.
Schéma 1 : Situer le savoir (???) : le réel, le sujet et les institutions
Sujet
Réel
Institution
Institution Institution
Institution
Le savoir est ici représenté par l‟ensemble des doubles flèches. Il émerge alors
de la confrontation entre le sujet et le réel dans lequel celui-ci est inscrit. Mais
pour qu‟il puisse être réellement édifié en savoir, il doit tout de même constituer
une distanciation par rapport à ce réel. Celle-ci peut alors être stabilisée par
l‟intermédiaire d‟une normativité intersubjective que soutiennent les différentes
institutions, ou, en demeurant hors norme, par l‟effet du retour du sujet sur lui-
même.
Mais alors comment est générée cette construction, cette mise en ordre, ce
lien ? Il semble que la pratique du sujet y soit fondamentale. Comment peut-on
identifier la structure de son contenu ? En fait, qu‟est ce qui constitue nos doubles
flèches ? Pour y répondre, il faut, en premier lieu, aller voir du côté de la
dynamique de la pratique, celle-ci qui a constitué au fil du temps l‟expérience du
sujet.
???
???
???
???
???
27
2.1.2 D’une épistémologie de la pratique à la théorisation du savoir expérientiel
Si, au-delà d‟assujettissements institutionnels, l‟expérience de l‟acte semble être la
source du savoir pour le sujet, il demeure relativement complexe de caractériser ce savoir ;
ceci puisque par définition il s‟agit d‟un savoir pratique, obéissant aux « lois » de la pratique
et sous-tendu d‟une logique pratique. De ce fait, son identification, sa mise en mots par le
chercheur ne peut qu‟être d‟un autre ordre, puisque sa stabilisation par l‟écrit rompt par là
même son véritable statut. Comme l‟explique P. Bourdieu (1980), « on ne peut saisir la
logique de la pratique que par des constructions qui la détruisent en tant que telle ».
Cependant, lui et d‟autres ont tenté de l‟identifier au travers de méta-analyses, c'est-à-dire
d‟analyses des caractéristiques propres et systématiques de la pratique, du sens et de la
logique qui lui sont inhérents.
Il s‟agit ici de proposer un examen synthétique de ces caractéristiques afin d‟identifier ce
qui se joue et s‟édifie véritablement en savoir dans la pratique. On essaiera ainsi de
comprendre dans quelle mesure la spécificité de la pratique et du savoir qui lui est sous-jacent
permet d‟identifier différents aspects du savoir expérientiel dont la prise en compte nous
semble nécessaire. On présente alors d‟abord une identification dialectique des rapports
théorie/pratique, « savoir théorique/savoir d‟action » comme les définit Barbier (1996), afin
de spécifier progressivement ce qui est sous-jacent aux savoirs générés par le sujet dans
l‟expérience de l‟acte. On tentera ensuite, à partir de cette spécification, d‟identifier les
principales problématiques épistémologiques qui orienteront notre caractérisation et notre
théorisation du savoir expérientiel. On finira alors par caractériser de manière systématique
les différents aspects de ce savoir afin d‟en proposer une première modélisation.
a. Théorie et pratique : spécificités du savoir dans l’expérience de l’acte
Avant toute chose, précisons avec Latour (1996) que « la pratique est un terme sans
contraire qui désigne la totalité des activités humaines ». Il y a sous la dialectique
théorie/pratique une certaine ambiguïté qui semble opposer chacune d‟elles diamétralement et
trouver sa fin dans des enjeux moins épistémologiques que politiques. Dans un jeu social
souvent conflictuel et ce depuis au moins Platon, la théorie appartient aux théoriciens, bien
loin de la réalité, condescendant, injustement fiers de dominer le rapport de force, et la
pratique aux « professionnels », incapables de comprendre le rôle primordial de leurs
28
antagonistes seuls à pouvoir assumer leurs lourdes responsabilités. S‟il en est
malheureusement souvent ainsi, c‟est faute d‟avoir compris que le théoricien est un praticien
de la théorie qui travaille dans un espace/temps qui n‟est pas extérieur au monde et avec des
outils qui seuls lui permettent de produire ; et le praticien se réfère et construit inévitablement
des théories, qu‟il élabore en acte ou d‟un regard, d‟une distanciation spécifiques.
Alors sans écarteler outrageusement ce rapport, on peut toutefois postuler une dialectique
qui trouve sa valeur justement autour des spécificités de la production des savoirs. Disons
simplement que celui qui agit et celui qui le regarde ne peuvent pas créer le même savoir.
Comprendre ces deux aspects du savoir permet alors d‟entrevoir la spécificité de celui qui est
généré dans l‟acte.
On fondera en premier lieu cet examen sur une ouverture à partir de l‟analyse dialectique
qu‟a pu faire F.-V. Tochon (1996) de la rupture théorie/pratique. Tout d‟abord, un élément de
distinction peut être trouvé dans le rapport statique/dynamique. Il semble en effet, pour dire
simple, que « la théorie décrit dans une statique les dynamiques de la pratique » (op. cit.).
Lorsqu‟un savoir est bâti sur une pratique, il positionne structuralement des éléments qui,
dans le processus qu‟est l‟action, sont immanents à des fonctions. Le footballeur ne décide pas
d‟effectuer une passe à un partenaire parce qu‟il sait que dans ce sport il faut progresser à
plusieurs pour faire avancer le ballon, mais bien parce que cette passe permettra, ici et
maintenant, de progresser, ce qui permettra de tirer au but, ce qui permettra de marquer, ce
qui permettra de gagner. La passe a pour fonction de gagner, par l‟intermédiaire d‟une
hiérarchie de fonctions, elle reste subordonnée à la poursuite d‟un résultat ; la fin et les
moyens de l‟action ne sont pas séparés par le praticien. Par là même, toute la dynamique du
jeu ne peut être parfaitement établie dans une statique qui ne peut que courir après la
dynamique à jamais évolutive ; et, plus important encore, la pratique ne peut en aucun cas se
satisfaire d‟une description statique puisque les interactions1 dans le jeu écartent directement
toute planification absolue. Ainsi, le savoir pratique a affaire avec la décision contextuelle et
irréductiblement singulière, dont la description la moins lacunaire, bien qu‟encore imparfaite,
pourrait reposer sur une forme de chaîne de conditions procédurisées. Mais on voit bien
qu‟elle est largement insuffisante, puisque la décision sous-jacente au savoir pratique étant
contextuelle et donc singulière, n‟a pas véritablement affaire avec la mémoire de chaînes de
conditions et d‟actions mais plutôt avec « des principes de reconstruction qui assureraient une
certaine pérennité des informations à partir de la dernière interprétation de leur organisation
1 Il s‟agit là des interactions du sujet avec les éléments physiques, humains et symboliques du milieu.
29
structurale » (op.cit.). Autrement dit, si le savoir appartient au sujet et se trouve configuré par
son histoire, il ne peut être amputé de son attachement à l‟environnement immédiat. Si on se
place du côté du sujet, le savoir pratique est alors inévitablement un savoir d‟initiative et de
prise de responsabilité ; le savoir théorique, lui, ne vaut que d‟une autorité extérieure1, fixe et
établie.
Un autre point vient spécifier le savoir pratique de la construction théorique. Il s‟agit du
temps sous-jacent à sa production ; à savoir que « la pratique se déroule dans le temps (…), sa
structure temporelle, c'est-à-dire son rythme, son tempo et surtout son orientation, est
constitutive de son sens. » (Bourdieu, 1980). Ainsi, la distinction théorie/pratique s‟élabore ici
dans la dialectique diachronie/synchronie. En effet, la théorie peut s‟autoriser la diachronie,
c'est-à-dire un regard sur le passé comme fondateur d‟un savoir sur le présent de la pratique,
reliant ainsi les multiples synchronies précédentes dans une diachronie statique explicative.
Mais la théorie arrive après la bataille, elle ne se confronte pas à l‟incertitude de l‟avenir, ni à
la troublante irréversibilité. Car le temps de la pratique trouve dans ces deux aspects sa
spécificité, lesquels forment sa caractéristique principale, celle d‟être en permanence inscrite
dans l‟urgence du présent. Alors, « l‟urgence, où l‟on a raison de voir une des propriétés
essentielles de la pratique, est le produit de la participation au jeu et de la présence au futur
qu‟elle implique » (op. cit.). Car, de ce qu‟il perçoit dans le présent, le praticien s‟ajuste à ce
qu‟il pré-voit, dans un à-venir inévitablement incertain. « Le sens du jeu est le sens de l‟à-
venir du jeu » (op. cit.). Le savoir pratique révèle ainsi les qualités du praticien à effectuer
des « inférences en situation » (Vergnaud, 1996a) lui permettant d‟affronter, avec une certaine
part de maîtrise, les singularités de chaque situation et de l‟à-venir potentiel qu‟elles
impliquent. Mais ces inférences se font bien dans l‟instant présent, et si elles tiennent
incontestablement compte du passé de la pratique, elles ne relèvent pas d‟un retour dans ce
passé, comme peut le faire la théorie pour créer du savoir sur le présent d‟une pratique, mais
plutôt d‟une incorporation de ce passé, laissant des traces conscientes et inconscientes chez le
praticien du présent. Le savoir pratique actualisé dans le présent a donc affaire avec un passé
et un futur qui ne peuvent être regardés, comme le fait la théorie. Le footballeur qui passe son
ballon se trouve dans une certaine situation qui ne lui est peut-être pas aussi avantageuse
qu‟une précédente, mais ne pouvant y revenir il ne peut qu‟agir dans l‟urgence du présent ; et
celui-ci ne passe pas le ballon au point où se trouve son partenaire mais bien à celui qu‟il
atteindra, sans qu‟à aucun instant futur de son trajet un adversaire le croise. Le spectateur, lui,
1 On pense ici, pour exemple, au « Je vous promet que c‟est vrai, ce n‟est pas moi qui le dit ».
30
peut justifier un mauvais choix passé du joueur de la même manière qu‟il peut légitimer, sous
quelques encouragements, un action à mettre en œuvre incessamment, mais tout le savoir
qu‟il peut développer ici n‟a rien à voir avec celui que met en œuvre le joueur. Pour celui-ci,
il s‟agit de savoir faire, c'est-à-dire de prendre l‟initiative dans le contexte, ici et maintenant.
Ainsi, si la dynamique évènementielle de l‟action marque le savoir pratique du sceau de la
prise de responsabilité, sa dynamique temporelle en fait autant. Mais, elle rappelle qu‟il s‟agit
bien d‟une prise de responsabilité vécue, qui agit le passé vers l‟incertitude de l‟à-venir. La
théorie, elle, déduit des responsabilités, en regardant le passé comme un déterminant des
probabilités du futur.
Enfin, un dernier élément semble pourvoir éclairer les spécificités de la pratique. On l‟a
dans un sens déjà abordé en situant le savoir par rapport au réel. On l‟explicite ici en
poursuivant notre ouverture à partir des idées de F.-V. Tochon (1996). La distinction est faîte
ici entre la monoséquentialité de la théorie et la polyséquentialité de l‟action. La théorie et son
discours, comme remise en ordre, sont prédisposés à la linéarité. Les informations, les
variables et les interprétations s‟y enchaînent comme une séquence démonstrative. En effet,
« la parole n‟est que séquentielle, elle dit une chose à la fois, une chose après l‟autre, elle
parcellise ; le geste est, quant à lui, plus syncrétique, offrant une vision plus globale.
L‟analytique du discours s‟oppose au synthétique du geste. » (Vigarello, Vives, 1986). Ainsi,
contrairement au savoir théorique, le savoir pratique se nourrit d‟une multiplicité
d‟informations, enchevêtrées dans le temps et l‟espace dans une simultanéité globale. C‟est
sûrement cette globalité de la pratique qui a orienté les constructions théoriques les plus riches
à son propos, comme peut l‟être le concept de « schème » qui semble tenter, et permettre dans
une certaine mesure, d‟expliciter l‟action et son organisation dans leur totalité (Vergnaud,
1996a). Dans cette perspective, la théorie peut s‟approcher de la pratique, en tenant compte,
dans la mesure du possible, de la complexité de l‟action ; une action infiniment complexe qui
se pose, à la manière de l‟infiniment grand et l‟infiniment petit, comme une frontière au savoir
humain, au savoir que l‟on peut poser devant soi (Lehmann, 1996). Ainsi, la conceptualisation
en terme de schème, en explicitant l‟organisation de l‟activité dans ses déterminations
cognitives, motrices et environnementales, en identifiant les éléments pérennes organisant la
complexité de l‟action, semble être un exemple d‟apport théorique pertinent sur le savoir
d‟action. On y reviendra largement. Mais, d‟une manière plus générale et depuis bien plus
longtemps, la théorie a déjà approché la polyséquentialité, voire la complexité, de la pratique.
Elle l‟a fait et le fait encore simplement en rompant avec la linéarité de son discours,
31
lorsqu‟elle se sert de schémas ou d‟images pour totaliser ce qui se joue dans la pratique1.
Ainsi, « le schéma synoptique, qui doit précisément son efficacité scientifique à l‟effet de
synchronisation qu‟il produit en permettant (…) de voir dans le même instant des faits qui
n‟existent que dans la succession et de faire apparaître ainsi des relations autrement
imperceptibles » (Bourdieu, 1980), montre les possibilités d‟approximation théorique de la
pratique en même temps que ses limites. Ces dernières relèvent alors du fait que la théorie
inscrit celui qui s‟y adonne dans le privilège de la totalisation, qui, étant synoptique permet de
rendre compte de la complexité de l‟action, mais s‟oppose à la globalisation qui appartient au
praticien. « Le participant a toutes les chances d‟être gouverné dans ses actions par un certain
nombre d‟intérêts, de desseins et de sentiments qui dépendent de sa position particulière et qui
compromettent sa compréhension de la situation totale » (Bourdieu, op. cit.). Car celui-ci ne
vit l‟action que de son point de vue, sa position, son topos, il n‟est pas confronté à la totalité
de l‟action mais bien à la globalité qu‟il y perçoit. Et, on le sait dans divers domaines
d‟activité, des échecs à la poésie, l‟être humain est la seule entité à posséder des possibilités
d‟analyse globale. Le footballeur expert, lorsqu‟il effectue sa passe, le fait dans une vision
globale du jeu, dans laquelle est mis en jeu un savoir, toujours différent que celui que
pourraient produire de multiples algorithmes situationnels. « Le cerveau humain possède une
capacité d‟analyse globale, de capitalisation de l‟expérience » (Lehmann, 1996). Alors, le
savoir pratique a affaire avec la globalité de l‟action, et du point de vue du sujet, il semble
ressortir d‟un certain rapport à cette globalité, lequel se constitue inévitablement dans son
expérience. La théorie, en faisant un effort, peut être au mieux totalisante, voire simplement
analytique.
Ainsi, le savoir bâti dans la pratique ne semble pas se prêter à généralisation, ni même à
quelque sorte de symbolisation. Il appartient au praticien et demeure à jamais idiosyncrasique.
Encore plus, la prise dans l‟urgence des responsabilités d‟une décision contextuelle est
inévitablement soutenue par un savoir immédiat, qui n‟assure en rien la reproduction exacte
d‟une action, certes potentiellement maîtrisée de manière semblable, mais toujours
singulièrement différente. Cependant, à partir des spécificités du savoir pratique que nous
venons de décrire, il est certainement possible d‟identifier et systématiser les éléments
constitutifs d‟un savoir permettant cette maîtrise potentielle d‟une action inédite. Car le
praticien, grâce à son expérience, sait faire en plus qu‟un autre.
1 Même un graphique statistique, sous toute la déformation de la réalité qu‟il impose à son lecteur, est une forme
d‟étape dans le processus de totalisation de la réalité.
32
b. Problématiques épistémologiques pour une théorisation du savoir expérientiel
Ayant en premier lieu tenté de situer le savoir et sa genèse par rapport à l‟expérience du
sujet, nous avons maintenant, à partir de l‟analyse dialectique de la rupture théorie/pratique,
tenté d‟éclaircir les principales propriétés affectées au savoir généré dans l‟expérience de la
pratique. Il nous semble alors que ces propriétés nous permettent de définir plusieurs axes
épistémologiques qui thématiseront de manière permanente nos tentatives pour théoriser,
structurer et systématiser les différents éléments identifiables du savoir bâti dans l‟expérience
de l‟acte. Alors, à partir de ces arrière-plans épistémologiques et du postulat d‟un en plus de
savoir généré dans l‟expérience du sujet et permettant la maîtrise potentielle d‟une action
inédite, il s‟agit maintenant de proposer une voie de théorisation du contenu de cet en plus.
De la réflexion épistémologique précédemment menée, trois fondements sous-jacents à
notre approche du savoir expérientiel nous semblent ressortir. Nous les caractérisons sous la
forme de trois problématiques, celle du sujet, celle du réel et celle de l’immédiateté de leur
relation. Ainsi, l‟intention est ici de les expliciter plus encore en tentant d‟examiner dans
quelle mesure elles se recoupent vers une même approche théorique du savoir issu de
l‟expérience. On peut caractériser cette approche comme celle qui a pris pour concept central
celui de schème, tel qu‟il a pu être envisagé de E. Kant (1783) à G. Vergnaud (1985), en
passant bien entendu par J. Piaget (1936). On présente alors ce recoupement épistémologique
avant d‟y situer de manière analytique la définition des schèmes.
Notre objectif est alors de donner corps à cet en plus que nous postulons à partir de la
problématique des schèmes, principalement dans sa version la plus moderne et ayant déjà
trouvé une légitimité en didactique, c'est-à-dire celle proposée par G. Vergnaud (1985 ; 2001)
dans sa théorie des champs conceptuels. Cependant, si toute la démarche épistémologique qui
traverse notre ancrage théorique se veut être une justification de notre accord à cette
théorisation, elle a surtout pour intérêt d‟ouvrir notre cadre d‟analyse autour de celle-ci. Ainsi,
nous ne nous bornerons pas à nous reposer sur les éléments constitutifs des schèmes définis
pas G. Vergnaud pour caractériser le savoir expérientiel, mais nous tenterons aussi, à partir
des travaux et des réflexions d‟autres auteurs, principalement en sciences cognitives et en
sciences de l‟éducation, d‟identifier des concepts, des notions, des questionnements qui nous
semblent s‟articuler avec cette théorisation. Ils nous permettront alors de proposer un cadre
33
d‟analyse théorique singulièrement bâti pour appréhender notre problématique dans une
approche didactique et clinique de l‟enseignement de l‟EPS1.
Le Sujet
Le premier axe épistémologique qui ressort de l‟analyse du savoir pratique renvoie à la
problématique du sujet, sans qui le savoir issu de l‟expérience n‟a pas de sens. En effet, on l‟a
explicité, le savoir ne peut être conçu comme un objet indépendant du sujet qui se
manifesterait dans un monde réel extérieur et pré-donné. Tout savoir implique un sujet
connaissant (Schlanger, 1978). Nous avons alors qualifié ce savoir de reconstruction, de
simplification, de désintrication, ou à la manière de Verret (1975) de désyncrétisation du réel
par le sujet. Les philosophes de la connaissance et les épistémologues ont ainsi initié ce
renversement en tentant d‟aller voir du côté du sujet les conditions du savoir. Il semble ainsi,
qu‟à partir de E. Kant, « la révolution copernicienne de la connaissance consistera donc à
chercher du côté du sujet les clefs d’une objectivité que l’objet ne permet pas de fonder. Au
lieu de se perdre dans l‟extériorité du connu, il s‟agit de remonter aux conditions qui rendent
la connaissance possible » (Besnier, 2005). Les épistémologies bachelardienne et
poppérienne ou encore la vague piagétienne ont continué de caractériser la démarche de
création du savoir à partir de cette direction2.
Et ce qui nous intéresse ici, c‟est que le concept de schème est ainsi né de ce changement
de perspective : c‟est en identifiant les catégories et les concepts constitués par le sujet pour
appréhender le réel, c'est-à-dire la part de conceptualisation qui constitue les schèmes, que
l‟on pourra comprendre les conduites humaines et la part de savoir qui les soutient. Et, une
analyse classificatoire des différentes situations dans lesquelles un sujet apprenant peut
évoluer ne peut alors esquiver le fait que, justement, « certaines distinctions ne sont
intéressantes que parce qu‟elles entraînent des différences significatives dans la manière dont
les élèves s‟y prennent pour traiter les situations ainsi différentiées » (Vergnaud, 1996b).
Ainsi, le sens d‟une situation est bien porté par les schèmes évoqués chez un sujet par cette
dernière (Vergnaud, op. cit.). C‟est donc autour des facultés de savoir du sujet qu‟il faut
identifier ce qui est su.
1 Ces questionnements concourants permettront plus exactement de préciser certains éléments définis
implicitement dans la théorie de Vergnaud, afin de pouvoir les utiliser plus rigoureusement dans l‟analyse
effective des séances. Ils nous permettront également de spécifier son apport théorique en ce qui concerne
l‟apprentissage et l‟enseignement de pratiques corporelles. 2 Ces mouvements théoriques qui prennent en considération les conditions et les possibilités du sujet connaissant
ne prônent pas pour autant une position subjectiviste. La perspective structurale piagétienne ou encore les
analyses épistémologiques bachelardiennes examinent aussi, de différentes manières, les composantes
épistémiques et logiques des champs d‟activités qu‟elles analysent.
34
Mais ce postulat n‟a pas pour simple intention de proposer une topique philosophique du
savoir expérientiel, il entraîne avec lui une spécificité de l‟examen effectif des manifestations
empiriques du savoir pour le chercheur. Car, comme nous l‟avons vu précédemment, le savoir
bâti dans la pratique est assujetti à la dynamique de la pratique. Ce savoir est ainsi
perpétuellement subordonné à la poursuite d‟un résultat et se veut être alors une fonction pour
le sujet. Le savoir du sujet contient donc un but permanent qui, en définitif, ressort
inévitablement de son initiative. C‟est le sujet connaissant qui perçoit et décide tout au long
de l‟action, il est responsable à chaque instant du savoir qu‟il met en œuvre. Comme le
conçoit G. Vergnaud, même la perception « présente les caractères d‟une décision instantanée
relevant en dernier ressort de la responsabilité du sujet. » (Récopé, 1996). Et cette prise de
responsabilité est bien la manifestation des buts permanents qui soutiennent l‟activité du sujet
et qu‟on ne peut éluder de l‟analyse du savoir en acte. F. Hatchuel (2005), travaillant la
question du savoir comme source d‟indépendance du sujet, explique qu‟« assumer son
indépendance, c‟est, en effet, avant tout, être responsable de ses actes, c'est-à-dire construire,
anticiper, projeter un acte, puis mettre en œuvre ce projet dans la confrontation à la réalité et
réajuster l‟action en fonction du résultat ». Pour comprendre le savoir sous-jacent à la pratique
du sujet, il faut identifier l‟articulation des buts qui l‟animent tout au long de cette pratique. Et
pour faire ceci, il faut examiner les décisions qu‟il prend, les choix qu‟il effectue, les
sélections qu‟il opère, c'est-à-dire l‟initiative qu‟il prend dans le réel de sa pratique. Car, il ne
faut pas « oublier que lorsque tout est, en apparence, possible, rien ne l‟est plus si on ne
choisit pas. » (Hatchuel, op. cit.). Toutefois, l‟initiative du sujet et les buts qui la soutiennent,
ne peuvent pas être simplement analysés à partir d‟une interprétation cognitive de l‟activité du
sujet, car s‟ils peuvent être élaborés cognitivement, leur origine, elle, n‟est pas cognitive
(Chatillon, 1989). Ainsi, le but comme composant analytique du schème (Vergnaud, 1996a),
ne peut pas être analysé simplement à partir de cette théorisation. Il renvoie notamment aux
questions du désir ou de la division du sujet qui ne trouvent que peu leur place dans une
théorie cognitive des conduites. Cependant, pour l‟instant, il faut retenir que la problématique
du sujet, telle que nous l‟avons définie, peut trouver une légitimité dans l‟approche théorique
des schèmes de G. Vergnaud, notamment dans un renversement épistémologique qu‟elle
suscite1 et particulièrement à propos de la question du but comme composant du savoir
expérientiel.
1 Ce renversement est en fait simplement continué par Vergnaud, à la suite principalement de Piaget. En
revanche, – et c‟est ce qui fait la pertinence de sa théorisation en didactique – Vergnaud, dans sa théorie des
35
Le Réel
Ensuite, le deuxième axe épistémologique que nous voulons présenter est celui du réel,
de son infini complexité, et des possibilités de sa prise en compte dans une description
analytique du savoir expérientiel. Nous avons déjà présenté les limites que semblait révéler le
savoir face à ce réel et nous avons abordé cette question de la complexité sous-jacente au
savoir pratique. Ainsi, deux éléments ressortent de nos réflexions qui nous permettent
d‟avancer vers une forme de plus en plus heuristique de cette problématique, telle qu‟elle peut
être conçu à partir de la théorisation sur les schèmes. D‟abord, si ce réel, à partir duquel peut
être construit du savoir, est complexe, enchevêtré, polyséquentiel, syncrétique, il faut
examiner comment le sujet s‟y prend pour le dénouer et, avant tout, comment le chercheur
peut le prendre en compte. Ensuite, ce rapport immanent au réel que nous avons identifié dans
le savoir pratique nous renvoie à la globalité du savoir, à notre avis, pertinemment pris en
compte dans la théorisation des schèmes.
En effet, en premier lieu, reconnaître la complexité du réel d‟un point de vue théorique
invite à le modéliser, non pas dans une visée objectiviste qui fragmenterait a priori des objets
dans ce réel, mais plutôt à partir d‟une prise en compte contextuelle en terme de situations1.
G. Vergnaud (1994), justifiant une de ses évolutions vis-à-vis de la théorie piagétienne, le
présente ainsi : « ce qui manque le plus à Piaget et à Vygotsky c‟est une bonne théorie de la
référence, c'est-à-dire de quoi la connaissance est la connaissance (…). Mais qu‟est ce que la
référence ? Le réel bien sûr, mais quel réel ? ». Il en définit alors deux approches : « le réel
comme ensemble d‟objets munis de propriétés et entretenant des relations avec d‟autres
objets » ou, celle qu‟il préconise, « le réel comme un ensemble de situations, dans lesquels le
sujet est engagé de manière active et affective ». La prise en compte et la modélisation du réel
dans cette optique consiste alors à repérer les différentes situations dans lesquelles le sujet
peut engager ses conduites. Il reste cependant inévitablement à caractériser ces situations et le
travail théorique ne peut faire autrement que d‟y rechercher des régularités, des invariances.
Ainsi, ces situations seront justement identifiées à partir des invariances dans l‟activité des
sujets qui s‟y confrontent, notamment par l‟intermédiaire explicite de l‟invariance de leurs
conduites, puis à partir d‟inférences quant à l‟organisation de leurs conduites, des processus
cognitifs qui leur sont sous-jacents. Cette invariance dans les processus cognitifs est au centre
de la théorie de G. Vergnaud ; il l‟a essentiellement théorisé en terme « d‟invariants
champs conceptuels, effectue une entrée encore différente en certains points sur la problématisation des schèmes.
On la précise en suivant. 1 On précise d‟entrée, pour éviter toute confusion, qu‟il ne s‟agit pas ici du concept de situation au sens
brousseauiste. On explique alors en suivant dans quelle direction nous définissons le concept.
36
opératoires » et ce sont eux qui justifient la principale pertinence des schèmes. Car au final,
« ce qui est invariant c‟est l‟organisation de la conduite, et non la conduite elle-même. ».
(Vergnaud, 1996a). C‟est alors dans cette invariance que l‟on pourra identifier le savoir
expérientiel et les situations qui l‟accompagnent inévitablement. Mais, l‟identification et la
classification de situations pour modéliser le réel ne peuvent échapper à une autre forme
d‟invariance qui n‟appartient plus vraiment au sujet. Il s‟agit d‟une invariance
épistémologique ou technologique qui s‟appuie sur les formes objectives1 des contraintes
imputées au champ d‟activité (au champ conceptuel, dirait Vergnaud) analysé. G. Vergnaud
(1996b), après avoir soulevé la nécessité de considérations psychologiques pour caractériser
les différentes situations, le précise ainsi : « Pourtant une classification qui n‟aurait pas de
sens mathématique serait irrecevable. (…) La spécificité de l‟apprentissage des
mathématiques est dans les mathématiques elles-mêmes. ». Il existe en effet des systèmes de
contraintes qui, bien qu‟arbitraires ou axiomatiques, établissent des invariances dans les
situations d‟un champ d‟activité. Dans le cas des APSA ce système est évident, il s‟agit du
règlement et donc des contraintes règlementaires qui l‟accompagnent. On retrouve d‟ailleurs
précisément cette dialectique de l‟invariance en didactique de l‟EPS. En effet, C. Amade-
Escot et Y. Léziart (1996) proposent d‟identifier dans la régularité des manifestations d‟une
activité technique de l‟apprenant le principal témoignage de la construction d‟un savoir. Mais
cette activité technique ne peut être identifiée sans la prise en compte du système de règles et
de conventions constitutives de chaque APSA. « En effet, ces règles ou conventions sont des
contraintes – historiquement constituées – pour rendre possible un type d‟activité technique
chez le pratiquant. » (Loquet, Amade-Escot, Marsenach, 2005, p.312). C‟est donc la
dialectique « contraintes/activité technique » qui prévaut à la caractérisation du savoir et des
situations en EPS. Ainsi, en ce qui concerne le sujet, c‟est la reconnaissance et la construction
d‟invariants dans sa pratique dans le réel, identifié à partir de situations, qui lui permet de
dénouer son syncrétisme. On précisera ces processus dans notre examen analytique des
schèmes. Retenons pour l‟instant une des définitions du schème proposée par Vergnaud qui
rend bien compte de cette idée : « un schème est une organisation invariante de l'activité pour
une classe définie de situations. » (Vergnaud, 2001). Il en va alors jusqu‟à affirmer que « le
couple schème-situation est le couple théorique central de la psychologie du développement et
de l'apprentissage, de la didactique et de la pédagogie. » (ibid.).
1 On rappelle que ces formes dites objectives ne sont en fait qu‟historiques et normatives. On les qualifie
d‟objectives, car il s‟agit des systèmes de contraintes largement pérennisés dans chacun des champs d‟activité.
37
Mais, la question du réel ne nous semble pas encore être saturée. En effet, nous avons
déjà brièvement postulé la pertinence du concept de schème pour théoriser la complexité de
l‟action et du savoir pratique qui lui est sous-jacent. La pratique dans le réel, étant à la fois
dynamique et synchronique, amène le sujet à y appréhender ce réel de manière globale. De
plus, la complexité du réel et l‟inscription de l‟action du sujet dans ce réel attribuent à cette
action les mêmes caractéristiques que celui-ci : enchevêtrement, simultanéité, globalité. Par
ailleurs, Y. Chevallard l‟admet même pour tout savoir : « il n‟est pas vrai qu‟un savoir, aussi
objectif soit-il, puisse se dire de A à Z. » (Chevallard, 1991). Pour cela, la description du
savoir expérientiel doit éviter la linéarité. Il nous semble alors que le concept de schème
répond à ces contraintes. Déjà, J. Piaget postulait cette idée de globalité au travers de ce
concept : « les schèmes acquis constituent d‟emblée, non pas une somme d‟éléments
organisés, mais encore une organisation globale » (Piaget, 1936). Cette question du « sens
global » (Dreyfus, 1984), de « l‟idée d‟ensemble » (Récopé, 1996) est ainsi inévitablement
prise en compte dans une théorisation à partir du concept de schème. Les déterminations
environnementales peuvent être identifiées à partir de la dialectique de l‟invariance des
situations, en prenant garde justement d‟y intégrer « la perception générale de la situation du
point de vue du sujet » (Récopé, op. cit.). En effet, en ce qui concerne la perception, il s‟agit
encore une fois d‟y considérer un mouvement global. Car, notamment, les schèmes « ne sont
pas visuels, auditifs, ou tactiles, mais perceptifs » (Neisser, 1976) et « il est important de
garder à l‟esprit que le cycle perceptif est caractérisé par l‟implication instantanée de l‟activité
coordonnée de plusieurs systèmes sensoriels » (ibid., p.30). Ainsi, voir dans le concept de
schème une structure pertinente pour attribuer des formes au savoir expérientiel permet de
faire un pas de plus dans la prise en compte du réel et de sa globalité. Et G. Vergnaud en fait
un élément central de sa théorie : « un schème est une totalité dynamique fonctionnelle »
(Vergnaud, 2001), dont la puissance théorique tient justement à l‟organisation systémique de
ses composantes. Il s‟agira alors d‟identifier comment des éléments situationnels, moteurs et
cognitifs peuvent constituer une organisation susceptible de témoigner d‟une forme de savoir.
Nous tenterons aussi de faire un pas supplémentaire en identifiant d‟autres aspects sous-
jacents au savoir expérientiel qui ne nous semblent pas être véritablement pris en compte dans
une conceptualisation en terme de schèmes, mais qui nous semblent participer
fondamentalement à la globalité du savoir. On pense notamment à certains aspects corporels
du savoir expérientiel. On les examinera dans un chapitre ultérieur. Toutefois, H. Wallon, à
propos de ce qu‟il nomme « l‟intelligence des situations », révèle magistralement cette
organisation globale : « elle réalise une sorte d‟organisation dynamique, où fusionnent avec
38
les appétits, répulsions, dispositions affectives du sujet et avec les attitudes ou mouvements
qui peuvent en résulter, le champ des perceptions extérieures, lui-même sans cesse modifiable
selon les nécessité du moment, les possibilités de l‟action, les velléités du désir » (Wallon,
1942).
L’immédiateté de leur relation
Enfin, le dernier axe épistémologique qui nous semble fondamental à l‟analyse du savoir
expérientiel est celui de l’Immédiateté de la relation entre le sujet et le réel, lorsque celui-ci
s‟engage dans un acte inévitablement soutenu par du savoir. Il faut entendre par là une
relation non médiatisée par un tiers, si ce n‟est justement par du savoir, dans quel cas celui-ci
constitue alors cette relation. Nous avons déjà soulevé cette caractéristique du savoir
pratique : celui-ci est mis en œuvre dans un environnement immédiat, dans un contexte
singulier et il est vécu dans l‟urgence du présent, de telle sorte que sa reproduction ou même
sa symbolisation ne peuvent être que partielles et infidèles. Ainsi, la définition du savoir
comme une relation immédiate entre le sujet et le réel (Juranville, 1982) nous semble
pertinente. On peut, par ailleurs, remarquer que les théorisations tentant de prendre en compte
à la fois le savoir et le sujet, soit principalement celles qui s‟attachent à l‟étude du rapport au
savoir, vont dans ce sens. Beillerot (1996a) considère ainsi le rapport au savoir comme un
rapport de rapport, ou encore, Charlot (1997) précise que les savoirs sont bien des « formes
spécifiques de rapports au monde »1.
Encore une fois, ce postulat ne nous sert plus simplement à situer le savoir, mais bien à
soulever, de par son caractère immédiat, son aspect processuel. En effet, la conception selon
laquelle les savoirs renvoient à des produits de l‟expérience, des stocks ou des capitaux
accumulés et répertoriés ne nous semble pas permettre une modélisation pertinente du savoir
expérientiel. Car dans ce cas, « en fin de compte, les savoirs sont assimilés au passé des
savoirs » (Beillerot, 1996a), et, on évacue alors la singularité du réel qui les soutient de même
qu‟on les extirpe du sujet qui les supporte. Dans ce sens, les savoirs seraient de simples
informations dormantes dans des banques de données plus ou moins vivantes. Il nous semble
alors, avec Beillerot (op. cit.), que considérer le savoir en terme de processus permet en
revanche d‟accéder à la « réalité dynamique du savoir », en prenant en compte à la fois son
inscription temporelle dans le présent et le mouvement qui le constitue. Car, « tout savoir est
1 Charlot (1997) rejoint par ailleurs Beillerot en expliquant que le sujet ne possède pas un rapport au savoir mais
bien qu‟il est un rapport au savoir. On peut alors considérer avec eux le sujet connaissant comme constitutif d‟un
rapport au rapport au monde
39
acte et non essence » (Schlanger, 1978), on considère alors plutôt que « le savoir serait en
train de se faire et ne serait pas celui qui est su » (Beillerot, op. cit.). Et pour prendre en
compte ce dynamisme du savoir, il s‟agit d‟identifier les processus qui le composent. Il
semble alors que la théorisation en terme de schème a perpétuellement mis l‟accent sur ces
processus. Adaptation, sélection, assimilation, accommodation, problématisation,
organisation, appropriation sont autant de manifestations de savoir qu‟il s‟agit d‟examiner
pour identifier ce qui s‟est constitué ainsi dans l‟expérience du sujet1. Il nous semble alors
que, même dans une volonté de montrer du doigt un savoir établi, déjà constitué, le concept
d‟organisation qui définit un schème, met l‟accent sur cet aspect processuel du savoir.
Et ce qui est fondamental dans cette perspective, c‟est la possible prise en compte de la
singularité de chaque situation dans laquelle est mise en jeu du savoir, lui-même alors
singulier. Car, « comprendre la réalité des savoirs comme celle des processus et non plus des
résultats et des produits » (Beillerot, op.cit.), permet de prendre en compte cette singularité.
« Dans ces processus, la dimension de vérité des savoirs est plus conditionnelle, moins
évidente ; elle cède le pas à une vision plus localisée, plus singulière où l‟accent est mis sur
les problématisations, sur les appropriations » (ibid.). Or la pertinence du concept de schème
réside particulièrement dans cette prise en compte de la singularité. G. Vergnaud le précise
explicitement : un schème est « une manière de régler son action en fonction des
caractéristiques particulières de la situation à laquelle on s‟adresse, ici et maintenant »
(Vergnaud, 1996a). Cette prise en compte de la singularité de chaque situation et de son
appréhension par un sujet est alors modélisée en terme d‟« inférences » (ibid.). Dans
l‟organisation systémique des composants d‟un schème, les interrelations entre ces
composants forment une dynamique qui assure la fonctionnalité du schème. Alors, ce sont
« les inférences (qui) traduisent cette dynamique » (Vannier-Benmostapha, 2002). Ce sont des
processus, multiples et divers, constitutifs des schèmes, qui permettent la mise en œuvre d‟un
schème dans une situation particulière et révèlent alors le caractère immédiat du savoir
expérientiel2.
Ainsi, dans cette perspective, le savoir singulier sous-jacent à chaque conduite renvoie à
l‟organisation globale de la confrontation du sujet dans le réel. Il relève d‟une dynamique
circulaire entre le sujet et le réel interprétée en terme de processus. Le couple
assimilation/accommodation représente particulièrement bien ce double mouvement. « Par
1 Beillerot (1996a), accentuant cette conception, va ainsi jusqu‟à affirmer que « les savoirs ne sont pas autres que
les apprentissages pour les acquérir ». 2 On précise l‟analyse de ce processus d‟inférence comme composant analytique du schème dans la partie
suivante.
40
l‟assimilation l‟organisme coordonne les données du milieu, tout en conservant son propre
cycle d‟organisation. A l‟accommodation répond une modification du cycle, mais non sa
rupture car il y aurait inadaptation. » (Wallon, 1942). Ainsi, l‟immédiateté du savoir, qui doit
être prise en compte à partir de ce double mouvement, peut être identifiée ainsi : « les
conduites seraient, selon cette perspective, dirigées par les données que le sujet conçoit
comme valides et pertinentes pour une action dans une situation » (Récopé, 1996).
Mais, si la question de l‟immédiateté du savoir semble révéler la pertinence du concept
de schème pour problématiser le savoir expérientiel, elle nous semble aussi la dépasser et, par
là même, soulever tout un questionnement. En effet, dans ce donné, ce réel, ces situations
singulières, n‟y a-t-il pas une forme de savoir plus parfaitement immédiate, qui se passe de
conceptualisation ou de représentation et qui échappe peut-être à la pensée ou au traitement
cognitif ? Cette idée d‟immédiateté soulève d‟autres questions sur le savoir expérientiel : celle
de son lien avec le corps, avec le ressenti ou la sensation et plus largement celle de la
distanciation relative entre le sujet et le savoir. Car, on le rappelle, nous postulions toutefois
la nécessité d‟une forme de distanciation entre le sujet et le savoir. Ces questions feront
l‟objet d‟une analyse dans une partie théorique ultérieure.
Pour l‟instant, nous avons dégagé de nos réflexions sur le savoir expérientiel des
problématiques qui nous ont permis de mettre à jour des notions et des concepts le
questionnant. Tous ces termes mis à jour ont ainsi pour intérêt d‟orienter notre regard en ce
qui concerne les manifestations du savoir dans la partie empirique de ce travail. Ils ont été
articulés en parallèle de la démonstration de la pertinence de la théorie de G. Vergnaud
comme analyseur du savoir expérientiel. Il s‟agit alors maintenant de tenter de les organiser et
les systématiser à partir d‟une vision plus analytique du schème (Vergnaud, 2001). Car, bien
que l‟on veille à prendre au mieux en compte la complexité du savoir expérientiel, il semble
qu‟on ne puisse véritablement éviter une part de démarche analytique si l‟on veut bâtir un
outil théorique relativement fonctionnel et heuristique. « Totalité dynamique et fonctionnelle,
le schème n‟en appelle pas moins l‟analyse » (Vergnaud, 1996b). Cependant, cette
construction pourra être pertinente à condition de conserver du mieux possible un mouvement
de théorisation systémique.
L‟objectif est donc ici de construire un outil théorique capable de donner corps à ce
savoir construit dans l‟expérience et donc à cet en plus de savoir potentiel qui en émerge ; ceci
sans rien perdre des notions et concepts que nous avons soulevé.
41
c. Le savoir expérientiel : théorisation autour des schèmes
Le schème, « structure de connaissance pour l‟action » (Newell, Barclay, 1982), semble
ainsi être un outil théorique pertinent pour analyser ce qui a pu s‟être constitué en savoir dans
l‟expérience d‟un sujet. S‟il n‟est pas encore question de la transmission de ces schèmes, de
leur inscription dans un processus didactique, ils se révèlent toutefois particulièrement adaptés
pour répondre à notre questionnement sur l‟en plus de savoir issu de cette expérience ; ceci
dans la mesure où ils « désignent l‟ensemble des éléments issus de l‟expérience antérieure
utilisables pour organiser la conduite actuelle du sujet dans sa tâche » (Chatillon, 1989).
Maintenant, au-delà de leur richesse épistémologique, il s‟agit de proposer l‟analyse la
plus heuristique possible de ces schèmes, afin qu‟ils nous permettent d‟arriver armés sur le
terrain de cette recherche. G. Vergnaud (2001) a déjà proposé une organisation systémique du
schème en quatre principaux composants que l‟on a précédemment évoqués (pour trois
d‟entre eux) pour montrer l‟adhérence de ce concept à nos problématisations sur le savoir
expérientiel. Il reste à les analyser explicitement avec lui pour proposer un premier cadre
d‟analyse des manifestations du savoir expérientiel.
Un schème est donc nécessairement composé de quatre catégories de composants
(Vergnaud, op.cit.), qui se déclinent et s‟articulent précisément : des buts, des règles, des
invariants opératoires et des possibilités d‟inférence.
Les buts
Comme on l‟a explicité précédemment, prendre en compte le sujet connaissant dans
l‟analyse du savoir expérientiel nécessite la reconnaissance par le chercheur des buts qui
soutiennent son engagement dans le réel. On postule alors que les buts qui génèrent et/ou
accompagnent les conduites du sujet font partie intégrante du savoir expérientiel. G.
Vergnaud le postule aussi en ce qui concerne les schèmes. Cela ne signifie pas que le sujet est
conscient de ce qui motive ses actes ou qu‟il agit en fonction de buts clairement prédéfinis,
mais simplement que toute action est orientée et qu‟en dernier ressort seul le sujet est
responsable de cette orientation. « Même si le but n‟est pas pleinement conscient, ou s‟il y en
a plusieurs dans la même activité, on peut toujours identifier une intentionnalité1 dans
l‟organisation de l‟activité, avec son cortège de sous-buts et d‟anticipations. » (Vergnaud,
2001). Comme on le présentait avec P. Bourdieu (1980), la dynamique de l‟action est
1 L‟intentionnalité sera toujours prise ici à partir de sa définition courante, c'est-à-dire une attitude orientée vers
le futur, vers un projet plus ou moins conscient, et non pas dans son sens phénoménologique, tel qu‟il a été
développé par Husserl (1913).
42
marquée par l‟incertitude de l‟à-venir. Ainsi, l‟organisation des conduites du sujet à partir de
buts est déjà une étape dans le contrôle de cette incertitude. Elle met donc à jour une part de
maîtrise du sujet, inconsciente pour la plupart, mais révélatrice d‟une forme de savoir.
Toutefois, il ne faut pas voir forcément dans les buts organisant l‟action l‟origine
génératrice des schèmes, car, comme le précise G. Vergnaud, le sujet doit bien reconnaître et
dénouer le réel pour y investir une intentionnalité. On acceptera cependant que cette
reconnaissance est elle-même orientée par les motifs qui animent le sujet. Ainsi, cette
articulation entre les buts du sujet et sa reconnaissance du réel est au cœur de l‟organisation
systémique que constitue un schème. On considère alors que les décisions et les choix que le
sujet effectue dans ses conduites sont à la fois gouvernés par les buts qui orientent ces
conduites et par la reconnaissance des invariances qui organisent les situations.
Enfin, en ce qui concerne notre modélisation du réel à partir de la reconnaissance des
invariances situationnels, il s‟agira aussi de prendre en compte ces buts. D‟une part, du point
de vue du sujet, c'est-à-dire simplement à partir de l‟invariance de certains buts dans
l‟organisation de ses conduites. Et surtout, d‟autre part, d‟un point de vue épistémologique ou
technologique, soit ce que nous attribuions au règlement en ce qui concerne les APSA.
Notamment, de manière très générale, les différentes APSA peuvent être caractérisées à partir
des buts sous-jacents aux actions motrices qu‟elles suscitent. A savoir, pour exemple, que le
but ultime de tout mouvement en volley-ball est de marquer un point ou de ne pas laisser
l‟adversaire en marquer un, alors qu‟en gymnastique le but de tout mouvement est l‟image
même produite par ce mouvement1 (Kohler, Nachon, 2005). Et ces buts s‟organisent en
hiérarchies de buts et sous-buts pour constituer une organisation finalisée et hiérarchisée
constitutive du réel de l‟activité et du savoir expérientiel qui s‟y est construit. Ainsi, « la
réalisation d‟une tâche donnée requiert le plus souvent une déclinaison du but organisateur de
l‟activité (le but à atteindre in fine) en différents sous-buts répondant aux exigences de la
tâche (les conditions de l‟atteinte du but) » (Vannier-Benmostapha, 2002). Alors la marque du
savoir expérientiel semble renvoyer à la « capacité à organiser la succession des buts à
atteindre et des actions à réaliser dans le décours temporel de l‟activité » (Op. cit.).
1 On pense ici à la classification générale des actions motrices de Parlebas (1981). Les mouvements en volley-
ball renvoyant à ce qu‟il appelle la topocinèse et en gymnastique à la morphocinèse.
43
Les règles1
Ensuite, les règles d’actions forment un deuxième composant systémique du schème.
Elles renvoient aux aspects les plus automatisés des schèmes et prennent des formes le plus
souvent algorithmiques. Elles « sont ainsi la composante du schème par laquelle entrent les
conditions et les variations » (Vergnaud, 2001) reconnues par le sujet dans le réel pour
s‟enchaîner par une action du sujet dans ce réel. Ainsi, elles définissent la chaîne
conditions/action qui organise une brève partie de l‟adaptation du sujet au présent de son
activité et se construit dans son expérience. Elles peuvent presque toujours être caractérisées
en terme de « Si… Alors… »2 : « Les règles (…) s‟écrivent en général sous la forme „si
conditions Ck… Cj alors actions Ai… Am‟. » (Vergnaud, 1994a). Pour prendre un exemple
simple, dans la pratique du judo debout, le judoka peut organiser une partie de sa conduite de
la manière suivante : « Si mon adversaire recule, alors je tente d‟effectuer une projection
avant » et « Si mon adversaire avance, alors je tente une projection arrière », avec toutes les
variations de conditions et d‟actions que l‟on peut concevoir dans la complexité du réel d‟un
combat. Il manifeste ainsi une forme de savoir, acquis et développé dans son expérience de
judoka.
Alors, pour comprendre cette organisation des conduites en terme de règles, il faut
commencer à introduire une distinction qui nous servira à la fois d‟appui dans cette
théorisation en terme de schème et de controverse dans nos analyses théoriques ultérieures. G.
Vergnaud (2001), la définie ainsi : « Si les actions se situent au plan de la réalité, les
algorithmes, eux, sont du domaine de la représentation. Ce sont des règles d‟action ». Car ces
formes de calculs algorithmiques auxquelles correspond le concept de règle d‟action
s‟inscrivent, à la manière du concept de schème, dans le paradigme cognitiviste classique,
c'est-à-dire représentationniste, ils fonctionnent non pas sur un traitement immédiat du réel,
mais bien à partir des représentations du sujet sur ce réel. Le « si… alors… » fonctionne à
partir des représentations des conditions pour se finaliser, en revanche, dans une action réelle.
La prise en compte du sujet, dans cette perspective spécifique de la constitution du savoir,
avant même de s‟interroger sur les catégories et concepts constitués par celui-ci pour
appréhender le réel, postule un traitement cognitif travaillant à partir des représentations du
1 Nous nous limitons ici à l‟appellation de ce composant du schème en terme de règles, plutôt que de règles
d‟action, car Vergnaud distingue dans l‟organisation de conduites des règles d‟actions, des règles de prise
d‟information et des règles de contrôle. Toutefois, on parlera souvent, comme il se fait habituellement, de règles
d‟action, car ce composant renvoie en fait au concept de règle d‟action développé par Newell et Simon (1972). 2 Cette forme du « Si… alors » qui définit les règles d‟action ressemble particulièrement à la forme que l‟on
attribue aux connaissances procédurales dans les programmes d‟EPS. Par là même, cette analogie entre une
simple composante d‟un schème et une connaissance à part entière montre bien la limite du concept de
connaissance procédurale pour éclairer les contenus d‟enseignement en EPS.
44
sujet. Il s‟agit simplement ici de souligner cet intermédiaire nécessaire, dans cette perspective
du système cognitif, pour soutenir les conduites d‟une forme de savoir, telle que peuvent le
sous-tendre les règles d‟actions. On reviendra sur la question de cette nécessité, qui
réinterroge à la fois la question de l‟immédiateté du savoir et celle de la distanciation du sujet
vis-à-vis de ce savoir, dans le chapitre théorique suivant. Pour l‟instant gardons ce postulat et
étayons-le de ce qu‟en dit H. Wallon (1942) : « Pour l‟espèce humaine le milieu physique,
celui des réactions sensori-motrices, celui des objectifs actuels, s‟est doublé d‟un milieu fondé
sur la simple représentation, où ce sont les instruments de la représentation qui opèrent et où
les possibilités de combinaison sont devenus si libres, si diverses, si aisément fixables que sa
part dans la régulation de la conduite n‟a cessé de croître. ».
Enfin, pour conclure sur ce composant systémique des schèmes, il faut souligner trois
points développés par G. Vergnaud, dont un est au centre de son système théorique. D‟une
part, toutes les règles ne se situent pas au niveau de la représentation (Vergnaud, 1994b) ; on
pense ici à des règles incorporées qui renvoient notamment à des automatismes physiques en
deçà d‟un traitement cognitif (que l‟on traitera donc dans le chapitre théorique suivant).
D‟autre part, les règles ne sont pas toutes des algorithmes ; certaines s‟appuient sur des
processus heuristiques, métonymiques ou métaphoriques (ibid.). Elles sont alors inséparables
d‟une analyse en terme d‟inférences (on les traitera donc simultanément à notre analyse de cet
autre composant systémique des schèmes). Enfin, et c‟est là la principale limite des règles
d‟action pour expliciter à part entière l‟organisation des conduites, « si on essaye de
comprendre quel type de relation existe entre les conditions de l‟activité et les formes qu‟elle
prend, on rencontre inévitablement la question de la conceptualisation » (Vergnaud, 2001) ; ce
qui nécessite de se pencher sur un autre composant des schèmes, sûrement le plus
fondamental chez G. Vergnaud.
Les invariants opératoires
En effet, cette question de la conceptualisation du réel par le sujet constitue la pierre
angulaire de la théorisation en terme de schèmes développée par G. Vergnaud et justifie par là
même sa pertinence en didactique. Car, si les règles d‟action fonctionnent à partir des
représentations que se fait le sujet du réel, elles ne permettent pas d‟analyser ni de
comprendre le passage du réel à la représentation. Seules, elles n‟indiquent en rien comment
le sujet reconnaît ce réel, comment il le dénoue, comment il l‟organise, comment ce réel prend
du sens pour lui, bref, comment il peut le conceptualiser pour pouvoir ensuite organiser
implicitement ses conduites à partir de règles d‟action. Interpréter les conduites en terme de
45
règles du type « si conditions… alors actions… » ne nous dit rien sur les possibilités qu‟a le
sujet de discerner des conditions et d‟y associer des actions. « Prenons le prototype d‟une
règle : si la relation R est vérifiée, alors faire A, sinon faire B. Rien ne nous fait comprendre,
dans l‟écriture de la procédure, comment la relation R est reconnue et comment les actions A
et B sont reliées au contenu de R. Or les choix des sujets en situation, s‟ils se laissent
éventuellement décrire par une combinaison de règles, reposent fondamentalement sur la
reconnaissance ou la non reconnaissance des relations, des propriétés et des objets pertinents
de la situation » (Vergnaud, 1989). Entendons par là la reconnaissance ou la non
reconnaissance des invariants opératoires. En effet, pour qu‟une représentation soit
fonctionnelle et serve de point d‟appui à des règles d‟action, elle doit répondre à deux critères
(Vergnaud, 1994b) : d‟une part, elle doit se prêter à des opérations, à des calculs relationnels
permettant la mise en œuvre efficiente de règles d‟action (critère syntaxique), d‟autre part,
elle doit bien refléter d‟une certaine manière le réel (critère sémantique). Or, ces deux aspects
ne sont possibles que s‟il existe des invariances dans le fonctionnement cognitif du sujet,
c'est-à-dire principalement si ce que découpe le sujet dans le réel renvoie invariablement aux
mêmes objets et relations. Notamment, le deuxième critère, renvoyant au principe
d‟homomorphisme entre le réel et la représentation, sous-entend l‟existence d‟une certaine
stabilité dans le démêlage du réel par le sujet. Or, ceci n‟est possible que si le sujet a pu bâtir
dans son expérience des catégories et des concepts, majoritairement inconscients, pour
appréhender le réel. D‟où la nécessité d‟une conceptualisation du réel au fondement de la
représentation. « Les invariants opératoires, c'est-à-dire les objets, propriétés, relations et
processus que la pensée découpe dans le réel pour organiser l‟action, constituent le noyau dur
de la représentation, celui sans lequel ni les inférences, ni les règles d‟action, ni les
prédictions, ni les signifiants n‟ont de sens » (Vergnaud, 1985). Et G. Vergnaud (2001) n‟en
démord pas : « le schème est conceptualisation ou il n'est pas. ».
Alors, avant même d‟expliciter plus encore la manière dont G. Vergnaud analyse les
invariants opératoires, il nous semble nécessaire, à ce niveau de questionnement théorique, de
soulever succinctement une problématique simple mais fondamentale qui interpelle le savoir
expérientiel et qui est soulevée par le postulat d‟une conceptualisation inévitable du réel.
L‟accord des différents champs théoriques qui se sont intéressés au savoir expérientiel sur
cette problématique nous pousse aussi à nous y arrêter. En effet, postuler la nécessité d‟un
découpage du réel par le sujet pour organiser ses conduites et y révéler par là même une forme
de savoir amène à considérer le savoir expérientiel d‟une certaine manière. Disons
simplement que dénouer la complexité du réel renvoie en premier lieu à interroger celui-ci
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plutôt qu‟à lui répondre, rejoignant ainsi « l‟idée que le savoir est celui des questions et non
celui des réponses » (Beillerot, 1996a). Puisque dans le réel, « les données pertinentes sont
immergées dans un ensemble d‟informations peu ou pas pertinentes, sans que soient
clairement exprimées les questions qu‟on peut se poser (…), le traitement de ces situations
suppose à la fois l‟identification des questions et celle des opérations à faire pour y
répondre. » (Vergnaud, 1996b). Ainsi, l‟étape nécessaire de conceptualisation du réel nous
semble principalement mettre en avant les capacités du sujet à questionner le réel de manière
pertinente, en y identifiant les invariances qui y sont pertinentes. Pour cela, un des principaux
aspects de l‟en plus de savoir que nous postulons résiderait dans cette capacité construite dans
l‟expérience subjective : « la plus haute aptitude de la cognition vivante consiste à pouvoir
identifier quelles sont les questions pertinentes qui doivent être posées à chaque instant »
(Varela, 1993). Ainsi, le réel dans lequel évolue le sujet ne se présentant pas à la manière
d‟une simple situation de résolution de problème dans laquelle les questions sont a priori
posées au sujet (Lehmann, 1996), il s‟agit pour lui d‟apprécier ce réel au fur et à mesure de
son activité grâce à ses possibilités de conceptualisation. Ainsi, l‟en plus de savoir que nous
postulons nous semble trouver un élément constitutif dans la capacité du sujet, par
l‟intermédiaire de conceptualisations, à questionner le réel de manière plus ou moins
pertinente pour organiser ses conduites.
Essayons alors maintenant d‟examiner comment G. Vergnaud analyse cette part de
conceptualisation dans l‟action. Dans les invariants opératoires, il distingue deux grandes
catégories qui s‟organisent en fait en trois types logiques. En effet, la première distinction
s‟effectue entre « concepts-en-acte » et « théorèmes-en-acte »1. Les premiers renvoient aux
« catégories établies par le sujet pour prélever l‟information pertinente en situation » et les
deuxièmes renvoient aux « propositions tenues pour vraies par le sujet qui lui permettent de
traiter cette information » (Vergnaud, 1994a). Les « concepts-en-acte » obéissent alors au
principe de pertinence et les « théorèmes-en-acte » à celui de vérité. Car, « un concept n‟est ni
vrai ni faux, il est seulement pertinent ou non pertinent pour catégoriser l‟information utile »,
en revanche, « pour générer des buts, des règles et des actions en situations, il faut des
propositions tenues pour vraies et pouvant se prêter à des calculs d‟inférences. » (ibid.). Mais,
il faut préciser la deuxième distinction en trois types logiques (Vergnaud, 1996b) pour bien
1 Cette distinction est semblable à celle qui pourrait être effectuée entre concepts et théorèmes. Mais la valeur
opératoire des différents invariants, et donc leur caractère inconscient et dynamique, amène Vergnaud à les
nommer concepts-en-acte et théorèmes-en-acte.
47
comprendre cette articulation nécessaire entre pertinence et vérité1. Ainsi, la première logique
d‟invariants est du type « arguments » ; ils sont constitués des concepts-en-acte qui forment
l‟ensemble des éléments et variables découpés dans le réel (objets, relations, nombres,
personnes, etc.) et constituent les matériaux de base pour les deux suivants (Récopé, 1996).
La deuxième logique d‟invariants est du type « fonctions propositionnelles » ; elles sont
composées des concepts-en-acte ou catégories-en-acte et permettent, dans le processus de
sélection des aspects pertinents du réel, l‟insertion de ces aspects dans une représentation
calculable. Par exemple, « Pierre (range) son sac (dans) l‟armoire » est une fonction
propositionnelle à trois arguments ; « le couteau (est à droite de) la fourchette » en est une à
deux arguments, « le ciel (est bleu) » en est une à un argument2. Enfin, la troisième logique
d‟invariants est du type « propositions » ; elles sont constituées des théorèmes-en-acte et sont
donc susceptibles d‟être vraies ou fausses, mais restent tout de même bien souvent implicites.
Ainsi, G. Vergnaud (2001) propose un exemple simple pour distinguer proposition et fonction
propositionnelle, c'est-à-dire vérité et pertinence. « 4 + 3 = 7 et 4 + 3 = 8 sont des
propositions, l‟une vraie l‟autre fausse ; x + 3 = 8 n‟est pas une proposition mais seulement
une fonction propositionnelle, parce qu‟elle (…) n'est vraie que sous la condition de donner à
x une certaine valeur ». Ainsi, Vergnaud insiste sur la nécessité de l‟articulation entre ces trois
formes d‟invariants dans l‟organisation des conduites du sujet. Pour reconnaître le réel, le
sujet doit pourvoir l‟organiser en arguments, lesquels doivent être articulés dans une
représentation calculable à partir de fonctions propositionnelles, sans oublier qu‟ « il n‟y a pas
d‟action sans théorème-en-acte, c‟est-à-dire sans proposition tenue pour vraie sur le réel »
(ibid.).
Il faut alors aussi voir derrière ces distinctions les possibilités pour le sujet de transformer
un type d‟invariant en en autre, révélant par là même un en plus de savoir construit dans son
expérience. La principale possibilité de transformation est celle qui fait passer d‟une fonction
propositionnelle à un argument. Vergnaud (2001) propose alors un exemple en géométrie, à
propos de la symétrie, dans lequel il présente plusieurs énoncés qui caractérisent tous un
exemple de symétrie entre deux triangles. Alors les possibilités pour le sujet de passer d‟un
énoncé à un autre révèlent une transformation dans les types d‟invariants qui organisent son
appréhension du réel. A propos de cette symétrie entre deux triangles, le sujet peut d‟abord
1 De plus, cette deuxième distinction nous semble plus fonctionnelle et heuristique pour le chercheur lorsqu‟il se
sert des invariants opératoires pour observer et analyser les différentes manifestations de savoir dans le réel. 2 Dans cette fonction propositionnelle à un argument, « il faut considérer que le concept de couleur procède de
la construction d‟un descripteur par mise en relation des valeurs particulières qu‟il peut prendre » (Vergnaud,
1996b).
48
considérer que « le triangle A’B’C’ est symétrique du triangle ABC par rapport à la droite d »
et ensuite que « la symétrie conserve les longueurs et les angles ». Ainsi, dans le premier
énoncé la question de la symétrie renvoie à une fonction propositionnelle alors que dans le
deuxième elle est devenue un argument doté de propriétés. Un autre énoncé peut alors être
« la symétrie est une isométrie » dans lequel la conservation des longueurs et des angles
devient à son tour un argument. Et ces transformations peuvent être effectuées à l‟infini,
révélant de cette manière une évolution dans le processus de conceptualisation du réel. Ainsi,
cette distinction d‟invariants du type « arguments » dans le réel est nécessaire pour le sujet
« parce que la transformation des concepts-outils en concepts-objets1 est un processus décisif
dans la conceptualisation du réel » (Vergnaud, 1996b).
Bien entendu, ici, les invariants et transformations d‟invariants sont inévitablement
exposés à partir de signifiants textuels puisqu‟on les présente dans un exposé écrit, mais dans
le réel des conduites, il ne renvoient pas forcément à des signifiants et ne sont même pas
nécessairement accompagnés par eux. Ainsi, pour prendre un exemple dans notre champ, en
basket, à propos du démarquage, le sujet peut conceptualiser le réel de différentes manières. Il
peut considérer qu‟« il faut s’éloigner de Pierre et Paul » ou qu‟« il faut se démarquer de ses
adversaires », ou encore que « le démarquage est nécessaire à la conservation du ballon ».
Il s‟agit maintenant de voir comment un schème, de ses possibilités d‟anticipation,
d‟organisation, de conceptualisation, permet au sujet de s‟ajuster à la singularité de chaque
situation qu‟il rencontre.
Les inférences
Le schème est une organisation systémique qui permet au sujet de questionner le réel et
d‟y proposer une conduite adaptée. A partir de la reconnaissance des aspects pertinents, des
invariants d‟une situation, le sujet organise implicitement sa conduite au regard des buts qu‟il
y investit et des règles d’actions qu‟il peut y mettre en œuvre. Or, chaque situation étant par
définition singulière, un schème doit aussi permettre au sujet de répondre à cette singularité.
Car, « un schème n‟est pas un stéréotype mais une fonction temporalisée à arguments, qui
permet de générer des suites différentes d‟actions et de prises d‟information en fonction des
valeurs des variables de situations. » (Vergnaud, 1996b). Il semble alors que se soient les
inférences (ou processus inférentiels) qui permettent cette gestion de la singularité : elles
« sont indispensables à la mise en œuvre du schème dans chaque situation particulière, hic et
1 Il est fait référence ici à la dialectique outil/objet travaillée par Douady (1986) en didactique des
mathématiques, qui semble proche de cette articulation fonction propositionnelle/argument.
49
nunc » (ibid.). Mais, elles ne se présentent pas à proprement parler comme un ajout dans
l‟organisation systémique constituée par le schème, elles correspondent plutôt à la dimension
synchronique de cette organisation (Vannier, 2002). D‟une certaine manière, même si on peut
les considérer comme composantes du schème, ce sont elles qui relient entre elles les trois
autres composantes et qui, à partir de la reconnaissance du réel, permettent de sélectionner des
buts et des règles d‟action.
On peut alors distinguer avec J.-M. Barbier (1996) trois types de situations, qui, pour lui,
mettent en jeu différents types de savoirs, et dans lesquelles le rôle des inférences nous
semble respectivement de plus en plus important. Premièrement, certaines situations amènent
le sujet à mettre en œuvre les mêmes opérations à partir des mêmes matériaux. Il s‟agit de
situations dans lesquelles les invariants, les buts et les règles d‟action ont déjà été mis en
œuvre antérieurement dans une organisation maintenant stabilisée. On parle alors en général
de situations d‟« entraînement » (Vannier, op. cit.) s‟appuyant sur des « savoirs de routine »
(Barbier, op. cit.). Dans de tels cas, les inférences n‟ont qu‟un faible rôle, si ce n‟est d‟ajuster
quelque peu la reconnaissance des invariants. On peut y voir par exemple la répétition de pas
de danse, de techniques d‟immobilisation en judo, de tirs au but face à un même gardien au
football, etc. Deuxièmement, certaines situations conduisent le sujet à mettre en jeu des
opérations similaires, mais à partir de matériaux variables. Dans ces cas, la reconnaissance
des invariants est plus complexe, elle nécessite un renforcement de cette reconnaissance et
une ouverture de son lien avec des buts et des règles d‟action. Ainsi, le rôle des inférences y
est plus grand puisqu‟il s‟agit d‟adapter l‟organisation systémique du schème à des situations
plus ou moins vastes dans lesquelles la reconnaissance des invariants nécessite une prise
d‟initiative plus grande de la part du sujet. On parle alors souvent de situation
d‟« élargissement » (Vannier, op. cit.), s‟appuyant sur des « savoirs procéduraux » (Barbier,
op. cit.). Ce type de situations renvoie par exemple à la réalisation d‟une technique
d‟immobilisation précise en judo sur une diversité d‟adversaires ou à la répétition de gestions
offensives d‟un deux contre un en football. Enfin, d‟autres situations renvoient à la mise en
œuvre d‟opérations variables à partir de matériaux variables. Dans ce type de situations, la
reconnaissance d‟invariants se fait par ajustement, par adaptation, de même que leur mise en
relation avec des règles d‟actions et des buts. Leur gestion par un sujet s‟appuie sur des
formes de savoirs complexes à caractériser. Ce sont alors seulement ces savoirs que J.-M.
Barbier (op. cit.) nomme « savoirs d‟action ». Mais pour que ceux-ci puissent être
véritablement reconnus comme savoirs, une certaine régularité doit nécessairement leur être
attribuée. Et cette régularité réside pour lui dans « les heuristiques qui permettent de les
50
produire » (ibid.). Nous voyons alors dans le fondement de ces « heuristiques » la présence de
processus inférentiels divers et complexes ayant alors un rôle primordial dans la gestion de ce
type de situations. Il s‟agit alors pour le sujet d‟être capable de décombiner et recombiner les
différents composants des schèmes préexistants par l‟intermédiaire de processus inférentiels
qui prennent la forme de « moyens heuristiques de types analogiques, métaphoriques,
métonymiques et de possibilités d‟invention. » (Vergnaud, 1996a). Ces processus permettent
ainsi la construction d‟invariants par la reconnaissance d‟une certaine parenté, d‟une certaine
analogie1 avec des invariants déjà construits par le sujet. Cette analogie établie par le sujet,
bien que souvent inconsciente, lui permet ainsi une part de maîtrise de ces situations. Celles-ci
peuvent alors renvoyer par exemple à la réalisation d‟un combat libre en judo par un novice
ou à la gestion d‟un deux contre un en football par un pratiquant de rugby.
Cette classification des situations en trois sortes, dans lesquelles le rôle des processus
inférentiels semble de plus en plus fondamental, et les exemples que nous leur avons associés
ne sont pas arrêtés puisque seule la connaissance précise de l‟expérience antérieure du sujet
peut permettre de savoir la part nécessaire des inférences qui pilotent la maîtrise de ses
conduites. Elle nous permet cependant simplement d‟expliciter le rôle des processus
inférentiels dans les conduites d‟un sujet. Ce sont eux qui permettent d‟ajuster un ou plusieurs
schèmes aux situations rencontrées dans le présent. Ils permettent principalement, dans les
deux dernières catégories de situations, d‟élargir, de restreindre, voire transformer
qualitativement la portée de ces schèmes ; ceci par des processus déjà décrits par G. Vergnaud
(1996b) : délocalisation, généralisation, transfert, décontextualisation, restriction,
accommodation. Les inférences sont donc à la base de l‟universalité des schèmes : « un
schème est toujours un universel puisqu‟il est associé à une classe (de situations), et qu‟en
outre cette classe n‟est pas en général finie. » (Vergnaud, 1996b). Nous pensons qu‟elle n‟est
en fait jamais finie, puisque toute situation s‟inscrit avant tout dans la globalité du réel.
Cette analyse des schèmes à partir des quatre composants proposés par G. Vergnaud nous
a permis d‟établir une structure théorique capable de décrire la dynamique du savoir
expérientiel et du réel qui le supporte. S‟il fallait à cette étape de construction théorique
donner une définition de ce savoir expérientiel, nous retiendrions synthétiquement qu‟il forme
une organisation globale dynamique singulière constituée d‟invariants, répondant à
1 On considère avec Daniel Durand (2004) que les moyens métaphoriques ou métonymiques sont en fait des
formes spécifiques d‟analogies. De même, les possibilités d‟invention nous semblent relever d‟un
enchevêtrement subtil d‟analogies, éventuellement associées à des règles déductives et/ou inductives.
51
l‟initiative du sujet dans sa relation à des situations réelles. Ainsi, l‟en plus de savoir que
nous attribuons à l‟expérience subjective résiderait dans les différents aspects du savoir que
l‟on vient d‟expliciter et qui nous semblent pouvoir être contenus de manière exhaustive dans
cette définition. Toutefois celle-ci comporte deux ellipses intentionnelles qui marquent deux
problématiques qui nous semblent fondamentales dans la description du savoir expérientiel,
mais que la théorisation en terme de schème de nous semble pas pouvoir endosser à part
entière. On les a déjà évoquées dans notre parcours épistémologique, il nous semble
maintenant nécessaire de les développer pour pouvoir prendre en compte certains aspects
fondamentaux du savoir expérientiel dans la partie empirique de notre recherche. La première
renvoie à la question de la stabilisation épistémologique et historique des savoirs,
particulièrement par l‟intermédiaire des signifiants. Toute recherche en didactique ne peut
l‟esquiver. Même si ce sont les aspects subjectifs du savoir qui nous préoccupent, on ne peut
pas éviter ce questionnement qui par ailleurs interroge lui aussi la dimension expérientielle du
savoir. Qu‟en est-il du savoir historiquement constitué et des signifiants dans le savoir
expérientiel ? La deuxième renvoie à la question déjà soulevée de l‟immédiateté du savoir
expérientiel. Le schème, étant par essence conceptualisation, postule déjà un intermédiaire
représentationnel dans la gestion du réel par le sujet. Or l‟expérience, particulièrement dans
des APSA, est avant tout une expérience corporelle qui ne semble pas forcément nécessiter
cet intermédiaire. Qu‟en est-il du corps dans le savoir expérientiel ?
Il s‟agira alors au final de compléter notre définition à partir de ces deux aspects, qui
nous semblent en fait être recouverts par une problématique plus générale, celle de la
distanciation relative entre savoir et sujet. Disons pour l‟instant que toute forme de savoir
nous semble être située sur un continuum de distanciation entre un savoir parfaitement
incorporé et un savoir parfaitement institutionnalisé, en passant par des étapes
représentationnelles et conceptuelles.
Avant de mener ce travail théorique, on rappelle que nous nous étions arrêtés au schéma
1, à un positionnement du savoir vis-à-vis du sujet, du réel et des institutions ; on tente
maintenant, dans le schéma suivant (schéma 2), de lui donner contenu à partir des termes qui
nous servent d‟analyseur du savoir expérientiel.
Dans ce schéma, on passe alors à la loupe un savoir, c'est-à-dire, dans le schéma 1 (p.31),
une double flèche. Puis, on présente une vision analytique des 7 aspects du savoir expérientiel
que nous retenons pour l‟instant. Ce sont ceux avec lesquels, dans un premier temps, nous
52
interrogerons la transposition didactique du savoir expérientiel, pour, dans un deuxième
temps, analyser les pratiques effectives formant le terrain de cette recherche.
53
Schéma 2 : D’une épistémologie de la pratique à la théorisation du savoir expérientiel
Situation
Sujet
Réel
SAVOIR (Organisation globale)
Représentation conceptuelle
Invariants
Initiative
Buts
Règles
inférences Inférences
(analogies)
inférences
Acte
??? Institutions,
signifiants ???
??? Relation immédiate ???
En ce qui concerne le savoir expérientiel, il faut retenir pour l‟instant :
- qu‟il renvoie à une organisation globale, c'est-à-dire que les différents éléments
qui le constituent ne sont pas séparés par le sujet
- qu‟il renvoie à une organisation dynamique singulière non amputable des
situations réelles qui la supportent, c'est-à-dire que la singularité de chaque situation
spécifie ce savoir expérientiel et ne peut donc être exclue de celui-ci.
- qu‟il répond à l‟initiative du sujet, c'est-à-dire qu‟il ne se réfère pas à une autorité
extérieure et se révèle dans les décisions et les choix du sujet effectués à partir des buts qu‟il
investit dans ses conduites
- qu‟il est, pour une grand part, représentationnel et conceptuel, c'est-à-dire que
l‟identification et le traitement des situations par le sujet sont effectués à partir des
catégories et concepts qui lui appartiennent et lui permettent de questionner le réel.
- qu‟il est inévitablement constitué d‟invariants, c'est-à-dire que ces catégories et
concepts permettent au sujet de reconnaître avec une certaine stabilité les relations, les
propriétés et les objets pertinents de chaque situation
- qu‟il fonctionne à partir de processus inférentiels, c'est-à-dire que la singularité de
chaque situation nécessite une organisation inédite de tous les composants du savoir et que
cette gestion de la singularité repose sur des inférences effectuées à partir des invariants
reconnus dans la situation par rapport à ceux que le sujet a déjà construit
- qu‟il comporte un part très automatisée, c'est-à-dire qu‟il s‟appuie sur des règles
bâties dans l‟expérience à partir desquelles la reconnaissance des invariants dans une
situation va pouvoir s‟actualiser dans une chaîne de conditions et d‟actions.
Décisions, choix
54
2.1.3 La distanciation sujet/savoir : corps, représentations et signifiants
La caractérisation du savoir expérientiel que nous venons d‟établir se situe
principalement au niveau du traitement cognitif des situations. Elle nous éclaire sur la manière
dont un sujet peut organiser ses conduites à partir d‟une représentation calculable du réel,
d‟une reconnaissance de ces propriétés, ces objets et relations pertinents, d‟une adaptation
inférentielle, toutes construites par son expérience. Si elle nous donne déjà une structure
théorique capable de décrire différents aspects du savoir expérientiel susceptibles de
constituer l‟en plus que nous postulons, elle nous semble encore laisser de côté d‟autres
aspects qui lui sont fondamentaux. Il s‟agit alors maintenant principalement d‟aller voir au-
delà du cognitif.
En effet, nous avons souligné dès le début les aspects normatifs et l‟inscription
institutionnelle des savoirs. Nous avons postulé la nécessité d‟une distanciation entre le sujet
et le réel pour que soit construit véritablement du savoir ; ceci au travers d‟une normativité
intersubjective soutenue par les institutions, ou, tout au moins, par l‟effet du retour du sujet
sur lui-même. Dans la mesure où l‟expérience renvoie avant tout à la pratique, à la
responsabilité du sujet dans ses actes, nous avons laissé de côté jusqu‟à maintenant les aspects
institutionnels du savoir. Or, une grande majorité des savoirs existent en dehors du sujet, ils
sont « déjà-là », c'est-à-dire reconnus et constitués, capitalisés et hiérarchisés, bref, ils ont des
existences institutionnelles. Ainsi, de par son inscription sociale, une grande partie de
l‟expérience du sujet renvoie à son expérience institutionnelle, c'est-à-dire son expérience
auprès de savoirs reconnus et partagés. On ne peut donc éviter, dans l‟analyse du passage de
l‟expérience au savoir, l‟examen du poids de l‟expérience institutionnelle sur la constitution
du savoir expérientiel. Il s‟agit en fait d‟identifier dans quelle mesure et par quels
intermédiaires la stabilisation des savoirs dans des institutions influe sur la stabilisation des
savoirs pour le sujet. On verra par ailleurs que cet examen est inévitable dans une étude
didactique.
Nous avons aussi souligné le caractère immédiat du savoir expérientiel, considérant
celui-ci comme une relation sans intermédiaire entre le sujet et le réel. Or cette idée
d‟immédiateté nous semble questionner le savoir expérientiel au-delà des interprétations
cognitives ou tout au moins dans une approche différente du cognitif. Ce questionnement
renvoie à la dimension corporelle de l‟expérience et donc au passage d‟une expérience
corporelle à du savoir. Car cette création potentielle de savoir nous semble se situer en deçà
55
d‟une expérience cognitive telle que nous l‟avons décrite. Et effet, cette immédiateté du savoir
expérientiel ne suppose pas un intermédiaire représentationnel pour organiser les conduites du
sujet. Il s‟agit donc d‟identifier dans quelle mesure l‟inscription corporelle du sujet dans son
expérience constitue un des fondements de l‟en plus de savoir que nous postulons. Il faut alors
maintenant s‟attacher à examiner comment ce lien immédiat du sujet avec le réel, sensible,
perceptif et incarné, peut-être une source de savoir pour le sujet.
Il semble ainsi que ces deux aspects, institutionnel et corporel, du savoir expérientiel
forment deux voies d‟ouverture pour caractériser celui-ci plus précisément. Mais, il semble
aussi que ces deux aspects s‟ouvrent dans des directions diamétralement opposées. D‟un côté,
l‟expérience institutionnelle distancie le sujet du savoir en le stabilisant, de l‟autre,
l‟expérience corporelle génère un savoir incarné qui remet en question la stabilité, la
distanciation et donc la transmissibilité de ce savoir. Ainsi, à partir de cette opposition, il
s‟agira aussi de questionner cette question de la stabilisation et de la distanciation
relativement aux différents aspects que nous avons attribués au savoir expérientiel1.
a. L’expérience institutionnelle : stabilisation des savoirs et signifiants
L‟expérience de l‟acte pour le sujet est inscrite institutionnellement. La place du savoir
dans cette expérience n‟est pas celle d‟une pure création subjective, elle renvoie aussi à la
rencontre de savoirs déjà constitués, ayant une légitimité extrinsèque au sujet : une légitimité
épistémologique, historique et culturelle. En effet, toute création de savoir s‟inscrit dans un
champ de pratique déjà existant et historiquement constitué. Ainsi, il existe déjà une diversité
de savoirs obéissant à des règles logiques et axiomatiques organisant chacun de ces champs.
Nous l‟avons déjà soulevé, la création de savoirs pratiques est contrainte par la structure
épistémologique/technologique et axiomatique/règlementaire de chaque activité. Par exemple,
en volley-ball, le joueur ne peut pas porter la balle, il doit la frapper ; il doit alors organiser sa
conduite et les savoirs qui lui sont sous-jacents à partir de cette contrainte. De même, par
extension, cette contrainte entraîne des règles logiques à partir desquelles le joueur va devoir
positionner son corps par rapport au ballon, construire des repères spécifiques, des stratégies
offensives ou défensives. Ainsi, toute création de savoir ne vaut que de son rapport à des
1 Cette distanciation relative interroge déjà la question de la transmissibilité d‟un savoir, que nous postulions
comme nécessaire à la véritable existence de celui-ci. L‟inscription institutionnelle d‟un savoir renforce cette
transmissibilité et donc cette existence en la rendant « signifiante ». Mais, vis-à-vis des aspects corporels et
même de certains autres aspects que nous avons déjà décrits, le sujet ne peut pas toujours s‟en distancier de la
même manière. Peuvent-ils être transmis ? De quelle manière ? On analysera cette question de la transmissibilité
des différents aspects du savoir expérientiel dans la partie proprement didactique de notre cadre théorique, en
s‟attachant pour l‟instant à interroger celle de la distanciation relative sujet/savoir.
56
règles logiques et axiomatiques fondant un champ d‟activité. Alors, lorsqu‟on s‟intéresse à la
construction expérientielle des savoirs il faut certes « analyser au plus près la formation et le
fonctionnement des connaissances des sujets individuels », mais aussi « tenir compte au plus
près des savoirs sociaux constitués (scientifiques, techniques, culturels, pratiques…) »
(Vergnaud, 1985). Et il faut surtout remarquer que ces règles et ces savoirs constitués qui leur
sont associés n‟ont en fait qu‟une seule justification : celle de pouvoir être partagés. Ces
savoirs constitués que le sujet rencontre dans son expérience institutionnelle n‟existent que
pour être échangés, communiqués, transmis. Leur légitimité réside alors dans leur normativité.
Ils permettent aux sujets de coordonner leurs conduites à partir d‟ententes communes, de
conventions épistémologiques, et ainsi de stabiliser, capitaliser, organiser et hiérarchiser toute
création de savoir. Et c‟est à ce niveau qu‟interviennent les institutions : elles sont établies
conventionnellement (Lewis, 1968), dans un but coordinateur, et permettent de constituer et
figer les savoirs. Les institutions donnent une existence symbolique aux savoirs. Nécessités
anthropologiques, elles sont la principale voie d‟accès au savoir dans ses aspects symboliques,
c'est-à-dire celui qu‟il est aisé d‟échanger car il a comme matrice non plus le réel mais un
code commun : le langage. En effet, la nécessité de partager et communiquer le savoir requiert
de s‟extraire de l‟appréhension subjective du réel pour l‟inscrire dans un arbitraire symbolique
partageable. Ainsi, l‟expérience institutionnelle semble confronter le sujet à une forme de
savoir plus détachée du réel et qui a à voir avec les symboles. « Artificiel dans la mesure où sa
forme et sa signification se font plus abstraites, son origine elle-même ne peut plus être
cherchée dans les choses. (Le symbole) implique comme une complicité, une entente avec
autrui. Il a nécessairement pour matrice la société. » (Wallon, 1942). Et, cette artificialité
conventionnelle des symboles entraîne une division entre le savoir inscrit dans le réel et celui
qui peut être partagé. « Avec eux le dédoublement est consommé entre eux-mêmes et ce
qu‟ils indiquent. Ils sont un instrument de signification (…). Ils opposent signifiant et
signifié. » (Ibid.). C‟est donc particulièrement du côté des signifiants qu‟il faut identifier les
aspects symboliques du savoir expérientiel.
Pour comprendre le rôle des signifiants dans la construction du savoir expérientiel, il
s‟agit alors de souligner leur existence spécifique et autonome. Car ils ne sont en aucun cas le
simple prolongement de l‟activité pratique du sujet, ils ne peuvent être déduits des schèmes
que celui-ci a bâtis au cours de son expérience. S‟ils ont une influence sur la construction des
invariants opératoires du sujet, ils ont pourtant bien une existence parfaitement indépendante
de ceux-ci. Ils ne s‟organisent et ne se hiérarchisent pas de la même manière. « On ne classe
pas les signifiés selon les mêmes critères que les signifiants : alors que les premiers
57
s‟organisent en invariants de différents niveaux, les seconds s‟organisent en répertoires de
signes munis de règles syntaxiques. » (Vergnaud, 1987). Cette division essentielle entre
représentations conceptuelles et signifiants a été introduite en linguistique par Saussure au
début du siècle dans son Cours de linguistique générale (1972) et a été repris dans plusieurs
champs1 pour souligner de différentes manières le statut fondamentalement spécifique des
signifiants. Il s‟agit alors bien de comprendre que les signifiants, s‟ils ont un lien analogique
avec les signifiés, lien que Saussure nomme l‟axe « paradigmatique », trouvent
particulièrement leur sens de par leur lien avec les autres signifiants, nommé l‟axe
« syntagmatique ». Les signifiants ne sont donc pas une simple abstraction des signifiés, bien
au contraire, leur relation purement arbitraire renvoie en fait à une confrontation entre deux
contenus psychiques issus de deux objets réels distincts : le symbole et le référent. « Le
symbole au sens étroit du mot est un objet, mais un objet qui est le substitut d‟autres réalités
(…). Il échange sa propre réalité contre celle qu‟il représente. Il devient une signification. Il
n‟est pas en lui-même une représentation, puisqu‟il est quelque chose de concret. » (Wallon,
1942). Ainsi, lorsque, dans son expérience, le sujet se confronte à un symbole, « c‟est lui le
terme concret et son objet qui est l‟abstrait » (ibid.). En conséquence, si l‟on s‟attache à
identifier la place des signifiants dans le savoir expérientiel, il faut bien les distinguer des
autres aspects de ce dernier, ceux construits dans l‟expérience pratique, et donc leur attribuer
un statut spécifique et parallèle à ces aspects.
Toutefois, on ne peut négliger leur place fondamentale dans le savoir expérientiel. Car,
d‟une part les signifiants propres à une activité et leur articulation spécifique font partie
intégrante de l‟expérience du sujet dans cette activité et, d‟autre part, ils ont une influence sur
la constitution d‟autres aspects du savoir expérientiel. En effet, sans même s‟interroger encore
sur cette influence, le simple fait de savoir quels sont les signifiants utilisés dans une activité
pour désigner ses différentes propriétés constitue un élément de l‟en plus de savoir construit
dans l‟expérience du sujet. Ainsi, de par sa connaissance de ces signifiants, le sujet est
capable de faire référence à l‟activité sans pour autant y être directement confronté. Car, « le
langage a cette vertu exceptionnelle, par rapport à la perception et à l‟action, de permettre de
faire référence à des objets absents » (Vergnaud, 2001). Demeurant indépendants de la
pratique, les signifiants permettent au sujet de s‟y référer en son absence et constituent alors
1 On pense principalement à l‟œuvre de Lacan en psychanalyse dans laquelle la question du signifiant a été
centrale, mais aussi à tout le courant structuraliste en sciences humaines qui, influencé par cette distinction, s‟est
appuyé d‟une certaine manière sur une position épistémologique similaire. On trouve alors aussi, comme on l‟a
montré, cette distinction en psychologie du développement ou en psychologie cognitive chez Wallon et chez
Piaget. Ainsi, la didactique n‟a pu éviter cette question comme le montrent les travaux de Vergnaud, mais aussi,
sous d‟autres formulations, ceux de Brousseau, Rouchier ou encore Brun.
58
un aspect relativement autonome du savoir expérientiel. Mais, cette autonomie est en fait bien
relative, puisque les signifiants ont toutefois un poids non négligeable sur les aspects
représentationnels et conceptuels du savoir expérientiel. En effet, s‟il faut bien distinguer les
signifiants des représentations conceptuelles sous-jacentes au savoir expérientiel, le langage
contribue cependant à la construction de ces représentations. Il facilite « l‟analyse des
situations et des configurations en termes de prédicats et d‟objets » (Vergnaud, 2001). Il est
alors un soutien à la construction des invariants opératoires par le sujet. Les signifiants,
formant des invariants langagiers, permettent de stabiliser ces invariants opératoires en les
objectivant. « L‟invariance du signifiant contribue à la meilleur identification du signifié et à
sa transformation en un objet de pensée. » (Vergnaud, 1996b). La nominalisation de certaines
propriétés d‟une situation permet alors d‟y délimiter plus clairement des objets fondamentaux
dans le processus de conceptualisation de l‟action. Elle participe alors notamment à la
transformation que nous avons décrite plus haut, celle des invariants opératoires de type
fonction propositionnelle en invariants de type argument. Par exemple, en basket-ball, nous
proposions précédemment de distinguer trois conceptualisations sous-jacentes à l‟activité du
sujet à propos du démarquage. Nous avons différencié notamment deux fonctions
propositionnelles : « il faut se démarquer de ses adversaires » et « le démarquage est
nécessaire à la conservation du ballon ». On peut alors considérer ici que des signifiants
comme « démarquage » et « conservation du ballon » permettent de faire évoluer et de
stabiliser la conceptualisation sous-jacente à l‟activité. La question du démarquage passant
d‟une fonction propositionnelle à un argument doté de propriétés, on peut inférer une nouvelle
organisation de la conduite. Dans ce cas, l‟objectivation de l‟argument « démarquage » a pu
être accompagnée et stabilisée par sa nominalisation et par celle d‟une de ses propriétés, la
« conservation du ballon ». Il semble donc que les signifiants, au-delà de leur autonomie dans
le savoir expérientiel, soient aussi en relation avec le processus de conceptualisation sous-
jacent aux conduites du sujet. Dans notre tentative d‟identification de l‟en plus de savoir, il
s‟agira donc de prendre en compte les aspects proprement langagiers parallèles aux
représentations conceptuelles mais aussi leurs interrelations.
Nous avons donc proposé de voir dans la dimension symbolique du savoir l‟aspect le
plus fondamental du savoir issu de l‟expérience institutionnelle. Les institutions figent
symboliquement les savoirs en les définissant, les articulant et les hiérarchisant à partir
d‟invariances. Et ce sont les invariants langagiers qui, s‟appuyant sur un code commun, sont
les plus propices à être reconnus et partagés par une institution donnée. Nous avons donc
privilégié ici cette dimension afin de l‟intégrer à notre identification des différents aspects du
59
savoir expérientiel. Mais, bien sûr, les institutions n‟ont pas seulement une influence sur la
construction des signifiants pour le sujet. Déjà, en proposant des signifiants qui lui sont
propres, une institution oriente « les invariants opératoires dans des formes conventionnelles
pour une communauté donnée. » (Vergnaud, 2001). Elle crée des catégories cognitives
(Sensevy, 2002). Ensuite, en proposant certaines pratiques et en rejetant d‟autres, elles créent
directement des invariances au niveau des conduites et de leur organisation. « Les routines
construites au sein des institutions sont alors censées permettre aux acteurs d‟interpréter leurs
rôles respectifs en reconnaissant au fur et à mesure de l‟évolution des actions réciproques une
sorte de recommencement commun et producteur d‟un sens partagé » (Schubauer-Léoni,
1997). Elles créent ainsi un sens partagé qui se passe de signifiants et qui peut être généré
dans une reconnaissance commune de ce qui organise les conduites : des buts, des invariants
opératoires, des règles, etc.1
L‟expérience institutionnelle réside pour le sujet dans sa confrontation aux éléments
partageables du savoir. L‟en plus de savoir issu de cette expérience réside alors
principalement dans les signifiants qu‟il y a rencontrés et dans leur interrelation avec les
invariants opératoires qu‟ils sont censés désigner. Ces aspects du savoir expérientiel apportent
ainsi de nouveaux éléments à sa théorisation en élargissant l‟expérience proprement cognitive
à son inscription institutionnelle et en révélant ainsi son « existence signifiante » (Brun,
1996). Mais cette ouverture est unidirectionnelle dans la mesure où elle a tendance à
uniquement distancier le sujet de son savoir expérientiel en le figeant symboliquement. Or, il
nous semble aussi que, dans une perspective opposée, certains aspects du savoir expérientiel
sont marqués par une absence fondamentale de distanciation, dans la mesure où ils constituent
une relation immédiate entre le sujet et le réel. Nous les attribuons à l‟expérience corporelle.
b. L’expérience corporelle : des savoirs en deçà des représentations
L‟expérience du sujet est inscrite corporellement. Les savoirs qui en émergent ne
renvoient pas simplement aux processus et aux produits d‟une machine cognitive désincarnée,
éventuellement assujettie aux institutions, et organisatrice de conduites. Toute pratique, a
fortiori dans le champ qui nous intéresse, est corporelle. Ainsi, l‟analyse du savoir
expérientiel ne peut se passer de l‟examen de cette dimension.
1 Les pratiques institutionnelles orientent aussi, sans passer par des signifiants, l‟organisation des conduites du
sujet. Toutefois, ce constat ne nous apporte pas un nouvel aspect identifiable de l‟agencement du savoir
expérientiel, puisque ces pratiques ne modifient pas la structure de ce savoir, elles en orientent simplement le
contenu. Nous ne les intégrons donc pas dans cette partie théorique.
60
Dans notre parcours théorique et épistémologique, nous avons plusieurs fois souligné une
caractéristique spécifique du savoir expérientiel. Inséparable du sujet et du contexte dans
lequel celui-ci émerge, il comporte un caractère immédiat. Il renvoie alors dans cette
perspective à une relation immanente entre le sujet et le réel (Juranville, 1982), il est avant
tout vécu dans le présent de toute expérience (Bourdieu, 1980) et les règles qui le constituent
ne fonctionnent pas toutes à partir d‟un intermédiaire représentationnel (Vergnaud, 1994b).
Afin d‟identifier la dimension corporelle du savoir expérientiel, c‟est alors au-delà de cet
intermédiaire que nous devons mener son analyse.
En effet, dans notre modélisation actuelle du savoir expérientiel (schéma 2), on peut
remarquer que presque tout ce qui semble pouvoir constituer un en plus de savoir réservé à
celui qui a expérimenté, n‟échappe pas à cet intermédiaire représentationnel. Jusqu‟ici, de
l‟initiative du sujet à l‟acte, il semble que le traitement du réel par le sujet ne puisse échapper
à cette étape de substitution qui consiste en premier lieu à représenter le réel pour pouvoir
organiser ses conduites. Or, ce postulat d‟un intermédiaire nécessaire s‟ancre dans une
approche cognitiviste classique des conduites, laquelle ne constitue pas aujourd‟hui un
paradigme inébranlable. L‟approche de l‟enaction semble être alors une voie épistémologique
pour le subvertir et par là même une voie théorique pour identifier le savoir expérientiel au-
delà de la représentation. F. Varela (1993), tête de file de ce paradigme, décrit ainsi cet
intermédiaire représentationnel comme la « supposition cognitiviste fondamentale », soit celle
d‟un niveau distinct, ayant ainsi une autonomie relative, constitué de représentations servant
de bases aux computations symboliques effectuées par le sujet (ou le système cognitif).
Postulant « l‟immédiateté de notre propre expérience », il considère alors que cette
supposition est aujourd‟hui un frein à la compréhension de l‟organisation globale des
conduites. Car, prendre la représentation comme intermédiaire nécessaire entre le réel et le
sujet amène à désincarner ce dernier, c'est-à-dire à considérer le sujet et le réel comme
séparés. En effet, si la représentation est la notion centrale pour comprendre l‟organisation des
conduites, on ne peut dépasser cette séparation : soit la représentation constitue une
reconstruction subjective d‟un réel extérieur, soit elle renvoie à une projection des structures
subjectives dans un réel extérieur. En tout cas, elle ne permet en aucun cas de prendre en
compte l‟inscription corporelle du sujet dans le réel. Or, cette inscription corporelle est au
centre de toute expérience et de toute organisation de conduite. « La cognition dépend des
types d‟expérience qui découlent du fait d‟avoir un corps doté de diverses capacités sensori-
motrices » (Varela, 1993). Alors, au-delà de la position épistémologique qu‟elle sous-entend,
cette perspective nous conduit à nous interroger sur les éléments constitutifs du savoir
61
expérientiel en dehors des représentations1, c'est-à-dire ceux qui semblent spécifiques au
corps.
Si cette perspective s‟ancre dans une controverse relativement récente dans le champ des
sciences cognitives, l‟idée selon laquelle le corps est source de savoir tient une place
importante dans l‟histoire des idées. Qu‟il s‟agisse des débats entre philosophes grecs,
soutenant pour certains, tel Protagoras, que le savoir est issu de la sensation, ou des thèses
sensualistes de Maine de Biran ou Condillac posant les sens comme foyers de la connaissance
cette perspective a ouvert de nombreuses réflexions sur la place du corps dans la construction
du savoir. Trouvant son apogée en philosophie dans l‟approche phénoménologique,
particulièrement celle de M. Merleau-Ponty, l‟idée selon laquelle « le corps est le champ
primordial qui conditionne toute expérience » (Merleau-Ponty, 1945), a inspiré et
accompagné au 20ème
siècle de nouvelles perspectives scientifiques pour étudier la
conscience, l‟intelligence et la construction des connaissances. Si l‟approche de l‟enaction,
telle qu‟elle est développée par F. Varela en constitue le meilleur exemple, le postulat
piagétien2 d‟une intelligence sensori-motrice propose déjà une posture épistémologique
similaire. Lorsque Piaget parle d‟intelligence sensori-motrice, il considère en effet que les
constructions établies par le sujet pour organiser ses conduites « s‟effectuent en s‟appuyant
exclusivement sur des perceptions et des mouvements, donc par le moyen d‟une coordination
sensori-motrice des actions sans qu‟intervienne la représentation ou la pensée. » (Piaget,
1968). De la même manière, H. Wallon (1965) postule aussi une construction des
connaissances fondée en premier lieu sur la perception et la motricité, à partir de postures et
de mouvements. Toujours dans cette perspective, la naissance et le développement des
neurosciences révèlent aussi la volonté d‟étudier l‟inscription corporelle de la connaissance et
de l‟apprentissage, au travers par exemple de travaux sur le contrôle moteur (Schmidt, 1988),
la perception, la sensation ou encore la proprioception (Sherrington, 1933)3.
1 Cette prise en compte des éléments, hors représentations, constitutifs du savoir expérientiel ne consiste pas à
laisser de côté par la suite ceux qui appartiennent aux représentations. Il s‟agit seulement d‟une tentative
d‟identification la plus exhaustive possible des différents éléments formant l‟en plus de savoir que nous
postulons. 2 Il ne s‟agit pas ici d‟attribuer aux travaux de Piaget un ancrage phénoménologique, mais bien de présenter
l‟importance du corps dans la construction des connaissances chez cet auteur. 3 La brève énumération de ces travaux ne consiste pas à entamer une réflexion sur « les sièges
neurophysiologiques du savoir expérientiel ». Il ne s‟agit pas de poursuivre l‟analyse en identifiant les facteurs
anatomiques qui pourraient donner un contenu à l‟en plus de savoir que nous postulons. Si l‟expérience influe
par exemple sur la multiplicité et l‟organisation des connexions synaptiques ou sur la plasticité des récepteurs
neuromusculaires, la prise en compte de ces facteurs se révèle parfaitement inadaptée dans notre étude. En effet,
la perspective de leur transmission constitue un non sens épistémologique absolu.
62
Il nous semble alors que pour examiner la dimension corporelle du savoir expérientiel,
celle qui se passe de représentation, le concept de sensation peut s‟avérer particulièrement
pertinent. En effet, du latin sensatio qui signifie compréhension, la sensation sous-entend à la
fois la dimension immédiate corporelle de l‟expérience et la genèse potentielle d‟un savoir.
« Etat brut et immédiat conditionné par une excitation physiologique susceptible de produire
une modification consciente » (Lalande, 1926), la sensation renvoie à ce qui est ressenti et
éprouvé1 par le sujet de par son interaction avec l‟environnement. Ainsi, elle ne se confond
pas avec la perception, qui renvoie déjà à une première forme de conceptualisation du réel,
c'est-à-dire finalement à une « sensation représentée ». La sensation pure se différentie alors
de la perception, comme on peut distinguer par exemple l‟état corporel causé par une
détonation sans que ne soient représentés sa direction, sa distance ou sa cause de l‟état
cognitif établi à partir de la perception de ces dimensions et de leur inscription inévitable dans
un réseau conceptuel de significations. On peut évidemment identifier la spécificité de cet état
corporel dans le champ des APSA. Par exemple, en volley-ball, la maîtrise de l‟action de
réception de service passe par l‟expérience de sensations spécifiques, au-delà de perceptions
et des représentations conceptuelles tout aussi nécessaires. Ainsi, la maîtrise de cette action
passe notamment par ce que l‟on nomme « l‟attaque de la balle ». Il s‟agit pour le
réceptionneur, dans un souci d‟efficacité, de ne pas subir la force exercée par le ballon frappé
par le serveur ; il doit alors « attaquer la balle », c'est-à-dire placer son centre de gravité le
plus proche possible de l‟impact, être gainé, être en équilibre dynamique et accompagner la
balle avec tout son corps en direction du passeur. Mais, si la perception et la reconnaissance
de ces éléments permettent au réceptionneur de mieux maîtriser « l‟attaque de la balle », c‟est
aussi la sensation agréable2 d‟un contact long avec la balle, d‟un équilibre bien ajusté, d‟une
maîtrise corporelle de la force exercée par le ballon qui signe l‟expérience de « l‟attaque de la
balle »3. A ce niveau là, la sensation devient alors aussi source de savoir pour le sujet.
Toutefois, elle ne peut le devenir que dans la mesure où l‟on considère « l‟histoire de cette
sensation ». Car, il faut inévitablement que le sujet ait déjà vécu une expérience de cette
1 On soulignera l‟importance fondamentale, pour analyser l‟expérience, du ressenti et de l‟éprouvé. Ces derniers
renvoyant à la définition même de l‟expérience, que l‟on peut étayer par exemple d‟une phrase comme « C‟est
une expérience qu‟il ne recommencera pas ! », sous-entendant qu‟une sensation désagréable, de douleur ou de
peur, en est le fondement. 2 On peut qualifier une sensation d‟agréable. Ceci soulève une question concernant un autre élément constitutif
du savoir expérientiel : les émotions et les affects. Nous ne les prendrons pas en compte dans cette partie
théorique. 3 Bien entendu, l‟énumération de ces sensations est par nature arbitraire, puisqu‟il s‟agit d‟une nominalisation
d‟états corporels subjectifs. Nous y reviendrons. Notons toutefois que l‟on tente de se référer ici à des sensations
issues de l‟expérience personnelle du chercheur.
63
sensation pour que celle-ci puisse s‟inscrire dans sa propre histoire corporelle et constituer
ainsi une part de l‟en plus de savoir issu de l‟expérience. Or, cette nécessité d‟une « histoire
de la sensation » pose tout de même un problème logique. Si la sensation est un état corporel
brut et immédiat, il reste ambigu de parler de son historicité. Car, « sentir aujourd‟hui la
même chose qu‟hier, cela n‟est pas sentir. C‟est se souvenir aujourd‟hui de ce qu‟on a ressenti
hier » (Pessoa, 1994). Nous considèrerons alors que la sensation, lorsque l‟on tente de
l‟identifier comme source de savoir, peut tout de même être prise en compte dans sa propre
histoire. Ce qu‟il est alors nécessaire de spécifier est le lieu du souvenir dont parle F. Pessoa.
Lorsqu‟il s‟agit du corps qui se souvient des états sensoriels qu‟il a pris, il nous semble que
l‟on peut encore parler de sensation.
Pour pouvoir utiliser le concept de sensation comme analyseur du savoir expérientiel (et
de sa transmission), il s‟agit alors maintenant d‟en proposer un examen analytique. La
classification traditionnelle des sensations est fondée à partir des différents sièges corporels de
ces dernières. Ainsi, on distingue habituellement la vue, l‟ouïe, l‟olfaction, la gustation et le
toucher de par leurs sièges corporels respectifs, l‟œil, l‟oreille, les cavités nasales, les papilles
gustatives et le derme/épiderme. Mais, dans une perspective d‟étude de conduites motrices,
cette classification s‟avère peu pertinente. D‟une part, seules les sensations visuelles,
auditives et tactiles nous semblent pouvoir participer de manière respectable à l‟organisation
de ces conduites. D‟autre part, l‟ensemble de ces sensations ne rend pas compte de la
dimension interne de l‟expérience corporelle, c'est-à-dire des sensations éprouvées sur son
propre corps, lesquelles sont prédominantes dans les pratiques physiques. Ainsi, il nous
semble plus approprié d‟identifier en premier lieu les différentes sensations à partir d‟une
distinction simple, établie par C.-S. Sherrington (1933), entre sensations extéroceptives et
proprioceptives1. L‟extéroception renvoie ainsi aux sensations établies à partir des états et des
modifications de l‟environnement, telles que les sensations visuelles, auditives et tactiles, et la
proprioception renvoie aux sensations établies à partir des états et des modifications de son
propre corps, telles que les sensations posturales (statesthésiques et somesthésiques) et
kinesthésiques2. Cette distinction nous semble particulièrement pertinente pour analyser la
dimension corporelle du savoir expérientiel. En effet, si le rôle respectif des sensations
1 La distinction faite par Sherrington, qui ne limite pas ses études aux conduites motrices, prend plus largement
en compte l‟extéroception et l‟intéroception. En effet, dans les sensations intéroceptives, qui portent sur son
propre corps, comme la proprioception, il intègre aussi la somesthésie viscérale que nous ne prenons pas en
compte. On se limite donc au terme de proprioception. 2 La statesthésie renvoie aux informations sensorielles qui renseignent le sujet sur ses différents segments
corporels ; la somesthésie le renseigne sur les positions relatives de ses segments ; la kinesthésie le renseigne sur
les mouvements relatifs de ses segments les uns par rapport aux autres.
64
extéroceptives et proprioceptives diffère selon l‟activité dans laquelle est engagé le sujet1, la
prépondérance d‟un type de sensation pour organiser ses conduites peut être aussi un
révélateur de l‟expérience du sujet. Ainsi, dans une APSA comme la gymnastique sportive, où
le rôle des informations sensorielles est fondamental, le passage des repères extéroceptifs aux
repères proprioceptifs pour organiser ses conduites est le signe d‟une certaine expérience de
pratique (Goirand, 1990). On considère alors que l‟en plus de savoir issu de l‟expérience, dans
sa dimension corporelle, peut être identifié à partir de la spécificité des sensations qui servent
d‟appui aux conduites, en retenant que les sensations proprioceptives, soit l‟ensemble des
repères sensoriels établis sur son propre corps, constituent une marque privilégiée de cette
expérience. On peut alors proposer un exemple d‟analyse des différents repères sensoriels qui
peuvent organiser une action dans une APSA spécifique. Ainsi, en volley-ball, le smash
offensif s‟organise à partir de repères visuels (la terrain adverse et les espaces libres à viser),
auditif (le bruit éventuel d‟un contre et l‟action de soutien à mettre en œuvre), tactiles (le
contact maîtrisé du ballon sur la main ouverte), mais aussi, posturaux (l‟équilibre aérien) et
kinesthésiques (« l‟attaque de la balle », de la même manière que pour l‟action de réception de
service que nous avons décrite précédemment). Ce sont donc ces différents types de repères
sensoriels qui nous serviront d‟analyseurs du savoir expérientiel et de sa transmission.
On remarquera alors, pour conclure, la pertinence du passage de la notion de sensation à
celle de repère sensoriel pour décrire la dimension corporelle du savoir expérientiel. En effet,
les analyses technologiques ou didactiques des différentes APSA qui prennent en compte
cette dimension corporelle, trouvent dans la notion de repère sensoriel la possibilité
d‟objectiver les états bruts et immédiats que sont les sensations. Ce constat révèle en fait
l‟ambiguïté théorique à décrire des savoirs dont le support est corporel et dont la logique n‟est
donc absolument pas conceptuelle. Il nous permet aussi d‟ouvrir notre examen sur le dernier
élément théorique qui nous permettra de terminer notre modélisation préalable du savoir
expérientiel. En effet, certains aspects du savoir expérientiel, comme notamment les
sensations, semblent complexes à objectiver pour le didacticien, car complexes à reconnaître
et à partager pour le sujet. Nous parlions d‟une distanciation relative entre le sujet et le savoir
nécessaire à l‟existence de ce dernier. Or les différents aspects du savoir expérientiel que nous
avons identifiés ne semblent pas établir le même rapport avec cette distanciation. Ainsi, à
partir de cette réflexion, nous tentons de caractériser un ordre de lecture de notre
1 On remarquera par exemple que dans une APSA à dominante topocinétique, telle que le rugby ou le tennis, les
sensations extéroceptives, notamment visuelles, sont prédominantes, alors que dans une APSA morphocinétique,
comme la gymnastique, les sensations proprioceptives constituent des repères fondamentaux.
65
modélisation, consistant à proposer une base au cadre d‟analyse des pratiques effectives qui
nous servira d‟outil d‟analyse empirique.
c. Modélisation finale du savoir expérientiel et ouverture des questions didactiques : la
distanciation sujet/savoir
Rappelons que dans une telle recherche scientifique, notre démarche de modélisation
théorique du savoir expérientiel ne vaut que de sa capacité à identifier de manière empirique
ce que nous avons décrit. Sans même encore parler de la dimension didactique de notre étude
qui orientera inévitablement notre regard sur le savoir expérientiel, il nous faut pouvoir
reconnaître ce savoir expérientiel de manière empirique. Jusqu‟à maintenant, nous avons
identifié plusieurs dimensions transversales constitutives du savoir expérientiel. Il nous
semble alors que la chronologie de cette identification théorique ne peut être la même que
celle qui organisera notre identification empirique. Nous voudrions alors, à partir de plusieurs
réflexions issues de la psychologie cognitive et de la didactique, examiner comment les
différents aspects du savoir expérientiel que nous avons caractérisés peuvent être organisés
dans la perspective de leur identification empirique.
Nous avons pour intention d‟identifier du savoir, d‟examiner des éléments de savoir dans
des expériences personnelles et dans un processus de transmission. Nous allons donc être
amenés à reconnaître du savoir, à le caractériser, le nommer, le comparer. Plus précisément,
ce sont des savoirs construits dans des expériences subjectives de pratique dans des APSA
spécifiques que nous allons caractériser. S‟il s‟agit d‟identifier des savoirs qui appartiennent
au sujet, on ne peut éviter, dans la perspective de les caractériser, les nommer et les comparer,
de les prendre en compte à partir de leur existence signifiante, comme savoirs constitutifs
d‟une activité reconnue, partagée, institutionnalisée. Ainsi, l‟identification de ces savoirs doit
à la fois prendre en compte l‟organisation épistémique que forme l‟expérience personnelle du
sujet confronté à une activité et celle que forme la logique spécifique de cette activité telle
qu‟elle s‟est constituée épistémologiquement et culturellement. Le point d‟entrée de cette
identification se situe alors là où il y a « correspondance entre les connaissances effectives des
sujets et les savoirs constitués historiquement » (Brun, 1996)1. Nous nous sommes déjà arrêtés
sur ce point mais il nous semble ici primordial, car il nous permet à la fois de légitimer un
point de départ à notre identification empirique et de resituer notre travail au centre des
1 On peut déjà souligner que les institutions didactiques sont le lieu privilégié de cette mise en correspondance
(Op. cit.).
66
questions didactiques. En effet, l‟émergence de la recherche en didactique (particulièrement
en mathématiques), en articulation avec celle en psychologie cognitive qui s‟est intéressée aux
questions d‟enseignement, s‟est accompagnée d‟un posture épistémologique que nous voulons
ici souligner. On peut identifier la genèse de cette posture à partir des travaux piagétiens,
considérant qu‟ils sont les premiers à attribuer un point de départ épistémologique aux
questions d‟enseignement (Inhelder, Cellérier, 1992). Cherchant à identifier les catégories de
la connaissance, J. Piaget a tenté de caractériser chez des sujets la genèse de structures
logiques générales, plaçant ceux-ci en sujets épistémiques, en « sujets d‟une connaissance
normative » (Op. cit.). J. Piaget a bien été le fondateur de l‟épistémologie génétique, de
l‟étude de la genèse de la connaissance dans sa dimension générique à tout développement
intellectuel. Cependant, l‟application de ces théories piagétiennes aux questions
d‟enseignement (des mathématiques) a parfois été maladroite et, en un sens, la controverse de
cette application nous semble être née des réflexions didactiques sur le contenu à transmettre
dans les disciplines scolaires. Ainsi, l‟application des théories piagétiennes dans
l‟enseignement des mathématiques a principalement renvoyé à substituer aux objets
mathématiques à enseigner des structures opératoires propres au développement intellectuel
des sujets (Brun, 1996). Dans cette perspective, les contenus d‟enseignement se sont vus
limités à n‟être rien qu‟autre que des éléments propres au développement intellectuel et ont pu
sembler ainsi n‟appartenir qu‟au cognitif. C‟est ainsi qu‟inspirée des travaux en sociologie et
en anthropologie de la connaissance (Durkheim, 1912 ; Fleck, 1979 ; Douglas, 1999), ou
encore des controverses vygotskiennes, la recherche en didactique a pu s‟établir contre cette
perspective, affirmant que « le cognitif pur n‟existe pas » (Chevallard, 1992). Les savoirs
qu‟un sujet s‟approprie ou transmet ont inévitablement une existence institutionnelle qui
dépasse la dimension purement cognitive de ces savoirs et assure leur transmissibilité (et donc
leur existence). Ainsi, lorsque le chercheur veut identifier du savoir dans l‟activité d‟un sujet,
il ne peut le faire qu‟à partir de son existence en tant qu‟objet de savoir reconnu, partagé,
communicable, transmissible, institutionnalisé, sans quoi il risque de n‟identifier que des
processus cognitifs et pas du savoir ; ce savoir qui appartient, en amont de l‟activité du sujet, à
une activité humaine spécifique.
Il nous semble ainsi que pour identifier le savoir expérientiel construit par un sujet dans
une APSA spécifique, et pour pouvoir ensuite envisager de le comparer, le point de départ de
l‟identification peut se situer au niveau des invariants opératoires. Car G. Vergnaud, en
insistant sur la nécessité de ce composant du schème pour organiser les conduites du sujet en
situation, tente bien d‟identifier comment, au travers de ces « unités conceptuelles », les
67
savoirs sociaux constitués et les connaissances effectives des sujets en situation se rejoignent.
J. Brun (1996) explique ce statut spécifique des invariants opératoires en mathématiques.
« Avec les invariants opératoires, on cherche à donner un contenu mathématique aux
organisations des conduites repérables en situation » (Brun, 1996, p.28) ; on cherche « à
établir comment des organisations et des processus cognitifs structurent le savoir
mathématique. » (Op. cit. p.32). Dans le champ des APSA, les invariants opératoires
permettent, à partir de l‟activité des sujets en situation, de nommer les organisations
épistémiques qui structurent le savoir spécifique à une APSA. C‟est donc, au travers de ces
invariants, la dimension conceptuelle du savoir expérientiel qui initiera nos identifications
empiriques1.
De leur appartenance à la fois à l‟expérience du sujet et à l‟épistémologie spécifique
d‟une activité, les invariants opératoires nous semblent ainsi être le point de départ privilégié
à une identification empirique de savoir. Car leur appartenance à l‟épistémologie d‟une
activité signe la distanciation relative entre le sujet et le savoir que nous avons postulée
comme nécessaire à la véritable existence d‟un savoir. Ainsi, dans les différents aspects du
savoir expérientiel que nous avons caractérisés dans le schéma 2 (p.58), le point de départ sera
les invariants, compte tenu de leur place privilégiée dans le continuum de distanciation
sujet/savoir. Il s‟agit alors maintenant d‟examiner comment on peut situer les autres aspects
identifiés dans le schéma 2, ainsi que ceux dégagés par la suite, par rapport à ce point de
départ conceptuel. Cette réorganisation finale nous permettra alors de proposer une
modélisation ultime du savoir expérientiel, composée de dimensions constitutives
transversales qui nous permettront par la suite d‟identifier ce savoir expérientiel de manière
empirique.
Dans un premier temps, notre point de départ conceptuel nous semble devoir regrouper
plusieurs des aspects du savoir expérientiel décrits dans le schéma 2. Les invariants sont le
cœur de cette dimension conceptuelle, ils sont les unités conceptuelles qui structurent le réel
de l‟activité dans laquelle le sujet est engagé. Mais, nous l‟avons déjà explicité, ces invariants
s‟articulent avec des buts, des règles d’action et des processus inférentiels. Nous mettons de
côté pour l‟instant ces processus inférentiels, car ils nous semblent renvoyer à une autre
dimension spécifique du savoir expérientiel, sur laquelle nous reviendrons par la suite. En
1 Nous expliciterons la démarche de cette identification, en la spécifiant compte tenu de la dimension didactique
de notre travail, dans la partie théorique suivante réservée à l‟analyse transpositive des différentes dimensions
constitutives du savoir expérientiel.
68
revanche nous définissons la première dimension constitutive du savoir expérientiel, la
dimension conceptuelle, à partir des trois autres. La dimension conceptuelle du savoir
expérientiel renvoie donc à l’ensemble des invariants opératoires construits par le sujet
dans une activité et à leurs inscriptions dans des hiérarchies de buts et dans des chaînes
de conditions et d’action.
Ensuite, il nous semble que la double ouverture que nous avons déjà menée au-delà de
cette dimension conceptuelle permet de caractériser deux dimensions spécifiques du savoir
expérientiel : la dimension signifiante et la dimension corporelle. Ces deux dimensions sont
ainsi en continuité avec la dimension conceptuelle. Sur le continuum de distanciation
sujet/savoir, la dimension signifiante renvoie aux aspects du savoir expérientiel les plus
distanciés du sujet, ceux qui appartiennent avant tout aux institutions et n‟existent qu‟au
travers d‟un univers symbolique en premier lieu indépendant de l‟expérience du sujet, le
langage. Ce sont donc les signifiants qui constituent la dimension signifiante, mais ces
signifiants n‟existent que par rapport aux invariants qu‟ils permettent de caractériser. La
dimension signifiante du savoir expérientiel renvoie donc à l’ensemble des signifiants
(appartenant à des champs lexicaux propres à des institutions spécifiques) appropriés
par le sujet et à leur articulation avec les invariants opératoires déjà construits par
celui-ci ou en voie de construction.
Sur ce continuum de distanciation sujet/savoir, la dimension corporelle s‟instaure à
l‟opposé de cette dimension signifiante. Les sensations qui la constituent ne peuvent être
séparées du sujet, sauf à être objectivés en terme de repères sensoriels. Elles peuvent toutefois
être prises en compte en terme de savoir dans la mesure où elles peuvent être distanciées du
sujet, lorsque celui-ci s‟y confronte plusieurs fois aux travers de situations identiques. Comme
les signifiants, les sensations et les repères sensoriels s‟articulent avec les invariants construits
par le sujet. Car toute conceptualisation issue de l‟activité du sujet trouve en partie un siège
corporel. La dimension corporelle du savoir expérientiel renvoie donc à l’ensemble des
sensations et des repères sensoriels construits par le sujet et à leur articulation avec les
invariants opératoires déjà construits par celui-ci ou en voie de construction.
Ces trois premières dimensions semblent ainsi former une base substantielle au savoir
expérientiel. Pour résumer, celui-ci est constitué d‟invariants, de signifiants et de sensations.
Il s‟agit alors maintenant de voir comment les autres aspects du savoir expérientiel décrits
dans le schéma 2 peuvent être organisés pour caractériser les dernières dimensions spécifiques
du savoir expérientiel.
69
Tout d‟abord, nous avons souligné la part situationnelle du savoir expérientiel. Celui-ci
est construit au travers de situations singulières dont la singularité fait alors partie intégrante
du savoir expérientiel. Cependant, ce savoir contient aussi une part représentationnelle qui
renvoie à la capacité du sujet à s‟extraire de la singularité de chaque situation pour finalement
continuer à détenir ce savoir lorsqu‟il n‟est pas en situation. Ainsi, cette dialectique entre les
aspects situationnels et représentationnels du savoir expérientiel nous semble constituer une
dynamique que l‟on peut édifier comme une dimension constitutive spécifique du savoir
expérientiel. Cette dynamique trouve en son cœur les processus inférentiels, qui permettent au
sujet d‟articuler la singularité des aspects situationnels avec la généricité des aspects
représentationnels. Le sujet peut alors plus ou moins se distancier du savoir selon la place de
ce dernier dans la dynamique situationnelle/représentationnelle. La dynamique
situationnelle/représentationnelle du savoir expérientiel renvoie donc à la capacité du
sujet à articuler les aspects du savoir inscrit dans chaque situation singulière et ceux
objectivés en représentations, au travers de processus inférentiels.
Ensuite, nous avons insisté sur le fait que le savoir expérientiel répond à l‟initiative du
sujet. Il ne se réfère pas à une autorité extérieure, il est sous la responsabilité du sujet. Il nous
semble alors que cet aspect forme une dimension constitutive du savoir expérientiel à part
entière. L‟initiative du sujet en situation, au travers des choix qu‟il effectue et des décisions
qu‟il prend, révèle une partie de son savoir expérientiel. Même si ces décisions et ces choix se
font par l‟intermédiaire de conceptualisations, de sensations, de signifiants, d‟inférences, la
part du sujet dans le savoir expérientiel nous semble devoir constituer une dimension
spécifique. Car si, par exemple, la conceptualisation est au coeur de l‟activité cognitive
(Vergnaud, 1996a), « pour autant, l‟activité cognitive ne se réduit pas à sa composante
conceptuelle : reconnaître un problème ne suffit pas à le résoudre. Le sujet doit être capable
de décider de la tâche (ou des tâches) à réaliser pour résoudre le problème » (Vannier-
Benmostapha, 2002). C‟est ce que révèle la part d‟initiative du savoir expérientiel. La part
d’initiative du savoir expérientiel renvoie à la capacité du sujet à prendre des décisions et
à faire des choix en situation.
Enfin, nous avons mis en avant la dimension globale du savoir expérientiel. L‟expérience
dans une activité a permis au sujet de construire un savoir global renvoyant à un tout organisé,
dans lequel chaque élément n‟a de sens que par rapport à ce tout. Dans la construction
expérientielle du savoir, les différents invariants, sensations et signifiants ne sont pas séparés
par le sujet. Chaque situation singulière prend sens par rapport à l‟ensemble des autres
situations qu‟il a déjà vécues. Les choix qu‟il effectue se font au regard d‟une appréhension
70
globale de chacune de ces situations. Ainsi, le savoir expérientiel renvoie à une organisation
globale qui se distingue de la somme des ses différents aspects et constitue alors une
dimension spécifique. L’organisation globale du savoir expérientiel renvoie à la capacité
du sujet à appréhender l’activité comme un tout organisé dans lequel chaque élément est
lié à l’ensemble des autres éléments.
Les différents aspects du savoir expérientiel que nous avons pu identifier au travers de
notre parcours théorique nous semblent alors être contenus dans les six dimensions
constitutives du savoir expérientiel que nous venons de décrire. Ce sont donc ces six
dimensions qui caractériseront notre définition du savoir expérientiel : la dimension
conceptuelle, la dimension signifiante, la dimension corporelle, la dynamique
situationnelle/représentationnelle, la part d‟initiative et l‟organisation globale. Nous
présentons alors maintenant notre modélisation finale du savoir expérientiel, établie à partir de
ces six dimensions.
71
Schéma 3 : Modélisation finale du savoir expérientiel
Exemples
Le savoir expérientiel est composé de six dimensions transversales :
- la dimension conceptuelle
- la dimension signifiante
- la dimension corporelle
- la dynamique situationnelle/représentationnelle
- la part d‟initiative
- l‟organisation globale
Ce long parcours théorique nous a amenés à identifier le savoir expérientiel de manière
générique. Nous faisons le postulat qu‟il est composé de six dimensions transversales qui le
caractérisent quelle que soit l‟activité dans laquelle il est déployé. Le savoir construit par le
sujet dans son expérience dans n‟importe quelle activité peut alors être identifié à partir de ces
six dimensions. Celles-ci constituent ainsi l‟en plus de savoir construit dans l‟expérience.
Notre modélisation servira donc de structure à la suite de notre travail théorique et
empirique. C‟est sur elle que notre regard didactique sera posé. Car, rappelons qu‟il s‟agit
Réel
Sujet Situation
Initiative
Décisions, choix Sensations et repères sensoriels
Acte
Signifiants institutionnels
SAVOIR (Organisation globale)
Représentation conceptuelle
Buts inférences Invariants
inférences
Règles
inférences
(analogies)
72
bien ici d‟une recherche en didactique. Nous nous intéressons à la transmission, en classe
d‟EPS, du savoir construit par le professeur dans sa propre expérience de pratiquant. Tout ce
travail théorique que nous terminons ici s‟effectue en amont de l‟analyse didactique, dans le
but de proposer une structure théorique de base à cette analyse. Ainsi, notre modélisation,
ayant pour finalité de s‟actualiser en outil d‟analyse des pratiques effectives d‟enseignement,
se doit d‟être passée au filtre de l‟analyse didactique. Il s‟agit de s‟interroger sur la
transposition didactique du savoir expérientiel, c'est-à-dire, pour nous, de ses six dimensions
constitutives.
2.2 Le savoir expérientiel et la transposition didactique
Nous postulions que l‟enseignant qui détient une expérience de pratique dans une
activité, lorsqu‟il enseigne cette activité, peut transmettre quelque chose en plus que celui qui
n‟en détient pas. Pour identifier ce qu‟il peut transmettre en plus, nous nous sommes en
premier lieu arrêtés sur ce qu‟il a pu construire en plus dans son expérience en terme de
savoir, sans qu‟il n‟ait encore aucune intention didactique. Les six dimensions constitutives
du savoir expérientiel définissent cet en plus. Mais, bien évidemment, le savoir que le sujet
enseignant a pu construire dans son expérience de pratique est différent de celui qu‟il transmet
dans son enseignement effectif. Non pas qu‟il s‟agisse de savoirs proprement distincts, mais
car l‟inscription d‟un savoir dans un processus de transmission, ou plus largement dans une
intention didactique, le transforme inévitablement (Verret, 1975 ; Chevallard, 1985). Il s‟agit
là d‟un postulat essentiel de la didactique, qui inaugure la problématique de la transposition
didactique.
Ainsi, on ne peut déduire de l‟analyse théorique des six dimensions constitutives du
savoir expérientiel, l‟analyse ultérieure de la transmission de ces différentes dimensions. Cette
partie propose donc une analyse transpositive théorique de ces six dimensions, afin d‟en
dégager les catégories empiriques qui nous serviront de filtre à l‟étude effective. Il faut
préciser que notre regard sera bien porté sur les différentes dimensions du savoir expérientiel
que l‟enseignant transmet, en proposant des situations, des interactions, des régulations, des
démonstrations spécifiques aux élèves, et non pas sur les différentes dimensions du savoir
expérientiel construit et appris par les élèves. Même si l‟on s‟attachera à prendre en compte le
73
système didactique dans sa globalité, il s‟agit bien ici d‟une étude portant sur le passage de
l‟expérience personnelle de l‟enseignant à la construction d‟un savoir expérientiel, puis à sa
transmission effective en cours d‟EPS.
Dans une première partie, il nous faut toutefois revenir sur la problématique de la
transposition didactique, plus précisément la transposition didactique du savoir expérientiel,
dans la mesure où l‟expérience personnelle et la transposition didactique ne vont pas
forcément de pair.
2.2.1 Une transposition didactique de l’expérience ?
« L‟expérience ne s‟enseigne pas » (Arnaud, 1986). Ce postulat, relativement radical,
peut paraître compromettant quant à nos intentions d‟identifier l‟enseignement effectif d‟un
savoir construit dans l‟expérience. Toutefois, il nous semble plutôt révéler l‟émergence de la
problématique de la transposition didactique. En effet, dans cet article, Arnaud montre en fait
la distance irréductible qui sépare les objets culturels et les objets techniques des objets
didactiques1. Il met ainsi en avant la disparition des conditions d‟existence de toute
acquisition née de l‟expérience, lorsque cette acquisition prend la forme d‟un apprentissage
scolaire. Un an avant P. Arnaud, Y. Chevallard (1985) formalisait cette problématique en
didactique des mathématiques et dix ans auparavant M. Verret (1975) faisait émerger la
notion, en s‟interrogeant toujours sur les possibilités de transmission de l‟expérience.
Nous voudrions alors dans un premier temps revenir sur l‟émergence de la problématique
de la transposition didactique, pour montrer comment elle s‟articule avec celle de la
transmission de l‟expérience. Nous expliciterons alors par la suite la spécificité de notre
regard sur la transposition didactique interne et sur les savoirs effectivement transmis dans les
pratiques d‟enseignement.
a. La transposition didactique : genèse d’une problématique, genèse d’un outil
d’analyse
Le terme de transposition didactique a été introduit dans le champ des sciences
humaines par le philosophe et sociologue M. Verret (1975). Comme le montrent A. Terrisse et
Y. Léziart (1997), au travers d‟entretiens menés avec ce dernier, Verret constate, à partir de sa
1 Arnaud, en tant qu‟historien de l‟EPS, s‟est attaché à exemplifier cette distance à partir de la natation.
74
position de professeur de philosophie, une fondamentale différence entre la philosophie qui
lui parle, qui lui paraît réellement formatrice pour l‟homme, « la philosophie commune qui
court dans la vie courante » (Verret, in Terrisse, Léziart, 1997) et la philosophie savante,
formalisée, celle qui est enseignée à l‟université sur une base d‟auteurs et de textes qui ne lui
semblent pas répondre à de véritables interrogations. Ainsi, le concept de transposition
didactique ressort en quelque sorte dans sa genèse d‟un constat péjoratif : l‟enseignement d‟un
objet transforme cet objet en l‟appauvrissant. Et M. Verret ne lésine pas sur cet
appauvrissement : « à peu près tout de la philosophie se perdait dans la philosophie
universitaire » (op. cit.).
Cependant, ce constat n‟a pas pour intention de condamner l‟enseignement scolaire ou
universitaire. M. Verret n‟en rejette pas moins le caractère inéluctable de la transposition
didactique : elle est une des conditions irréductibles de la transmission des savoirs. « Toute
pratique d‟enseignement d‟un objet présuppose en effet la transformation préalable de son
objet en objet d‟enseignement » (Verret, 1975). En effet, la logique de production ou
d‟utilisation sociale des savoirs n‟est pas la même que la logique d‟apprentissage de ces
savoirs. La transposition didactique révèle ainsi les conditions nécessaires à la transmission
des savoirs, dans la mesure où celle-ci vise un apprentissage dans un contexte institutionnel.
C‟est ce que M. Verret nomme « l‟illusion didactique nécessaire » : l‟enseignement nécessite
en amont une formalisation des savoirs à enseigner, qui ne peut, compte tenu de la dimension
institutionnelle des apprentissages scolaires1, tenir compte de la singularité de chacun des
apprenants et de la manière dont il pourra se servir de ces savoirs.
Ainsi, l‟école, créée pour répondre à une « demande théorique sociale », ne peut éviter
de produire des « artefacts », disons des objets d‟enseignement, engendrés au travers d‟une
« substitution didactique d‟objet » (op.cit.). Cette substitution prend la forme d‟une
formalisation, que Y. Chevallard (1991) nomme la « mise en texte du savoir », un « texte »
commun pour tous ceux qui devront se confronter à l‟apprentissage, et donc à l‟enseignement,
de ce savoir. Les programmes scolaires sont le meilleur exemple de cette formalisation. De la
même manière, la structuration de l‟enseignement scolaire en disciplines segmentées révèle
l‟autonomie du savoir scolaire, c‟est à dire du savoir transposé. « Les disciplines (scolaires)
1 A vrai dire tout apprentissage qui dépend d‟un enseignement, scolaire ou non, prend une forme institutionnelle
(Delbos, Jorion, 1984). Ceci dans la mesure, où une entente commune, une convention implicite, on pourrait dire
un contrat didactique, est sous-jacent à tout processus de transmission/appropriation de savoirs.
75
sont le prix que la société doit payer à sa culture pour pouvoir la transmettre dans le cadre de
l‟école » (Chervel, 1988)1.
On peut alors définir la transposition didactique comme « l‟ensemble des transformations
que fait subir à un champ culturel, la volonté de l'enseigner dans un cadre scolaire (...), c‟est
aussi le travail qui d‟un objet à enseigner fait un objet d‟enseignement » (Chevallard, 1991).
Cette définition nous semble alors mettre en avant trois principes fondamentaux sous-jacents
à la notion de transposition didactique. Tout d‟abord, c‟est la simple volonté d‟enseigner un
objet, c'est-à-dire l‟intention didactique, qui entraîne inévitablement une transposition
didactique. Ensuite, cette transposition peut être décomposée en deux niveaux : la
transposition didactique externe et la transposition didactique interne (op. cit.), qui renvoient
respectivement aux transformations subies par le savoir produit socialement jusqu‟à sa « mise
en texte » et celles subies par ce « texte du savoir » jusqu‟à son enseignement effectif. Enfin,
par conséquent, étudier la transposition didactique d‟un savoir, ou plus largement d‟une
« écologie de savoirs » (Chevallard, 1989) renvoie alors à analyser un ensemble de
transformations, de dégradations, de disparitions, de créations, d‟émergences, c'est-à-dire au
final l‟ensemble des écarts existant, pour ce même savoir, selon les institutions par lesquelles
il passe avant que l‟apprenant puisse s‟y confronter. Ces institutions, ces « locations des
savoirs » (Chevallard, 1991), renvoient à autant d‟étapes que le didacticien se doit d‟analyser
pour comprendre ce qui est ou doit être effectivement enseigné, en référence aux institutions
sociales de production et d‟utilisation de ces savoirs qui confère leur légitimité aux savoirs
scolaires.
Ces étapes de la transposition didactique ont déjà été identifiées de manière générique,
quelque soit le champ culturel inscrit dans une intention didactique. Bien que certaines de ces
« locations de savoirs » correspondant à ces étapes aient fait l‟objet de controverses dans la
confrontation des différentes didactiques disciplinaires (Chevallard, 1985 ; Martinand, 1989 ;
Johsua 1996), on peut aujourd‟hui leur reconnaître une certaine généricité. Ainsi, en
considérant la chaîne transpositive de manière ascendante, la première étape est l‟institution
classe. Les savoirs qui y « vivent » (Chevallard, 1989) sont les savoirs enseignés. L‟ensemble
des transformations subies par le savoir dans cette institution peut être identifié à partir de
l‟ensemble des « contraintes qui pèsent sur le savoir enseigné » (Arsac, 1992). Il s‟agit des
contraintes institutionnelles et didactiques qui orientent la forme et le contenu effectifs des
1 Certaines disciplines scolaires ont même une autonomie totale par rapport aux savoirs sociaux. C‟est par
exemple le cas de la grammaire ou du basket-ball qui ne renvoient pas à des transformations de pratiques
sociales, mais bien à une « véritable construction scolaire » (Chervel, 1988). C‟est une intention didactique qui a
fait émerger ces disciplines.
76
processus de transmission des savoirs. Elles renvoient aux contraintes qui pèsent sur la
transmission effective des savoirs dans un contexte institutionnel et elles peuvent être
principalement décrites à partir de la vaste problématique du « contrat didactique »
(Brousseau, 1986). Nous y reviendrons. Toujours de manière ascendante, la deuxième étape
renvoie à ce que Y. Chevallard (1985) nomme la « noosphère ». Il ne s‟agit pas d‟un lieu
institutionnel proprement identifiable mais plutôt de l‟ensemble des institutions et des acteurs
qui se situent à l‟intersection du système d‟enseignement et de la société. On peut par
exemple identifier comme faisant partie de la noosphère, les programmes scolaires et leurs
rédacteurs, les manuels scolaires, les revues professionnelles ou encore les chercheurs et
intellectuels qui s‟intéressent aux questions d‟enseignement. L‟ensemble des transformations
subies par le savoir à cette étape de la chaîne transpositive signe la première « mise en texte
du savoir », sa première formalisation établie en vue de son enseignement à une classe, à un
niveau de classe, à une génération. Cette étape renvoie donc à l‟ensemble des réflexions,
prenant parfois la forme d‟injonctions pour les professeurs, qui interrogent, proposent, voire
légitiment le savoir qu‟il s‟agit d‟enseigner à l‟école. Car le rôle de la noosphère se situe bien
là : « rendre légitime le savoir à enseigner » (Reuter, 2007). Ainsi, ce rôle spécifique de la
noosphère révèle la question principale qui s‟instaure autour de la dernière étape, d‟un point
de vue ascendant, de la chaîne transpositive. Il s‟agit de la question de la référence du savoir à
enseigner (Terrisse, 2001).
b. L’expérience comme référence du savoir enseigné
En effet, si la problématique de la transposition didactique met en avant une certaine
autonomie du savoir scolaire, ce dernier ne peut évidemment pas prétendre à une autonomie
totale. Les finalités mêmes de l‟école, celles d‟acculturation et d‟intégration sociale, révèlent
la nature du savoir scolaire. Il s‟agit d‟un savoir sélectionné, par la noosphère, dans l‟univers
des « savoirs sociaux », considéré comme valant la peine d‟être enseigné aux élèves, afin
qu‟ils s‟approprient un certain patrimoine culturel, qu‟ils se développent et s‟insèrent
harmonieusement dans la société. Ainsi, le savoir à enseigner ne vaut qu‟à partir « d‟un
ailleurs qui le légitime » (Raisky, 2001). Or, cet « ailleurs » ne va pas de soi. La référence du
savoir à enseigner est loin d‟être univoque, ni dans son contenu, ni dans sa forme. Vis-à-vis de
son contenu, chaque discipline à elle seule peut trouver dans l‟organisation sociale une
multitude de pratiques qui peuvent prétendre à valoir comme référence. L‟EPS en est un
77
exemple fort parlant. Son histoire, depuis sa naissance institutionnelle (entre 1880 et 1882)
jusqu‟à la rédaction des derniers programmes du collège et du lycée (de 1996 à 2001), montre
largement cette multiplicité de références pouvant prétendre à la légitimer. Comme l‟intitule
Terrisse (2001), « la multiplicité des références en EPS est son histoire même ». Ainsi, tout au
long du 20ème
siècle, au travers de nombreuses luttes de pouvoirs entre noosphériens
prétendants, l‟EPS s‟est référée à diverses institutions légitimantes : l‟armée, la médecine, les
jeux traditionnels, le sport de compétition. Encore aujourd‟hui, même si les programmes
peuvent tenter de définir de manière homogène les références de l‟EPS, il en existe une
multitude. Car les institutions fondées sur les pratiques physiques sont nombreuses (même
pour une APSA identique) : sports de compétition (institués en clubs), pratiques hédonistes
(dîtes « fun », issues de l‟émergence des sports de glisse californiens dans les années 1970),
pratiques d‟entretien (salles de remise en forme), pratiques de rue (adaptées du sport fédéral
par les jeunes eux-mêmes). Ainsi, il en est de même pour toutes les disciplines scolaires : le
savoir à enseigner n‟a pas de référence absolue.
De plus, la forme sous laquelle on peut identifier la référence du savoir scolaire appelle
aussi un véritable questionnement. En effet, dans une tentative de théorisation, les didacticiens
ont pu tenter de caractériser cette référence de manière générique. Cette tentative a alors fait
l‟objet de plusieurs controverses. Y. Chevallard (1985), le premier, en important le concept de
transposition didactique en didactique des mathématiques, a identifié cette référence en terme
de « savoir savant ». Il s‟agit du savoir produit par les institutions de recherche, soit les
institutions de production de savoirs. Dans cette théorie, la référence du savoir scolaire
renvoie à la forme de savoir la plus objective possible, qui peut, dans une certaine mesure,
juger de ce qui pourra être reconnu socialement comme vrai. Mais, la difficulté à identifier
une telle forme de savoir de référence dans toutes les disciplines scolaires a conduit certains
chercheurs à questionner ce « savoir savant ». J.-L. Martinand (1989), issu de la didactique de
la technologie, a ainsi mis en avant l‟ambiguïté de cette notion dans les disciplines
scientifiques. Car, d‟une part, dans ces disciplines, comme dans la plupart des disciplines
scolaires, les savoirs issus des institutions de recherche sont rarement aussi stables et avérés
qu‟ils peuvent l‟être en mathématiques. Et, d‟autre part, les institutions de recherche ne
peuvent constituer la référence unique du savoir scolaire. Pour une pratique donnée, le
handball, la guitare, l‟imagerie médicale, la poésie, la cartographie, on peut identifier une
diversité d‟institutions pouvant jouir d‟une moindre reconnaissance sociale. Il propose alors
d‟identifier la référence en terme de « pratiques sociales de référence », c'est-à-dire des
pratiques renvoyant « aux activités réelles d‟un groupe social identifié » (Reuter, 2007). Le
78
savoir reconnu dans ces pratiques sociales de référence s‟étend alors au-delà d‟une dimension
savante et prend alors aussi en compte les attitudes et les rôles sociaux ou encore les différents
instruments matériels et intellectuels inhérents à ces pratiques. Dans cette perspective, la
légitimité du savoir scolaire s‟inscrit dans la reconnaissance sociale des institutions qui lui
servent de référence. Le savoir qui lui sert de référence doit alors plutôt être identifié en terme
de « savoir expert » (Johsua, 1996). Ainsi, par exemple, les savoirs servant de référence aux
savoirs scolaires concernant le concept de « nutrition » peuvent être détenus par un chercheur
en biologie animale, un médecin, un nutritionniste, un sportif, un cuisinier (Reuter, 2007).
Tous, de par leur expérience et leur appartenance à des institutions, constituent une référence
au savoir scolaire. Dans cette optique, la référence nous semble alors renvoyer à tout ce qui
appartient à ceux qui savent et savent faire, sous condition d‟une reconnaissance sociale. Dès
lors, le savoir de référence, s‟il est validé par cette reconnaissance, est surtout un savoir issu
de l‟expérience. Car, si l‟expérience ne garantit pas l‟expertise, l‟expertise naît inévitablement
de l‟expérience. Il nous semble alors que, même s‟il devra être formalisé par la noosphère,
même si sa légitimité réside dans une expertise reconnue socialement, le savoir qui sert de
référence au savoir enseigné est avant tout un savoir expérientiel. Ainsi, cette conception du
savoir de référence questionne déjà les rapports entre transposition didactique et transmission
de l‟expérience.
Mais cette conception est aussi particulièrement orientée par notre ancrage
épistémologique en didactique clinique qui nous amène à prendre en compte les sujets
participants du processus transpositif (Terrisse, 1998). Ainsi, cette approche spécifique
réinterroge la transposition didactique, en identifiant les savoirs et leurs transformations à
partir des sujets qui les produisent, les utilisent, les transposent et les transmettent. Alors, cette
posture fait inévitablement émerger un autre questionnement sur les rapports entre
transposition didactique et transmission de l‟expérience ; particulièrement quand, comme
nous, les chercheurs s‟intéressent au contenu des pratiques effectives d‟enseignement. En
effet, dans cette perspective, les transformations subies par le savoir enseigné ne peuvent pas
être uniquement attribuées aux contraintes inhérentes aux situations dans lesquelles il se
présente en classe. Car ce savoir est enseigné par un sujet enseignant. Il s‟agit d‟un sujet
unique, ayant une histoire personnelle qui lui est propre est une expérience singulière dans les
différentes « pratiques sociales de référence ». Ainsi, lorsque le chercheur prend en compte le
sujet enseignant dans ses analyses des pratiques effectives, la référence du savoir enseigné,
celle qui lui assurera une certaine légitimité dans l‟institution classe, est bien celle de
79
l‟enseignant1. Or, celui-ci a produit, utilisé ou simplement rencontré des « savoirs experts »
dans une diversité d‟institutions : l‟école, l‟université, l‟IUFM, une revue scientifique ou
professionnelle, un club fédéral, une association culturelle, les différents médias, un groupe
d‟amis, etc. La référence du savoir effectivement enseigné en classe ne peut donc jamais
véritablement être identique à la référence du savoir scolaire (Loizon, 2004 ; Buznic-
Bourgeacq, 2005 ; Heuser, Terrisse, Carnus, 2005). Elle est très largement spécifiée par le
sujet enseignant qui, composant le savoir enseigné sous diverses influences
(Martinand, 2001), « produit un savoir différent » (Terrisse, 2001). Dans cette perspective, la
référence du savoir enseigné renvoie alors à l‟expérience de l‟enseignant dans sa globalité,
quelques formes multiples qu‟elle ait pu prendre : une pratique intense ou modérée, une
lecture, une rencontre.
Il nous semble ainsi que la référence du savoir dans la classe s‟inscrit inévitablement
dans des expériences, celles des experts participants d‟institutions reconnues socialement pour
le savoir scolaire, celle de l‟enseignant pour le savoir effectivement enseigné. La transposition
didactique peut être alors ici identifiée comme une « conversion didactique » (Buznic-
Bourgeacq, 2007) de l‟expérience en objets d‟enseignement. Or, on l‟a vu, la problématique
de la transposition didactique a émergé dans une volonté de pointer du doigt les
transformations subies par un savoir « qui court dans la vie courante » (Verret, in Terrisse,
Léziart, 1997), compte tenu des difficultés à enseigner l‟expérience formatrice d‟un champ
culturel.
c. Un savoir expérientiel impossible à transposer ?
La problématique de la transposition didactique semble en effet émerger d‟un paradoxe.
C‟est alors ce paradoxe qui la rend inévitable : la référence du savoir enseigné s‟enracine dans
des expériences et l‟expérience ne peut s‟enseigner telle quelle. Lorsque P. Arnaud (1986)
affirme de manière incisive que « l‟expérience ne s‟enseigne pas », il précise : « l‟école est le
lieu privilégié d‟un apprentissage au sens strict, qui substitue la méthode, la rationalité, la
progression, l‟effort persévérant dans des situations décontextualisées, aux acquisitions nées
de l‟expérience répétée et familière et attachées aux conditions d‟existence ». Définissant ici
implicitement la notion de transposition didactique, il souligne ainsi les distinctions
1 Evidemment, d‟autres références peuvent prétendre à légitimité dans l‟institution classe, ceci dans la mesure où
elle n‟est pas complètement coupée de la société. Ainsi, les élèves, de par leur vie en dehors de la classe et de
l‟école, ont pu identifié diverses références, plus ou moins distinctes de celle de l‟enseignant et pouvant jouir
d‟une certaine reconnaissance sociale. Cependant, dans la classe, de par son statut institutionnel, seul
l‟enseignant peut juger de ce qui sera le « bon savoir » (Chevallard, 1989) ; ce savoir qui prendra un statut
officiel pour l‟institution classe et que les élèves devront mettre en œuvre pour l‟évaluation.
80
fondamentales qui s‟instaurent entre expérience et apprentissage scolaire. En effet, les
expériences qui peuvent servir de référence au savoir enseigné produisent un savoir
inséparable des conditions dans lesquelles il a émergé, un savoir contextualisé, construit de
manière syncrétique et erratique. Elles produisent un savoir expérientiel qui, comme nous
l‟avons défini, se veut à la fois conceptuel, signifiant et corporel, à la fois inscrit dans des
situations singulières et dans des représentations généralisantes, à la fois inséparable du sujet
qui le fait émerger et de la globalité du réel dans laquelle il émerge. Ce magma épistémique
semble ainsi complexe à être enseigné, voire même à être formalisé en vue de son
enseignement. C‟est ainsi que dès son émergence par M. Verret (1975), la problématique de la
transposition didactique a questionné les possibilités de transmission d‟un savoir construit
dans l‟expérience des différentes pratiques sociales. M. Verret (op. cit.) a défini ces
possibilités en terme de « conditions de transmissibilité d‟un savoir ».
Pour qu‟un savoir puisse être transmis dans le cadre scolaire, cinq conditions sont
nécessaires selon M. Verret (op. cit.) :
- la « désyncrétisation » du savoir : la globalité du savoir construit dans l‟expérience
ne peut être transmise telle quelle. Elle doit être délimitée en savoirs partiels (Chevallard,
1991) comportant alors chacun une certaine autonomie par rapports aux autres savoirs
parcellisés. Cette délimitation crée une « rupture du jeu intersectoriel constitutif du savoir »
(op. cit.) pour édifier des objets de savoir, des champs de savoir, des disciplines scolaires
autonomes. De même, cette délimitation crée une « décontextualisation » (Caillot, 1993) du
savoir qui l‟éloigne des situations dans lesquelles il a émergé, par sa désinsertion du réseau de
problématiques et de problèmes qui lui donne sens.
- la « dépersonnalisation » du savoir : dans son émergence expérientielle, le savoir est
consubstantiellement lié au sujet qui le fait émerger. Il est sous sa responsabilité. Pour être
transmis, il doit donc être séparé de celui-ci. Il doit pouvoir exister en dehors du sujet qui l‟a
construit, en dehors des constructions mentales et corporelles de ce dernier.
- la « programmabilité de l‟acquisition » du savoir : contrairement au savoir construit
dans l‟expérience, le savoir scolaire a un début et une fin et son appropriation s‟organise en
séquences progressives inscrites à l‟intérieur d‟une programmation des apprentissages. Dans
une perspective de transmission, la polyséquentialité du savoir expérientiel doit donc être
rompue pour laisser place à une norme de progression, dans laquelle chaque construction est
justifiée par la reconnaissance d‟une construction précédente et de leur articulation
séquentielle.
81
- la « publicité » du savoir : le savoir enseigné se doit d‟être reconnu officiellement,
d‟être défini explicitement. Il ne peut demeurer dans la dimension implicite d‟une expérience.
- le « contrôle social » des apprentissages : l‟appropriation du savoir scolaire doit
pouvoir être reconnue et certifiée. Des procédures et des normes universelles de vérification
doivent permettre le contrôle réglé des apprentissages.
Ces cinq conditions révèlent ainsi les contraintes transpositives qui pèsent sur le savoir
de référence et qui spécifient le savoir scolaire dans ce qui le distingue du savoir construit
dans l‟expérience des pratiques sociales. Ces conditions, principalement les trois premières,
nous semblent montrer la nécessité de transformer le savoir expérientiel en vue de son
enseignement. En effet, reprenant les cinq conditions définies par M. Verret, Y. Chevallard
(1991) soulève une réflexion sur les savoirs qui ne seraient pas scolarisables, car ils ne
répondraient pas à certaines de ces conditions. Certains savoirs ne seraient pas scolarisables
pour des raisons sociales. Il s‟agit des savoirs réservés, ésotériques, initiatiques ou
aristocratiques qui échappent à la publicité du savoir ou à « un contrôle social publiquement
défini selon des normes universelles exclusives de tout privilège de corps » (op.cit.). La
question de la dimension expérientielle du savoir ne les touche pas fondamentalement. En
revanche, d‟autres savoirs ne seraient pas scolarisables pour des raisons « gnoséologiques »,
soit des raisons intrinsèques à la nature même du savoir et de sa transmission. Il s‟agit des
savoirs empiriques, personnels et totaux qui seraient voués à une acquisition globale et
syncrétique, qui seraient insubstituables des personnes qui les détiennent et dont
l‟apprentissage résisterait à des programmations organisées en séquences progressives. Il nous
semble alors que Y. Chevallard point ici du doigt le savoir expérientiel et la difficulté qu‟il
peut avoir à répondre aux trois premières conditions de transmissibilité préalablement
définies.
Ce constat peut amener à considérer que le savoir expérientiel est en quelque sorte « non
scolarisable ». Pour autant nous postulons que ce savoir expérientiel constitue la référence du
savoir enseigné dans la classe. Il nous semble alors que cette réflexion, qui peut sembler
mener le chercheur dans une impasse épistémologique, nous conduit en fait au cœur du travail
du didacticien. En effet, il s‟agit ici de s‟interroger sur les moyens dont dispose un enseignant
pour enseigner un savoir qui trouve son origine dans l‟expérience des pratiques sociales. Si
l‟on reconnaît au savoir expérientiel une forme complexe, peu propice à l‟enseignement, le
rôle du didacticien est bien d‟identifier et de décrire, ou même de créer et de proposer, des
procédures et des outils didactiques permettant de transmettre ce savoir expérientiel en classe.
82
Mais, pour mener ce travail, deux examens sont nécessaires en amont. Premièrement, il
s‟agit de pouvoir décrire théoriquement le savoir expérientiel, c'est-à-dire de mener une
analyse préalable du savoir qui sera transmis. Cette phase s‟avère nécessaire, comme pour
toute recherche en didactique qui s‟intéresse à la transmission d‟un contenu spécifique
(Artigue, 1990). Nous l‟avons largement menée dans la première partie théorique. Elle nous a
conduit à proposer notre modélisation du savoir expérientiel, décrit à partir de ses six
dimensions constitutives. Ce sont donc ces six dimensions, et leurs articulations, que nous
devrons identifier dans les processus de transmission des savoirs en classe. Deuxièmement, il
s‟agit de s‟interroger sur la transmission de ces six dimensions à partir d‟un regard didactique.
Cela consiste à questionner les différents modes de transmission de chacune de ces
dimensions, à partir des cadres d‟analyse du didactique déjà existants. Pour mener cette
analyse transpositive du savoir expérientiel, nous nous attacherons à prendre en compte le
plus exhaustivement possible les différents « médias » du savoir dans la classe : un discours,
une démonstration corporelle, une situation, un enchaînement de situations, etc. Nous nous
attacherons alors particulièrement à examiner les modes de transmission génériques des
savoirs en classe qui paraissent privilégier la dimension expérientielle du processus
d‟appropriation des savoirs ; c'est-à-dire ceux qui semblent préserver les « conditions de
production » (Verret, 1975) du savoir dans l‟expérience. Nous identifierons par exemple
l‟inscription de chacune des six dimensions dans les processus de dévolution (Brousseau,
1986). Nous présentons le détail de cette analyse pour les six dimensions constitutives du
savoir expérientiel dans la partie suivante.
2.2.2 Analyse transpositive du savoir expérientiel
L‟expérience peut s‟enseigner, à condition d‟identifier de manière générique ce qui
organise son contenu et de caractériser les modes de transmission qui préservent sa
spécificité. Il nous semble que ce postulat renvoie quelque part au pari que fait le didacticien
lorsqu‟il cherche à identifier les conditions de possibilité de transmission/appropriation des
savoirs. Qu‟elles aient pour objet d‟étude un objet de savoir spécifique, une APSA, une
pratique sociale quelconque ou une discipline scolaire, les recherches en didactiques, depuis
la fin des années 70 et notamment l‟émergence de la Théorie des Situations Didactiques
(TSD) de G. Brousseau (1980 ; 1986 ; 1998), nous semblent en effet faire un pari. Celui selon
83
lequel il est possible et nécessaire que les élèves fassent « l‟expérience des savoir-faire visés »
(Amade-Escot, 2005). Postulant que « la connaissance n‟est pas à prendre dans le discours ni
dans le désir du maître, mais dans la relation avec le milieu », G. Brousseau (1980) a proposé,
décrit et théorisé des processus d‟enseignement1 en insistant en permanence sur les rôles
respectifs de chacun, enseignant et élève, dans la relation didactique. Ainsi, l‟élève doit
endosser les responsabilités de l‟émergence des savoirs, en acceptant de se confronter aux
problèmes sous-jacents aux situations proposées par l‟enseignant. Ce dernier doit alors, en
premier lieu, proposer des situations, au travers desquelles l‟élève se confrontera à un
« milieu » (Brousseau, 1990) source d‟émergence de savoir. Il doit alors « dévoluer »
(Brousseau, 1986) les responsabilités de cette émergence aux élèves, « semblant de croire que
ça va marcher » (Brousseau, in Terrisse, Léziart, 1999). De plus, l‟enseignant doit aussi, en
dernier lieu, faire en sorte que l‟élève soit capable « de traiter le monde comme une monde
dénué d‟intention didactique » (Brousseau, 1986) ; c'est-à-dire que les conditions
d‟apprentissage s‟effacent (Brousseau, 1988) pour laisser place à un savoir disponible et
employable dans les pratiques sociales. Il nous semble alors que cette perspective postule la
possibilité d‟un enseignement qui préserve les spécificités de l‟expérience, en s‟attachant à
recréer les conditions d‟émergence du savoir dans l‟expérience et à effacer les conditions
d‟apprentissage du savoir scolaire.
Il existe donc des modes de transmission des savoirs en classe qui préservent les
spécificités du savoir né dans l‟expérience. A l‟image du processus de dévolution, plusieurs
procédures didactiques nous semblent ainsi permettre à l‟enseignant de transmettre, en
préservant ses spécificités, le savoir qu‟il a construit dans sa propre expérience relative à une
activité, c'est-à-dire son savoir expérientiel.
Nous avons défini ce savoir expérientiel à partir de six dimensions spécifiques qui lui
sont constitutives. Il s‟agit donc maintenant d‟identifier comment chacune de ces dimensions
peut être préservée dans le processus de transmission. Bien qu‟articulées entre elles, chaque
dimension est spécifique et renvoie à un aspect précis de l‟expérience qu‟il s‟agira d‟identifier
singulièrement dans les processus didactiques. Nous caractériserons donc la transmission de
chaque dimension en nous intéressant aux différents moyens qu‟a l‟enseignant pour
transmettre ce qui la constitue. Pour cela, nous identifierons, pour chaque dimension
1 Les théorisations de Brousseau portent sur l‟enseignement des mathématiques. Cependant, la Théorie des
situations didactiques s‟est vue attribuée une large reconnaissance dans les différentes didactiques disciplinaires,
particulièrement en didactique de l‟EPS. Ainsi, sous couvert d‟une analyse épistémologique lors de sa
transposition des mathématiques à une autre discipline scolaire (Loquet, Amade-Escot, Marsenach, 2005), la
TSD semble pouvoir proposer une théorisation pertinente des phénomènes d‟enseignement dans différentes
disciplines.
84
spécifique, la diversité des « médias », des « supports », des « vecteurs » du savoir sur
lesquels l‟enseignant peut s‟appuyer en classe. Cette analyse nous conduira alors à
l‟établissement des indicateurs empiriques qui nous permettront d‟identifier la transmission
des six dimensions constitutives du savoir expérientiel dans les pratiques effectives. Nous
menons alors l‟analyse pour chaque dimension en deux temps : d‟abord nous explicitons
précisément les éléments que nous retenons pour identifier chaque dimension dans le
processus de transmission ; puis nous identifions les formes sous lesquelles ils peuvent se
donner à voir dans les pratiques effectives d‟enseignement.
2.2.2.1 Analyse transpositive des six dimensions constitutives du savoir expérientiel
a. La dimension conceptuelle organisant le contenu du processus de transmission des
savoirs
La dimension conceptuelle du savoir expérientiel renvoie à l’ensemble des
invariants opératoires construits par le sujet dans une activité et à leurs inscriptions
dans des hiérarchies de buts et dans des chaînes de conditions et d’action.
Nous avons justifié précédemment la nécessité de commencer l‟analyse du savoir
expérientiel par sa dimension conceptuelle et plus spécifiquement par les invariants
opératoires qui le constituent. Car ces invariants permettent, à partir de l‟activité des sujets en
situation, de nommer les organisations épistémiques qui structurent le savoir spécifique à une
activité. Ils sont alors des éléments appropriés pour identifier des objets de savoir relatifs à
une activité sociale précise (dans notre cas une APSA), par l‟intermédiaire de l‟analyse de
l‟activité effective des sujets. Ainsi, le caractère inaugural des invariants, dans la tentative
d‟identification de savoir, nous semble être encore davantage justifié dans une perspective
didactique. En effet, toute recherche en didactique ne peut se passer d‟identifier des objets de
savoirs précis, reconnus, institués. Pour pouvoir décrire, interpréter et comparer des processus
de transmission des savoirs, le didacticien doit pouvoir reconnaître des objets génériques
identifiables quels que soient les processus didactiques dans lesquels ils sont mis en jeu.
Ainsi, de par leur appartenance simultanée à l‟épistémologie d‟une activité sociale définie et à
celle d‟un sujet singulier en situation, les invariants nous semblent particulièrement adaptés
pour permettre au didacticien de reconnaître et nommer ces différents objets qui constituent le
85
contenu de chaque processus de transmission1. Notre analyse consistera donc en premier lieu
à caractériser les différents invariants mis en jeu par les enseignants d‟EPS ; c'est-à-dire les
différents éléments et variables que chaque enseignant découpe dans le réel d‟une APSA lors
de son enseignement effectif2. Il s‟agira donc d‟abord d‟identifier ces unités conceptuelles qui
organisent le contenu des processus didactiques.
Mais la dimension conceptuelle du savoir expérientiel renvoie aussi aux relations entre
ces unités. Les différents invariants s‟articulent entre eux par l‟intermédiaire de buts et de
règles d‟action. Nous identifierons donc aussi ces articulations. Il s‟agira alors d‟examiner
dans les processus de transmission, pour chaque invariant :
- s‟il s‟instaure de lui-même en but, s‟il est finalisé : par exemple en rugby, « il faut
aller au contact »
- s‟il est lié à un autre invariant sous la forme d‟une hiérarchie de but, s‟il est
hiérarchisé : par exemple, en natation, « il faut faire des mouvements de bras lents pour
réduire les cycles de bras »
- s‟il est lié à un autre invariant sous la forme d‟une règle d‟action, s‟il est
automatisé : par exemple, en basket, « si vous êtes démarqués alors vous avancez ».
Ainsi, l‟identification des ces unités conceptuelles et de leurs relations nous conduira à
caractériser la structure conceptuelle organisant le contenu de chaque enseignement d‟une
APSA spécifique par un enseignant singulier. Nous examinerons alors, pour chaque structure
conceptuelle identifiée :
- sa diversité ; c'est-à-dire le nombre d‟invariants distincts qui organisent le contenu
de chaque enseignement
- sa redondance ; c'est-à-dire la récurrence de tous les invariants
- sa finalisation ; c'est-à-dire la récurrence des invariants finalisés
- sa hiérarchisation ; c'est-à-dire la récurrence des invariants hiérarchisés
- son automatisation ; c'est-à-dire la récurrence des invariants automatisés
1 Brun (2007) souligne ainsi la pertinence des travaux de Vergnaud dans ce qu‟ils ont proposé une réponse
novatrice à un problème majeur de la didactique (des mathématiques) : « se donner une description du savoir qui
soit la plus pertinente pour la didactification de ce savoir ». 2 Ces différents éléments et variables renvoient en fait plus particulièrement à un type d‟invariant : les concepts-
en-acte. Ce serait un élément de discussion, mais il nous semble que dans les pratiques corporelles, les
théorèmes-en-acte, soit ce que le sujet considère pour vrai, demeurent complexes à caractériser. Il nous semble
alors qu‟en articulant les concepts-en-acte dans un réseau de finalisations, hiérarchisations et automatisations,
nous trouvons en EPS un moyen plus efficace pour décrire les conduites du sujet dans une activité déterminée.
Nous conservons alors le terme général d‟invariants.
86
- sa densité ; c'est-à-dire la quantité d‟invariants, distincts ou non, et de relations entre
ces invariants (soit le croisement de sa diversité, de sa redondance, de sa hiérarchisation et de
son automatisation)
Ainsi, la dimension conceptuelle du savoir expérientiel dans le processus de transmission
des savoir sera identifiée à partir de la diversité, la redondance, la finalisation, la
hiérarchisation, l‟automatisation et la densité de la structure conceptuelle organisant ce
processus. Il reste alors à examiner comment cette structure conceptuelle peut se donner à voir
pour le chercheur dans les pratiques effectives. Il faut donc s‟interroger sur les moyens qu‟a
l‟enseignant pour transmettre en classe les invariants et leurs articulations qui forment cette
structure conceptuelle.
« C‟est au travers des situations et des problèmes à résoudre qu‟un concept acquiert du
sens » (Vergnaud, 1990). Les invariants opératoires, unités de conceptualisation en acte, sont
construits par les sujets en situation et sont donc fonction des différentes situations auxquelles
ils sont confrontés. Dans cette optique, le rôle de l‟enseignant renvoie alors à faire en sorte
que les élèves se confrontent à des situations. Il doit alors, en amont des pratiques effectives
d‟enseignement, concevoir des situations, caractérisées par un ensemble de variables, pour
ensuite les définir en classe avec les élèves et leur dévoluer les responsabilités de la recherche
de solutions aux problèmes sous-jacents à ces situations. Ces situations, prises ici dans le sens
psychologique du terme, revoient ainsi aux « situations objectives »1 (Brousseau, 2007) qui
sont données à voir aux élèves et constituent alors le « milieu » de leur action. Elles renvoient
aux « conditions » de l‟action des élèves et peuvent être ramenées « à une combinaison de
relations de base avec des données connues et des inconnues, lesquelles correspondent à
autant de questions possibles » (Vergnaud, 1990). Mais, la conception de ces situations par
l‟enseignant ne se fait pas sans raison. Ces situations doivent être entièrement justifiées par la
connaissance visée par l‟enseignant. C. Margolinas (2005), reprenant les propos de G.
Brousseau (1998) à propos du processus de dévolution, souligne ce point essentiel : les
problèmes sous-jacents aux situations doivent être « judicieusement » choisis pour provoquer
chez l‟élève les adaptations « souhaitées » et grâce à ces problèmes, « la connaissance est
entièrement justifiée par la logique interne de la situation ». Ainsi, les situations conçues par
l‟enseignant sont traversées par son intention didactique et sont donc justifiées par « l‟enjeu
de savoir » que celui-ci met en scène par leur intermédiaire. Ces situations sont dîtes
1 Dans la classification Brousseau-Margolinas des situations (Margolinas, 1995)
87
adidactiques (Brousseau, 1998). Elles nous semblent alors être un premier support à la
transmission d‟invariants opératoires. Car en identifiant ces situations dans leur conception1,
le chercheur a accès à l‟intention didactique du professeur et donc aux conceptualisations en
acte qu‟il souhaite voir émerger chez ses élèves. Ainsi, les invariants opératoires transmis par
l‟enseignant seront dans un premier temps identifiés à partir d‟inférences effectuées par le
chercheur vis-à-vis des conceptualisations sous-jacentes aux situations adidactiques, croisées
avec l‟explicitation par l‟enseignant de son intention didactique2.
« Mais le travail de médiation de l‟enseignant ne s‟arrête pas au choix des situations les
plus fécondes et les plus opportunes » (Vergnaud, 2001). Dans le processus de transmission
des savoirs, les phases de dévolution ne sont pas les seules qui permettent de transmettre des
invariants opératoires. La multiplicité des interactions didactiques est aussi un vecteur de
conceptualisation. Qu‟il s‟agisse des phases de définition, de régulation ou
d‟institutionnalisation (Sensevy, Mercier, Schubauer-Léoni, 2000), les interactions entre
l‟enseignant et les élèves sont des moments clés du processus de transmission des savoirs. Les
invariants opératoires qui constituent ce processus sont donc aussi largement mis en jeu lors
de ces interactions. On peut alors identifier différents supports à la transmission des invariants
opératoires lors des interactions didactiques. Nous en distinguons trois :
- les interactions langagières : nous avons déjà insisté sur ce point, le langage est un
large vecteur de conceptualisation (Vergnaud, 2001). Lorsque l‟enseignant définit les
situations en classe, lorsqu‟il régule l‟activité des élèves ou lorsqu‟il institutionnalise le
savoir, l‟activité langagière de l‟enseignant demeure prépondérante. Ainsi, la partie de son
discours qui renvoie à l‟APSA enseignée fait référence à une diversité d‟invariants
opératoires. Une analyse du contenu des interactions langagières est alors nécessaire pour
identifier l‟activité didactique de l‟enseignant concernant la transmission des invariants
opératoires (Vannier-Benmostapha, 2002). Nous identifierons alors dans le discours de
l‟enseignant les différents invariants constitutifs de l‟APSA enseignée qu‟il met jeu.
1 D‟un point de vue méthodologique, cela peut être fait par l‟intermédiaire d‟observations in situ, mais aussi par
une analyse ante-séance (fiches de préparations de séances, entretiens ante-séance). Nous expliciterons notre
démarche dans la partie méthodologique. 2 Cette démarche permet ainsi d‟avoir précisément accès au savoir enseigné par le professeur et non pas au
savoir appris par les élèves. En effet, l‟action étant le vecteur de la conceptualisation, « le fait de doter le sujet
d‟un moyen d‟agir lui offre l‟occasion de construire ses propres invariants » (Vannier-Benmostapha, 2002).
Ainsi, la diversité des invariants construits par les élèves en se confrontant aux situations dépasse inévitablement
celle que l‟enseignant souhaite qu‟ils construisent. Notre regard porté sur l‟intention didactique de l‟enseignant
permet ainsi d‟identifier ici précisément ce que l‟on souhaite : la dimension conceptuelle du savoir expérientiel
organisant le processus de transmission des savoirs. Chevallard (1991), parlant de ces « savoirs appris sans
jamais être enseignés », considère que c‟est bien l‟explicitation de l‟intention didactique qui définit les savoirs
enseignés.
88
- les procédures ostensives (Salin, 2002) non verbales : les procédures ostensives sont
des pratiques dans lesquelles l‟enseignant « donne à voir » (op.cit.) du savoir. Elles peuvent
être langagières, lorsque l‟enseignant explicite des éléments de solution au problème posé aux
élèves. Mais d‟autres formes de procédures ostensives nous semblent constituer un média à la
transmission d‟invariants. En effet, particulièrement en EPS, sans nommer d‟invariant,
l‟enseignant peut en « montrer » aux élèves. Il peut alors « montrer » par l‟intermédiaire
d‟une démonstration corporelle, ou de celle d‟un élève, par une schématisation scripturale ou
par une manipulation du corps de l‟élève. Par exemple, en basket, pour l‟invariant « le double
pas », l‟enseignant peut réguler l‟activité d‟un élève en lui expliquant qu‟il s‟agit de « ça »,
tout en montrant simultanément ce qu‟il faut faire avec son corps, avec celui d‟un autre élève,
en schématisant ce qu‟il faut faire sur un tableau ou en manipulant le corps de l‟élève en
question. Nous identifierons alors les invariants en jeu dans chacune de ces procédures.
- les modifications du milieu de l‟élève : lorsque l‟enseignant régule l‟activité de
l‟élève, il peut notamment intervenir sur le milieu de l‟élève, sur la « situation objective », en
modifiant les différentes variables matérielles ou symboliques qui la constituent. Ainsi, la
modification du milieu de l‟élève, sous-tendue par une intention didactique précise de la part
de l‟enseignant, peut entraîner une modification de l‟ « enjeu de savoir » et donc des
invariants opératoires sous-jacents à la situation. Ces interventions de l‟enseignant changent
ainsi parfois la situation adidactique. Nous les étudierons alors en même temps que nous
examinerons les invariants sous-jacents aux situations adidactiques.
Ainsi, d‟une manière générale, nous identifierons les invariants opératoires constitutifs
du processus de transmission des savoirs, par l‟intermédiaire des situations adidactiques et de
leurs modifications, ainsi que du discours de l‟enseignant et des procédures ostensives non
verbales.
Pour identifier la structure conceptuelle organisant le contenu du processus de
transmission des savoirs, il nous reste à examiner comment l‟enseignant peut transmettre les
différentes articulations entre les invariants ; c'est-à-dire, comment il peut transmettre des
invariants finalisés, hiérarchisés et automatisés1. Ainsi, même s‟ils prennent dans ces cas-là
des formes spécifiques, il s‟agit bien encore une fois d‟identifier des invariants. Nous
1 L‟enseignant peut cibler son intervention sur un but ou une règle d‟action. Cependant, « rien ne prouve que des
interventions en termes de règles d‟action ne favorisent pas la construction d‟invariants opératoires » (Vannier-
Benmostapha, 2002). A vrai dire, toute intervention sur une règle d‟action (ou sur un but) met en jeu des
invariants opératoires. Les buts et les règles d‟action renvoient davantage à des formes d‟articulation entre les
différents invariants. Nous préférons alors parler d‟invariants finalisés, hiérarchisés et automatisés.
89
considérons donc qu‟ils sont finalisés, hiérarchisés et automatisés à l‟intérieur même des
situations adidactiques et de leurs modifications, du discours de l‟enseignant et des procédures
ostensives non verbales. En ce qui concerne la finalisation des invariants, en judo par
exemple, l‟enseignant peut proposer une situation adidactique au travers de laquelle il
souhaite que les élèves comprennent qu‟« il faut utiliser la force de l’adversaire ». Vis-à-vis
de la hiérarchisation, il peut réguler l‟activité d‟un élève en lui disant qu‟« il doit avoir un
kumikata souple pour pouvoir utiliser la force de son adversaire ». Enfin, à propos de
l‟automatisation, il peut manipuler le corps de l‟élève pour lui expliquer que « si ça
(l’adversaire avance), alors comme ça (tu fais une projection avant) ».
Tableau 1 : la dimension conceptuelle organisant le contenu du processus de transmission des savoirs
Dimension
constitutive du
savoir expérientiel
Eléments constitutifs de la dimension
dans le processus de transmission (ce que
l‟on identifie dans les pratiques effective)
Supports didactiques
de ces éléments
(formes sous lesquelles
on peut l‟identifier)
La dimension
conceptuelle
Diversité de la structure conceptuelle
(nombre d‟invariants distincts)
- situations
adidactiques
- discours de
l‟enseignant
- procédures ostensives
non verbales
Redondance de la structure conceptuelle
(récurrence de tous les invariants)
Finalisation de la structure conceptuelle
(nombre d‟invariants finalisés)
Hiérarchisation de la structure conceptuelle
(nombre d‟invariants hiérarchisés)
Automatisation de la structure conceptuelle
(nombre d‟invariants automatisés)
Densité de la structure conceptuelle
Nous identifierons ainsi la dimension conceptuelle organisant le processus de
transmission des savoirs. Mais, au-delà de l‟identification d‟une dimension spécifique du
savoir expérientiel, la caractérisation de la structure conceptuelle et plus particulièrement des
invariants opératoires nous permettra de définir des objets à partir et autour desquels les
différentes dimensions du savoir expérientiel seront analysées. En effet, les différents
éléments constitutifs des différentes dimensions dans les processus de transmission seront
90
toujours référés aux invariants préalablement identifiés. Nous pourrons ainsi préserver la
spécificité du contenu de chaque processus didactique pour toutes les dimensions examinées.
b. La dimension signifiante organisant le contenu du processus de transmission des
savoirs
La dimension signifiante du savoir expérientiel renvoie à l’ensemble des
signifiants (appartenant à des champs lexicaux propres à des institutions spécifiques)
appropriés par le sujet et à leur articulation avec les invariants opératoires déjà
construits par celui-ci ou en voie de construction.
Dans son expérience personnelle de pratiquant, l‟enseignant s‟est approprié une diversité
de signifiants relatifs à différents domaines, à différentes activités sociales, qu‟il a par la suite
la charge de transmettre. Dans le processus de transmission, l‟enseignant utilise ces signifiants
pour nommer différents objets, différentes propriétés, différentes caractéristiques relatifs à
l‟APSA enseignée. Ainsi, certains signifiants utilisés par l‟enseignant participent en fait à la
construction ou à la spécification des invariants opératoires qu‟il met en jeu (Vergnaud,
2001). Nous définirons ces signifiants comme ayant un intérêt didactique dans le processus
de conceptualisation de l’APSA. Nous limiterons la première partie de l‟analyse de la
dimension signifiante à ces signifiants-là. Par exemple en danse hip-hop, pour un invariant
comme « les pas de danse », l‟enseignant peut utiliser différents signifiants qui le spécifient,
tels que « la coupole », « les trax » ou « tourner sur la tête ». Dans un premier temps nous
identifierons donc simplement l’importance de la dimension signifiante, c'est-à-dire le
nombre de signifiants distincts ayant un intérêt didactique dans le processus de
conceptualisation utilisés par l‟enseignant. En référant chaque signifiant à un invariant
préalablement identifié, cet examen nous permettra alors d‟examiner à la fois l‟importance de
la dimension signifiante et la dynamique de conceptualisation initiée par cette dimension
signifiante.
Mais nous avons aussi montré que la dimension signifiante est la plus adaptée pour
révéler l‟expérience institutionnelle du sujet. Ainsi, dans le processus de transmission des
savoirs, les signifiants utilisés par l‟enseignant renvoient à des champs lexicaux1 spécifiques
faisant alors référence à des institutions spécifiques. Nous identifierons alors ensuite
l’appartenance institutionnelle des signifiants, à partir des champs lexicaux auxquels
appartiennent les différents signifiants utilisés par l‟enseignant. Afin d‟identifier plus
1 Un champ lexical désigne un ensemble théorique de mots appartenant à une même catégorie syntaxique et liés
par leur domaine de sens.
91
précisément le poids de son expérience personnelle dans une activité spécifique, nous
distinguerons dans le champs lexicaux identifiés ceux qui appartiennent à l‟APSA enseignée,
au groupe d‟activités auquel l‟APSA appartient, ou à d‟autres institutions. Ainsi, en danse
hip-hop, nous catégoriserons différemment les signifiants suivants (relatifs à l‟invariant « les
pas de danse ») : « le Canard boiteux », « le trépieds » et « l‟appui sur la tête ».
Enfin, toujours relativement à l‟expérience institutionnelle, la prise en compte de la
diversité des signifiants ne doit pas laisser de côté ceux qui, sans véritablement participer à la
conceptualisation en acte de l‟APSA, sans vraiment renvoyer à un invariant déjà identifié,
permettent tout de même de décrire certains aspects de l‟APSA. Il s‟agit des signifiants faisant
référence aux contextes historique, culturel, spatio-temporel, matériel et didactique de l‟APSA
ou du groupe auquel appartient l‟APSA1. Nous nommerons ainsi l‟ensemble des signifiants se
rapportant à ces différents contextes : la référence institutionnelle. Nous identifierons alors
l’importance de la référence institutionnelle pour chaque APSA enseignée. En reprenant
respectivement les différents contextes cités, on prendra par exemple en compte en danse hip-
hop les signifiants suivants : « les 5 piliers du hip-hop », « Saïan Supa Crew », « le Gala »,
« une coudière », « un miroir ».
La dimension signifiante organisant le contenu du processus de transmission des savoirs
sera donc identifiée à partir de son importance (la quantité de signifiants ayant un intérêt
didactique dans le processus de conceptualisation de l‟APSA), de l‟appartenance
institutionnelle des signifiants et de l‟importance de la référence institutionnelle.
La diversité des moyens que possède l‟enseignant pour transmettre les signifiants s‟avère
relativement limitée. Dans la mesure où les signifiants ont pour matrice une convention
arbitraire, le langage, ils ne peuvent être transmis autrement que par son intermédiaire. Ils
n‟émergent pas à partir d‟une conceptualisation du réel ni d‟une confrontation à un problème.
Ainsi, ils ne peuvent être présentés ostensiblement sans avoir recours au langage. Nous les
identifierons ainsi uniquement au travers du discours de l‟enseignant lors des interactions
langagières avec ses élèves.
1 Les contextes historique et culturel renvoient à l‟ensemble des personnes, des communautés, des lieus, des
périodes, des produits et des activités qui ont accompagné la genèse, le développement et la pérennité de
l‟activité ou du groupe d‟activités en question. Les contextes spatio-temporel et matériels renvoient aux cadres
institutionnels de pratique de l‟activité ou du groupe et aux objets matériels institués. Le contexte didactique
renvoie à l‟ensemble des objets matériels et symboliques qui ont été conçus en vue de l‟enseignement de
l‟activité ou du groupe.
92
Tableau 2 : la dimension signifiante organisant le contenu du processus de transmission des savoirs
Dimension
constitutive
du savoir
expérientiel
Eléments constitutifs de la dimension dans le
processus de transmission (ce que l‟on identifie
dans les pratiques effective)
Supports
didactiques de ces
éléments (formes
sous lesquelles on
peut l‟identifier)
La
dimension
signifiante
Importance de la dimension signifiante (nombre de
signifiants ayant un intérêt didactique dans le
processus de conceptualisation de l‟APSA)
- discours de
l‟enseignant
Appartenance institutionnelle des signifiants (nombre
de signifiants appartenant aux champs lexicaux de
l‟APSA, du groupe de l‟APSA ou autres)
Importance de la référence institutionnelle (nombre
de signifiants renvoyant aux contextes de l‟APSA ou
du groupe de l‟APSA)
c. La dimension corporelle organisant le contenu du processus de transmission des
savoirs
La dimension corporelle du savoir expérientiel renvoie donc à l’ensemble des
sensations et des repères sensoriels construits par le sujet et à leur articulation avec les
invariants opératoires déjà construits par celui-ci ou en voie de construction.
Une part du savoir expérientiel se situe en dehors des représentations. Elle renvoie à
l‟expérience corporelle du sujet. Cette dimension corporelle du savoir expérientiel peut être
alors identifiée à partir des sensations que le sujet a pu éprouver de manière répétée dans son
expérience et, par extension, des repères sensoriels qu‟il a pu construire. Ainsi, dans son
expérience personnelle dans une APSA, le sujet enseignant s‟est confronté à ces états
corporels bruts et immédiats que sont les sensations. Compte tenu de leur caractère immédiat,
les sensations ne peuvent à proprement parler être objectivées ou nommées ni même donc
explicitement transmises. Ainsi, dans le processus de transmission, les sensations transmises
par l‟enseignant ne peuvent renvoyer à des objets circonscrits que l‟enseignant pourrait
nommer et donc conceptualiser. L‟identification des sensations transmises se limite donc
inévitablement à l‟examen des moyens mis en œuvre par l‟enseignant pour faire vivre
93
corporellement aux élèves certains aspects spécifiques de chaque APSA. On ne peut donc
identifier ces sensations en tant que telles, c'est-à-dire en dehors des moyens mis en œuvre
pour les transmettre. On présentera ces moyens par la suite. Retenons pour l‟instant que nous
identifierons en premier lieu l’importance des sensations, c'est-à-dire le nombre de
sensations transmises par l‟enseignant, soit le nombre de fois où il utilise une procédure
didactique identifiée comme vecteur de sensations.
Nous identifierons aussi la dimension corporelle organisant le contenu du processus de
transmission à partir des repères sensoriels mis en jeu par l‟enseignant. Première forme de
conceptualisation des sensations, les repères sensoriels peuvent, eux, être nommés et
identifiés ainsi de manière autonome. Ils renvoient aux différents éléments de
l‟environnement ou du corps sur lesquels l‟enseignant propose à ses élèves d‟arrêter leur
perception. Par exemple en natation, l‟enseignant peut expliquer à ses élèves qu‟« il ne faut
faire plus que deux mouvement de bras lorsqu‟ils voient l’extrémité de la ligne au fond de
l’eau » ou encore que « la main droite rentre dans l‟eau dès que la main gauche est collée à la
hanche gauche ». Ainsi, on identifiera l’importance des repères sensoriels, c'est-à-dire le
nombre de repères sensoriels mis en jeu par l‟enseignant. On insistera alors sur la distinction
entre les repères extéroceptifs, portant sur l‟environnement, et ceux proprioceptifs, portant sur
son propre corps. Dans la mesure où le ressenti de son propre corps est une marque privilégiée
de l‟expérience corporelle, les repères proprioceptifs seront reconnus comme un élément
fondamental du savoir expérientiel.
Pour cette même raison, nous attacherons aussi de l‟importance à la place du corps
dans le discours de l‟enseignant. Nous identifierons alors enfin l’importance de la référence
corporelle dans le processus de transmission, c'est-à-dire la diversité et la redondance des
signifiants appartenant au champ lexical du corps.
Pour finir d‟identifier la dimension corporelle organisant le contenu du processus de
transmission des savoirs, nous référerons l‟ensemble des sensations et des repères sensoriels
aux invariants opératoires identifiés au préalable.
Les sensations, les repères sensoriels et les signifiants ne peuvent évidemment pas être
transmis en classe par les mêmes moyens. En ce qui concerne les signifiants appartenant au
champ lexical du corps, comme les autres signifiants, ils ne peuvent être mis en jeu que par
l‟intermédiaire du discours de l‟enseignant. Les repères sensoriels, eux, appartiennent déjà à
la conceptualisation. Ainsi, comme les invariants, pour être transmis par l‟enseignant, ils
94
peuvent être l‟objet d‟une situation adidactique, du discours de l‟enseignant ou d‟une
procédure ostensive non verbale.
En revanche, la spécificité des sensations impose d‟identifier de manière singulière les
différents moyens utilisables par l‟enseignant pour transmettre ces états bruts et immédiats. Il
s‟agit donc d‟examiner quels peuvent être les médias spécifiques des sensations en classe.
Considérant leur siège corporel, l‟enseignant ne peut les transmettre qu‟en agissant
directement sur le corps de l‟élève. Nous distinguons alors cinq moyens de transmission des
sensations :
- une situation adidactique, dans laquelle l‟intention didactique du professeur est
marquée par l‟importance des sensations ; l‟élève se confronte alors à un milieu source de
sensations
- une démonstration corporelle, par l‟intermédiaire du corps de l‟enseignant ou de
celui d‟un autre élève ; l‟élève se confronte alors à une image source de sensations
- une manipulation du corps de l‟élève ; l‟élève se confronte alors aux sensations
inhérentes au geste guidé
- une attention sensorielle, c'est-à-dire une intervention de l‟enseignant qui souligne
une attention sensorielle précise et donc une attitude corporelle de la part des élèves ; par
exemple, en danse, à propos du rythme, l‟enseignant peut dire à ses élèves : « Attention, on
écoute… »
- une remédiation sensorielle, c'est-à-dire une modification du milieu de l‟élève qui
oriente son activité sensorielle ; par exemple, en danse, à propos du rythme, l‟enseignant peut
augmenter le son du lecteur audio.
95
Tableau 3 : la dimension corporelle organisant le contenu du processus de transmission des savoirs
Dimension
constitutive
du savoir
expérientiel
Eléments constitutifs de la
dimension dans le processus de
transmission (ce que l‟on identifie
dans les pratiques effective)
Supports didactiques de ces
éléments (formes sous lesquelles on
peut l‟identifier)
La
dimension
corporelle
Importance des sensations (nombre de
sensations)
- situations adidactiques
- démonstrations
- manipulations
- attentions sensorielles
- remédiations sensorielles
Importance des repères sensoriels
(nombre de repères sensoriels)
- situations adidactiques
- discours de l‟enseignant
- procédures ostensives non verbales
Importance de la référence corporelle
(nombre de signifiants appartenant au
champ lexical du corps)
- discours de l‟enseignant
d. La dynamique représentationnelle/situationnelle organisant le contenu du
processus de transmission des savoirs
La dynamique situationnelle/représentationnelle du savoir expérientiel renvoie
donc à la capacité du sujet à articuler les aspects du savoir inscrit dans chaque situation
singulière et ceux objectivés en représentations, au travers de processus inférentiels.
Dans son expérience personnelle, le sujet s‟est confronté à la fois à un savoir inscrit dans
le contexte, le présent de sa propre action en situation et à un savoir dégagé de cette situation,
objectivé en représentation. Au travers de processus inférentiels, il a alors pu construire une
capacité à articuler ces deux aspects du savoir. La dynamique
situationnelle/représentationnelle renvoie ainsi à cette dialectique inévitable entre dimension
situationnelle et dimension représentationnelle dans la construction du savoir expérientiel.
Dans le processus de transmission des savoirs, le sujet enseignant peut alors valoriser chacune
de ces dimensions ou leur articulation. Ses interventions didactiques peuvent se centrer sur la
singularité de la situation objective dans laquelle se trouve chaque élève ou sur des éléments
génériques constitutifs de l‟activité enseignée. Elles peuvent aussi avoir pour objet
96
l‟articulation entre ces deux aspects, mettant ainsi directement en jeu des processus
inférentiels. On peut alors identifier ces trois types d‟interventions, par exemple en basket.
L‟enseignant peut intervenir auprès d‟un élève porteur de balle en lui disant : « Lève la tête »
ou « En basket, il faut sortir ses yeux du ballon pour regarder le placement de ses
partenaires », ou encore « Lève la tête, car en basket il faut toujours regarder le placement de
ses partenaires ». Ainsi, sans encore s‟arrêter sur les processus inférentiels sous-jacents à ces
interventions, nous identifierons dans un premier temps la prépondérance des dimensions
situationnelle et représentationnelle dans les interventions de l‟enseignant, c'est-à-dire le
nombre d‟interventions centrées sur la singularité de la situation, sur des éléments génériques
constitutifs de l‟activité enseignée ou sur leur articulation.
Ce dernier type d‟intervention met en avant le fondement de la dynamique
situationnelle/représentationnelle : les processus inférentiels. Dans le processus de
transmission, l‟enseignant peut en effet transmettre, plus ou moins implicitement, les
inférences sous-jacentes à l‟articulation entre des singularités situationnelles et des généricités
représentationnelles. Ces inférences renvoient ainsi toujours à des mises en relation entre des
invariants identiques mais mis en jeu dans des situations distinctes ou dans différentes phases
de « formulation » ou de « validation » (Brousseau, 1986) sous la forme de représentations
(Vannier-Benmostapha, 2002). Nous identifierons alors ensuite l’importance des processus
inférentiels dans le processus de transmission, c'est-à-dire le nombre de processus inférentiels
mis en jeu par l‟enseignant en classe.
La prépondérance des dimensions situationnelle et représentationnelle lors des
interventions de l‟enseignant s‟identifie, par définition, dans les interactions didactiques. Les
situations adidactiques, considérées une par une, privilégient inévitablement la dimension
situationnelle et ne nous semblent alors pas devoir être prises en compte comme un support à
la transmission de cette dialectique. En revanche, chaque intervention centrée sur une des
deux dimensions ou sur leur articulation renvoie inévitablement à un ou plusieurs invariants.
Ainsi, en classe, leurs médias sont le mêmes que pour les invariants dans les interactions
didactiques : le discours de l‟enseignant et les procédures ostensives non verbales.
En ce qui concerne les inférences organisant le processus de transmission des savoirs,
l‟identification de leurs supports didactiques passe par l‟examen des moyens utilisables par
l‟enseignant pour mettre en relation des éléments de savoir déjà construits avec la singularité
d‟une situation. Ainsi, une situation adidactique, prise de manière isolée, ne peut être
véritablement identifiée comme vecteur de processus inférentiels. En revanche, une relation
97
entre deux situations mettant en jeu des mêmes invariants est une source d‟inférences.
L‟enseignant peut alors proposer aux élèves plusieurs situations adidactiques qui s‟enchaînent
dans le temps et qui mettent en jeu des mêmes invariants. Ces invariants déjà construits par
les élèves ou en voie de construction peuvent alors être « réinvestis » dans une suite de
situations. Nous considérons alors que ces « réinvestissements » sous-jacents aux
enchaînements de situations sont les supports de la transmission d‟inférences au travers de
situations adidactiques. Nous identifions quatre types de réinvestissement, catégorisés en
fonction de « la charge inférentielle laissée à l‟élève » (Vannier-Benmostapha, 2002), c'est-à-
dire la mesure dans laquelle l‟élève doit user de processus inférentiels pour réinvestir les
invariants qu‟il a déjà construits1 :
- un réinvestissement à l’identique, dans une situation identique
- un réinvestissement direct, dans une situation mettant en jeu la même structure
conceptuelle dans un contexte plus large ou plus restreint (un milieu didactique avec une
variable de plus ou de moins)
- un réinvestissement indirect explicite, dans une situation ouverte renvoyant à la
« situation de référence » aménagée par l‟intermédiaire de variables didactiques orientant
l‟activité des élèves ou explicitée dans un sens bien précis par l‟enseignant
- un réinvestissement indirect implicite, dans une situation ouverte renvoyant à la
situation de référence.
Nous identifierons donc les processus inférentiels mis en jeu par l‟enseignant au travers
des enchaînements de situations adidactiques. Mais l‟enseignant peut aussi mettre en jeu des
processus inférentiels dans les interactions didactiques. Il peut, par le discours, mettre en
relation la singularité de la situation dans laquelle se trouve l‟élève avec des éléments de
savoir construits en dehors de cette situation. Qu‟il s‟agisse d‟invariants construits en amont
de la situation en classe ou en dehors de la classe, l‟enseignant peut référer son intervention
singulière à des éléments de savoir extérieurs à cette situation. Nous considérons alors que par
l‟intermédiaire d‟analogies, le discours de l‟enseignant peut être un vecteur d‟inférences. Par
exemple, en danse, l‟enseignant peut dire à un élève qu‟« il peut faire les mêmes pas qui ont
été montrés la semaine précédente » (analogie interne à l‟institution classe) ou encore qu‟« il
peut faire un pas comme un militaire » (analogie externe à l‟institution classe).
1 Les réinvestissements identifiés sont inscrits dans la temporalité de l‟institution classe. Notre intention est bien
ici d‟identifier les processus inférentiels transmis par l‟enseignant au travers des situations qu‟il propose aux
élèves. Il y a des réinvestissements qui trouvent leur source en dehors de la classe, qui s‟appuient sur
l‟expérience personnelle de chaque élève. Mais, vis-à-vis des élèves, notre démarche de recherche se limite bien
à l‟intérieur de l‟institution classe.
98
Tableau 4 : la dynamique situationnelle/représentationnelle organisant le contenu du processus de
transmission des savoirs
Dimension
constitutive du
savoir
expérientiel
Eléments constitutifs de la
dimension dans le processus de
transmission (ce que l‟on identifie
dans les pratiques effective)
Supports didactiques de ces
éléments (formes sous lesquelles
on peut l‟identifier)
La dynamique
situationnelle /
représentationnelle
La prépondérance des dimensions
situationnelle et représentationnelles
(nombre d‟interventions centrées sur
chaque dimension ou sur leur
articulation)
- discours de l‟enseignant
- procédures ostensives non
verbales
L‟importance des processus
inférentiels (nombre de processus
inférentiels)
- discours analogique de
l‟enseignant
- enchaînements des situations
adidactiques
e. La part d’initiative organisant de contenu du processus de transmission des savoirs
La part d’initiative du savoir expérientiel renvoie à la capacité du sujet à prendre
des décisions et à faire des choix en situation.
Dans son expérience personnelle, le sujet s‟est confronté à un savoir dont il a endossé la
responsabilité en situation. Inscrit dans des pratiques finalisées, il a poursuivi des buts par
rapport auxquels il a du décider des moyens à mettre en œuvre pour les atteindre. Ces
décisions, inscrites dans le présent de chaque situation singulière, l‟ont donc mené à effectuer
des choix immanents à ces situations. Si ces choix se font à partir de la reconnaissance des
invariants constitutifs de chaque situation, de leurs inscriptions dans des hiérarchies de buts,
des règles d‟action, et par l‟intermédiaire de sensations, de repères sensoriels, de signifiants,
de processus inférentiels, pour autant, la capacité à effectuer ces choix, à prendre ces
décisions, souligne une spécificité du savoir expérientiel : il répond à l‟initiative du sujet.
Dans son expérience de pratique, il y a inévitablement un moment où c‟est le sujet qui décide,
qui choisit et qui s‟affirme donc en sujet, c'est-à-dire comme capable d‟initiative (Galan,
Terrisse, Vigne, 2006).
99
Alors, dans le processus de transmission des savoirs, l‟enseignant peut valoriser cette
prise de décision, cette saisie de choix, en permettant aux élèves de prendre l‟initiative, d‟être
responsables des moyens mis en œuvre pour atteindre des buts déterminés1. Chaque situation
proposée aux élèves est définie par un but, plus ou moins explicité par l‟enseignant, qu‟ils
doivent donc tenter d‟atteindre. Ce but assigné aux élèves par l‟enseignant révèle ainsi la
« tâche » (Le Ny, 1996) qui leur incombe, soit « ce que le sujet doit faire en réponse à une
situation » (Brousseau, 2007). Nous postulons alors que l‟enseignant, en définissant cette
tâche avec les élèves et en régulant leur activité au regard de cette tâche peut, plus ou moins,
valoriser la prise de décision dans son processus de transmission. En effet, ces définitions et
régulations peuvent sous-tendre une possibilité de faire des choix, de prendre des décisions ;
ces choix potentiels peuvent alors être d‟inexistants à illimités. Nous identifierons alors, dans
chaque enseignement mené, l’importance des choix potentiels, c'est-à-dire le nombre de
choix potentiels mis en jeu par l‟enseignant en classe.
La mise en jeu de choix potentiels pour les élèves afin d‟accomplir les tâches
déterminées par l‟enseignant nous semble pouvoir être effectuée par l‟intermédiaire de deux
médias. D‟une part, au travers des situations que l‟enseignant propose à ses élèves, plus
précisément lorsque celui-ci définit (Sensevy, Mercier, Schubauer-Léoni, 2000) ces situations
et conduit ainsi ses élèves à s‟engager dans une activité finalisée. D‟autre part, dans les
interactions didactiques, lorsqu‟il régule leur activité ou institutionnalise une procédure.
En ce qui concerne les situations, nous en identifions a priori trois types, que l‟on
distingue relativement à la possibilité de faire un choix pour atteindre le but qui les caractérise
pour les élèves :
- Par exemple, en natation, si le but déterminé est « faire le moins possible de cycles
de bras sur 50m », alors on peut identifier des bonnes solutions, telles que « aller chercher
loin devant avec ses bras » ou « faire des battements de jambes actifs ». Il s‟agit d‟une
situation dans lesquelles il existe une ou plusieurs « bonnes solutions » permettant de résoudre
le problème, d‟accomplir la tâche, d‟atteindre le but déterminé par l‟enseignant. Dans ces
situations, la bonne solution est stable, reconnue et instituée.
1 Les élèves peuvent aussi être à l‟initiative de ces buts. Toutefois, si c‟est le cas, ces buts ne sont bien que des
sous-buts au service d‟un but dont ils ne peuvent être responsable. Il s‟agit du but de la situation, déterminé par
l‟enseignant, sans lequel il n‟y a pas de tâche, pas de problème, pas de situation. Ces sous-buts ne sont donc rien
d‟autre que des moyens mis en œuvre pour atteindre le but déterminé par l‟enseignant. Toutefois, les élèves
peuvent contourner ce but pour agir à leur gré. Mais, nous intéressant au processus de transmission des savoirs,
nous ne prenons pas en compte ces contournements.
100
- Par exemple en rugby, s‟il s‟agit de « passer la ligne des défenseurs en 3 contre 2 »,
alors les bonnes solutions sont relatives à chaque situation objective singulière dans laquelle
se trouve l‟élève. Elles peuvent être « avancer en passant le ballon à son partenaire »,
« avancer en fonçant dans un intervalle » ou encore « avancer en feintant le défenseur et en
le contournant ». Il s‟agit d‟une situation dans laquelle chaque « bonne solution » pour
atteindre le but déterminé se décline en diverses modalités pertinentes relativement à la
situation objective. Dans ces situations, la bonne solution consiste à faire le bon choix.
- Par exemple en danse, s‟il s‟agit de « transmettre une sensation au public », alors les
bonnes solutions sont illimitées, elles renvoient à la déclinaison infinie des sensations et des
façons personnelles ou collectives de les exprimer. Elles peuvent consister autant à « imiter un
individu en colère » qu‟à « donner une impression de douceur ». Il s‟agit d‟une situation dans
laquelle « la bonne solution » est relative à une infinité de variables personnelles et
environnementales qui ouvrent une infinité de choix potentiels pour atteindre le but
déterminé. Dans ces situations, la bonne solution est à l‟initiative de l‟élève.
Ainsi, ces trois types de situations mettent en jeu des choix potentiels de manière très
différente. Toutefois, on remarquera que ces choix potentiels sont en fait parfaitement
dépendants du but déterminé, tel qu’il est explicité par l’enseignant. Car, par exemple, dans la
situation de natation que nous venons de présenter, si, lorsque l‟enseignant définit le but à
atteindre pour les élèves, il l‟explicite ainsi : « vous devez faire le moins de cycles de bras sur
50m », alors, pour les élèves, les choix potentiels sont illimités ; cependant, s‟il le fait ainsi :
« vous devez faire le moins de cycles de bras sur 50m, donc il faut que vous alliez chercher
loin avec vos bras et que vous ayez des battements de jambes actifs », alors, pour les élèves,
les choix potentiels sont nuls. Dans ce deuxième cas, les bonnes solutions sont devenues des
sous-buts. La tâche qui leur incombe n‟est plus la même. Nous identifierons alors les choix
potentiels mis en jeu par l‟enseignant à partir d‟une analyse du discours de l‟enseignant, dans
les phases de définition des situations, lorsqu‟il explicite, sous la forme de buts et sous-buts,
la tâche qui incombe aux élèves. Nous considérons ainsi que la définition de chaque situation
par l‟enseignant conduit à une mise en jeu de choix potentiels, pouvant prendre trois formes :
les élèves n‟ont aucun choix (0), un nombre de choix dénombrable (n) ou indénombrable
(∞)1.
1 L‟analyse des phases de définition s‟avère ainsi particulièrement pertinente pour les situations qui, sans cette
analyse, semblerait offrir une infinité de choix aux élèves ; mais, qui, avec cette analyse, offre, de manière
effective, un nombre de choix dénombrable ou aucun choix.
101
En ce qui concerne les interactions didactiques, l‟enseignant peut aussi mettre en jeu des
choix potentiels, lorsqu‟il régule l‟activité des élèves à partir d‟un choix ou qu‟il
institutionnalise une procédure fondée sur un choix. Au niveau des phases de régulation,
quand l‟enseignant intervient auprès d‟un élève pour lui proposer des solutions lui permettant
d‟atteindre les buts préalablement déterminés, il peut, soit lui proposer une bonne solution,
soit soumettre à son choix plusieurs solutions. Dans ce dernier cas, l‟enseignant met en jeu
des choix potentiels. Il peut alors soit expliciter plusieurs solutions et demander aux élèves de
choisir, soit proposer une bonne solution et souligner, sans les expliciter, l‟existence d‟autres
bonnes solutions, ou encore, il peut simplement rappeler le but et insister sur la nécessité de
faire un choix. Enfin, il peut aussi, dans les phases d‟institutionnalisation, arrêter une bonne
solution qui relève en elle-même d‟un choix potentiel. Nous considérons alors que certaines
interventions de l‟enseignant ont un choix potentiel pour objet. Ces choix renvoyant
inévitablement à une déclinaison ou à une articulation d‟invariants, dans les interactions
didactiques, ils sont transmis, comme eux, au travers de son discours et des procédures
ostensives non verbales.
Tableau 5 : la part d’initiative organisant le contenu du processus de transmission des savoirs
Dimension
constitutive
du savoir
expérientiel
Eléments constitutifs de la
dimension dans le processus de
transmission (ce que l‟on identifie
dans les pratiques effective)
Supports didactiques de ces
éléments (formes sous lesquelles on
peut l‟identifier)
La part
d‟initiative
L‟importance des choix potentiels
dans les situations
(nombre de tâches 0, n ou ∞)
- discours de l‟enseignant dans les
phases de définition des situations
L‟importance des choix potentiels
dans les interactions
(nombre d‟interventions ayant un
choix pour objet)
- discours de l‟enseignant dans les
phases de régulation et
d‟institutionnalisation
- procédures ostensives non verbales
102
f. L’organisation globale du contenu du processus de transmission des savoirs
L’organisation globale du savoir expérientiel renvoie à la capacité du sujet à
appréhender l’activité comme un tout organisé dans lequel chaque élément est lié à
l’ensemble des autres éléments.
L‟expérience de pratique dans une activité confronte le sujet à la globalité du réel qui
la constitue. Le savoir expérientiel est ainsi imprégné de cette globalité. Il renvoie à un tout
dans lequel les différentes unités conceptuelles et leurs ancrages corporels et institutionnels
qui peuvent le composer s‟articulent d‟une manière spécifique et forment une organisation
globale singulière. Dans la mesure où cette organisation globale se distingue de la somme des
éléments qui la composent, elle constitue une dimension spécifique du savoir expérientiel.
Celui-ci renvoie alors à une articulation systémique entre ces différents éléments constitutifs
et cette articulation forme un tout non sectorisé.
Ainsi, dans le processus de transmission des savoirs, l‟enseignant peut valoriser cette
organisation globale, en s‟attachant à conserver la globalité du réel de l‟APSA qu‟il enseigne,
sans le désagréger, et en insistant sur les relations systémiques qui organisent ses différents
éléments constitutifs. D‟une part, les différents objets qui organisent le contenu de ses
pratiques peuvent être présentés de manière plus ou moins systémique. Ils peuvent être plus
ou moins articulés entre eux au travers de différentes formes de relations : des hiérarchies de
buts et des règles d‟action articulant plusieurs invariants distincts ou des enchaînements de
situations et des analogies articulant des mêmes invariants dans des cadres spatiotemporels
distincts. Ces articulations nous semblent ainsi être au cœur de l‟organisation globale du
contenu de chaque processus de transmission des savoirs. Nous identifierons ainsi
l’importance des articulations systémiques, c'est-à-dire le nombre d‟articulations
(invariants hiérarchisés, invariants automatisés, processus inférentiels) mises en jeu en classe
par chaque enseignant.
D‟autre part, la globalité du réel de l‟APSA peut être au cœur du processus de
transmission. L‟enseignant peut proposer des situations aux élèves dans lesquelles cette
globalité demeure plus ou moins intacte. Les situations qui préservent cette globalité sont
celles issues des « situations de référence rencontrées dans les pratiques sociales des APSA »
(Loquet, Amade-Escot, Marsenach, 2005). Ce ne sont pas, à proprement parler, des
« situations fondamentales » (Brousseau, 1998), car celles-ci, bien que servant de référence
aux autres situations, sont déjà construites à partir d‟un milieu didactique dans lequel un
enjeux de savoir précis est cristallisé. Il s‟agit plus exactement des situations globales de
pratique sociale de l‟APSA. Ces situations sont par essence non didactiques (op.cit.), car
103
aucune intention didactique ne les a initiées. Nous les nommons les « situations globales de
référence ». Elles consistent par exemple à « faire un match » en football, à « créer une
chorégraphie » en danse ou à « faire des longueurs » en natation. Ainsi, à partir de situations
globales de référence caractérisant le réel de l‟APSA dans toute sa globalité, en classe,
l‟enseignant peut orienter les différentes situations à partir de plusieurs variables,
décomposant, chacune, davantage cette globalité. Nous considérons alors que les situations
globales peuvent être :
- intactes (G) : la situation proposée renvoie à la situation globale
- fragmentées (F) : la situation proposée renvoie à un fragment spatiotemporel
de la situation globale ; on peut la retrouver telle quelle à des instants précis dans les pratiques
sociales (par exemple en natation, « faire le départ le plus rapide » ou en basket, « gagner en
deux contre un »)
- aménagées (A) : la situation proposée renvoie à la situation globale dans
laquelle l‟enseignant a insérer un nombre précis de contraintes didactiques (matérielles ou
symboliques) afin d‟orienter l‟activité des élèves ; on ne peut la retrouver dans les pratiques
sociales car elle est par essence didactifiée (par exemple en natation, « faire des longueurs en
rattrapé crawl » ou en danse, « créer une chorégraphie en y incluant trois pas précis »)
- fragmentées et aménagées (FA) : la situation renvoie à la combinaison des
deux précédentes (par exemple en natation, « faire le départ le plus rapide en ressortant
derrière la barre » ou en danse « créer huit temps d’une chorégraphie en y incluant trois pas
précis »)
- décomplexifiées (D) : la situation proposée renvoie à une simplification de la
situation globale dans laquelle l‟enseignant a amputé la majorité des contraintes organisant
d‟ordinaire l‟activité du pratiquant de l‟APSA (par exemple, en natation, « faire une longueur
sans les battements de jambes » ou en danse « marcher en rythme »)
Ces types de situations nous semblent alors respectivement rompre de plus en plus la
globalité du réel de l‟APSA1. Nous identifierons donc la globalité des situations, c'est-à-dire
le nombre de situations prenant chacune de ces formes.
1 Nous voulions au départ quantifier la distance qui sépare chaque situation de la situation globale de référence,
en identifiant le nombre de variables ou de contraintes didactiques qui les séparent. Or, certaines situations, n‟ont
vraiment plus rien à voir avec les situations globales de référence et ces variables semblent pouvoir être
déclinées à l‟infini. Il nous semble alors que l‟identification de ces types de situations permet de les différentier
et donc de caractériser une distance qualitative entre chacune d‟elle et la situation de référence. Lorsque les
situations sont simplement aménagées, la quantification de cette distance nous semble déjà plus réalisable.
104
Enfin, l‟enseignant peut favoriser cette organisation globale dans la dynamique de son
enseignement. Les différents objets qui organisent le contenu de ses pratiques peuvent aussi
être plus ou moins articulés dans le temps. En effet, la chronogenèse des objets (Chevallard,
1991) en classe peut prendre une forme plus ou moins éparse. L‟émergence chronologique
des différents invariants peut être relativement linéaire et donc rompre avec la globalité du
réel de l‟APSA. Au contraire, elle peut s‟avérer plutôt dispersée ou sporadique et, sans pour
autant articuler les invariants entre eux, ainsi constituer une émergence plus globale du réel de
l‟APSA. Nous identifierons alors la globalité de l’émergence des invariants, c'est-à-dire le
nombre de séries déterminées d‟invariants distincts composant la chronogenèse générale des
invariants. Ces séries peuvent alors être très courtes, car les mêmes invariants reviennent en
permanence dans les interventions successives de l‟enseignant ; au contraire, elles peuvent
être très longues, car les invariants progressivement mis en jeu par l‟enseignant s‟avèrent
dispersés dans le temps.
La transmission des articulations systémiques peut être effectuée de deux manières :
en articulant différents invariants dans des hiérarchies de buts ou dans des règles d‟action ; en
articulant dans différents contextes des invariants identiques au travers de processus
inférentiels. Ainsi, les supports didactiques de ces articulations sont les mêmes que ceux des
invariants hiérarchisés ou automatisés et des inférences. Ils sont identifiés au travers des
situations adidactiques, du discours de l‟enseignant et des procédures ostensives non verbales,
ainsi que des enchaînements de situations et du discours analogique de l‟enseignant.
La transmission de la globalité du réel de l‟APSA nous semble passer par deux
vecteurs : la globalité des situations et la globalité de l‟émergence des invariants. Ainsi, cette
globalité peut être transmise au travers, soit des situations proposées aux élèves et des
contraintes qui les organisent, soit des interventions de l‟enseignant lorsqu‟il met
progressivement en jeu les différents invariants. En classe, les vecteurs de cette globalité sont
donc les situations adidactiques, le discours de l‟enseignant et les procédures ostensives non
verbales.
105
Tableau 6 : l’organisation globale du contenu du processus de transmission des savoirs
Dimension
constitutive
du savoir
expérientiel
Eléments constitutifs de la
dimension dans le processus de
transmission (ce que l‟on identifie
dans les pratiques effective)
Supports didactiques de ces
éléments (formes sous lesquelles
on peut l‟identifier)
L‟organisation
globale
L‟importance des articulations
systémiques
(nombre d‟articulations)
- situations adidactiques
- discours de l‟enseignant
- procédures ostensives non
verbales
- enchaînements de situations
- discours analogique de
l‟enseignant
La globalité des situations
(nombre de situations G, F, A, FA, D) - situations adidactiques
La globalité de l‟émergence des
invariants
(nombre de séries de un à dix
invariants distincts mis en jeu
successivement)
- discours de l‟enseignant
- procédures ostensives non
verbales
2.2.2.2 Un cadre d‟analyse des pratiques effectives d‟enseignement : conclusions et
ouvertures théoriques
a. Les six dimensions du savoir expérientiel organisant le processus de transmission des
savoirs : un cadre d’analyse des pratiques d’enseignement effectif
L‟analyse transpositive que nous venons de mener nous a permis de dégager, d‟un
point de vue théorique, un ensemble d‟éléments révélateurs des dimensions constitutives du
savoir expérientiel organisant le contenu des processus didactiques. Nous avons alors identifié
simultanément quels pouvaient être les vecteurs de ces éléments dans des pratiques
d‟enseignement effectif. A cette étape de l‟analyse théorique, nous sommes alors en
106
possession d‟un cadre d‟analyse des pratiques d‟enseignement qui, au travers d‟une
déclinaison d‟éléments constitutifs des processus de transmission et de leurs vecteurs
didactiques potentiels, nous permet dès lors de poser un regard théorique spécifique sur
l‟organisation du contenu des processus didactiques. Nous voudrions alors proposer une
explicitation synthétique de ce regard spécifique, en prenant pour point de départ l‟inscription
didactique de chaque dimension constitutive du savoir expérientiel.
En classe, lorsque le professeur enseigne une activité à des élèves, le contenu de son
enseignement s‟organise autour d‟objets spécifiques. Ces objets peuvent être identifiés en
terme d‟invariants, c'est-à-dire d‟unités conceptuelles, appartenant simultanément à
l‟épistémologie de l‟activité en question et à celle du sujet en situation, au travers desquelles
l‟enseignant découpe le réel de l‟activité enseignée. Le contenu de l‟enseignement mené peut
alors s‟organiser à partir d‟une multiplicité d‟invariants plus ou moins divers et récurrents,
transmis au travers des situations dévoluées aux élèves et des différentes formes d‟interactions
didactiques. Ces invariants peuvent aussi être présentés sous diverses formes. Ils peuvent être
finalisés et s‟instaurer comme un but intrinsèque à la pratique des élèves ; ils peuvent être
hiérarchisés et s‟articuler entre eux sous la forme de hiérarchies de buts ; ils peuvent être
automatisés et s‟articuler entre eux sous la forme de règles d‟actions. Ainsi, ces différents
objets et leurs articulations forment une structure conceptuelle, plus ou moins dense,
organisatrice du contenu de tout processus didactique. Il s’agit de la dimension conceptuelle.
Pour mener ces processus, l‟enseignant a inévitablement recours au langage ; un
langage au travers duquel les différents invariants peuvent être signifiés. Ainsi, ce langage lui-
même organise le contenu de ces processus. Au travers d‟une plus ou moins grande diversité
de signifiants, l‟enseignant participe au processus de conceptualisation de l‟activité. Ces
signifiants, comme unités de langage, appartiennent à des champs lexicaux spécifiques qui
font référence à des institutions spécifiques, telles que l‟activité enseignée ou le groupe
d‟activité auquel elle appartient. De plus, la référence institutionnelle organise le contenu au-
delà de son lien avec la conceptualisation de l‟activité, lorsque l‟enseignant use de signifiants
faisant référence aux contextes de l‟APSA. L‟ensemble de tous ces signifiants et la spécificité
de leurs appartenances institutionnelles organisent alors le contenu de chaque processus de
transmission. Il s’agit de la dimension signifiante.
D‟autres éléments, qui échappent majoritairement à la conceptualisation et encore
davantage à l‟explicitation, organisent ce contenu. Car, l‟enseignant peut aussi, plus ou moins,
prendre en compte son propre corps et celui de l‟élève pour enseigner. Au travers de
107
procédures didactiques spécifiques, l‟enseignant peut en effet transmettre aux élèves des
sensations qui, elles-mêmes, sans passer par une étape conceptuelle, organisent le contenu.
Pour autant, l‟enseignant peut aussi conceptualiser ces états corporels en explicitant les
repères sensoriels sur lesquels les élèves doivent porter leur attention. Ces repères peuvent
alors porter sur les états et les modifications de l‟environnement ou sur ceux de leur propre
corps. Il peut alors par extension plus ou moins faire référence, au travers de signifiants, à ce
corps. L‟ensemble de ces sensations, repères sensoriels et signifiants faisant référence au
corps organisent ainsi le contenu de chaque processus didactique autour d‟un élément clé de
toute relation didactique : le corps. Il s’agit de la dimension corporelle.
Dans l‟enseignement effectif, le professeur se trouve confronté à l‟infinité des
situations objectives spécifiques dans lesquelles se trouvent les élèves lorsqu‟ils sont en
activité. Pour autant, lorsqu‟il intervient auprès de ces élèves pris dans des situations
singulières, il a en arrière plan les objets génériques constitutifs de l‟activité enseignée par
l‟intermédiaire desquels les élèves pourraient orienter positivement leur activité en situation.
Ainsi, le contenu des processus didactiques s‟organise aussi à partir de cette dialectique entre
la singularité, de l‟ordre de la situation dans laquelle est engagée chaque sujet, et la généricité,
de l‟ordre de la représentation qui permet d‟organiser les conduites de tout sujet confronté à
cette activité spécifique. D‟une part, l‟enseignant peut centrer le contenu de ses interventions
sur chacun des deux aspects ou bien sur leur articulation. D‟autre part, cette articulation
constitue une dynamique qui trouve en son cœur les processus inférentiels. Ainsi, l‟enseignant
peut plus ou moins valoriser cette articulation, c'est-à-dire ces processus inférentiels, en
proposant aux élèves de réinvestir, dans un enchaînement de situations singulières, les
invariants qu‟ils ont pu déjà construire ou en usant, dans son discours, d‟analogies entre deux
invariants identiques considérés dans des espace-temps distincts. L‟ensemble de ces processus
inférentiels, qui articulent chaque invariant dans des situations singulières et participent à leur
extraction de ces situations pour les inclure dans des représentations, organise ainsi le contenu
de chaque processus didactique. Il s’agit de la dynamique situationnelle/représentationnelle.
En classe, l‟enseignant détermine des tâches, c'est-à-dire des buts que les élèves
doivent atteindre dans certaines conditions. En explicitant ces buts et en régulant l‟activité des
élèves engagés pour atteindre ces buts, l‟enseignant spécifie le contenu de son enseignement à
partir d‟un ensemble de choix potentiels qui laissent plus ou moins à l‟élève l‟initiative des
moyens mis en œuvre pour atteindre ces buts. D‟une part, lorsqu‟il explicite les tâches à ses
élèves, il peut plus ou moins laisser à leur initiative le choix de ces moyens, en leur
définissant plus ou moins les solutions pertinentes pour accomplir ces tâches. D‟autre part,
108
lorsqu‟il régule l‟activité des élèves, ces interventions peuvent avoir un choix potentiel pour
objet, en étant centrées sur une multiplicité de bonnes solutions potentielles et sur la nécessité
de faire un choix. Le contenu des processus didactiques s‟organise ainsi à partir d‟un
ensemble de choix potentiels, qui le spécifie au-delà de l‟ensemble des objets constituant ces
choix et qui révèlent ainsi la part d‟initiative qui lui est sous-jacente. Il s’agit de la part
d’initiative.
Lorsque le professeur enseigne une activité, il la décompose en une diversité d‟objets
spécifiques. Pour autant, cette activité est à la base un ensemble organisé d‟objets articulés
entre eux qui se distingue de la somme de ces objets. Cet ensemble est donc défini par sa
globalité non sectorisée. Le contenu de son enseignement peut alors respecter plus ou moins
cette globalité. L‟enseignant peut s‟attacher à articuler les différents objets entre eux pour
préserver la complexité de l‟activité. Il peut aussi proposer à ces élèves des situations
fractionnant plus ou moins la globalité des situations sociales de référence qui caractérisent
l‟activité. Enfin, la chronogenèse des objets en classe peut prendre des formes spécifiques qui
organisent dans le temps le contenu du processus de transmission de manière plus ou moins
globale. Ainsi, le contenu de chaque processus de transmission renvoie aussi à une
organisation plus ou moins globale qui le spécifie. Il s’agit de l’organisation globale.
Ainsi, les six dimensions constitutives du savoir expérientiel, prises comme
organisatrices du contenu de chaque processus de transmission des savoirs, nous permettent
de proposer un cadre d‟analyse générique des pratiques d‟enseignement. Au travers de ce
cadre, nous tenterons alors d‟identifier des organisations spécifiques du contenu de différents
processus de transmission des savoirs. Il nous reste alors à resituer ce cadre dans la
problématique qui nous intéresse : le poids de l‟expérience personnelle de pratiquant du
professeur sur le contenu des pratiques effectives d‟enseignement.
b. Conclusions et ouvertures théoriques : de l’ « en plus » issu de l’expérience aux
dimensions constitutives du savoir expérientiel organisant le contenu des pratiques
Pour identifier le poids de l‟expérience personnelle de l‟enseignant sur le contenu des
pratiques d‟enseignement, nous avons établi un postulat simple : celui qui a une expérience
prolongée dans une activité spécifique peut transmettre quelque chose « en plus » lorsqu‟il
enseigne cette activité. Ce postulat a ainsi été assorti d‟un deuxième : ce que l‟enseignant peut
transmettre « en plus » renvoie à la transposition didactique du savoir spécifique qu‟il a pu
construire dans son expérience personnelle sans qu‟il n‟ait encore aucune intention
109
didactique. Ce double postulat n‟a pas pour intention de quantifier les traces épistémiques de
l‟expérience ou d‟occulter ce que l‟enseignant pourrait éventuellement transmettre « en
moins » compte tenu de son expérience personnelle1. Il nous a simplement permis d‟établir un
point de départ à notre investigation théorique sur l‟expérience, le savoir qui lui est sous-
jacent et sa conversion en objet d‟enseignement. Il nous a ainsi permis d‟identifier ce savoir
en postulant sa spécificité et ainsi de mener par la suite une analyse transpositive d‟un savoir
identifié et défini d‟un point de vue théorique.
Alors, au fur et à mesure de notre parcours théorique, nous avons théorisé l‟ « en
plus » issu de l‟expérience en terme de savoir expérientiel. Ayant toujours en arrière-plan la
volonté d‟identifier de manière générique ce savoir issu de l‟expérience, nous avons tenté de
dégager des dimensions transversales à ce savoir, quelque soit l‟activité dans laquelle il s‟est
déployé. Ce travail nous a conduits à identifier six dimensions constitutives du savoir
expérientiel, formant une organisation épistémique propre à l‟expérience personnelle.
L‟analyse transpositive de ces six dimensions nous a alors menés à caractériser un ensemble
d’éléments révélateurs des dimensions constitutives du savoir expérientiel organisant le
contenu des processus de transmission des savoirs.
Ce cadre d‟analyse nous offre déjà la possibilité d‟aller voir sur le terrain de
l‟enseignement effectif pour identifier son contenu d‟un point de vue empirique. Il nous
permet alors, par un choix judicieux du terrain de la recherche, de répondre à notre
problématique. En identifiant empiriquement ces différents éléments dans des enseignements
effectifs menés par un ou plusieurs enseignants ayant des expériences personnelles
contrastées, inexistantes ou prolongées, dans différentes activités, il est déjà possible de
caractériser, par une analyse comparative, le poids de l‟expérience personnelle sur le contenu
des pratiques d‟enseignement.
Mais le chercheur en didactique et, a fortiori, le chercheur en didactique clinique,
auront aisément vu les limites d‟une telle démarche, un peu trop hâtive. En effet, si le cadre
d‟analyse que nous avons construit servira bien de filtre à l‟analyse empirique du contenu de
pratiques effectives d‟enseignement, il ne permet pas à lui seul d‟identifier le poids de
l‟expérience personnelle sur ces pratiques. Trois raisons empêchent cette identification
directe. Nous les exposons ici afin d‟introduire la poursuite de notre investigation théorique
sur le poids de l‟expérience personnelle.
1 Nous reviendrons sur le statut de ce postulat dans la partie méthodologique, lorsque nous expliciterons les
principes méthodologiques généraux qui situent notre recherche.
110
La première émerge de l‟épistémologie de la recherche en didactique. « La déclaration
fondatrice en didactique selon laquelle les savoirs enseignés spécifient les interactions
observables dans le monde scolaire de manière irréductible. » (Mercier, Schubauer-Léoni,
Sensevy, 2002) s‟avère aujourd‟hui être un postulat indémontable. Il justifie la spécificité de
la recherche en didactique et légitime son existence institutionnelle. La singularité de chaque
activité sociale, de sa logique interne, de ses finalités, de son rapport à la pratique et au corps,
des processus cognitifs qui lui sont sous-jacents, des objets matériels et symboliques qui la
constituent spécifie inévitablement le contenu et la forme de sa transmission. Ainsi, notre
cadre d‟analyse générique du contenu des processus de transmission des savoirs ne peut
éluder la spécificité des activités qui sont enseignées. En didactique de l‟EPS, l‟enseignement
de la danse, de la natation, du judo, du rugby, de l‟escalade, de la gymnastique ou du surf ne
peuvent être analysés à partir d‟un point de vue totalement générique. Certes, notre cadre
d‟analyse peut servir de filtre théorique à l‟analyse des enseignements de ces différentes
activités, mais il ne certifie pas l‟identification de l‟effet de l‟expérience personnelle de
l‟enseignant sur les pratiques effectives. Les organisations singulières du contenu des
différents enseignements analysés, au travers des six dimensions, ne peuvent être interprétées
comme des conséquences directes de l‟expérience personnelle de l‟enseignant. La spécificité
de l‟activité enseignée détermine inévitablement ces organisations. En prenant un seul
exemple, une activité morphocinétique (Parlebas, 1981) comme la gymnastique, s‟avère plus
propice à être organisée à partir de repères sensoriels proprioceptifs que peut l‟être le football.
Pour autant, nous postulons une certaine généricité de notre cadre d‟analyse et nous ne
voulons donc pas limiter notre analyse à une comparaison d‟enseignements d‟une même
activité. Afin de prendre en compte la spécificité des APSA enseignées sur le terrain de notre
recherche, nous mènerons alors, en parallèle de la construction et l‟interprétation des résultats,
une analyse technologique (Bouthier, 1993) de chaque APSA, relativement aux dimensions
constitutives du savoir expérientiel. Puisque le choix des APSA enseignées au cœur de notre
recherche n‟importe pas, cette analyse ne sera pas effectuée en amont, mais bien
simultanément à la présentation et l‟interprétation des résultats.
Les deux raisons suivantes émergent de l‟épistémologie de la recherche en didactique
clinique. Car cette dernière est définie par une nécessité épistémologique : le sujet enseignant
doit être pris en compte dans l‟analyse des pratiques d‟enseignement (Terrisse, Carnus, 2009).
Nous expliciterons les conséquences théoriques et méthodologiques de cette prise en compte
pour le chercheur ultérieurement. Mais retenons pour l‟instant que sa justification peut se
résumer en deux assertions. D‟une part, avant d’entrer dans le didactique, l’enseignant est
111
déjà un sujet, avec une « logique singulière » (Terrisse, 2001) issue de son histoire de vie
personnelle, de ses expériences spécifiques dans diverses activités, d‟un « déjà-là » (op. cit.)
qui lui est propre. D‟autre part, en entrant dans le didactique, l’enseignant est toujours un
sujet ; il est certes spécifié par son assujettissement au didactique, mais il demeure structuré
par des enjeux subjectifs qui dépassent ce didactique : il a une position à assumer, une image
à mettre en scène, une part de maîtrise à assumer dans les situations contingentes dans
lesquelles il évolue (Buznic-Bourgeacq, Terrisse, Lestel, 2008). Ainsi, d‟un point de vue
théorique, cette prise en compte du sujet dans la recherche nécessite de s‟appuyer sur une
théorie du sujet (Terrisse, Carnus, Sauvegrain, 2002) permettant de caractériser la logique
singulière du sujet enseignant et les enjeux subjectifs du sujet pris dans le didactique. Cette
théorie peut être référée à la psychologie sociale, la psychologie clinique, la psychanalyse, etc.
Il n‟y a pas d‟exclusivité pour théoriser le sujet. Ce qui est nécessaire, c‟est de pouvoir décrire
le sujet à partir d‟un cadre conceptuel cohérent et scientifiquement légitime. La légitimité
scientifique n‟allant pas de soi, c‟est aussi la diversité et la cohésion des travaux empiriques
qui manipulent cette théorie qui la légitime, au moins à l‟intérieur d‟une ou plusieurs
communautés scientifiques. La construction progressive d‟une « théorie du sujet didactique »
(Terrisse, 2009) est ainsi au centre du projet conceptuel de notre équipe de recherche en
didactique clinique. Notre travail de recherche a alors aussi pour intention de contribuer à son
avancée. Dans la mesure où il s‟agit d‟un cadre en construction et surtout qu‟il s‟inscrit avant
tout dans une approche clinique, nous le présenterons de manière articulée avec nos
interprétations des pratiques analysées.
Nous voulons alors conclure ce premier travail théorique sur deux points. Tout
d‟abord nous décrivons le rôle et le fonctionnement du cadre d‟analyse des pratiques que nous
avons construit, en resituant sa logique par rapport à la problématique du poids de
l‟expérience personnelle de l‟enseignant. Ensuite, nous présentons la démarche qui, à partir de
ce cadre, nous permettra progressivement d‟intégrer des éléments d‟une « théorie du sujet
didactique » dans nos interprétations.
112
3. Conclusions théoriques,
ouvertures méthodologiques : un
cadre d’analyse du didactique, des
interprétations en didactique clinique
3.1 Les six dimensions du savoir expérientiel pour identifier
le poids de l’expérience
Notre intention est d‟identifier comment l‟expérience personnelle de l‟enseignant dans
une activité pèse sur le contenu de ses pratiques d‟enseignement. Considérant qu‟une
expérience prolongée de pratique dans une activité a un poids indéniable sur son
enseignement, nous avons postulé une certaine stabilité de ce poids. Nous avons alors émis
l‟hypothèse que l‟expérience personnelle prolongée dans une activité permettait à tout
enseignant de transmettre quelque chose en plus quelque soit l‟activité enseignée. Pour
pouvoir caractériser cet en plus nous avons alors mené une analyse transpositive théorique de
l‟expérience en prenant pour point de départ une analyse épistémologique de cette expérience.
Ce point de départ nous a permis de caractériser les dimensions constitutives du savoir
expérientiel d‟un point de vue générique. L‟analyse transpositive de ces dimensions nous a
alors permis de dégager un ensemble d’éléments révélateurs des dimensions constitutives du
savoir expérientiel organisant le contenu des processus de transmission des savoirs. Cet
ensemble constitue alors notre cadre d‟analyse des pratiques d‟enseignement.
Mais ce cadre d‟analyse porte encore sur lui notre premier postulat, dans la mesure où
les éléments qui le constituent renvoient à une transposition des dimensions constitutives du
savoir expérientiel et que ce savoir expérientiel constitue l‟en plus de savoir issu de
l‟expérience. Ainsi, il est fort probable qu‟en l‟utilisant pour analyser des pratiques
d‟enseignement appuyées par des expériences personnelles contrastées, prolongées ou
inexistantes, nous trouvions une grande différence pour chaque dimension. Certes, nous le
vérifierons, mais l‟identification précise du poids de l‟expérience personnelle ne peut se
contenter de comparer de manière binaire des enseignements appuyés par des expériences
113
personnelles contrastées. Ainsi, c‟est au travers d‟une démarche méthodologique spécifique
que nous pourrons dépasser ce postulat pour identifier les spécificités du poids de l‟expérience
personnelle sur le contenu de pratiques d‟enseignement.
Nous ne voulons pas ici présenter le cadre méthodologique de la recherche, mais
simplement préciser la démarche qui de notre cadre d‟analyse spécifique nous permettra
d‟identifier le poids de l‟expérience personnelle.
En effet, le cadre que nous avons construit permet d‟identifier le contenu des pratiques
d‟enseignement. Mais, ce qu‟il permet de dégager dépend entièrement des différentes
pratiques sur lesquelles il peut être utilisé. Nous l‟utiliserons sur des pratiques dans lesquelles
l‟expérience personnelle des enseignants diffère fortement de manière à identifier le poids de
cette expérience. Mais, il pourrait tout aussi bien être utilisé sur des pratiques d‟enseignement
d‟activités très différentes (l‟algèbre et la natation synchronisée), ou menées par des
enseignants ayant des expériences professionnelles distinctes (des professeurs stagiaires et des
enseignants ayant trente ans d‟ancienneté dans le métier), ou encore menées face à un public
très contrasté (de l‟enseignement élémentaire et de l‟enseignement supérieur). Il serait fort
probable que ce cadre d‟analyse mène à des résultats très différents. Ce que nous voulons
montrer ici, c‟est que, si notre cadre d‟analyse porte encore sur lui notre postulat initial, il
n‟en demeure pas moins totalement dépendant de la spécificité des pratiques analysées. Ainsi,
dans un premier temps, il s‟agira de bien circonscrire la spécificité des pratiques étudiées.
Mais, dans la mesure où nous lui attribuons une portée générique, nous ne voulons pas non
plus l‟utiliser sur des activités identiques.
Ainsi, la projection de ce cadre sur les pratiques effectives ne peut valider en lui-même
le poids de l‟expérience. C‟est pour cela que nous soulignons le relais méthodologique
incontournable pour identifier ce poids. La démarche méthodologique nous semble alors
nécessiter une approche progressive, pas à pas, qui, au-delà d‟une comparaison binaire entre
expérience et inexpérience, prend en compte la spécificité des activités enseignées et la
singularité des sujets qui les enseignent. C‟est finalement la spécificité de chaque pratique
d‟enseignement qu‟il s‟agit de prendre en compte.
Nous procéderons alors certes à une comparaison entre plusieurs ensembles de
pratiques ayant pour point commun la longue expérience ou l‟absence d‟expérience
personnelle des enseignants qui les mènent dans les activités enseignées. Cela nous permettra
d‟identifier dans une certaine mesure le poids de l‟expérience personnelle d‟une manière
générique. Mais cette comparaison s‟avère fondamentalement insuffisante. La suite de la
démarche consistera alors à nous servir de ce cadre comme d’un regard spécifique sur des
114
pratiques singulières. A partir de la diversité des éléments constitutifs des différentes
dimensions qu‟il permet de souligner, nous mènerons des analyses qualitatives et
interprétatives des spécificités identifiées relativement à chaque élément. Nous nous
attacherons alors à caractériser les organisations didactiques singulières qui déterminent la
spécificité de ces éléments pour chaque pratique.
Compte tenu de notre posture épistémologique en didactique clinique, ces analyses
auront aussi pour principale intention de dégager progressivement le poids spécifique de
l‟expérience personnelle sur chaque sujet enseignant.
3.2 Vers une théorie du sujet didactique
Nous nous sommes jusqu‟à présent peu arrêtés sur les éléments théoriques qui balisent
le champ de la didactique clinique. Nous avons présenté la posture épistémologique qui la
définit. On peut la résumer à la prise en compte du sujet dans les analyses (Terrisse, 2009).
Nous présenterons dans la partie suivante, les éléments méthodologiques qui en découlent.
Nous avons toutefois présenté sous la forme de deux assertions, ce qui justifie cette posture.
Nous les rappelons : avant d’entrer dans le didactique, l’enseignant est déjà un sujet, en
entrant dans le didactique, l’enseignant est toujours un sujet. Si ces assertions peuvent
paraître triviales, elles bouleversent pourtant toute la démarche théorique et méthodologique
du didacticien qui souhaite les prendre en compte.
Nous voulons alors pour conclure sur cette partie soulever les éléments théoriques
propres à la didactique clinique qui spécifierons notre démarche interprétative des pratiques
d‟enseignement. Comme nous l‟avons soulevé, la prise en compte du sujet dans les analyses
nécessite de s‟appuyer sur une « théorie du sujet » (Terrisse, Carnus, Sauvegrain, 2002).
S‟appuyer sur une théorie du sujet signifie avoir un cadre conceptuel qui permet de le définir
structurellement, c'est-à-dire quelles que soient les institutions dans lesquelles il évolue et les
relations dans lesquelles il s‟engage. Nous l‟avons aussi précisé, il n‟y a pas d‟exclusivité
théorique pour définir le sujet, il faut avant tout un cadre théorique cohérent et
scientifiquement légitime. Dans notre équipe de didactique clinique, c‟est la psychanalyse
lacanienne, dans sa reprise de la découverte freudienne, qui nous sert principalement de
référence. Ainsi, ce sont les grandes lignes épistémologiques de cette psychanalyse qui nous
permettent de définir le sujet d‟une manière générale. Et plus précisément, c‟est la topologie
115
lacanienne de la structure du sujet, définie au travers de l‟articulation des trois registres qui le
définissent structurellement : le réel, le symbolique, l‟imaginaire (Lacan, 1953). Mais, ces
éléments théoriques fonctionnent avant tout pour nous comme des principes
épistémologiques. Ils ont émergé dans un champ fort éloigné de la didactique et notre
intention consiste à nous en inspirer pour définir « le sujet didactique » et donc pour
construire progressivement une « théorie du sujet didactique ».
Ainsi, un grand principe définit une base de cette théorie : le sujet est singulier. Cette
singularité, il l‟hérite de son histoire personnelle, de ses expériences spécifiques, de son
« déjà-là » (Terrisse, 2001). Alors, dans cette recherche, nous prendrons cette singularité en
compte au travers de sa « logique singulière de sujet enseignant ». D‟un point de vue plus
pragmatique et relatif à notre problématique, cela consistera dans notre démarche d‟analyse
progressive à tenter d‟identifier ce qui singularise chaque enseignant et donc ses pratiques
d‟un point de vue épistémologique et didactique. Au travers du regard spécifique auquel nous
conduit notre cadre d‟analyse des pratiques, puis son évolution vers une analyse du discours
de chaque enseignant sur ses propres pratiques1, nous tenterons ainsi d‟identifier ce qui
spécifie chaque enseignant relativement aux organisations didactiques du contenu de ses
pratiques. Cette identification nous permettra alors de caractériser dans un premier temps le
poids spécifique de l‟expérience personnelle sur les pratiques de chaque enseignant.
Mais, un autre élément sera encore exploité. Il s‟agit de la « position subjective »
(Terrisse, 2000) à laquelle chaque sujet enseignant se place dans le didactique. Considérant
que l‟enseignant est animé par des enjeux subjectifs qui dépassent les enjeux proprement
didactiques, nous tenterons d‟identifier, au travers de ses pratiques et de son discours sur ses
pratiques, comment chaque enseignant occupe, désire occuper ou craint d‟occuper une place
spécifique dans le didactique. Cette place, nous ne pouvons la décrire théoriquement a priori,
dans la mesure où elle nécessite un cadre d‟interprétation qui est encore, avant la phase
empirique de cette recherche, en construction. Les problématiques du « sujet supposé savoir »
et du « rapport à la contingence » que nous avons commencé à travailler et que nous avons
présenté au travers de la recherche menée en DEA au tout début de cette première partie en
sont les prémisses. Ainsi, les différents éléments de ce cadre s‟inscrivant dans une perspective
de construction clinique, nous le présenterons progressivement en articulation avec les « cas »
qui leur donne contenu. Toutefois, on peut déjà ici en présenter la trame générale sur laquelle
ils se dessinent.
1 Nous reviendrons sur ce point dans la partie méthodologique.
116
Ces cadres interprétatifs de la didactique clinique s‟appuient sur le postulat qu‟en
entrant dans le didactique le sujet s‟instaure en sujet didactique, c'est-à-dire qu‟il subit un
assujettissement au didactique qui le situe relativement au savoir, aux élèves et à l‟institution.
Ce positionnement peut alors être recherché ou fuit d‟une manière singulière à chaque sujet
didactique, tant au niveau de l‟intensité de la recherche ou de la fuite qu‟au niveau de moyens
spécifiques adoptés pour le rechercher ou le fuir. Ce qu‟il faut retenir alors, c‟est que les
moyens mis en œuvre, de manière plus ou moins intensive, pour rechercher ou fuir cette
position subjective déterminent son activité en classe et notamment son activité didactique.
Notre intention est alors d‟identifier comment l‟expérience personnelle de chaque
enseignant pèse sur les processus mis en œuvre pour assumer sa position subjective dans le
didactique et donc sur les organisations didactiques des pratiques effectives. Si ces processus
sont par essence singuliers, c‟est en les identifiant au travers de plusieurs « cas » que nous
pourrons progressivement en dégager la structure pour, pas à pas, construire une « théorie du
sujet didactique ». Ainsi, l‟identification du poids de l‟expérience sur ces processus sera
simultanément animée par notre intention de participer à l‟élaboration d‟une telle théorie. En
tout cas, nous tenterons de montrer au travers de ces cadres interprétatifs et des « cas » qui les
déterminent qu‟avant de peser sur les pratiques effectives, l‟expérience personnelle pèse sur le
sujet enseignant lui-même.
117
PARTIE 2 : Méthodologie
118
1. Problématique de recherche et principes méthodologiques
Tout le parcours théorique que nous venons de présenter nous a permis de proposer un
cadre d‟analyse du contenu transmis dans les pratiques effectives d‟enseignement. Notre
intention d‟identifier le poids de l‟expérience personnelle de l‟enseignant dans une APSA sur
son enseignement effectif s‟est alors en premier lieu appuyée sur un double postulat :
- l‟expérience personnelle dans n‟importe quelle activité permet de transmettre
quelque chose en plus, quelque chose de générique à l‟expérience personnelle
- cet en plus renvoie à la transposition didactique du savoir expérientiel construit par le
sujet dans son expérience personnelle
Ainsi, notre travail de conceptualisation nous a amenés au final à considérer notre
problématique de recherche de la manière suivante : l’expérience personnelle dans une
activité a permis au sujet enseignant de construire un savoir expérientiel, composé de six
dimensions constitutives et transversales à toute activité qui, une fois transposées en
classe, organisent singulièrement le contenu du processus de transmission des savoirs.
Nous présentons alors, dans cette introduction à la partie méthodologique, les
principes méthodologiques et le cadre général de notre démarche de recherche qui nous
semblent pouvoir soutenir notre problématique d‟un point de vue empirique et
épistémologique.
Tout d‟abord, l‟objectif de cette recherche se veut descriptif et interprétatif (Van Der
Maren, 1995). Il ne s‟agit pas ici de se pencher sur les conditions d‟amélioration des pratiques
d‟enseignement, ni encore moins de prescrire au professeur des solutions ou des démarches à
suivre pour améliorer son enseignement. Notre intention est bien de produire de
l‟intelligibilité à propos des pratiques effectives d‟enseignement, de tenter d‟en comprendre
les ressorts et les déterminations. Notre volonté de caractériser le poids de l‟expérience
personnelle de l‟enseignant sur ses pratiques d‟enseignement passe donc dans un premier
temps par la description de ces pratiques. C‟est ce que nous tenterons de faire au travers de
notre cadre d‟analyse des six dimensions constitutives du savoir expérientiel organisant le
contenu des pratiques. La visée interprétative qui se greffera alors graduellement à nos
119
descriptions des systèmes didactiques sera ainsi effectuée au travers d‟une démarche
méthodologique progressive que nous décrivons dans cette partie.
La perspective descriptive et interprétative situe alors notre recherche dans le champ
de « l‟analyse des pratiques effectives » (Venturini, Amade-Escot, Terrisse, 2002) dans ce que
ce champ postule la nécessité d‟analyser le « didactique ordinaire » pour comprendre les
ressorts des processus de transmission et d‟appropriation des savoirs. Analyser le didactique
ordinaire renvoie ainsi pour le chercheur à se confronter au contexte usuel des pratiques, à
l‟enseignement quotidien, celui qui se déroulait et se déroulera encore en l‟absence du
chercheur. Pour caractériser le poids de l‟expérience personnelle de l‟enseignant sur ses
pratiques, il nous semble en effet nécessaire d‟adopter une telle posture. La perspective d‟une
ingénierie didactique (Artigue, 1990) pour répondre méthodologiquement à notre
problématique nous semble peu pertinente. En effet, l‟insertion par le chercheur de contenus
ou de dispositifs aurait ici peu de sens, dans la mesure où cette insertion détruirait
instantanément les déterminations personnelles issues de l‟expérience des enseignants. De
plus, nous postulons une certaine généricité du poids de l‟expérience personnelle. Nous
voulons alors aussi mettre à l‟épreuve ce postulat générique. Il nécessite alors de se confronter
aux spécificités de plusieurs pratiques effectives.
Ce postulat générique situe alors aussi cette recherche dans une perspective de
didactique comparée. L‟approche par le didactique ordinaire le situe de manière identique. En
effet, ce postulat constitue un filtre d‟analyse des pratiques, qui demande bien entendu à être
confronté à l‟effectivité de pratiques spécifiques. Notre intention reste d‟identifier ce qui dans
les pratiques d‟enseignement effectif paraît être générique au poids de l‟expérience et
spécifique aux activités enseignées et aux sujets qui les enseignent. L‟articulation
spécifique/générique qui constitue l‟essence de la didactique comparée a émergé dans un
premier temps uniquement à propos des savoirs. Il s‟agissait d‟identifier ce qui était générique
à un processus d‟enseignement et ce qui était spécifique à tel ou tel savoir enseigné. Mais
aujourd‟hui le projet de didactique comparée a pris de l‟ampleur. Ainsi, « ces caractéristiques
de spécificité et de généricité sont encore à sonder au plan des institutions, des groupes et des
acteurs, des conditions dans lesquelles les objets constitutifs des œuvres culturelles, sont
proposées aux sujet censés les étudier et les apprendre » (Mercier, Schubauer-Léoni, Sensevy,
2002). Notre volonté est alors principalement d‟identifier ce qui semble spécifique et
générique aux acteurs, aux sujets plus exactement, et aux conditions, au poids de l‟expérience
plus précisément. La démarche méthodologique s‟appuiera ainsi notamment sur une série de
120
comparaisons entre des processus d‟enseignement de plusieurs APSA, menés par plusieurs
sujets et appuyés par des expériences personnelles contrastées.
Mais, nous l‟avons déjà précisé en introduction de cette recherche, nous nous situons
plus précisément en didactique clinique (Terrisse, Carnus, 2009). Nous postulons en effet que
le poids de l‟expérience sur les pratiques ne peut être caractérisé sans prendre en compte le
sujet sur qui pèse cette expérience. D‟un point de vue méthodologique, cela signifie que les
comparaisons peuvent trouver une certaine limite dans l‟analyse des pratiques. Postulant la
singularité de chaque sujet enseignant, on ne peut se contenter de comparer des pratiques qui
sont par essence singulières. Ainsi, cette posture épistémologique nécessite d‟effectuer un
travail d‟analyse « au cas par cas, au un par un » (Terrisse, 2000). Les comparaisons
effectuées seront alors articulées avec des études de cas. Nous tenterons ainsi de « construire
le cas » (Bertaux, 1997) d‟enseignants singuliers relativement au poids de l‟expérience
personnelle. Mais, la posture didactique clinique souhaitant prendre en compte le sujet dans
les analyses des pratiques confronte aussi le chercheur à « la nécessité de recueillir le discours
comme matériaux d‟analyse » (Terrisse, 2000). Ainsi, chaque cas sera construit en prenant en
compte les dires des sujets enseignants sur leurs propres pratiques et sur le poids de leur
expérience personnelle. Considérant que « seul le sujet peut rendre compte de la place qu‟il
prend dans ce qui lui arrive » (op. cit.), nous nous interrogerons alors aussi sur cette place
qu‟occupe chaque sujet enseignant, toujours relativement au poids de l‟expérience
personnelle.
Nous présentons alors dans cette partie la méthodologie que nous adoptons pour
analyser ce poids de l‟expérience sur les pratiques. Cette présentation est effectuée en trois
temps. Nous exposons d‟abord le contexte de la recherche et son analyse préalable, puis nous
présentons la méthodologie de recueil des données, suivie de celle d‟exploitation des résultats.
121
2. Contexte de la recherche et analyse préalable
2.1 Choix du terrain de la recherche
Si notre posture clinique ne nous contraint pas à effectuer un échantillonnage
statistique, il n‟en demeure pas moins nécessaire de sélectionner les sujets et les terrains de la
recherche au regard de notre problématique de recherche et des contraintes méthodologiques
qui en dérivent. Et, si l‟intérêt porté par la recherche, le temps et l‟envie d‟y participer
constituent la première condition inaltérable du choix des sujets, d‟autres éléments ont orienté
notre sélection.
a. Des expériences personnelles
En premier lieu, notre volonté d‟identifier le poids de l‟expérience personnelle du sujet
enseignant dans une APSA sur son enseignement effectif nous amène à travailler avec des
professeurs d‟EPS enseignant plusieurs APSA dans lesquelles ils ont des expériences
différentes. Afin de clairement discerner le poids de cette expérience personnelle, les
enseignants choisis pour participer à la recherche enseignent des APSA dans lesquelles ils ont
une expérience de pratique extrascolaire prolongée (au moins 5 ans) et d‟autres qu‟ils n‟ont
jamais pratiquées en dehors de leur parcours scolaire et/ou universitaire en EPS. Pour valider
l‟existence ou non d‟une expérience personnelle, nous nous appuyons ainsi sur deux critères :
d‟une part les enseignants doivent avoir soit plus de 5 ans de pratique extrascolaire, soit
absolument aucune expérience extrascolaire dans l‟APSA en question ; d‟autre part, ils
doivent eux-mêmes considérer détenir une grande expérience ou aucune expérience.
Mais, ne considérant pas que l‟expérience personnelle soit strictement cloisonnée
selon les mêmes frontières qui définissent culturellement et socialement chaque activité, nous
avons aussi choisi des professeurs d‟EPS ayant des expériences personnelles dans certaines
APSA et enseignant d‟autres APSA dont la structure logique est toutefois considérée comme
proche1. Toutefois, les APSA enseignées n‟ont pas été choisies par le chercheur, dans la
1 On s‟est alors précisément appuyé sur des APSA appartenant au même groupe d‟activité dans les programmes
d‟EPS du collège.
122
mesure où le poids de l‟expérience personnelle est ici postulé comme transversal à toute
activité.
b. Des enseignants débutants
Ensuite, nous avons décidé de travailler avec des enseignants stagiaires à l‟IUFM
(PLC2) n‟ayant aucune expérience professionnelle dans l‟enseignement des différentes
APSA, que ce soit dans un milieu scolaire, fédéral ou associatif. Car, d‟une part nous voulons
spécifier notre regard sur le poids de l‟expérience personnelle et non professionnelle de
l‟enseignant d‟EPS. Nous ne voulons pas que des savoirs ou des comportements
professionnellement acquis puissent venir perturber nos interprétations. D‟autre part, nous
pensons qu‟identifier les premiers pas d‟un sujet dans l‟enseignement conduit à porter un
regard théorique sur la genèse d‟un sujet didactique et permet ainsi de révéler plus
explicitement les déterminations fondamentales qui le structurent.
c. Des comparaisons
Il se dessine alors plusieurs contraintes méthodologiques. Dans la mesure où nous
voulons identifier le poids spécifique de l‟expérience personnelle, nous adoptons une posture
comparative. Il s‟agit de comparer différents enseignements effectifs appuyés par des
expériences contrastées. Nous avons donc choisi de travailler avec 4 professeurs d‟EPS
débutants enseignant chacun 2 ou 3 APSA1 dans lesquelles ils avaient des expériences soit
similaires soit différentes. Nous avons donc choisi de comparer :
- de manière intrasubjective :
- l‟enseignement d‟une APSA dans laquelle l‟enseignant a une expérience
prolongée avec celui d‟une autre dans laquelle il n‟a aucune expérience
- l‟enseignement d‟une APSA dans laquelle il a une expérience prolongée avec
celui d‟une autre vis-à-vis de laquelle il n‟a aucune expérience, mais en a dans une APSA
distincte ayant une structure logique similaire
- l‟enseignement d‟une APSA dans laquelle il a n‟a aucune expérience avec
celui d‟une autre vis-à-vis de laquelle il n‟a aucune expérience, mais en a dans une APSA
distincte ayant une structure logique similaire
1 Le choix d‟analyser 2 ou 3 APSA enseignées pour chaque enseignant a été effectué au regard des contraintes
effectives de la démarche empirique de la recherche. A ce niveau là, le critère minimal de sélection des sujets
enseignants a été qu‟ils enseignent 2 APSA dans lesquelles ils ont des expériences très différentes. Toutefois,
lorsque les contraintes spatio-temporelles le permettaient et que l‟analyse de l‟enseignement d‟une troisième
APSA était justifiée au regard de notre problématique de recherche, nous avons décidé de mener cet examen
supplémentaire.
123
- l‟enseignement de 2 APSA distinctes dans lesquelles l‟enseignant a une
expérience prolongée
- de manière intersubjective :
- l‟enseignement d‟une même APSA par plusieurs enseignants dans laquelle
chacun a une expérience prolongée
- l‟enseignement d‟une même APSA par plusieurs enseignants dans laquelle
aucun n‟a d‟expérience
- l‟enseignement d‟une même APSA par plusieurs enseignants dans laquelle
chacun a soit une expérience prolongée soit aucune expérience
- l‟enseignement d‟une même APSA par plusieurs enseignants dans laquelle
aucun n‟a expérience, mais en a dans une APSA distincte ayant une structure logique
similaire.
A partir de la diversité de ces croisements, nous pensons ainsi pouvoir identifier le
poids de l‟expérience personnelle dans une APSA sur son enseignement, en évitant d‟être
totalement orientés par la logique spécifique de chaque APSA ou par celle de chaque sujet
enseignant. Toutefois, notre posture clinique, nous conduit tout de même à limiter l‟étendue
de nos croisements. Au-delà de nos orientations théoriques et épistémologiques, il s‟agit aussi
de porter un regard « au cas par cas » (Terrisse, 2000) sur les sujets enseignants. Nous ne
voulons pas, en effet, attribuer à l‟expérience personnelle le simple statut de variable
indépendante quantitative qui pourrait déterminer statistiquement le contenu et la forme du
processus de transmission des savoirs. Il s‟agit bien de prendre en compte ces expériences
personnelles comme des processus singuliers structurant la logique personnelle du sujet
enseignant et conduisant ainsi celui-ci à mener des enseignements spécifiques.
d. Des contextes d’enseignement
Cependant, pour stabiliser nos comparaisons, nous nous sommes assurés de la
similarité des contextes d‟enseignement. Les enseignements ont tous été menés durant la
même période de l‟année, durant les deuxième et troisième trimestres de l‟année scolaire
2006-2007, dans des établissements similaires, des collèges publics hors ZEP, accueillant les
élèves des villes de la région Aquitaine. Dans la mesure du possible, les professeurs devaient
enseigner chaque APSA à des classes de même niveau (6ème
ou cycle central) et chacun devait
enseigner les APSA à la même classe.
124
e. Des séances d’enseignement
Enfin, nous avons opté pour observer les enseignants sur 3 séances consécutives en
début de cycle : les 2ème
, 3ème
et 4ème
séances. Nous avons délaissé la première séance de
chaque cycle, celle-ci relevant la majorité du temps d‟une évaluation diagnostique se prêtant
beaucoup moins que les séances suivantes à la transmission de savoirs qui est au centre de nos
préoccupations. Et nous avons favorisé l‟examen des débuts des cycles et la continuité des
séances observées, afin d‟analyser du mieux possible la genèse des savoirs dans la classe à
l‟intérieur d‟un contrat didactique spécifique, progressivement construit.
2.2 Les enseignants, leurs établissements et leurs classes
Afin de trouver des professeurs d‟EPS débutants volontaires pour participer à la
recherche, nous nous sommes dirigés vers les IUFM liés aux institutions dans lesquelles nous
travaillons : les IUFM de Pau et de Toulouse. Pour choisir les enseignants, nous avons
proposé aux PLC2 une fiche d‟information sur l‟objet et le fonctionnement de la recherche et
un bref questionnaire (Annexe 3) leur demandant :
- s‟ils désiraient participer à la recherche
- dans quelles APSA ils avaient le plus d‟expérience
- dans quelles APSA ils avaient le moins d‟expérience
- quelles APSA ils enseignaient à partir du deuxième trimestre de l‟année scolaire
2006-2007
Ainsi, à partir des réponses données par les professeurs stagiaires, nous avons contacté
les volontaires qui enseignaient des APSA à partir du deuxième trimestre dans lesquelles ils
avaient des expériences personnelles spécifiques qui s‟articulaient. Après plusieurs entretiens
téléphoniques validant la consistance ou l‟inconsistance de leurs expériences personnelles et
la similarité des contextes d‟enseignement nous avons choisi de collaborer avec quatre
enseignants débutants. Notre première démarche à l‟IUFM de Pau se révélant suffisante pour
contenir les conditions méthodologiques de la recherche, nous avons retenus 4 PLC2 de
l‟IUFM de Pau. Nous les présentons brièvement ici, ainsi que les établissements et les classes
dans lesquels ils enseignent. Nous présentons aussi un aperçu des cadres spatio-temporels de
leur expérience personnelle dans chaque APSA enseignée1.
1 Mis à part P1, avec qui nous n‟avons pu mener d‟entretien « expérientiel », c'est-à-dire un entretien relatif à la
singularité de son expérience dans chaque APSA enseignée, les données relatives aux expériences des
125
a. Professeur 1 (P1)
P1 est un homme de 24 ans, il est PLC2 à l‟IUFM de Pau. Il a une longue expérience
de pratique en rugby et en natation. Il n‟a aucune expérience en gymnastique et en lutte. Il
enseigne le rugby, la natation et la gymnastique à une classe de 6ème mixte d‟un collège
public de Mont de Marsan (40).
Nous observons ses cycles de natation, de rugby et de gymnastique. P1 a pratiqué le
rugby en club de 15 à 22 ans à un niveau régional. Il a pratiqué la natation compétitive en club
de 11 à 16 ans à un niveau régional. La natation était son option durant son premier cycle
universitaire. P1 n‟a jamais pratiqué la gymnastique en dehors de son parcours scolaire et
universitaire.
b. Professeur 2 (P2)
P2 est un homme de 23 ans, il est PLC2 à l‟IUFM de Pau. Il a une longue expérience
de pratique en rugby et en judo. Il n‟a aucune expérience en basket et en danse. Il enseigne le
rugby, le basket et la danse1 à une classe de 4
ème mixte d‟un collège public de Peyrehorade
(40).
Nous observons ses cycles de rugby et de basket. P2 a commencé le rugby à 12 ans. Il
a donc 11 ans d‟expérience dans cette APSA. Il a joué dans deux clubs distincts et joue encore
au moment de la recherche dans le deuxième club. Il s‟agit d‟un club de deuxième division
nationale (pro D2), dans lequel il oscille entre l‟équipe réserve et l‟équipe professionnelle. P2
n‟a jamais pratiqué le basket en dehors de son parcours scolaire et universitaire.
c. Professeur 3 (P3)
P3 est un homme de 23 ans, il est PLC2 à l‟IUFM de Pau. Il a une longue expérience
de pratique en football et en danse. Il n‟a aucune expérience en natation et en basket. Il
enseigne la danse et le basket à une classe de 6ème
mixte d‟un collège public d‟Arudy (64).
Nous observons ses cycles de danse et de basket. P3 a commencé la danse à 15 ans
dans une association de hip-hop. Il a intensément pratiqué de 15 à 20 ans, puis s‟est blessé et a
ralenti son investissement corporel. En revanche, il n‟a jamais ralenti son engagement dans
enseignants proviennent de ces entretiens. Nous avions pour intention initiale d‟intégrer les données de ces
entretiens, qui dépassent largement les cadres spatio-temporels de leur expérience, pour analyser le rapport au
savoir des enseignants. Mais les contraintes temporelles et la densité de la recherche ne nous ont pas permis de
les intégrer. Nous présentons donc ici seulement les cadres généraux de leur expérience. 1 P2 n‟a finalement pas mené son cycle de danse. Il l‟a abandonné au profit d‟un cycle de pala. Il ne se sentait
pas de mener un tel cycle. L‟abandon constitue un élément récurrent des pratiques d‟enseignement sans
expérience, comme nous le verrons dans les différentes analyses.
126
l‟association dans laquelle il est DJ. Il a aussi pratiqué un an à l‟IUFM de Pau dans la mesure
où la danse a été son option au CAPEPS. P3 n‟a jamais pratiqué le basket en dehors de son
parcours scolaire et universitaire. Il a tout de même déjà été voir plusieurs matchs de basket
dans la mesure où un ami à lui pratiquait le basket en club.
d. Professeur 4 (P4)
P4 est un homme de 24 ans, il est PLC2 à l‟IUFM de Pau. Il a une longue expérience
de pratique en rugby et en natation. Il n‟a aucune expérience en danse et en basket. Il enseigne
la natation et la danse à une classe de 6ème
mixte et le basket à une classe de 4ème
mixte d‟un
collège public de Bayonne (64).
Nous observons ses cycles de natation, de basket et de danse. P4 a pratiqué la natation
en club de 5 à 13 ans. Il a pratiqué la natation compétitive dans un seul club, à un niveau
régional. Sa spécialité était le dos crawlé ; c‟est maintenant le crawl. Il est aussi titulaire du
BNSSA (Brevet National de Sécurité et de Sauvetage Aquatique) qu‟il a passé durant son
premier cycle universitaire dans lequel la natation était son option. P4 n‟a jamais pratiqué ni
le basket ni la danse en dehors de son parcours scolaire et universitaire.
2.3 Les enseignants et les APSA : croisements d’expériences
On peut dès lors, à partir de ces données, présenter les enseignements qui seront
analysés dans la recherche en exposant l‟articulation entre les APSA, les enseignants et leurs
expériences personnelles spécifiques qui fera l‟objet de notre étude. On analysera alors les
enseignements de 5 APSA : le basket, le rugby, la natation, la danse et la gymnastique.
Tableau 7 : Croisement des expériences personnelles des enseignants dans les différentes APSA
Basket Rugby Natation Danse Gymnastique
P1 Ex Ex NEx
P2 NEx* Ex
P3 NEx* Ex
P4 NEx* Ex NEx
Ex : Expérience dans l‟APSA
NEx* : Aucune expérience dans l‟APSA, mais expérience dans une autre du même groupe
NEx : Aucune d‟expérience
127
La diversité du contenu des colonnes du tableau 7 révèle ainsi les différents
croisements intersubjectifs s‟appuyant sur des expériences personnelles distinctes ou
similaires qui seront au centre de nos analyses. La diversité du contenu des lignes du tableau x
met à jour les différents croisements intrasubjectifs.
Il s‟agit maintenant de clarifier les manifestations empiriques des données que l‟on
souhaite recueillir ainsi que le protocole mis en place pour y parvenir.
3. Méthodologie de recueil des données
Cette partie se présente en deux temps. Tout d‟abord, nous présentons les indicateurs
empiriques qui nous permettent d‟identifier nos données sur le terrain de la recherche. A partir
des éléments décrits dans la partie théorique de la recherche, nous présentons ainsi au lecteur
le « quoi ? », c'est-à-dire ce que nous allons concrètement retenir d‟un point de vue empirique,
ce que les méthodologues nomment la « construction des données » (Reuter, 2006). Ensuite,
nous explicitons le protocole de recherche mis en place pour accéder à ces données. Nous
présentons ainsi au lecteur le « comment ? », c'est-à-dire les procédés et la démarche mis en
œuvre pour les recueillir, ce que les méthodologues nomment la « constitution du document »
(op. cit.)1.
3.1 Identification empirique des données à recueillir
Pour identifier le poids de l‟expérience personnelle de l‟enseignant dans une APSA sur
le contenu de l‟enseignement effectif de cette dernière, nous nous appuyons sur deux
ensemble de données. D‟une part, il s‟agit de réunir les données permettant d‟identifier le
1 D‟ordinaire, la constitution du document précède la construction des données. Car la sélection et la collecte de
documents au travers de tâches et d‟outils déterminés est nécessaire en amont pour pouvoir sélectionner, exclure
et catégoriser les différents indicateurs empiriques à l‟intérieur de ces documents. Toutefois, nous les présentons
dans un ordre inverse, car il nous semble que l‟étape de « construction des données », soit de caractérisation des
indicateurs, renvoie à la sélection des éléments de réponse à la question posée par la recherche. La « constitution
du document » renvoie alors aux moyens utilisés pour chercher ces indicateurs. Il nous semble alors qu‟il faut
d‟abord savoir ce que l‟on cherche avant de s‟interroger sur les moyens à mettre en œuvre pour le chercher.
128
contenu effectivement transmis, c'est-à-dire, dans notre recherche, les différents indicateurs
empiriques révélant chacune des six dimensions constitutives du savoir expérientiel dans les
processus de transmission des savoirs. D‟autre part, notre ancrage épistémologique en
didactique clinique nous amène aussi à recueillir d‟autres données : celles permettant de
définir la logique singulière de chaque sujet enseignant et ses préoccupations subjectives dans
le didactique.
Nous présentons dans cette partie les différents indicateurs empiriques nous permettant
d‟extraire les données nécessaires à l‟identification du savoir expérientiel transmis dans les
pratiques effectives.
Nous nous sommes attachés, dans notre partie théorique, à mener une analyse
transpositive du savoir expérientiel, à partir de ses six dimensions constitutives. Cette analyse
nous a conduit à dégager des éléments constitutifs de ces dimensions dans le processus de
transmission des savoirs. Elle nous a aussi permis d‟identifier les formes sous lesquels ces
éléments peuvent se donner à voir dans les pratiques effectives. Ainsi, avant de présenter le
protocole de recherche qui nous a permis de recueillir ces données, nous voudrions préciser et
systématiser les indicateurs empiriques qui nous permettent d‟identifier ces données.
a. Identification empirique de la dimension conceptuelle organisant le processus de
transmission
Il s‟agit ici d‟identifier les invariants opératoires mis en jeu par l‟enseignant et les
relations spécifiques instaurées entre ces invariants. Il nous faut alors, en premier lieu,
pouvoir reconnaître, différentier et décompter les invariants qui organisent les processus de
transmission.
Tout d‟abord, nous avons distingué deux types de supports à la transmission de ces
invariants : les situations adidactiques (et leurs modifications) et les interactions didactiques
(les interactions langagières et les procédures ostensives non langagières). En ce qui concerne
les situations adidactiques, l‟identification des invariants passe par des inférences effectuées
par le chercheur quant aux invariants sous-jacents aux situations observées en classe. Mais
dans la diversité d‟invariants pouvant être sous-jacents à certaines situations, nous ne
conserverons que ceux que l‟enseignant dit vouloir transmettre lorsqu‟il explicite son
intention didactique.
Puis, en ce qui concerne les interactions didactiques, il nous faut identifier chaque
invariant spécifique à chaque fois qu‟il est mis en jeu. Ainsi, nous identifierons un invariant
129
spécifique à chaque fois que l‟enseignant propose, dans ses interventions didactiques, une
unité conceptuelle faisant partie intégrante du découpage du réel de l‟APSA enseignée. Afin
que les invariants identifiés s‟insèrent dans un cadre commun pour tous les enseignements
menés et que leur caractérisation et leur dénomination ne renvoient pas uniquement à
l‟épistémologie du chercheur, ces unités conceptuelles seront reconnues en référence aux
compétences et aux objets qui les constituent dans les programmes du collège. Au travers des
programmes de 6ème
et du cycle central, ainsi que des documents d‟accompagnement relatifs
aux APSA enseignées dans notre recherche, nous avons donc identifié les objets constitutifs
des compétences propres (relatives aux groupes d‟APSA intéressés) et des compétences
spécifiques explicitées (Annexe 2). Les invariants organisant les différents processus de
transmission sont alors identifiés en référence à ces objets. Ils peuvent être identifiés en tant
que tels ou bien comme une déclinaison de ces derniers. Parfois, lorsque le contenu des
enseignements dépasse largement celui des programmes, certains invariants mis en jeu par les
enseignants ne peuvent être référés à ces objets. Dans ce cas, ils sont simplement caractérisés
par le chercheur et l‟enseignant.
Ensuite, il s‟agit d‟identifier la récurrence de tous ces invariants distincts, c'est-à-dire
de comptabiliser pour chaque invariant le nombre de fois où il est mis en jeu par l‟enseignant.
Ainsi, un invariant sera comptabilisé à chaque fois :
- qu‟il est mis en jeu par l‟enseignant dans une intervention identifiable auprès d‟un
public déterminé (un élève, un autre élève, un groupe d‟élèves, la classe). Ainsi, le même
invariant mis en jeu de manière successive auprès de deux élèves différents sera comptabilisé
deux fois. En revanche, un invariant mis en jeu deux fois de manière identique lors d‟une
seule intervention auprès du même public ne sera comptabilisé qu‟une seule fois1.
- qu‟il est spécifié par l‟enseignant dans une intervention auprès d‟un public
quelconque. On considère qu‟un invariant est spécifié lorsqu‟il renvoie à une déclinaison
spécifique d‟un invariant identifié. Par exemple, en danse, l‟invariant « les pas de danse »
peut être spécifié en « les pas de prépa », « le crabe », « le pas 5 », etc. Ainsi, dans une même
intervention, un invariant mis en jeu par l‟enseignant, puis spécifié en deux invariants, sera
comptabilisé trois fois.
1 Ces règles de décompte ont pour principale justification le fait que dans une même intervention, l‟enseignant
peut se répéter et insister plusieurs fois sur un même invariant. Dans ce cas, très fréquent, il ne nous semble pas
pertinent de comptabiliser plusieurs fois le même invariant. Car, ces répétition sont plus dues à la forme du
langage oral, qui conduit à répéter plusieurs fois d‟affilé la même chose pour se faire entendre, qu‟à une nouvelle
transmission d‟un même invariant.
130
Enfin, en ce qui concerne les relations dans lesquelles s‟inscrivent les invariants mis
en jeu par l‟enseignant, c'est-à-dire s‟ils sont finalisés, hiérarchisés ou automatisés,
l‟identification empirique passera simplement par la caractérisation des invariants. On
comptabilisera alors le nombre de fois où ils sont présentés comme une finalité en eux-
mêmes, comme une finalité au service d‟autres invariants ou comme une condition ou une
action à l‟intérieur d‟une règle d‟action. Les règles de décompte seront les mêmes que pour
l‟identification empirique des invariants.
b. Identification empirique de la dimension signifiante organisant le contenu du
processus de transmission
Il s‟agit ici d‟identifier des signifiants spécifiques dans le discours effectif de l‟enseignant
en classe. L‟identification empirique des signifiants est relativement aisée, dans la mesure où
l‟analyse se limite au contenu du discours de l‟enseignant. Cependant, seules deux catégories de
signifiants nous intéressent : ceux qui participent à la construction ou à la spécification des
invariants opératoires mis en jeu par l‟enseignant et ceux qui font référence aux contextes de
l‟APSA enseignée. La sélection des signifiants qui ont un intérêt dans notre analyse passe
donc par des inférences du chercheur quant à leur lien avec les invariants identifiés au
préalable ou avec les contextes historique, culturel, spatio-temporel, matériel et didactique de
l‟APSA. Dans la mesure où seule la diversité des signifiants est prise en compte (et pas leur
récurrence), le nombre total de signifiants identifiés renvoie simplement au nombre total de
signifiants distincts.
c. Identification empirique de la dimension corporelle organisant le contenu du
processus de transmission
L‟identification empirique de cette dimension passe par la caractérisation de sensations,
de repères sensoriels et de signifiants appartenant au champ lexical du corps.
L‟identification des signifiants se fait de la même manière que pour la dimension
précédente. Il s‟agit d‟identifier des signifiants dans le discours de l‟enseignant, mais en limitant
la sélection à ceux qui appartiennent au champ lexical du corps.
En ce qui concerne les repères sensoriels, l‟analyse fonctionne comme pour la
caractérisation des invariants. Ils sont identifiés au travers des situations adidactiques (inférences
du chercheur et explicitation de l‟intention didactique par l‟enseignant) et des différentes formes
d‟interactions didactiques. Toutefois, ici, les seules formes de conceptualisation qui sont prises
en compte sont celles qui renvoient aux différents éléments de l‟environnement (repères
extéroceptifs) ou du corps (repères proprioceptifs) sur lesquels l‟enseignant propose à ses
131
élèves d‟arrêter leur perception. Les règles de décompte sont ainsi les mêmes que pour les
invariants.
L‟identification des sensations ne passe pas par leur définition en terme d‟objet
circonscrit que l‟on pourrait nommer et expliciter. Les sensations mises en jeu par
l‟enseignant seront ainsi identifiées au travers des procédures didactiques que nous avons
identifiées comme vecteur de sensations, c'est-à-dire des moyens mis en œuvre par
l‟enseignant pour faire vivre corporellement aux élèves certains aspects spécifiques de chaque
APSA. La comptabilisation des sensations renverra ainsi à la comptabilisation de ces
procédures. Les situations adidactiques, potentiellement vectrices de sensations, seront
comptabilisées lorsque l‟intention didactique du professeur est marquée par l‟importance des
sensations. Les autres formes de vecteurs de sensations (démonstrations, manipulations,
attentions sensorielles, remédiations sensorielles) seront simplement dénombrées.
d. Identification empirique de la dynamique situationnelle/représentationnelle organisant
le contenu du processus de transmission
Il s‟agit d‟identifier, d‟une part, des types d‟interventions didactiques (situationnelle et/ou
représentationnelle) et, d‟autre part, des processus inférentiels.
Les types d‟interventions, valorisant la dimension situationnelle, représentationnelle ou
leur articulation, seront identifiés pour chaque invariant préalablement caractérisé au travers des
interactions didactiques1. Lorsque l‟enseignant met en jeu un invariant dans ces interactions, il
peut le faire, soit en référence à la situation spécifique dans laquelle se trouve l‟élève, à son
activité singulière en situation, aux obstacles particuliers auxquels il semble être confronté, soit
en référence à l‟APSA en question, à ses caractéristiques génériques, aux problèmes et aux
solutions transversaux qui la constituent. Il peut enfin parfois articuler ces deux références dans
la même intervention. L‟identification des types d‟interventions consistera donc à caractériser ce
à quoi est référé l‟invariant mis en jeu par l‟enseignant.
En ce qui concerne les processus inférentiels, nous avons identifié deux types de support
à leur transmission en classe : les enchaînements de situations adidactiques et le discours
analogique de l‟enseignant.
En proposant aux élèves un enchaînement de plusieurs situations adidactiques mettant en
1 Lorsque, dans une même intervention, l‟enseignant spécifie un invariant en plusieurs invariants spécifiques,
nous ne compterons pour autant qu‟une seule intervention. De même, nous ne prenons en compte que les
interventions de l‟enseignant qui prennent une forme injonctive, ou au moins affirmative. Les questionnements,
qui mettent, certes, en jeu des invariants, ne nous semblent pas entrer dans cette problématique. Ainsi, le nombre
d‟interventions comptabilisées correspond au nombre d‟interactions didactiques, non interrogatives, relatives à
un invariant (excluant les déclinaisons d‟invariants à l‟intérieur d‟une même interaction).
132
jeu les mêmes invariants, l‟enseignant permet aux élèves de « réinvestir » ces invariants. Nous
considérons que ces réinvestissements sont des vecteurs de processus inférentiels. Nous avons
caractérisé quatre types de réinvestissements : à l‟identique, direct, indirect explicite, indirect
implicite. Ainsi, l‟identification empirique consiste ici à examiner, pour chaque invariant sous-
jacent à chaque situation adidactique, de quelle manière il peut être potentiellement réinvesti
dans chaque situation successive de chacune des séances consécutives. Dès qu‟un invariant est
identifié comme sous-jacent à une situation adidactique, nous le suivons alors à la trace dans
chacune des situations suivantes. On comptabilise donc les processus inférentiels à partir du
nombre de réinvestissements à l‟identique, direct, indirect explicite et indirect implicite des
différents invariants. Un réinvestissement est comptabilisé pour chaque invariant réinvesti au
travers de chaque enchaînement de situations (intra ou inter séances).
L‟enseignant peut aussi mettre en jeu des processus inférentiels dans les interactions
didactiques, au travers de son discours, lorsqu‟il use d‟analogies. Nous comptabiliserons alors
chaque intervention de l‟enseignant prenant la forme d‟une analogie, c'est-à-dire dès lors qu‟il
réfère son intervention à des invariants potentiellement construits en amont de la situation
objective, en classe ou en dehors de la classe. Nous différentierons alors ces deux types
d‟analogies : celles qui font référence à des invariants construits antérieurement en classe
(analogies internes) ou à des invariants potentiellement construits en dehors de la classe
(analogies externes).
e. Identification empirique de la part d'initiative organisant le contenu du processus de
transmission
Il s‟agit ici d‟identifier des choix potentiels mis en jeu par l‟enseignant, au travers
d‟une analyse des phases de définition des situations et des phases de régulation et
d‟institutionnalisation.
L‟analyse des phases de définition nous conduira ainsi à caractériser, pour chaque
situation proposée par l‟enseignant, la forme qu‟elle prend relativement aux choix potentiels
offerts aux élèves pour atteindre le but explicité lors de ces phases. Nous avons identifié trois
formes : les élèves n‟ont aucun choix (0), un nombre de choix dénombrable (n) ou
indénombrable (∞). La comptabilisation consistera à dénombrer, pour chaque enseignement
mené, le nombre de tâches prenant chacune de ces formes1. Ainsi, au travers du discours de
l‟enseignant lors de ces phases, nous identifierons les buts explicitement assignés à
1 Nous parlons, pour le dénombrement, de tâches. Car dans une même situation, les différents élèves peuvent
avoir des tâches différentes.
133
l‟engagement des élèves dans chaque situation. A partir de ces buts, nous inférerons alors à
chaque fois la forme prise par chaque situation1.
L‟analyse des phases de régulation et d‟institutionnalisation portera sur le discours de
l‟enseignant et les procédures ostensives non langagières lors de ces phases. Nous
comptabiliserons alors chaque intervention de l‟enseignant dont l‟objet est un choix potentiel,
c'est-à-dire dès lors qu‟il propose aux élèves plusieurs bonnes solutions à partir desquelles ils
doivent faire un choix (toutes les solutions sont explicitées ; ou une solution et sa non
exclusivité sont explicitées, ou le but et la nécessité de faire un choix pour trouver une bonne
solution sont explicités) ou qu‟il leur propose une bonne solution qui repose sur un choix
relatif à la singularité de chaque situation objective.
f. Identification empirique de l'organisation globale du contenu du processus de
transmission
Il s‟agit ici d‟identifier des articulations systémiques entre invariants, ainsi que la
globalité inhérente au contenu des processus didactiques, au travers des situations et des
chronogenèses d‟invariants.
Les articulations sont identifiées à partir d‟éléments déjà comptabilisés : les invariants
hiérarchisés, les invariants finalisés, les différents réinvestissements d‟invariants et les
analogies internes et externes. Ces données renvoient aux différentes articulations
systémiques entre invariants distincts ou identiques. La comptabilisation des articulations
systémiques renvoie donc au dénombrement de l‟ensemble de ces éléments.
L‟analyse de la globalité des situations consistera à caractériser, pour chaque situation
identifiée, la forme qu‟elle prend relativement à la « situation globale de référence ». Ainsi,
nous définirons dans un premier temps ces situations globales, telles qu‟elles peuvent exister
dans les pratiques sociales instituées, pour toutes les situations adidactiques. Alors à partir de
cette caractérisation, nous inférerons le type chaque situation proposée par l‟enseignant :
globale, fragmentée, aménagée, fragmentée et aménagée, décomplexifiée. Pour les situations
aménagées, nous identifierons aussi le nombre de contraintes didactiques qui les distancient
de la situation globale de référence. Nous comptabiliserons alors ensuite le nombre de
situations prenant chacune des formes.
1 Certaines définitions de situations par l‟enseignant ne comporte aucun but explicite. Dans ces situations, les
élèves n‟ont pas de tâche, à proprement parler, à accomplir. Prises de manière isolée, ces situations ne peuvent
ainsi pas véritablement sous-tendre choix potentiels. Compte tenu de leur rareté, nous ne le comptabiliserons pas.
Néanmoins, elles seront analysées qualitativement.
134
L‟examen de la globalité de l‟émergence des invariants consistera à mener une étude
chronogénétique de l‟ensemble des invariants durant les séances observées. Nous
identifierons pour chaque phase (définition, régulations, institutionnalisation) relative à
chaque situation identifiée, l‟émergence chronologique des différents invariants. Nous
comptabiliserons alors le nombre de séries de un à dix invariants distincts.
A partir de l‟identification de ces données, nous pourrons alors par la suite traiter
celles relatives à la logique singulière de chaque sujet enseignant et à ses préoccupations
subjectives dans le didactique. Toutefois, ces données étant identifiées à partir d‟un cadre issu
de la première analyse des pratiques, nous ne pouvons ici présenter les indicateurs
empiriques ; dans la mesure où ces indicateurs ne peuvent être définis a priori.
3.2 Protocole de recueil1 des données
Les indicateurs empiriques relatifs aux données que l‟on souhaite recueillir ayant été
exposés, nous présentons maintenant le protocole méthodologique de la recherche mis en
place pour avoir accès à ces données. Dans un premier temps, nous explicitons les fondements
du recueil des données à partir de leurs justifications au regard de ce que nous souhaitons
identifier d‟un point de vue empirique. Dans un deuxième temps, nous présentons les
procédures de recueil des données mises en place, en décrivant les « techniques » utilisées
(De Ketele, Roegiers, 1996), le déroulement effectif du protocole de recherche et la
« constitution du document » de la recherche (Reuter, 2006). Nous proposons enfin une vision
systématique du protocole au travers d‟un récapitulatif général.
3.2.1 Fondements et justifications du protocole de recueil des données
En premier lieu, précisons que le protocole mis en place s‟avère être strictement le
même sur tous les sites de la recherche. Dans un souci de reproductibilité et pour pouvoir
mener des comparaisons à partir d‟un cadre commun, la démarche effective de recueil des
1 A proprement parler, les données ne sont pas recueillies par le chercheur. Elles sont construites à partir de
sélections, d‟exclusions, de catégorisations. Toutefois, le terme de protocole de recueil des données étant
largement répandu dans la diversité des recherches scientifiques, nous le conservons dans le texte. Pour autant,
nous ne faisons pas de confusion quant à la nature des données, qui sont bien en fait des constructs.
135
données est identique pour chaque enseignement mené par chaque enseignant dans chaque
APSA. Rappelons que nous travaillons avec quatre professeurs d‟EPS débutants, enseignant
cinq APSA distinctes (basket, rugby, natation, danse, gymnastique). Le terrain de la recherche
est ainsi constitué des dix cycles d‟enseignement, menés face à des élèves de sixième et du
cycle central, dans lesquels trois séances consécutives sont analysées (séances 2, 3 et 4).
a. L’ « épreuve »
Tout d‟abord, notre intention d‟analyser le contenu de pratiques effectives
d‟enseignement nous amène inévitablement à mener des observations in situ. Ces
observations constituent la pièce maîtresse du recueil des données dans une recherche portant
sur l‟analyse du didactique ordinaire. Plus précisément, nous avons opté pour une observation
« médiatisée » (De Ketele, Roegiers, 1996), au travers du filmage in extenso des séances
d‟enseignement. Le choix d‟une observation vidéo et audio a été effectué pour plusieurs
raisons. D‟une part, car « elle permet le stockage de l‟information brute et donc : le codage
ultérieur ; le retour en arrière ; le contrôle du codage ; des traitements nouveaux de
l‟observation ; le codage multiple ; etc. » (op.cit.). Compte tenu de la grande diversité de nos
indicateurs empiriques et de leur nature quantitative, la complexité des situations observées ne
permet pas au chercheur une identification directe des données à recueillir. D‟autre part,
l‟observation vidéo permet au chercheur de réduire son exigence d‟attention in situ (op.cit.) et
donc son implication, créant ainsi des conditions favorables à sa distanciation, lui permettant
alors de limiter sa contamination des données sur le terrain même de la recherche. Enfin, le
choix d‟une observation vidéo, et pas seulement audio, a été effectué dans la mesure où notre
analyse ne porte pas uniquement sur le discours de l‟enseignant, mais aussi sur certaines
pratiques non verbales.
Toutefois, l‟analyse didactique du contenu des séances d‟enseignement ne peut se
limiter à des observations in situ. En effet, l‟identification de certains indicateurs empiriques,
comme les invariants sous-jacents aux situations adidactiques, nécessite d‟avoir accès à
l‟explicitation par l‟enseignant de son intention didactique. L‟explicitation passant par le récit,
nous avons alors mené des entretiens avec les enseignants, dans lesquels ils étaient interrogés
à propos de leur intention didactique relative à chaque séance observée et plus spécifiquement
à chaque situation mise en place. Ces entretiens, s‟ils sont l‟unique moyen d‟avoir accès à
certaines données, renvoient aussi à la mise en œuvre d‟une instrumentation reconnue dans les
méthodologies de recherche en didactique ; qu‟il s‟agisse d‟ingénieries didactiques (Artigue,
1990) ou d‟analyses des pratiques effectives (Venturini, Amade-Escot, Terrisse, 2002). Ils
136
permettent de mener un croisement d‟analyses, a priori, in situ et a posteriori, pertinent pour
identifier et définir précisément les objets centraux dans le processus d‟enseignement. Ces
entretiens, chronologiquement effectués juste après chaque séance observée, nous permettrons
de mener une analyse a priori et a posteriori, centrée sur la reconnaissance par l‟enseignant
des objets qu‟il souhaite enseigner et de ceux qu‟il a effectivement enseigné1. Pour finir sur
ces entretiens, nous les exploiterons aussi dans la partie interprétative de la recherche. En
effet, si d‟autres procédures ont été mises en place spécifiquement pour identifier l‟expérience
personnelle des enseignants ou leur logique singulière de sujet didactique, ces entretiens
seront utilisés de manière à étayer ou remettre en question nos interprétations.
Ces deux procédures méthodologiques, l‟observation vidéo et une partie des entretiens
post-séances, constituent le deuxième temps de l‟analyse didactique clinique : « l‟épreuve »
(Terrisse, 2000). Les observations in situ consistent à identifier la « mise à l‟épreuve » des
savoirs détenus par l‟enseignant dans la contingence des situations de classe. Il s‟agit ainsi
d‟une « épreuve », au sens sportif du terme, dans la mesure où personne ne sait ce qui va se
passer (Terrisse, 2009).
b. Le « déjà-là »
Comme nous l‟avons précisé, ce temps de la recherche n‟a pu être pris en compte
comme nous l‟avions prévu dans l‟exploitation des données. Nous présentons toutefois la
démarche a priori de ce protocole avant de préciser comment nous l‟avons effectivement
mené.
Nous voulions avoir accès à l‟expérience personnelle de chaque enseignant dans
chaque APSA enseignée. Après avoir choisi des professeurs d‟EPS enseignant des APSA
dans lesquelles ils ont une expérience personnelle de pratiquant, prolongée ou inexistante,
nous avons du identifier ces expériences singulières d‟un point de vue empirique et de
manière qualitative. Considérant que, pour le chercheur, l‟expérience relève de « ce que le
sujet peut dire de ce qu‟il a vécu et de ce qui lui en reste », celle-ci est contenue dans un récit.
Ainsi nous avons mené, en amont des observations, des entretiens avec chaque enseignant. Au
travers d‟un entretien pour chaque APSA enseignée, nous avons interrogé chaque enseignant
sur son expérience personnelle dans cette dernière. Ce sont ces entretiens qui nous permettent
ainsi d‟identifier de manière empirique les rapports expérientiels et épistémologique de
1 Il s‟agit bien d‟entretiens post-séances, mais leur déroulement spécifique nous a permis de mener par leur
intermédiaire une analyse ante et post. Nous explicitons ce déroulement ultérieurement, dans la partie qui lui est
consacrée.
137
chaque enseignant au savoir constitutif de chaque APSA enseignée. Ils sont nommés
entretiens expérientiels. Chaque enseignement mené a été ainsi précédé par un entretien
expérientiel.
Cette procédure méthodologique, les entretiens expérientiels, constitue le premier
temps de l‟analyse didactique clinique : « le déjà-là » (Terrisse, 2000). Il s‟agit aussi d‟un
temps d‟analyse spécifique en didactique clinique. Qu‟il s‟agisse de « déjà-là expérientiel,
conceptuel, décisionnel » (Carnus, 2001), de « référence » (Margnes, 2002 ; Heuser, Terrisse,
Carnus, 2005), de « filtres » (Loizon, 2004), de « rapport expérientiel au savoir » (Buznic-
Bourgeacq, 2005), les recherches en didactique clinique prennent en compte le vécu antérieur
de l‟enseignant comme déterminant fondamental du contenu et de la forme des pratiques
d‟enseignement.
N‟ayant pu exploiter ces données, nous avons pris en compte ce « déjà-là »
uniquement au travers du retour des enseignants sur leur expérience dans les entretiens
d‟après-coup.
c. L’ « après-coup »
Au travers de ces différentes procédures méthodologiques, nous pourrons avoir accès à
la diversité des indicateurs empiriques que nous avons préalablement définis. Toutefois,
compte tenu de notre démarche de recherche didactique clinique, nous mettons en œuvre une
autre procédure méthodologique spécifique : les entretiens d‟après-coup (Terrisse, 2000). Cet
« après-coup » constitue alors le troisième temps de l‟analyse didactique clinique (op.cit.). Il
consiste à mener un entretien, bien après les observations (entre deux et trois mois pour notre
recherche), au travers duquel le chercheur interroge chaque sujet enseignant sur ce qu‟il a
vécu en classe, afin d‟avoir accès à ses propres descriptions et interprétations. Considérant
que « seul le sujet peut dire quelque chose sur la part qu‟il prend dans ce qui lui arrive »
(Terrisse, 2000), ces entretiens permettent d‟identifier le point de vue subjectif de l‟enseignant
sur ses propres actes. Les entretiens d‟après-coup s‟apparentent aux entretiens d‟explicitation
(Vermersch, 1994), voire même, d‟une certaine manière, aux procédures d‟auto-
confrontation, dans la mesure où ils ont pour objectif d‟avoir accès au point de vue de
l‟acteur. D‟une manière similaire, ils permettent ainsi au chercheur de croiser son point de vue
externe d‟observateur avec le point de vue interne de celui qu‟il observe ; ceci afin d‟assurer
une meilleure fiabilité des résultats (Van Der Maren, 1995). Toutefois, la spécificité des
entretiens d‟après-coup nécessite d‟en préciser les fondements épistémologiques.
138
L‟après-coup, comme son nom l‟indique, est un temps d‟analyse qui se situe après
l‟acte, lorsque celui-ci est terminé, lorsqu‟il est définitivement sorti du champ de perception
du sujet, lorsque ce dernier semble en avoir fini avec cet acte. Issu de la psychanalyse
freudienne, le concept d‟après-coup renvoie ainsi à un temps d‟analyse qui permet au sujet de
donner un sens à ses actes. « D‟emblée, Freud a marqué que le sujet remanie après-coup les
évènements passés et que c‟est ce remaniement qui leur confère un sens » (Laplanche,
Pontalis, 1973). De la même manière que le chercheur réélabore ce qu‟il a pu observer, à
partir de concepts et d‟outils spécifiques, pour créer du savoir, le savoir du sujet sur sa propre
pratique renvoie à un remaniement, une réélaboration de sa propre expérience. Ainsi, l‟après-
coup, qu‟il s‟agisse d‟un procédé thérapeutique ou d‟un procédé méthodologique de
recherche, s‟appuie sur le « temps nécessaire à l‟élaboration du discours » (Terrisse, 2000) ;
ce que Lacan (1966) nomme le « temps pour comprendre ». Nous postulons alors que, pour le
chercheur, l‟après-coup est le moyen privilégié pour avoir accès au point de vue du sujet ; pas
au point de vue de l‟observateur de sa propre pratique ou du praticien réflexif (Tochon, 1992),
mais bien du sujet singulier dont la réalité psychique se distingue bien de la réalité objective
(Freud, 1973). En tant que procédure de recherche, le temps nécessaire à l‟après-coup s‟avère
ainsi justifié par cette volonté. En effet, la découverte freudienne de l‟inconscient, aujourd‟hui
réinterprétée par les neurosciences en terme d‟ « interprétation fictionnelle » (Naccache,
2006), distingue la réalité psychique qui fonctionne à partir des interprétations du sujet et la
réalité objective dont elle est particulièrement indépendante. Ainsi, la réalité psychique, qui
est la seule à renvoyer au point de vue du sujet, fonctionne bien à partir d‟interprétations
subjectives. Alors, dans cette perspective, le temps qui sépare la description de ce qui est
décrit, devient fondamental. Car, lors d‟une description d‟un évènement présent ou qui vient
juste de se produire, les informations présentes dans la réalité objective « ajustent » les
interprétations subjectives. En revanche, la description d‟un évènement achevé depuis
longtemps est principalement constituée des interprétations du sujet, de son remaniement, de
sa réélaboration, dans la mesure où la réalité objective ne peut pas former une base
d‟informations à l‟instant de l„explicitation. Ainsi, lorsque le chercheur souhaite avoir accès à
la part du sujet dans ses actes, à sa réalité psychique, il est opportun qu‟il prenne en compte ce
temps nécessaire. Le discours après-coup du sujet permettra alors d‟avoir accès au point de
vue du sujet, à une partie de sa réalité psychique, ici, à une partie de sa subjectivité prise dans
le didactique.
Ce temps nécessaire de l‟après-coup constitue sa première caractéristique,
probablement la plus fondamentale. Toutefois, pour les mêmes raisons, il en comporte deux
139
autres. D‟une part, il exclut toute pratique d‟auto-confrontation, car au travers d‟elle, le sujet
se place en observateur de sa propre pratique, confronté alors aux informations présentes dans
la réalité objective ; pire encore, à des informations qui lui échappaient peut-être lors des
pratiques effectives. D‟autre part, lors de l‟entretien d‟après-coup, le chercheur se doit d‟être
prudent quant à ses questions. Il s‟agit en effet pour lui d‟éviter de décrire les évènements
passés, sans quoi le sujet aura encore une fois accès à des informations qui contamineront sa
réélaboration subjective.
Ce troisième temps de l‟analyse didactique clinique nous permettra ainsi d‟identifier le
point de vue du sujet sur sa propre pratique. Son principal intérêt est alors interprétatif : il
permet de questionner les interprétations externes du chercheur et d‟identifier plus encore la
logique singulière qui anime le sujet didactique.
Au travers de ces temps spécifiques de l‟analyse didactique clinique, nous venons de
présenter la structure de notre protocole de recueil de données, en tentant de lui assurer une
cohérence épistémologique et méthodologique. Il s‟agit maintenant d‟en préciser le
déroulement, du recueil effectif à la constitution des documents sur lesquels l‟analyse sera
menée.
3.2.2 Les observations
a. Organisation des observations
Les séances observées sont filmées in extenso. Le filmage débute dès la première
interaction de l‟enseignant avec ses élèves. Il se conclue lorsque la dernière interaction est
terminée1. Toutes les séances observées durent entre une heure et une heure et demie ; le
temps effectif d‟enseignement observé dure entre 50 et 70 minutes2. Lors de la première
1 Ces interactions n‟ont parfois aucun intérêt d‟un point de vue didactique. Ces interactions de début et fin de
séance renvoient souvent à des aspects pédagogiques (appel, relais d‟informations de vie scolaire, mise en place
et rangement du matériel, etc.). Toutefois, certaines interactions pédagogiques peuvent parfois conduire
l‟enseignant à aborder des aspects didactiques. N‟ayant pas à faire d‟économie, nous filmons les séances dès lors
que l‟enseignant commence à agir en présence des élèves. 2 Nous voulions que les séances aient, dans la mesure du possible, la même durée consacrée à l‟enseignement.
Ainsi, nous nous sommes entendus avec les enseignants pour exploiter le plus possible le temps d‟enseignement
dans les séances d‟une heure. Nous leur avons demandé de commencer leur activité d‟enseignement le plus
rapidement possible et de la poursuivre le plus tard possible. Nous nous sommes alors entendus avec eux pour
nous charger nous même de la mise en place et du rangement du matériel dans ces séances d‟une heure. Ainsi, le
temps d‟enseignement dans toutes les séances connaît une variation moindre que le temps complet des séances,
entre 50 et 70 minutes.
140
présence du chercheur dans chaque classe1, l‟enseignant et le chercheur justifient la présence
d‟un observateur et d‟une caméra en expliquant aux élèves qu‟il s‟agit d‟une collaboration
entre jeunes enseignants pour se former en tant que nouveau professeur. L‟insistance est
portée sur l‟absence totale d‟intérêt pour leur comportement et de conséquences pour leur
parcours scolaire.
Le filmage se déroule de la même façon sur tous les sites de la recherche. Il est assuré
par une caméra mobile, focalisée sur l‟enseignant et tenue par le chercheur ou posée à ses
côtés selon les moments de chaque séance. La mobilité de la caméra consiste à suivre
l‟activité de l‟enseignant par l‟intermédiaire de pivots et de zooms. Les pivots servent à suivre
ses déplacements lorsque l‟enseignant sort du plan de la caméra. Les zooms consistent à
identifier plus clairement ses gestes lorsqu‟il est éloigné de la caméra. Afin de ne pas gêner le
déroulement des leçons et de pouvoir couvrir un grand angle de l‟espace didactique2,
l‟enregistrement se fait à partir d‟une position excentrée. Le chercheur se situe ainsi toujours
dans un coin du gymnase, du terrain, de la piscine ou de la salle de gymnastique, le plus
souvent assis contre un mur, derrière une table sur laquelle est posée la caméra.
De plus, les enseignants sont équipés d‟un micro cravate relié, sans fil, à la caméra et
permettant ainsi d‟avoir, sur la même bande, les enregistrements vidéo, relatifs à l‟activité de
l‟enseignant au milieu des élèves, et les enregistrements audio renvoyant aux interactions
verbales entre l‟enseignant et les élèves.
Tous ces enregistrements audio et vidéo nous ont conduit au final à archiver 28 bandes
d‟environ une heure3.
1 Pour pouvoir venir observer les élèves en classe d‟EPS, des autorisations sont nécessaires. Elles ont consisté
pour nous en deux temps. Tout d‟abord, nous avons demandé par écrit une autorisation aux principaux des
différents collèges (Annexe 3). Après leur accord, nous avons alors fait passer une demande écrite d‟autorisation
de filmer les élèves aux parents des élèves en question. La quasi-totalité des parents ont répondu positivement.
Pour les enfants des autres, le chercheur s‟est arrangé avec chaque enseignant pour qu‟ils puissent rester hors
champ en permanence. 2 Si les zooms s‟avèrent nécessaires pour pouvoir identifier précisément l‟activité non verbale de l‟enseignant
lorsqu‟il est éloigné, l‟utilisation d‟un plan large permet d‟identifier l‟activité des différents élèves de la classe.
Cette identification permet ainsi d‟avoir accès à l‟activité des élèves non concernés par l‟interaction didactique
dans laquelle l‟enseignant est engagé. Ainsi, lorsque parfois l‟enseignant oriente son attention sur d‟autres élèves
que ceux avec lesquels il interagit, nous avons aussi accès à l‟activité des élèves qui le conduit à s‟engager dans
l‟interaction suivante. 3 Ces 28 bandes correspondent aux 28 séances effectivement observées. Nous expliciterons en détail les séances
observées dans la partie consacrée aux résultats. Ce nombre de séances observées a été induit par les contraintes
effectives de la recherche (2 ou 3 APSA observées selon les enseignants, simultanéité des séances à observer et
impossibilité d‟y remédier)
141
b. Constitution du document à partir des observations
A partir de ces bandes, tous les enregistrements audio sont retranscrits verbatim. La
totalité des interactions verbales, le discours de l‟enseignant et celui des élèves avec qui il
interagit, est retranscrite à l‟écrit. Le texte est paragraphé selon l‟auteur du discours. La
grammaire spécifique au langage oral est respectée. La ponctuation est effectuée dans la
cohérence du récit. Les points de suspension sont utilisés pour marquer les pauses dans le
discours et pour assurer une lecture plus aisée d‟une grammaire orale retranscrite à l‟écrit.
Les enregistrements vidéo donnent aussi lieu à une retranscription. Dans l‟activité de
l‟enseignant, nous transcrivons trois éléments : la description des procédures ostensives non
langagières (les démonstrations, les manipulations, les schématisations), la description des
modifications du milieu matériel, le changement d‟adresse (un élève, un groupe d‟élèves, la
classe). Dans l‟activité des élèves, nous transcrivons un seul élément : la description de
l‟activité et des performances des élèves à partir desquelles l‟enseignant intervient. Nous
transcrivons aussi pour chacun la description du milieu matériel lorsqu‟il n‟est pas défini
oralement. Ces transcriptions sont alors intercalées au milieu des verbatim, entre parenthèses
et en italique dans le texte, de manière à ce que le lecteur puisse comprendre ce que dit et ce
que fait effectivement l‟enseignant, et en référence à quoi il le dit et le fait.
Ainsi, ce travail de transcription donne lieu à un texte pour chaque séance observée
(Annexe 4), au travers duquel nous identifierons les indicateurs empiriques décrits
précédemment.
3.2.3 Les entretiens
a. Organisation des entretiens
Nous avons mené trois ensembles d‟entretiens avec chaque enseignant : entretiens
post-séances, entretiens expérientiels et entretiens d‟après-coup. Même si ces entretiens sont
bien distincts dans leur organisation, nous les avons menés selon des principes généraux de
déroulement. Tous les entretiens sont oraux et individuels ; ils sont enregistrés par un
dictaphone1. Ils ont tous été effectués au calme, le chercheur et l‟enseignant isolés, face à
face, dans un coin de gymnase, dans une salle d‟étude, au domicile de l‟ enseignant ou du
chercheur. Ils sont tous de type semi-structuré (Van Der Maren, 1995), c'est-à-dire qu‟ils
1 Pour les mêmes raisons que l‟utilisation d‟une caméra lors des observations (mise à part bien sûr
l‟identification des gestes).
142
consistent à laisser parler le sujet à partir d‟une question de départ et à le relancer avec des
questions guides lorsqu‟il ne parle plus et qu‟il s‟agit de récolter encore d‟amples
informations. Nous avons donc construit des grilles d‟entretiens, à partir de « questions guides
de l‟analyse qualitative » (Huberman, Miles, 1991) nous assurant de recouvrir l‟ensemble des
éléments sur lesquels nous voulions interroger chaque enseignant. Dans le déroulement
effectif des entretiens, nous nous sommes attachés à ce que chaque enseignant nous offre
toutes les informations que nous souhaitions détenir. Pour autant, nous avons tout de même
adopté une posture clinique dans ces entretiens, en laissant en permanence l‟enseignant parler,
en le coupant le moins possible, même si ce dont il parle ne semblait pas nous intéresser sur le
moment. Cette posture a été adoptée en considérant que ce dont souhaite parler le sujet
renvoie à ce qui lui importe et que ce qui importe au sujet enseignant est ce qui intéresse le
chercheur en didactique clinique.
Nous présentons, en suivant, les grilles construites pour chaque ensemble d‟entretiens.
Ces grilles accompagnent discrètement le chercheur lors des entretiens. Les questions qui les
composent sont nombreuses et précises. Néanmoins, elles ne sont pas souvent posées telles
quelles aux enseignants. Elles servent plus de repères pour le chercheur à partir des mots-clés
qui les constituent (ces mots-clés sont alors en gras dans le texte). Dans l‟entretien effectif,
elles sont recomposées dans la cohérence de l‟interaction.
- Les entretiens post-séances
Ces entretiens, d‟environ une demi heure, sont effectués juste après chaque séance
lorsque l‟enseignant est disponible. Sinon, ils sont effectués à la fin de la demi-journée ou de
la journée entière de travail de l‟enseignant. Lors de ces entretiens, les enseignants sont en
possession de leurs fiches de préparation de séance.
143
Tableau 8 : Questions guides des entretiens post-séances
Ce que l‟on cherche à identifier Questions guides
Analyse a
priori
Les objets à transmettre
Qu’est ce que les élèves doivent comprendre ? Qu’est ce
qu’ils doivent savoir ? Qu’est ce qu’ils doivent savoir faire ?
Quels problèmes doivent-ils pouvoir résoudre ? Quels
obstacles doivent-ils franchir ? Quel niveau doivent-ils
atteindre ? Quelle place détient chaque savoir dans la
séance par rapport à l’enseignement global de l’activité ?
Les situations à mettre en
place pour transmettre ces
objets
Quelles situations vont être mises en place pour
l’appropriation de ces savoirs (But, conditions) ? En quoi
ces situations permettent-elles leur appropriation ? Quelles
sont les limites de leur appropriation ?
Analyse a
posteriori
Les objets effectivement
transmis à la classe
As-tu senti des différences entre ces savoirs et les savoirs
que tu as réellement transmis durant cette séance ? Quels
savoirs penses-tu avoir réellement transmis d’une manière
générale ? Qu’est ce que tu as véritablement permis aux
élèves de résoudre, comprendre, savoir, savoir faire ?
Les objets effectivement
transmis à certains élèves
Selon les groupes, ou selon certains élèves, quels savoirs as-
tu réellement transmis ? Qu’est ce que tu as véritablement
permis à ces élèves de résoudre, comprendre, savoir, savoir
faire ? Sur quels indices as-tu appuyé tes interventions ?
Le point de vue du sujet
enseignant
Quels moments t’ont marqués dans cette séance ? Quels
moments précis t’ont gêné lors de cette séance ? Avec quels
groupes, quels élèves, quels savoirs ? Au contraire quels
moments t’ont fait plaisir ? Avec qui et avec quels savoirs ?
- Les entretiens expérientiels
Ces entretiens, d‟environ une heure, ont été effectués dans les semaines précédent les
observations. Un entretien a été effectué pour chaque APSA enseignée par chaque enseignant.
Selon le nombre d‟APSA enseignées par chaque enseignant et leur disponibilité du moment,
les réunions entre le chercheur et l‟enseignant ont donc duré entre deux et trois heures,
réparties sur une ou deux rencontres. Tous ces entretiens ont commencé par la volonté
d‟identifier leur rapport expérientiel aux savoirs, prenant alors pour forme de départ un
entretien de type « histoire de vie » ou « récit de pratique » (Van Der Maren, 1995), c'est-à-
dire des autobiographies dirigées produites sur demande.
144
Tableau 9 : Questions guides des entretiens expérientiels
Ce que l‟on cherche à identifier Questions guides
Rapport
expérientiel au
savoir
Les
assujettis-
sements
Où, quand, combien de temps as-tu pratiqué, ou été lié avec l’activité
que tu enseignes ? Quels sont exactement tous les liens que tu as eu
avec l’activité (Institutions, Films, Programmes, Amis, Jeux…) ?
Comment l’activité est-elle conçue, perçue, prônée dans ces lieus ?
Quelle était ta place spécifique dans ces lieus ? Quelles étaient tes
responsabilités ? Qu’est ce que ces institutions t’ont apporté comme
savoir, savoir-faire ? Quelles limites dans leur apport ? Qu’est-ce que
tu as créé tout seul ?
Les enjeux
subjectifs
Pourquoi a tu pratiqué cette activité ? Qu’est ce qui t’y a amené ?
Qui ? Qu’est ce qui t’as amené à continuer ou arrêter ? Y a t’il des
moments qui t’ont marqué particulièrement lors de ces expériences ?
Y a t’il certaines caractéristiques de l’activité qui t’ont
particulièrement marqué ? Certains savoirs, obstacles, situations,
problèmes qui composent l’activité t’ont-ils marqué particulièrement ?
Y a-t-il des personnes qui t’ont marqué (Un professeur, Un partenaire,
Un adversaire, Un fan...) ? As-tu connu certaines difficultés ou
facilités avec cette activité ? Qu’est ce qui t’attire ou te repousse dans
cette activité ? Qu’est ce qui te manque quand tu ne pratiques pas ?
Qu’est-ce qui te dérange quand tu pratiques ou si tu devais pratiquer ?
Quel plaisir ou déplaisir as-tu connu et connais-tu lors de tes
rencontres avec cette activité ?
Rapport
épistémologique
au savoir
Dimension
épistémo.
Considères-tu une logique, une structure fondamentale à cette activité
(Logique interne) ? Considères-tu une culture (Logique externe) ?
Quels sont les principaux savoirs qui la composent ? Quels liens
logiques ont-ils entre eux ? Qu’est ce que ces savoirs permettent
réellement de faire ? Qu’est ce qui définit d’ailleurs un bon pratiquant
? Un pratiquant performant, efficace ? Que signifie pour toi savoir
dans cette APSA (savoir nager, savoir danser, savoir jouer au rugby,
etc.) ?
Dimension
didactique
Quelles situations permettent de faire émerger ces savoirs ? Qu’est ce
qui lie ces situations à ces savoirs ? As-tu des techniques spécifiques
pour les faire émerger ? Au-delà des situations ? Quelles sont les
difficultés (et les facilités) qu’impose l’enseignement de ces savoirs ?
Quels sont les problèmes typiques que rencontrent les élèves
confrontés à cette activité ? Qu’est ce qui dans l’antériorité motrice,
cognitive, affective des élèves fait obstacle à l’appropriation de ces
savoirs ? Quels sont les indicateurs de compétence qui te permettent
d’inférer le niveau des élèves ?
145
- Les entretiens d’après-coup
Ces entretiens, d‟environ une heure, ont été effectués entre deux et trois mois après les
dernières observations. Ils sont menés sans auto-confrontation, sans fiches de préparation de
séances, sans rappel stimulé (Clark, Peterson, 1981). Le chercheur ne revient sur des épisodes
précis que dans la mesure où l‟enseignant à initié le discours sur ces épisodes. Nous menons
alors l‟entretien en demandant à l‟enseignant son point de vue comparatif sur ce qu‟il a vécu
dans chaque enseignement mené et sur les causes de ce qu‟il décrit par alors. En premier lieu,
n‟ayant pas vu les enseignants depuis longtemps, nous inaugurons l‟entretien en les
interrogeant sur leur point de vue comparatif quant à leurs expériences personnelles.
Tableau 10 : Questions guides des entretiens d’après-coup
Ce que l‟on cherche à
identifier Questions guides
Le point de vue du
sujet enseignant
→ Comment peux-tu décrire ta différence d’expérience dans les différentes
APSA ?
→ Pour toi quelles sont les différences dans ton enseignement des différentes
APSA ? Pour toi quelles en sont les causes ?
→ Pour toi quelles sont les similitudes dans ton enseignement des différentes
APSA ? Pour toi quelles en sont les causes ?
→ Au niveau du contenu ? Qu’est ce que tu as pu transmettre en plus lorsque tu
avais de l’expérience ? Qu’est ce que tu ne peux pas transmettre lorsque tu n’en
as pas ? Qu’est ce que tu peux transmettre grâce à ton expérience dans l’APSA ?
Dans une APSA du même groupe ? Quels contenus ? Quelle nature des
contenus ? Au contraire, qu’est ce que ton expérience t’empêche de
transmettre ? Qu’est ce qui dans ton expérience t’a donné tout cela ?
→ Au niveau de la forme ? Que peux-tu faire grâce à ton expérience ? Que ne
peux-tu pas faire à cause de ton manque d’expérience ? Peux-tu construire les
mêmes situations ? Les interactions avec les élèves sont-elles les mêmes ? Tes
séances évoluent-elles de la même manière ? Ta part de responsabilité est-elle la
même ? Penses-tu avoir le même rôle dans ta classe ? Qu’est ce qui dans ton
expérience t’a permis tout cela ?
→ Te souviens-tu de moments dans lesquels ton expérience t’a servi ? Une
expérience t’a manqué ?
→ Est-ce que tes expériences d’enseignement ont changé quelque chose à tout
cela ? Quoi ? Pourquoi ?
b. Constitution du document à partir des entretiens
Tous ces enregistrements audio nous ont conduit au final à archiver 38 bandes allant
de moins d‟une demi-heure à plus d‟une heure selon les entretiens menés1. A partir de ces
1 Ces 38 bandes correspondent à :
- 28 bandes renvoyant aux entretiens post-séances des 28 séances observées
- 7 bandes renvoyant aux entretiens expérientiels avec P2, P3, P4 à propos des 7 enseignements menés
- 3 bandes renvoyant aux entretiens d‟après coup avec P2, P3, P4
Les entretiens expérientiels et d‟après-coup n‟ont pas pu être menés avec P1. Nous expliquerons cela dans la
partie consacrée aux résultats.
146
bandes, tous les enregistrements audio sont retranscrits verbatim. De la même manière que
pour les observations, la totalité des interactions verbales, ici entre l‟enseignant et le
chercheur, est retranscrite à l‟écrit. Le texte est paragraphé selon l‟auteur du discours. La
grammaire spécifique au langage oral est respectée. La ponctuation est effectuée dans la
cohérence du récit. Les points de suspension sont utilisés pour marquer les pauses dans le
discours et pour assurer une lecture plus aisée d‟une grammaire orale retranscrite à l‟écrit.
Ainsi, ce travail de transcription donne lieu à un texte pour chaque entretien mené
(Annexes 5), au travers duquel nous identifierons les indicateurs empiriques décrits
précédemment.
3.2.4 Récapitulatif du protocole de recueil des données
Nous présentons ici, sous la forme d‟un tableau, une synthèse du protocole de recueil
des données. Nous présentons alors l‟ensemble des données auxquelles nous avons
effectivement eu accès pour chaque enseignant dans chaque APSA. Les cases cochées
représentent les données effectivement recueillies, compte tenu des contraintes effectives de
la démarche empirique de la recherche.
Tableau 11 : le protocole de recueil : les données effectivement recueillies
Déjà-là Epreuve Après-
coup
Entretiens
expérientiels
Observations Entretiens post-séances Entretiens
d‟après
coup S1 S2 S3 S1 S2 S3 S1 S2 S3 S1 S2 S3 S1 S2 S3 S1 S2 S3
P1
Rug Nat Gym Rug Nat Gym Rug Nat Gym
X X X X X X X X X X X X X X X X
P2 Rug Bask
Rug Bask
Rug Bask
X X X X X X X X X X X X X X X
P3 Dans Bask
Dans Bask
Dans Bask
X X X X X X X X X X X X X
P4 Dans Bask Nat Dans Bask Nat Dans Bask Nat
X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X
S1, S2, S3 : séances d‟enseignement observées
147
Le document de la recherche, à partir duquel nous identifierons les indicateurs
empiriques relatifs à l‟expérience personnelle et au contenu des pratiques effectives, se
composent ainsi de 66 textes : 28 transcriptions de séances et 38 transcriptions d‟entretiens.
Il nous faut maintenant expliciter la démarche mise en place pour exploiter ces
données et établir nos résultats, de la présentation initiale des cas aux procédés mis en place
pour interpréter ces résultats.
4. Méthodologie d’exploitation des données
Cette partie se présente en cinq temps. Cette présentation est effectuée en suivant la
chronologie des différentes étapes de notre démarche d‟exploitation des données. Les trois
premiers temps renvoient à la présentation des différents résultats et aux comparaisons issues
de l‟analyse des pratiques effectives. Les deux suivants constituent le montage du cadre
d‟analyse du discours des enseignants sur leurs propres pratiques et l‟analyse de ce discours.
Dans un premier temps, nous présentons le cas de chacun des quatre enseignants,
relativement au contenu des pratiques d‟enseignement que nous avons observées. Cette
présentation permettra d‟identifier la spécificité du contenu de chaque enseignement mené, au
travers des situations mises en place et des objets mis en jeu par chaque enseignant. Dans un
deuxième temps, au travers de comparaisons quantitatives et d‟interprétations qualitatives,
nous proposons une première série de comparaisons macroscopiques entre l‟ensemble des
enseignements appuyés par une expérience personnelle prolongée et l‟ensemble de ceux
appuyés par une expérience personnelle inexistante. Dans cette étape de l‟analyse, nous
identifierons alors le poids de l‟expérience personnelle sur le contenu des pratiques, au travers
de chaque dimension du savoir expérientiel organisant ce contenu. Cette étape nous permettra
alors d‟effectuer un premier ensemble de conclusions sur le poids générique de l‟expérience
personnelle. Nous poursuivrons alors, dans un troisième temps, en présentant une longue série
148
de comparaisons plus fines, prenant en compte la spécificité des APSA enseignées et la
singularité de chaque enseignement mené par chaque enseignant. A partir d‟une extraction des
résultats les plus significatifs, nous tenterons alors d‟identifier les organisations singulières du
contenu des différents enseignements analysés. Cette analyse aura ainsi pour finalité de
spécifier le poids de l‟expérience personnelle chez les différents enseignants. Elle nous
permettra alors progressivement de « construire le cas » (Bertaux, 1997) de chaque enseignant
relativement au poids de son expérience personnelle.
Ces trois étapes d‟analyse progressive des pratiques d‟enseignement effectuées, nous
entamerons la partie finale de notre recherche. A partir des éléments dégagés dans l‟étape
précédente, nous proposerons alors, dans un quatrième temps, une synthèse relative au cas de
chaque enseignant. Cette étape finale de construction des cas nous permettra alors de spécifier
pour chaque enseignant, sa logique singulière de sujet et le poids spécifique de l‟expérience
personnelle sur ses pratiques. Ces deux éléments seront caractérisés de manière singulière
pour chaque enseignant à partir de problématiques propres à leurs pratiques d‟enseignement.
Nous proposerons alors une articulation systémique entre ces problématiques qui nous servira
de cadre d‟analyse du discours de chaque enseignant sur ses propres pratiques, identifié au
travers des entretiens post-séances et d‟après-coup. Ainsi, dans un cinquième temps, nous
analyserons ce discours en spécifiant par son intermédiaire les problématiques dégagées et en
les interprétant à la lumière de cadres propres à la didactique clinique. Nous finirons alors en
concluant sur le poids spécifique et générique de l‟expérience personnelle sur les pratiques
d‟enseignement.
4.1 La présentation des cas relative au contenu des pratiques
effectives
Cette présentation des cas est effectuée afin de présenter au lecteur le déroulement
didactique général de chaque séance et la description des objets qui organisent le contenu de
chaque enseignement. En effet, dans une recherche en didactique, aucun processus didactique
ne peut faire l‟objet de résultats, quels qu‟il soient, sans que son contenu effectif spécifique ne
soit décrit qualitativement en terme d‟objets définis. Nous présenterons donc ce contenu pour
chaque enseignement, au travers de la description des invariants opératoires mis en jeu par
l‟enseignant et de leurs articulations. Pour pouvoir situer les résultats quantitatifs ultérieurs
149
dans le contexte des séances observées1, nous proposerons une description qualitative du
fonctionnement de chaque enseignement mené.
Cette présentation effectuée pour les quatre cas consistera en une analyse descriptive
du déroulement didactique général de chaque séance et des objets constitutifs de chaque
enseignement.
L‟identification du déroulement didactique général de chaque séance sera effectuée,
dans un premier temps, à partir du premier axe de lecture des situations didactiques décrit par
Brousseau (1994), c'est-à-dire en découpant les séances selon les différents « éléments de
construction utilisés par le professeur » (Amade-Escot, 1996). Nous découperons ainsi les
séances à partir des différentes phases qui scandent l‟activité du professeur (présentation du
cycle, de la séance, dévolution, régulations, retours, mises en commun, etc.). Nous retiendrons
alors dans ce découpage les différentes situations adidactiques mises en place par l‟enseignant en
présentant en parallèle les invariants qui leur sont sous-jacents. Cette présentation sera effectuée
à partir de brefs extraits d‟entretiens post-séances, lorsque chaque enseignant décrit son intention
didactique au travers des situations mises en place et des objets de savoir qui leur sont sous-
jacents. Ainsi, dans un deuxième temps, à partir de ce découpage, nous présenterons chaque
séance sous la forme d‟une suite de situations didactiques, ayant pour cœur la situation
adidactique à partir de laquelle l‟enseignant engage le processus de dévolution et incluant les
phases de définition, de régulation et d‟institutionnalisation (Sensevy, Mercier, Schubauer-Léoni,
2000) qui lui gravitent autour.
Les objets constitutifs de chaque enseignement seront présentés à partir de l‟identification
de la structure conceptuelle organisant le contenu de chaque enseignement. Nous proposerons
alors une modélisation de cette structure conceptuelle organisant l‟ensemble des séances
observées dans chaque enseignement. Après avoir identifié la diversité et la redondance des
invariants formant le contenu des pratiques2, ainsi que la récurrence de leurs inscriptions dans
des hiérarchisations et des automatisations, nous proposerons donc une synthèse de cette
structure conceptuelle sous la forme d‟un schéma (schéma 4). Cette schématisation s‟appuiera
sur les règles suivantes :
1 Les données qualitatives « permettent des descriptions et explications riches et solidement fondées de processus
ancrés dans un contexte local » (Huberman, Miles, 1991). 2 Nous rappelons que cette identification ressort du croisement des analyses de transcriptions des séances et des
entretiens post-séances. Les invariants sous-jacents aux situations adidactiques sont identifiés en croisant
l‟analyse in situ et l‟analyse a priori. Les invariants mis en jeu dans les interactions sont identifiés en croisant
l‟analyse in situ et l‟analyse a posteriori.
150
- les 2 ou 3 séances observées sont schématisées en cercles excentriques (nommés
S1, S2 et S3), constituant des aires concourantes (S1/S2, S2/S3, S1/S3, S1/S2/S3)
- les invariants identifiés et comptabilisés au préalable sont placés dans les zones
représentant les séances dans lesquelles ils ont été mis en jeu
- les invariants articulés entre eux par l‟enseignant sous la forme de
hiérarchisations ou d‟automatisations, sont respectivement reliés par des flèches traversant des
Pour et des Si…Alors.
- les invariants sous-jacents aux situations adidactiques sont soulignés.
- lorsque le même invariant est mis en jeu par l‟enseignant : plus de 20 fois, il est
écrit en gras ; entre 10 et 20 fois, en italique ; moins de 10 fois, normal.
- lorsqu‟un invariant est finalisé, hiérarchisé ou automatisé, les (f), Pour et
Si…Alors, sont écrits : en MAJUSCULE, pour 12 fois ou plus ; en gras, entre 8 et 11 fois ; en
italique, entre 4 et 7 fois ; normal, entre 1 et 3 fois.
- lorsqu‟un invariant est spécifié en d‟autres invariants, il est relié à ces derniers
par des flèches traversant un Dont.
Ces règles conduisent à construire un schéma prenant la forme suivante :
Schéma 4 : la structure conceptuelle organisant le contenu : présentation
InvA, InvB, InvC, etc. : invariants distincts constitutifs d‟une APSA spécifique (tels qu‟ils sont transmis
par un enseignant singulier)
S1
InvG (f)
Dont
InvB (f)
InvC (f)
InvA (F) Si…Alors
Pour InvF (f)
InvD
InvE
S2 S3
151
Cette présentation permet ainsi d‟identifier les différents invariants constitutifs de la
structure conceptuelle organisant le contenu de chaque processus de transmission. Elle donne
une idée au lecteur de la récurrence de chaque invariant et de son taux de hiérarchisation et
d‟automatisation. Elle permet aussi au lecteur d‟identifier les objets les plus fondamentaux sur
l‟ensemble des séances ; c‟est à dire ceux qui sont dans la zone centrale du schéma, ceux qui
sont en gras, ceux qui sont à l‟extrémité de nombreuses flèches (notamment au départ des
flèches Dont et à la fin des flèches Pour). Ainsi cette structure prend la forme d‟un réseau
dans lequel la multiplicité des objets et de leurs interrelations met en valeur sa densité. Celle-
ci (quantifiée à partir de la moyenne de valeurs de la diversité, redondance, hiérarchisation et
automatisation de la structure conceptuelle) nous semble ainsi apparaître aisément au lecteur.
Cette présentation sera donc effectuée pour chaque enseignement mené par chaque
enseignant. Elle permettra ainsi de situer la diversité des résultats quantitatifs dans le
déroulement didactique de séances effectives.
4.2 Le poids de l’expérience personnelle : comparaisons
macroscopiques
Dans cette étape de l‟analyse, nous effectuons une série de comparaisons, sur
l‟ensemble des enseignements menés, de la moyenne des valeurs correspondant aux résultats
quantitatifs obtenus pour chaque élément constitutif des six dimensions du savoir expérientiel.
Cette comparaison est effectuée sur l‟ensemble des résultats obtenus pour les deux modalités
de la variable « expérience personnelle » : « prolongée » ou « inexistante ». En considérant
l‟expérience personnelle de l‟enseignant comme une variable indépendante à deux modalités,
expérience personnelle prolongée (Ex) ou inexistante (NEx)1, nous voulons identifier les
différents éléments des six dimensions sur lesquels l‟expérience personnelle semble avoir un
poids significatif. Ainsi, notre intention est de caractériser, pour chacune des six dimensions,
les tendances des différents enseignements, lorsqu‟ils sont appuyés ou non par une expérience
personnelle de pratiquant du professeur.
Ces comparaisons macroscopiques seront alors présentées en six étapes relatives aux
six dimensions constitutives du savoir expérientiel. Pour chaque dimension nous présentons
1 Dans cette première série de comparaisons, nous ne prenons pas encore en compte la distinction entre NEx et
NEx*.
152
les résultats relatifs à chaque élément qui la constitue sous la forme de diagrammes
comparatifs. Ces diagrammes sont alors simplement formés à partir de la comptabilisation de
ces différents éléments repérés par l‟intermédiaire des indicateurs empiriques préalablement
décrits. Ces premiers résultats s‟avèrent généraux ; ils renvoient à une comptabilisation sur
l‟ensemble des séances observées pour chaque enseignement. Nous proposons alors ici un
tableau récapitulatif des différents éléments comptabilisés.
Tableau 12 : Eléments comptabilisés dans l’analyse des pratiques
Dimensions constitutives
du savoir expérientiel Eléments comptabilisés
Dimension conceptuelle
- nombre d‟invariants mis en jeu
- nombre d‟invariants distincts mis en jeu
- pourcentages d‟invariants finalisés
- nombre d‟invariants hiérarchisés
- nombre d‟invariants automatisés
Dimension signifiante
- nombre de signifiants ayant un intérêt didactique dans le processus
de conceptualisation de l‟APSA
- nombre de signifiants appartenant aux champs lexicaux de
l‟APSA, du groupe de l‟APSA ou autres
- nombre de signifiants renvoyant aux contextes de l‟APSA ou du
groupe de l‟APSA
Dimension corporelle
- nombre de sensations : nombre de situations adidactiques (dans
laquelle l‟intention didactique est marquée par l‟importance des
sensations), de démonstrations, de manipulations, d‟attentions
sensorielles et de remédiations sensorielles
- nombre de repères sensoriels : extéroceptifs et proprioceptifs
- nombre de signifiants (distincts ou non) appartenant au champ
lexical du corps
Dynamique
situationnelle /
représentationnelle
- pourcentages d‟interventions centrées sur les dimensions
situationnelle et/ou représentationnelle
- nombre de processus inférentiels : nombre d‟analogie (internes et
externes), nombre de réinvestissements d‟invariants (à l‟identique,
direct, indirect explicite, indirect implicite)
Part d‟initiative
- nombre de choix potentiels : pourcentages de tâches dans lesquels
les élèves n‟ont aucun choix ou ont un nombre de choix
dénombrable ou indénombrable
- nombre de choix potentiels : nombre d‟interventions ayant un
choix potentiel pour objet
Organisation globale
- nombre d‟articulations systémiques : nombre de processus
inférentiels, d‟invariants hiérarchisés, d‟invariants automatisés
- pourcentages de situations globales, fragmentées, aménagées,
fragmentées et aménagées ou décomplexifiées
- nombre de séries de un à dix invariants distincts mis en jeu
successivement dans la chronogenèse des invariants
153
Les comparaisons effectuées entre ces éléments quantitatifs seront alors suivies de nos
premières interprétations. Nous interpréterons alors les diagrammes présentés en les étayant à
partir d‟exemples précis issus d‟enseignements renvoyant à chaque ensemble. Nous
identifierons alors, sans apporter encore d‟interprétations extérieures au déroulement effectif
des pratiques, les organisations singulières des processus didactiques qui semblent génériques
aux enseignements (Ex) ou (NEx). Cette analyse comparative et interprétative nous permettra
alors, à la fois d‟établir des premières conclusions sur le poids de l‟expérience personnelle et,
à la fois de mettre à l‟épreuve empirique le cadre d‟analyse des pratiques que nous avons
construit. Cette mise à l‟épreuve nous permettra alors de caractériser de manière plus
systémique les différentes dimensions constitutives du savoir expérientiel et, ainsi, de les
identifier en articulation avec des organisations didactiques spécifiques.
4.3 Identification des organisations singulières du contenu :
analyse qualitative des résultats significatifs
4.3.1 Extraction des résultats significatifs
Cette étape prend encore pour point de départ une série de comparaisons relatives aux
différents éléments de chaque dimension constitutive du savoir expérientiel organisant le
contenu des pratiques effectives. Nous procédons encore à des comparaisons entre
enseignements (Ex) et (NEx), mais la démarche d‟analyse et d‟interprétation s‟avère très
différente. Pour chaque élément constitutif de chaque dimension, nous extrairons de
l‟ensemble des enseignements, ceux qui s‟avèrent a priori les plus significatifs. Ces
enseignements, considérés comme les plus significatifs, sont ceux qui obtiennent des valeurs
extrêmes aux résultats quantitatifs relatifs à chaque élément. Cette première étape nous
conduira ainsi à extraire à chaque fois quatre enseignements singuliers : le (Ex) obtenant la
valeur maximale (ExMax), le (NEx) obtenant la valeur minimale (NExMin), le (Ex) obtenant
la valeur minimale (ExMin) et le (NEx) obtenant la valeur maximale (NExMax)1. Cette
1 Lorsque deux enseignements obtiennent une valeur extrême, ils sont tous les deux extraits. Lorsque plus de
deux enseignements obtiennent une valeur extrême, aucun enseignement n‟est extrait.
154
extraction nous permettra alors de présenter les enseignements les plus caractéristiques pour
chaque élément de chaque dimension.
Cette présentation prendra alors la forme suivante :
Tableau 13 : Résultats significatifs pour chaque dimension
ExMax NExMin ExMin NExMax
Dimension n
Elément 1 Enseignement A Enseignement X Enseignement C Enseignement Z
Elément 2 Enseignement B Enseignement Y Enseignement A Enseignement X
Elément 3 Enseignement A Enseignement Z Enseignement C Enseignement Y
Elément n Enseignement C Enseignement Z Enseignement B Enseignement Y
A partir de cette extraction des résultats les plus significatifs, nous pourrons alors
identifier les enseignements les plus spécifiques. En référence aux tendances dégagées dans
l‟analyse comparative macroscopique relativement à chaque ensemble d‟enseignements (Ex et
NEx), nous pourrons alors porter notre regard sur les enseignements qui soulignent le plus
cette tendance (ExMax et NExMin) et ceux qui la relativisent le plus (ExMin et NExMax).
Nous commencerons alors une longue étape d‟analyse qualitative et interprétative.
Tout d‟abord, pour chaque dimension, nous sélectionnerons et regrouperons les
enseignements présents dans le tableau n selon une démarche établie pour pouvoir ensuite les
analyser. La sélection des enseignements qui seront analysés sera effectuée de la manière
suivante :
- considérant une certaine cohérence intrinsèque à chaque dimension, nous
identifierons la spécificité des enseignements significatifs pour plusieurs éléments constitutifs
de chaque dimension.
- dès lors que les deux valeurs maximales (Ex et NEx) ou les deux valeurs
minimales (Ex et NEx) renvoient aux enseignements d‟une même APSA, nous tenterons
d‟identifier les éléments pérennes qui semblent les organiser
- dès lors que les deux valeurs maximales (Ex et NEx) ou les deux valeurs
minimales (Ex et NEx) son menés par un même enseignant, nous tenterons d‟identifier les
éléments pérennes qui semblent les organiser
155
Avant de mener l‟analyse qualitative et interprétative, nous présenterons alors les
ensembles sur lesquels elle portera.
4.3.2 Analyse qualitative et interprétative
L‟analyse menée sur chaque ensemble de résultats aura pour intention de caractériser
les organisations singulières du contenu relativement à chaque dimension. L‟objectif demeure
l‟identification du poids de l‟expérience personnelle sur le contenu des pratiques, mais en
caractérisant la spécificité de ce poids dans la singularité de chaque enseignement mené. Si
l‟extraction des résultats significatifs est effectuée à partir de notre cadre d‟analyse, notre
intention est aussi de décloisonner ce cadre pour interpréter ces résultats. Il nous permet ainsi
de porter un regard spécifique sur les pratiques, mais l‟analyse de ces pratiques, dirigée par ce
regard spécifique, a une visée interprétative qui cherche à comprendre de manière progressive
ce qui dans l‟activité didactique de chaque enseignant détermine ces résultats significatifs.
Nous chercherons par exemple à comprendre ce qui amène tel enseignement à être le plus
dense au niveau conceptuel, ou tel autre enseignement à comporter le plus de
réinvestissements « directs » entre invariants, ou encore, tel autre enseignement à être
constitué de la plus faible proportion de situations « globales ». Il ne s‟agit pas là de sortir des
systèmes didactiques analysés pour interpréter ces résultats. Il s‟agit simplement de mettre à
jour, à l‟articulation du contenu et de la forme des processus didactiques, la singularité des
organisations didactiques identifiées en s‟attachant à demeurer dans le déroulement effectif
des séances.
La démarche interprétative prendra alors une forme progressive. Nous nous
attacherons en permanence à discuter les résultats sous la forme d‟allers-retours interprétatifs.
Nous discuterons ainsi les résultats propres à chaque dimension au regard des interprétations
effectuées dans les dimensions précédentes. De même, nous discuterons les résultats présentés
dans les dimensions précédentes au regard des interprétations effectuées dans chaque
dimension1. Chaque enseignement analysé, spécifiquement à chaque dimension, sera donc
situé le plus précisément possible par rapport aux conclusions génériques issues des
1 Cela ne signifie pas que la prise en compte des descriptions antérieures sera le point de départ des descriptions
suivantes, mais plutôt que ces descriptions antérieures seront toujours en arrière-plan de notre travail d‟analyse
descriptive. Elles serviront de point de comparaison lorsque cela nous semblera pertinent. Le but de cette
démarche est ainsi d‟affiner, au fil des descriptions successives, l‟identification des organisations spécifiques du
contenu des différents processus didactiques analysés.
156
comparaisons macroscopiques, aux autres enseignements, à la spécificité de l‟APSA, à la
singularité de l‟enseignant et aux résultats et interprétations relatifs aux dimensions analysées
précédemment. C‟est donc pas à pas que nous essaierons de construire la logique de chaque
enseignement.
Nous discuterons alors le poids de l‟expérience personnelle en le spécifiant
progressivement pour chaque APSA et chaque enseignant singulier. Nous discuterons les
résultats significatifs pour chaque APSA à partir d‟une réflexion technologique sur cette
APSA relativement à la dimension en question. En revanche, la discussion des résultats
significatifs pour chaque enseignant prendra un statut spécifique. En effet, notre posture
clinique nous amène à considérer que l‟expérience personnelle pèse singulièrement sur les
pratiques de chaque enseignant. Or, contrairement à chaque APSA analysée, la logique
singulière de chaque enseignant ne peut être identifiée a priori. Par essence singulière, nous
construirons alors pas à pas cette logique. C‟est d‟ailleurs ce qui constitue le projet
d‟aboutissement de cette longue analyse progressive. Il s‟agit de « construire le cas » de
chaque enseignant pour identifier le poids spécifique de l‟expérience sur ses pratiques. Nous
pourrons ainsi relativiser le poids générique identifié dans les conclusions relatives aux
comparaisons macroscopiques effectuées précédemment. La « construction des cas » sera
donc le projet des étapes suivantes, mais il s‟initiera dès cette analyse interprétative. Nous en
présentons le fonctionnement en suivant.
Pour finir sur la présentation de cette étape, chaque ensemble de résultats significatifs
interprété sera toujours discuté à partir d‟extraits de séance relatifs à chaque élément
spécifique identifié. Nous référerons toujours notre argumentation à une description des
situations ou des interactions didactiques à partir d‟exemples précis extraits des
retranscriptions des séances.
Ainsi, la progressivité de l‟analyse, s‟appuyant en permanence sur les analyses
précédentes, nous permettra d‟affiner de plus en plus nos interprétations. Dans la mesure où
cette progressivité nous conduira à de nombreuses « relectures » de chaque enseignement,
nous pourrons alors dégager la logique spécifique de chacun d‟eux, en la situant par rapport à
la spécificité des APSA enseignées, à la singularité de chaque enseignant et au poids de
l‟expérience.
157
4.4 La « construction des cas » à partir de l’analyse des
pratiques
Comme nous l‟avons énoncé, la « construction du cas » (Bertaux, 1997) de chaque
enseignant constitue le projet d‟aboutissement de cette longue étape d‟analyse qualitative. La
posture clinique que nous adoptons dans cette recherche considère en effet que les pratiques
d‟enseignement se doivent d‟être analysées « au cas par cas » (Terrisse, 2000). Ainsi, les
comparaisons que nous allons mener au travers de l‟étape que nous venons de décrire ont
avant tout pour intention de spécifier progressivement la logique singulière de chaque sujet
enseignant dans le didactique et donc le poids spécifique de l‟expérience sur leurs pratiques.
Ainsi, avant de conclure sur des éléments génériques du poids de l‟expérience
personnelle, toute notre démarche renvoie à la construction d‟une configuration
problématique (Passeron, Revel, 2005) propre à chaque enseignant. Ainsi, cette étape de la
construction du cas de chaque enseignant consiste à reprendre l‟ensemble des éléments
identifiés pour chacun dans l‟analyse des pratiques afin d‟en dégager une logique propre à
chaque cas. L‟identification de cette logique propre ayant été en arrière-plan de toute l‟étape
d‟analyse précédente, l‟étape suivante consiste alors à effectuer une synthèse des différentes
organisations caractérisées. A partir d‟une réorganisation de ces éléments, visant à rechercher
la cohérence interne du cas, nous proposerons alors une première présentation du cas de
chaque enseignant à partir d‟une articulation entre les problématiques les plus significatives
qui définissent sa logique singulière de sujet enseignant quels que soient les enseignements
menés. A partir de cette logique, nous présenterons alors les problématiques les plus
significatives qui permettent de distinguer ses enseignements (Ex) et (NEx).
Cette étape a ainsi un double intérêt. Tout d‟abord, elle permet de proposer une vision
systématisée du poids spécifique de l‟expérience chez des enseignants singuliers. Ensuite, elle
nous permettra de construire un cadre d‟analyse du discours des enseignants. Car la prise en
compte de leur point de vue sur leurs propres pratiques constitue aussi un élément
incontournable de notre démarche clinique.
158
4.5 La « construction des cas » à partir de l’analyse du
discours des enseignants
Cette étape constitue le dernier palier de notre identification du poids de l‟expérience
personnelle sur les pratiques d‟enseignement. Les étapes précédentes nous ont permis de
caractériser ce poids à partir d‟un regard exclusivement extérieur aux pratiques
d‟enseignement. Les interprétations que nous avons établies restent encore jusqu‟ici des
constructions qui demandent alors à être discutées au regard de ce que disent les enseignants
de leurs pratiques et du poids de leur expérience. L‟étape précédente permet de construire le
cas de chaque enseignant à partir d‟une articulation entre des problématiques qui leur sont
propres. Mais ces problématiques doivent être spécifiées, relativisées et controversées par le
point de vue des enseignants, afin de ne pas attribuer à ces enseignants « le point de vue de
celui qui est dans son fauteuil » (Bourdieu, 1980). Ainsi, dans cette étape, il s‟agira
d‟interroger le discours des enseignants, recueilli au travers des entretiens post-séances et
d‟après-coup.
Pour analyser ce discours, nous mènerons alors une analyse thématique du contenu
(Poussin, 2003) de ces entretiens. La structure d‟analyse de ce discours renverra alors aux
différentes problématiques que nous aurons dégagées et à leur articulation hiérarchique.
Chaque articulation de problématiques étant propre à chaque enseignant, leur discours sera
alors analysé de manière spécifique à chacun. Ainsi, chaque problématique propre à chaque
enseignant constituera un thème permettant d‟analyser ce discours.
Cette analyse prendra alors deux directions : une analyse descriptive de nos
problématiques identifiées dans le discours des enseignants pour étayer, préciser ou
controverser ces problématiques ; une analyse interprétative de ces problématiques pour
identifier ce qui les détermine. La première direction consistera à identifier dans les dires des
enseignants s‟ils décrivent la même chose que ce que nous avons identifié dans l‟analyse des
pratiques, parfois en le précisant, ou s‟ils le contredisent. La deuxième direction consistera à
identifier, toujours à propos de nos problématiques, ce qui renvoie à un niveau
d‟interprétation supérieur relatif à ce qui « cause » la spécificité des organisations identifiées
dans leurs pratiques. Ces « causes », qui constituent une des finalités heuristiques d‟une
recherche clinique, seront ainsi dégagées à partir de cadres interprétatifs issus de la didactique
clinique (Terrisse, 2009). L‟intention est ici d‟identifier dans leur discours les enjeux
subjectifs qui les animent dans le didactique et la mesure dans laquelle ces enjeux déterminent
159
la spécificité de leurs pratiques. En effet, nous postulons qu‟inscrit dans le didactique, le sujet
est soumis à divers enjeux qui dépassent les enjeux proprement didactiques (Buznic-
Bourgeacq, Terrisse, Lestel, 2008). L‟ensemble de ces enjeux peut être résumé à la place
spécifique que chaque sujet désire occuper dans le didactique. Il s‟agit alors d‟identifier
comment le didactique pèse spécifiquement sur chaque sujet enseignant, comment il s‟y
assujetti, c'est-à-dire comment il se situe en tant que « sujet didactique ».
Cette analyse interprétative clinique consistera ainsi à croiser les problématiques
préalablement dégagées, le discours des enseignant, notamment les « signifiants » utilisés par
les enseignants pour définir leurs préoccupations et la place à laquelle ils se situent, et les
cadres interprétatifs de la didactique clinique. Au travers de ce croisement, nous tenterons
alors d‟identifier comment chaque sujet enseignant occupe, désire occuper ou craint
d‟occuper une place spécifique dans le didactique et comment ce positionnement oriente son
activité didactique, telle que nous l‟avons identifiée au préalable. Ainsi, l‟analyse du discours
de chaque enseignant relativement à ce niveau interprétatif consistera en une « formalisation
des dires du sujet, qui rend compte de sa position subjective, à partir de l‟articulation des trois
registres de l‟imaginaire, du symbolique et du réel. » (Terrisse, 2000). Ces trois registres
renvoient à la topologie lacanienne de la structure du sujet (Lacan, 1954) que nous tentons
d‟articuler en didactique clinique dans une perspective d‟élaboration d‟une « théorie du sujet
didactique ». Ainsi, notre volonté de participer à cette élaboration constituera un
soubassement de cette étape de l‟analyse, simultanément à l‟identification du poids spécifique
de l‟expérience personnelle.
Cette dernière étape de l‟analyse nous permettra alors de finir sur la construction des
cas. Nous proposerons alors pour conclure une modélisation du poids spécifique de
l‟expérience sur les pratiques de chaque enseignant, en y intégrant la manière dont cette
expérience pèse en premier lieu sur le « sujet didactique ». Nous conclurons enfin cette
recherche en reprenant l‟ensemble des conclusions établies à chaque étape pour proposer
finalement notre réponse à la question du poids de l‟expérience personnelle.
160
161
PARTIE 3 : Résultats et interprétations : analyse des pratiques effectives
162
Dans cette partie, nous présentons l‟ensemble des résultats issus de la recherche et
nous proposons, à partir d‟analyses comparatives et de « constructions de cas » (Bertaux,
1997), un ensemble d‟interprétations relatives au poids de l‟expérience personnelle de
pratiquant du professeur d‟EPS sur le contenu de ses pratiques effectives d‟enseignement. A
partir du protocole de recueil et d‟exploitation des données que nous avons décrit, nous allons
exposer les résultats issus du traitement des transcriptions des séances d‟EPS observées
(Annexes 4). Ces résultats et leurs interprétations seront présentés en trois parties,
correspondant aux trois premières parties de notre méthodologie d‟exploitation des données.
Dans un premier temps, nous présentons le cas de chacun des quatre enseignants, relativement
au contenu des pratiques d‟enseignement que nous avons observées. Cette présentation
permettra d‟identifier la spécificité du contenu de chaque enseignement mené, au travers des
situations mises en place et des objets mis en jeu par chaque enseignant. Dans un deuxième
temps, au travers de comparaisons quantitatives et d‟interprétations qualitatives, nous
proposons une première série de comparaisons macroscopiques entre les enseignements
appuyés par une expérience personnelle prolongée et ceux appuyés par une expérience
personnelle inexistante. Dans cette étape de l‟analyse, nous identifierons alors le poids de
l‟expérience personnelle sur le contenu des pratiques, au travers de chaque dimension du
savoir expérientiel organisant ce contenu. Ayant proposé un premier ensemble de conclusions
sur le poids de l‟expérience personnelle, nous poursuivrons alors enfin, dans un troisième
temps, en présentant une longue série de comparaisons plus fines, prenant en compte la
spécificité des APSA enseignées et la singularité de chaque enseignement mené par chaque
enseignant. A partir d‟une extraction des résultats les plus significatifs, nous tenterons alors
d‟identifier les organisations singulières du contenu des différents enseignements analysés.
Cette analyse aura ainsi pour finalité de spécifier le poids de l‟expérience personnelle chez les
différents enseignants. Elle nous permettra alors progressivement de « construire le cas » de
chaque enseignant relativement au poids de son expérience personnelle.
Une synthèse de cette longue construction initiera alors la partie conclusive de cette
recherche. Nous y croiserons les logiques dégagées dans l‟analyse des pratiques au point de
vue des sujets enseignants. Ce croisement nous permettra alors de conclure sur le poids de
l‟expérience. Cette démarche progressive d‟analyse nous permettra alors en même temps de
confronter notre cadre d‟analyse spécifique des pratiques d‟enseignement à un ensemble de
pratiques effectives et ainsi de mettre à l‟épreuve sa valeur heuristique.
163
1. Le contenu des pratiques : présentation des cas
Nous présentons ici le contenu des pratiques effectives de chaque enseignant, pour
chaque APSA enseignée. Il ne s‟agit pas encore de présenter les six dimensions organisant le
contenu, mais simplement d‟exposer au lecteur la spécificité de ce contenu, au travers des
situations organisant le déroulement des séances et des objets organisant le contenu de chaque
enseignement1. Chaque présentation sera effectuée en trois temps : un exposé sous la forme de
deux schémas suivi d‟une description qualitative. Cette description consistera simplement à
expliciter la spécificité de chaque enseignant révélée dans les schémas.
Ainsi, dans un premier temps, nous présentons une schématisation du déroulement
didactique des séances à partir du découpage décrit dans la partie méthodologique. Cette
schématisation fonctionne de la manière suivante. Nous exposons verticalement les
différentes situations didactiques successives qui constituent chaque séance (Situation 1,
Situation 2, etc.)2. Dans chaque situation, représentée par un pavé, nous déclinons les
différentes phases successives qui gravitent autour de la situation adidactique et dans
lesquelles l‟enseignant transmet des invariants : Définition (D), Régulation (R),
Institutionnalisation (I). Puis, nous explicitons chaque situation en décrivant succinctement
les contraintes qui la définissent et l‟activité principale du professeur3. Enfin, nous y
intégrons, sous la forme d‟extraits d‟entretiens post-séances (PS), les invariants sous-jacents
aux situations proposées par P4.
En suivant, nous présenterons l‟ensemble des objets constitutifs de chaque
enseignement au travers d‟une modélisation de la structure conceptuelle organisant
1 Pour autant, la présentation schématique de l‟ensemble de ces objets nous servira de base à l‟analyse qualitative
de la dimension conceptuelle. 2 Lorsque l‟enseignement observé renvoie à une rotation de groupes d‟élèves dans différents ateliers, les
situations sont présentées sous la forme suivante : Situation 1.1, Situation 2.1, Situation 1.2, Situation 2.2. Dans
ce cas, il s‟agit de deux situations distinctes dans lesquels deux groupes d‟élèves (1 et 2) s‟engagent
successivement. 3 Lorsque dans une même situation, les différents élèves n‟ont pas la même tâche, l‟explicitation des situations
est divisée selon ces tâches ; celles-ci sont alors précédées d‟un chiffre (1, 2, 3, etc.). Lorsque dans une même
situation, l‟enseignant modifie le milieu des élèves en faisant évoluer ses contraintes, chaque évolution est
précédée d‟un tiret (-). Par ailleurs, ce dernier type de situation comporte la plupart du temps plusieurs phases de
définition (D).
164
l‟ensemble des différentes séances. Cette modélisation prend la forme du schéma 4, présenté
dans la partie méthodologique (p.150).
Cette présentation permettra ainsi de situer chaque enseignement mené par chaque
enseignant.
1.1 Le contenu des pratiques : le cas de P1
Nous rappelons que P1 enseigne trois APSA dans lesquelles il a des expériences
personnelles contrastées : le rugby (Ex), la natation (Ex) et la gymnastique (NEx).
165
1.1.1. Enseignements de rugby
Schéma 5.1 : Déroulement des séances : P1/Rugby
S1 S2 S3
Situation 1 (DR)
Séries de passes par 3. Les élèves
courent dans tous les sens. Au signal
de P1, ils posent les ballons et
s‟évitent, puis se rentrent dedans. P1
observe et régule.
« Se tamponner, s’éviter » (PS1)
Situation 2 (DRDRI) - Séries de passes par 3. Au signal de
P1, les NPB doivent prendre le ballon
au PB. P1 observe, régule, puis fait
évoluer
- Au signal, un groupe de trois doit
prendre le ballon à un autre groupe.
P1 observe, régule, puis revient sur
divers éléments du jeu au contact.
« Accepter le contact », « le contact
avec plusieurs joueurs » ; « Celui qui
a la balle garde la balle, les deux
autres doivent lui arracher » ; « les
règles du combat loyal » (PS1)
Situation 2 (DRIR) Courses avec ballons. Les élèvent
courent, aplatissent un ballon, courent
et récupèrent un ballon. P1 observe,
régule, revient sur les solutions
pertinentes puis régule à nouveau.
« Aplatir », « l’action de marque »
(PS2)
Situation 1 (DR) Séries de passes entre tous les élèves
avec plusieurs ballons. P1 observe et
régule.
« Attraper le ballon à deux mains »
(PS2)
Situation 1 (DRI)
Matchs aménagés en 3 contre 3.
Jeu en « toucher ». P1 joue avec
les élèves, régule, puis revient
sur divers éléments des jeux en
contact et en évitement.
« L’évitement » ; « les fixations,
prendre les trous » (PS3)
Situation 2 (DRI) Conservation du ballon en 2
contre 2. Les élèvent se passent
le ballon et au signal, l‟équipe
NPB doit prendre le ballon à
l‟équipe PB. P1 joue avec les
élèves, régule puis revient sur les
solutions pertinentes.
« Je me tourne, je propose,
j’arrache et j’avance » (PS3)
Situation 3 (DR) Séries de plaquages en 1 contre 1,
départ face à face. P1 observe et
régule.
« Passer par le plaquage » (PS1)
Situation 4 (DR) Séries de 1 contre 1. L‟attaquant doit
franchir le défenseur qui lui doit
plaquer l‟attaquant. P1 observe et
régule.
« Accepter le contact » ; « J’ai le
ballon je dois avancer, j’ai pas le
ballon, je dois arrêter le joueur qui
est en face » (PS1)
Situation 5 (DR) Séries de 2 contre 1. Les attaquants
doivent franchir le défenseur. P1
observe et régule.
« Savoir jouer en surnombre » ;
« rentrer en contact » ; « découvrir
un peu l’évitement » (PS1)
Situation 6 (DRI) Matchs aménagés en 6 contre 6. Le
terrain est strié dans la longueur en
zones. Chaque zone franchie vaut un
point. P1 joue avec les élèves, régule
et revient sur les éléments positifs.
« La dynamique d’avancer » (PS1)
Situation 3 (DR) Séries de passes entre tous les élèves
avec plusieurs ballons. Au signal de
P1, les NPB poussent les PB qui
résistent. P1 observe et régule.
« Entrer progressivement dans le
contact pour conserver le combat
loyal » (PS2)
Situation 4 (DRIR) Séries de passes par 3. Au signal de
P1, les NPB doivent prendre le ballon
au PB. P1 observe, régule, montre les
solutions pertinentes, puis régule à
nouveau.
« Exploiter cette situation de 2 contre
1 défensif », « Venir arracher et jouer
le ballon » (PS2)
Situation 5 (DR) Séries de 1 contre 1. L‟attaquant doit
franchir le défenseur qui lui doit
plaquer l‟attaquant. P1 observe et
régule.
« L’action de marque pour l’un,
l’action de défense pour l’autre »
(PS2)
Situation 6 (DRDRIRIDR)
- Séries de 2 contre 1. Les attaquants
doivent franchir le défenseur. P1
observe, régule puis fait évoluer.
- Un attaquant part avec du retard. P1
régule, revient sur les solutions
pertinentes, régule et revient à
nouveau sur les solutions, puis fait
évoluer.
- Le défenseur monte obligatoirement
sur le PB. P1 régule.
« Amener la notion de soutien »,
« arracher » ; « se retourner pour
proposer le ballon » (PS2)
Situation 3 (DR) Séries de 1 contre 1. L‟attaquant
doit franchir le défenseur qui lui
doit plaquer l‟attaquant. Départ
très proches. P1 observe et
régule.
« Retour sur le contact » (PS3)
Situation 4 (DR) Séries de 2 contre 1. Les
attaquants doivent franchir le
défenseur. P1 observe et régule.
« Je fixe et je donne » ;
« l’intervalle » (PS3)
Situation 5 (DR) Matchs en 6 contre 6. P1 joue
avec les élèves et régule.
« Retrouver quelques règles »,
« je suis au sol, je lâche », « le
combat loyal », « venir
arracher », « passes avant
contact » (PS3)
166
Schéma 6.1 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P1/Rugby
P1 propose trois séances relativement semblables. Dans chaque séance, cinq ou six
situations s‟enchaînent et bien souvent, dans des phases d‟institutionnalisation ou même dès la
définition de chaque situation adidactique, P1 revient largement sur les éléments positifs et
négatifs observés dans l‟activité des élèves et sur les bonnes solutions à mettre en œuvre. La
majorité des situations, sous la forme de 1 contre 1 ou de 2 contre 1 aménagés sur des petits
terrains, ont pour enjeu « le contact » et ses spécifications pour le porteur de balle
(« protéger », « se tourner, donner »), pour le non porteur de balle (« le soutien »,
« arracher ») et le défenseur (« le plaquage ») ; avec toujours en arrière plan les règles du
« combat loyal ». La majorité des autres situations renvoient à des gestions de « 2 contre 1 »
et encore une fois au rôle du « soutien ». Dans la séance 3, ces situations s‟étendent au jeu en
« protéger » Pour
« se tourner, donner »
« les crochets » Dont Si…alors
« Eviter » Dont « Aller au contact » Pour Pour « regarder » « le soutien du NPB » « fixer la défense » Pour
Si…alors « arracher » « les espaces libres » Pour Si…alors Pour Dont Si…Alors « se coller » « avancer » Pour « feinter »
« être bas » « en profondeur » Pour Pour Dont
Pour Dont Si…Alors « Le défenseur » « le 2 contre 1 »
« être PB » Dont Dont Si…alors
« prendre aux Pour « le plaquage » Pour
Pour jambes » Pour « bras ouverts »Pour Dont « se replacer »
« utiliser la « accompagner sans lâcher » Si…alors
vit. du PB » « à deux mains »Dont Pour
« Le règlement » Pour « les passes » « monter ensemble »
Dont Dont Dont Dont Pour
«le combat loyal » « en avant »
« jeu au sol » Dont « la conservation »
Dont « appeler »
« dans la course »
« le hors-jeu » « le bon moment »
« ramasser un ballon libre »
« aplatir »
S1
S2 S3
167
« évitement », à la gestion des « espaces libres » et la « fixation de la défense ». Les autres
situations renvoient au travail de techniques individuelles spécifiques : « passer à deux
mains », « plaquer » et « aplatir ». Trois matchs, plus ou moins aménagés dans la continuité
des situations et dans lesquels P1 joue avec les élèves, introduisent ou ponctuent les séances 1
et 3.
Au travers d‟interactions didactiques, nombreuses et souvent très longues, P1 régule
l‟activité des élèves à partir des objets sous-jacents aux situations, anticipant ainsi souvent sur
les situations à venir, mais aussi à partir d‟une grande diversité de spécifications. « Le
plaquage » se trouve ainsi décliné en « être bas », « prendre aux jambes », « bras ouverts »,
« accompagner sans lâcher » et « utiliser la vitesse du porteur de balle ». Le rôle de « soutien
du non porteur de balle » est lui spécifié en « arracher », « se coller », « en profondeur ».
Mais par-dessus tout, ce sont les articulations entre ces objets sur lesquels insiste P1,
particulièrement sous la forme de hiérarchies. Par exemple, pour « plaquer », il s‟agit d‟« être
bas » pour « prendre aux jambes » pour « utiliser la vitesse du porteur de balle ». D‟une
manière semblable, il s‟agit d‟« aller au contact » pour « fixer la défense » pour créer des
« espaces libres ». Ou d‟une autre manière, si le porteur de balle est pris par le « défenseur »,
il doit « passer » le ballon et s‟il « passe » le ballon, il doit « se replacer ».
168
1.1.2. Enseignements de natation
Schéma 5.2 : Déroulement des séances : P1/Natation
S1 S2
Situation 1 (DR) Séries de 25m. Première moitié en brasse,
plongeon canard, deuxième moitié en crawl. P1
observe et régule.
« Faire du plongeon canard pour faire du
plongeon canard » (PS1)
Situation 2 (DR)
Séries de 25m en brasse. Décompte des cycles.
P1 observe et régule.
« Utiliser au mieux possible le mur » ; « le plus
droit possible » ; « la glisse » (PS1)
Situation 1 (DR)
Séries de 25m. Brasse, dos crawlé, crawl, brasse. P1
observe et régule.
« Brasse » ; « Dos » ; « Crawl » (PS2)
Situation 2 (DR)
Séries de 25m avec planche. Propulsion avec les
jambes en crawl, puis en dos. P1 observe et régule.
« La propulsion jambes » (PS2)
Situation 3 (DRIRI)
Séries de 50m en dos crawlé. 25m bras tendus
immobiles, propulsion avec les jambes. 25m
nage complète. P2 observe, régule, revient sur
les solutions, régule à nouveau, puis revient
encore sur les solutions.
« Travailler le battement des jambes » ;
« remonter le bassin… avoir cette position là »
(PS1)
Situation 4 (DRI)
Séries de 50m en crawl avec planche. 25m
propulsion bras gauche, 25m bras droit. P1
observe, régule, puis revient sur les solutions.
« Affiner la respiration latérale type crawl »,
« venir sortir la tête légèrement sur le côté »
(PS1)
Situation 5 (DRD)
Séries de 50m en crawl. P1 observe, régule,
puis demande aux élèves de partir en plongeon.
« Qu’ils nagent le crawl » (PS1)
Situation 3 (DRI)
Séries de 25m. Crawl, dos crawlé, crawl, dos crawlé.
P1 observe et régule.
« La nage complète » (PS2)
Situation 4 (DR)
50m en crawl avec pull-boy. P2 observe et régule.
« La propulsion bras » (PS2)
Situation 5 (DR) Séries de 50m en crawl avec planche. 25m propulsion
bras gauche, 25m bras droit. P1 observe et régule.
« La propulsion bras, liée à la respiration » ; « un
rythme… caler ma respiration tous les trois temps »
(PS2)
Situation 6 (DR)
50m en crawl avec pull-boy. P1 observe et régule.
« La propulsion bras » (PS2)
Situation 7 (DR) 25m en dos crawlé ou en brasse au choix. P1 observe.
« La nage complète » (PS2)
Situation 8 (DR)
Course par 5 de 25m en crawl. P1 lance les départs,
observe et régule.
« La nage complète » (PS2)
169
Schéma 6.2 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P1/Natation
P1 propose deux séances relativement semblables. Plusieurs situations, cinq ou huit,
s‟enchaînent assez rapidement, particulièrement dans la séance 2. Entre les phases de
dévolution, P1 propose des solutions aux élèves, principalement dès lors qu‟il définit les
situations avec eux. Ces situations, sous la forme de séries de 25 mètres, renvoient à
l‟enseignement de trois nages : « le crawl », « le dos crawlé » et « la brasse ». « Le crawl »
demeure toutefois le principal enjeu, surtout dans la séance 2. L‟enchaînement des situations
renvoie de manière générale à une alternance entre des situations de nage complète
(« crawl », « dos » ou « brasse ») et des situations aménagées ayant pour enjeu différentes
facettes de chaque nage : « glisser », « être aligné », « monter le bassin » ou « la
respiration », « la position de la tête », « le rythme » ou « les battements de jambes » ou
« souffler dans l‟eau » Si…Alors « position de la tête »
Pour Si…Alors « le rythme »
« plongeon « respirer vite » Dont « la respiration » Dont
canard » « doigts
« le crawl » Si…alors serrés »
Dont Dont « petits, rapides » Pour
« la poussée » Dont « batt. de jambes »
Dont Dont Dont « souples » « appuyer sur l‟eau » Dont Dont « en surface »
« le dos » Dont « le regard »
« bras collé à l‟oreille » Dont Dont Dont« position des doigts »
Dont Si…Alors « les mvts de bras crawlés » Pour
« bras collé à la cuisse » Dont
« monter le bassin » Dont
« le plongeon » Pour « chercher
« être aligné » Pour « pénétration dans l‟eau » loin »
Dont Pour Pour
Dont « la brasse » Dont « le temps glissant »
« nager en surface » Pour Pour Dont « glisser » Si…alors Dont
« réduire les cycles » « position des mains » « jambes tendues » Dont
Si…alors
« mvts de jambes brasse »
S1 S2
170
encore « les mouvements de bras crawlés ». Certaines situations ont même pour enjeu
l‟articulation entre deux facettes, comme « les mouvements de bras » et « la respiration ».
Encore une fois, au travers d‟interactions didactiques relativement longues, P1 spécifie
chaque nage à partir d‟une grande diversité d‟objets. Ainsi, l‟enseignement du « dos crawlé »
se décline en divers objets : « les mouvements de bras crawlés », « la position des doigts »,
« le regard », « appuyer sur l’eau », « les battements de jambes ». Mais ces divers objets sont
eux aussi spécifiés par P1. Par exemple, « les battements de jambes » sont spécifiés en
« petits, rapides », « en surface », « souples ». Et encore une fois, ces divers objets sont
présentés par P1 sous la forme de nombreuses articulations spécifiques, souvent
hiérarchiques. Ainsi, par exemple, il s‟agit de « monter le bassin » pour « être aligné » pour
améliorer « la pénétration dans l’eau ». D‟une autre manière, en « brasse », lorsque « la
position des mains » est alignée devant, il faut « glisser » et il faut faire un « mouvement de
jambes brasse ».
171
1.1.3. Enseignements de gymnastique
Schéma 5.3 : Déroulement des séances : P1/Gymnastique
S1 S2 S3
Situation 1 (DRDR) - Ateliers roulade avant. Les élèves
enchaînent des roulades avant. P1
observe et régule, puis monte des
ateliers spécifiques.
- 1. Foulard entre les jambes. 2. Sur
un plan incliné. 3. En allant poser les
mains derrière une ligne. P1 passes
entre les ateliers et régule.
« Serrer les jambes pendant la
roulade » ; « donner de l’amplitude à
la roulade » ; « donner une légère
impulsion » (PS1)
Situation 2 (DRIRDR) - Ateliers roulade arrière. 1. Sur plan
incliné. 2. Sur un tapis. 3. Normale.
P1 circule, régule, revient sur des
éléments pertinents, régule encore,
puis enlève les ateliers.
- Les élèves doivent enchaîner une
roulade avant et une roulade arrière.
P1 observe et régule.
« Les jambes serrées » ; « les mains
derrière la nuque » (PS1)
Situation 2 (DR) Ateliers ATR et roulades. 1. Roulade
arrière sur un plan incliné. 2. Foulard
entre les jambes. 3. ATR avec tapis.
4. Roulade avant, en allant poser les
mains derrière une ligne. 5. ATR au
mur ou par deux. P1 circule et régule.
« Roulade avant », « mettre une
impulsion avec ses jambes », « Aller
chercher loin avec ses mains » ;
« roulade arrière », « position des
mains », « un coup d’énergie » ;
« ATR » (PS2)
Situation 1 (DRDRIRDRDR) - Séries d‟éléments. Deux roulades
avant. P1 régule et fait évoluer.
- Roulade avant, demi-tour, roulade
arrière. P1régule, revient sur les
solutions pertinentes, régule encore,
puis fait évoluer.
- Roulade avant, ATR. P1 régule et
fait évoluer.
- ATR, demi-tour, roulade arrière. P1
observe et régule.
« Approfondir les acquis réalisés sur
divers éléments » (PS2)
Situation 1 (DRDRDRDR)
- Séries d‟éléments. Roulade
avant, saut, roulade avant. P1
régule.
- Roulade avant, demi-tour,
roulade arrière. P1 régule.
- Cinq ATR contre le mur. P1
régule.
- Traversée en roue. P1 régule.
« La roulade et tout ça… » (PS3)
Situation 2 (DR) Enchaînement d‟éléments. Les
élèves doivent faire des
enchaînements dessinés sur des
feuilles. P1 circule et régule.
« La notion d’enchaîner les
éléments » (PS3)
Situation 3 (DR) Ateliers ATR. 1. Contre le mur, avec
un pareur. 2. Sans le mur, avec un
pareur. 3. Enchaîné avec une roulade
avant. P1 observe et régule.
« L’alignement » ; « le gainage »
(PS1)
Situation 3 (DR) Atelier ATR. Séries d‟ATR sans le
mur avec un pareur. P1 observe et
régule.
« L’ATR » (PS2)
Situation 3 (DR) Présentation des enchaînements.
Quelques élèves présentent
devant les autres. P1 observe et
régule.
« La notion d’enchaîner les
éléments » (PS3)
Situation 4 (DR) Ateliers roue. 1. Mains de part et
d‟autre d‟un zone plus ou moins
large. 2. Mains et pieds sur une même
ligne. P1 observe et régule.
« L’amplitude » ; « le fait de suivre
une ligne » (PS1)
Situation 5 (DR) Atelier rondade. Séries de rondades.
P1 observe et régule.
« La rondade » (PS1)
Situation 6 (DR) Enchaînements de quatre éléments.
Quelques élèves doivent enchaîner
quatre éléments devant les autres. P1
observe et régule.
« Proposer un enchaînement » (PS1)
Situation 4 (DRIR) Atelier roue. Mains et pieds sur une
même ligne. P1 régule, revient sur les
solutions pertinentes, puis régule
encore.
« Roue », « chercher loin », « rester
sur une ligne » (PS2)
Situation 5 (DR) Atelier rondade. Séries de rondade.
P1 observe et régule.
« La rondade » (PS2)
Situation 6 (DR) Educatif flip arrière. Par 3, deux
pareurs ramènent les jambes d‟un
élève partant à l‟arrêt, les bras tendus
vers l‟arrière. P1 observe, pare et
régule.
« Le flip » (PS2)
P1 présente les critères d‟évaluation
172
Schéma 6.3 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P1/Gymnastique
P1 propose deux premières séances relativement semblables et une troisième séance
assez spécifique, car non préparée et avortée en plein milieu. Dans les deux premières
séances, six situations s‟enchaînent, ayant pour enjeu l‟apprentissage d‟un élément gymnique
spécifique (« roulade avant », « roulade arrière », « ATR », « roue », « rondade » ou
« flip »). Encore une fois, entre ces enchaînements, dans les phases de définition ou
d‟institutionnalisation, P1 propose des solutions aux élèves. Mis à part les premières
situations des séances, renvoyant à un échauffement gymnique au travers de la réalisation de
séries d‟éléments gymniques et de la dernière situation de la première séance, renvoyant à la
réalisation d‟un bref « enchaînement », les autres situations se centrent sur un élément
spécifique. Elles sont construites sous la forme d‟ateliers dans lesquels les élèves peuvent
aller pour centrer leur activité sur les facettes spécifiques de l‟apprentissage de chaque
Dont « l’ATR »
« rondade » « la fente avant » Pour Dont Dont Dont Dont « pieds joints » « envoyer la jambe » Si…alors « droit, serré, tendu »
« visage vers Pour « le regard » « gainé »
départ » « roulade avant » Pour « menton poitrine »
Dont Dont « chercher loin » Pour Pour Pour Pour Dont « l‟impulsion » « mains, pieds alignés »
« la planche » « être beau » Dont
Dont « l’amplitude » Pour
Dont « la roue » Dont « roulade arrière » Pour « mains pieds écartées »
Dont Dont
« pousser avec les mains » Si…Alors
« le coup de reins » Si…Alors « position des mains »
« l‟enchaînement »
« le saut »
« le tour » « le flip »
S1
S2 S3
173
élément. Par exemple, pour « la roue », deux ateliers se centrent sur aller « chercher loin » ou
« mains pieds écartés ». Ces situations ont, pour autant, des enjeux parfois communs, tels que
« l’amplitude », « être gainé » et être « droit, serré, tendu ». Dans la troisième séance, P1
centre son enseignement sur « l’enchaînement ». Avant d‟entrer en classe, il demande à une
collègue spécialiste de gymnastique de lui prêter des feuilles sur lesquelles sont dessinées des
petits enchaînements. Il propose alors par la suite à ses élèves d‟effectuer ces enchaînement
puis régule leur activité à propos des éléments qui les constituent. Il arrête la séance à la
moitié pour partir faire du hand-ball avec les élèves.
Au travers d‟interactions didactiques relativement longues et très redondantes, P1
spécifie les différents éléments gymniques à partir de quelques objets. Ainsi, « la roulade
arrière » se trouve spécifiée à partir de « la position des mains », « pousser avec les mains »
et « le coup de reins » ; « l’ATR » à partir de « la fente avant », « envoyer la jambe » ou « le
regard ». Mais ce qui revient le plus comme objet de ces interventions, particulièrement dans
la séance 3, renvoie à la nécessité d‟être « droit, serré, tendu », d‟avoir de « l’amplitude » et
par-dessus tout d‟« être beau ». Si les objets qui organisent le contenu sont relativement
diversifiés, pour autant, encore une fois, ils sont assez souvent présentés par P1 sous la forme
d‟articulations. Par exemple, relativement à l‟enseignement de la roue, il s‟agit d‟avoir les
« mains et pieds écartés » pour avoir de « l’amplitude » pour « être beau ».
1.2 Le contenu des pratiques : le cas de P2
Nous rappelons que P2 enseigne deux APSA dans lesquelles il a des expériences
personnelles contrastées : le rugby (Ex) et le basket (NEx*)1.
1 Comme nous l‟avions présenté dans la partie méthodologique, P2 devait enseigner aussi un cycle de danse
(NEx) que nous comptions observer. Or, P2 a annulé ce cycle, car il ne se sentait pas assez compétent pour le
mener. Nous n‟observons donc que deux enseignements. Nous reviendrons sur ce point ultérieurement, dans la
partie interprétative.
174
1.2.1. Enseignements de rugby
Schéma 5.4 : Déroulement des séances : P2/Rugby
S1 S2 S3
Situation 1 (R) Séries de 2 contre 1. Franchissement
de deux rideaux défensifs en passe
avant contact. P2 passe les ballons et
régule.
«Faire la passe avant contact » (PS1)
Situation 2 (DR) Séries de 2 contre 1. Franchissement
de deux rideaux défensifs en passe
après contact. P2 passe les ballons et
régule.
« Aller au contact… se tourner,
libérer le ballon, le présenter au
soutien » ; « venir aider le PB en
venant l’arracher » (PS1)
Situation 2 (DR)
Séries de 2 contre 1. Franchissement
d‟un rideau défensif en passe après
contact. P2 passe les ballons et
régule.
« Passes après contact » ; « au
niveau de l’arrachage » (PS2)
Situation 1 (DR) Séries de 2 contre 1. Franchissement
d‟un rideau défensif en passe avant
contact. P2 passe les ballons et
régule.
« Passes avant contact » (PS2)
Situation 1 (DR)
Séries d‟aller-retour en passes
par trois. P2 observe et régule.
« Développer ce jeu de
passes » ; « accélérer sur la
prise de balle » (PS3)
Situation 2 (DR)
- Séries de 3 contre 3.
Franchissement de la défense par
des zones déterminées ; chaque
attaquant reste dans sa zone. P2
joue avec les élèves, régule, puis
augmente le nombre de joueurs.
- Séries de 4 contre 4. P2 joue et
régule
« Le jeu déployé » ; « cadrer son
défenseur, le fixer et faire la
passe dans le bon tempo » (PS3)
Situation 3 (R)
Match aménagé 6 contre 6.
Départ de l‟attaque dans la zone
centrale. P2 joue avec les élèves
et régule.
«Le jeu déployé » (PS3)
Situation 3 (DRDR) - Séries de 3 contre 1. Franchissement
de deux rideaux défensifs avec choix.
P2 passe les ballons, régule et
complexifie la situation.
- Séries de 3 contre 1, puis 3 contre 2.
Franchissements de deux rideaux
avec un puis deux défenseurs ; départ
à gauche, puis à droite. P2 passe les
ballons et régule.
« Faire ce choix, passe avant contact,
passe après contact » (PS1)
Situation 4 (DR) - Séries de 3 contre 2 ou de 3 contre
3. Franchissement de la défense par
deux zones déterminées ; un des trois
défenseurs choisit une des zones. P2
passe les ballons, régule puis enlève
les zones.
- Franchissement libre de la défense.
P2 régule.
« Avancer » ; « transformer le jeu et
aller dans une zone qui est libre »
(PS1)
Situation 5 (DRI) Match en 4 contre 3. P2 joue avec les
élèves et arrête ponctuellement le jeu
pour réguler.
« Favoriser le jeu d’attaque » (PS1)
Situation 3 (DRDRI)
- Séries de 4 contre 3. Franchissement
de la défense, avec arrivée à
retardement de 3 attaquants et deux
défenseurs. P2 passe les ballons,
régule et agrandit la taille du terrain.
- Les défenseurs arrivent plus tôt. P3
régule.
« Améliorer ce choix de passe avant
contact ou d’aller au contact » ;
« aider l’attaquant PB » ; « passer au
sol pour pouvoir libérer le ballon » ;
« conserver ce ballon » (PS2)
Situation 4 (DR)
Match 4 contre 5 avec départ en 1
contre 1. Les autres défenseurs
commencent hors-jeu. P2 joue,
toujours en défense, avec les élèves et
régule.
« Travailler la défense, le
replacement défensif » ; « se replacer
sur une même ligne » (PS2)
Situation 5 (DR)
Match 5 contre 5. P2 joue avec les
élèves et régule.
« La conservation, le soutien et donc
conserver pour avancer… et le
placement défensif donc en ligne »
(PS2)
Situation 4 (DR)
Match 6 contre 6. P2 joue avec
les élèves et régule.
«Le jeu déployé » ; « une
question de choix » (PS3)
175
Schéma 6.4 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P2/Rugby
P2 propose trois séances très semblables. Quatre ou cinq situations s‟enchaînent, dans
lesquelles P2 distribue les ballons ou joue avec les élèves. Il arrête ainsi inlassablement
l‟activité des élèves, quasiment après chaque passage d‟élèves ou chaque action de jeu, pour
revenir sur les éléments positifs ou négatifs et pour proposer des solutions. La grande majorité
des situations renvoient à la gestion de « surnombres » sous la forme de 2 contre 1, de 3
contre 2, de 4 contre 3 ou de 5 contre 4, dans lesquelles les attaquants doivent franchir la ligne
de défense, sous diverses conditions spatio-temporelles. Dans la continuité de ces situations,
des matchs plus ou moins aménagés ponctuent les séances 1 et 3. Seule la première situation
de la troisième séance renvoie à l‟enseignement d‟une technique individuelle : « la passe ».
« à deux mains »
Dont
Dont « le bon moment »
« passer » Dont « regarder »
Si…alors
« plaquer » « aller au sol » Pour « se tourner, libérer » Pour
« aller au contact » Si…alors SI…ALORS « garder, protéger » « tourner
Dont SI…ALORS les
épaules »
Dont « être PB seul » Si…Alors « le surnombre »
« monter droit » Si…Alors « la défense »
Si…alors « avancer » Dont Dont Si…Alors Pour Dont Si…Alors « être en ligne »
« plaquer « les espaces libres » « jouer large »
aux jambes » « le soutien du NPB » Pour
Dont Dont « en profondeur » Dont « retarder la montée »
« appeler » Dont Dont Dont
« arracher » « le replacement » Pour « jeu déployé »
« conserver » Pour Pour « se coller et pousser » Dont
« être solide » Pour « fixer »
Si…alors Pour « le drop »
Pour Pour « le hors-jeu »
Dont Dont « jeu au sol »
« les règles » Dont « en avant »
« écartés »
« accélérer sur la prise de balle »
« monter ensemble »
« le regroupement »
S1
S2
S3
176
Le principal enjeu des situations consiste à faire le bon choix entre « aller au contact » ou
« passer ». Les deux premières situations des deux premières séances renvoient au travail de
chacune des deux solutions. Elles sont alors enchaînées à partir de situations centrées sur le
choix de l‟élève relativement à ces deux solutions. Ces situations se spécifient alors
progressivement à partir des rôles du porteur de balle (« se tourner, libérer », « aller au sol »,
« passer » au « bon moment ») et du non porteur de balle (« le soutien », « arracher »). Puis,
à la fin de la séance 1 et surtout dans la séance 3, les enjeux de ces situations évoluent vers
« le jeu déployé », « fixer » la défense et la gestion des « espaces libres ». Enfin, le rôle de
« la défense » collective (« le replacement », « être en ligne ») est pris en compte à la fin de la
séance 2.
De nombreuses interactions didactiques s‟intercalent entre les actions de élèves. P2
s‟arrête presque sur chaque action des élèves pour réguler leur activité à partir d‟une grande
diversité d‟objets spécifiant les enjeux des situations. Ainsi, par exemple, le rôle du « soutien
du non porteur de balle » se trouve décliné en « arracher », « se coller et pousser », être « en
profondeur », « être solide » et « appeler ». P2 insiste aussi très largement sur les articulations
entre ces objets, principalement sous la forme d‟automatismes. Par exemple, lorsque le
porteur de balle va « au contact », il doit « garder, protéger » le ballon, puis il doit « se
tourner, libérer ». De la même manière, lorsqu‟il y a un « surnombre », il faut « passer le
ballon » et il faut « jouer large ».
177
1.2.2. Enseignements de basket
Schéma 5.5 : Déroulement des séances : P2/Basket
S1 S2 S3
Situation 1 (DR) Séries de passes par deux. Au signal
du NPB, le PB s‟arrête en double
appui et lui passe le ballon. P2
observe et régule.
« La règle du marcher, le fait de
s’arrêter sur deux appuis
simultanés » (PS1)
Situation 2 (DR) Séries de passes en 2 contre 1. Au
signal du défenseur, le PB s‟arrête et
passe le ballon au NPB. P2 observe et
régule.
«Travailler le pivot » (PS1)
Situation 1 (DR) Séries de « passe à dix » à 4 contre 2.
P2 observe et régule.
« Lever la tête » ; « porter du soutien
à ces attaquants » (PS2)
Situation 1 (DR)
Séries de « passe à dix » à 4
contre 2. Shoot autorisé à partir
de 5 passes. P2 observe et
régule.
« Que les non porteurs se
bougent et aillent aider » (PS3)
Situation 3 (DRDR) - Séries de progressions à deux vers la
cible. Quand les attaquants arrivent
dans la zone de tir, un troisième élève
ou P fait un signal qui les oblige à
shooter ou passer. P2 donne le signal,
observe, régule, puis inclut un
défenseur pour le signal.
- Le défenseur part avec du retard et
donne le signal. P2 observe et régule.
« Lever la tête et pas être centré sur
le ballon » (PS1)
Situation 4 (DRDR) - Séries de 3 contre 2. Un des
défenseurs choisit définitivement à
l‟avance l‟attaquant sur lequel il
défend. P2 observe, régule, puis
décomplexifie.
- Les deux défenseurs choisissent à
avance leur attaquant. P2 observe et
régule.
« Le choix entre passer ou avancer »
(PS1)
Situation 2 (DR) Séries de progression à quatre vers la
cible sans dribbler. P2 observe et
régule.
« Un contenu technique de passe »
(PS2)
Situation 3 (DRDR) - Séries de 3 contre 2. Un des
défenseurs choisit définitivement à
l‟avance l‟attaquant sur lequel il
défend. P2 observe, régule, puis
complexifie.
- Les deux défenseurs choisissent à
avance leur attaquant. P2 observe et
régule.
« Lever la tête et faire le choix par
rapport à la défense » (PS2)
Situation 4 (DR) Match aménagé en 4 contre 4.
L‟attaquant qui tente un tir doit faire
le tour d‟un plot. P2 observe et
régule.
« Profiter du surnombre numérique »
(PS2)
Situation 2 (DR)
Matchs aménagés en 5 contre 5,
avec un joueur relais qui ne peut
pas revenir en défense.
L‟attaquant qui tente un tir doit
faire le tour d‟un plot. P2
observe et régule.
« Jouer avec le relais pour
avancer » ; « le fait d’être en
supériorité numérique » (PS3)
Situation 3 (DRI)
Matchs aménagés en 5 contre 5,
avec des joueurs « joker » en
dehors du terrain. Le joueur qui
fait une passe au joker le
remplace. P2 observe, régule
puis revient sur les solutions.
« Le fait d’être en supériorité
numérique » (PS3)
178
Schéma 6.5 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P2/Basket
P2 propose trois séances relativement semblables. Trois ou quatre situations assez
longues s‟enchaînent, centrées sur deux principaux enjeux : « lever la tête » et la gestion de la
« supériorité numérique ». De manière générale, P2 définit les situations, observe et régule
occasionnellement à partir des objets centraux des situations. La plupart des situations sont
centrées sur les relations entre les joueurs attaquants. Des progressions aménagées du terrain
ou des « passes à dix » ont pour enjeux « lever la tête » et « le soutien mobile » du non porteur
de balle, évoluant vers la gestion du choix pour le porteur de balle entre « passer » et
« avancer en dribble ». Des matchs aménagés ont pour enjeu la gestion de la « supériorité
numérique », notamment par la prise en compte du « relais ». Trois situations techniques,
inaugurant les séances 1 et 2, sont centrées sur l‟enseignement de techniques individuelles :
« la passe », « l’appui simultané » et « le pivot ».
« la hauteur de dribble »
« l‟appui simultané » Pour
« le pivot »
Pour « la défense » « ralentir la « les règles »
progression » Dont Dont Dont
« marcher » « reprise de dribble »
Dont « défense
modérée »
Dont « les passes » « lever la tête »
« à deux mains »
Dont Si…Alors
« en course » Si…Alors
« être démarqué »
Si…Alors
Dont « avancer en dribble »
« le soutien mobile » Pour Si…alors
Pour « shooter »
« la zone de tir » « le relais »
« supériorité numérique »
S1
S2 S3
179
P2 s‟engage dans assez peu d‟interactions didactiques. Il régule l‟activité des élèves
principalement à partir des « règles », particulièrement le « marcher », et en insistant
largement sur le fait d‟être ou non « démarqué » et la nécessité de faire un choix entre
« passer » et « avancer en dribble ». Ces interventions ne sont pas très fréquentes et sont
souvent orientées vers le même objet. Pour autant, les objets mis en jeu dans ces interventions
sont assez souvent articulés entre eux, encore une fois sous la forme d‟automatismes. C‟est
particulièrement le cas d‟une intervention récurrente de P2, ayant pour contenu la règle
suivante : si on est « démarqué » on « avance en dribble » et si on n‟est pas « démarqué », on
« passe » le ballon.
1.3 Le contenu des pratiques : le cas de P3
Nous rappelons que P3 enseigne deux APSA dans lesquelles il a des expériences
personnelles contrastées : la danse (Ex) et le basket (NEx*).
180
1.3.1. Enseignements de danse
Schéma 5.6 : Déroulement des séances : P3/Danse
S1 S2 S3
P3 présente les 2 intervenants (S et B, professeurs de
danse dans l‟association dont P3 fait partie) et la
culture hip-hop
Situation 1.1 (DR)
Création chorégraphique par P3 avec le groupe 1 (et
créations chorégraphiques par S et B avec les
groupes 2 et 3)
« Analyser, intégrer, reproduire des mouvements » ;
« intégrer la notion de rythmique » (PS1)
Situation 2.1 (DR)
Présentation des chorégraphies. P3 danse avec le
groupe 1 puis observe les autres groupes.
« Intégrer la notion de spectateur » (PS1)
Situation 1.2 (RI)
Création chorégraphique par P3 avec le groupe 2 (S
et B avec groupes 3 et 1)
« Analyser, intégrer, reproduire des mouvements » ;
« intégrer la notion de rythmique » (PS1)
Situation 2.2 (DR)
Présentation des chorégraphies. P3 danse avec le
groupe 2 puis observe les autres.
« Intégrer la notion de spectateur » (PS1)
Situation 1.3 (RI)
Création chorégraphique par P3 avec le groupe 3 (S
et B avec groupes 1 et 2)
« Analyser, intégrer, reproduire des mouvements » ;
« intégrer la notion de rythmique » (PS1)
Production par les intervenants. P3 observe et
commente.
Situation 2.3
Présentation des chorégraphies. P3 danse avec le
groupe 3 puis observe les autres.
« Intégrer la notion de spectateur » (PS1)
Situation 2 (DR)
Présentation des
chorégraphies par les élèves.
P3 revient sur les éléments
positifs et négatifs des
chorégraphies
« Les confronter à danser
devant un public » ;
« endosser le rôle de
spectateur » (PS2)
Situation 1 (DR)
Création chorégraphique par
groupe de 3 à 5 élèves. P3
circule entre les différents
groupes et régule.
« Créer un morceau de
chorégraphie (2 fois 8 temps)
en respectant les impératifs
liés aux critères d’évaluation :
passage debout, passage au
sol, passage solo, danse à
l’unisson, les figures hip-hop,
les nouveaux mvts crées »
(PS2)
P3 présente les critères
d‟évaluation
Situation 1 (R)
Création
chorégraphique par
groupe de 3 à 5 élèves.
P3 distribue des fiches
avec des éléments
techniques, circule
entre les différents
groupes et régule.
« Poursuivre la
création
chorégraphique, bien
arrêter formation de
départ, alimenter un
peu les pas » (PS3)
181
Schéma 6.6 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P3/Danse
P3 propose une séance très spécifique suivie de deux autres presque identiques. Dans
la première séance, P3, accompagné de deux professeurs de danse appartenant à l‟association
dont il fait partie, crée « des pas » de danse que les élèves doivent reproduire « en rythme ».
La classe est divisée en trois groupes d‟élèves. Deux types de situations s‟enchaînent alors.
Chaque groupe reproduit progressivement les différents « pas » construits et enchaînés « en
rythme » par chaque professeur, puis présente avec lui cette production devant les autres
groupes. Une fois cette présentation effectuée, chaque groupe change de professeur. Ainsi, ces
situations ont simplement pour enjeu l‟intégration de « pas » de danse effectués en
« rythme », s‟ouvrant sur le « rôle du spectateur » lors des présentations. Du côté de P3, ces
« pas » renvoient ainsi à la fois à « 17 pas hip-hop » institués et aux « 30 pas » qu‟il crée lui-
même avec les différents groupes. Ainsi, P3 est en permanence en interaction avec les élèves
S1
« net, boosté, saccadé… »
Dont « l’énergie »
« les 68 postures » Dont SI…ALORS « les 30 pas de P3 »
Dont « les 68 postures’ »
« les pas » Dont Dont
Si…alors « danse au sol/debout »
« les 17 pas hip-hop » « le battle »
« le thème » Pour « être en rythme » Pour « être précis»
« la musicalité » Pour Dont Pour
« l‟engagement émotionnel » « être ensemble » Dont
Pour Pour « jouer, mimer » « diff. mvts »
« utiliser scénographie » « formations départ/fin » « trouver des repères » « l’interprétation »
Pour « les liaisons »
« prendre en compte le public » Dont Dont Si…alors
« le rôle de spectateur » « la création » Pour Dont Pour
S2 « l’espace scénique » « solo/à l‟unisson » S3
Dont « intégrer ds la choré »
« 5 formes »
182
puisqu‟il construit tout le temps des « pas » en les décomposant en « 68 postures »
identifiables. Les régulations qu‟il effectue inlassablement portent ainsi sur ces « postures »
ou plus globalement sur ces « pas », avec toujours la nécessité d‟« être en rythme »,
s‟articulant parfois avec celle d‟« être précis » et d‟« être ensemble ». Ces différents objets
sont assez souvent articulés. Par exemple, il s‟agit d‟« être précis » pour « être en rythme »
pour « être ensemble ». Mais surtout, ces sont les différentes « postures » qui s‟articulent sans
cesse sous la forme suivante : lorsque l‟on est dans la « posture n » alors on doit enchaîner
avec la « posture n’ ».
Les deux séances suivantes sont presque identiques. Une situation très longue occupe
toute la séance 3 et presque toute la séance 2. P3 engage rapidement cette situation pour
ensuite réguler longuement l‟activité des élèves. L‟enjeu de cette situation est la « création »,
par les élèves répartis en petits groupes, d‟un enchaînement de pas, en vue de le présenter par
la suite. Cette « création » est alors organisée par différents objets, correspondant en partie à
la dénomination des critères d‟évaluation d‟une chorégraphie : « les pas » construits par les
élèves doivent s‟appuyer sur « les pas hip-hop » et « les pas de P3 », vus dans la séance 1, il
doivent « être intégrés dans la chorégraphie », comporter une « danse solo/à l’unisson », une
« danse debout/au sol », en insistant sur les « formations de départ/fin ». A la fin de la séance
2, P3 propose aux élèves de présenter leur « création », de manière à ce qu‟ils « prennent en
compte le public » et que celui-ci endosse son « rôle de spectateur ». Ainsi, dès lors que les
élèves commencent à « créer », P3 circule entre les groupes pour réguler l‟activité des élèves
à partir d‟une assez grande diversité d‟objets, renvoyant en partie aux enjeux explicités de la
situation. P3 arrête cependant souvent l‟activité des élèves pour participer à la création de
leurs chorégraphies. Il insiste alors de manière récurrente sur la nécessité d‟ « être en rythme »
et d‟ « être ensemble » et sur « la précision » des « pas » et des « postures » qui les
constituent. Dans ces interventions, P3 articulent assez souvent ces différents objets sous la
forme de hiérarchies. Par exemple, les « formations de départ/fin » doivent être construites
pour « être ensemble » et pour « prendre en compte le public ».
183
1.3.2. Enseignements de basket
Schéma 5.7 : Déroulement des séances : P3/Basket
S1 S2
Schéma 6.7 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P3/Basket
Situation 1 (DRDR)
- Exercice de shoot dans une zone déterminée.
P3 observe, commente l‟activité des élèves.
- P3 fait évoluer en « une-deux » et commente.
« Shooter à deux mains dans la zone de
confort » (PS1)
Situation 2 (R)
Matchs en 5 contre 5 entre 4 équipes d‟élèves.
P3 observe et régule.
« Réinvestir ce qui a été vu au niveau du
shoot » ; « respecter le règlement… la défense
faire attention » (PS1)
Situation 1 (DRDRI)
- Exercice de shoot au panier. P3 revient sur la
situation 1 de la séance 1, puis observe, commente
l‟activité des élèves,
- P3 fait évoluer en « une-deux », gène les élèves
sous le panneau, commente, puis propose des
solutions.
« Shooter à deux mains, avec la planche, dans la
zone de confort » (PS2)
Situation 2 (R)
- Matchs en 5 contre 5 entre 4 équipes d‟élèves. P3
observe, régule.
- P3 interdit le dribble, puis régule.
« Appliquer les consignes vues précédemment au
niveau du shoot » ; « le règlement… la défense
raisonnée » ; « favoriser le déplacement des joueurs
sans ballon » (PS2)
S1 S2
« la zone de confort » « utiliser la planche »
« à deux mains » « le deux contre un » Pour Dont
Dont
« en suspension » Dont « Le shoot » « marcher »
« fautes d‟équipe »
« lever la tête » « reprise de dribble » Dont Dont « les contacts » Dont
Dont « les fautes » « se rendre disponible »
« le une-deux » « s‟appliquer sur les passes » Pour
« aller au duel »
184
P3 propose deux séances identiques. Deux situations s‟enchaînent, dans lesquelles il
observe et régule l‟activité des élèves. Les premières situations consistent en des exercices de
tir au panier, ayant donc pour enjeu « le shoot » et ses spécifications (« à deux mains »,
« utiliser la planche », « la zone de confort ») et évoluant en « une-deux » avant d‟aller
« shooter ». Les deuxièmes situations, relativement longues, consistent en une série de matchs
entre quatre équipes d‟élèves. Elles n‟ont pour enjeu que le réinvestissement du « shoot » et
l‟attention portée sur « les fautes », principalement à propos des « contact ». Un élément vient
spécifier cette situation dans la séance 2, lorsque P3 aménage le match pour centrer son enjeu
sur l‟activité du non porteur de balle qui doit « se rendre disponible ».
P3 ne s‟engage que peu dans des interactions didactiques. D‟une manière générale, il
observe les élèves et régule occasionnellement leur activité à partir d‟une faible diversité
d‟objets. Il revient principalement sur « le shoot », « les fautes » ou la nécessité de « lever la
tête ». Les différents objets mis en jeu dans ses interventions sont très rarement présentés sous
la forme d‟articulations.
1.4 Le contenu des pratiques : le cas de P4
Nous rappelons que P4 enseigne trois APSA dans lesquelles il a des expériences
personnelles contrastées : la natation (Ex), la danse (NEx) et le basket (NEx*).
185
1.4.1. Enseignements de danse
Schéma 5.8 : Déroulement des séances : P4/Danse
S1 S2 S3
Situation 1 (DRI)
Exercice de rythme. P4 propose
des rythmes.
« Intégrer les rythmes » (PS1)
Situation 2 (DR)
Exercice de rythme et
d‟interprétation des verbes. P4
propose des rythmes et des
verbes à exprimer
« Réagir spontanément avec leur
corps sur le type de verbe »
(PS1)
Situation 3 (DR)
Création chorégraphique par
groupe de 4, à partir des bases
(animaux), de quatre verbes
d‟action composés chacun de
quatre mouvements. P4 circule
entre les groupes et régule.
« Travailler un enchaînement
collectif, en reprenant 4 verbes
d’actions qu’ils doivent
transmettre au public » (PS1)
Situation 4 (DR)
Présentation des chorégraphies
par les élèves. Retour de P4 sur
les éléments positifs et négatifs
des chorégraphies
« Reconnaître les verbes » (PS1)
Situation 3 (DR)
Présentation des chorégraphies
par les élèves. Retour de P4 sur
les éléments positifs et négatifs
des chorégraphies
« Repérer les verbes d’action »
(PS2)
Situation 2 (DR)
Création chorégraphique de 16
temps par groupe de 4, à partir
des bases (quatre verbes d‟action
composés chacun de quatre
mouvements) et comportant
différents niveaux. P4 circule
entre les groupes et régule.
« Construire une base, en
situation de chorégraphe »
(PS2)
Situation 1 (DR)
Exercice de rythme. P4 propose
des rythmes
« Intégrer le rythme » (PS2)
Situation 1 (DR)
Exercice de rythme. P4 propose
des rythmes.
« Intégrer le rythme » (PS3)
Situation 2 (DR)
Exercice de rythme : le jeu du chef
d‟orchestre. P4 observe.
« Le rythme » ; « Une situation
ludique, pour rentrer dans
l’activité » (PS3)
Situation 3 (DR)
Création chorégraphique de 16
temps par groupe de 4, à partir des
bases (quatre verbes d‟action
composés chacun de quatre
mouvements), thématisée et
comportant des déplacements
multidirectionnels et à différents
niveaux. P4 circule entre les
groupes et régule.
« Un enchaînement de 16 tps, on
insiste sur le thème, avoir plusieurs
niveaux, des trajectoires
différentes » (PS3)
Situation 4 (DR)
Présentation des chorégraphies par
les élèves. Retour de P4 sur les
éléments positifs et négatifs des
chorégraphies
« Trouver le thème » (PS3)
186
Schéma 6.8 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P4/Danse
P4 propose trois séances presque identiques. Trois ou quatre situations s‟enchaînent,
dans lesquelles il observe et régule l‟activité des élèves. Trois types de situations composent
les trois séances. Chaque séance commence par une situation dans laquelle P4 tape un rythme
dans ses mains, ayant alors simplement pour enjeu d‟ « être en rythme ». Cette situation
évolue dans la séance 1 avec la nécessité pour les élèves d‟« exprimer quelque chose » avec
leur corps (« les verbes »), toujours « en rythme ». Elle évolue aussi en une situation ludique,
« le jeu du chef d‟orchestre », dans la séance 3. Ensuite, chaque séance se poursuit par une
situation plus ou moins aménagée dans laquelle les élèves, répartis en petits groupes, doivent
« construire » des « pas », puis une chorégraphie à partir de ces « pas », tout « exprimant »
avec leur corps « une sensation », puis « des verbes », puis plus globalement « un thème ».
Cette situation évolue dans la séance 3, en ayant aussi pour enjeu d‟utiliser « différents
« différentes formations »
« les 4 animaux » « une sensation »
Dont
Dont Dont
« la richesse »
« construit » Si…alors
« être en rythme »
« être ensemble »Pour
« 12 verbes » Dont Dont
Dont « les pas » « les liaisons » Pour
« exprimer qqch » Dont « l’espace scénique »Dont
Dont « diff. niveaux et directions »
Dont « un thème »
« le rôle du public » Dont
« les différents sports »
« mêmes mvts, diff dplcmts »
« 10 mvts sportifs »
S1
S2 S3
187
niveaux et directions ». Enfin, chaque séance se ponctue par une présentation de ce que
chaque groupe a « construit » devant les autres élèves, intégrant ainsi le « rôle du public » qui
doit reconnaître « les verbes » ou « le thème » dans chaque présentation.
P4 régule l‟activité des élèves à partir d‟interventions assez nombreuses et parfois
assez longue. Toutefois, ses régulations s‟appuient sur une faible diversité d‟objets. Dans les
premières situations, il n‟intervient presque que sur la nécessité d‟ « être en rythme ».
Lorsqu‟en suite, il circule entre les groupes ou commente les présentations des élèves, ses
interventions ont principalement pour objets les différents « pas » (« les 4 animaux », « les 12
verbes » ou les « 10 mouvements sportifs ») et la manière potentielle de les « exprimer ». P4
commence parfois aider les élèves à « construire », mais souvent il s‟en va les laissant faire ce
qu‟ils veulent. Les différents objets mis en jeu dans ses interventions sont très rarement
présentés sous la forme d‟articulations.
188
1.4.2. Enseignements de natation
Schéma 5.9 : Déroulement des séances : P4/Natation
S1 S2 S3
Situation 1 (DRI)
Séries de longueurs en crawl avec
décompte des cycles de bras. P4
observe et revient sur les solutions
potentielles après des séries.
« Faire le moins possible de cycles
de bras » (PS1)
Situation 2 (DIRI)
Séries de longueurs en crawl à un
seul bras, avec planche et
décompte des cycles de bras. P4
observe et revient sur les éléments
positifs et négatifs de l‟activité des
élèves après des séries.
« Maîtriser la capacité à maintenir
l’équilibre horizontal, par rapport
à la propulsion avec les membres
inférieurs, par rapport à la
respiration » (PS1)
Situation 3 (DR)
Deux longueurs avec changement
de nage crawl/dos crawlé tous les
deux cycles de bras. P4 observe.
« Maîtriser la capacité à maintenir
l’équilibre horizontal, par rapport
à la propulsion avec les membres
inférieurs » (PS1)
Situation 4 (DI)
Exercice de coulée avec départ en
poussée murale. P4 revient sur les
l‟activité de certains élèves après
leur passage.
« L’équilibre horizontal » (PS1
Situation 3 (DRDI)
- Séries de longueurs en crawl à un
seul bras, avec planche et
décompte des cycles de bras. P4
rappelle les solutions, observe,
revient sur l‟activité.
- P4 impose un temps de respi.
« la même structure de situations,
en complexifiant par rapport à la
respiration » (PS2) ; « Maîtriser la
capacité à maintenir l’équilibre
horizontal, par rapport à la
respiration » (PS1)
Situation 2 (DR)
Séries de longueurs en crawl avec
décompte des cycles de bras et
départ en poussée. P4 rappelle les
solutions potentielles puis observe.
« la même chose, la même séance »
(PS2) ; « Faire le moins possible
de cycles de bras » (PS1)
Situation 1 (DR)
Longueur en crawl, départ
plongeon. P4 observe.
« la même chose, la même séance »
(PS2) ; « Faire le moins possible
de cycles de bras » (PS1)
Situation 1 (DR)
Deux longueurs en crawl avec
décompte des cycles de bras. P4
observe.
« Progresser par rapport à leurs
cycles de bras » (PS3)
Situation 2 (DRI)
Séries de longueurs sur 10 min,
avec départ en poussée, en crawl à
un seul bras, avec planche (ou pull-
boy aux mains). La respiration est
imposée tous les 2 ou 3 temps. P4
rappelle les solutions, observe,
revient sur l‟activité de certains
élèves puis sur les solutions
générales.
« L’horizontalité, au niveau de
l’inspiration » (PS3)
Situation 3 (DRI)
Séries de longueurs sur 10 min,
avec départ en poussée. Trois
ateliers : 1. Longueurs avec
changement de nage crawl/dos
crawlé tous les trois cycles de bras.
2. Idem, retour en rattrapé crawl,
avec planche. 3. Longueurs avec
planche et changement de nage
crawl/dos crawlé à mi bassin.
P4 observe, revient sur l‟activité
de certains élèves puis sur les
solutions générales.
« L’horizontalité, en changeant
d’équilibre » (PS3) ; « essayer de
s’allonger devant » (PS3)
Situation 4 (DRI)
Deux longueurs en crawl. P4
observe.
« Progresser par rapport à leurs
cycles de bras » (PS3)
Situation 4 (DRIRI)
Deux ateliers en course un contre
un : 1.Exercice de coulée avec
départ en poussée murale. 2.
Exercice de coulée avec départ
plongeon. P4 passe entre les
groupes et revient sur l‟activité de
certains élèves, puis sur les
solutions générales
« Gagner en vitesse par rapport au
mur, à partir de coulées, à partir
de plongeons » (PS2)
Situation 5 (DRI)
Séries de longueurs en crawl avec
décompte des cycles de bras et
départ en poussée. P4 rappelle les
solutions potentielles, observe,
régule et revient sur les solutions
générales.
« la même chose, la même séance »
(PS2) ; « Faire le moins possible
de cycles de bras » (PS1)
189
Schéma 6.9 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P4/Natation
P4 propose trois séances très semblables. Quatre ou cinq situations s‟enchaînent. La
plupart du temps, dans des phases d‟institutionnalisation ou même dès la définition de chaque
situation adidactique, P4 revient largement sur les éléments positifs et négatifs observés dans
l‟activité des élèves et sur les bonnes solutions à mettre en œuvre. La grande majorité des
situations, sous la forme de séries de 25 mètres, renvoient à l‟enseignement d‟une seule
nage, le crawl. Certaines situations abordent toutefois certains aspects du dos crawlé, mais
comme aménagements didactiques du crawl. Deux autres situations, sous la formes de séries
de départs plus ou moins aménagés, ont pour enjeu l‟enseignement de « la coulée » au travers
de « la poussée » et du « plongeon ». Les séries de 25 mètres en crawl sont de deux types.
Chaque séance est introduite, et ponctuée pour les séances 2 et 3, par des séries de 25 mètre
en nage complète ayant pour enjeu de « réduire les cycles de bras ». Entre ces situations, qui
« planter droit devant » Pour « pousser un max d‟eau »
Dont
« mvts de bras » Dont
Dont « loin devant, derrière »
« mvts lents » « vitesse, puissance » Dont
Pour « jambes tendues » Dont « les battements de jambes »
Pour
« réduire les cycles de bras » Dont « le rythme »
Pour « la respiration » Si…alors
« position de la tête »
Pour Dont Si…Alors Pour Pour Dont
Dont « position des bras »
« le regard »
« le plongeon » Pour Dont « l’horizontalité »
Dont ont
« aller droit » « la profondeur » Dont Dont
« la coulée » « jambes serrées »
« être profilé » Pour « la poussée »
« position des mains » Dont
« sortir vite »
Dont
« position des jambes »
S1
S2 S3
190
servent de référence pour P4 et les élèves, plusieurs situations aménagées ont toujours le
même enjeu : « l’horizontalité ». Mais, par divers aménagements, cet enjeu
d‟ « horizontalité » est toujours articulé avec d‟autres objets, comme « les battements de
jambes », « la respiration », ou plus spécifiquement « le rythme » de « la respiration », ou
encore de faire des « mouvements de bras » « loin devant, loin derrière ».
Au travers d‟interactions didactiques relativement longues, principalement de phases
d‟institutionnalisation, P4 commente l‟activité des élèves, en proposant des solutions à partir
d‟une assez grande diversité d‟objets. L‟enseignement du « plongeon » se spécifie par
exemple en « aller droit », « être profilé » et « la position des mains ». « La respiration » est
de même déclinée en plusieurs objets : « le rythme », « le regard », « la position de la tête ».
Ces objets relativement diversifiés sont alors assez souvent présentés par P4 sous la forme
d‟articulations. Par exemple, pour « réduire les cycle de bras », il s‟agit de faire des
« mouvements de bras » « lents », d‟ « aller droit » et d‟avoir une « respiration » adéquate.
D‟une autre manière, il s‟agit d‟avoir une « position de la tête » spécifique dès lors qu‟on se
trouve dans une « position de bras » ou dans une phase de « respiration » déterminées.
191
1.4.3. Enseignements de basket
Schéma 5.10 : Déroulement des séances : P4/Basket
S1 S2 S3
Situation 1 (D)
Exercice de tir au panier.
Circulation ininterrompue sur
quatre paniers différents. P4
observe.
« Insister sur les tirs » (PS1)
Situation 2 (DR)
Matchs aménagés en 4vs4. Tous
les paniers valent deux points.
Certains élèvent observent une
équipe à l‟aide d‟une fiche
d‟observation (tir tenté/tir
marqué). P4 présente les règles
du basket, puis observe et régule.
« Qu’ils avancent le plus vers la
cible » (PS1) ; « Mettre en place
le système d’observation » (PS1)
Situation 3 (DR)
Matchs aménagés en 4vs4. Tous
les paniers valent deux points.
Certains élèves observent une
équipe à l‟aide d‟une fiche
d‟observation (passe
ratées/passes décisives). P4
observe puis régule.
« Réinvestir ce qu’on avait
essayé de voir, mais avec les
règles normales du basket »
(PS2) ; « l’observation au niveau
des passes » (PS2)
Situation 2 (DRI)
Matchs aménagés en 4vs4.
« Basket-Rugby » : les élèves
doivent aplatir le ballon derrière
le terrain adverse. Interdiction de
dribbler. P4 observe, régule, puis
revient sur les solutions
générales.
« Organiser la progression vers
la cible la plus rapide possible »
(PS2)
Situation 1 (DRIDI)
Exercice de tir au panier.
Circulation ininterrompue sur
quatre paniers différents. P4
observe, régule, revient sur les
solutions générales, puis relance
les élèves et y revient à nouveau.
« Le tir en course » (PS2)
Situation 1 (R)
Exercice de tir au panier.
Circulation ininterrompue sur
quatre paniers différents. P4
observe et régule.
« Une progression individuelle,
un tir à double pas » (PS3)
Situation 2 (DR)
Exercice de tir au panier
aménagé. Passage interdit à
l‟intérieur d‟une porte faisant
face au panneau. P4 observe et
régule.
« Attaquer les paniers sur les
côtés » (PS3)
Situation 3 (DR)
Matchs aménagés en 1vs1. Sur
un terrain entier, un élève
attaquant choisit une cible. Un
élève défenseur tente de
l‟empêcher de l‟atteindre. Les
tirs (manqués, tentés, marqués,
en course) valent 0, 1, 2 ou 3
points. P4 observe et régule.
« La progression individuelle
pour aller attaquer les cibles » ;
« Essayer de marquer en double
pas » (PS3)
192
Schéma 6.10 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P4/Basket
P4 propose trois séances relativement semblables. Deux ou trois situations
s‟enchaînent, dans lesquelles P4 observe les élèves et régule ponctuellement leur activité.
Deux types de situations organisent chaque séance : des exercices de « tir » au panier et des
matchs plus ou moins aménagés dans lesquels certains élèves observent ceux qui jouent à
partir d‟un système d‟observation mis en place par P4. Les exercices de « tir » ont simplement
pour enjeu l‟enseignement du « tir » et quelques spécifications : « tirer en course »,
« attaquer de côté ». Les séances 1 et 2 dont ponctuées par des séries, très longues, de matchs
aménagés, en 4 contre 4, et ayant pour enjeu de « s’approcher de la cible ». Pendant ces
matchs, des élèves observent, en centrant leur observation sur les « tirs », puis sur les « passes
décisives ». Ces matchs ont aussi en arrière-plan pour enjeu l‟intégration des « règles » du
« la reprise de dribble » « Le pied »
Dont Dont
« le marcher » Dont « les règles »
Dont
« le non contact »
« s‟approcher de la cible »
« avancer »
« le tir »
Pour Dont Pour « bloquer le PB »
« les passes décisives » Dont Dont
Dont Dont
« être seul face à la cible » « attaquer de côté »
« tir en course »
Pour Si…Alors « tir en suspension »
« utiliser le panneau »
« S‟éloigner du ballon » Dont « le démarquage du NPB »
S1
S2 S3
« la reprise de dribble » « Le pied »
Dont Dont
« le marcher » Dont « les règles »
Dont
« le non contact »
« s‟approcher de la cible »
« avancer »
« le tir »
Pour Dont Pour « bloquer le PB »
« les passes décisives » Dont Dont
Dont Dont
« être seul face à la cible » « attaquer de côté »
« tir en course »
Pour Si…Alors « tir en suspension »
« utiliser le panneau »
« S‟éloigner du ballon » Dont « le démarquage du NPB »
193
basket. La séance trois finit par une longue série de petits matchs, en 1 contre 1, centrés sur le
« tir » et la nécessité de « s’approcher de la cible ».
P4, qui observe les élèves en activité, effectue peu de régulations didactiques, à partir
d‟une faible diversité d‟objets. Ses interventions se centrent principalement sur les « règles »
du basket comme « le marcher », « la reprise de dribble » ou « le non contact » ; ou encore
sur « le tir » et ses spécifications (« attaquer de côté », « le tir en course », « le tir en
suspension », « utiliser le panneau »). Il intervient tout de même parfois à propos du
« démarquage du non porteur de balle ». Bien que l‟on puisse identifier quelques objets
articulés entre eux dans ses interventions, comme la nécessité de « s’éloigner du ballon » pour
pouvoir « avancer », ces articulations se font très rares.
1.5 Conclusions
Cette présentation des différents enseignements menés par les quatre enseignants
permet déjà d‟identifier la spécificité du contenu de chacune des pratiques observées. Nous
avons tenté d‟effectuer cette présentation de manière à ce que le lecteur puisse, en amont de
nos comparaisons et nos interprétations, situer le plus précisément possible chaque
enseignement. Ainsi, cette présentation permet de situer à chaque fois :
- les différents enjeux des situations adidactiques mises en place par chaque
enseignant et leurs enchaînements,
- l‟intention didactique sous-jacente mis en scène au travers de ces situations,
- les tâches qui incombent aux élèves et les contraintes qui les orientent
- l‟activité didactique effective du professeur, lorsqu‟il définit les situations,
qu‟il observe l‟activité des élèves, la commente, la régule, l‟arrête pour
institutionnaliser une procédure, qu‟il pénètre plus ou moins le milieu des élèves.
- les différents objets qui organisent le contenu effectif des enseignements, tels
qu‟ils sont mis en jeu en classe
- les articulations entre ces objets, telles qu‟elles sont mises en jeu en classe
Ainsi, cette présentation servira de référence lorsque nous interpréterons les résultats
comparatifs relatifs aux six dimensions du savoir expérientiel organisant le contenu des
194
pratiques. Même si nous proposerons plusieurs schématisations des différentes dimensions
organisant chaque contenu analysé, cette présentation servira de base à l‟intelligibilité
didactique de nos interprétations.
Il s‟agit alors maintenant d‟exposer les premières comparaisons relatives au poids de
l‟expérience personnelle sur le contenu des pratiques.
2. Le poids de l’expérience personnelle : comparaisons macroscopiques
Nous avons construit un cadre d‟analyse du contenu des pratiques d‟enseignement, en
prenant pour point de départ la problématique de l‟expérience personnelle de pratiquant du
professeur. Ce cadre nous a permis de dégager en premier lieu des dimensions transversales
au savoir construit dans cette expérience personnelle. Postulant que ces dimensions pouvaient
être retrouvées dans l‟enseignement effectif en organisant alors singulièrement son contenu,
nous avons identifié, d‟un point de vue théorique, des éléments constitutifs de ces dimensions
dans le didactique. Nous avons alors tenté d‟actualiser ce cadre théorique en outil d‟analyse
empirique des pratiques d‟enseignement. Des indicateurs empiriques ont donc été construits
pour rendre compte des différents éléments constitutifs des six dimensions du savoir
expérientiel. Notre volonté de croiser des démarches d‟analyses quantitative et qualitative
pour identifier le poids de l‟expérience personnelle de l‟enseignant sur le contenu, nous a
notamment conduits à construire des indicateurs quantitatifs nous permettant de comptabiliser
les divers éléments préalablement identifiés d‟un point de vue théorique. Alors, avant
d‟identifier les organisations singulières du contenu des différents enseignements analysés,
195
relativement aux six dimensions du savoir expérientiel, nous voulons proposer une série de
comparaisons macroscopiques. En considérant, dans un premier temps, l‟expérience
personnelle de l‟enseignant comme une variable indépendante à deux modalités, expérience
personnelle prolongée (Ex) ou inexistante (NEx)1, nous voulons identifier les différents
éléments des six dimensions sur lesquels l‟expérience personnelle semble avoir un poids
significatif. Ainsi, notre intention est de caractériser, pour chacune des six dimensions, les
tendances des différents enseignements, lorsqu‟ils sont appuyés ou non par une expérience
personnelle de pratiquant du professeur.
Pour chaque élément constitutif de chaque dimension, nous comparons alors ici les
moyennes, issues de la comptabilisation des indicateurs empiriques, de l‟ensemble des
enseignements (Ex) et de l‟ensemble des enseignements (NEx). La présentation des
comparaisons est effectuée pour chaque dimension sous la forme de diagrammes suivis de nos
premières interprétations. Ces interprétations consistent à dégager les éléments organisateurs
du contenu sur lesquels l‟expérience personnelle de l‟enseignant semble avoir un poids. Nous
identifions alors, sans apporter encore d‟interprétations extérieures au déroulement effectif
des pratiques, les organisations singulières des processus didactiques qui semblent génériques
aux enseignements (Ex) ou (NEx). Cette analyse comparative et interprétative nous permettra
alors, à la fois d‟établir des premières conclusions sur le poids de l‟expérience personnelle et,
à la fois de mettre à l‟épreuve empirique le cadre d‟analyse des pratiques que nous avons
construit. Cette mise à l‟épreuve nous permettra alors de caractériser de manière plus
systémique les différentes dimensions constitutives du savoir expérientiel et, ainsi, de les
identifier en articulation avec des organisations didactiques spécifiques.
2.1 La dimension conceptuelle organisant le contenu
Nous rappelons qu‟il s‟agit ici d‟identifier : la diversité de la structure conceptuelle
(nombre d‟invariants distincts mis en jeu par les enseignants), sa redondance (nombre de fois
où les enseignants mettent en jeu un invariant spécifique), sa finalisation (pourcentage de
mises en jeu d‟un invariant sous la forme de but), sa hiérarchisation (nombre de fois où ils
mettent en jeu un invariant sous la forme de hiérarchie de but, c'est-à-dire au service d‟un
autre invariant), son automatisation (nombre de fois où ils mettent en jeu un invariant sous la
1 Dans cette première série de comparaisons, nous ne prenons pas encore en compte la distinction entre NEx et
NEx*.
196
forme de règle d‟action, c'est-à-dire dans une chaîne de conditions et d‟actions), sa densité
(moyenne pondérée1 de la diversité, la redondance, la hiérarchisation et l‟automatisation).
2.1.1 Résultats quantitatifs
0
5
10
15
20
25
30
35
Invariants distincts
Ex
Nex
0
100
200
300
400
500
600
Mises en jeu
d'invariants
Ex
Nex
0
10
20
30
40
50
60
70
Mises en jeu d'invariants
finalisés
Ex
Nex
0
5
10
15
20
25
30
Mises en jeu d'invariants
hiérarchisés
Ex
Nex
1 Compte tenu des échelles très différentes des différents résultats quantitatifs (diversité, redondance,
hiérarchisation, automatisation), les moyennes établies entre ces résultats doivent être ramenées à une échelle
commune. Cette échelle est calculée à partir de la moyenne de chaque élément identifié, sur l‟ensemble de tous
les résultats (tous les enseignants, toutes les APSA). Chaque moyenne est rapportée à la moyenne générale de
tous les éléments identifiés (=112,75). Ce rapport donne un coefficient propre à chaque élément (diversité =
4,3 ; redondance = 0,29 ; hiérarchisation = 6,23 ; automatisation = 5,61). Chaque résultat spécifique relatif à
chaque élément est donc pondéré par ce coefficient. La densité de chaque structure conceptuelle renvoie donc à
la moyenne pondérée des éléments identifiés.
Graphique 1 : Diversité de la structure
conceptuelle
Graphique 2 : Redondance de la structure
conceptuelle
Graphique 3 : Finalisation de la structure
conceptuelle
(en %)
Graphique 4 : Hiérarchisation de la
structure conceptuelle
197
0
5
10
15
20
25
30
35
Mises en jeu d'invariants
automatisés
Ex
Nex
0
50
100
150
200
Moyenne pondérée
Ex
Nex
2.1.2 Interprétations
La dimension conceptuelle organisant le contenu semble ici être très déterminée par
l‟expérience personnelle de l‟enseignant. De manière totalement linéaire et pour tous les
éléments constitutifs de la dimension, le contenu des enseignements (Ex) et (NEx) diffère
largement.
Dans les enseignements (Ex), la structure conceptuelle s‟avère bien plus diversifiée
que celle des (NEx). De manière générale, dans le déroulement effectif des séances, les
enseignants mettent en jeu bien plus d‟invariants distincts (plus d‟une fois et demie). Ainsi,
comme on peut l‟identifier plus haut, dans les schématisations des structures conceptuelles
(schémas n), dans le processus de transmission des savoirs, le réel de l‟APSA est découpé en
une plus grande diversité d‟objets lorsque les enseignants ont une expérience prolongée. Dans
les enseignements (Ex), les enseignants spécifient davantage les différents invariants qui sont
au cœur des situations. Comme par exemple, « le plaquage » en « être bas », « prendre aux
jambes », « bras ouverts », « accompagner sans lâcher » et « utiliser la vitesse du porteur de
balle », chez P1 en rugby.
La structure conceptuelle s‟avère aussi être bien plus redondante dans les
enseignements (Ex). Dans l‟ensemble des interventions des enseignants, beaucoup plus
d‟invariants (plus de trois fois) sont mis en jeu que dans les (NEx). Ainsi, dans les
enseignements (Ex), les enseignants interviennent beaucoup plus vis-à-vis de l‟ensemble des
objets qui forment le contenu. Qu‟il s‟agisse par exemple de P2 en rugby, qui arrête en
permanence l‟activité des élèves pour revenir sur les éléments positifs et négatifs, ou de P3 en
Graphique 5 : Automatisation de la
structure conceptuelle
Graphique 6 : Densité de la structure
conceptuelle
198
danse qui, en circulant entre les groupes, s‟attache tout le temps à construire les chorégraphies
des élèves dans leurs différents aspects, ou encore, de P1 en rugby qui entre dans de très
longues phases d‟institutionnalisation pour proposer des solutions aux élèves, les
enseignements (Ex) ont tendance a être spécifiés par des interventions didactiques
nombreuses et/ou longues. Ainsi, au travers de ces interventions, les enseignants mettent très
souvent en jeu de nombreux invariants.
La finalisation de la structure conceptuelle est relativement supérieure dans les
enseignements (Ex). Sur l‟ensemble des fois où les enseignants mettent en jeu un invariant,
63% d‟entre eux sont finalisés dans les enseignements (Ex), contre 44% dans les
enseignements (Ex). D‟une manière générale, on peut simplement repérer que dans les (Ex),
les interventions des enseignants ont tendance à prendre une forme plus injonctive qui nous
conduit alors à identifier davantage d‟invariants finalisés. Par exemple, dans la première
séance de danse menée par P3, la majorité de ses interventions prennent la forme, pour les
élèves, de « pas » et de « postures » qu‟il faut effectuer. Ainsi, la structure conceptuelle
semble avoir tendance à être davantage finalisée dans les enseignements (Ex). Pour autant, il
nous semble que cet indicateur est complexe à actualiser de manière empirique. Car, la
spécificité de chaque invariant le conduit déjà à être finalisé de manière intrinsèque. Par
exemple « être en rythme » et « les battements de jambes » ne peuvent être semblables face à
la finalisation, puisqu‟ « être en rythme » constitue déjà explicitement un but. De même la
manière dont l‟enseignant met en jeu un invariant est difficile à identifier à partir d‟une
distinction binaire « finalisé » / « non finalisé ». Cet indicateur nous semble ainsi devoir être
lui-même discuté. Nous ne retenons alors pour l‟instant qu‟un point sur lequel il nous a
permis d‟identifier une distinction (Ex)/(NEx) : dans les enseignements (Ex), les invariants
sont souvent mis en jeu de manière injonctive.
A propos des articulations entre les invariants, la structure conceptuelle s‟avère
beaucoup plus hiérarchisée et automatisée dans les enseignements (Ex). Dans ces
enseignements, les enseignants mettent en jeu beaucoup plus d‟invariants sous la forme de
hiérarchie de buts (plus de trois fois) et de règles d‟actions (plus de quatre fois) que dans les
(NEx). Ainsi, les invariants y sont beaucoup plus souvent mis en jeu sous la forme
d‟articulations entre eux. Les enseignants ont alors davantage tendance à mettre à jour ces
articulations, souvent de manière explicite. Pour exemple, les chaînes de conditions et
d‟actions explicitées par P3 lorsqu‟il enseigne les « pas » et « postures » en danse ; ou encore,
l‟insistance de P2 en rugby sur les conditions de l‟activité des élèves (« au contact » ou « le
surnombre ») et sur les actions à mettre en œuvre en conséquent (« garder, protéger »,
199
« passer » ou « jouer large ») ; ou, d‟une autre manière, l‟articulation hiérarchique entre les
invariants mis en jeu par P4 en natation, lorsque faire des « mouvements de bras » « lents »,
« aller droit » et avoir une « respiration » adéquate ont explicitement pour fonction de
« réduire les cycle de bras ». Ainsi, ces formes de mises en jeu d‟invariants s‟avèrent
beaucoup moins fréquentes dans les enseignements (NEx), notamment dans les
enseignements de danse menés par P4 ou ceux de basket menés par P3.
Pour conclure, la structure conceptuelle, qui s‟avère bien plus dense (près de trois fois)
dans les enseignements (Ex) que dans les (NEx), nous semble révéler de manière synthétique
la spécificité de la dimension conceptuelle organisant le contenu de ces différents ensembles
d‟enseignement. Le contenu des enseignements (Ex) est organisé par une grande diversité
d‟objets, mis en jeu de nombreuses fois et très articulés entre eux. Ainsi, ces enseignements
sont beaucoup plus denses d‟un point de vue conceptuel que ceux (NEx). Par exemple, quand
P2 en rugby met en jeu 888 fois 39 invariants distincts et les articulent 27 fois sous une forme
hiérarchisée et 70 fois sous une forme automatisée, P4 en basket met en 94 fois 17 invariants
en les articulant respectivement 5 et 1 fois.
2.2 La dimension signifiante organisant le contenu
Nous rappelons qu‟il s‟agit ici d‟identifier : l’importance de la dimension signifiante
(nombre de signifiants ayant un intérêt didactique dans le processus de conceptualisation de
l‟APSA), l’appartenance institutionnelle des signifiants (nombre de signifiants identifiés
appartenant aux champs lexicaux de l‟APSA, du groupe de l‟APSA ou autres) et
l’importance de la référence institutionnelle (nombre de signifiants renvoyant aux
contextes de l‟APSA ou du groupe de l‟APSA).
200
2.2.1 Résultats quantitatifs
0
20
40
60
80
100
120
Signifiants
Ex
Nex
0
1
2
3
4
5
6
7
8
Contextes de
l'APSA
Contextes du
groupe
Ex
Nex
0
10
20
30
40
50
60
70
APSA Groupe Autres
Ex
Nex
2.2.2 Interprétations
La dimension signifiante organisant le contenu semble être ici particulièrement
déterminée par l‟expérience personnelle. Pour la plupart des éléments constitutifs de la
dimension et de manière relativement linéaire, le contenu des enseignements (Ex) et (NEx)
diffère largement.
Dans les enseignements (Ex) la dimension signifiante s‟avère plus importante que
dans les (NEx). D‟une manière générale, les enseignants y mettent en jeu une plus grande
diversité de signifiants ayant un intérêt didactique dans le processus de conceptualisation de
l‟APSA enseignée. Tous champs lexicaux confondus, les enseignements (Ex) s‟appuient sur
une dimension verbale, relative aux invariants préalablement identifiés, plus diversifiée.
Graphique 7 : Importance de la dimension
signifiante
Graphique 8 : Importance de la référence
institutionnelle
Graphique 9 : Appartenance institutionnelle des signifiants
201
Ainsi, d‟une part, comme nous l‟avons révélé par rapport à la redondance de la structure
conceptuelle, les enseignements (Ex) sont spécifiés par des interventions didactiques
nombreuses et/ou longues. D‟autre part, le contenu de ces interventions s‟appuie aussi sur une
plus grande diversité d‟invariants. Alors, ces interventions nombreuses, longues et diversifiées
sont propices à la mise en jeu en classe d‟une plus grande diversité de signifiants, pour
transmettre ces invariants. Encore une fois, qu‟il s‟agisse de P2 en rugby, de P3 en danse ou
de P1 en rugby, les interventions didactiques incessantes donnent lieu à des explicitations
nombreuses et diverses.
Mais, l‟appartenance institutionnelle des signifiants semble permettre de préciser la
spécificité de cette dimension signifiante dans les deux ensembles d‟enseignements (Ex) et
(NEx). En effet, les signifiants appartenant aux champs lexicaux des APSA enseignées sont
bien plus nombreux (près de deux fois et demie) dans les enseignements (Ex). Les signifiants
appartenant aux champs lexicaux des groupes d‟APSA dont font partie les APSA enseignées
ou à d‟autres champs lexicaux spécifiques sont, certes, plus nombreux dans les enseignements
(Ex) que dans les (NEx) (respectivement moins et plus d‟une fois et demie). Toutefois, c‟est
bien une verbalisation propre à l‟APSA enseignée qui spécifie le plus les enseignements (Ex)
par rapport aux (NEx). Par exemple, dans les enseignements (NEx) menés par P4 en danse, on
peut identifier 90 signifiants appartenant à des champs lexicaux spécifiques, comme celui de
l‟espace et ses directions (« différentes directions », « trajectoires », « dispersés », « sur le côté », « à
gauche », « à droite », « en avant », « vers l‟arrière », « oblique », « en profondeur », « à l‟arrêt », « diagonale »)
ou celui des différents sports (« un match », « le rugby », « cadrage/débordement », « taper une pénalité »,
« les buteurs », « une chandelle », « plaquer », « une touche », « le foot », « attraper un ballon », « le frapper »,
« un tir », « le combat », « la Capoeira », « un coup de poing », « de pied », « la gym »). En revanche, on ne
peut identifier que 5 invariants spécifiques à la danse, comme « les éléments de la chorégraphie »
ou « exprimer des verbes d‟action ». Dans les enseignements (Ex) de danse menés par P3, on
identifie 90 invariants appartenant à des champs lexicaux spécifiques, les mêmes que P4 pour
une majorité d‟entre eux. Mais on en identifie 21 appartenant à celui de la danse, comme « les
Phases », « le Tomas », « la Coupole », « les Passe-passe », « les Free », « les Trax », « la New style », « le
Pump », « la Vague », « le Break », « les pas de prépa », « Top rock », « le Sixsteps », « le Canard boiteux ».
L‟importance de la référence institutionnelle est elle aussi très différente dans les
enseignements (Ex) et (NEx), particulièrement en ce qui concerne les signifiants renvoyant
aux contextes spécifiques des APSA enseignées. Les enseignements (Ex) sont organisés à
partir de beaucoup plus de ces signifiants (près de trois fois) que les (NEx). En ce qui
concerne les signifiants renvoyant aux contextes du groupe de l‟APSA enseignée, ce sont les
202
enseignements (NEx) qui en compte légèrement plus. Ainsi, dans les enseignements (Ex),
lorsqu‟il s‟agit de verbaliser les contextes culturel, historique, matériel, spatio-temporel et
didactique de l‟APSA, les enseignants utilisent davantage de signifiants distincts. Pour
reprendre l‟exemple des deux enseignements de danse analysés, P3 met en jeu une dizaine de
signifiants, renvoyant principalement aux contextes culturels et historiques de la danse hip-
hop (« Matt Pokora » - « les cinq piliers de la culture hip-hop » - « la danse hip-hop » - « le Rap » - « le RnB » » -
« le Graf » - « le Djing » - « le Beatbox » - « Saïan supa crew » - « Angéla »), alors que P4 n‟en met qu‟un
seul en jeu, renvoyant au contexte didactique (« le jeu du chef d‟orchestre »). Toutefois, les
enseignements (NEx) s‟appuie sur une assez grande diversité de signifiants renvoyant aux
contexte du groupe de l‟APSA, comme P2 en basket qui en met en jeu une douzaine, renvoyant
principalement aux contextes matériels, spatio-temporel et didactique (« le ballon », « le terrain », « le
coup d‟envoi », « le match », « la ligne médiane », « la passe à 10 », « le chasuble », « l‟équipe adverse », « le
remplaçant », « les limites du terrain », « l‟arbitre », « le joker »).
Ainsi, la dimension signifiante organisant le contenu est déterminée par l‟expérience
personnelle du professeur, dans la mesure où celui-ci semble avoir tendance à verbaliser
davantage et plus spécifiquement l‟APSA enseignée, que cette verbalisation contribue à
conceptualiser celle-ci ou à la situer dans les contextes institutionnels qui la définissent.
2.3 La dimension corporelle organisant le contenu
Nous rappelons qu‟il s‟agit ici d‟identifier : l’importance des sensations (nombre de
sensations, soit le nombre de fois où les enseignants utilisent chacune des cinq procédures
didactiques identifiées comme vecteur de sensations), l’importance des repères sensoriels
(nombre de repères sensoriels extéroceptifs et proprioceptifs mis en jeu par les enseignants) et
l’importance de la référence corporelle (nombre de signifiants appartenant au champ lexical
du corps, dans leur diversité (nombre de signifiants distincts) et leur récurrence (nombre de
fois où ils en mettent un en jeu))
203
2.3.1 Résultats quantitatifs
0
20
40
60
80
100
120
140
Sit. Démo. Manip. Att. sens. Rem. sens.
Ex
Nex
0
10
20
30
40
50
Ext. Prop.
Ex
Nex
0
20
40
60
80
100
120
140
160
Diversité Récurrence
Ex
Nex
2.3.2 Interprétations
La dimension corporelle organisant le contenu semble être ici très déterminée par
l‟expérience personnelle. De manière linéaire et pour la plupart des éléments constitutifs de la
dimension, le contenu des enseignements (Ex) et (NEx) diffère largement.
En ce qui concerne les sensations transmises au travers de cinq procédures didactiques
identifiées, on peut repérer un élément stable qu‟il s‟agisse des enseignements (Ex) ou (NEx) :
en classe, ce sont les démonstrations corporelles de l‟enseignant qui organisent le plus la
dimension corporelle. Les autres procédures s‟avèrent beaucoup plus rares. Vis-à-vis des
manipulations, des attentions sensorielles et des remédiations sensorielles, les enseignements
(Ex) et (NEx) sont presque identiques. Ainsi, plus précisément, la remédiation sensorielle, par
Graphique 10 : L’importance des sensations
Graphique 11 : L’importance des repères
sensoriels
Graphique 12 : L’importance de la référence
corporelle
204
un aménagement spécifique du milieu de l‟élève, est une procédure didactique presque
inexistante (une seule sur l‟ensemble de tous les enseignements). La manipulation du corps de
l‟élève se fait aussi très rare (environ deux en moyenne dans les enseignements (Ex) et
(NEx)). L‟attention sensorielle, qui est strictement aussi fréquente dans les différents
enseignements, est légèrement plus utilisée par les enseignants (environ cinq fois en
moyenne). Par exemple, dans les enseignements de danse menés par P4, lorsque les élèves
doivent marcher « en rythme », celui-ci les arrête parfois en leur demandant de porter leur
attention sur ce rythme (« écoutez ! » (S1)) ; ou encore, dans les enseignements de rugby
menés par P2, celui-ci arrête les élèves en plein jeu pour leur demander de porter leur
attention visuelle sur la situation objective (« Stop, stop, stop, stop… on regarde » (S2)). En
ce qui concerne la transmission de sensations par l‟intermédiaire de situations adidactiques
(dans lesquelles l‟intention didactique du professeur est marquée par l‟importance des
sensations), les enseignements (Ex) et (NEx) diffèrent largement. Bien que les moyennes ne
dépassent pas deux objets sur lesquels les enseignants arrêtent leur intention didactique à
propos des sensations, les résultats obtenus sont largement supérieurs (dix fois) dans les
enseignements (Ex). Ainsi, par exemple, P1 en natation, à propos de la « glisse » et des
« mouvements de bras crawlés », insiste sur les sensations sous-jacentes aux situations mises
en place : « ils sentaient vraiment le… je suis bloqué devant, j’ai la glisse… » (PS1) ; « sentir
davantage la gestuelle, l’efficacité de la propulsion des bras » (PS2). Pour finir sur les
sensations, on peut identifier une principale distinction entre (Ex) et (NEx) au niveau de
l‟utilisation de la démonstration corporelle. Bien que celle-ci soit toujours de loin la procédure
didactique la plus utilisée pour mettre en jeu des sensations, elle s‟avère beaucoup plus
fréquente (plus de cinq fois) dans les enseignements (Ex) que dans les (NEx). Cette
distinction semble venir du fait que dans les (Ex), le nombre de démonstrations portant sur un
objet déterminé s‟avère extrêmement élevé, puisque sur trois séances, on peut identifier en
moyenne 136 démonstrations. Ainsi, par exemple, lorsqu‟en danse, P3 construit des « pas »
que les élèves doivent reproduire et intégrer, il s‟agit en fait d‟une très longue série de
démonstrations incessantes ; ou, lorsqu‟en rugby, P2 joue avec les élèves et arrête l‟activité en
permanence, des démonstrations corporelles s‟enchaînent presque continuellement. Il semble
ainsi que dans les enseignements (Ex), les enseignants, en pénétrant totalement le milieu des
élèves, engagent corporellement leur activité didactique au travers de très nombreuses
démonstrations.
La mise en jeu de repères sensoriels s‟avère aussi beaucoup plus importante dans les
enseignements (Ex). On peut identifier dans ces enseignements beaucoup plus de repères
205
sensoriels extéroceptifs (près de deux fois) et proprioceptifs (plus de deux fois) que dans les
enseignements (NEx). Dans les enseignements (Ex), les enseignants ont tendance à arrêter
fréquemment l‟activité perceptive des élèves sur des états ou des modifications spécifiques de
l‟environnement ou, encore davantage, de leur propre corps. Par exemple, P1 en rugby, à
propos du « plaquage », insiste fréquemment sur les zones du corps de l‟élève attaquant sur
lesquelles le plaqueur doit orienter sa perception (« il faut la prendre là » (S1)). En natation,
P1 insiste alors de manière plus récurrente sur les états relatifs des différents segments
corporels des élèves sur lesquels ils doivent arrêter leur perception (« on verrouille les bras
comme ça » (S1)). Ainsi, les repères sensoriels ne sont pas inexistants dans les enseignements
(NEx), mais ils demeurent une composante privilégiée du contenu des enseignements (Ex).
La référence corporelle, identifiée au travers des signifiants appartenant au champ
lexical du corps, s‟avère aussi beaucoup plus diversifiée et récurrente dans les enseignements
(Ex). On peut y identifier beaucoup plus de signifiants distincts (près de deux fois) que dans
les enseignements (NEx) ; lesquels sont aussi mis en jeu davantage de fois (plus d‟une fois et
demie). La verbalisation du corps est ainsi beaucoup plus fréquente et diversifiée dans les
enseignements (Ex). Par exemple, en danse, P3 fait 223 fois référence à : « la tête », « les bras »,
« les pieds », « le bassin », « les mains », « les pectoraux », « les épaules », « les jambes », « les genoux », « le
cul », « les talons », « les hanches », « les cheveux », « le poing », « les côtes », « les coudes ». De son côté,
en danse, P4 fait référence 8 fois à : « le dos », « les genoux », « le visage », « la bouche », « les bras »,
« les mains ».
Ainsi, l‟expérience personnelle du professeur semble largement peser sur la dimension
corporelle organisant le contenu. D‟une part, cette expérience le conduit à faire du corps un
élément central du contenu transmis, au travers de sensations, de repères sensoriels et de
signifiants renvoyant au champ lexical du corps. D‟autre part, elle semble aussi le conduire à
pénétrer corporellement le milieu de l‟élève et à faire ainsi de cette dimension corporelle un
organisateur fondamental de ce contenu.
206
2.4 La dynamique situationnelle/représentationnelle
organisant le contenu
Nous rappelons qu‟il s‟agit ici d‟identifier : la prépondérance des dimensions
situationnelle et représentationnelle dans les interventions de l‟enseignant (pourcentages
d‟interventions centrées sur la singularité de la situation, sur des éléments génériques
constitutifs de l‟activité enseignée ou sur leur articulation) et l’importance des processus
inférentiels (nombre de processus inférentiels mis en jeu par les enseignants), au travers des
enchaînements de situations (nombre de réinvestissements à l‟identique, direct, indirect
explicite et indirect implicite des invariants sous-jacents aux situations adidactiques) et du
discours analogique de l’enseignant (nombre d‟analogies internes et externes à l‟institution
classe effectuées par les enseignants).
2.4.1 Résultats quantitatifs
0
10
20
30
40
50
Sit. Rep. Sit./Rep.
Ex
Nex
0
2
4
6
8
10
12
14
Ident. Direct Ind. exp. Ind. imp.
Ex
Nex
Graphique 13 : La prépondérance des dimensions situationnelle et représentationnelle (en %)
Graphique 14 : L’importance des processus inférentiels : Réinvestissements
207
0
2
4
6
8
10
12
14
Internes Externes
Ex
Nex
2.4.2 Interprétations
La dynamique situationnelle/représentationnelle organisant le contenu semble être ici
particulièrement déterminée par l‟expérience personnelle. Pour la plupart des éléments
constitutifs de la dimension, le contenu des enseignements (Ex) et (NEx) s‟organisent
différemment.
Dans les interventions didactiques des enseignants, les dimensions situationnelles et
représentationnelles s‟avèrent très différemment réparties. Les interventions centrées sur la
situation objective dans laquelle se trouvent les élèves sont plus nombreuses (plus d‟une fois
et demie) dans les enseignements (NEx). Celles centrées sur les éléments génériques
constitutifs de l‟APSA enseignées sont équivalentes dans les deux ensembles
d‟enseignements. Enfin, les interventions articulant ces deux dimensions sont plus
nombreuses (près de deux fois) dans les enseignements (Ex). Ainsi, dans les enseignements
(NEx), près de la moitié des interventions des enseignants renvoient à des constats ou des
injonctions relatives aux situations dans lesquelles se trouvent les élèves. Par exemple, dans
les enseignements de basket menés par P3, lorsqu‟il observe et commente l‟activité des élèves
engagés dans des matchs, ses interventions prennent la forme suivante : « lève la tête » (S1)
ou « Romain, t’es statique ». En revanche, dans les enseignements (Ex), la majorité des
interventions qui renvoient à de tels constats ou injonctions sont articulés avec une
explicitation des principes constitutifs de l‟APSA. Par exemple, dans les régulations
effectuées par P1 en rugby, ces interventions prennent la forme suivante : « c’est quoi le but
du jeu en rugby… c’est avancer… alors qu’est ce que t’attends Béné » (S1). Si cette
Graphique 15 : L’importance des processus inférentiels : Analogies
208
articulation n‟est pas toujours aussi explicite, elle demeure prépondérante dans les
enseignements (Ex), mettant ainsi implicitement en jeu des processus inférentiels dans le
contenu même des interventions des enseignants.
Les processus inférentiels, identifiés au travers des réinvestissements d‟invariants
sous-jacents aux situations par l‟intermédiaire des enchaînements entre ces situations, sont,
d‟une manière générale plus nombreux dans les enseignements (Ex). Les enseignants y
proposent davantage (plus d‟une fois et demie) de réinvestissements d‟invariants que dans les
enseignements (NEx). Pourtant, l‟ensemble de tous les enseignements est composé d‟un
nombre de situations très proche (environ 15 en moyenne pour les (Ex) et 13 pour les (NEx))1.
Ainsi, ce sont plutôt la diversité des invariants sous-jacents à ces situations et la logique des
enchaînements entre ces situations qui spécifient les enseignements (Ex) et (NEx). Il s‟agit
alors d‟identifier plus précisément ces enchaînements, au travers des réinvestissements
spécifiques des invariants. Ainsi, les réinvestissements d‟invariants « à l‟identique » sont
quasiment aussi nombreux dans les (Ex) et (NEx). Les enseignants proposent presque autant
de situations strictement identiques, mettant en jeu les invariants de manière identique, au fil
des séances. En revanche, les trois autres types de réinvestissements sont autrement plus
nombreux dans les enseignements (Ex). Les réinvestissements « directs », « indirects
explicites » et « indirects implicites » y sont plus abondants (respectivement, plus d‟une fois
et demie, plus de deux fois et plus d‟une fois et demie) que dans les enseignements (NEx).
L‟analyse des situations, croisée avec celle de l‟intention didactique des enseignants, nous a
amené à identifier 13 invariants sous-jacents aux situations en moyenne dans les
enseignements (Ex) et 8 dans les (NEx). Ainsi, la plus grande diversité de ces invariants dans
les enseignements (Ex) amène à identifier plus de réinvestissements. Mais la spécificité de ces
réinvestissements met aussi à jour des logiques d‟enchaînements entre situations différentes.
En ce qui concerne les réinvestissements « indirects implicites », on peut déjà remarquer que
les enseignements (Ex) sont organisés par un plus grand nombre de situations « globales de
référence ». Nous reviendrons sur ce point dans la partie consacrée à la globalité des
situations. Mais on peut déjà noter qu‟en proposant davantage de situations globales, ne
mettant en jeu aucun aménagement qui dirigerait l‟activité des élève vers un réinvestissement
plus explicite, le nombre de réinvestissements « indirects implicites » est plus grand que dans
les enseignements (NEx). Ensuite, en ce qui concerne les réinvestissements « directs » et
« indirects explicites », ils sont plus nombreux dans les (Ex) compte tenu de la façon dont les
1 Ces nombres prennent en compte les modifications du milieu effectuées par les enseignants, puisque ces
derniers sont comptabilisés dans les réinvestissements.
209
situations s‟enchaînent spécifiquement. D‟une part, beaucoup des situations successives
renvoient à de légers réaménagements du milieu ; souvent à partir d‟une seule variable. Par
exemple, P2 en rugby enchaîne des séries de progressions vers la cible, dans lesquelles les
élèves doivent franchir la défense en 2 contre 1 sans choix, puis avec choix, puis en 3 contre
1, en 3 contre 2, avec des zones de franchissements plus ou moins larges et/ou profondes. De
même, dans les enseignements (Ex), les enseignants ont tendance à davantage proposer de
légères modifications du milieu à l‟intérieur même des situations didactiques. Par exemple, en
natation, P4, dans une situation où l‟enjeu est l‟articulation entre « l‟horizontalité » et « la
respiration », au regard de l‟activité des élèves, leur impose un temps de respiration. D‟autre
part, dans les enseignements (Ex), les enseignants tendent parfois à privilégier des
enchaînements de situations « globales » et « aménagées ». Nous y reviendrons encore une
fois dans la partie consacrée à la globalité des situations. Mais retenons que cette alternance,
précisément dans la succession entre une situation aménagée très spécifique et une situation
relativement globale, favorise les réinvestissements « indirects explicites ». Par exemple,
l‟alternance des situations mises en place par P1 en natation, entre des situations aménagées et
des situations de nage complète, nous semble ainsi favoriser le réinvestissement d‟invariants
de manière « indirecte », puisqu‟il s‟agit de situations non aménagées en vue de ces
invariants, mais « explicite », puisqu‟il s‟agit explicitement de centrer son attention sur ce qui
vient d‟être pointé dans la situation précédente.
Les processus inférentiels, identifiés au travers des analogies effectuées par les
enseignants en classe, sont plus nombreux dans les enseignements (Ex). Dans ces
enseignements, les enseignants usent beaucoup plus d‟analogies dans leur discours que dans
les (NEx). Qu‟il s‟agisse d‟analogies internes à l‟institution classe, faisant référence à ce qui a
déjà émergé en classe, ou d‟analogies externes, faisant référence à des éléments extrinsèques,
souvent sous la forme de comparaisons et de métaphores, les enseignants, dans les
enseignements (Ex) usent beaucoup plus (respectivement plus de deux fois et demie et plus de
deux fois) de ce procédé. Ainsi, par exemple, vis-à-vis des analogies internes, dans les deux
dernières séances de danse menées par P3, lorsqu‟il circule entre les groupes qui construisent
leurs chorégraphies, celui-ci insiste largement sur la possibilité pour les élèves de prendre en
compte les « pas » qui ont déjà été mis en jeu antérieurement : « vous pouvez faire les pas
comme on avait vu » (S2) ou « vous vous rappelez des choses au sol » (S3). D‟une autre
manière, à propos des analogies externes, en rugby, lorsque P1 observe et commente l‟activité
des élèves, il réfère souvent la situation objective de l‟élève à des éléments extérieurs à la
classe de rugby ; parfois sous la forme de comparaison avec d‟autres activités (« c’est comme
210
tous les autres jeux avec un ballon… » (S1)) ou d‟autres lieux de pratique (« si vous regardez
bien à la télé au rugby, quand ils engagent… » (S3)), parfois sous la forme de métaphores
diverses (« je la prends pas du bout des doigts, merci très cher… » (S3)).
Ainsi, la dynamique situationnelle/représentationnelle organisant le contenu semble
être très déterminée par l‟expérience personnelle de l‟enseignant. Cette expérience semble
conduire les enseignants à favoriser les processus inférentiels ; cela en articulant les aspects
des situations objectives dans lesquelles sont engagés les élèves avec ceux qui constituent de
manière générique les APSA enseignées, lorsqu‟ils régulent leur activité ; en enchaînant des
situations, dans une logique de progression spécifique, au travers de laquelle les différents
objets sous-jacents sont potentiellement réinvestis de manière relativement « directe » et/ou
« explicite » ; en insistant sur les analogies pouvant être établies entre les objets mis en jeu
dans les interventions didactiques et ces mêmes objets considérés dans des espaces-temps
distincts. Ainsi, l‟expérience personnelle conduit les enseignants à proposer un contenu
dynamique au travers duquel les différents objets s‟articulent dans des contextes divers, mais
généralisables, et des temporalités enchevêtrées.
2.5 La part d’initiative organisant le contenu
Nous rappelons qu‟il s‟agit ici d‟identifier : l’importance des choix potentiels dans
les situations (pourcentages de tâches dans lesquelles les élèves n‟ont aucun choix (0), un
nombre de choix dénombrable (n) ou indénombrable (∞)) et l’importance des choix
potentiels dans les interactions (nombre d‟interventions dont l‟objet est un choix potentiel :
plusieurs solutions, une solution et sa non exclusivité, le but et la nécessité de faire un choix,
une bonne solution qui est un choix potentiel).
211
2.5.1 Résultats quantitatifs
0
10
20
30
40
50
60
0 n ∞
Ex
Nex
0
1
2
3
4
5
Solutions Sol. + Choix But + Choix Sol. = Choix
Ex
Nex
2.5.2 Interprétations
La part d‟initiative organisant le contenu semble être ici relativement déterminée par
l‟expérience personnelle. Pour les différents éléments constitutifs de la dimension, mais de
manière non linéaire, le contenu des enseignements (Ex) et (NEx) s‟organise différemment.
L‟importance des choix potentiels dans les situations, identifiée au travers des tâches
définies par les enseignants lorsqu‟ils engagent les élèves dans des situations adidactiques,
s‟organise légèrement différemment dans les enseignements (Ex) et (NEx). Les tâches qui
incombent aux élèves, telles qu‟elles sont explicitées par les enseignants avec eux, sous-
tendent des choix potentiels d‟une manière relativement différente. Dans les enseignements
Graphique 16 : L’importance des choix potentiels dans les situations (en %)
Graphique 17 : L’importance des choix potentiels dans les interactions
212
(Ex), la majorité des tâches définies par les enseignant ne laissent aucun choix aux élèves
pour atteindre les buts déterminés. Dans les enseignements (NEx), la majorité des tâches
ouvrent plutôt une infinité de choix pour les élèves. Les tâches définies mettant en jeu un
nombre de choix dénombrables s‟avèrent relativement rares dans les deux ensembles
d‟enseignements. Ainsi, même si la répartition des tâches (0) et (∞) ne diffèrent pas
énormément dans les enseignements (Ex) et (NEx), une légère différence nous semble
spécifier les enseignements (Ex). D‟une manière générale, dans ces enseignements, les tâches
explicitées par les enseignants, et donc les buts que les élèves sont censés devoir atteindre, ont
tendance, au travers des phases de définition, à tendre très souvent vers une impossibilité pour
les élèves de faire un choix des moyens à mettre en œuvre. En effet, on peut remarquer, dès
lors que les enseignants explicitent les buts censés organiser les conduites des élèves, une
sorte de « glissement » : les moyens à mettre en œuvre pour atteindre les buts déterminés sont
progressivement présentés comme des sous-buts à atteindre, effaçant ainsi souvent toute
possibilité pour les élèves de faire un choix pour accomplir la tâche définie. Par exemple, P4,
en natation, dans la deuxième situation de la deuxième séance, commence par définir la tâche
suivante : « deux fois 25m… on va compter le nombre de cycles de bras… il faut essayer d’en
faire moins au retour ». Mais, il enchaîne alors : « des battements très actifs, jambes tendues
pour utiliser le moins possible les bras ; on va chercher loin devant et on garde la tête dans
l’eau parce que si on lève la tête on se redresse et donc on a du mal à avancer ; il faut rester
le plus droit possible… le mur ça vous aide à faire une longueur sans utiliser les bras, donc
utilisez le mur ». On voit ainsi que le but à atteindre pour les élèves, qui était au départ « faire
le moins de cycles de bras possibles » et laissait ainsi aux élèves le choix potentiel des
moyens à mettre en œuvre, a glissé, au travers du discours de l‟enseignant, en « faire des
battements de jambes actifs, jambes tendues, chercher loin devant, garder la tête dans l‟eau,
rester droit, utiliser le mur ». Ainsi, ce glissement semble être relativement spécifique aux
enseignements (Ex). Il prend d‟ailleurs parfois une forme très directe, comme chez P1 en
rugby : « le but du jeu c’est quoi… c’est j’envoie mon ballon avec deux mains, je l’attrape
avec deux mains ».
L‟importance des choix potentiels dans les interactions, identifiée au travers des
interventions des enseignants ayant pour objet un choix potentiel, s‟organise très
différemment dans les enseignements (Ex) et (NEx). Les quatre types d‟interventions mettant
en jeu un choix potentiel y sont très différemment utilisés par les enseignants. Si les
interventions dans lesquelles les enseignants proposent une ou plusieurs solutions et
soulignent l‟existence d‟autres bonnes solutions sont presque aussi nombreuses dans les (Ex)
213
et les (NEx), les trois autres types d‟intervention sont très différemment mises en jeu. D‟une
part, les interventions dans lesquelles les enseignants proposent simplement plusieurs bonnes
solutions et celles dans lesquelles ils institutionnalisent une bonne solution qui relève elle-
même de la nécessité de faire un choix, sont beaucoup plus nombreuses (plus de cinq fois)
dans les enseignements (Ex). Il nous semble ainsi que dans ces enseignements, lorsque les
enseignants proposent un choix aux élèves, ils le verrouillent toutefois, en limitant les
modalités du choix ou en édifiant ce choix comme un objet institué. Par exemple, P3 en
danse, lorsqu‟il régule l‟activité des élèves construisant leurs chorégraphies, intervient
souvent en proposant un ensemble fermé de plusieurs solutions : « vous pouvez démarrer dos
au public ou face au public » (S2) ; « ça serait bien que vous commenciez en ligne ou en
triangle » (S2) ; « j’aimerai voir des trucs qu’on a vu… des pas de prépa debout… des sauts
comme ça… celui-là aussi… celui-là en avançant » (S3). De son côté, P2 en rugby, insiste sur
la nécessité de faire un choix entre deux solutions déterminées pour être efficace : « suivant
où c’est qu’elle vient jouer, vous devez faire le choix soit de rester dans cette zone là, soit
d’aller là bas » (S1) ; « à nous de faire les bons choix au bon moment maintenant » (S3).
D‟autre part, les interventions dans lesquelles les enseignants insistent simplement sur le but
et la possibilité de faire un choix, sans que des solutions soient identifiables, sont beaucoup
plus nombreuses (près de trois fois) dans les enseignements (NEx). Par exemple, P4 en danse,
lorsqu‟il régule l‟activité des élèves construisant leurs chorégraphies, intervient souvent en
laissant tous les choix aux élèves : « comme vous voulez » (S2) ; « vous faîtes ce que vous
voulez » (S3).
Ainsi, la part d‟initiative organisant le contenu semble être relativement déterminée
par l‟expérience personnelle de l‟enseignant. Cette expérience personnelle conduit les
enseignants à verrouiller les choix potentiels des élèves et donc leur initiative. D‟une part,
lorsqu‟ils explicitent les tâches qui incombent aux élèves, elle semble les amener à effectuer
des glissements entre les buts à atteindre et les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre,
transformant ces derniers en sous-buts et amputant ainsi sur leur possibilité de faire des choix.
D‟autre part, elle semble encore davantage les conduire à proposer, lors des interactions, des
choix potentiels aux élèves à l‟intérieur d‟un cadre délimité.
214
2.6 L’organisation globale du contenu
Nous rappelons qu‟il s‟agit ici d‟identifier : l’importance des articulations
systémiques (nombre d‟articulations entre invariants : hiérarchisations, automatisations,
réinvestissements, analogies), la globalité des situations (pourcentages des différents types
de situations : globale, fragmentée, aménagée, fragmentée et aménagée, décomplexifiée) et la
globalité de l’émergence des invariants (pourcentages de séries plus ou moins longues
d‟invariants distincts (de un à dix) identifiables dans la chronogenèse des invariants mis en
jeu successivement dans chaque séance).
2.6.1 Résultats quantitatifs
0
20
40
60
80
100
120
140
Articulations
Ex
Nex
0
5
10
15
20
25
30
35
40
Glob. Frag. Amén. Frag. et
Amén.
Décomp.
Ex
Nex
Graphique 18 : L’importance des articulations systémiques
Graphique 19 : La globalité des situations (en %)
215
0
5
10
15
20
25
30
35
40
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10+
Ex
Nex
2.6.2 Interprétations
L‟organisation globale du contenu semble être ici très déterminée par l‟expérience
personnelle. Pour l‟ensemble des éléments constitutifs de la dimension, et de manière
relativement linéaire, le contenu des enseignements (Ex) et (NEx) s‟organise différemment.
Les articulations systémiques entre les invariants s‟avèrent beaucoup plus nombreuses
(plus de deux fois et demie) dans les enseignements (Ex) que dans les (NEx). L‟ensemble de
ces articulations renvoie à la fois aux hiérarchies de buts et aux règles d‟action articulant
plusieurs invariants distincts et, à la fois, aux enchaînements de situations et aux analogies
articulant des mêmes invariants dans des cadres spatiotemporels distincts. Dans la mesure où
l‟on a déjà montré que chacune de ces articulations, prise singulièrement, s‟avérait plus
nombreuse dans les enseignements (Ex), il est évident que, prises ensemble, elles s‟avèrent
aussi plus importantes. Toutefois, ce regard plus général sur les articulations systémiques
permet de spécifier le contenu des enseignements (Ex) par rapport aux (NEx). En effet, au
travers d‟une diversité d‟objets articulés entre eux dans une diversité de contextes articulés
entre eux, le contenu des enseignements (Ex) forme davantage une organisation complexe qui
nous semble participer à la préservation de la globalité du réel de l‟APSA enseignée. Ainsi,
par exemple, P2 en rugby, au travers de nombreuses hiérarchisations d‟invariants, de très
nombreuses automatisations d‟invariants, de très nombreux réinvestissements et de
nombreuses analogies, propose un contenu organisé par une grande complexité d‟objets
enchevêtrés.
Graphique 20 : La globalité de l’émergence des invariants (en %)
216
La globalité des situations organise aussi différemment le contenu des enseignements
(Ex) et (NEx). En identifiant chaque type de situation, plusieurs éléments se dégagent. Tout
d‟abord, les situations « globales » s‟avèrent bien plus récurrentes (près de trois fois) dans les
enseignements (Ex) que dans les (NEx). Ces situations, renvoyant aux « situations globales de
référence » non fragmentées et non aménagées sont mêmes les plus récurrentes dans les
enseignements (Ex). Par exemple, dans les deux dernières séances de danse menées par P3,
celui-ci propose des situations globales de construction chorégraphique ou d‟interprétation
devant un public qui, de leur absence d‟aménagement, correspondent aux situations globales
auxquelles sont confrontés les chorégraphes et les danseurs dans la pratique sociale de la
danse. P3, lui, dans les situations de construction chorégraphique qu‟il propose en danse,
aménage les situations en décomposant le contenu de la création à partir d‟un nombre de
mouvements spécifiques à construire, eux-mêmes spécifiés en « verbes d’action » ou en
« animaux ». Ensuite, les situations « fragmentées et aménagées » et les situations
« décomplexifiées » s‟avèrent bien plus récurrentes (respectivement plus de trois fois et une
fois et demie) dans les enseignements (NEx) que dans les (Ex) ; alors que les situations
simplement « aménagées » sont beaucoup plus fréquentes (plus de deux fois et demie) dans
les enseignements (Ex). Ainsi, lorsque les enseignants ne mettent pas en place des situations
« globales » intactes, la décomposition de des « situations globales de référence » s‟avère plus
importante dans les enseignements (NEx). Par exemple, lorsque P2 enseigne le rugby, il
propose plusieurs situations renvoyant à des matchs aménagés, parfois fragmentés en
progressions en situation de surnombre. Lorsqu‟il enseigne le basket, la moitié des situations
qu‟il met en place s‟avèrent totalement « décomplexifiées » dans la mesure où elles consistent
en des « passes à dix », des situations d‟apprentissages techniques sans adversaire ou des
progressions vers la cible aménagées par des signaux artificiels pour faire « lever la tête » aux
élèves. Ces situations sont ainsi bien éloignées de la pratique sociale du basketteur. On peut
alors encore remarquer que les situations « fragmentées » sont presque aussi fréquentes dans
les deux ensembles d‟enseignements, mais que dès lors que ces fragments de situation
« globale » sont aménagés, ils deviennent beaucoup plus récurrents dans les enseignements
(NEx). On peut ainsi conclure sur la globalité des situations, en situant l‟ensemble des
situations proposées par les enseignants sur un continuum de désagrégation des « situations
globales de référence » (les situations globales étant les moins désagrégées et les situations
décomplexifiées étant les plus désagrégées). Compte tenu de la récurrence de chaque type de
situations dans les deux ensembles d‟enseignement, les enseignements (Ex) sont alors
organisés par des situations beaucoup plus globales que les enseignements (NEx).
217
La globalité de l‟émergence des invariants s‟avère aussi bien différente dans les
enseignements (Ex) et (NEx). Les séries d‟invariants distincts mis en jeu successivement par
les enseignants en classe s‟y organisent différemment. Les séries d‟un seul, de deux ou de
trois invariants distincts sont plus fréquentes dans les enseignements (NEx), alors que les
séries de quatre, cinq, six, sept, huit, neuf et dix (ou plus) sont plus récurrentes dans les
enseignements (Ex). On peut alors remarquer que la chronogenèse des invariants en classe
prend une forme moins linéaire dans les enseignements (Ex) que dans les enseignements
(NEx). Dans les enseignements (Ex), la mise en jeu consécutive des invariants est davantage
éparpillée, car le contenu des interventions didactiques successives des enseignants s‟avère
plus diversifié dans le temps. D‟une part, comme nous l‟avons vu, les invariants organisant le
contenu sont plus diversifiés dans les enseignements (Ex) et permettent ainsi une mise en jeu
successive plus diversifiée. Mais, d‟autre part, le contenu de chaque intervention semble être
beaucoup moins déterminé par le contenu de l‟intervention qui la précède. Par exemple, dans
la deuxième séance de basket menée par P4, lorsqu‟il régule l‟activité des élèves qui font un
match ou observent, le contenu de ses interventions renvoie uniquement à une alternance
entre « les passes décisives » et « être seul face à la cible ». Ces deux invariants se répètent et
s‟alternent ainsi dans une succession linéaire. En revanche, en natation, dans la deuxième
situation de la première séance menée par P4, lorsqu‟il observe et commente l‟activité des
élèves, il intervient successivement sur « la poussée », « la respiration », « les mouvements de
bras » qui doivent être « loin devant », « la position de la tête » et la nécessité de « réduire les
cycles de bras ». Les différents invariants émergent ainsi dans une progression plus dispersée
qui nous semble participer à une émergence plus globale du contenu.
L‟organisation globale du contenu est alors très déterminée par l‟expérience
personnelle de l‟enseignant. Celle-ci semble en effet conduire les enseignants à proposer un
contenu respectant davantage la globalité du réel de l‟APSA enseignée. Qu‟il s‟agisse de
l‟enchevêtrement des objets au travers de leurs articulations, de la préservation des
« situations globales de référence » au travers d‟une faible décomposition de ces situations en
classe ou de l‟émergence globale des objets au travers d‟une chronogenèse non linéaire, il
nous semble que la complexité de l‟APSA enseignée tend à être davantage respectée dès lors
que les enseignants ont une expérience personnelle dans celle-ci.
218
2.7 Conclusions
Les comparaisons macroscopiques que nous venons de mener nous ont conduits à
proposer un ensemble d‟interprétations relatives au poids de l‟expérience personnelle des
enseignants sur le contenu de leurs pratiques effectives d‟enseignement. Les comparaisons
quantitatives nous ont permis de mettre à jour des tendances, propres aux enseignements
appuyés par une expérience personnelle ou aux autres, que nous avons tenté d‟étayer à partir
d‟exemples précis issus des pratiques analysées. Ces tendances, révélées à partir de notre
cadre d‟analyse spécifique des pratiques d‟enseignement, mettent en exergue des
organisations spécifiques du contenu qui semblent trouver une certaine généricité dans chaque
ensemble d‟enseignements analysés.
Comparativement aux enseignements appuyés par aucune expérience personnelle de
l‟enseignant dans l‟activité enseignée, les enseignements appuyés par une expérience
personnelle prolongée peuvent être spécifiés de la manière suivante :
- Leur contenu est beaucoup plus dense d‟un point de vue conceptuel. Les
enseignants mettent en jeu davantage de fois des objets plus diversifiés et plus articulés entre
eux ; ceci au travers d’interventions didactiques plus longues et plus nombreuses, et,
notamment, plus injonctives.
- Les enseignants verbalisent davantage et plus spécifiquement l‟APSA
enseignée. L‟activité de conceptualisation passe par une verbalisation, elle aussi, plus dense,
mais aussi plus contextualisée relativement à la singularité du « jargon institutionnel » propre
à l‟activité.
- Le corps est davantage un élément central du contenu ; ceci par
l‟intermédiaire de procédures didactiques spécifiques, principalement la démonstration
corporelle, et d’une verbalisation du corps. Les enseignants ont ainsi tendance à pénétrer
davantage corporellement le milieu de l’élève.
- Leur contenu, au travers d‟une valorisation des processus inférentiels, est plus
dynamique. Les objets s‟articulent dans des espaces-temps enchevêtrés, entre la singularité de
chaque situation et la généricité de l‟activité qu‟ils composent. Les enseignants mettent en
œuvre une logique de progression plus ouverte et complexe, mais plus explicite et stratifiée.
- Les enseignants verrouillent davantage les choix potentiels des élèves et leur
laissent ainsi peu d‟initiative dans l‟émergence du contenu ; ceci notamment par un glissement
des moyens en buts dans la présentation explicite des tâches.
219
- Leur contenu respecte davantage la globalité du réel de l‟APSA ; notamment,
les situations mises en place par les enseignants sont plus proches des situations globales
identifiables dans les pratiques sociales et la chronogenèse des objets prend un forme moins
linéaire, plus éparse.
Alors, si cette mise à l‟épreuve empirique de notre cadre d‟analyse nous permet
d‟apporter des éléments de conclusion sur le poids de l‟expérience personnelle, elle nous
conduit aussi à déceler des premières interrelations entre les différentes dimensions, mais
aussi entre ces dimensions organisatrices du contenu et la forme des processus didactiques.
Ces interrelations sont une des deux raisons pour lesquelles une analyse plus fine doit
maintenant être menée. En effet, l‟identification empirique des six dimensions organisant le
contenu, nous a inévitablement amener à identifier des processus didactiques prenant des
formes spécifiques et génériques : des interventions longues, nombreuses et injonctives, une
activité de verbalisation intense, un recours récurrent à des démonstrations corporelles et une
pénétration du milieu de l’élève, une logique de progression ouverte et complexe, explicite et
stratifiée, un verrouillage de l’initiative des élèves, un glissement des moyens en buts dans la
présentation explicite des tâches, un recours à des situations globales et une chronogenèse
non linéaire. Il nous semble alors qu‟au travers de la notion d‟ « organisation du contenu »,
qui définit nos six dimensions dans leur inscription didactique, nous avons précisément
identifié une articulation entre le contenu et la forme des processus didactiques1. Nous
voulons alors poursuivre l‟analyse en prenant pour point de référence les conclusions
auxquelles nous sommes arrivés et en ayant pour intention de nous centrer sur cette
articulation.
Mais une deuxième raison, fondamentale, nous amène à poursuivre l‟analyse de
manière plus fine. Nous avons interprété les résultats comparatifs en faisant référence à des
exemples d‟enseignements précis d‟APSA spécifiques menés par des enseignants singuliers.
Pour autant, les résultats comparatifs présentés ont été établis à partir de moyennes générales
pour les deux ensembles d‟enseignements analysés. Ainsi, dans ces résultats, d‟une part, la
spécificité de l‟APSA n‟a pas été prise en compte. Or, notre cadre d‟analyse décrit des
organisations du contenu et ces organisations sont inévitablement déterminées par cette
spécificité. Une analyse plus fine, intégrant une discussion des différents résultats
1 Cette articulation est un point de mire de la recherche en didactique. « La didactique moderne remet en
question l‟hypothèse d‟indépendance complète entre les méthodes d‟enseignement et les connaissances à
enseigner posée par Comenius. » (Brousseau, 2007).
220
relativement à la spécificité de l‟APSA, s‟avère alors nécessaire. D‟autre part, la singularité
de l‟enseignant, dans son rapport à son expérience personnelle et dans sa logique de sujet
didactique, détermine aussi inévitablement les différentes organisations du contenu des
pratiques d‟enseignement. Cette prise en compte s‟avère elle aussi nécessaire ; mais celle-ci
nécessite d‟avoir accès à d‟autres données, relatives à son point de vue subjectif sur ses
propres pratiques. Ces données sont identifiées dans notre recherche au travers des entretiens
post-séances et d‟après-coup. Mais avant de les intégrer à l‟analyse des pratiques, nous
voulons mener une analyse qualitative des résultats les plus significatifs afin d‟identifier
progressivement ce qui spécifie chaque APSA et chaque sujet enseignant par rapport aux six
dimensions constitutives du savoir expérientiel organisant le contenu des pratiques. Cette
identification progressive nous permettra alors, tout d‟abord, de relativiser et spécifier les
résultats et les interprétations issus des comparaisons macroscopiques. Puis, elle nous
permettra au final de « construire le cas » le cas de chaque enseignant relativement au poids
de son expérience personnelle.
3. Des organisations singulières du contenu : analyse qualitative des résultats significatifs
D‟une manière semblable à l‟étape précédente de l‟analyse, nous effectuons ici une
série de comparaisons relatives aux six dimensions constitutives du savoir expérientiel
organisant le contenu des pratiques effectives. Nous procédons encore à des comparaisons
entre enseignements (Ex) et (NEx), mais la démarche d‟analyse et d‟interprétation s‟avère
différente. Il s‟agit ici de comparer des enseignements singuliers (P1 en rugby, en natation, P2
en basket, etc.) pour tenter d‟identifier progressivement des organisations singulières du
contenu. Notre intention demeure ainsi d‟identifier le poids de l‟expérience personnelle sur le
221
contenu, mais en caractérisant la spécificité de ce poids dans la singularité de chaque
enseignement mené.
La démarche d‟analyse est alors la suivante. Pour chaque élément constitutif de chaque
dimension, nous extrayons de l‟ensemble des enseignements, ceux qui s‟avèrent a priori les
plus significatifs. Ces enseignements, considérés comme les plus significatifs, sont ceux qui
obtiennent des valeurs extrêmes aux résultats quantitatifs relatifs à chaque élément. Cette
première étape nous conduit ainsi à extraire à chaque fois quatre enseignements singuliers : le
(Ex) obtenant la valeur maximale, le (NEx) obtenant la valeur minimale, le (Ex) obtenant la
valeur minimale et le (NEx) obtenant la valeur maximale1. Cette extraction nous permet alors
de présenter les enseignements les plus caractéristiques pour chaque élément de chaque
dimension.
La deuxième étape de l‟analyse consiste alors interpréter de manière qualitative et
comparative la spécificité de ces différents enseignements. Ces interprétations seront
effectuées selon une démarche déterminée. Tout d‟abord, considérant une certaine cohérence
intrinsèque à chaque dimension, nous identifierons la spécificité des enseignements
significatifs pour plusieurs éléments constitutifs de chaque dimension. Ensuite, en restant
encore à l‟intérieur de la même dimension, nous identifierons la spécificité des autres
enseignements significatifs pour des éléments ponctuels. Mais, une attention plus spécifique
sera portée sur certains d‟entre eux. Dès lors que les deux valeurs maximales (Ex et NEx) ou
les deux valeurs minimales (Ex et NEx) renvoient aux enseignements d‟une même APSA ou
sont menés par un même enseignant, nous tenterons d‟identifier les éléments pérennes qui
semblent les organiser2. Cette partie de l‟analyse permettra ainsi de dégager progressivement
la spécificité de chaque APSA et de chaque enseignant relativement à chaque dimension. Afin
d‟identifier plus précisément la spécificité de chaque APSA, nous discuterons toutefois
certains ensembles de résultats et d‟interprétations (que les valeurs extrêmes renvoient aux
enseignements d‟une même APSA ou non) à partir d‟une réflexion technologique sur cette
APSA relativement à la dimension en question. En revanche, la spécificité de chaque
enseignant, ne renvoyant pas à une logique identifiable a priori, sera construite
progressivement.
1 Lorsque deux enseignements obtiennent une valeur extrême, ils sont tous les deux extraits. Lorsque plus de
deux enseignements obtiennent une valeur extrême, aucun enseignement n‟est extrait ; la discussion des résultats
demeure alors, dans ce cas, générale à l‟ensemble des enseignements en question. 2 De même, lorsque deux enseignements ont une valeur extrême (Ex ou NEx) égale.
222
Ainsi, cette démarche d‟analyse sera effectuée pour chacune des six dimensions. Mais,
les analyses successives de chaque dimension prendront aussi une forme progressive. Nous
nous attacherons en permanence à discuter les résultats sous la forme d‟allers-retours
interprétatifs. Nous discuterons ainsi les résultats propres à chaque dimension au regard des
interprétations effectuées dans les dimensions précédentes. Et nous discuterons les résultats
présentés dans les dimensions précédentes au regard des interprétations effectuées dans
chaque dimension.
Enfin, les différentes interprétations seront toujours effectuées avec l‟intention
d‟identifier les différentes organisations singulières du contenu sous la forme d‟articulations
entre la forme et le contenu des processus didactique. Elles seront aussi référées à partir des
conclusions issues des comparaisons macroscopiques, afin d‟y situer chacun des
enseignements spécifiques analysés.
La présentation de ces résultats est effectuée, pour chaque dimension, en deux temps.
Tout d‟abord nous présentons, sous la forme de tableau (tableau n), les différents
enseignements obtenant les valeurs extrêmes pour chaque élément. Une couleur est attribuée à
chaque enseignement ; lorsque deux valeurs extrêmes renvoient aux enseignements d‟une
même APSA, ils sont soulignés ; lorsque deux valeurs extrêmes renvoient à des
enseignements menés par le même enseignant, ils sont en gras italique ; lorsque trois
enseignements ou plus obtiennent une valeur nulle pour un élément, nous plaçons un 0.
Ensuite, à partir de ce tableau, nous explicitons les ensembles de résultats que nous
interprétons par la suite.
La présentation des interprétations est effectuée, pour chaque ensemble de résultats
identifié, dans un paragraphe interprétatif. Tout d‟abord, nous commentons les résultats
regroupés issus du tableau n. Ensuite nous situons les enseignements auxquels ils sont relatifs
en tentant de dégager leur spécificité. Nous situons alors ces enseignements par rapport aux
conclusions génériques issues des comparaisons macroscopiques, aux autres enseignements, à
la spécificité de l‟APSA, à la singularité de l‟enseignant et aux résultats et interprétations
relatifs aux dimensions analysées précédemment. Chaque analyse est alors toujours présentée
à partir d‟extraits de séance relatifs à chaque spécificité identifiée.
223
3.1 Des organisations singulières de la dimension
conceptuelle
3.1.1 Extraction des résultats significatifs
Tableau 14.1 : Résultats significatifs pour la dimension conceptuelle
ExMax NExMin ExMin NExMax
Dimension
conceptuelle
Diversité P1Rug / P2 Rug P3 Bas P4 Nat P1 Gym
Redondance P2 Rug P4 Bas P4 Nat P1 Gym
Finalisation P2 Rug P4 Dan P4 Nat P1 Gym
Hiérarchisation P1Rug P4 Dan P4 Nat P1 Gym
Automatisation P2 Rug P3 Bas P4 Nat P2 Bas
Densité P2 Rug P4 Bas P4 Nat P1 Gym
Les ensembles de résultats regroupés pour être interprétés sont les suivants :
- L‟enseignement du rugby par P2
- L‟enseignement de la natation par P4
- L‟enseignement de la gymnastique par P1
- Les enseignements de P4
- Les enseignements de P1
- Les enseignements de P2
- Les enseignements de rugby
3.1.2 Interprétations
a. P2 en rugby : interventionnisme didactique et densité conceptuelle
Comme les autres enseignements (Ex), celui-ci s‟avère particulièrement dense au
niveau conceptuel. Cependant, il en est, de très loin, le plus dense ; puisqu‟il est à la fois le
plus diversifié, le plus redondant et le plus automatisé. Etant aussi le plus finalisé, cet
224
enseignement s‟instaure comme l‟archétype des enseignements (Ex), dans ce qu‟ils sont
marqués par des interventions longues, nombreuses et injonctives. P2 ne s‟arrête jamais
d‟enseigner ou, plus exactement, de dire ce qu‟il faut faire, ce qu‟il fallait faire et ce qu‟il
faudra faire. D‟une part, lorsqu‟il définit les situations, P2 explique, montre et remontre ce
qu‟il faudra faire et comment il faudra le faire. D‟autre part, lorsqu‟il distribue les ballons ou
qu‟il joue avec les élèves, il commente en permanence l‟activité des élèves (« retourne toi »,
« va l’aider », « du soutien », « plaque-le », etc.), puis l‟arrête inévitablement pour revenir sur
ce qui vient de se passer et ce qu‟il aurait fallu qu‟il se passe (« quand tu vois qu’elle arrive
pas à arracher, il faut que tu y ailles, tu vois… prêt, jeu… » (S1)). Ainsi, ses interventions,
prennent la forme d‟une série de nombreuses régulations suivies de très courtes phases
d’institutionnalisation. Ces interventions sont ainsi adaptées à la singularité de chaque
situation objective, laissant place alors à une grande diversité d‟objets. La structure
conceptuelle organisant son contenu est aussi très dense, car les invariants mis en jeu par P2
sont très souvent articulés entre eux sous la forme de hiérarchies de buts et encore davantage
sous la forme de règles d‟action. Notamment, lorsqu‟il régule l‟activité en cours des élèves,
ses injonctions renvoient souvent à une règle d‟action : « si y a le défenseur, vous allez au
contact d’accord » (S1) ; « une fois que t’es engagée, là tu fais plus la passe d’accord » (S1) ;
« Tourne toi quand tu vas au contact » (S2).
La spécificité de l‟APSA rugby ne nous semble pas être ici déterminante, mais nous y
reviendrons.
b. P4 en natation : de quelques longues institutionnalisations
Dans l‟ensemble des enseignements (Ex), celui-ci s‟avère de loin le moins dense. Il est
à la fois le moins diversifié, le moins redondant, le moins hiérarchisé et le moins automatisé.
Sa densité se rapproche même plus des enseignements (NEx) que des autres enseignements
(Ex). P4 passe beaucoup de temps à observer les élèves en activité, mais régule peu cette
activité en cours. En revanche, dès lors que les élèves ont fini leurs séries de 25 mètres, il
revient, de manière générale, longuement sur les éléments positifs et négatifs qu‟il a pu
observer dans l‟activité des élèves et propose parfois des solutions pertinentes. De même,
lorsqu‟il définit les situations, il a tendance, par un glissement des moyens en buts, à mettre en
jeu des invariants de manière injonctive dans ces phases. Mais l‟injonction de ses
interventions est tout de même tempérée par de longs questionnements avec les élèves (P4 :
« Qu’est ce qu’on peut faire pour diminuer ses cycles de bras ? » Elève : « Taper plus vite des
cuisses » P4 : « ... C’est une bonne solution (…) ; donc comment on fait les battements de
225
jambes ? » (S1)). Pour finir, on peut aussi noter une insistance de P4 sur l’organisation
didactique des situations mises en place, soit sur le contrat didactique lui-même : « Jennifer
t’as pas écouté, regarde comment font les autres » ; « Kevin tu fais deux fois le même bras »
(S1). Ainsi, hormis les longues phases, cette insistance et le peu de régulations ponctuelles
effectuées, contribuent à une densité conceptuelle relativement faible.
La spécificité de l‟APSA natation peut sembler ici déterminante. En effet, compte tenu
du milieu aquatique dans lequel les élèves évoluent, les régulations ponctuelles sont peu
propices à être mises en œuvre. L‟immersion de leurs voies auditives contraint l‟enseignant à
intervenir dans des moments réservés et donc à s‟engager davantage dans de longues phases
d‟institutionnalisation. On peut toutefois noter que les enseignements de P1 en natation
fonctionnent quand-même différemment. En effet, si celui-ci entre aussi dans de longues
phases d‟institutionnalisation, il s‟attache pour autant à réguler l‟activité en cours des élèves
en longeant la piscine aux côtés des élèves.
c. P1 en gymnastique : interventionnisme didactique, redondance et hiérarchisation
Dans l‟ensemble des enseignements (NEx), celui-ci s‟avère de loin le plus dense. Il
l‟est même plus que l‟enseignement (Ex) de natation mené par P4. Il est ainsi le plus
diversifié, le plus redondant, le plus hiérarchisé et le plus finalisé des (NEx). Les interventions
didactiques de P1 sont très nombreuses. Il circule entre les élèves engagés dans les ateliers et
régule abondamment leur activité. Cependant, ses régulations ont deux principales
caractéristiques. D‟une part, elles sont très redondantes et ont pour principaux objets ceux qui
sont sous-jacents aux situations en cours. D‟autre part, elles prennent souvent la forme de
justifications. Parfois de manière injonctive, P1 insiste sur la logique de ces objets,
notamment sous la forme de hiérarchisations : « mes mains, elles vont chercher devant là,
donc ça, ça vous forcera à donner une impulsion d’accord » (S2). Ces justifications sont
d‟ailleurs souvent explicitées par P1 comme des hiérarchisations, non pas entre plusieurs
objets constitutifs de l‟APSA, mais entre des objets constitutifs (surtout « être beau ») et
l‟APSA gymnastique en elle-même : « c’est ça la gym, il faut être beau » (S1) ; « ça c’est pas
gymnique, c’est pas esthétique ça » (S2) ; « la gym c’est fait pour être beau, ça doit péter aux
yeux la gym » (S3). Ainsi, si P1 entre dans très peu de phases d‟institutionnalisation, le très
grand nombre de régulations et l‟insistance sur leur logique hiérarchique conduit cet
enseignement à être très dense au niveau conceptuel. Il se distingue ainsi beaucoup de tous les
autres enseignements (NEx).
226
La spécificité de l‟APSA gymnastique peut sembler ici déterminante, notamment vis à
vis de la diversité de la structure conceptuelle. En effet, la gymnastique étant organisée à
partir d‟une diversité d‟éléments institués (la roulade avant, la roue, la rondade, etc.) peut
conduire, surtout dans un enseignement élément par élément comme celui de P1, à une plus
grande diversité d‟objets enseignés. Pour autant, tous les enseignements menés par P1
s‟appuient sur une grande diversité d‟objets.
d. P4 : le primat des situations
Qu‟il s‟agisse de la danse, du basket ou de la natation, les enseignements menés par P4
sont les moins redondants, les moins finalisés, les moins hiérarchisés et, au final, les moins
denses. De manière générale, P4 intervient bien moins que les autres enseignants pour réguler
l‟activité des élèves. S‟il intervient davantage en danse, mais à partir d‟une faible diversité
d‟invariants, dans ses enseignements de natation et de basket, il régule très peu l‟activité en
cours des élèves. Ainsi, la structure conceptuelle de ses enseignements s‟avère peu
redondante. De même, régulant peu, les explicitations verbales des invariants se font plus
rares et sont donc, d‟une manière générale, moins propices à être diversifiées. De plus,
comme en natation, on peut identifier, dans ses autres enseignements, de nombreuses
interventions portant directement sur le contrat didactique et non pas sur les invariants mis en
jeu. Par exemple en danse, une longue confusion entre P4 et les élèves, à propos du rôle des
« pas » renvoyant à des « animaux », inaugure la situation de construction chorégraphique de
la première séance : Elève : « On peut faire avec les animaux ? » P4 : « Mais c’est la base…
vous n’avez pas compris quand je vous ai dit ce que c’était une base. Maintenant, on ne
cherche plus à savoir si c’est des animaux ou pas… ». D‟une manière similaire, en basket,
lorsque des élèves observent les matchs, P4 intervient beaucoup sur l‟organisation didactique
de l‟observation : « Donc là tu vois, un tir tenté, un tir raté, si ça avait été un tir manqué, tu
l’aurais mis là, mais là c’est pas ton équipe ok… » (S1). Il nous semble ainsi que la
récurrence de ce type d‟interventions participe à abaisser celle d‟interventions dont l‟enjeu est
d‟aider l‟élève en lui proposant des solutions à partir d‟invariants.
Mais, ce type d‟intervention nous semble aussi participer à mettre à jour une
spécificité de P4 dans tous ses enseignements : ce sont principalement les situations
adidactiques qui portent leur contenu. Ainsi, en intervenant peu sur le contenu lui-même et
davantage sur l‟organisation didactique, P4 nous semble centrer son enseignement sur les
situations dévoluées en faisant éventuellement « semblant de croire que ça va marcher »
(Brousseau, in Terrisse, Léziart, 1999). Plusieurs assertions de P4 en classe, portant sur la
227
justification des situations, nous semble étayer ce constat : « Juste une dernière chose… pour
ceux qui font des mouvements de bras très lent... ils ont bien compris la situation » (Natation,
S2) ; « Vous avez vu j’ai mis deux plots sur chaque bouteille (…), c’est une porte sur laquelle
on ne peut pas passer, donc si j’ai le ballon (…), il faut que je fasse le tour et ainsi attaquer
de côté » (Basket, S3) ; « Ok, ça peut paraître un peu marrant de travailler comme ça, mais
c’est progressivement après pour avoir une bonne liaison avec la musique » (Danse, S1).
De même, en ce qui concerne les articulations entre invariants, on peut remarquer que
ses enseignements sont les moins hiérarchisés, car P4 régule peu l‟activité des élèves en
explicitant ces hiérarchisations. Pour autant, particulièrement en natation, ce sont les
situations qui sont porteuses d‟articulations : l‟enjeu d‟ « horizontalité » est ainsi toujours
articulé avec « les battements de jambes », « le rythme » de « la respiration », ou les
« mouvements de bras » « loin devant, loin derrière ».
e. P1 : le « pourquoi » de l’APSA et la hiérarchisation
Les enseignements de rugby et de gymnastique menés par P1 sont les plus diversifiés
et hiérarchisés. Par ailleurs, son enseignement de natation est aussi, derrière les valeurs
extrêmes présentées ici, le plus diversifié et hiérarchisé. Comme on a pu le voir en
gymnastique, les interventions didactiques de P1 sont très nombreuses et, notamment, très
redondantes. Elles s‟avèrent alors aussi, en rugby, ainsi qu‟en natation, très diversifiées.
Quelque soit l‟APSA enseignée, à la manière de P2 en rugby, P1 a tendance à commenter
incessamment l‟activité des élèves. Il arrête très souvent cette activité, en plein enchaînement,
au milieu d‟une longueur ou d‟un match, pour revenir sur ce qui vient de se passer et ce qu‟il
faudrait maintenant qu‟il se passe. Toujours comme P2, ses interventions sont alors adaptées à
la singularité de chaque situation objective, laissant place alors à une grande diversité
d‟objets. En revanche, contrairement à P2, ces séries d‟interventions ponctuelles sont souvent
suivies, en natation et surtout en rugby, de très longues phases d’institutionnalisation. Dans
ces phases, P1 entre dans de longues explications théoriques qui prennent, comme on l‟a vu
en gymnastique, la forme de justifications. Ces justifications sont alors très souvent effectuées
à partir d‟une hiérarchisation entre les différents objets mis en jeu : « Moi je suis là, toi il faut
que tu sois là… pourquoi… parce que le temps où tu avances avant d’avoir là balle, c’est le
temps où je te donnes la balle » (Rugby, S3) ; « T’as les jambes complètement écartées, ça
fait que tu as une surface beaucoup trop importance à faire pénétrer dans l’eau. Plus t’es
fine, plus tu vas pénétrer dans l’eau » (Natation, S1). Ces hiérarchisations sont alors de
manière récurrente, comme on l‟a vu en gymnastique, effectuées par rapport à la logique de
228
l‟APSA enseignée : « Le rugby, écoutez moi bien, c’est aussi bien un sport de contact que
d’évitement » (Rugby, S1) ; « J’évite, puis je vais combattre, puis j’évite, puis je vais
combattre, puis j’évite, c’est que ça le rugby » (Rugby, S3) ; « Quand tu nages le crawl, tu
respires pas à chaque mouvement de bras » (Natation, S2). Elles sont aussi parfois effectuées
par rapport à, non pas la logique de l‟APSA, mais la logique mécanique de la motricité :
« Ecoutez bien ça, vous verrez ça en physique au lycée… quand j’appuie sur l’eau avec les
doigts écartés, ça résiste beaucoup moins… » (Natation, S2).
Il nous semble ainsi que ces longues explications théoriques justificatives, prenant la
forme d‟articulations hiérarchiques et se référant souvent à la logique même de l‟APSA
enseignée, révèle une spécificité de P1 dans tous ses enseignements : le fondement de leur
contenu réside dans la compréhension du « pourquoi » des différentes actions motrices. Son
enseignement du rugby en est l‟archétype. P1, en classe, insiste largement sur cette nécessité
de comprendre « pourquoi » on doit agir de telle ou telle façon : « On verra pendant le cycle à
quel moment on se rentre dedans, à quel moment on s’évite et pourquoi surtout… surtout
qu’on comprenne pourquoi » (S1) ; « Je rentre dans la défense, pourquoi ? » (S3). Dans une
même optique, le cycle de rugby est accompagné d‟un cahier sur lequel les élèves doivent
répondre à des questions relatives au « pourquoi » de ce qui a émergé ou va émerger en
classe : « J’ai pas trop le temps de vous faire chercher, mais je vous donnerai des photocopies
demain sur ça » (S2) ; « Béné, qu’est ce que t’as mis à la question sur le cahier ? » (S3).
f. P2 : interventionnisme didactique et automatisation
Si l‟enseignement du rugby par P2 est, de loin, le plus dense et le plus finalisé, celui de
basket est le deuxième (NEx) le plus dense et finalisé (derrière l‟enseignement de
gymnastique de P1 qui se distingue particulièrement des autres enseignements (NEx)). En
revanche, il est surtout, comme celui de rugby, le plus automatisé. C‟est alors particulièrement
l‟explicitation d‟articulations entre les invariants sous la forme de règles d‟action qui le
conduit à être relativement dense. Si P2 intervient beaucoup plus souvent en rugby qu‟en
basket pour arrêter et réguler l‟activité en cours des élèves, dans ces deux enseignements, il
intervient d‟une manière semblable. Qu‟il s‟agisse des longues phases de définition des
situations ou des régulations ponctuelles, il intervient de manière injonctive, souvent sous la
forme de règles d‟actions : « Tu vois que personne ne vient sur toi, tu continues le dribble
d’accord » (Basket, S1) ; « Emma t’es toute seule, avance, va marquer » (Basket, S1) ; « Si tu
veux qu’on te fasse la passe, déplace toi » (Basket, S3) ; « Ils sont à trois, on est deux, fais la
passe » (Rugby, S3).
229
Il nous semble ainsi que cette tendance de P2 à définir longuement les situations, en
répétant plusieurs fois ce qu‟il faut faire et comment il faut le faire, et à proposer un contenu
très finalisé et surtout automatisé, permet d‟entrevoir une spécificité des enseignements de
P2 : leur contenu réside notamment dans des automatismes qu’il s’agit de mettre en œuvre. A
cette étape de l‟analyse, nous ne pouvons aller plus loin dans les interprétations ; nous
tenterons toutefois de poursuivre cette voie pour les autres dimensions.
g. Le rugby : une APSA propice à la densité conceptuelle ?
L‟ensemble de tous les ExMax renvoie aux enseignements de Rugby. Pour autant,
cette APSA ne nous semble pas se prêter à une plus grande diversité d‟invariants. La danse, la
gymnastique ou la natation nous semble davantage s‟y prêter, en s‟organisant à partir d‟une
grande diversité de postures et de mouvements spécifiques déterminés ou de
conceptualisations précises portant sur le corps. Seule l‟automatisation peut être
éventuellement reconnue comme un élément fondamental dans l‟organisation du rugby, ou
plus largement des sports collectifs. Dans la mesure où il s‟agit d‟activités décisionnelles, les
conduites du sujet peuvent avoir tendance à être organisées à partir de règles d‟action relatives
à des variables environnementales (position des partenaires, des adversaires, de la cible, etc.)
et des actions (avancer, passer, marquer, se replacer, etc.) identifiables de manière générique
dans les différentes situations objectives.
Toutefois, les deux enseignements de Rugby sont menés par P1 et P2 qui, quelque soit
l‟APSA enseignée, proposent les contenus les plus denses au niveau conceptuel. Il ne nous
semble donc pas que l‟APSA Rugby ait une grande spécificité relativement à la dimension
conceptuelle.
230
3.2 Des organisations singulières de la dimension signifiante
3.2.1 Extraction des résultats significatifs
Tableau 14.2 : Résultats significatifs pour la dimension signifiante
ExMax NExMin ExMin NExMax
Dimension
signifiante
Importance dim. sign. P3 Dan P4 Bas P4 Nat P4 Dan
Appart. inst. sign.
APSA P3 Dan P4 Dan P4 Nat P3 Bas / P4 Bas
Groupe P2 Rug P1 Gym / P4 Dan P4 Nat P2 Bas
Autre P3 Dan P4 Bas P4 Nat P4 Dan
Réf. inst. APSA P3 Dan P4 Dan P2 Rug P2 Bas / P3 Bas
Groupe P1 Rug P4 Dan P3 Dan P2 Bas
Les ensembles de résultats regroupés pour être interprétés sont les suivants :
- L‟enseignement de la danse par P3
- Les enseignements de danse
- Les enseignements de P4
- Les enseignements de P3
- Les enseignements de P2
- Les enseignements de sports collectifs
3.2.2 Interprétations
a. P3 en danse : le langage du hip-hop et la verbalisation du corps
Dans la diversité et la spécificité des signifiants utilisés par P3 en danse, cet
enseignement s‟instaure comme le modèle des enseignements (Ex). Son contenu est celui qui
est organisé par le plus de signifiants distincts participant à la conceptualisation de l‟APSA.
L‟activité de verbalisation en classe étant un des principaux vecteurs de la conceptualisation,
on peut ainsi noter que son enseignement est aussi particulièrement dense au niveau
conceptuel (légèrement moins que P1 en rugby). Ce sont la redondance et l‟automatisation de
la structure conceptuelle qui spécifient le plus son contenu. Que ce soit lorsqu‟il construit des
231
pas que les élèves doivent reproduire dans la première séance ou lorsqu‟il circule entre les
groupes pour participer à la création de leurs chorégraphies, les interventions didactiques de
P1 sont très nombreuses et parfois relativement longues. Toutefois, plus spécifiquement, ce
sont les objets de ses interventions qui le conduisent à mettre en jeu une grande diversité de
signifiants. En effet, la quasi-totalité de ses interventions de la première séance et une grande
partie de celles des deux suivantes portent sur « les pas » et « les postures » qui les
composent. Ainsi, leur conceptualisation passe chez P3 par une verbalisation spécifique.
D‟une part, de nombreux signifiants appartenant à divers champs lexicaux (P3 est ExMax
pour cet élément) lui permettent de conceptualiser ces « pas » et « postures ». Ces signifiants
appartiennent au champ lexical du corps (« les pieds, les mains, les bras, le bassin, les talon, les hanches, la
tête, les cheveux, le cul, les pectoraux, les épaules, les genoux, tout le corps, le poing, les côtes, les coudes »), ou
plus précisément à celui des positions et des mouvements (« croisé, espacé, lié, costaud, tendu, avancé,
balancé, fléchi, bloqué, ramené, glissé, tapé, pointé, dévissé, collé, fermé, serré, joint, basculé, stable »), ou à
d‟autres faisant référence à diverses métaphores corporelles (« se protéger d‟un coup, un pas militaire,
l‟illusion d‟amener tout le corps, les comiques, on s‟en foutait, en moulin, le crabe, dire non, la marelle, une sorte
d‟explosion, judo, des vieilles serpillières »). D‟autre part, P3 verbalise ces « pas » à partir de signifiants
spécifiques à la danse hip-hop. Celui-ci transmet des « pas » institués en danse hip-hop et à ces
pas institués correspondent des signifiants déterminés. Ainsi, par son activité de verbalisation des
« pas hip-hop », P3 utilise de nombreux signifiants propres à l‟APSA spécifique enseignée (« la
base hip-hop, les Phases, le Tomas, la Coupole, les Passe-passe, les Free, les Trax, la New style, le Pump, la Vague,
le Break, les pas de prépa, Top rock, le Sixsteps, le Canard boiteux, le Trax ventral, en Chaise, position départ
français »).
Dans l‟utilisation d‟un langage spécifique à l‟APSA, P3 est aussi celui qui utilise le plus
de signifiants distincts renvoyant aux contextes de l‟APSA. Dans la première séance, P3,
accompagné de ses collègues de l‟association de hip-hop, fait une longue présentation de la
culture hip-hop en faisant référence à son émergence historique (« il y a trente ans aux Etats-
Unis dans les quartiers noirs américains (…), créée pour les jeunes pour avoir un moyen
d’expression » (S1)) et à son organisation culturelle. Il expose ainsi « les cinq piliers de la culture hip-
hop » : « la danse hip-hop », « le Rap » ou « le RnB » », « le Graf », « le Djing » et « le Beatbox ». Il
exemplifie alors cette présentation à partir d‟artistes et d‟œuvres appartenant à cette culture :
« Saïan supa crew », « Matt Pokora », « Angéla ». Ainsi, ces nombreux signifiants renvoyant aux
contextes de l‟APSA font référence à des contextes spécifiques, historique et culturel, qui sont
très rarement l‟objet des interventions des autres enseignements. La plupart d‟entre eux renvoient
plutôt aux contextes matériel, spatio-temporel et didactique.
232
b. La danse : la verbalisation du corps et l’importance de la dimension signifiante
La spécificité de l‟APSA danse nous semble être ici déterminante. Les deux
enseignements de danse sont simultanément Max pour la diversité des signifiants en général,
mais pas pour ceux qui sont propres à l‟APSA ou au groupe de l‟APSA. Parmi les trois
enseignements menés par P4, celui de danse a la structure conceptuelle la plus redondante et
la dimension signifiante la plus importante. Il nous semble ainsi, comme nous l‟avons évoqué
plus haut, que l‟APSA danse est organisée par une grande diversité de postures et de
mouvements spécifiques déterminés et de conceptualisations précises portant sur le corps.
Ainsi, il nous semble que son enseignement peut avoir tendance à passer par une activité de
verbalisation diversifiée, car faisant référence à ce corps dans la diversité de ses positions, ses
trajectoires, ses formes. L‟importance de la dimension signifiante dans les deux
enseignements de danse peut ainsi être relativisée par rapport à la spécificité de l‟APSA.
Toutefois, la spécificité des signifiants dans les enseignements de P1 ne nous semble pas
pouvoir être déterminée par celle-ci. Ainsi, P4 utilise autant de signifiants distincts, non
spécifiques à l‟APSA ou au groupe, que P1. Ils renvoient à des champs lexicaux parfois
similaires, comme les mouvements (« zigzaguer », « marcher », « glisser », « tourner », « grimper »,
« nager », « ramper », « flotter », « onduler », « résister », « rouler », « tirer ») ou diverses métaphores
expressives, ici spécifiques aux sports (« un match », « le rugby », « cadrage/débordement », « taper une
pénalité », « les buteurs », « une chandelle », « plaquer », « une touche », « le foot », « attraper un ballon », « le
frapper », « un tir », « le combat », « la Capoeira », « un coup de poing », « de pied », « la gym »). En
revanche, ni le langage propre du corps, ni les signifiants spécifiques à l‟APSA composent
l‟enseignement mené par P4.
On peut enfin remarquer que les deux enseignements de danse sont ceux qui
contiennent le moins de signifiants faisant référence aux contextes du groupe de l‟APSA
enseignée. La spécificité de l‟APSA ne nous semble pas ici déterminante. Ce sont plutôt la
majorité des sports collectifs qui composent les autres enseignements qui se prêtent davantage
à l‟utilisation de ces signifiants faisant référence à leurs contextes matériel et spatio-temporel
génériques (« le ballon », « l‟équipe », « le remplaçant », etc.)
c. P4 : les situations, la verbalisation et la spécificité de la danse
La spécificité de l‟APSA danse détermine probablement l‟importance de la dimension
signifiante chez P4. Toutefois, mis à part ce constat, les différents enseignements de P4 sont
Min pour beaucoup d‟éléments constitutifs de la dimension. Ses enseignements de basket et
233
de natation sont ceux qui mettent en jeu le moins de signifiants distincts pour conceptualiser
l‟APSA. Ainsi, comme nous l‟avons remarqué précédemment, ces enseignements sont aussi
les moins denses au niveau conceptuel. Laissant principalement place aux situations pour faire
émerger les différents objets, P4 n‟a que peu recours à la verbalisation pour les transmettre.
Son activité verbale porte souvent sur la gestion de l‟organisation didactique et moins sur le
contenu lui-même. Par ailleurs, l‟activité de verbalisation ne semblant pas fondamentale pour
P4, on peut remarquer que son enseignement de danse est celui qui fait le moins référence aux
contextes de l‟APSA et du groupe de l‟APSA enseignée.
d. P3 : la culture de l’APSA
P3 utilise un langage spécifique à la danse hip-hop pour la conceptualiser en classe. De
même, il y fait référence à son contexte historique et culturel. Cette activité de verbalisation
tend ainsi à identifier un contenu très spécifié par rapport à l‟APSA enseignée. Il nous semble
alors que la culture spécifique de l‟APSA est un élément fondamental du contenu de son
enseignement. Nous y reviendrons, mais certains éléments généraux relatifs à la forme de son
enseignement nous semblent déjà aller dans ce sens. La première séance de danse menée par
P3 est une leçon de danse, telle qu‟on peut la retrouver dans les écoles de danse plus que dans
des cours d‟EPS : le professeur construit des pas que les élèves doivent intégrer et reproduire
en rythme. Aussi, en faisant pénétrer des professeurs de danse dans l‟institution classe,
habillés comme l‟est P3 dans la tendance hip-hop, il y fait entrer d‟une certaine manière la
culture hip-hop. De même, si P3 demande à ses élèves de créer, il intervient parfois pour
resituer leur création dans ce sens (Elève : « Monsieur, on peut faire la brouette ? » P3 :
« Hein… Mais c’est pas du hip-hop la brouette ! » (S2).
On peut alors remarquer que ses enseignements de basket sont aussi les plus
diversifiés vis-à-vis des différents signifiants propres à la conceptualisation et à la
contextualisation de l‟APSA organisant le contenu. Ils sont certes beaucoup moins nombreux
qu‟en danse (respectivement trois fois et deux fois et demie), mais ils sont toutefois les plus
nombreux des enseignements (NEx). « Le tir à deux mains », « le tir en suspension », « le shoot », « le
rectangle » et « la planche » participent à conceptualisation de l‟APSA ; « le panier », « le cercle », « la
ligne du terrain de basket » et « le lancer franc » n‟y participent pas dans ses enseignements mais, pour
autant, P3 y fait référence.
Pour la suite, nous conservons alors cette piste d‟interprétation : le contenu des
enseignements de P3 est transmis à partir de la culture spécifique de l’APSA.
234
e. P2 : des sports collectifs au basket, du (Ex) au (NEx*)
P2 est l‟enseignant qui met en jeu le plus de signifiants propres au groupe auquel
appartiennent les APSA enseignées : les sports collectifs (activités d‟opposition et de
coopération). Qu‟il s‟agisse des enseignements du rugby ou du basket, il fait référence dans
ces deux enseignements à : « le défenseur, faire une passe, 2 contre 1, le soutien de l‟attaquant, 3 contre 1,
3 contre 2, 4 contre 2, le porteur de balle, les coéquipiers, être démarqué, récupérer le ballon, le surnombre ».
Puis dans chaque enseignement distinct, il fait aussi référence à une grande diversité de
signifiants : « protéger le ballon, le hors-jeu, la prise de balle, le replacement défensif, la ligne de défense, les
espaces libres, le jeu déployé, l‟intervalle, contourner le défenseur, jouer perso, la feinte de passe, fixer le
défenseur, le couloir latéral » (Rugby), « la distance de passe, la distance de tir, passe à rebond, passe dans la
course, l‟infériorité numérique, la supériorité numérique, le joueur relais, les non porteurs de balle, passe en
cloche, jouer collectivement » (Basket). Nous voulons alors ici soulever simplement un constat. Si
les enseignements de rugby et de basket menés par P2 sont largement différents vis-à-vis de la
densité de la structure conceptuelle et de l‟importance de la dimension signifiante, ils se
rejoignent sur deux points. Un que nous nous avons déjà soulevé, le recours intensif aux
règles d‟actions, l‟autre que nous venons de pointer, le recours fréquent aux signifiants
propres au groupe de l‟APSA.
Il nous semble ainsi que l‟enseignement de basket mené par P2 a tendance à prendre,
sur certains points, la forme de celui de rugby. Si les régulations effectuées par P2 en rugby
sont beaucoup plus nombreuses et ont un contenu bien plus diversifié, une grande partie des
situations didactiques dans lesquelles P2 régule ont des enjeux similaires. Elles consistent en
des progressions, plus ou moins aménagées, vers la cible et sont centrées sur l‟activité
décisionnelle des attaquants. Ces derniers ont pour tâche principale de choisir les actions à
mettre en œuvre au regard de chaque situation objective dans laquelle ils se trouvent. Ainsi,
un ensemble d‟invariants1 organise le cœur du contenu de ses deux enseignements : « être
démarqué », « lever la tête », « ralentir la progression », « avancer », « le surnombre », « le
soutien du NPB », « passer ». Bien sûr, ces invariants organisent tous les sports collectifs et
on en retrouve beaucoup dans les autres enseignements de sports collectifs analysés ici.
Toutefois, il nous semble que la centration de P2 sur cet ensemble d‟invariants, articulés entre
1 Peut-être que l‟on peut identifier ici un « champ conceptuel » (Vergnaud, 1990) en sports collectifs. Nous
n‟avons pas intégrer cette notion, ou plus largement cette problématique, dans notre cadre d‟analyse, car nous ne
voyions pas, a priori, comment délimiter un champ conceptuel dans une APSA. La centration de notre attention
actuelle sur ces ensembles d’invariants organisant le contenu dans un ensemble de situations similaires, nous
permettra éventuellement de l‟y intégrer a posteriori.
235
eux sous la forme de règles d‟actions, au travers des situations semblables centrées sur
l‟activité décisionnelle des élèves, marque la spécificité de ses enseignements.
f. Les sports collectifs et le basket : contextes matériels et spatio-temporels
L‟activité du sujet en sports collectifs est organisée par un contexte matériel et spatio-
temporel aisément identifiable. Sans les différentes lignes du terrain, le ballon et la cible, il
n‟est pas possible de faire des sports collectifs. Dès lors qu‟un match est engagé, il y a
presque toujours des équipes, un arbitre, des remplaçants et des maillots. Il nous semble ainsi
que leur enseignement peut avoir tendance à nécessiter la verbalisation de ces contextes et
donc à être organisés à partir d‟un grand nombre de signifiants relatifs aux contextes du
groupe de l‟APSA. Il nous semble aussi que le basket, par la spécificité de sa cible, composée
d‟un poteau, d‟un panneau, d‟un rectangle, d‟un cercle et d‟un panier, tend encore davantage
dans ce sens. La spécificité des sports collectifs et plus précisément du basket peuvent ainsi
être considérée comme relativement déterminante vis-à-vis de la dimension signifiante.
3.3 Des organisations singulières de la dimension corporelle
3.3.1 Extraction des résultats significatifs
Tableau 14.3 : Résultats significatifs pour la dimension corporelle
ExMax NExMin ExMin NExMax
Dimension
corporelle
Importance
sensations
Situat. P1 Nat 0 0 P2 Bas
Démo P2 Rug P4 Bas P4 Nat P1 Gym
Manip P3 Dan 0 0 P1 Gym
Attent. P3 Dan P4 Bas P1 Nat P4 Dan
Remed. 0 0 0 P4 Dan
Repères
sensoriels
Ext. P1 Rug P4 Bas P1 Nat P1 Gym
Prop. P1 Nat 0 P2 Rug P1 Gym
Réf.
corporelle
Div. P3 Dan P4 Bas P2 Rug P1 Gym
Rec. P1 Nat P4 Bas P2 Rug P1 Gym
236
Les ensembles de résultats regroupés pour être interprétés sont les suivants :
- Les enseignements de P4
- Les enseignements de P1
- Les enseignements de danse, de gymnastique et de natation
- L‟enseignement de la gymnastique par P1
- L‟enseignement du rugby par P2
3.3.2 Interprétations
a. P4 : le corps de l’enseignant et le milieu de l’élève
Le recours aux démonstrations corporelles de l‟enseignant est l‟élément qui différentie
le plus explicitement les enseignements (Ex) et (NEx). Les enseignements (Ex) sont marqués
par un engagement corporel intensif des enseignants. Ils ont en effet tendance à pénétrer le
milieu de l‟élève. Considérant ce milieu comme « tout ce qui agit sur l‟élève ou/et tout ce sur
quoi l‟élève agit » (Brousseau, 1998), dans les enseignements (Ex), bien souvent, c‟est le
corps de l‟enseignant qui compose la majeure partie de ce milieu. Ainsi, lorsque, durant toute
la première séance de danse, P3 construit des pas que les élèves doivent reproduire, son corps
constitue le cœur de ce milieu (« On monte le genou gauche et, hop (P3 montre), on tape… Je
veux très militaire (P3 montre)… voilà… non… on enchaîne… ça fait 1 et 2… on est ici à 2
(P3 montre)… 3 et 4 (P3 montre)… et la on fait hoooop (P3 montre)… On est à 5 ici (P3
montre)… ok c’est bon 5… »). Il en est de même pour les enseignements de rugby menés par
P1 et P2. Nous y reviendrons plus spécifiquement.
Nous voulons surtout ici souligner la spécificité des enseignements menés par P4
relativement à cette pénétration du milieu de l‟élève. Ses trois enseignements sont ceux qui
contiennent le moins de démonstrations corporelles. D‟une part, si P4 régule peu l‟activité en
cours des élèves à partir d‟une explicitation des solutions à mettre œuvre, il le fait encore
237
moins en montrant corporellement ces bonnes solutions. Seules les longues phases
d‟institutionnalisation en natation son relativement marquées par des démonstrations. D‟autre
part, contrairement aux autres enseignants, P4 définit les situations sans démontrer ce qu‟il
faudra faire. Les phases de définition prennent plutôt la forme de longues explicitations de
l‟organisation didactique des situations. Ces explicitations se poursuivent alors, comme nous
l‟avons montré, dans les phases de régulation, au travers d‟un discours récurrent sur le contrat
didactique. Dans ses enseignements (NEx), P4 utilise d‟ailleurs le corps de l‟élève pour
démontrer à sa place. Par exemple en basket, dans la définition des situations : « Ok… vous
voulez une démonstration… qui c’est qui sait me le faire ? Vas-y viens ici… vous regardez,
voyez le dernier rebond… » (S3). Par exemple en danse, dans les phases de régulations, P4,
pour montrer comment exprimer avec son corps le verbe « ramper », pointe du doigt ce qu‟un
élève est en train de faire : « Ok, ça c’est le plus simple ! On peut trouver… On peut faire
comme ça ! » (S2). La spécificité que nous attribuions aux enseignements de P4, celle d‟avoir
un contenu principalement porté par les situations adidactique, nous semble trouver ici un
point d‟appui interprétatif. En effet, P4 ne prend pas la responsabilité corporelle du contenu.
Si l‟organisation du milieu de l‟élève est un objet récurrent de son discours, c‟est notamment
parce que P4 ne s‟engage pas corporellement dans ce milieu.
On peut alors encore remarquer que dans ses enseignements (NEx), le corps de l‟élève
est, lui aussi, particulièrement absent du contenu transmis. Son enseignement du basket est
NExMin pour tous les éléments de la dimension. Et par ailleurs, on peut aussi noter qu‟en
danse, comme en basket, il ne transmet aucun repère proprioceptif et que ce sont ces deux
enseignements qui mettent le moins de fois en jeu des signifiants relatifs au corps. Le contenu
de ces enseignements se trouve ainsi totalement décorporé. Nous reviendrons sur les
attentions et remédiations corporelles utilisées par P4 en danse qui relativisent ces
affirmations. Mais nous retenons pour l‟instant que la transmission d‟APSA par P4 passe par
un désengagement corporel de l‟enseignant, voire, lorsque il est (NEx) par une absence quasi
totale du corps dans l‟organisation du contenu.
b. P1: la logique du corps
Dans les enseignements menés par P1, principalement ceux de natation et de
gymnastique, le corps a une place privilégiée. Ce sont ses enseignements qui mettent en jeu le
plus de repères sensoriels extéroceptifs et proprioceptifs et le plus de signifiants relatifs au
corps. Par ailleurs, l‟enseignement de natation est celui dans lequel l‟intention didactique du
professeur est la plus marquée par l‟importance des sensations transmises au travers des
238
situations. Enfin, celui de gymnastique contient le plus de démonstrations et de manipulations
corporelles ; mais nous reviendrons sur ce dernier point ultérieurement. Nous voulons pointer
ici la place spécifique du corps dans les enseignements de P1.
Le corps a une place prépondérante dans le contenu de ses enseignements. En rugby,
P1 contribue à organiser les conduites des élèves à partir de nombreux repères extéroceptifs
souvent mis en jeu au travers de démonstrations corporelles. Dans plusieurs phases
d‟institutionnalisation, P1 montre, sur son corps ou par rapport à son corps, là où les élèves
doivent porter leur attention : « Déjà je suis devant lui et puis surtout je suis loin (P1
montre) » (S1) ; « Moi je suis là (P1 montre), toi il faut que tu sois là » (S3). En natation, ce
sont les repères proprioceptifs qui s‟avèrent extrêmement nombreux. Toujours dans des
phases d‟institutionnalisation, P1 explicite, par rapport à son propre corps, les repères
proprioceptifs censés organiser leurs conduites : « mes bras ils tournent comme des moulins
(P1 montre) » (S1) ; « Ingrid, sois moins hachée, toi tu fais boom, boom, boom (P montre),
sois plus souple (P montre) » (S2). Il en est de même dans son enseignement de la
gymnastique. Nous reviendrons sur sa spécificité par rapport aux autres enseignements (NEx)
ultérieurement, mais on peut déjà remarquer que vis-à-vis de la dimension corporelle, il est
très similaire aux autres enseignements menés par P1. Par rapport à tous les enseignements
(Ex) et (NEx) analysés, il est Max pour l‟importance des repères sensoriels et de la référence
corporelle. Les repères sensoriels mis en jeu et les interventions ayant pour objet le corps de
l‟élève sont très nombreux. Toutefois, ici, les repères sensoriels sont moins souvent transmis
au travers de démonstrations et, surtout, très rarement au travers d‟institutionnalisations.
D‟une manière générale, P1 régule l‟activité en cours des élèves à partir de nombreuses
injonctions relatives au placement du corps par rapport à l‟environnement ou à lui-même :
« tends les bras d’entrée, il faut qu’ils soient tendus et verrouillés tes bras » (S1) ; « regarde
le sol » (S2).
Ces repères sensoriels appartenant à l‟activité de conceptualisation, ils sont alors,
comme nous l‟avons soulevé, souvent mis en jeu sous la forme d‟articulations hiérarchiques.
Les interventions de P1 qui prennent la forme de justifications ont ainsi souvent un contenu
qui renvoie à une justification du corps par le corps. Ce sont ainsi des logiques d’actions
motrices plus que des objets culturels qui organisent le contenu de ses enseignements. P1 tend
alors aussi à justifier et à prouver la pertinence de ce contenu par l‟intermédiaire de la logique
de son propre corps expérimenté : « Rémi pense à lever ton bassin… ça veut dire quoi lève ton
bassin… ça veut dire qu’il faut que tu fasses des battements en surface (P1 montre)… tu vois,
si t’as les pieds trop profonds, tu vois pas de mousse, c’est que ton corps il est comme ça (P1
239
montre), et tu glisses pas bien d’accord… si on veut avoir le corps droit, il faut que tu fasses
de la mousse avec tes pieds, ok… » (Natation, S1).
c. Danse, gymnastique et natation : des enseignements du corps
La dimension corporelle nous semble être la plus déterminée par la spécificité des
APSA enseignées. En effet, les postures, les mouvements et les formes du corps sont des
organisateurs privilégiés de certaines activités. La gymnastique, en tant qu‟activité
morphocinétique, et la danse, en grande partie morphocinétique, s‟avèrent les modèles de ces
activités. Mais, la natation en fait aussi partie, dans la mesure où qualité des postures et des
mouvements du corps est le principal moyen pour être efficace. Dans l‟enseignement de ces
activités, les formes et les trajectoires du corps sont ainsi des objets organisateurs de l‟activité,
sous la forme de buts en danse et en gymnastique, sous la forme de moyens en natation. Ainsi,
inévitablement, ces enseignements sont organisés par de nombreux repères sensoriels,
proprioceptifs particulièrement, et de nombreux signifiants relatifs au corps. De même,
relativement à la compétence de l‟enseignant, les différentes procédures didactiques vectrices
de sensations, engageant le corps de l‟enseignant et/ou celui de l‟élève, y sont privilégiées.
Pour autant, si les interprétations doivent être relativisées par la spécificité de ces
activités, celle-ci n‟efface pas celle du poids de l‟expérience ni celle de chaque sujet
enseignant. Ainsi, les deux enseignements de danse analysés sont particulièrement opposés
relativement à la dimension corporelle organisant leur contenu. Dans son enseignement de
danse, P3 met en jeu une grande diversité de repères sensoriels au travers de nombreuses
démonstrations et d‟interventions ayant le corps de l‟élève pour objet. Plusieurs fois, il
manipule le corps de l‟élève pour le guider de manière sensorielle. De son côté, P4 ne
démontre presque jamais, met en jeu très peu de repères sensoriels, aucun proprioceptifs, et
n‟intervient que très rarement sur le corps de l‟élève. Dans une APSA ayant le corps pour
principal enjeu, P4 transmet certes des sensations, mais seulement au travers quelques
attentions et remédiations sensorielles : « Il va falloir suivre ce rythme donc vous écoutez… »
(S1) ; « (Les élèves ne parviennent pas à agir en rythme) Rapprochez vous (…), donc je vais
annoncer les personnes par vos numéros… et vous allez devoir applaudir dans le rythme…
Pour voir, ok ? » (S2). Puisque P4 ne s‟engage pas à montrer corporellement ce qu‟il faut
faire ou même simplement à agir sur le corps de l‟élève, ce sont plutôt des attentions portées
240
sur l‟environnement ou le milieu lui-même qui lui permettent toutefois de prendre quelque
peu en compte le corps dans son enseignement.
d. P1 en gymnastique : les limites du corps de l’enseignant
Nous l‟avons déjà soulevé pour la dimension conceptuelle, l‟enseignement de
gymnastique mené par P1 est très spécifique par rapport aux autres enseignements (NEx). En
ce qui concerne la dimension corporelle, cela s‟avère encore plus explicite. D‟une part, les
interventions ayant pour objet le corps, identifiées au travers des repères sensoriels et des
signifiants relatifs au corps, sont plus nombreuses que dans tous les autres enseignements. Les
interventions directes sur le corps de l‟élève le sont aussi. D‟autre part, les démonstrations
corporelles sont les plus nombreuses sur l‟ensemble des enseignements (NEx). Ainsi, le
premier constat nous semble confirmer deux choses : la gymnastique est une activité dans
laquelle le corps a une place fondamentale et le contenu des enseignements de P1 est
particulièrement fondé sur la logique du corps et des actions motrices. En revanche,
l‟utilisation récurrente des démonstrations nécessite d‟être interprétée à partir d‟une analyse
plus fine du déroulement progressif des séances.
En effet, une analyse du recours aux démonstrations relativement à leur contenu et à
leur chronologie, met à jour une dégradation progressive de ce recours, accompagnée d‟une
dégradation progressive du corps de P1. La première séance est celle où P1 démontre le plus.
Dans les premières situations, qui ont pour enjeu des éléments basiques de la gymnastique
(« la roulade avant », « la roulade arrière », « l‟ATR », « la roue »), il s‟attache à démontrer
ces éléments dès les phases de définition. Mais ces démonstrations sont souvent
accompagnées d‟un constat explicite, a priori ou a posteriori, de son incompétence : « Ahhhh,
je vais pas arriver à me relever » ; « honnêtement, moi je sais plus le faire là… enfin je vais
essayer avec vous, j’arriverai à le refaire, mais sur le coup à froid, je peux pas te mentir, je
vais me casser la figure » ; « Bon là c’était nul d’accord, je suis pas du tout monté à l’ATR ».
Ainsi, P1 tente de démontrer tant bien que mal, en insistant sur la faiblesse de ses productions.
Puis, en tentant de montrer un ATR suivi d‟une roulade avant, P1 semble se blesser : « Ah, je
me suis tué ! ». A partir de cette tentative, P1 s‟engage de moins en moins dans des
démonstrations et justifie ce désengagement par rapport au mauvais état de son corps : « je
suis désolé aujourd’hui je ferai pas de démonstration, je me suis fais mal en faisant l’ATR
roulé tout pourri toute à l’heure ». Puis, au début de la deuxième séance, P1 justifie à
nouveau son désengagement corporel par rapport à une autre blessure qu‟il aurait subie, sans
pour autant cacher sa culpabilité : « aujourd’hui je suis désolé… je vous le jure, je me suis
241
blessé lundi soir, donc je fais aucune démo, même les trucs simples ». Pourtant, P1 s‟engage
par la suite dans quelques tentatives de démonstrations, mais en insistant encore sur sa volonté
de démontrer, son incompétence à démontrer et la culpabilité qu‟il peut en ressortir :
« roulade arrière, je vais essayer de vous la faire » (S2) ; « d’accord à peu près… » (S2) ;
« je suis désolé de pas pouvoir vous le démontrer » (S2) ; « moi j’y arrive pas très bien »
(S3).
Il nous semble ainsi qu‟au-delà des allures d‟enseignement (Ex) que donnent les
résultats quantitatifs relatifs à cet enseignement, l‟analyse que nous venons de mener permet
d‟entrevoir une spécificité de l‟enseignement de gymnastique mené par P1. Divisé entre la
volonté de s‟engager corporellement dans ses interventions et le constat de sa faiblesse, il
oscille entre la démonstration en force, l‟insistance sur sa volonté et l‟aveu de sa faiblesse, les
excuses, l‟abandon. S‟il n‟est pas loin d‟abandonner lorsque les éléments se complexifient et
qu‟il s‟agit d‟enseigner la rondade (« on va peut-être arrêter là… la rondade, ça a pas l’air
d’être ça » (S1)), il abandonne finalement en partant faire du hand-ball avec ses élèves au
milieu de la troisième séance.
Ainsi, la justification de la pertinence du contenu de son enseignement par
l‟intermédiaire de la logique de son propre corps trouve ici sa limite. Si P1 tente d‟aller dans
ce sens, il se trouve rapidement coincé dans une impasse qui l‟incite à trouver encore une fois
des justifications, mais cette fois-ci à propos de l‟ambiguïté de son engagement corporel.
e. P2 en rugby : le corps de l’enseignant ou le corps de l’élève
L‟enseignement de rugby mené par P2 est celui qui compte le plus de démonstrations
corporelles. Il y est difficile de trouver de longues phases sans que P2 ne s‟engage
corporellement pour montrer aux élèves ce qu‟il fallait faire et ce qu‟il faudra faire. A la
manière de P3 en danse, le corps de P2 constitue une grande partie du milieu de l‟élève.
D‟une part, une fois que les élèves sont engagés dans les situations, P2 est toujours présent à
côté des terrains à distribuer les ballons et à commenter leur activité. Comme nous l‟avons
montré, il a alors tendance à arrêter brièvement cette activité pour revenir sur ce qui vient de
se passer et donner des solutions relatives à ce qu‟il faudra qu‟il se passe. Ainsi, lorsque P2
donne ces solutions, il le fait presque toujours en les montrant corporellement : « Regarde où
c’est que tu fais la passe… on remet les mêmes… tu pars droit déjà, tu prends le ballon…
parce que là t’es parti comme ça (P2 montre)… parce que là c’est la moitié du terrain déjà,
t’as vu t’as mangé la moitié du terrain, donc tu prends le ballon et tu pars droit (P2 montre) »
(S1) ; « Prêt, go, jeu… on va l’aider… Bon, regarde… ton ballon, t’es venue ici (P2
242
montre)… ton ballon, t’as essayé de le donner… non, garde le (P2 montre)… sinon ça joue
comme ça (P2 montre), et puis ça part n’importe où » (S2). D‟autre part, d‟une manière
encore plus singulière, lorsque les élèves font des matchs plus ou moins aménagés, P2 joue
avec eux. C‟est alors que les démonstrations corporelles s‟enchaînent continuellement.
Endossant une sorte de double rôle, celui de capitaine de son équipe et de professeur d’EPS,
P2 organise les deux équipes en disant ce qu‟il faut faire à chaque instant, mais surtout en le
faisant lui-même et en demandant alors aux élèves de faire comme lui : « En ligne la
défense… avance, tourne toi… on va l’aider (P2 va aider) » (S1) ; « Va l’aider, place toi,
écarte toi au fond (P2 s‟écarte) » (S1) ; « Joue, joue… on va l’aider, reste là (P2 reste en
profondeur) » (S3). Ainsi, au travers de cet engagement corporel intense, le rôle de chef
d‟équipe qu‟il tend à endosser prend parfois le dessus. P2 tend à se centrer sur lui-même et les
élèves n‟ont qu‟à agir par rapport à lui : « Dès que je prends le ballon, vous vous lancez tous
et moi je ferai le choix… jeu… » (S2). Mais surtout, ses démonstrations semblent souvent
avoir pour objet, moins des bonnes solutions à mettre en œuvre que sa propre compétence. Au
travers de défenses efficaces, de diverses feintes, de cadrages débordements, P2 s‟amuse de
son talent : « (P2 fait une feinte de passe, fixe et donne) c’est normal que c’est facile en
défense… » (S1) ; « Donc là, elle vient en défense (P2 fait une feinte de passe et continue),
bon elle vient pas sur moi (P2 rigole)… » (S2) ; « Jeu… (P fait une feinte et contourne le
défenseur), si tu viens pas m’aider… le but c’est que tu viennes m’aider » (S2). Dans tout cet
engagement narcissique, P2 insiste alors même sur l‟excellence de son corps : « Oui, vous
pouvez me plaquer… mais non c’est pas grave, je tomberai pas, vous arriverez pas à me
plaquer » (S1) ; « Non, je suis pas lourd, je suis costaud… tu veux voir les bras un peu… »
(S3).
Ainsi, ces nombreuses démonstrations dans lesquelles P2 insiste sur sa propre
compétence spécifient la place de son corps dans la classe. Celui-ci est porteur du savoir, non
pas dans ce qu‟il est le support d‟une logique d‟actions motrices, mais simplement dans ce
qu‟il brille devant les élèves. Ainsi, on peut aussi remarquer que dans cet enseignement de
rugby, les repères proprioceptifs et les signifiants relatifs aux corps sont les plus rares. Le
corps de l‟élève est relativement absent du contenu. Il nous semble alors que le corps de
l’enseignant est ici le principal organisateur du contenu, au détriment de celui de l’élève.
On notera pour conclure que, lorsque P2 enseigne le basket, l‟excellence de son corps
faisant défaut, celui-ci adopte une position défensive qui, contrairement à P1 en gymnastique,
dépasse largement les aveux de faiblesse. P2 insiste plutôt sur sa compétence potentielle,
générale aux sports collectifs, dans une position défensive prenant une tonalité agressive :
243
« (P2 rate un tir) D’accord, vous savez très bien que je suis pas très bon au shoot… donc…
par contre en jeu, je risque de vous prendre, d’accord ! » (S2).
3.4 Des organisations singulières de la dynamique
situationnelle/représentationnelle
3.4.1 Extraction des résultats significatifs
Tableau 14.4 : Résultats significatifs pour la dynamique situationnelle/représentationnelle
ExMax NExMin ExMin NExMax
Dynamique
situationnelle /
représentationnelle
Prep.
Sit.
Rep.
Rep. P1 Nat P2 Bas P2 Rug P4 Bas
Sit. P2 Rug P1 Gym P1 Nat / P4 Nat P3 Bas
Sit/Rep P1 Rug P4 Bas P1 Nat P1 Gym
Réinv.
Ident. P4 Nat P4 Bas P1 Nat P1 Gym
Direct P2 Rug P4 Bas P3 Dan P2 Bas
Ind. exp P1 Nat / P1 Rug P2 Bas / P3 Bas P4 Nat P1 Gym
Ind. imp P1 Rug P4 Dan P3 Dan P3 Bas / P4 Bas
Analog Int. P1 Rug P4 Dan P4 Nat P1 Gym
Ext. P1 Rug P3 Bas P4 Nat P1 Gym
Les ensembles de résultats regroupés pour être interprétés sont les suivants :
- Les enseignements de P1
- Les enseignements de natation
- Les enseignements de P4
- Les enseignements de danse
- L‟enseignement du basket par P3
- Les enseignements de P2
244
3.4.2 Interprétations
a. P1 : un contenu dynamique au service de la preuve
Les différents enseignements menés par P1 s‟avèrent très spécifiés pour chacun des
éléments constitutifs de cette dimension. En ce qui concerne la prépondérance des dimensions
situationnelle et représentationnelle, dans les enseignements de rugby et de gymnastique, les
interventions portant sur l‟articulation entre la situation objective de l‟élève et des principes
génériques de l‟APSA enseignée (S/R) sont les plus récurrentes. Dans l‟enseignement de la
natation, ce sont les interventions portant simplement sur ces principes génériques (R) qui
sont les plus fréquentes (diminuant ainsi la proportion des autres types d‟interventions portant
uniquement sur la situation objective de l‟élève (S) et des (S/R)). Nous reviendrons sur la
spécificité de la natation par rapport à cet élément, mais ces valeurs Max obtenues par les
différents enseignements de P1 nous semblent marquer encore une fois sa spécificité. En effet,
dans ses enseignements du rugby, ses interventions S/R sont nombreuses pour deux raisons.
D‟une part, dans la mesure où P1, accompagné d‟élèves, a tendance à définir les situations à
partir d‟une démonstration, celui-ci articule souvent la situations objective dans laquelle ils se
trouvent avec une explication de la logique générale qui lui est sous-jacente : « Je rappelle
qu’un plaquage au rugby… est ce que j’ai le droit là boom ici (P1 ceinture)… oui j’ai le
droit… par contre, est ce que là, bim, j’ai le droit (P1 simule une cravate), non plus… est ce
que j’ai le droit (…), moi je l’écarte et je fais hou (P1 fait un croche-patte)… non j’ai pas le
droit » (S1). D‟autre part, dans les phases de régulation et d‟institutionnalisation, P1 réfère
souvent des principes du rugby à ce qui vient de se passer pour un ou plusieurs élèves :
« Arrêtez-vous les filles, quand un joueur au rugby il se retrouve par terre, il doit lâcher le
ballon. Ce qui fait que quand toi, elles te mettent par terre, elles ont gagné » (S2) ; « Quand
on arrache au rugby, si tu fais ça, tu vas jamais me la prendre, viens passer ta main » (S3).
On retrouve alors aussi ce type d‟interventions dans ses enseignements de gymnastique : « tes
mains, elles étaient là (P1 montre), tes pieds aussi, un roue, il faut que ça soit grand » (S1).
En natation, ces interventions s‟arrêtent plus souvent uniquement sur des principes généraux
de l‟activité : « il faut glisser » (S1) ; « on souffle bien dans l’eau » (S2). Toutefois, plusieurs
interventions s‟articulent aussi avec la situation objective de l‟élève : « Y a un temps d’arrêt
où tes bras s’arrêtent là (P1 montre)… là, tu vois, tu rentres pas bien dans l’eau » (S2).
Il nous semble ainsi que cette insistance de P1 sur les principes généraux des
différentes APSA, souvent articulés avec les différentes situations objectives dans lesquelles
se trouvent les élèves, tend à spécifier ses enseignements. Encore une fois, leur contenu
245
semble s‟appuyer sur la compréhension de la logique des différentes actions motrices. Chaque
situation dans laquelle se trouve le sujet pratiquant peut être identifiée à partir de principes
généraux. Ces différents principes, de l‟ordre de la représentation pour le sujet, organisent les
différentes activités à partir de la cohérence des actions motrices qui les constituent. P1 les
enseigne.
En ce qui concerne l‟importance des processus inférentiels au travers des
réinvestissements d‟invariants, les enseignements de P1 s‟avèrent aussi spécifiques. D‟une
part, P1, de manière générale, met en place un grand nombre de situations distinctes. Le temps
d‟engagement des élèves dans ces situations est alors relativement court et celles-ci
s‟enchaînent rapidement. Le grand nombre de réinvestissements d‟invariants, et surtout de
réinvestissements « indirects explicites », révèle alors la logique singulière de ces
enchaînements chez P1. D‟une part, en proposant beaucoup de situations distinctes, P1 permet
aux élèves de réinvestir de nombreuses fois les différents invariants sous-jacents aux
situations dans différents contextes spécifiques. Par exemple, dans sa première séance de
rugby, le travail sur « le contact », se trouve au cœur d‟un enchaînement de situations
relativement polymorphes. Les élèves s‟échauffent avec les ballons en se tamponnant, puis
tentent de protéger le ballon dans des 2 contre 1 et des 3 contre 3, puis font des répétitions de
plaquages, puis font des franchissements défensifs en 1 contre 1, puis en 2 contre 1 dans un
espace réduit propice au contact. D‟autre part, au-delà des réaménagements succincts du
milieu effectués parfois par P1, favorisant les réinvestissements « directs », des situations
spécifiques s‟insèrent dans la chronologie des situations. Par exemple, dans la deuxième
séance de natation, P1 met en place des situations de nage complète en crawl successivement
à d‟autres situations aménagées portant sur des éléments spécifiques du crawl (« les
battements de jambes », « les mouvements de bras crawlés »). En rugby, dans la première
séance, une situation isolée de plaquage s‟insère dans la continuité des situations de travail
collectif sur « le contact ». Dans la troisième séance, une situation de gestion de 1 contre 1
succède à une situation de conservation du ballon. Ces deux situations, portant sur le contact,
s‟insèrent alors au milieu d‟une séance davantage consacrée à « l’évitement » et « la
fixation ». Dans la deuxième séance de gymnastique, une situation de répétition globale
d‟ATR succède à un travail aménagé de cet élément. Ainsi, ces différents enchaînements de
situations ne prennent pas une forme simplement progressive et linéaire. Les différentes
situations semblent plutôt s’enchâsser dans une logique d’alternance, favorable aux
réinvestissements « indirects explicites ». Au-delà d‟un environnement favorable aux
processus inférentiels pour les élèves, cette logique d‟alternance nous semble aussi permettre
246
à P1, encore une fois, de justifier la pertinence du contenu proposé au travers des différentes
situations ; ceci au travers d‟une sorte de preuve par l’alternance.
Mais, la dimension explicite des réinvestissements, favorisant la justification du
contenu proposé par P1, s‟avère aussi déterminée par son recours intensif aux analogies
internes à l‟institution classe. En insistant sur la pérennité du contenu qui a déjà émergé en
classe ou sur celle des milieux qui ont déjà organisé les conduites des élèves, P1 s‟attache
fréquemment à expliciter la logique de ces enchaînements : « la semaine dernière, on utilisait
la vitesse de l’autre pour le faire tomber » (Rugby, S1) ; « je disais… faut pas que l’on oublie
ce que l’on a fait juste avant » (Rugby, S2) ; « Mathias, il est avec moi, qu’est ce que j’ai
comme solution… tiens d’ailleurs, ça reprend tout ce que l’on vient de voir, alors qu’est ce
que je peux faire ? » (Rugby, S3) ; « c’est pas parce qu’on fait la course qu’il faut pas
respecter tout ce que l’on a vu » (Natation, S2) ; « vous allez avoir l’ensemble des figures que
nous, on a vu ensemble, que vous pouvez donc utiliser dans vos enchaînements »
(Gymnastique, S2). P1 est par ailleurs le seul enseignant à utiliser des analogies internes qui
projettent le présent de chaque situation, non pas par rapport à ce qui a émergé antérieurement
en classe, mais par rapport à ce qui sera utile ultérieurement : « voilà ce que l’on va très vite
faire ensuite… on va faire du 2 contre 1, donc dans vos têtes, commencez déjà à réfléchir
comment je peux faire quand au rugby… » (Rugby, S2) ; « on vient de faire des jambes en
dos, on vient de faire des jambes en crawl, avant de passer aux bras de ces deux nages, on va
faire un coup de nage complète… » (Natation, S2). Même parfois, le contenu est projeté à la
fois dans le futur et dans le passé de l‟institution classe : « Moi, le but du jeu, c’est que dès la
semaine prochaine, on sache pourquoi on se rentre dedans, pourquoi on essaie de s’écarter…
Bénédicte, qu’est ce que t’as mis à la question sur le cahier ? » (Rugby, S3). Le contenu de
ses enseignements s‟appuie ainsi largement sur une « mémoire de la classe » (Matheron,
2001) relativement explicite. Celle-ci constitue un point de référence permettant à P1 de
justifier la logique du ce contenu.
P1 propose un contenu dynamique dans lequel le présent de chaque situation se réfère
souvent à des principes généraux de l‟APSA enseignée et à des situations et des objets
organisant le contenu, ayant déjà émergé ou à venir, dans la classe. Si ses enseignements de
gymnastique sont davantage organisés à partir de situations « identiques », moins favorables
au dynamisme des réinvestissements, ils prennent, pour autant, encore une fois la forme
d‟enseignements (Ex). L‟insistance récurrente de P1 à justifier son contenu en le référant en
permanence marque davantage ces enseignements. P1 réfère ce contenu à la logique de
l‟APSA, à la logique de son propre corps, à la logique d‟actions motrices, à des principes
247
généraux de l‟APSA, à des temporalités distinctes de l‟institution classe. Il nous semble alors
que le contenu des enseignements de P1 s’organise dans une logique de la preuve ; de la
preuve que ce qui est enseigné est bien légitime.
Pour conclure sur cette longue analyse, nous voulons pointer la récurrence des
analogies externes dans les enseignements de P1. Pour toutes les APSA enseignées, celui-ci
use en effet d‟un discours très métaphorique qui nous semble participer à sa tendance à
référencer leur contenu : « Melissa, t’es Serge Betsen » (Rugby, S1) ; « C’est quoi ce
plaquage porte de saloon » (Rugby, S1) ; « vous êtes alignés là ? Et non, vous regardez les
nageurs à la télé, ils font pas… » (Natation, S1) ; « Ok, si je veux vider la piscine, si je serre
mes doigts, je vais beaucoup plus sortir d’eau que si j’ai les doigts écartés. Ben, c’est pareil
en natation » (Natation, S2) ; « vous avez déjà vu des clips où ils font ahan ahan (P1 montre),
ben voilà, vous c’est pareil, posez vos mains comme ça » (Gymnastique, S1).
b. La natation : régulations situationnelles et spécificité du milieu de l’élève
Vis-à-vis la prépondérance des dimensions situationnelle et représentationnelle, nous
avons brièvement soulevé la spécificité des enseignements de natation de P1 par rapport à ses
autres enseignements. Alors que celui-ci tend à articuler ces deux dimensions dans ces
interventions, en natation, il s‟arrête plus fréquemment uniquement sur les principes généraux
constitutifs de la natation. On peut alors aussi remarquer que les deux enseignements de
natation analysés sont Min pour les interventions situationnelles. Il nous semble alors que la
spécificité de l‟APSA natation et de son enseignement s‟avère déterminante pour cette
dimension. En effet, comme nous l‟avons déjà soulevé, le milieu aquatique dans lequel les
élèves évoluent est peu propice aux régulations ponctuelles des enseignants. Le retour sur leur
activité est donc réservé à des moments spécifiques dans lesquels les élèves regroupés entre
eux peuvent écouter et regarder l‟enseignant. Même si l‟enseignant peut s‟appuyer sur ce qu‟il
a pu observer lorsque les élèves nageaient, ses interventions, hors activité, sont plus propices
à être organisées par des principes généraux de l‟activité.
c. P4 : un contenu bloqué dans la situation et dans le contrat didactique
Mis à part ce point commun souligné entre les enseignements de natation, les
enseignements menés par P1 et P4 s‟avèrent ici très différents. P4 a tendance à mettre en
place peu de situations distinctes. Ainsi, d‟une manière générale, le contenu de ses
enseignements, particulièrement les (NEx), est organisé par peu de réinvestissements
d‟invariants, toutes formes confondues. De plus, son enseignement de natation, qui contient
248
davantage de réinvestissements, s‟appuie principalement sur des réinvestissements « à
l‟identique ». Si la dynamique des situations semble très cohérente, dans la mesure où
« l’horizontalité » demeure leur enjeu principal tout au long du cycle, celle-ci s‟appuie
principalement sur des situations « identiques » au fil des séances. Notamment, une même
situation, inaugurale et conclusive dans les différentes séances, sert en permanence de
référence implicite aux autres situations. Mais, c‟est surtout la rareté des analogies internes
dans ses enseignements qui met avant la dimension implicite de cette référence. Lorsque P4
revient dans son discours sur une situation, c‟est moins pour s‟appuyer sur la « mémoire de la
classe » que pour revenir sur une organisation didactique souvent opaque pour les élèves. P4
fait très rarement référence à des éléments extérieurs à l‟imminence de chaque situation pour
justifier l‟enjeu des situations. Lorsque P4 tente de justifier le contenu transmis, celui-ci est
principalement référé à la situation en cours et au contrat didactique qui la soutient.
Nous avons déjà souligné la tendance de P4 à transmettre un contenu principalement
porté par les situations adidactiques. Ainsi, particulièrement en basket et en danse, P4 ouvre
très rarement le contenu de ses enseignements en dehors des situations. Il semble ainsi que ce
soit la situation adidactique qui légitime le contenu à part entière. Et lorsque plus rien
n‟émerge de l‟activité des élèves, P4 le leur rappelle. En danse, aux élèves qui s‟infligent de
n‟avoir rien à présenter, il leur répond : « Et bien oui, pourquoi… c’est parce que vous êtes
pas dans la situation » (S2). En basket, à une élève qui ne s‟engage pas dans l‟exercice, P4 lui
répond par ce qui est censé résoudre le problème : « je veux que tu fasses une situation, je
veux pas t’entendre » (S3).
Nous voudrions alors revenir sur cet enfermement du contenu dans les situations, car
s‟il est relativisable en natation, il détermine beaucoup les enseignements (NEx) de P4. En
effet, d‟une manière générale, les situations mises en place par P4 constituent des
aménagements didactiques souvent complexes. Ce sont ces aménagements qui sont alors
censés cristalliser le contenu. Ainsi, comme nous l‟avons soulevé, l‟organisation didactique
de ces situations constitue un objet récurrent de ses interventions. Mais si ces interventions
sont ponctuelles en natation, elles constituent de longues phases des séances en basket et en
danse. Car la complexité et l’artificialité des aménagements tendent à rendre opaque le
contrat didactique sous-jacent à chaque situation. P4 souligne souvent de manière explicite la
dimension fictive des aménagements et leur lien avec ce qu‟il souhaite voir émerger. Ainsi, en
danse, il passe son temps à essayer de justifier le milieu de l‟élève et son artificialité : « Mais
l’histoire des animaux était juste un prétexte pour faire un début de chorégraphie » (S1) ; « Si
vous voulez, on a pris les animaux pour qu’il y ait 4 mouvements de hauteur, pour qu’il y ait
249
du sol, du marcher, vers le haut, que ce soit riche à ce niveau là. Maintenant, les animaux on
s’en fiche entre parenthèses » (S1) ; « Mais c’est pas grave, c’est pas un mouvement où on se
dit : Ah, ben il glisse ! Forcément ! C’est une sensation générale. C’est pas parce que vous
faîtes un mouvement qui ne ressemble pas, qu’on va pas le retrouver » (S1) ; « Vous pouvez
imaginer n’importe quoi. C’est juste un prétexte si vous voulez » (S2). En basket, P4 fait de
même : « Tous les paniers, quelque soit la distance à laquelle je tire, valent deux points,
d’accord… pourquoi ça, pour vous pousser à marquer des paniers lorsque vous êtes proches
de la cible » (S1). Alors, quand il ne revient pas sur une justification des aménagements pour
réguler l‟activité des élèves, il poursuit la situation en réaménageant un milieu dans lequel les
contraintes artificielles et l‟enjeu de savoir fusionnent et contribuent ainsi à encore plus de
confusion : « Je veux voir des tirs en course, même s’il n’y a pas de réussite (…), vous allez
me compter maintenant combien de tirs en course vous réussissez à réaliser et non pas à
marquer » (S2). Car, c‟est bien ce qui définit le « processus de recherche d‟un contrat
hypothétique » (Brousseau, 1998) suivi par P4 : une confusion entre ses élèves et lui à propos
du lien entre les contraintes du milieu et ce qu‟elles sont censées faire émerger. Car
d‟ordinaire, ce lien purement didactique est sous la responsabilité de l‟enseignant. Il semble
alors qu‟en tentant en permanence de le justifier en l‟explicitant, et à vrai dire, sans trop
maîtriser sa cohérence, P4 perd les élèves, et lui avec, dans le contrat didactique. En danse,
lorsqu‟il finit de définir la première situation de la première séance, ayant bien explicité le
prétexte qui constitue le milieu des élèves, il les questionne : « Est-ce qu’il y a d’autres
questions ? » Elève : « Oui, moi j’ai rien compris » P4 : « Qu’est ce que tu n’as pas
compris ? » Elève : « Ben tout » P4 : « C'est-à-dire ? Il faut que tu m’expliques… Est-ce qu’il
y a d’autres personnes comme Camille qui n’ont rien compris ? » Elèves : « Oui… » P4
« Soyez plus précis, qu’est ce que vous n’avez pas compris ? » Elèves : « Tout ». Dans la
dernière séance, ayant insisté sur la nécessité de trouver « un thème » à leur construction,
comme celui des « différents sports », un élève fait des prises de judo : « Oui, mais quel
intérêt de faire ça ? » Elève : « Je sais pas » P4 : « Mais c’est pas construit dans le temps… ».
En basket, dans la deuxième séance, ayant aménagé une situation de « rugby-basket »,
consistant à un match de basket avec « une seule règle du rugby », « la manière de marquer »,
une élève en arrive à lui demander : « Monsieur, on fait pas rugby là ? ».
Alors, pour résumer, dans ses enseignements (NEx), les élèves ne cernent pas l‟enjeu
de leur engagement. Mais, pour autant, P4 ne semble pas vouloir lâcher prise : le milieu, quoi
qu‟il arrive, devra suffire. Comme s‟il ne supportait pas que le contrat didactique puisse être
rompu par les élèves, il intervient en permanence sur le contrat didactique lui-même pour
250
légitimer son contenu. Ainsi, le contenu de ses enseignements (NEx) nous semble bloqué dans
chaque contrat didactique et ne peut alors pas véritablement s’ouvrir en dehors celui-ci.
d. La danse : spécificités de l’activité créative
Bien que les résultats significatifs tendent à révéler davantage la marque de
l‟expérience et de la singularité de chaque enseignant, la spécificité de la danse nous semble
être déterminante pour cette dimension. En effet, la danse est en grande partie une activité de
création. L‟enseignement de la danse passe par l‟enseignement du rôle du chorégraphe et
donc de l‟activité de création. Ainsi, trois points nous semblent spécifier ici l‟enseignement
d‟une telle activité. Tout d‟abord, l‟activité du chorégraphe peut avoir tendance à être
enseignée au travers de situations globales de création. Ensuite, cette activité de création
nécessite beaucoup de temps pour produire quelque chose de stable et son enseignement passe
alors par des situations relativement longues et semblables au fil des séances. Enfin, la
création laisse place à un discours créatif, lui-même propice aux métaphores.
Ainsi, on peut remarquer que les enseignements de danse contiennent le moins de
réinvestissements « indirects implicites » et aussi, pour P3, de réinvestissements « directs ».
Ainsi, en ce qui concerne les situations globales, ces dernières étant propices aux
réinvestissements « indirects implicites », on peut remarquer que la spécificité de la danse ne
semble pas ici déterminante. Il nous semble plutôt que le faible nombre de réinvestissements,
d‟une manière générale, renvoie davantage au fait que peu de situations composent ces
enseignements et qu‟elles sont parfois identiques. Enfin, on peut noter que les enseignements
de danse contiennent beaucoup d‟analogies externes. Au travers d‟un discours sur la création,
les enseignants ont tendance à user de métaphores. Si c‟est davantage le cas chez P3 (« on
vient se plier comme si on se protégeait » (S1) ; « il faut pas tomber comme des vieilles
serpillières » (S2)), même P4, au travers d‟analogies très mimétiques, ouvre légèrement le
contenu portant sur la création : « Tirer par exemple (…), vous pouvez faire avec un pistolet,
mais je sais pas ! » (S2) ; « Mais tirer, tirer, ça peut… comme tirer un ballon de foot » (S2).
e. P3 en basket : des matchs et des commentaires
Les résultats significatifs pour les enseignements de P3 en basket nous semblent être
très déterminés par l‟organisation globale de leur contenu. Nous y reviendrons alors
ultérieurement. Toutefois, nous voulons ici commencer à cerner leur spécificité. Tout d‟abord,
251
étant organisés par très peu de situations (deux par séance), ils contiennent d‟une manière
générale, peu de réinvestissements. Pour autant, les deuxièmes situations renvoyant toujours à
une des séries de matchs entre les élèves, ce sont principalement des réinvestissements
« indirects implicites » qui les organisent. Ces matchs ne sont pas aménagés par rapport à un
milieu censé contribuer à l‟émergence d‟un contenu ayant déjà été rencontré par les élèves.
Ensuite, dans ces enseignements, les interventions centrées uniquement sur la situation
objective de l‟élève sont les plus récurrentes. Si les rares régulations effectuées par P3
contribuent à organiser son contenu à partir d‟une faible densité conceptuelle, elles sont aussi
spécifiées par une centration sur la dimension situationnelle. Dans les différentes situations, et
particulièrement lors des matchs, P3, au bord du terrain, régule à partir d‟injonctions et de
constats : « Fabrice, shoot quand t’es dans la zone » (S1) ; « lève la tête » (S1) ; « tu l’as pas
tiré avec la planche » (S2) ; « marcher, marcher… » (S2). Bien souvent, elles prennent
simplement la forme de commentaires et d‟arbitrages : « Bien joué Simon… bien joué
Clem… » (S1) ; « Benjamin, plus calme dans les contacts… faut bouger les verts… bien joué
ça les rouges… » (S2).
Ainsi, les enseignements de basket de P3 sont relativement spécifiques. Contrairement
aux autres enseignements de basket analysés, P3 propose des situations très peu aménagées.
Après une situation très simple de « shoot », il laisse simplement les matchs se dérouler en les
commentant de manière ponctuelle. Le contenu de ses enseignements de basket réside ainsi
principalement dans des situations globales commentées de l’extérieur.
f. P2 : les injonctions situationnelles et la progressivité des automatismes
Deux éléments caractérisent les enseignements menés par P2. D‟une part, dans ces
enseignements, les interventions (R) sont les plus rares. Et, notamment, l‟enseignement de
rugby est Max pour les interventions (S). D‟autre part, ce sont eux qui contiennent le plus de
réinvestissements « directs ».
Ainsi, on peut tout d‟abord remarquer que d‟une manière générale, les régulations
effectuées par P2 renvoient très souvent à des injonctions relatives à ce qu‟il faut que l‟élève
fasse en situation : « Finis à deux pieds » (Basket, S1) ; « Il faut que tu lèves la tête » (Basket,
S2) ; « Allez l’aider » (Rugby, S1) ; « Va au sol » (Rugby, S2). Nous avions souligné la
tendance de P2 à organiser le contenu de ses enseignements à partir d‟automatismes. On peut
ainsi noter qu‟ici les interventions situationnelles prennent souvent la forme de règles d‟action
articulant à la fois un constat et une injonction relatifs à la situation objective de l‟élève : « Il
est pas démarqué donc tu lui fais pas une passe » (Basket, S1) ; « Y en a aucun qui arrive sur
252
toi, vas-y toute seule » (Basket, S2) ; « T’étais au contact, tu gardes la balle » (Rugby, S1) ;
« Si tu vois que je donne, accélère » (Rugby, S3). La prépondérance de la dimension
situationnelle dans ses enseignements semble encore montrer la spécificité de ses
enseignements : leur contenu est organisé par des automatismes qu’il s’agit de mettre en
œuvre ici et maintenant. Ainsi, bien que certaines interventions de P2 articulent cette
dimension situationnelle avec des principes généraux de l‟APSA enseignée, les interventions
portant uniquement sur ces principes sont très rares. Toutefois, dans les enseignements de
Rugby, certaines interventions reviennent sur ces principes, principalement lorsque P2 arrête
brièvement l‟activité en cours des élèves. Ces interventions prennent alors souvent la forme
d‟une généralisation de règles d‟action : « Quand on est porteur de balle, soit on fait la passe,
quand on peut la faire… ou alors, si on fait le choix d’aller au contact, on ne fait plus la
place, on tend les bras… » (S2) ; « Soit je garde parce que le défenseur vient pas sur moi, et
j’avance… soit si le défenseur il vient sur moi, je donne à mon copain qui est en profondeur »
(S3). Ainsi, dans son enseignement (Ex), P2 à déjà plus tendance à sortir les automatismes de
l‟ici et maintenant. Mais, il y a une autre différence entre ses deux enseignements. En effet, il
nous semble que deux formes spécifiques d‟enseignements tendent à favoriser la dimension
situationnelle. Si dans ses deux enseignements, cette dimension s‟avère importante de par la
forme injonctive et automatisée de ces interventions, ces dernières sont effectuées de
l‟intérieur du milieu de l‟élève en rugby et de l‟extérieur en basket. En basket, à la manière de
P3, P2 reste au bord du terrain et régule l‟activité des élèves à partir de constats et
d‟injonctions. En rugby, quand il ne joue pas avec les élèves, il arrête leur activité pour
montrer ce qu‟il fallait faire.
L‟importance des réinvestissements « directs » dans ses enseignements permet de
pointer une autre de leurs spécificités. Ces derniers sont en effet organisés dans un
enchaînement très progressif de situations. Les différentes situations qui s‟enchaînent au fil
des séances ont le même enjeu, ou un enjeu proche, et renvoient à de légers réaménagements
du milieu, plus particulièrement en rugby. Ainsi, la première séance de rugby menée par P2
est principalement centrée sur « le contact » et s‟ouvre progressivement sur le choix des
attaquants entre « le contact » et « l’évitement ». La forme des situations qui s‟enchaînent est
alors toujours très similaire. Il s‟agit de progressions vers la cible dans lesquels les élèves
doivent franchir des rideaux défensifs. Les deux premières situations renvoient à des
franchissements en 2 contre 1 sans choix, d‟abord en allant « au contact » puis en « passant ».
Les deux suivantes, sur un terrain légèrement plus large, renvoient à des franchissements à
trois, avec choix, de deux rideaux défensifs d‟un seul joueur, puis de deux rideaux défensifs
253
d‟un et deux joueurs. Les deux suivantes renvoient à des franchissements à trois de deux
rideaux défensifs de deux joueurs par des zones déterminées par les attaquants, puis de
franchissements libres d‟un rideau défensif de trois joueurs. Enfin, un match en 4 contre 3 (P2
jouant toujours avec les équipes attaquantes), ponctue la séance. En ce qui concerne son
enseignement de basket, la première séance est constituée d‟un enchaînement de situation
relativement semblable. Les situations sont centrées sur la capacité du joueur attaquant à
« lever la tête » et s‟ouvrent progressivement sur le choix de celui-ci entre « passer » et
« avancer ». Dans la première situation, les élèves, par deux doivent s‟arrêter « en double
appui » et « passer » le ballon au signal de P2. La situation suivante est semblable, sauf que le
signal est donné par un élève défenseur. Les deux aménagements suivants consistent en des
progressions à deux vers la cible dans lesquelles le porteur de balle doit « passer » ou
« shooter » selon le signal d‟un élève extérieur, puis d‟un élève défenseur. Les deux suivants
consistent en des progressions vers la cible en 3 contre 2 dans lesquelles les porteurs de balle
doivent encore faire le même choix, mais selon la zone déterminée dans laquelle le défenseur
a choisi de s‟engager, puis selon les zones choisies par les deux défenseurs.
On voit ici que dans les deux enseignements menés par P2, les enjeux successifs des
différentes situations s‟enchaînent progressivement, en partant de l‟activité isolée du joueur
pour, pas à pas, engager celui-ci dans une activité décisionnelle de plus en plus complexe.
Cette organisation spécifique participe alors à une transmission progressive des automatismes
qui fondent leur contenu. Pour les élèves, les répétitions s’enchaînent sous les injonctions de
P2 et se complexifient progressivement dans un réseau d’automatismes censés organiser leurs
conduites. Mais, si dans ces enseignements, les situations s‟enchaînent à partir d‟une
progression lente et linéaire du contenu et à partir d‟un aménagement didactique relativement
stable, il sont toutefois ici relativement différents. Les réinvestissements « directs » demeurent
beaucoup plus nombreux (plus de deux fois et demie) qu‟en basket ; mais cela comme pour
tous les enseignements (Ex). On peut alors identifier ici une distinction entre ces
enseignements. En rugby, les différents aménagements didactiques sont encore plus similaires
qu‟ils ne le sont en basket. En basket, des situations renvoient à du jeu avec ou sans
opposition, avec ou sans cible et l‟activité décisionnelle des élèves est organisée par différents
signaux plus ou moins artificiels (« Stop », le bras d‟un élève, la zone de défense). En rugby,
toutes les situations renvoient à du jeu avec cible, opposition et l‟activité décisionnelle
s‟appuie sur des signaux propres au jeu effectif (la zone de défense, le placement du soutien,
les espaces libres). Ainsi, la progressivité du contenu transmis par P2, dans son enseignement
254
(Ex), s‟appuie sur des aménagements didactiques à la fois plus similaires et moins artificiels.
Il s’agit en fait d’une progressivité moins didactisée.
3.5 Des organisations singulières de la part d’initiative
3.5.1 Extraction des résultats significatifs
Tableau 14.5 : Résultats significatifs pour la part d’initiative
ExMax NExMin ExMin NExMax
Part d‟initiative
Choix
situation
0 P1 Nat P4 Bas P1 Rug P1 Gym
n P2 Rug P3 Bas 0 P2 Bas
∞ P3 Dan P1 Gym P2 Rug P4 Bas
Choix
interact.
Sol. P3 Dan 0 P1 Nat / P4 Nat P2 Bas / P4 Dan
Sol + Ch P3 Dan 0 0 P4 Dan
But + Ch P3 Dan 0 0 P4 Dan
Sol = Ch P2 Rug 0 P1 Nat / P3 Dan P2 Bas
Les ensembles de résultats regroupés pour être interprétés sont les suivants :
- Les enseignements de P1
- Les enseignements de natation, gymnastique et rugby
- Les enseignements de P2
- Les enseignements de danse
- Les enseignements du basket et de la danse par P4
255
3.5.2 Interprétations
a. P1 : des principes de l’APSA pour accomplir la tâche et le compromis en rugby
Les enseignements de natation et de gymnastique différent de celui du rugby
relativement à cette dimension. Nous reviendrons alors sur celui de rugby ultérieurement. Les
enseignements de natation et de gymnastique sont ceux dans lesquels les tâches mises en
place et définies par les enseignants offrent le moins aux élèves la possibilité de faire un
choix. Ainsi, l‟enseignement de natation s‟instaure comme un modèle à la tendance des
enseignements (Ex) et celui de gymnastique, encore une fois, comme un contre-exemple de
celle des enseignements (NEx).
Dans ces deux enseignements, lorsque P1 explicite les buts censés organiser les
conduites des élèves, on peut identifier un « glissement » : les moyens à mettre en œuvre pour
atteindre les buts déterminés sont progressivement présentés comme des sous-buts à atteindre.
Dans la première séance de natation, P1 propose une situation dans laquelle les élèves doivent
faire le moins de mouvements de brasse pour traverser le bassin. Mais lorsqu‟il définit cette
tâche qui incombe aux élèves, progressivement ce but est explicitement décliné en sous-buts
qui sont alors censés organiser effectivement l‟activité des élèves : « Je veux savoir lequel
d’entre vous fais le moins de mouvements de brasse pour arriver à l’autre bout… Qu’est ce
qu’il faut faire pour faire le moins de mouvements possible (…), il faut glisser, ça veut dire
quoi il faut glisser (…), un temps glissant brasse, ça veut dire que quand vous avez vos mains
allongées devant (…), on va plus vite dans l’eau quand on est bien alignés (…), je ramène,
paf, mes mains reviennent devant (…), je souffle dans l’eau (…), vous allez partir poussée du
mur (…), il faut chercher à glisser le plus possible ». Ainsi, ce glissement des moyens
potentiels à mettre en œuvre en buts explicites à atteindre est très net chez P1. Il nous semble
alors que sa tendance à justifier le contenu de ses enseignements à partir de hiérarchisations
entre les différents objets qui le constituent se retrouve ici. Dès les phases de définition, les
buts didactiques, soit ceux que sont portés par le milieu didactique, s‟articulent dans un réseau
de sous-buts constitutifs de l‟APSA enseignée. On peut alors identifier, au fil des situations,
des phases de définition dans lesquelles le but des tâches successives disparaît
progressivement pour laisser place à des buts organisateurs de l’APSA. En natation, les buts
des différentes tâches renvoient progressivement à « bien s‟appliquer » à mettre en œuvre des
conduites efficaces : « Appliquez vous… pensez qu’on respire bien sur le côté (…), pensez à
souffler dans l’eau (…), oubliez pas de battre les jambes » (S2). En gymnastique, dans une
situation d‟enseignement de l‟ATR, le but consiste simplement à effectuer des ATR et P1
256
explique alors ce qu‟il faut faire pour faire des ATR : « vous vous mettez par deux… ATR…
(…), les bras tendus (…), cette ouverture là, on la conserve (…), les jambes plus écartées
encore, clac, et il vient poser ses mains au moins là, il vient les poser loin devant… » (S2).
Dans ces enseignements, P1 ne transmet pas de choix potentiels aux élèves. Il laisse
très peu de place à leur initiative dans l‟émergence du contenu. On peut alors remarquer que
son enseignement du rugby diffère largement de ces derniers. En rugby, les tâches définies
par P1 qui ne laissent aucun choix potentiel aux élèves sont très rares. On peut identifier dans
certaines phases de définition des différentes situations un glissement comme dans ses autres
enseignements. Mais, pour plusieurs situations, P1 s‟attache à ne pas expliciter les conduites à
mettre en œuvre et surtout insiste sur l‟initiative des élèves à trouver quelles sont ces
conduites : « Deux contre un (…), le but du jeu c’est qu’ils viennent marquer l’essai là (…), là
ils se débrouillent comme il veulent, il faut marquer l’essai (…), je vous demande de trouver
quelles solutions vous avez pour marquer à tous les coups en deux contre un… » (S1) : « Je
veux que vous me trouviez comment on peut faire pour lui prendre le ballon (…), il faut
trouver une technique infaillible (…), réfléchissez bien, il y a une règle au rugby particulière
qui fait que pour lui prendre le ballon, il suffit de faire une chose… » (S2). On peut alors
remarquer ici deux choses. D‟une part, l‟insistance sur l‟initiative des élèves est très
spécifique chez P1. Elle se centre sur l‟émergence, encore une fois, de solutions génériques,
de principes du rugby, qui marchent « à tous les coups », qui sont « infaillibles ». D‟autre
part, cette insistance nous semble fébrile. En effet, P1 a tendance, dès la fin des phases de
définition ou dès les premières régulations effectuées, à orienter l‟activité des élèves vers les
bonnes conduites à mettre en œuvre : « commencez à réfléchir comment on peut faire…
sachant que ce qu’on vient de faire, c’est une passe, ça n’a pas été une passe qui a été faite
au hasard » (S2) ; « Essayer de la conserver une minute (…), par contre comment on fait au
rugby, si on n’a pas le droit de faire voler le ballon (…), on se le tend et l’autre (…), il vient
passer la main pour arracher » (S3). De même, les phases d‟institutionnalisation qui suivent
ces situations propices à l‟initiative des élèves, les longues justifications des conduites à
mettre en œuvre arrêtent définitivement la possibilité pour les élèves de faire des choix.
Il semble ainsi que dans cet enseignement de rugby, dans un phénomène de « réticence
didactique » (Sensevy, Quilio, 2002), P1 s‟efforce à laisser les élèves trouver les bonnes
solutions. Mais, pour autant, il ne semble pas pouvoir tenir longtemps sans participer
directement à l‟émergence de ces solutions. Pris dans un « compromis » (Carnus, 2001), il se
trouve ainsi confronté à une division propre au sujet didactique (Terrisse, 2009) : celle de
laisser les élèves chercher, mais d‟y être pour quelque chose.
257
Les organisations différentes des différents enseignements menés par P1 nous
semblent être déterminées par la spécificité des APSA enseignées.
b. Natation, gymnastique, rugby : initiative et activité décisionnelle
La natation et la gymnastique ne sont pas des activités décisionnelles. Pour être
efficace, il s‟agit d‟effectuer des mouvements précis dans un environnement stable. La
pratique même de ces activités ne laisse que très peu de place à l‟initiative du sujet. Les
différentes situations objectives dans lesquelles se trouve le pratiquant peuvent être, presque
exactement, identifiées a priori de son engagement moteur. En revanche, le rugby, comme
sport collectif, est une activité décisionnelle. Si la précision des mouvements contribue à une
plus grande efficacité, elle ne constitue ni une finalité de l‟activité, ni un moyen relativement
certain d‟être performant. L‟activité du sujet se déroule dans un environnement instable, dans
lequel les différentes situations objectives ne peuvent être déterminées à l‟avance. Ainsi,
l‟initiative du sujet ne peut avoir la même place dans l‟enseignement de ces différentes APSA.
Dans la mesure où des choix potentiels, relatifs à la singularité de chaque situation objective,
organisent différemment chacune de ces activités, un enseignement de rugby aura toujours
plus tendance à offrir des choix potentiels aux élèves dans l‟accomplissement des tâches que
des enseignements de natation ou de gymnastique.
Toutefois, si chaque APSA s‟organise spécifiquement par rapport à la part d‟initiative
du pratiquant, chaque enseignement de ces mêmes APSA contribue aussi à spécifier cette part
d‟initiative dans l‟organisation du contenu. On peut ainsi remarquer que l‟enseignement de
natation mené par P4 diffère de celui de P1. Si ces deux enseignements laissent peu de place à
l‟initiative, celui de P4 contient davantage de tâches offrant des choix potentiels aux élèves.
Dans certaines situations définies par P4, un seul but simple est censé organiser l‟activité des
élèves : « on va faire une situation de coulée dans laquelle il faut sortir le plus vite possible
derrière la ligne » (S1) ; « vous devez tous avoir en tête votre nombre de cycles de bras, il
faut essayer de le battre » (S2).
c. P2 : l’enseignement du choix et les automatismes
Les enseignements de P2 sont ceux qui contiennent le plus de tâches laissant un
nombre de choix dénombrables aux élèves. Ceux sont aussi ceux dans lesquels l‟enseignant
intervient le plus en proposant une solution aux élèves qui constitue un choix en elle-même.
Dans la mesure où dans on enseignement (Ex), P2 a, lui aussi, tendance à définir les tâches au
travers d‟un glissement des moyens en but, presque aucune tâche ne laisse une initiative totale
258
aux élèves. En revanche, dans ses deux enseignements, lorsque P2 définit les tâches avec les
élèves, celui-ci insiste sur différents moyens déterminés à mettre en œuvre pour accomplir
chaque tâche et surtout sur la nécessité pour les élèves de faire un choix : « Maintenant vous
allez jouer comme vous voulez, soit d’une façon, soit de l’autre, soit faire la passe avant
contact, soit la passe après contact, suivant si le défenseur vous prend ou vous prend pas
d’accord » (Rugby, S1) ; « suivant où c’est qu’elle vient jouer, vous devez faire le choix, soit
de rester dans cette zone là, soit d’aller là-bas d’accord » (Rugby, S1) ; « trois contre deux
(…), on va travailler le choix, faire le choix de marquer si Cyril, il vient pas sur moi (…),
mais surtout de faire le choix du coéquipier à qui je vais faire la passe » (Basket, S1).
On peut alors remarquer que cette forme prise par les phases de définition renvoie ici
aussi à un glissement des moyens en buts. Mais, la spécificité de P2 tient à ce que le but pour
les élèves devient le choix entre les différentes conduites efficaces à mettre en œuvre. Ces
choix sont alors, dès les phases de définition, inclus dans un réseau d‟automatismes. Les
élèves doivent faire un bon choix prédéfini au regard de chaque type de situation objective
potentielle. Le choix constitue un objet central du contenu de ses enseignements. P2 intervient
plusieurs fois pour le souligner : « donc le porteur de balle, il faut que tu choisisses très vite »
(Basket, S2) ; « prêt… t’es pas obligé de faire la passe, tu fais le choix… soit tu fais la passe,
soit tu gardes » (Rugby, S2). Pour autant, cet enseignement du choix, en s‟inscrivant dans des
automatismes, ne laisse pas véritablement l‟initiative aux élèves. Ils ne peuvent véritablement
entrer dans une activité décisionnelle puisque les conditions de l‟environnement et les actions
à mettre en œuvre sont prédéfinies par P2. Ce sont plutôt les processus inférentiels qui sont au
cœur des situations : il s‟agit de reconnaître ce qu‟a dit P2 dans chaque situation singulière. Il
ne s‟agit ensuite que de faire ce qu‟il a dit.
d. La danse : l’activité créative et expressive, l’initiative et les compromis
La danse est en grande partie une activité de création. Comme nous l‟avons déjà
soulevé, son enseignement passe par celui du rôle de chorégraphe. Ainsi, les élèves sont
souvent placés dans des situations dans lesquelles ils doivent créer des pas, des postures, des
mouvements, des formations. De plus, la danse est une activité expressive dans laquelle ces
mouvements et formations sont censés exprimer quelque chose à quelqu‟un par
l‟intermédiaire du corps de danseurs. Ainsi, certes l‟activité de création peut être cadrée à
partir de mouvements et de formations prédéfinies et de contraintes spatio-temporelles ;
l‟activité d‟expression peut renvoyer à des éléments déterminés qu‟il faut exprimer. Mais, cet
ensemble de contraintes ne peut, dans tous les cas, canaliser l‟infinité de mouvements et de
259
formations qui peuvent composer une chorégraphie, ni l‟infinité des moyens corporels pour
exprimer quelque chose. Les activités artistiques, dans leur dimension créative et expressive,
laissent par essence une grande initiative au sujet. Leur enseignement a donc tendance à être
organisé à partir de tâches laissant une infinité de choix aux élèves et d‟interventions de
l‟enseignant portant sur la possibilité de faire un choix pour les élèves.
Ainsi, on peut remarquer que les deux enseignements de danse sont ceux qui
contiennent le plus d‟interventions portant sur un choix. Pour autant, nous voulons ici
souligner une grande différence entre les enseignements de danse de P3 et P4. S‟ils
interviennent tous les deux de manière récurrente sur la possibilité de faire un choix, ces
interventions ne prennent pas la même forme. En effet, chez P3, la plupart de ces
interventions consistent en fait à une proposition de plusieurs bonnes solutions potentielles,
alors que chez P4 la plupart d‟entre elles renvoient plutôt à un rappel du but et de la nécessité
de faire un choix. De son côté P3, dans les deux séances consacrées à la création, met en place
des situations dans lesquelles les élèves ont une infinité de choix : les danseurs doivent
progressivement créer une chorégraphie et au final les spectateurs doivent l‟apprécier. Mais
P3 revient de manière récurrente sur cette infinité potentielle de choix pour les élèves. Parfois,
il intervient en proposant plusieurs solutions mais en soulignant tout de même l‟initiative
nécessaire des élèves : « Si vous êtes à quatre, la formation de départ, elle peut être
intéressante en quadrilatère… deux devant, deux derrière espacés… si vous êtes à trois, vous
pouvez faire une formation en triangle… à deux vous pouvez inventer ce que vous voulez… »
(S2). Souvent, il propose simplement plusieurs solutions : « vous pouvez être face au public,
vous pouvez être dos au public » (S2). Fréquemment, ces interventions s‟articulent alors avec
des analogies internes, faisant référence aux « pas » construits par P3 dans la première
séance : « J’aimerai voir autre chose que ça, j’aimerai voir des trucs qu’on vu (P3 montre)…
on a vu des pas de prépa debout… vous vous rappelez… on a vu des sauts comme ça (P3
montre)… celui-là aussi (P3 montre)… celui-là en avançant (P3 montre)… » (S3). Il nous
semble alors, qu‟à la manière de P1 en rugby, P3 s‟attache à laisser l‟initiative de la création
aux élèves, mais tend à rapidement proposer de bonnes solutions aux élèves. Cette récurrence
des interventions dans lesquelles il propose plusieurs solutions, en insistant parfois sur la
possibilité de choisir parmi elles, voire parmi d‟autres potentielles, nous semble révéler le
compromis dans lequel se trouve aussi P3. D‟une manière générale, il insiste au début des
séances sur l‟initiative des élèves : « C’est à vous de trouver » (S2) ; « Mais justement, c’est à
vous de trouver, vous êtes quatre, vous êtes grands… » (S2). Mais rapidement, devant les
élèves parfois peu créatifs, il reprend l‟initiative de la création : « Et comment vous
260
commencez alors ?... Je vous aide » (S2). Ainsi, dans de très longues régulations, P3 construit
les chorégraphies des élèves en référant les solutions proposées à la première séance dans
laquelle il portait à part entière le savoir qu’il faut maintenant mettre en œuvre. Mais pour
autant, après avoir créer une très grande partie de leur chorégraphie, il insiste à nouveau sur
leur initiative : « et ensuite je vous laisse créer, c’est à vous de trouver un peu… trouvez des
choses… » (S2).
De son côté, P4 semble se trouver dans une autre forme de compromis. Lorsque celui-
ci intervient à propos des choix potentiels des élèves, c‟est plus pour leur rappeler que
l‟initiative est à eux que pour leur soumettre des solutions potentielles : « Tourner… à vous de
chercher » (S1) ; « vous faîtes ce que vous voulez » (S1) ; « Ramper… il y a plein de choses à
faire (S2) ; « Mais fais ce que tu veux » (S3). On peut alors noter que ces interventions
ponctuent souvent les différentes régulations effectuées par P4. Contrairement à P3 qui insiste
sur l‟initiative des élèves pour finalement la reprendre, P4 tente plutôt d‟aider les élèves en
engageant son initiative dans la création pour finalement les laisser faire ce qu‟ils veulent. Ces
interventions chez P4 ont ainsi plutôt une forme d‟abandon : Elève : « ça c’est… euh,
tomber ! » P4 : « Hein ? » Elève : « C’est tomber ça ? » P4 : « Tomber ? Mais tu tombes pas !
Mais fait ce que tu veux ! Fais ce que tu veux… » (S2) ; « ça peut être une chorégraphie…
elle fait hop, tu la prends… ça peut être un mouvement aussi… par exemple… parce que,
essayez de gommer cette inactivité que vous avez là… comme vous voulez, vous pouvez faire
un truc là… comme vous voulez, comme vous voulez… » (S3).
Ainsi, face à l‟initiative sous-jacente à l‟activité créative et expressive enseignée, P3 et
P4 se placent dans des compromis opposés. P3 se trouve coincé entre la nécessité de laisser
l‟initiative aux élèves et le désir de leur proposer des solutions. P4 est lui coincé entre le désir
de leur proposer des solutions et son incapacité à le faire.
e. P4 en basket et en danse : l’initiative dans les situations adidactiques
Ces deux enseignements sont ceux qui proposent le plus de tâches laissant une infinité
de choix aux élèves. Si dans l‟enseignement de natation mené par P4, dans la tendance des
enseignements (Ex), celui-ci définit les situations à partir d‟un glissement des moyens en buts,
ce glissement est particulièrement absent dans ceux de basket et de danse. Dans plusieurs
phases de définition, P4 se contente de proposer un but propre à la tâche qui incombe aux
élèves sans articuler celui-ci à des sous-buts relatifs à l‟APSA enseignée : « vous devez réagir
spontanément avec votre corps sur ce à quoi ça vous fait penser » (Danse, S1) ; « essayez de
deviner les différents verbes qui vont être exprimés » (Danse, S2) ; « vous avez deux tirs
261
possibles dans chaque panneau, si le premier est marqué il faut changer de panneau et
l’objectif c’est de faire le maximum de panneaux… en 5 minutes » (Basket, S1) ; « Basket-
rugby… dribble interdit… pour marquer il faut faire une passe à un partenaire qui est déjà
dans l’embut… il faut aplatir le ballon derrière la ligne de fond… pour gagner un match, il
faut marquer deux essai » (Basket, S2).
Il nous semble ainsi qu‟on peut encore une fois identifier la tendance de P4 à faire
porter le contenu de ses enseignements principalement par les situations adidactiques et le
contrat didactique. Dans ses enseignements (NEx), il ne s‟aventure pas à proposer du contenu
aux élèves pour organiser leur engagement dans la tâche. Un but simple et des conditions pour
atteindre ce but suffisent pour organiser le milieu didactique. La confrontation des élèves à ce
milieu semble suffire à faire potentiellement émerger le contenu.
La confusion qui règne en danse entre P4 et les élèves, à propos des « pas » renvoyant
à des « animaux » et des « verbes » censés leur permettre d‟ « exprimer quelque chose » est
ainsi la source de l‟abandon de P4 que nous avons soulevé. Lorsqu‟il conclut ses différentes
régulations en disant finalement aux élèves de faire ce qu‟ils veulent, c‟est surtout qu‟il
constate l‟échec de la situation adidactique. Ne supportant pas que les élèves puissent rompre
le contrat, au bout d’un moment, il préfère le rompre lui-même et s’en aller en leur laissant
totalement l’initiative de la création.
262
3.6 Des organisations globales singulières
3.6.1 Extraction des résultats significatifs
Tableau 14.6 : Résultats significatifs pour l’organisation globale
ExMax NExMin ExMin NExMax
Organisation
globale
Articulat. P2 Rug P4 Bas P4 Nat P1 Gym
Globalité
situations
Globale P3 Dan P2 Bas / P4 Bas P1 Rug P3 Bas
Frag. P1 Rug P2 Bas / P4 Dan P1 Nat / P3 Dan P4 Bas
Amen. P4 Nat P1 Gym P3 Dan P4 Bas
Frag. Am P2 Rug P4 Dan P1 Nat / P3 Dan P1 Gym
Decomp. P1 Rug P3 Bas P4 Nat P4 Dan
Globalité
émerg.
inv.1
Sér 1 P3 Dan P2 Bas P2 Rug P4 Dan
Sér 2 P3 Dan P1 Gym P2 Rug P4 Bas
Sér 9 P4 Nat 0 P3 Dan / P1 Rug P1 Gym
Sér 10+ P1 Rug / P2 Rug 0 P3 Dan P1 Gym
Les ensembles de résultats regroupés pour être interprétés sont les suivants :
- Les enseignements de P4
- Les enseignements de P3
- Les enseignements de P2
- Les enseignements de P1
3.6.2 Interprétations
a. P4 : la complexité de l’APSA, la complexité des aménagements
Dans les enseignements de P4, les articulations systémiques entre les invariants sont
les moins nombreuses. Rappelons alors que ces enseignements sont les moins hiérarchisés et
1 Nous n‟exposons ici que les résultats relatifs aux séries d‟un, deux, neuf et dix invariants distincts. Les séries
médianes (trois, quatre, cinq, six, sept et huit) ne nous semblent pas présenter ici un intérêt. Les séries exposées
permettent en revanche d‟identifier les tendances les plus radicales relativement à la chronogenèse des
invariants.
263
automatisés d‟un point de vue conceptuel et que les processus inférentiels y sont peu
favorisés. Cette tendance générale est valable pour tous ces enseignements. Comme nous
l‟avons montré, d‟une manière générale, le contenu des enseignements de P4 est
principalement porté par les situations adidactiques. Alors, les invariants mis en jeu dans ses
interventions se réfèrent moins à d‟autres invariants, sous la forme d‟articulations, qu‟à la
situation en cours et au contrat didactique qui la soutient, sous la forme de justifications.
Cependant, cette tendance se spécifie dans ses enseignements (Ex) ou (NEx). En natation, P4
articule davantage les invariants entre eux, sous la forme de hiérarchies de buts et de règles
d‟action. Mais surtout, ce sont les invariants sous-jacents aux situations qui s‟articulent
davantage entre eux et qui sont potentiellement réinvestis au fil de ces situations. Dans ses
enseignements de danse et de basket, le contenu semble bloqué dans chaque contrat
didactique et ne peut alors pas véritablement s‟ouvrir en dehors celui-ci.
On peut ainsi remarquer que dans la chronogenèse générale en danse et en basket, la
mise en jeu des différents invariants renvoie de manière récurrente à une succession du même
invariant ou de deux invariants. Ainsi, P4 qui régule peu l‟activité des élèves en leur
proposant directement du contenu, intervient aussi de manière continue à partir du même
contenu. En basket, durant toute la situation de match de la deuxième séance, P4 n‟intervient
qu‟à propos des « passes décisive » qui sont censées organiser l‟activité des observateurs et du
fait d‟ « être seul face à la cible ». Les deux invariants mis en jeu se répètent de manière
exclusive et continue dans de longues phases de régulation avec différents élèves : « la passe
décisive, c’est une passe qui amène un tir seul contre la cible » ; « Alexia, elle a fait une
passe ratée, une passe décisive » ; « il a regardé Alexia, elle a fait une passe ratée, une passe
décisive » ; « pour l’instant aucune passe décisive » ; « Mathieu, je crois qu’il s’est retrouvé
seul, donc passe décisive » ; « vous avez compris passe ratée, passe décisive ? Non… » ;
« Passe décisive, il s’est retrouvé seul » ; « Là y a une passe de Steven décisive » ; « elle s’est
retrouvée devant la cible » ; « C’est pas Camille qui a la passe décisive » ; « là y avait passe
décisive ». En danse, dans la situation de construction chorégraphique de la première séance,
P4 entre encore une fois dans une phase de régulation qui débute par de longues interventions
exclusivement à propos des « animaux » à interpréter et des « verbes » à exprimer. Il met
alors beaucoup de temps pour se centrer à autre chose : « Bien voilà, pas exemple, pour
l’aigle, vous pouvez faire flotter » ; « maintenant on ne cherche plus à savoir si c’est des
animaux » ; « c’est quoi les verbes là ? » ; « quatre mouvements sur zigzaguer, quatre
mouvements sur glisser… » ; « c’est quoi vos verbes ? Déterminez vos verbes » ; « ça nous
intéresse plus les animaux entre parenthèses » ; « on va essayer de vois si vous réussissez à
264
transmettre ces verbes » ; « vos verbes vous les avez choisis ? » ; « ramper par exemple… le
serpent, vous rampez pas ? » ; « Rouler par exemple, je sais pas, lorsque vous faîtes le
tigre ? » ; « Maintenant ce qui nous intéresse, c’est que vous transmettiez les verbes ! ». On
peut alors voir que dans ces deux enseignements, les interventions successives de P4
s‟appuient de manière continue sur les mêmes objets. Mais on peut aussi remarquer que la
similarité du contenu de ces interventions successives renvoie au fait que les invariants mis en
jeu par P4 ne s‟ouvrent pas au-delà des enjeux des situations. Les longues régulations
présentées relèvent en fait principalement d‟un « processus de recherche d‟un contrat
hypothétique » insistant qui ne permet pas à P4 d‟ouvrir ses interventions vers autre chose.
En revanche, en natation, on peut remarquer que P4 propose des séries d‟interventions
s‟appuyant sur une diversité d‟invariants. Si cet enseignement est le moins diversifié des (Ex)
au niveau conceptuel, pour autant la mise en jeu successive des invariants n‟est pas affectée
par cette faible diversité. P4 intervient en régulant successivement à partir d‟une diversité
d‟objets. Il s‟écarte davantage des enjeux des différentes situations pour proposer des
solutions. Mais, les longues séries de mises en jeu d‟invariants distincts renvoient
principalement aux longues phases d‟institutionnalisation dans lesquelles P4 revient avec les
élèves sur les bonnes conduites à mettre en œuvre : « Qu’est ce qu’on peut faire pour
diminuer les cycles de bras ? » ; « important le battement de jambes » ; « jambes tendues ici,
les jambes les plus dures » ; « aidons nous de la poussée du mur » ; « nager droit » ; « des
mouvements de bras, on les fait peut-être le plus lent possible » ; « en essayant d’aller
chercher loin » ; « au niveau de la position de la tête, on essaye de la maintenir (…), menton
poitrine ».
Dans tous ces enseignements la tendance de P4 est de faire porter le contenu par les
situations adidactiques. Ainsi, il régule peu l‟activité des élèves en apportant du contenu. Mais
dans son enseignement de natation, il prend toutefois le temps, dans de longues phases
d‟institutionnalisation, de mettre à jour pour les élèves la complexité de l‟APSA. En revanche,
dans ses enseignements (NEx), le contenu porté par les situations y est en fait bloqué. Les
différents objets qui le constituent émergent relativement à chaque situation et toujours en
référence au contrat didactique.
On peut enfin remarquer que les enseignements de P4 contiennent la plus grande
proportion de situations « aménagées », mais aussi que l‟enseignement de natation contient le
moins de situations « décomplexifiées » alors que celui de danse en contient le plus. Ainsi,
d‟une manière générale, les situations mises en place par P4 sont toujours organisées par des
contraintes didactiques, matérielles et/ou symboliques, très marquées et censées orienter
265
l‟activité des élèves. Le milieu de l‟élève est toujours très didactisé. Mais ces aménagements
peuvent être distingués entre ses enseignements (Ex) et (NEx). Ainsi, en natation, si cet
aménagement est souvent complexe, il n‟en détruit pas pour autant la « logique globale »1 de
pratique de l‟APSA. La troisième situation de la première séance a pour enjeu
« l’horizontalité ». P4 met en place un aménagement dans lequel les élèves doivent effectuer
un changement de nage crawl/dos crawlé tous les deux cycles de bras. La troisième situation
de la troisième séance, organisée par ateliers, a le même enjeu, mais renvoie à différents
aménagements contenant aussi des vrilles crawl/dos crawlé, du rattrapé crawl et des planches.
Ainsi, si l‟enseignement de « l’horizontalité » passe par de lourds aménagements, il ne nous
semble pas empiéter sur les contraintes organisant l‟activité globale du nageur. En revanche,
en basket et en danse, les aménagements mis en place nous semblent parfois relativement
ambigus. En basket, pour enseigner « le tir en course », dans la deuxième séance, P4 demande
aux élèves de compter le nombre de tirs en courses effectués. Dans la troisième séance, dans
les matchs en un contre un, ces tirs en courses valent plus de points que les autres. Enfin, pour
que l‟intention de « s’approcher de la cible » organise les conduites des élèves, P4 met en
place une situation de « rugby-basket » qui consiste finalement, si l‟on passe outre ses
explications, à progresser sans dribble. En danse, pour que les élèves s‟engagent à « exprimer
quelque chose », P4 en passe par « les animaux » qui doivent ensuite exprimer « les verbes »
qui doivent finalement exprimer une « sensation » générale. Pour enseigner « le rythme »,
s‟enchaînent alors une situation dans laquelle les élèves doivent marcher en rythme et une
situation simplement « ludique », « le jeu du chef d‟orchestre », où les élèves doivent imiter
ce que font les autres et retrouver qui a commencé. Il nous semble alors que deux tendances
se dégagent ici. D‟une part, surtout en danse, plusieurs situations n‟ont plus rien à voir avec la
pratique globale de l‟APSA. D‟autre part, les lourds aménagements nous semblent ici être
plus propices à porter à confusion les élèves qu‟à faire émerger du savoir. Parfois, ce savoir
ne peut pas véritablement se cristalliser dans le milieu : compter le nombre de conduites
efficaces ne justifie pas l‟émergence de ces conduites. Parfois, c‟est simplement une trop
grande complexité des contraintes didactiques qui dissout le savoir : imiter des animaux pour
exprimer des verbes pour faire ressentir une sensation ne va rarement plus loin pour les élèves
qu‟imiter des animaux.
1 Il s‟agit là en quelque sorte de la « logique interne » (Parlebas, 1991) de l‟APSA. Mais nous préférons ici
appuyer la dimension globale de cette logique, compte tenu de la problématique ici discutée.
266
Si pour P4 le contenu réside dans les situations adidactiques, lorsqu‟il est (NEx), leur
aménagement ne porte pas efficacement ce contenu. Pour le malheur de P4, le contrat
didactique ne peut alors être tenu.
b. P3 : la globalité de l’immersion culturelle et l’école de hip-hop
Les enseignements de P3 sont ceux qui contiennent la plus grande proportion de
situations « globales ». Dans ces deux enseignements, P3 ne met jamais en place plus de deux
situations distinctes. Nous reviendrons plus loin sur la première séance de danse, mais mise à
part celle-ci, ces différents enseignements renvoient presque uniquement à des situations
« globales ». En basket, après une brève situation de tir au panier, c‟est une série de matchs
qui organise la majeure partie de ces enseignements. En danse, ce sont uniquement de longues
situations de création chorégraphique et éventuellement d‟interprétation devant un public qui
les organisent. Ainsi, les aménagements didactiques se font rares chez P3. D‟une manière
générale, les APSA y sont enseignées telles quelles. Les contraintes qui organisent l‟activité
des élèves renvoient alors principalement à celles qui organisent l‟activité du pratiquant de
l‟APSA. Contrairement à P4, les « pas » mis en jeu par P3 ne constituent pas un
aménagement didactique du milieu censé justifier un enjeu expressif. Il les enseigne lui-même
au travers de nombreuses régulations. Contrairement à P4, le shoot « sur le côté » n‟est pas
justifié par des plots qu‟il faut contourner, P3 se contente de répéter aux élèves qu‟il faut
shooter « sur le côté ». Et quand la « zone de confort » est matérialisée par des plots pour
orienter l‟activité des élèves, P3 enlève ces plots à la séance suivante. Il n‟y a pas de « rugby-
basket » ni de « jeu du chef d‟orchestre » dans les enseignements de P3.
Ainsi, ses enseignements ont tendance à prendre la forme d‟une immersion globale
dans l‟APSA enseignée. Mais cette immersion n‟est pas conduite de la même manière en
danse et en basket. Comme nous l‟avons montré, le contenu de ses enseignements de basket
réside principalement dans des situations globales commentées de l’extérieur. En basket, P3
pénètre très peu le milieu de l‟élève, encore moins corporellement. En danse, il pénètre
particulièrement ce milieu et, dans la première séance qu‟il mène, son corps constitue même
l‟élément central de ce milieu. Dans l‟un il est le professeur de danse, dans l‟autre il est le
commentateur de basket.
Il faut alors s‟arrêter sur la première séance de danse très spécifique menée par P3
pour cerner davantage comment la logique de ses enseignements se spécifie en danse et en
basket. Dans cette séance, P3 fait entrer l‟école de hip-hop dans sa classe. Nous l‟avons déjà
précisé, cette séance est toute entière une « leçon de danse ». P3 construit des pas que les
267
élèves doivent intégrer et reproduire. Mais surtout, il s‟agit d‟une leçon de danse à l‟intérieur
de l‟institution « hip-hop ». Accompagné de ses collaborateurs professeurs de hip-hop et de
musique hip-hop, habillé dans la tendance hip-hop, P3 porte avec lui et sur lui la culture hip-
hop. Explicitant cette culture aux élèves et utilisant un langage spécifique au hip-hop, il
dissout l‟institution classe dans l‟institution hip-hop.
Si cet enseignement contient le plus de séries d‟un ou deux invariants distincts dans la
chronogenèse des invariants successifs, c‟est que toute la première séance renvoie à
l‟enseignement des « pas » et des « postures » qui s‟enchaînent incessamment. Dans cette
séance, il y a peu de place pour la complexité de l‟APSA. Les situations sont
« décomplexifiées » et les invariants émergent de manière linéaire et continue, très
majoritairement dans une succession entre les « pas » et les « postures » qui les composent.
Ces « pas » et « postures » sont alors transmis par l‟intermédiaire du corps de P3 qui, dans sa
compétence à les réaliser et dans la spécificité des « pas hip-hop » qu‟il s‟attache à
transmettre, porte alors véritablement la culture hip-hop sur lui-même.
Nous disions que le contenu des enseignements de P3 était porté par la culture
spécifique de l‟APSA. Il nous semble alors que ce contenu réside plus précisément dans une
immersion globale dans la culture de l’APSA. Mais cette immersion globale prend des formes
spécifiques dans ses enseignements (Ex) et (NEx). En danse, l‟enseignement s‟inaugure par
une acculturation de l’institution classe et se poursuit par une immersion portée par le corps
de P3 et le langage spécifique de l’APSA. En basket, l‟immersion se fait principalement au
travers des situations globales de pratique de l‟APSA, quelque peu du langage de l‟APSA,
très peu du corps de P3.
c. P2 : densité conceptuelle, émergence contextuelle et complexité de l’APSA
L‟enseignement de rugby mené par P3, le plus dense au niveau conceptuel, est celui
qui compte le plus d‟articulations systémiques entre les invariants. Celui de basket est
l‟enseignement (NEx) qui en compte le plus après celui, très spécifique, de gymnastique mené
par P1. Comme nous l‟avons montré, dans ses enseignements, P2 intervient de manière
récurrente en articulant entre eux des invariants sous la forme de règles d‟actions. Aussi, la
diversité des invariants mis en jeu et les enchaînements progressifs des situations favorisent
de nombreux réinvestissements « directs ». Ainsi, au travers de ces différentes articulations,
P2 a tendance à proposer un contenu favorable à la complexité de l‟APSA enseignée. Cet
enchevêtrement des différents objets dans différents contextes est largement plus marqué en
268
rugby, mais, pour un enseignement (NEx), celui de basket s‟y spécifie aussi. Nous avons aussi
soulevé la spécificité des enseignements de P2 dans ce que ses interventions sont
principalement centrées sur chaque situation objective dans laquelle se trouve l‟élève et
rarement uniquement sur des principes généraux des APSA enseignées.
On peut alors remarquer que son enseignement de rugby contient le plus de séries de
dix (ou plus) invariants distincts et le moins de séries d‟un ou deux. Son enseignement de
basket contient le moins de mises en jeu successives d‟un même invariant. Il nous semble
alors que la tendance de P2 à intervenir à partir d‟une grande diversité d‟invariants très
articulés entre eux et en se centrant sur chaque situation singulière dans laquelle se trouve
l‟élève est ici déterminante. L‟articulation entre les invariants conduit P2 à mettre rarement en
jeu un même invariant de manière successive, qu‟il s‟agisse du basket ou du rugby. En
revanche, les longues séries d‟invariants distincts sont spécifiques au rugby. Dans cet
enseignement, lorsque P2 régule l‟activité des élèves, il pénètre leur milieu et intervient alors
relativement à chaque situation dans laquelle les élèves, et souvent lui-même, se trouvent.
Ayant de quoi répondre à chacune de ces situations, les invariants mis en jeu sont alors
diversifiés dans le temps. Ainsi, lorsque P2 joue avec les élèves, endossant le rôle de
capitaine, celui-ci régule incessamment à partir d‟injonctions relative à chacune des situations
objectives successives : « on la plaque » ; « tourne toi » ; « on va l’aider » ; « passe par le
sol » ; « écartez-vous » ; « quand il y a un regroupement comme ça, le premier qui récupère
le ballon, il prend pas pour aller là » ; « quand ta copine va au sol, tu prend le ballon et tu
fais la passe directement, pour que ce soit quelqu’un qui est lancé et qui va droit qui
arrive » ; « avancez… Laurent avance » ; « arrache » ; « place-toi en défense » ; « t’es au sol
Aurélie… quand t’es au sol, t’as pas le droit de jouer le ballon » ; « tu tapes le drop » (S2).
Ainsi, en rugby, si les situations se succèdent dans un enchaînement progressif, en
revanche, les régulations de P2 prennent une forme éparse. Le contenu de son enseignement
s’inscrit ainsi à la fois dans une progression linéaire et dans une émergence contextuelle qui
relativise alors largement la linéarité de la chronogenèse des invariants.
On peut enfin identifier une autre différence entre ses deux enseignements. Comme
nous l‟avons montré, les aménagements didactiques mis en place par P2 sont plus complexes
en basket qu‟en rugby et la progressivité plus didactisée. On peut alors remarquer qu‟en effet
les enseignements de basket ne comportent aucune situation « globale » ou « fragmentée »,
alors que la moitié d‟entre elles sont « décomplexifiées ». En rugby, de nombreuses situations
sont « fragmentées et aménagées ». Ce sont une grande partie des situations de progressions
aménagées vers la cible. Mais ces situations n‟amputent pas la majorité des contraintes qui
269
organisent d‟ordinaire les conduites du pratiquant de rugby. En basket, les situations de
« passe à dix », les séries de passes par deux sans cible et les signaux artificiels censés
organiser l‟activité des élèves ne laisse pas de place à la complexité de l‟APSA et à l‟activité
globale du pratiquant. La distinction (Ex)/(NEx) s‟apparente alors ici à celle déjà identifiée
chez P4.
d. P1 : logique complexe de l’APSA, justifications et globalisation/décomplexification
L‟enseignement de gymnastique de P1 est le (NEx) qui contient le plus d‟articulations
systémiques. Par ailleurs, son enseignement de rugby est celui qui en contient le plus très
légèrement derrière celui mené par P2. Ainsi, comme lui, le contenu des enseignements de P1
est très favorable à la complexité des APSA enseignées. Les invariants mis en jeu par P1 sont
articulés entre eux, principalement sous la forme de hiérarchisations. Ils s‟articulent aussi
dans le temps au travers des nombreux réinvestissements, principalement « indirects
explicites ». Et, beaucoup plus que chez P2, ils sont articulés dans différents contextes au
travers de nombreuses analogies explicites. Alors, si, comme chez P2, les articulations
systémiques forment un contenu favorable à l‟enseignement de la complexité des APSA
enseignées, celles-ci se spécifient chez P1 par leur forme très hiérarchique et explicite.
On peut alors aussi remarquer que l‟enseignement effectif du rugby par P1 contient le
plus de séries de dix (ou plus) invariants distincts dans la chronogenèse des invariants. De
même, celui de gymnastique contient le plus de séries de neuf et dix (ou plus) invariants et le
moins de séries de deux. Ainsi, d‟une manière générale, comme P2 en rugby, ces régulations
sont spécifiques aux différentes situations objectives dans lesquelles se trouvent les élèves.
Mais, chez P1, comme nous l‟avons déjà soulevé, elles s‟articulent souvent avec des principes
généraux de l‟APSA enseignée. Elles renvoient même souvent uniquement à ces principes
qui, pour autant, sont mis en jeu par P1 relativement à la singularité de ce qu‟il a pu observer
dans l‟activité des élèves. De plus, les longues explicitations hiérarchiques effectuées par P1,
principalement dans des phases de définition en natation et dans des phases
d‟institutionnalisation en rugby, participent, à la manière de P4 en natation, à une mise en jeu
de longues séries d‟invariants distincts. En gymnastique, comme chez P2 en basket, mais
d‟une manière encore plus marquée, c‟est surtout l‟insistance de P1 sur les articulations entre
invariants qui le conduit à mettre en jeu ces longues séries. Car, en fait, son enseignement
élément par élément ne contribue pas à favoriser une émergence globale du contenu. Mais,
ses interventions relatives à chaque élément s‟appuient souvent sur un ensemble d‟invariants
distincts censés organiser la réalisation de chaque élément. En rugby, les longues phases
270
d‟institutionnalisation, déclinant et articulant plusieurs invariants distincts, nous semblent
montrer comment la complexité de l‟APSA est amenée par P1. Dans la troisième séance, P1
arrête la première situation, puis interroge les élèves en référence à une question à laquelle ils
devaient répondre sur leur cahier : « pourquoi on se rentre dedans au rugby ? ». Au bout d‟un
moment, entendant une réponse pertinente de la part d‟un élève, il rentre alors dans une
longue explication mettant en jeu de nombreux invariants : « merci… pour faire de
l’espace » ; « si j’essaie de contourner, et bien Ludo, il me choppe » ; « je peux être un gros
malin, essayer sur mes appuis de passer entre les deux, mais, passer entre les deux, c’est
pareil, je vais être bloqué » ; « on passe par terre » ; « Mathias, il est plus que tout seul à
défendre et moi là, j’ai encore deux copains » ; « du coup là, je donne » ; « moi j’ai réussi à
me tourner comme ça » ; « il faut se rentrer dedans, les jeunes, pour fixer la défense » ; « il
faut qu’il y en ait qui fassent les proies pour qu’il y en ait d’autres qui puissent avancer ». On
voit alors ici comment, chez P1, particulièrement dans ses enseignements (Ex), les longues
séries d‟invariants distincts forment des ensembles d‟invariants constituant des « blocs » dans
la chronogenèse. Celle-ci prend alors une forme « sporadique » dans laquelle la logique
complexe de l’APSA est transmise de manière ponctuelle au travers d’une effervescence
d’objets.
On peut alors enfin remarquer que ces longues explicitations ponctuelles de la logique
complexe de l‟APSA arrivent sans que P1 semble s‟y soit consciemment préparé. Alors,
encore une fois, il explicite ce constat : « Ok… j’avais pas prévu de vous raconter ça
maintenant, on enchaîne, je voulais pas en venir là… » (S3). Il nous semble alors que cette
explicitation constitue un exemple d‟une spécificité de P1. En effet, celui-ci a toujours
tendance à expliciter et justifier les choses. Quand il s‟agit du contenu, cela passe par de
longues interventions relatives aux différents objets, aux principes de l‟APSA, à sa logique
complexe. Mais, P1 a aussi tendance à expliciter et justifier la qualité de sa propre activité
didactique. En natation, il revient ainsi explicitement sur la chronogenèse effective des
situations. Dans la deuxième séance, P2 a oublié une situation (S5, qu‟il met alors en place
ultérieurement) : « d’accord… donc j’ai une bonne nouvelle pour vous, vous avez fait
cinquante mètres pour rien, j’avais oublié un exercice… ». De même, en gymnastique,
comme nous l‟avons montré, il revient sur la qualité de ses démonstrations : « Bon là c’était
nul d’accord, je suis pas du tout monté à l’ATR » (S1) ; « moi j’y arrive pas très bien » (S3).
Dans la troisième séance qu‟il n‟a pas préparée, il revient cette fois de manière ironique sur
cette préparation : « regardez moi alors… aujourd’hui le thème de la séance, que j’ai
longuement préparé… longuement cette nuit très tard… donc je vous demande de bien vous y
271
filer… la notion d’enchaînement… ». L‟explicitation et la justification semblent ainsi
constituer une voie de laquelle P1 ne peut s‟écarter, dès lors qu‟il entre dans le didactique.
Pour conclure, les différents types de situations mis en place par P1 s‟organisent d‟une
manière spécifique. Ses trois enseignements contiennent une assez grande proportion de
situations « décomplexifiées » (les séries de plaquage en rugby, les 50m sans battements de
jambes en natation, les ateliers aménagés spécifiques à un élément en gymnastique).
L‟enseignement de natation ne contient aucune situation « fragmentée » (il s‟agit toujours de
faire des longueurs de bassin) mais contient une proportion équitable des trois autres. Les
situations simplement « aménagées » (rattrapé crawl), les situations « globales » (nage
complète) et les situations « décomplexifiées » s‟enchaînent. En rugby, ce sont surtout des
situations « décomplexifiées » et simplement « fragmentées » (les 2 contre 1) qui
s‟enchaînent. Si ces situations ne sont pas « globales », elles constituent en revanche
simplement des fragments de la pratique globale de l‟APSA. En gymnastique, en revanche, ce
sont principalement des situations « fragmentées et aménagées » (les minis enchaînements
d‟éléments imposés par P1) et « décomplexifiées » qui s‟enchaînent. Peu de place est réservée
aux situations de pratique globale de l‟APSA. Nous avons montré que chez P1, la logique de
progression des situations prenait une forme enchâssée dans une logique d‟alternance. On
peut alors préciser ici que cette alternance s’instaure dans ses enseignements (Ex) comme une
logique de « globalisation/décomplexification » dans laquelle les différents types de situations
se succèdent. Dans son enseignement (NEx), la part réservée à la pratique globale est
davantage effacée mais l‟alternance demeure entre des situations plus ou moins
« décomplexifiées ».
3.7 Conclusions
Cette longue démarche d‟analyse progressive nous a permis d‟identifier des
enseignements spécifiques. Nous avons caractérisé des organisations singulières du contenu
marquées de la logique singulière de chaque enseignant, de la spécificité des différentes
APSA enseignées et du poids de l‟expérience personnelle. Ce poids, dont l‟identification
constitue la première intention de notre recherche, a pu ainsi être dégagé de manière
ponctuelle dans différents enseignements singuliers. En tentant notamment de caractériser la
logique spécifique de chaque enseignant, nous avons pu identifier comment ce poids pouvait
agir chez chacun d‟eux. La logique progressive de l‟analyse et les allers-retours interprétatifs
272
entre les différentes dimensions nous ont permis d‟effectuer de nombreuses « relectures » de
chaque enseignement. Ces « relectures » progressives nous ont ainsi permis de décloisonner
notre cadre d‟analyse pour dégager, pas à pas, des logiques génériques d‟enseignement, elles-
mêmes spécifiées par le poids de l‟expérience.
Nous voulons alors maintenant, dans une nouvelle partie, conclure ce travail de
recherche en proposant une construction du cas de chaque enseignant, au regard de sa logique
singulière et du poids de l‟expérience. A partir des interprétations effectuées dans cette partie,
puis du point de vue de chaque sujet enseignant identifié au travers de l‟analyse des entretiens
post-séances et d‟après-coup, nous voulons proposer progressivement un ensemble de
conclusions sur le poids spécifique et générique de l’expérience personnelle de l’enseignant
sur l’organisation du contenu de ses pratiques.
273
PARTIE 4 : Interprétations et Conclusions :
l’expérience, le sujet didactique et
l’enseignement effectif
274
Dans cette partie, nous présentons les conclusions de notre recherche. Toujours d‟une
manière progressive, nous proposons un ensemble de conclusions relatives au poids de
l‟expérience personnelle de l‟enseignant sur l‟organisation du contenu de ses pratiques. Cette
partie s‟organise en alors en quatre temps. Tout d‟abord, nous proposons une synthèse des
interprétations effectuées dans la partie précédente, relativement au cas de chaque enseignant.
Dans un premier temps, nous construisons alors chaque cas au regard de sa logique singulière
et du poids spécifique de l‟expérience, tels que nous les avons caractérisés dans nos
interprétations. Cette étape de la construction des cas nous permettra alors de systématiser le
poids spécifique de l‟expérience chez chaque enseignant. Ainsi, dans un deuxième temps,
nous intégrerons à cette analyse le point de vue de chaque sujet enseignant sur ses propres
pratiques et sur le poids de sa propre expérience personnelle. Au travers des données issues
des entretiens post-séances et d‟après-coup, nous tenterons de spécifier la logique de chaque
enseignant et du poids de son expérience. Cette analyse s‟appuiera sur les problématiques
spécifiques et génériques dégagées dans l‟analyse précédente, afin de les spécifier, les
relativiser et les ouvrir vers des éléments d‟interprétation prenant en compte les
préoccupations subjectives des enseignants. Alors, dans un troisième temps, nous conclurons
sur le poids de l‟expérience, spécifiquement à chaque enseignant et génériquement aux
pratiques d‟enseignement. Nous terminerons enfin en discutant, dans un quatrième temps, ces
ensembles de conclusions, dans une réflexion épistémologique sur l‟expérience et sa
transmission ainsi que sur les moyens dont dispose le chercheur pour les identifier. Cette
réflexion s‟étendra sur nos perspectives de recherche.
275
1. La construction des cas :
synthèse de l’analyse des
pratiques
Nous présentons ici la première étape de la construction du cas de chaque enseignant.
A partir des différents éléments dégagés dans les interprétations menées précédemment, nous
proposons une vision synthétique du cas de chacun. Cette construction prend alors une double
direction. Nous reconstruisons à la fois la logique singulière de chaque enseignant et le poids
spécifique de l‟expérience personnelle sur ses pratiques. Nous présentons alors une synthèse
des organisations singulières du contenu caractérisées dans les enseignements menés par
chaque enseignant, afin d‟en dégager ce qui spécifie chacun d‟eux. Les différents éléments
propres à chaque enseignant étant systématisés, nous pourrons alors ensuite poursuivre la
construction des cas à partir de leur propre point de vue.
Cette présentation est effectuée en deux temps pour chaque enseignant. Tout d‟abord,
nous proposons un tableau (tableau n) dans lequel les différentes interprétations effectuées,
relativement à chaque enseignant, sont regroupées et organisées. Nous distinguons alors dans
ce tableau ce qui renvoie à la logique singulière de l‟enseignant, à la spécificité de ses
enseignements (Ex), (NEx) et, lorsque c‟est le cas, (NEx*). Dans ce tableau, lorsque les
spécificités identifiées sont déterminées par la logique de l‟APSA, nous les succédons du
signe (APSA). Ensuite, nous proposons une synthèse explicative de ce tableau.
276
1.1 Le cas de P1
1.1.1 Le cas de P1 : synthèse de l’analyse des pratiques
Tableau 15.1 : Le cas de P1 : synthèse de l’analyse des pratiques
P1 : les justifications logiques
Logique du
sujet
enseignant
La justification
Le temps de la
justification
La logique de la preuve
L’auto-
justification
Principes hiérarchiques
Hiérarchie de
l’APSA
Glissements hiérarchiques (APSA) Hiérarchie de la
complexité
Logique des actions motrices
La logique de la motricité La logique de son propre corps
L’ouverture du contenu
Principes
généralisateurs
La preuve par
l’alternance
Références dans
l’institution classe
L’ouverture
analogique
Ex
La chronogenèse sporadique de la complexité
Des blocs dans la
chronogenèse
Globalisation/décomplexification
Le « compromis de l’expérience » (APSA)
La nécessité de laisser
l’initiative
Le désir de
participer
Une solution stable
NEx
Les « allures » de l’expérience
La densité du contenu La présence du corps (APSA)
La division du corps de l’enseignant
Les aveux Les excuses L’abandon
Une complexité limitée
La pratique globale de
l’APSA ?
L’interventionnisme linéaire
277
1.1.2 La logique singulière de P1 et le poids spécifique de l’expérience : synthèse de
l’analyse des pratiques
a. La logique de P1
P1 est dans une logique permanente de justification. Il se réfère toujours au
« pourquoi » des choses. Les longues phases de définition ou d‟institutionnalisation
constituent principalement le temps de la justification. En ce qui concerne le contenu de ses
enseignements, P1 est dans une logique de la preuve. Il cherche en permanence à prouver la
pertinence et la légitimité de ce contenu. En ce qui concerne, son activité didactique, il est
dans une logique d‟auto-justification. Il commente et justifie la qualité de sa propre activité
didactique.
La justification du contenu passe notamment par l‟enseignement de principes
hiérarchiques. Le contenu de ses enseignements renvoie à une hiérarchisation des différents
objets constitutifs de l‟APSA, référés aux grands principes de l‟APSA, puis référés à la
logique même de l‟APSA. Il constitue une hiérarchie de l’APSA. Articulant largement tous
ces objets sous une forme hiérarchique, P1 enseigne une hiérarchie de la complexité de
l‟APSA. Lorsqu‟il définit les situations, le but des tâches successives disparaît
progressivement pour laisser place un réseau de sous-buts constitutifs de l‟APSA enseignée.
Ces phases constituent des glissements hiérarchiques.
La justification du contenu passe aussi par l‟enseignement de logiques d’actions
motrices. P1 réfère et justifie aussi les différents objets mis en jeu à la logique de la motricité.
Différents principes logiques, notamment mécaniques, relatifs à la motricité justifient la mise
en jeu de ces objets. Il les réfère de même à la logique de son propre corps. Son corps, plus ou
moins compétent, sert de référence aux principes enseignés.
Enfin, la justification passe aussi par une ouverture du contenu de ses
enseignements. Le temps de la justification laisse place à l‟enseignement de principes
généralisateurs qui sortent le contenu de chaque situation dans laquelle il a émergé. Au
travers de nombreuses situations distinctes qui s‟enchâssent sous la forme d‟alternance, P1 est
dans une logique de preuve par l’alternance. La pertinence du contenu sous-jacent aux
situations se trouve justifiée par d‟autres situations plus ou moins « décomplexifiées ». P1
s‟appuie sur une « mémoire de la classe » très explicite. Celle-ci constitue un point de
référence dans l’institution classe lui permettant de justifier la logique du ce contenu. Au
travers d’ouvertures analogiques, P1 ouvre son contenu en le référant à des éléments externes.
278
b. Le poids spécifique de l’expérience chez P1
Dans les enseignements (Ex) de P1, celui-ci favorise la complexité de l‟APSA. Celle-
ci y trouve sa place dans les longues phases d‟explicitation et dans certaines situations. On
peut identifier des blocs dans la chronogenèse. Dans les phases d‟explicitation, P1 transmet la
logique complexe de l‟APSA de manière ponctuelle au travers d‟une effervescence d‟objets.
La logique d‟alternance identifiée prend ici la forme d‟une « globalisation /
décomplexification ». Il met ici en place des situations « globales » qui arrivent aussi comme
des blocs de complexité. Ainsi, dans ses enseignements (Ex), la complexité apparaît en masse
et de manière ponctuelle dans le déroulement des séances. Ce déroulement prend la forme
d‟une chronogenèse sporadique de la complexité.
Si d‟une manière générale, P1 laisse peu d‟initiative aux élèves, son enseignement de
rugby est marqué par son inscription dans un « compromis de l’expérience ». Divisé entre la
nécessité de laisser l’initiative aux élèves et le désir de participer à l‟émergence du contenu,
P1 oscille entre les deux voies. Il tend toutefois à sortir de ce compromis en proposant une
solution stable sous la forme de principes généraux.
L‟enseignement (NEx) mené par P1 prend des « allures » d’enseignement (Ex). P1
régule largement l‟activité des élèves à partir d‟un contenu relativement diversifié et articulé.
La densité de son contenu diffère beaucoup des autres enseignements (NEx). De même, on
peut identifier une forte présence du corps dans cet enseignement. P1 s‟engage
corporellement et le corps est un élément central du contenu. Toutefois, la spécificité de
l‟APSA gymnastique est ici déterminante.
Si P1 s‟engage corporellement, cet engagement est très singulier. Il prend
progressivement la forme d‟une division du corps de l’enseignant. S‟il démontre, c‟est en
faisant l‟aveu de sa faiblesse et en justifiant la qualité de son engagement. Puis, s‟il ne
démontre plus, il s‟excuse alors de cette faiblesse et de la dégradation de son corps. Cette
division le conduit au final à l‟abandon de son engagement corporel puis de son enseignement
de l‟APSA.
Le contenu de son enseignement est organisé à partir d‟une complexité limitée. Si la
logique d‟alternance y demeure, la pratique globale de l’APSA y est absente. Le contenu est
principalement transmis élément par élément. Si P1 intervient largement pour réguler
l‟activité des élèves et que les objets s‟articulent dans ses interventions, celles-ci sont très
279
redondantes et ne sortent que rarement des situations en cours. Les blocs de complexité y sont
rares. Il s‟agit d‟un interventionnisme linéaire.
1.2 Le cas de P2
1.2.1 Le cas de P2 : synthèse de l’analyse des pratiques
Tableau 15.2 : Le cas de P2 : synthèse de l’analyse des pratiques
P2 : L’automatisation progressive
Logique du
sujet
enseignant
Les automatismes
Les règles d’action La complexité automatisée
Injonctions en situation
Ce qu’il faut faire ici et maintenant Constats et injonctions
La progressivité du contenu
Une progression linéaire
Complexification progressive des
automatismes
Des choix sans initiative
L’enseignement du
choix (APSA)
L’automatisation du
choix
L’initiative de
l’enseignant
Ex
L’excellence du corps de l’enseignant
Le corps de
l’enseignant comme
milieu de l’élève
L’engagement
narcissique
Le corps de l’enseignant
au détriment de celui de
l’élève
Une progressivité ouverte du contenu
Généralisation des
automatismes
Une progressivité peu didactisée
l’émergence de la complexité de l’APSA
L’activité décisionnelle globale
du pratiquant
L’émergence contextuelle
NEx
La protection du corps de l’enseignant
Injonctions de l’extérieur La position défensive
L’artificialité de l’activité décisionnelle
NEx*
Transversalité de la conceptualisation
Des champs
conceptuels
transversaux
L’institution « groupe
de l’APSA » (APSA)
La centration de
l’enseignant (APSA)
280
1.2.2 La logique singulière de P2 et le poids spécifique de l’expérience : synthèse de
l’analyse des pratiques
a. La logique de P2
Le contenu des enseignements de P2 est fondé sur des automatismes. Ce contenu
constitue un ensemble de règles d’actions que les élèves doivent mettre en œuvre. P2, en
articulant les différents objets sous la forme d‟automatismes, favorise relativement la
complexité de l‟APSA. Mais celle-ci prend une forme spécifique, il s‟agit d‟une complexité
automatisée.
Ces automatismes sont transmis au travers d‟injonctions en situation. Ses
interventions sont très directives et ont principalement pour objet ce qu’il faut faire ici et
maintenant. Ces interventions, ayant pour objets des règles d‟actions, renvoient ainsi à une
articulation entre des constats et des injonctions. P2 revient sur la situation objective et
demande aux élèves d‟agir en conséquent.
Son enseignement est aussi marqué par une progressivité du contenu. Au travers de
situations successives très semblables, P2 propose une progression linéaire du contenu. Dans
ces situations successives, pour les élèves, les répétitions s‟enchaînent sous les injonctions de
P2 et se complexifient progressivement dans un réseau d‟automatismes censés organiser leurs
conduites. La chronogenèse prend alors la forme d‟une complexification progressive du
contenu.
Le choix du pratiquant en situation est un objet central du contenu de ses
enseignements. Si la spécificité des APSA enseignées peut est ici déterminante, P2 s‟attache à
enseigner le choix. Toutefois, les tâches qu‟il propose consistent à faire le bon choix en
situation. Ses interventions ont aussi souvent pour objet la nécessité de faire un choix. Dès les
phases de définition, P2 inclus alors explicitement ce choix dans un réseau d‟automatismes.
Les élèves doivent ainsi faire un bon choix prédéfini au regard de chaque type de situation
objective potentielle. Il enseigne une automatisation du choix. Mais, cet enseignement du
choix, en s‟inscrivant dans des automatismes, ne laisse pas véritablement l‟initiative aux
élèves. Une grande partie de l‟activité décisionnelle est laissée à l’initiative de l’enseignant.
P2 enseigne ainsi d‟une certaine manière des choix sans initiative.
281
b. Le poids spécifique de l’expérience chez P2
L’excellence du corps de P2 est un pilier de l‟organisation du contenu de son
enseignement (Ex). Tout d‟abord, dans cet enseignement, le corps de P2 constitue une grande
part du milieu de l’élève. Il intervient à l‟intérieur de ce milieu à partir d‟un lourd engagement
corporel. P2 pratique avec les élèves et centre l‟attention sur son activité, au travers de
nombreuses régulations en situation et d‟arrêts de l‟activité, et plus précisément sur son corps
au travers d‟incessantes démonstrations corporelles. Cette centration sur son corps prend alors
la forme d‟un engagement narcissique. P2 endosse le double rôle de chef d‟équipe et de
professeur d‟EPS. De son indiscutable compétence, il insiste alors sur l‟excellence de son
corps. Mais, cette centration sur lui-même conduit les élèves à n‟agir que par rapport à lui et
le corps de l‟élève a peu de place dans son enseignement. Ainsi, le corps de P2 est ici central
au détriment de celui de l’élève.
Dans les enseignements de P2, on peut identifier une progression linéaire du contenu.
Dans ses enseignements (Ex), cette transmission sort davantage de l‟ici et maintenant des
situations. Lorsque P2 arrête brièvement l‟activité en cours des élèves, ses interventions
prennent souvent la forme d‟une généralisation de règles d‟action. Ainsi, il ouvre le contenu
des situations par une généralisation des automatismes. De plus, les légers aménagements
successifs du milieu mis en place par P2, renvoyant la plupart du temps à des fragments de
pratique globale de l‟APSA, conduisent à une progressivité peu didactisée. Celle-ci participe
ainsi à sortir très tôt le contenu du milieu aménagé. Ainsi, on assiste dans cet enseignement à
une progressivité ouverte du contenu.
Les aménagements mise en place par P2 n‟amputent pas la majorité des contraintes qui
organisent d‟ordinaire les conduites du pratiquant. La complexification du contenu s‟appuie
de manière générale sur l’activité décisionnelle globale du pratiquant de l‟APSA. De plus,
ayant de quoi répondre à chacune des situations objectives dans lesquelles se trouvent les
élèves, les objets mis en jeu par P2 sont alors diversifiés dans le temps. Le contenu de son
enseignement s‟inscrit ainsi à la fois dans une progression linéaire et dans une émergence
contextuelle qui favorise l’émergence de la complexité de l’APSA.
Dans son enseignement (NEx), deux éléments montrent une forme de protection du
corps de P2. D‟une part, contrairement à son enseignement de rugby, les injonctions en
situation sont effectuées de l’extérieur du milieu de l‟élève. P2 ne pratique pas avec eux et son
engagement corporel est largement moindre. D‟autre part, l‟excellence de son corps lui faisant
282
ici défaut, il adopte ponctuellement une position défensive en référant sa compétence
transversale dans les sports collectifs.
En basket, on assiste alors à un enseignement dans lequel domine une certaine
artificialité de l’activité décisionnelle des élèves. Les aménagements progressivement mis
en place s‟appuient notamment sur une lourde décomplexification de cette activité.
Les enseignements de P2 sont les seuls qui nous ont permis de dégager un poids de
l‟expérience personnelle de l‟enseignant dans une APSA du groupe de l‟APSA enseignée. Ce
poids peut être identifié par rapport à la transversalité de la conceptualisation qui constitue
le contenu de ses deux enseignements, (Ex) et (NEx*). Une grande partie des situations
didactiques dans lesquelles P2 régule ont des enjeux similaires. Les choix et les règles
d‟action aussi. Ainsi, on peut identifier un ensemble d‟invariants qui organise le cœur du
contenu de ses deux enseignements. Ce contenu est organisé par des champs conceptuels
transversaux. La conceptualisation et la contextualisation des différents objets organisant
l‟APSA passe alors par la verbalisation des différents objets transversaux à ces deux
enseignements. Ainsi, on peut identifier dans son enseignement (NEx*) une certaine référence
à l’institution « groupe de l’APSA ». Mais, c‟est surtout la centration de P2 sur ce même
champ conceptuel, sous la forme de règles d‟actions, au travers des situations semblables
centrées sur l‟activité décisionnelle des élèves qui spécifie pour lui la particularité du poids de
l‟expérience dans le groupe de l‟APSA. Cette identification ne peut ainsi être effectuée que
par le cas de P2 puisqu‟il est le seul à enseigner deux APSA du même groupe.
283
1.3 Le cas de P3
1.3.1 Le cas de P3 : synthèse de l’analyse des pratiques
Tableau 15.3 : Le cas de P3 : synthèse de l’analyse des pratiques
P3 : l’immersion globale dans la culture de l’APSA
Logique du
sujet
enseignant
La culture de l’APSA
Le langage de l’APSA
Verbaliser l’APSA Contextualiser l’APSA
La globalité de l’immersion
Les APSA telles quelles Une immersion directe
Ex
La verbalisation
La verbalisation du corps (APSA) L’institution APSA
L’immersion culturelle
L’acculturation de l’institution
classe
Le corps de l’enseignant porteur de
la culture
Le professeur de danse
Le corps de l’enseignant
comme milieu de l’élève
Le corps de
l’enseignant comme
référence
« L’école de danse »
Le « compromis de l’expérience »
La nécessité de laisser
l’initiative
Le désir de
participer
Les solutions référées à
la « leçon de danse »
NEx
Les commentaires extérieurs
Les commentaires ponctuels
de la situation
Les commentaires hors du milieu de l’élève
284
1.3.2 La logique singulière de P3 et le poids spécifique de l’expérience : synthèse de
l’analyse des pratiques
a. La logique de P3
Les enseignements de P3 diffèrent largement sur de nombreux points. Ainsi, ce sont
principalement des distinctions entre ses enseignements (Ex) et (NEx) qui composent la
construction de son cas. Toutefois, on peut identifier certains éléments qui lui sont singuliers.
Le contenu de ses enseignements nous semble transmis à partir de la culture
spécifique de l’APSA.
Dans ses enseignements, P3 a tendance à utiliser un langage spécifique à l’APSA.
Certes, ce langage passe par une verbalisation beaucoup plus intense en danse, mais P3 tend à
verbaliser l’APSA dans sa spécificité. De même, il fait relativement référence au contexte de
l’APSA dans ses deux enseignements.
Mais ce qui s‟affirme le plus comme généricité de ses enseignements, c‟est la
globalité de l’immersion que forme son processus de transmission. Les quelques situations
mises en place par P3 constituent en grande partie des situations « globales » de pratique, dans
lesquelles es contraintes qui organisent l‟activité des élèves renvoient alors principalement à
celles qui organisent l‟activité du pratiquant de l‟APSA. P2 enseigne les APSA telles quelles.
Ces situations sont alors peu nombreuses et ne sont pas aménagés par rapport à un milieu
censé contribuer à l‟émergence d‟un contenu ayant déjà été rencontré par les élèves. Il s‟agit
d‟une immersion directe.
b. Le poids spécifique de l’expérience chez P3
L‟enseignement (Ex) de P3 est mené à partir d‟une grande activité de verbalisation. Il
utilise notamment une large verbalisation du corps. Si l‟APSA danse s‟avère ici déterminante,
P2 tend à largement verbaliser le corps, ses mouvements, ses positions et ses formes,
notamment sous la forme de métaphores. Mais surtout, c‟est une verbalisation très spécifique
de l‟APSA, par ses appellations instituées, et de son contexte historique et culturel qui marque
son enseignement. Ainsi, l’institution « APSA » est très présente dans son enseignement.
Cette institution « APSA » qui entre dans la classe avec P3 révèle la forme très
marquée de son enseignement de danse. Il s‟agit d‟une immersion culturelle. P3 inaugure
son enseignement en menant une « leçon de danse ». Dans cette leçon, l‟explicitation de la
285
culture hip-hop, l‟utilisation de son langage spécifique, de ses apprêts spécifiques, de sa
musique spécifique et la venue de ses représentants constituent une acculturation de
l’institution classe par l‟institution hip-hop. Mais, cette acculturation passe aussi par le grand
engagement corporel de P3 qui transmet en démontrant la spécificité des positions,
mouvements et formes du hip-hop. Dans sa compétence à la réaliser, le corps de P3 porte sur
et avec lui la culture hip-hop.
Ce corps porteur de culture situe ainsi le professeur d‟EPS qu‟est P3 dans ce qu‟il
devient ici le professeur de danse. L‟inauguration de son enseignement est effectuée à partir
de situations « décomplexifiées », d‟interventions redondantes et automatisées dans lesquelles
les différents objets émergent de manière linéaire et continue. Les élèves n‟ont qu‟à répéter en
rythme ce que fait P3. La classe prend ainsi la forme d‟une école de danse. Ainsi, le corps de
P3 constitue la majeure partie du milieu des élèves. Le corps des élèves doit faire ce que fait
celui de l‟enseignant. De plus, lorsque l‟école de danse disparaît pour laisser place à des
enseignements globaux de la création, P3 intervient largement en référant les solutions
proposées à la première séance dans laquelle il portait à part entière le savoir que les élèves
doivent maintenant mettre en œuvre. Le corps de P3 devient alors la référence au long des
séances.
A la manière de P1, dans son enseignement de danse, P3 semble coincé dans un
« compromis de l’expérience ». Comme lui, divisé entre la nécessité de laisser l’initiative
aux élèves et le désir de participer à l‟émergence du contenu, P3 oscille entre les deux voies.
Mais, pour se sortir de ce compromis, il tend plutôt au final à proposer des solutions
ponctuelles référées à sa « leçon de danse ».
Dans son enseignement (NEx), la transmission du contenu, au-delà des situations très
globales, passe en grande partie par des commentaires extérieurs de P3. A partir de constats
ou d‟injonctions, il commente ponctuellement différentes situations objectives dans lesquels se
trouvent les élèves. Ainsi, ses commentaires sont effectués hors du milieu de l’élève. P3 ne
s‟engage peu dans la pratique avec les élèves et encore moins corporellement.
286
1.4 Le cas de P4
1.4.1 Le cas de P4 : synthèse de l’analyse des pratiques
Tableau 15.4 : Le cas de P4 : synthèse de l’analyse des pratiques
P4 : la place aux situations et au contrat didactique
Logique du
sujet
enseignant
Le contenu dans chaque situation adidactique
Le contenu dans
les aménagements
La conceptualisation
dans les situations
Valorisation de
l’adidactique
Chaque
situation en
son temps
Une logique de gestion du contrat didactique
La justification des situations Le contrat doit tenir
Le désengagement du corps de l’enseignant
L’absence du corps de
l’enseignant
Un discours sans engagement
Ex
Des aménagements complexes à la complexité de l’APSA
La complexité dans
les situations
Une ouverture des
situations vers la
complexité (APSA)
La logique globale de
pratique comme
référence
NEx
Un contenu en arrière-plan
La faible verbalisation du
contenu
Les buts organisateurs de la tâche
L’absence du corps
Un enseignement décorporé L’attention du corps sur le milieu
L’opacité du contrat didactique
L’ambiguïté des
aménagements
Un processus tenace malgré
la confusion
Le contenu
enfermé
Le « compromis de l’inexpérience »
La nécessité de
participer
Le désir de tenir le contrat L’abandon
287
1.4.2 La logique singulière de P4 et le poids spécifique de l’expérience : synthèse de
l’analyse des pratiques
a. La logique de P4
Dans les enseignements de P4, le contenu réside principalement dans chaque
situation adidactique. Dans ces situations, le milieu de l‟élève est toujours très didactisé. Les
contraintes qui le constituent, censées organiser l‟activité des élèves, sont toujours très
marquées. Ainsi, le contenu se trouve principalement dans les aménagements. P4 intervient
peu en verbalisant directement le contenu. Les différents objets qui le constituent sont surtout
mis en jeu et articulés entre eux à l‟intérieur même des situations. Dans ses enseignements, la
conceptualisation est dans les situations. De même, les rares interventions de P4 mettant
directement en jeu ces différents objets prennent plutôt la forme de questionnements et, de
manière générale, les tâches proposées laissent une place à l‟initiative des élèves. Cette
insistance sur les situations et l‟initiative des élèves pour faire émerger le contenu forment une
valorisation de l’adidactique marquée chez P4. Il met alors en place peu de situations
distinctes et son discours récurrent sur les situations elles-mêmes montre la centration de P4
sur chaque situation. P4 enseigne chaque situation en son temps.
Mais ce discours sur les situations révèle en fait la logique de gestion du contrat
didactique qui organise ses enseignements. P4 s‟attache à définir longuement ces situations
en insistant principalement sur leur organisation didactique. Lorsqu‟il régule l‟activité des
élèves ces interventions reviennent aussi largement sur cette organisation. Alors, lorsqu‟il
tente de justifier le contenu émergeant c‟est encore en référence à celle-ci. Il est dans une
logique de justification des situations. L‟insistance de P4, dans ses régulations, sur cette
organisation plus que sur le contenu lui-même montre ainsi ce qui organise largement son
activité : le contrat doit tenir.
Ce primat des situations et cette importance du contrat s‟articulent ainsi avec un
désengagement du corps de P4 dans ses enseignements. En classe, son discours ayant
principalement pour objet l‟organisation didactique du milieu de l‟élève, P4 pénètre peu ce
milieu. Son discours semble être mené sans engagement direct de sa part. Il tend à définir les
situations en démontrant très rarement ce qu‟il faut faire. Les démonstrations corporelles sont
les plus rares dans ses enseignements. On assiste à une absence du corps de P4 dans ses
enseignements.
288
b. Le poids spécifique de l’expérience chez P4
Dans son enseignement (Ex), la conceptualisation sous-jacente à l‟engagement dans
les situations mises en place par P4 laisse une certaine place à la complexité de l‟APSA. Les
différents objets sous-jacents aux situations s‟articulent davantage. On peut y identifier une
part de complexité de l’APSA dans les situations. Si dans ses enseignements, le contenu réside
principalement dans chaque situation, en natation, P4 propose une ouverture de ces situations
vers la complexité de l‟APSA. Dans des phases d‟institutionnalisation, quand les
questionnements avec les élèves ne reviennent pas simplement sur l‟organisation didactique,
P4 s‟appuie parfois sur une diversité d‟objets et s‟écarte davantage des enjeux des différentes
situations pour proposer des solutions. Enfin, si les aménagements mis en place par P4 sont
souvent assez lourds, ici, il ne détruisent pas pour autant la « logique globale » de pratique de
l‟APSA. Au travers de situations identiques, celle-ci constitue même, de manière toujours un
peu aménagée, une référence pour les élèves. Ainsi, la « logique globale » de pratique de
l’APSA est ici une référence. Dans son enseignement (Ex), P4 passe des aménagements
complexes à la complexité de l’APSA.
Dans ses enseignements (NEx), P4, qui régule peu en apportant du contenu, celui-ci
reste en arrière plan. P4 utilise très peu le langage du corps ou celui spécifique à l‟APSA. On
assiste à une faible verbalisation du contenu. Lorsqu‟il définit les situations, un but renvoyant
à un aménagement didactique et des conditions pour atteindre ce but suffisent pour organiser
le milieu de l‟élève. Les phases de définition sont principalement composées des buts
organiseurs de la tâche.
Si d‟une manière générale, le corps de P4 est relativement absent, dans ses
enseignements (NEx), c‟est le corps tout court qui est absent. Le faible recours aux
démonstrations corporelles et la quasi absence des interventions portant sur le corps de l‟élève
révèlent des enseignements décorporés. La seule activité sensorielle des élèves sur laquelle
revient P4 renvoie à une centration de leur attention sur l‟environnement ou le milieu. C‟est
l’attention corporelle sur le milieu qui constitue la seule prise en compte du corps dans les
enseignements (NEx) de P4.
Ce qui marque le plus ces enseignements renvoie à l’opacité du contrat didactique.
Les lourds aménagements mis en place par P4 tendent à porter les élèves à confusion. Dans
plusieurs situations, qui n‟ont plus rien à voir avec la pratique globale de l‟APSA, l’ambiguïté
des aménagements leur est troublante. Soit le savoir ne peut pas véritablement se cristalliser
289
dans le milieu, soit la trop grande complexité des contraintes didactiques dissout ce savoir.
Ainsi, le contrat didactique est difficile à tenir pour les élèves. Pour autant, P4 s‟attache à
réguler leur activité en essayant de justifier le milieu de l‟élève et même son artificialité.
Lorsque le contrat ne peut être tenu, il insiste toutefois longuement sur le lien entre les
contraintes organisant le milieu et ce qu‟elles sont censées faire émerger. Le maintien de la
relation didactique stagne dans le contrat et P4 poursuit dans un processus tenace malgré la
confusion. Il a alors tendance à intervenir de manière continue à partir du même contenu. Ses
interventions successives ne s‟ouvrent pas au-delà des enjeux des situations. Ainsi,
l‟insistance de P4 tend à perdre les élèves et lui-même dans le contrat et contribue à laisser le
contenu enfermé dans celui-ci.
P4 nous semble ainsi coincé dans un « compromis de l’inexpérience » très
spécifique. Celui-ci se repose sur le contrat didactique pour enseigner. Ainsi, divisé entre la
nécessité de participer à l‟émergence du contenu en maintenant la relation didactique et le
désir de tenir un contrat didactique quoi qu‟il arrive, P4 prend davantage cette deuxième
voie. Mais, lorsqu‟elle ne suffit plus, sa difficulté à participer à l‟émergence du contenu, le
conduit parfois à l’abandon.
290
2. La construction des cas : le
point de vue des sujets
Les quatre constructions de cas que nous venons de mener nous ont permis de dégager
la logique singulière de chaque enseignant dans le didactique et le poids spécifique de
l‟expérience sur l‟organisation de leurs pratiques. Cette étape de la construction nous a permis
de caractériser des problématiques singulières qui organisent le contenu des enseignements
(Ex) et/ou (NEx) de chaque enseignant. Mais ces problématiques articulent plusieurs niveaux
d‟interprétation qui les éloignent plus ou moins des premières analyses empiriques. Certes, la
cohérence interne de ces problématiques, identifiée à partir d‟éléments spécifiques et
génériques dans les différents enseignements analysés, et la stabilité de notre cadre d‟analyse
de ces différents enseignements permettent de légitimer nos constructions. Mais, les
interprétations effectuées demeurent ici exclusivement extérieures aux pratiques. Si nous
avons ouvert notre cadre d‟analyse des pratiques pour décloisonner nos interprétations, celles-
ci restent des constructions qui demandent à être discutées au regard de ce que disent les
enseignants de leurs pratiques et du poids de leur expérience. Les problématiques identifiées
doivent être spécifiées, relativisées et controversées par le point de vue des enseignants. Il
s‟agit alors maintenant d‟analyser leur discours pour à la fois discuter ces problématiques et
identifier ce qui les détermine.
Ainsi, l‟articulation hiérarchique de ces problématiques, présentée dans les tableaux, et
l‟explicitation de leur enchevêtrement, précisé ensuite, constituent ici notre structure
d‟analyse du discours de chaque enseignant. Les entretiens post-séance et d‟après-coup sont
ici analysés pour chaque enseignant à partir des différentes problématiques dégagées
jusqu‟ici. L‟analyse thématique du contenu (Poussin, 2003) de ces différents entretiens est
donc menée à partir des différents thèmes, renvoyant à nos problématiques, et à leurs
articulations propres à chaque enseignant. Mais ce cadre d‟analyse s‟ouvre toutefois à trois
niveaux. Tout d‟abord, nous prenons en compte les problématiques émergentes du discours
des enseignants, en tentant de les articuler avec celles que nous avons identifiées, dans une
logique de construction progressive et systémique. Ensuite, ces problématiques émergentes
chez chaque enseignant sont aussi prises en compte lorsqu‟elles renvoient à une
291
problématique identifiée chez un autre enseignant. Cette transversalité nous permettra ainsi de
continuer à caractériser le poids générique de l‟expérience. Enfin, nous tentons d‟identifier
dans ce discours un niveau d‟interprétation supérieur qui s‟attache à caractériser « la cause »
des problématiques dégagées. Ces interprétations sont alors organisées en deux ensembles.
Les premières renvoient à des spécifications de la logique de chaque sujet enseignant et de ses
déterminations. Les deuxièmes consistent à caractériser les enjeux singuliers qui animent
chaque sujet didactique (Terrisse, 2009). Comme nous l‟avons présenté en concluant la
présentation de notre cadre théorique, notre posture épistémologique nous conduit à porter
notre attention sur le jeu de codéterminations qui s‟instaure entre le sujet et le didactique
(Buznic-Bourgeacq, 2006). La construction des cas et l‟identification de la logique singulière
de chaque enseignant permettent d‟identifier comment chaque sujet spécifie le didactique.
Nous tentons de les préciser à partir du premier ensemble d‟interprétations du discours des
enseignants. Mais, il nous faut aussi identifier comment le didactique pèse spécifiquement sur
chaque sujet enseignant, comment il s‟y assujetti, c'est-à-dire comment il se place en tant que
sujet didactique. Car nous postulons que, inscrit dans le didactique, le sujet est soumis à
divers enjeux qui dépassent les enjeux proprement didactiques (Buznic-Bourgeacq, Terrisse,
Lestel, 2008). Ces enjeux sont alors génériques à cette inscription, mais chaque sujet
enseignant s‟y spécifie. Nous les analysons au travers des cadres d‟analyse propres à la
didactique clinique (Terrisse, Carnus, 2009). Nous les présentons alors simultanément à nos
interprétations, afin de respecter la démarche clinique qui les justifie. Cette présentation
renvoie donc à notre deuxième ensemble d‟interprétations.
La présentation de ces analyses est effectuée pour chaque enseignant en deux temps.
Nous présentons d‟abord deux tableaux1 synthétisant le discours des enseignants relativement
aux problématiques dégagées. Chaque tableau renvoie respectivement à la logique du sujet
enseignant et au poids spécifique de l‟expérience. Pour chaque problématique, le discours est
divisé en cinq catégories. Les trois premières renvoient au niveau descriptif de nos
problématiques, les deux suivantes renvoient à un niveau interprétatif. Nous identifions donc
dans le discours des enseignants :
- des explicitations et des exemplifications de nos problématiques
- des précisions de nos problématiques (en italique)
1 Pour le cas de P2, il y aura trois tableaux, dans la mesure où, au travers de son cas, nous avons aussi pu dégager
des éléments relatifs au poids de l‟expérience personnelle dans une APSA appartenant au groupe de l‟APSA
enseignée.
292
- des controverses de nos problématiques (en gras)
- des éléments d‟interprétation relatifs aux déterminations de la logique de
chaque enseignant (en vert)
- des éléments d‟interprétation relatifs aux enjeux singuliers de chaque sujet
didactique (en bleu)
Pour chaque problématique, nous présentons alors, dans ces tableaux, les extraits du
discours des enseignants qui nous semblent les plus significatifs. Le discours des enseignants
est suivi d‟un sigle représentant l‟entretien dont il est extrait. Les entretiens post-séances sont
notés par la première lettre de l‟APSA enseignée dont il s‟agit, suivi de la séance dont il s‟agit
(N1 : entretien post-séance de la première séance de natation, R2 : entretien post-séance de la
deuxième séance de rugby, etc.). Les entretiens d‟après-coup dont notés AC.
Ensuite, nous proposons alors une synthèse explicative de ces tableaux organisée en
trois temps. Nous revenons d‟abord sur l‟ensemble des précisions et des controverses de nos
problématiques dégagées à partir du discours des enseignants sur leurs pratiques. Ensuite,
nous revenons sur la logique singulière de chaque sujet enseignant et la manière dont elle
spécifie le poids de son expérience. Enfin, nous proposons une interprétation de tous ces
éléments à partir du croisement de nos cadres d‟analyse en didactique clinique et du discours
de l‟enseignant relatif à ses enjeux spécifiques de sujet didactique. Les deux tableaux, séparés
par souci de clarté, seront donc regroupés dans nos synthèses.
Ces interprétations constitueront alors l‟ouverture de notre discussion conclusive du
poids de l‟expérience personnelle de l‟enseignant sur l‟organisation du contenu des pratiques
effectives d‟enseignement.
293
2.1 Le cas de P1
2.1.1 Le cas de P1 : le point de vue du sujet
Tableau 16.1 : Le cas de P1 : le point de vue du sujet et la logique du sujet
P1 : les justifications logiques
Logique
du sujet
enseignant
La justification « parce que souvent, on parle de donner du sens, mais leur expliquer le pourquoi, ils vont dix fois
plus le sentir… » (N1)
Désir de justification : « moi j‟aimerais bien leur expliquer… » (N1) ; « je te promets, c‟est délire, la
natation, c‟est super intéressant, quoi… Le pourquoi ma main elle fait tel trajet… le pourquoi elle
rentre comme ça, elle sort comme ça… » (N2)
Le temps de la justification « Donc ouais, on y est resté un
moment parce que ça fait partie de
la logique du jeu… » (R3)
« j‟aimerais bien, en plus des
situations, leur expliquer le
pourquoi… » (N1)
Le compromis du temps de la
justification : « j’aimerais bien,
mais c’est vrai que j’ai pas le
temps… peut-être que je le prends
pas aussi… » (N1)
La logique de la
preuve Justification et
relativisme : « Peut-
être qu‟il y a des
trucs… enfin de
toute façon, tout peut
être remis en
cause… il n‟y a rien
qui est sûr… » (N2)
L’auto-justification La culpabilité de l‟enseignant : « enfin
j‟ai joué au rugby quoi… Donc peut-
être j‟essaie aussi de trop les faire
réfléchir sur leur activité » (R3) ; « je
pense que c‟est moi qui aurais peut-être
dû commencer plus… plus dans le vif
du sujet (…), ça venait de moi encore
une fois » (N1) ; « « C‟est plus moi qui
n‟ai pas bien marché… » (N1)
Principes hiérarchiques
Hiérarchie de l’APSA « S‟il est capable de respirer dans
cette position, ce que moi je veux,
d‟accord, il va juste pivoter sa tête,
donc en aucun cas, son corps, il va
sortir de l‟équilibre, et donc en
aucun cas, il va augmenter ses
résistances à avancement… donc là,
il va être efficace en propulsion,
parce qu‟il va garder un équilibre,
et le pourquoi de tout ça : parce
qu‟il arrive à respirer. » (N1)
Glissements
hiérarchiques
(APSA) « les consignes c‟était de
l‟attraper à 2 mains, de le
recevoir à 2 mains…
d‟accord, au rugby c‟est
important d‟attraper à 2
mains parce que au moins
t‟as toutes les
solutions… » (R2)
Hiérarchie de la
complexité « donc, tout est lié, ils respirent
mal, ils sont plus équilibrés,
donc leur propulsion est
inefficace, donc, ils se fatiguent
et comme ils respirent mal, leurs
muscles ne récupèrent pas, enfin,
c‟est le serpent qui se mort la
queue… » (N1)
Logique des actions motrices
La logique de la motricité « il y a pleins d‟explications qui vont être biomécaniques, qui vont
être physiques et ils ne l‟ont pas encore fait au collège, donc… ils
vont être largués… Mais… ouais, j‟aimerais bien » (N1) « y en a trop plein qui encore, dès qu‟ils tombent à l‟appui les
coudes, ils se lèvent ou alors qui descendent leur pied, l‟ouverture
brachiale, tac, ils descendent leur main boum, ils se réceptionnent
sur leurs coudes, ça je voulais aussi qu‟on ait ça. » (G1)
La logique de son
propre corps « la notion de fixation cette
fois apparaît dans les
contenus que j‟ai donné moi,
dans les démonstrations… »
(R3)
L’ouverture du contenu
Principes
généralisateurs « ça va me permettre
aussi de répondre à la
question qu‟on a
posée dans le cahier…
qui est la logique du
jeu à savoir… » (R2)
La preuve par
l’alternance « j‟aime bien, moi,
l‟alternance » (N2) ; « C‟est
à moi, quoi, voilà, c‟est
juste comme ça, voilà, ils ne
perdent pas de vue où est-ce
qu‟on veut aller… » (N2)
Références dans
l’institution
classe « même si la
semaine dernière
on a travaillé les
acquis, ça reste
lié… » (N2)
L’ouverture
analogique « Ouais, on va dire
que c‟est une image
qui est simple pour
des jeunes, ouais, ça
marche bien, » (N1)
294
Tableau 16.2 : Le cas de P1 : le point de vue du sujet et le poids de l’expérience
P1 : les justifications logiques
Ex
La chronogenèse sporadique de la complexité
Globalisation/décomplexification « transformer une nage complète en petits morceaux qui font que… tous ces petits morceaux vont
t‟amener à la nage complète… » (N1) ; « par le toucher par l‟exploitation du surnombre… mise en
œuvre dans le match… » (R3)
L‟assurance de la décomplexification : « tu pourrais expliquer la planche par la petite phase de glisse…
moi je suis pas d‟accord, dans le sens où vraiment je rentre ma main cassée dedans… à cause de la
planche… » ; « je t‟ai dit, elle m‟enquiquinait, cette planche, donc voilà, il fallait bien que je trouve… tu
peux la mettre là, tu peux la mettre aussi derrière… là, j‟ai fait mettre là, voilà… » (N2)
Le « compromis de l’expérience » (APSA) Le « pourquoi » et les situations : « seulement moi mais qu‟est-ce que j‟enseigne là en fait ? » (R1)
La nécessité de laisser
l’initiative « le but c‟est que toute la classe
comprenne ces petites choses-là,
ces petites solutions, qu‟elle les
trouve petit à petit… je veux que
tout le monde trouve ces
solutions-là… » (R1)
Le désir de participer
Pas d‟élève sans solution :
« j‟étais plus parti pour les
laisser jouer au toucher et
me dire… voilà, ensuite,
j‟intégrerai le… mais là le
toucher… les voir sans
solution à des moments…
ben c‟est vrai que moi je
l‟ai fait apparaître… »
(R3)
Une solution stable Le charabia de la pratique : « c‟est
peut-être un peu compliqué… mais en
même temps pour moi, c‟est ça le jeu.
Si on fait pas ça, si on se cantonne à
faire… c‟est bon, ils sont au combat,
c‟est bon, ils savent plaquer, c‟est bon
ils se font 2/3 passes… tu fais du
charabia… Enfin euh… le tout c‟est
d‟expliquer simplement… » (R3)
NEx
Les « allures » de l’expérience Faire illusion : « je sais pas du tout ce qui se passe en gym j‟y suis mais je fais illusion, la gym j‟essaie
de faire illusion » (G2) ; « je suis là… mince qu‟est-ce que je pourrais lui proposer ; ah ben j‟ai rien à lui
proposer… allez on y va, je joue sur l‟estime de lui, après quoi ; ah ben tiens t‟y es arrivé… c‟est du
bidouillage, c‟est du bricolage » (G1)
La division du corps de l’enseignant « j‟aimerais bien pouvoir leur faire des démonstrations » (G1) ; « Moi je enfin moi je suis complètement
incompétent dans tout ce qui est ces APSA mais pourtant… c‟est des activités moi qui me plaisent que
j‟aimerai… j‟aimerai bien faire » (G3)
Les aveux « sur l‟ATR je suis limité, sur la roue je suis super
limité donc les limites c‟est les miennes en
somme » (G1)
L’enseignant désarmé : « ce qui me gêne, je te l‟ai
déjà dis je crois, ouais c‟est mon manque de
munitions mon silence à part leur répéter ce que je
viens de leur dire » (G2) ; « j‟ai pas moi de billes,
enfin j‟ai pas moi de situations… ah ouais t‟y
arrives pas tiens essaie comme ça, donc pour
l‟instant mes limites ouais c‟est les miennes »
(G1)
Les excuses « Comme toujours en fait
ils sont livrés à eux-
mêmes les pauvres en
gym, ils sont livrés à eux-
mêmes je suis pas d‟un
grand secours, ils
travaillent beaucoup
quoi » (G3)
L’abandon Une illusion
éphémère : « Pour
m‟échapper, pour
m‟échapper, je vais
pas te le cacher, pour
m‟échapper » (G3)
Une complexité limitée
La pratique globale de l’APSA ? « Ouais c‟est analytique un petit peu » (G2) ;
« j‟ai trouvé plein de choses comme ça mais
c‟est vrai que là y a pas d‟ensemble si tu veux,
c‟est vraiment l‟un après l‟autre » (G2)
L’interventionnisme linéaire « je suis un peu bancal en gym donc c‟est une séance
où j‟avais envie de leur faire faire différentes
acquisitions pour différents éléments, sous forme
d‟ateliers comme ça… » (G1)
295
2.1.2 Le cas de P1 : interprétations
2.1.2.1 Précisions et controverses sur le cas de P1
Dans le discours de P1, nous n‟avons pas pu identifier de précisions et de controverses
de nos problématiques qui ne se référaient pas à sa logique spécifique de sujet didactique.
Cela pour trois raisons. Tout d‟abord, la logique spécifique de P1 étant très affirmée, nous
avons pu déjà l‟identifier de manière relativement précise. Ensuite, P1 est l‟enseignant avec
qui nous n‟avons pas pu mener l‟entretien d‟après-coup. Enfin, le discours de P1 est très
centré sur lui-même dans les entretiens et il offre alors davantage d‟informations que nous
interprétons relativement à sa logique spécifique de sujet didactique.
2.1.2.2 La logique singulière du sujet et le poids spécifique de l’expérience : le cas de P1
a. Désir de justification
La logique de justification de P1 s‟affirme largement dans son discours. Lorsqu‟il se
réfère à son expérience en natation, c‟est le « pourquoi » des choses qui est au centre de son
intérêt : « ça vient de ma formation, moi je fais de la natation… je te promets, c’est délire, la
natation, c’est super intéressant, quoi… Le pourquoi… » (N1). Ainsi, il revient, avec une
certaine émulation, sur la partie de son expérience personnelle relative à sa formation à
l‟université : « parce qu’en plus, moi, ce que j’ai appris à la fac, en option natation, c’est
bien, c’est très, très bien, très intéressant… » (N1). C‟est davantage sa formation théorique
que son expérience de pratique qui semble interpeller P1. Ainsi, dans l‟enseignement effectif,
son principal intérêt consiste à transmettre la justification théorique des différents principes de
l‟activité : « je pense qu’il y aurait moyen, à chaque fois de leur expliquer le pourquoi… »
(N1) ; « j’aimerais bien, en plus des situations, leur expliquer le pourquoi… » (N1). P1 veut
expliquer pourquoi les choses sont ainsi dans l‟activité. Il souhaite expliquer le contenu de ses
enseignements à partir des principes théoriques qui, pour lui, le justifient. Nous l‟avons
montré, cette logique de justification dépasse ce contenu, dans la mesure où il revient en
permanence sur sa propre activité didactique. Nous y revenons ultérieurement en montrant
que cette logique, teintée de culpabilité, le place dans un compromis.
296
b. Justification et relativisme, Le « pourquoi » et les situations
Le désir de justification théorique qui anime P1 dans ses enseignements le conduit à
s‟interroger sur les limites de la pratique pour faire émerger le contenu : « seulement moi mais
qu’est-ce que j’enseigne là en fait ? » (R1). Lorsqu‟il n‟a pas pu prendre le temps d‟expliquer
les contenus sous-jacents aux situation, une impression de ne pas véritablement avoir transmis
de contenu le traverse : « moi j’aurais pu enseigner… ben comment je fais pour le lui prendre
le ballon… et ça je l’ai pas fait… je pense que je l’ai manqué… et finalement c’est ça qui est
intéressant quoi… (…), ok ils sont au contact mais finalement je peux leur donner une
solution moi… ils cherchent, c’est ce qu’ils ont fait, mais moi j’ai pas enseigné là. » (R1).
Lorsqu‟il ne justifie pas, P1 a l‟impression de ne pas avoir enseigné. Nous reviendrons sur
l‟intensité de cette tendance dès lors qu‟il témoigne d‟une expérience prolongée dans l‟APSA.
En revanche, cette insuffisance de la pratique pour construire du savoir nous semble mettre à
jour le relativisme qui fonde la logique de P1 : « de toute façon, tout peut être remis en
cause… il n’y a rien qui est sûr… » (N2). Le savoir réside ainsi pour P1 dans une stabilité que
la pratique ne peut permettre à elle seule. Sa transmission ne peut être réduite à la mise en
place de situations. Ainsi, pour P1, le professeur enseigne en sortant le savoir de la relativité
de la pratique et ce savoir renvoie alors à une logique théorique justifiée en permanence.
2.1.2.3 Le sujet didactique et le poids spécifique de l’expérience : le cas de P1
a. Le compromis du temps de la justification, Pas d’élève sans solution et Le charabia
de la pratique
Dans les enseignements de P1, un temps est réservé à la justification. Il s‟agit du
temps hors de la pratique des élèves, lorsqu‟il explicite le « pourquoi » sous-jacent au contenu
qu‟il transmet. Son discours fait alors apparaître un souci récurrent par rapport à ce temps de
la justification. Il semble que ce temps nécessaire pour lui le place dans un compromis : « je
me rends compte que cette année, qu’il y a des moments, tu fais l’autruche, enfin en tout
cas… ouais, il y a plein de moments où t’es là… il faut que t’avances quoi… » (N2) ;
« j’aimerais bien prendre le temps (…), j’aimerais bien, en plus des situations, leur expliquer
le pourquoi… » (N1). Ainsi, la logique de justification de P1 se heurte ici au temps effectif de
l‟enseignement. La justification prend du temps et le processus de transmission des savoirs se
situe dans un temps circonscrit. Ainsi, pris dans ce compromis, P1 se trouve précisément
divisé entre la nécessité d‟avancer et le désir de prendre le temps de la justification. S‟il
ressent l‟impression de ne pas véritablement prendre ce temps (« je crois que je ne prends pas
297
le temps » (N1)), pour autant, en natation et en rugby, P1 s‟engage de manière récurrente dans
de longues phases d‟explication. Dans ces enseignements, le compromis identifié prend alors
la forme du « compromis de l‟expérience » que nous avons déjà décrit pour P1 et les phases
d‟explication y sont « la solution stable » proposée par P1 pour s‟en sortir. Avant de spécifier
ce compromis dans les enseignements (Ex), nous voulons alors revenir sur son statut de cadre
d‟analyse en didactique clinique.
La prise en compte du sujet constitue l‟élément clé de la recherche en didactique
clinique. D‟un point de vue théorique, cette prise en compte ne peut alors se passer d‟une
théorie du sujet (Terrisse, Carnus, Sauvegrain, 2002) nécessaire à la cohérence des
interprétations. Cette théorie du sujet se réfère ainsi pour nous à la psychanalyse lacanienne
(Lacan, 1966). Dans la continuation de Freud, celle-ci trouve alors pour premier postulat la
division du sujet. Le sujet est divisé par son inconscient, principalement entre ce qu‟il désire
et ce qu‟il doit faire. Ainsi, dans l‟enseignement effectif, d‟une manière générale, ce qu‟il
désire renvoie aux enjeux subjectifs qui l‟animent et ce qu‟il doit faire renvoie à
l‟intériorisation des contraintes institutionnelles. Mais cette division prend des formes
singulières pour chaque sujet didactique (Carnus, 2001 ; Loizon, 2004). Toutefois, la division
intrinsèque au sujet enseignant le place dans divers compromis qui organisent son activité.
Ainsi, le compromis, comme actualisation de la division du sujet, constitue un outil
d‟interprétation des pratiques d‟enseignement en didactique clinique.
Dans ses enseignements (Ex), le compromis de P1 se trouve alors spécifié. Son
discours sur ses pratiques d‟enseignement en rugby met à jour sa difficulté à supporter de voir
les élèves pratiquer sans trouver de solutions efficaces : « Donc, ouais, c’était pas forcément
prévu sous cette forme là… j’étais plus parti pour les laisser jouer au toucher et me dire…
voilà, ensuite, j’intégrerai le… mais là le toucher… les voir sans solution à des moments…
ben c’est vrai que moi je l’ai fait apparaître… » (R3). Face à l‟inefficacité de l‟activité
adaptative des élèves, P1 prend le temps de la justification : « Donc, on y est resté un moment
parce que ça fait partie de la logique du jeu » (R3). Cette issue prise par P1 nous semble alors
être largement déterminée par son expérience personnelle dans l‟APSA, au-delà de ses
compétences à proposer des solutions pertinentes. En effet, dans son discours, il fait part de sa
division pour conclure sur son haut niveau d‟exigence vis-à-vis des élèves : « maintenant…
c’est vrai que… peut-être que demander à des 6èmes de venir prendre des trous et tout ça…
c’est peut-être un peu compliqué… mais en même temps pour moi, c’est ça le jeu, si on fais
pas ça, si on se cantonne à faire… c’est bon, ils sont au combat, c’est bon, ils savent plaquer,
c’est bon ils se font 2/3 passes… tu fais du charabia… Enfin euh… le tout c’est d’expliquer
298
simplement… » (R3). Il nous semble alors que l‟efficacité très limitée de l‟activité adaptative
des élèves lorsqu‟ils sont confrontés à la pratique constitue un « impossible à supporter »
(Terrisse, 2009) pour P1. S‟il en restait à l‟activité adaptative des élèves en situation pour
enseigner, le contenu de son enseignement demeurerait du « charabia ». Le temps de la
justification constitue pour lui le véritable temps de l‟enseignement, celui où il dépasse le
« charabia » de la pratique.
L‟ « impossible à supporter » constitue un autre cadre interprétatif des pratiques en
didactique clinique. Ce syntagme est une des définitions du Réel, tel qu‟il est proposé dans la
topologie lacanienne de la structure du sujet (Lacan, 1953). Il constitue ce qui dépasse la
position symbolique ou imaginaire de l‟enseignant dans la classe. Il s‟agit de quelque chose
qui dépasse et rattrape l‟enseignant, une détermination interne qu‟il ne maîtrise pas et qui
s‟impose à lui comme une nécessité. Nous avions déjà identifié une forme semblable
d‟ « impossible à supporter » dans une recherche antérieure (Buznic-Bourgeacq, 2005),
lorsqu‟une enseignante ayant une expérience prolongée en danse, s‟attachait à intervenir en
permanence dans la création de ses élèves. Celle-ci s‟insurgeait après-coup, à la manière de
P1 : « ça ne ressemble plus à de la danse et ça, ça m’embête ». Il nous semble ainsi que le
« compromis de l‟expérience » que nous avons soulevé peut être ici défini comme un
compromis entre l‟intériorisation de contraintes institutionnelles (laisser l‟initiative aux
élèves, avancer, etc.) et un « impossible à supporter » émergeant de l‟expérience prolongée de
l‟enseignant.
b. La culpabilité de l’enseignant
Nous l‟avons soulevé, la logique de justification de P1 prend souvent la forme d‟une
justification en classe de sa propre activité didactique. Dans son discours, P1 revient alors
encore davantage sur une justification, sous la forme de remise en question, de ses pratiques :
« elle a pas été bien respectée peut-être que je l’ai pas assez appuyée… » (R1) ; « je leur
posais la question qui était d’ailleurs assez maladroite… » (R2) ; « je suis pas sûr qu’y en ait
beaucoup qui peuvent faire plus aussi quoi, enfin remarque peut-être que je me dis ça aussi
pour me voiler… » (G3) ; « Donc peut-être j’essaie aussi de trop les faire réfléchir sur leur
activité » (R3) ; « ça venait de moi encore une fois » (N1). Qu‟il s‟agisse de ses
enseignements (Ex) ou (NEx), P1 tend à se sentir responsable de tout ce qui ne fonctionne
pas. Dans son discours, il s‟instaure en permanence en coupable des dysfonctionnements en
classe. Alors, dans son enseignement (NEx), cette culpabilité est affirmée : « ils sont livrés à
eux-mêmes les pauvres en gym » (G3) ; « ce qui me fait plaisir, enfin remarque, c’est moche,
299
ça doit pas me faire plaisir ça mais… c’est bidon ce que je propose et finalement eux ils
bossent » (G2) ; « c’est tellement plat ce que je leur propose » (G2) ; « mais voilà, je peux
m’en prendre qu’à moi, après je peux pas leur en vouloir de faire une séance pas belle quand
moi j’ai rien préparé et donc voilà… » (G3). Cette culpabilité, qui constitue un trait
permanent de la logique de P1, est alors largement exacerbée en gymnastique. Pour identifier
la mesure dans laquelle elle détermine spécifiquement cet enseignement, il nous faut d‟abord
nous arrêter sur « la place symbolique de l‟enseignant » (Terrisse, 2009) dans la classe qui
constitue un cadre interprétatif de la didactique clinique.
Le sujet enseignant s‟instaure comme responsable du savoir légitime pour l‟institution
classe. Cette responsabilité le situe alors dans une position symbolique face aux élèves : celle
de « sujet supposé savoir » (Chevallard, 1985 ; Terrisse, 1994 ; Blanchard-Laville, 2001 ;
Buznic-Bourgeacq, 2005). Ce concept a été élaboré en psychanalyse par Lacan (1966) pour
caractériser la position symbolique de l‟analyste, place vers laquelle le transfert de l‟analysant
se dirige. Ainsi, sa transposition en didactique clinique a permis, au fil des travaux, de rendre
compte d‟un enjeu sous-jacent à l‟activité de l‟enseignant en classe. Il s‟agit d‟un enjeu
symbolique consistant à rechercher en permanence le maintien ou la recherche de cette
position. Ce processus de maintien ou de recherche du statut de « sujet supposé savoir » est
alors singulier à chaque enseignant. Nous allons essayer de montrer sa spécificité chez P1 dès
lors qu‟il ne témoigne pas d‟une expérience personnelle dans l‟APSA enseignée.
c. L’enseignant désarmé, Faire illusion et Une illusion éphémère
Nous avions identifié dans cet enseignement comment P1 trouvait ses limites dans la
démonstration corporelle. Dans son discours, P1 revient alors sur ses limites en insistant sur la
démonstration, mais aussi sur les situations : « en gym, les démonstrations je suis limité, les
situations je suis limité » (G1) ; « j’aurais bien utilisé davantage la démonstration… je suis
limité, les limites aux situations en fait, c’est les miennes les limites » (G1) ; « c’est en terme
vraiment de nouveaux ateliers, de nouveaux petits exercices, de nouvelles petites situations
que là je suis en peine… » (G1). Les limites de P1 s‟instaurent alors dans son discours comme
un manque : « je suis limité en gym donc c’est ça qui reste en souvenir » (G1) ; « les trucs qui
me marquent quoi, c’est moi, mes carences, mes carences… » (G1). Ainsi, P1 s‟affirme
désarmé face aux élèves : « ce qui me gêne, je te l’ai déjà dis je crois, ouais c’est mon
manque de munitions, mon silence à part leur répéter ce que je viens de leur dire » (G2) ; « tu
vois un élève qui est en galère, t’as envie quoi et puis finalement à part répéter ce que tu as
déjà dit et reproposer ce que tu as déjà fait… » (G1).
300
La démonstration et les situations constituent ainsi des « munitions » qui manquent à
P1 pour assurer son rôle dans la transmission des savoirs. Il semble alors que ce manque le
conduit à entrer dans un processus de recherche de l‟affirmation de son statut de « sujet
supposé savoir » singulier. Les démonstrations qu‟il met en œuvre, accompagnées d‟aveux et
d‟excuses, aboutissant à l‟abandon semblent être la marque de ce processus très
compromettant pour P1. Dans son discours, il explicite alors ce processus : « je sais pas du
tout ce qui se passe en gym, j’y suis mais je fais illusion, la gym j’essaie de faire illusion »
(G2) ; « je suis là… mince qu’est-ce que je pourrais lui proposer ; ah ben j’ai rien à lui
proposer… allez on y va, je joue sur l’estime de lui, après quoi ; ah ben tiens t’y es arrivé…
c’est du bidouillage, c’est du bricolage » (G1). Son statut de « sujet supposé savoir » étant
mis à mal face à son désarmement, P1 « fait illusion ». Les démonstrations corporelles et les
nombreuses régulations sont ainsi la marque de cette « illusion » d’un savoir supposé. P1 sait
bien qu‟il ne peut répondre aux difficultés des élèves. Ainsi, coincé entre la recherche d‟une
position symbolique supposée et son incapacité effective à l‟assumer, P1 se confronte à
nouveau à un « impossible à supporter » : la culpabilité face aux élèves. Cet impossible le
conduit alors à fuir cette culpabilité. Lorsqu‟on l‟interroge sur les raisons de son abandon de
l‟enseignement de gymnastique pour aller faire du hand-ball, il répond comme un aveu :
« pour m’échapper, pour m’échapper, je vais pas te le cacher, pour m’échapper » (G3). Si
« l’illusion » de P1 révèle un processus tenace de maintien de sa position symbolique, son
« échappée » met à jour l‟impossible à supporter que constitue la culpabilité s‟une position
symbolique supposée ici illusoire.
d. L’assurance de la décomplexification
Pour finir sur son cas, nous pouvons identifier un autre compromis dans lequel se
trouve P1 d‟une manière générale. Ce compromis et sa gestion s‟avèrent bien plus affirmé
chez d‟autres enseignants. Nous ne ferons donc ici que le soulever. Dans la chronogenèse des
situations relative à ses enseignements (Ex), P1 met en place des situations peu aménagées
favorisant la « logique globale » de pratique des APSA. Il alterne alors ces situations avec
d‟autres très « décomplexifiées ». Dans son discours sur ses pratiques en natation, P1 revient
ainsi sur cette logique : « c’est transformer une nage complète en petits morceaux qui font
que… tous ces petits morceaux vont t’amener à la nage complète… » (N1). Mais, P1 revient
alors aussi sur sa mise en place inefficace d‟aménagements dans la première séance du cycle :
« je me suis cassé les dents en brasse, à leur proposer des éducatifs, des aménagements de
nage pour arriver à la nage… ben, il y en a qui ont eu l’effet complètement inverse, c'est-à-
301
dire à complètement les paumer… » (N1). De même, plus tard, il explicite son point de vue
sur « la planche » en tant qu‟aménagement : « sur le crawl, j’ai mes convictions personnelles,
j’aimerais bien travailler sans planche… » (N1) ; « moi je suis pas d’accord, dans le sens où
vraiment je rentre ma main cassée dedans… à cause de la planche… » (N2). Pour autant, P1
enseigne dans de nombreuses situations et pour toutes les séances avec des planches comme
aménagement. Alors, dans son discours, P1 revient sur sa nécessité d‟utiliser la planche
malgré sa volonté de la laisser de côté : « je t’ai dit, elle m’enquiquinait, cette planche, donc
voilà, il fallait bien que je trouve… tu peux la mettre là, tu peux la mettre aussi derrière… là,
j’ai fait mettre là, voilà… » (N2). Mais, P1 ne justifie pas les raisons du maintien de cet
aménagement. Nous voulons alors simplement ici souligner la division qui semble animer P1.
Il oscille entre la volonté d‟éviter les aménagements et la nécessité de les mettre en place. P1
ne livrant pas les raisons de cette nécessité, nous tenterons d‟identifier cette forme de
compromis chez les autres enseignants.
302
2.2 Le cas de P2
2.2.1 Le cas de P2 : le point de vue du sujet
Tableau 16.3 : Le cas de P2 : le point de vue du sujet et la logique du sujet
P2 : L’automatisation progressive
Logique du
sujet
enseignant
Les automatismes « toujours pour renforcer » (R2)
L‟automatisme, l‟inné, le machinal : « à mon avis ça devient machinal inné… » (AC) ; « c‟est un
automatisme… c‟est vraiment incorporé… qui surjette en mémoire plus rapidement » ;
« l‟information tu la cherches plus, certaines informations tu les cherches plus… » (AC)
L‟effort, le travail, la répétition : « toi tu travailles, tu te bats et puis derrière les autres ils vont
marquer parce derrière ils ont rien fait… je sais que moi quand je suis joueur ça m‟énerve… »
(AC)
Injonctions en situation « je suis intervenu à un moment, je leur ai dit… ça serait bien que je vois ça, parce que je l‟avais
pas vu encore et j‟aurais aimé qu‟ils le voient justement » (R2)
L‟injonction pour être écouté : « ça m‟a fait plaisir parce que elle l‟a entendu une fois et en
suivant elle l‟a mis en place… » (R2)
Ce qu’il faut faire ici et maintenant Une impression de non directivité : « je vais pas le faire directif et lui dire donne, fait ci, fait
ça, fait ça… » (R1)
La progressivité du contenu
Une progression linéaire « moi j‟essaie de me focaliser sur un truc très
important… d‟avancer petit à petit parce que
c‟est tellement riche que tu peux pas tout
transmettre d‟un coup » (R1) ; « c‟est dans la
continuité là » (B3)
Complexification progressive des
automatismes « dans la 3
ème situation, j‟ai voulu regrouper en
fait les 2 premières situations » (R1) ; « Et après
j'ai complexifié justement pour qu'il y ait un
choix » (B1)
Des choix sans initiative
L’enseignement du
choix (APSA) « je préfère que
d‟abord, il apprenne à
savoir faire le choix »
(R1) ; « tout va s‟axer
sur le fait de lever la
tête faire le choix par
rapport à la défense »
(B1)
L’automatisation du choix « justement pour qu‟il fasse le choix dans
un 2 contre 1 en surnombre face à un
défenseur de faire la passe… » (R1) ; Les automatismes du haut niveau : « un
mec il joue à haut niveau, la situation de
choix 9 fois sur 10, il la remplira
correctement (…), et le mec qui joue à un
plus bas niveau peut-être que techniquement il y est
aussi… mais que la situation, il y arrivera
que 3 fois sur 10… » (AC)
L’initiative de
l’enseignant « en leur expliquant (…)
quel choix il aurait fallu
faire à la place… » (R1)
303
Tableau 16.4 : Le cas de P2 : le point de vue du sujet et le poids de l’expérience
P2 : L’automatisation progressive
Ex
L’excellence du corps de l’enseignant
Le corps de l’enseignant comme milieu de l’élève « ça passe par la démonstration aussi… j‟arrête le jeu… et je reprends la situation en me mettant moi à
leur place… » (R1)
La proximité de l‟entraîneur : « j‟étais vraiment plus proche des élèves… et plus vraiment l‟entraîneur
très proche en rugby… » (AC)
Une progressivité ouverte du contenu
Généralisation des automatismes « j‟ai arrêté aussi quand je vois une erreur ou quand je vois
un mauvais choix justement (…),
en leur expliquant pourquoi ce choix était mauvais » (R1)
Une progressivité peu didactisée « c‟est par le jeu et la répétition qu‟on
arrive à voir vraiment… » (R1)
l’émergence de la complexité de l’APSA
L’activité
décisionnelle
globale du
pratiquant « c‟est le jeu…
comment ça se
déplace… qui
induit passe
avant contact…
passe après
contact et donc
soutien… »
(R1)
L’émergence contextuelle « là je les ai arrêtées pour leur donner ces contenus en plus » (R1) ; « donc ça je
l‟avais pas prévu en terme de contenu, de savoir… et on y est venu un peu à la fin,
parce que c‟est vrai que c‟était un peu… ils s‟étaient un peu obstinés » (R2) ; « tout
ce que j'ai pu dire c'était par rapport à ce que j'avais fait dans mes situations je pense
rien d'extra... » (B1)
Emergence contextuelle et continuité des séances : « on en a parlé un peu en fin et
je pense que c’est le thème que l’on abordera la semaine prochaine… » (R2)
Précision de l’émergence contextuelle : « quand tu veux balancer du contenu
d’enseignement … c’est un peu plus dur parce que il faut vraiment que ce soit précis
au point de vue enseignement pour aider l’élève… » (AC)
Temps de l’enseignement et émergence contextuelle : « moi en rugby, quand la
situation je voyais qu’elle ne marchait pas trop bé je bougeais le truc pour que ça
aille dans le sens où je voulais… peut-être qu’en basket je ne l’ai pas vu
automatiquement donc tu perds du temps… et au niveau du contenu d’enseignement
tu perds du temps avec tes contenus d’enseignement… » (AC)
Conceptualisation et émergence contextuelle : « un déplacement si tu ne le vois pas,
si tu comprends pas son utilité par toi-même tu ne peux pas arriver à le gérer » (AC)
Réminiscence et émergence contextuelle : sur le rugby, des fois tu te revois, tu vois
tes élèves et tu te revois dans l’activité il n’y a pas longtemps… » (AC)
NEx
La protection du corps de l’enseignant Protection et intention didactique : « en basket j‟ai tendance à être un peu plus sévère je pense qu‟au
rugby… (…), étant un peu plus novice, il fallait que je sois très rigoureux de mon côté pour arriver à
pouvoir transmettre ce que je voulais faire… » (AC) ;
Injonctions de l’extérieur « moi j‟essayais de trouver la solution avec mon oeil extérieur… »
(AC)
Les situations et la responsabilité de l‟enseignant : « en basket j‟ai
balancé les situations et j‟ai fait un peu l‟animateur (…), j‟ai plutôt
fait de la gestion humaine pour que les élèves tournent mieux,
passent plus, tu vois… » (AC)
La position défensive L‟enseignant sur ses gardes : « le
fait d‟avoir été un peu plus
novice en basket, je suis resté
plus sur mes gardes » (AC)
L’artificialité de l’activité décisionnelle « c‟est un isolement, ils ont mis du temps à rentrer dans la situation, ils ont pas très bien compris la
situation » (B2) ; « en basket il a fallu que je revienne sur des situations parce qu‟elles avaient pas été
bien comprises » (AC)
Comprendre les situations : « tu mets plus de temps à comprendre les séances et les situations que tu
composes… pourquoi tu veux aller là… » (AC)
Les situations pour être écouté : « parce que si je leur dis bougez-vous ils vont pas se bouger mais si à
côté de ça je leur mets un avantage peut-être qu‟ils vont se bouger » (B2)
304
Tableau 16.5 : Le cas de P2 : le point de vue du sujet et le poids de l’expérience dans une APSA du groupe
de l’APSA enseignée
P2 : L’automatisation progressive
NEx*
Transversalité de la conceptualisation
Des champs conceptuels
transversaux « moi je suis sport co, donc tout ce
qui est le pôle stratégique ou
tactique sur un terrain… tout ce qui
est le visuel… tu es face à un
adversaire, donc le but c‟est de
garder la balle, de pas la filer à
l‟adversaire… donc tu as toujours
des deux contre un, des situations
de surnombre, des occupations de
l‟espace… c‟est un peu tout le
temps la même chose quoi…
conservation de la balle tu vois…
c‟est quand même des activités qui
se ressemblent… » (AC)
L’institution « groupe de
l’APSA » (APSA) Un point d’appui : « j’ai une
connaissance un peu meilleure
du hand (…), en fait mon
activité basket et mon activité
handball, je les ai couplées… »
(AC)
Transversalité des milieux
didactiques : « je pensais pas
du tout l’expliquer, pour moi
c’est inné quand tu dis je suis
joker sur les côtés pour aller
marquer je me place près du
but le plus possible du but »
(AC)
La centration de
l’enseignant (APSA) Le choix et la
tactique/technique : « c’est
une question de choix qui est
fondamentale en sports
collectifs » (R3) ;
« et moi, je préfère travailler
le pôle tactique et venir y
greffer de la technique
dessus… » (R1) ; « Et donc
ça, petit à petit, je l’associe à
tout ce qui est travail qu’ils
ont fait tactique à côté quoi.»
(B2)
2.2.2 Le cas de P2 : interprétations
Contrairement à P1, le discours de P2 est beaucoup moins centré ses préoccupations
personnelles. Il a un discours très objectivant sur ses pratiques, qui laisse davantage de place à
des précisions et des controverses de nos descriptions. P2 prend alors souvent du recul par
rapport à ses pratiques et le poids de son expérience est souvent présenté comme une
généralisation du poids de l‟expérience personnelle sur les pratiques d‟enseignement.
Toutefois, dans l‟après-coup il nous laisse entrevoir quelques unes de ses préoccupations
subjectives.
2.2.2.1 Précisions et controverses sur le cas de P2
a. Une impression de non directivité
Dans ses enseignements effectifs, les interventions de P2 sont très directives, elles ont
principalement pour objet des injonctions relatives à la situation objective. Or, dans son
discours, il a plutôt tendance à affirmer son opposition à un enseignement directif et à décrire
ses pratiques comme non directives. Lorsqu‟on l‟interroge sur son poids sur le choix des
élèves, il répond en soulignant leur initiative et les aménagements des situations : « ben moi,
305
je pense qu’à part mettre des situations en place pour faciliter ce choix tu vois, mettre des
situations où y a pas beaucoup d’adversaires… (…), et après c’est eux qui doivent le trouver
d’eux-mêmes… » (R1) ; « c’est vraiment un choix personnel et moi, en tant qu’enseignant, je
peux pas influencer sur… je peux pas… moi ça m’intéresse pas de lui dire donne… tu vois, je
suis au bord du terrain et je vais pas lui dire donne pour qu’il le donne à un certain
moment… je veux que ce soit eux qui trouvent ce moment… moi je suis pas là pour… tu vois
ce que veux dire ?... je vais pas le faire directif et lui dire donne, fait ci, fait ça, fait ça…
quand je suis au bord du terrain… je veux qu’eux le fassent d’eux-mêmes, qu’eux prennent
des initiatives » (R1). Ainsi un contraste entre notre point de vue sur ses pratiques et le sien
apparaît ici sans que nous puissions pour l‟instant en identifier les raisons. Deux alternatives
sont possibles : soit notre analyse des pratiques s‟avère imprécise, soit P2 est dans le déni.
b. L’émergence contextuelle : continuité des séances, conceptualisation, précision,
temps de l’enseignement, et réminiscence
Nous avons souligné la capacité de P2, dans son enseignement du rugby, à répondre à
la spécificité de chacune des situations objectives dans lesquelles se trouvent les élèves,
faisant ainsi émerger le contenu de manière contextualisée. Ainsi, son discours sur ses
pratiques précise certains aspects de cette émergence et du poids de son expérience sur cette
dernière. Tout d‟abord, P2 revient avec nous sur les contenus ayant émergé en classe sans
qu‟il n‟en ait prévu la transmission : « c’est pas un truc que j’avais prévu déjà dans mes
situations et il a fallu que je revienne parce que la plupart ils sont fixes et ils regardent le
défenseur » (R1) ; « donc ça je l’avais pas prévu en terme de contenu de savoir… et on y est
venu un peu à la fin, parce que c’est vrai que c’était un peu… ils s’étaient un peu obstinés
dans un jeu… groupe… » (R2). De plus, P2 revient avec nous entre chaque séance pour
projeter la séance suivante au regard de celle dont il parle : « on en a parlé un peu en fin et je
pense que c’est le thème que l’on abordera la semaine prochaine… » (R2) ; « chaque fois
qu’ils prenaient le ballon, ils partaient au ras, ils faisaient que du jeu à zéro passe… et donc
l’objectif aujourd’hui c’était de développer ce jeu de passes en fait… » (R3). Il nous semble
alors que l‟émergence contextuelle que nous avons soulignée se trouve ici spécifiée dans ce
que le contenu d‟une séance émerge aussi relativement au déroulement effectif de la séance
précédente.
Ensuite, P2 propose plusieurs éléments relatifs aux difficultés de cette émergence
contextuelle à défaut d‟expérience. Tout d‟abord, il revient sur ce qui nous semble être
l‟activité de conceptualisation de l‟enseignant et son effet sur l‟enseignement : « un
306
déplacement, si tu ne le vois pas, si tu comprends pas son utilité par toi-même tu ne peux pas
arriver à le gérer » (AC) ; « t’arrives beaucoup mieux à expliquer parce que tu vois c’est
clair pour toi… » (AC). Les premiers rapports entre expérience personnelle et émergence
contextuelle sont identifiés ici dans la capacité de l‟enseignant à « voir », c'est-à-dire à
reconnaître, les éléments constitutifs de l‟APSA pour pouvoir les gérer dans l‟activité des
élèves. L‟enseignant doit avoir une conceptualisation « claire » de l‟APSA pour pouvoir
intervenir dessus. Ensuite, P2 revient alors sur les difficultés qui en découlent à défaut
d‟expérience : « donc en fait quand tu veux balancer du contenu d’enseignement… c’est un
peu plus dur parce que il faut vraiment que ce soit précis au point de vue enseignement pour
aider l’élève… » (AC). Le défaut d‟expérience entraînant une moindre reconnaissance des
éléments constitutifs de l‟APSA, la transmission du contenu s‟avère moins précise. Par la
suite, P2 en explique alors les conséquences pour l‟enseignant : « moi il me faudra peut-être
25h pour faire ce qu’un mec fait en 10h… fait avec des gosses s’il est expert… parce qu’il va
savoir à quel moment il faut remédier sur ça, à quel moment il faut savoir faire ça
exactement… moi en rugby, quand la situation je voyais qu’elle ne marchait pas trop, bé je
bougeais le truc pour que ça aille dans le sens où je voulais… peut-être qu’en basket je ne
l’ai pas vu automatiquement donc tu perds du temps… et au niveau du contenu
d’enseignement tu perds du temps avec tes contenus d’enseignement… » (AC). C‟est donc le
temps de l‟enseignement qui est principalement atteint pour lui par l‟expérience de
l‟enseignant. A défaut de cette expérience, la difficulté à « voir » ce qui ne marche pas fait
perdre du temps à l‟enseignant. Car, l‟expérience lui permet d‟agir sur le contenu aussitôt
qu‟il reconnaît un dysfonctionnement. Enfin, P2 nous apporte un élément permettant de
comprendre la capacité de l‟enseignant à « reconnaître » des éléments pertinents dans
l‟activité des élèves : « des fois tu prends le ballon tu fais la passe, tu regardes pas à qui tu
fais la passe… ça tu te dis, tiens, je l’ai déjà fait… (…), des fois ils prenaient le ballon et ils
couraient en travers… il y a des fois où je suis parti en travers moi aussi… (…), sur le rugby,
des fois tu te revois, tu vois tes élèves et tu te revois dans l’activité il n’y a pas longtemps… en
bien comme en mal. » (AC). Il nous semble alors que c‟est cette réminiscence de l‟expérience
de pratique qui lui permet de reconnaître des invariances dans les conduites des élèves. Cette
reconnaissance permet alors à l‟enseignant d‟être plus précis dans ses interventions et donc de
perdre moins de temps. L‟expérience favorise la conceptualisation ; dans l‟enseignement, elle
permet la reconnaissance conceptuelle dans l‟activité des élèves. Celle-ci favorise alors
l‟émergence contextuelle.
307
c. Comprendre les situations
Au-delà d‟une émergence contextuelle du contenu, c‟est sur les situations que revient
P2 pour expliquer une autre conséquence de l‟expérience. Il s‟attache à nous expliquer que la
mise en place de situations en classe constitue aussi une difficulté à défaut d‟expérience : « tu
mets plus de temps à comprendre les séances et les situations que tu composes… pourquoi tu
veux aller là… » (AC) ; « si toi tu ne la comprends pas ta situation, à mon avis tu ne peux pas
la mettre en place et tes contenus d’enseignement ils passeront beaucoup moins bien si tu
n’arrives pas à comprendre tes situations. » (AC). Sans expérience, il peut avoir tendance à
ne pas comprendre ses propres situations. Son expérience lui permet, en amont de
l‟enseignement effectif, de savoir « pourquoi » il va mettre en place telle ou telle situation.
Alors, en classe les contenus passent beaucoup mieux, car les situations sont plus clairement
justifiées par l‟intention didactique de l‟enseignant, par « là où il veut aller ». P2 explique
alors sa nécessité de revenir sur les situations en basket : « en basket je suis revenu pas mal de
fois en deux trois cours sur les mêmes situations que j’avais déjà faites la fois d’avant et je les
ai refaites pour bien qu’ils comprennent la situation… » (AC) ; « en basket il a fallu que je
revienne sur des situations parce qu’elles avaient pas été bien comprises, on avait pas eu le
temps de bien les finioler… voilà quoi. » (AC). Les situations « n’avaient pas bien été
comprises » par les élèves, sûrement aussi par P2.
d. Un point d’appui, Transversalité des milieux didactiques, Le choix et la
tactique/technique
Nous avons identifié une forte transversalité de la conceptualisation sous-jacente au
contenu de deux enseignements de P2. Dans son discours, il explicite alors cette
transversalité : « moi je suis sport co, donc tout ce qui est le pôle stratégique ou tactique sur
un terrain… tout ce qui est le visuel… tu es face à un adversaire, donc le but c’est de garder
la balle, de pas la filer à l’adversaire… donc tu as toujours des deux contre un, des situations
de surnombre, des occupations de l’espace… c’est un peu tout le temps la même chose quoi…
conservation de la balle tu vois… c’est quand même des activités qui se ressemblent… »
(AC). Il définit alors cette transversalité par « le pôle stratégique ou tactique ». Celle-ci
constitue ainsi la centration de P2 : « et moi, je préfère travailler le pôle tactique et venir y
greffer de la technique dessus… » (R1) ; « c’était à peu près des situations c’est d’ordre
plutôt tactique et cognitif tu vois » (B1). C‟est la dimension cognitive de l‟activité
décisionnelle du pratiquant qui fonde le contenu de ses enseignements : « c’est une question
de choix qui est fondamentale en sports collectifs » (R3).
308
Mais, P2 précise alors comment les différents enseignements de sports collectifs qu‟il
a pu menés s‟articulent entre eux. Son enseignement du basket passe en effet par un point
d‟appui, le handball : « j’ai une connaissance un peu meilleure du hand, mais avec le basket
c’est très proche… » (AC) ; « en fait mon activité basket et mon activité handball, je les ai
couplées… il y a des situations que je faisais en hand en fait… je faisais les mêmes en
basket… » (AC). Ainsi, en s‟appuyant sur un autre sport collectif, P2 « couple » ses
enseignements. On peut alors remarquer que ce couplage passe par la mise en place des
mêmes situations dans les différentes activités. Il nous semble ainsi que l‟expérience
personnelle dans une APSA du même groupe passe aussi par une transversalité des situations,
ou plus précisément des milieux didactiques. P2 s‟étonne ainsi qu‟une des situations
aménagées en basket ne soit pas comprise par les élèves, dans la mesure où pour lui cette
situation s‟instaure comme « innée » : « je pensais pas du tout l’expliquer, pour moi c’est
inné, quand tu dis je suis joker sur les côtés pour aller marquer, je me place près du but, le
plus possible du but » (AC).
Ainsi, pour P2, l‟expérience dans une APSA du même groupe lui permet par un
« couplage » de plusieurs activités de proposer des cycles d‟enseignement semblables,
composés par les mêmes situations, centrées sur une dimension cognitive et tactique propre à
ce groupe. Même si en basket, les situations mises en place s‟appuient sur des aménagements
plus lourds et une activité décisionnelle plus artificielle, P2 a de quoi enseigner : « après c’est
la même chose donc…t’as des compétences générales, propres à l’activité sport co… et que tu
essaies d’enseigner dans les deux activités » (AC).
2.2.2.2 La logique singulière du sujet et le poids spécifique de l’expérience : le cas de P2
a. L’automatisme, l’inné, le machinal, L’effort, le travail, la répétition et Les
automatismes du haut niveau
P2 est dans une logique d‟automatisation. Ses enseignements constituent des
automatisations progressives de l‟activité décisionnelle des élèves. Lorsqu‟on l‟interroge alors
sur les justifications des différentes situations mises en place, il répond : « toujours pour
renforcer » (R2) ; « je voulais peut-être pas quelque chose en plus… mais renforcer cette
situation » (B3) ; « faire comprendre aussi par la pratique beaucoup… et de laisser les élèves
dans la même situation… plusieurs fois dans une situation de difficulté pour qu’ils y
arrivent… » (AC). Il nous semble alors que les répétitions continues de situations semblables
ayant toujours l‟automatisation de l‟activité cognitive des élèves sont déterminées par la
309
logique de P2 : une logique de « renforcement ». P2 justifie alors cette logique en expliquant
ce qui constitue l‟essence de ses contenus d‟enseignements : « c’est des contenus
d’enseignement très spécifiques… mais à mon avis ça devient machinal, inné… c’est pas du
inné, mais c’est un automatisme. » (AC). Il précise alors ce point de vue au-delà du didactique
en développant ce qui constitue pour lui le savoir issu de l‟expérience : « c’est un
automatisme… c’est vraiment incorporé… qui surjette en mémoire plus rapidement qu’un
truc que tu as fait qu’une fois dans ta vie parce que… je ne sais pas comment ça marche dans
le cerveau… mais il doit le chercher… il doit mettre plus de temps à le trouver… mais tandis
qu’un truc que tu as déjà fait dix mille fois… c’est un truc… l’information tu la retrouves très
vite, je pense que même des fois, l’information tu la cherches plus, certaines informations tu
les cherches plus… » (AC). Pour P2, le savoir est « dans le cerveau » et le pratiquant
expérimenté dans le « machinal » : « le vécu dans une activité, c’est vraiment fondamental
parce que voilà… t’as des automatismes, t’as des informations qui t’arrivent au cerveau… »
(AC) ; « quelque chose que tu as fait, c’est mnémotechnique, ça devient du machinal ça
devient inné presque… tu vois une passe, c’est inné pour moi… » (AC).
Dans sa dimension épistémologique, la logique de P2 s‟accorde avec la forme prise
par ses enseignements. Il nous semble alors que cette logique prend la forme de celle de
l‟entraînement de haut niveau. Ce sont le travail et l‟effort qui justifient pour P2 l‟engagement
dans l‟activité : « toi tu travailles, tu te bats et puis derrière les autres ils vont marquer parce
derrière ils ont rien fait… je sais que moi quand je suis joueur ça m’énerve (…), c’est un
sport collectif, donc si dans une équipe y en a qui font l’effort et les autres qui travaillent
pas… ceux qui font l’effort, ils vont plus vouloir jouer avec eux, et ça fait des
tensions… » (R2). L‟enseignant enseigne en renforçant, les élèves apprennent par la
répétition, le travail et l‟effort, le savoir est un automatisme. Plusieurs fois, P2 réfère alors
l‟activité des élèves à ce haut niveau : « même au haut niveau, y a des 2 contre 1 où tu le
joues pas parfaitement parce qu’y a toujours quelque chose… » (R1) ; « un mec il joue à haut
niveau, la situation de choix 9 fois sur 10, il la remplira correctement (…), et le mec qui joue
à un plus bas niveau peut-être que techniquement il y est aussi… mais que la situation, il y
arrivera que 3 fois sur 10… » (R3). Il nous semble alors que l‟organisation du contenu des
enseignements de P2 est largement déterminée par sa logique spécifique, qui s‟inscrit
notamment dans son expérience du haut niveau en rugby.
310
2.2.2.3 Le sujet didactique et le poids spécifique de l’expérience : le cas de P2
a. La proximité de l’entraîneur, Les situations et la responsabilité de l’enseignant
Nous avons souligné le caractère injonctif des interventions de P2 dans ses deux
enseignements. Mais nous avons aussi pu distinguer la forme de ces injonctions en basket et
en rugby. En rugby, P2 propose des situations moins aménagées mais reste très proche des
élèves, voire totalement inclus dans leur milieu. En basket, il met en place des aménagements
plus artificiels et ses injonctions se font de l‟extérieur. Dans son discours, P2 revient sur cette
distinction : « en basket j’ai balancé les situations et j’ai fait un peu l’animateur (…), j’ai
plutôt fait de la gestion humaine pour que les élèves tournent mieux, passent plus, tu vois… »
(AC) ; « j’étais vraiment plus proche des élèves… et plus vraiment l’entraîneur très proche en
rugby… » (AC) ; « je me dis que peut-être en basket j’ai fait plus de l’animation… je
balançais mes situations et j’essayais de gérer pour qu’elles tournent bien, sans vraiment
approfondir sur les contenus vraiment poussés… » (AC). Etant d‟un côté « animateur » et de
l‟autre « entraîneur », P2 ne ressent pas avoir assumer les mêmes positions dans ses deux
enseignements par rapport au savoir. Cette distinction des positions prises par P2 nous semble
alors dépasser une distinction relative à ses responsabilités institutionnelles. Nous poursuivons
cette voie.
b. L’injonction ou les situations pour être écouté
Les enseignements injonctifs menés par P2 nous semblent mettre en avant son désir de
se faire entendre. Dans son discours sur son enseignement du rugby, il souligne la satisfaction
ressentie dès lors qu‟un élève l‟a entendu et qu‟il a alors effectué ce qu‟il a dit : « ça m’a fait
plaisir parce que elle l’a entendu une fois et en suivant elle l’a mis en place… » (R2). En
revanche, en basket, les interventions de P2 ne semblent pas le satisfaire dans son désir de se
faire entendre : « parce que si je leur dis, bougez-vous, ils vont pas se bouger, mais si à côté
de ça je leur mets un avantage, peut-être qu’ils vont se bouger » (B2). C‟est ici
l‟aménagement didactique qui lui permet de se faire entendre. Ainsi, en basket, les
interactions directes avec les élèves semblent plus difficiles pour P2 : « en rugby j’ai vraiment
fait beaucoup d’interactions parce que chaque fois que je voyais un truc, j’essayais
d’intervenir dessus… tandis qu’en basket j’ai laissé passer des trucs parce que soit je me
disais… ça ne sert à rien de le changer… peut-être qu’il fallait le changer… soit je
changeais… je ne m’en sentais pas capable… » (AC) ; « des fois je me disais ça vaut peut-
311
être pas le coup que j’intervienne là-dessus et peut-être qu’il aurait fallu… en rugby je serais
intervenu, en rugby je sais qu’il faut le faire. » (AC).
Ainsi, P2 désire se faire entendre, mais, en basket, les interventions dans le milieu de
l‟élève ont un coût et il ne se sent pas toujours capable de l‟assumer. Ce coût nous semble
alors envoyer à une « blessure narcissique » potentielle pour P2. Avant de continuer sur la
position défensive de P2 en basket, nous voulons alors d‟abord présenter un cadre interprétatif
émergent en didactique clinique.
Le « sujet supposé savoir » permet de situer le sujet didactique vis-à-vis de sa position
symbolique. En rentrant dans la classe, dès lors que qu‟il s‟assujetti au didactique, le sujet
occupe une place symbolique spécifique dont le maintien, la recherche ou « l’illusion » est
nécessaire. Mais, son assujettissement au didactique spécifie aussi une autre place occupée
par l‟enseignant : sa position imaginaire. Dans la classe, l‟enseignant est aussi « le maître ». J.
Filloux (1996), s‟intéressant à la relation imaginaire qui s‟instaure entre l‟enseignant et
l‟élève, a pu montrer combien cette relation était fondée par « la position respective du maître
et de l‟élève par rapport au savoir » (op. cit.). Ces positions sont en effet par essence
dissymétriques. « L‟enseignant est assigné à conserver cette place de premier, une place de
maîtrise dans cette relation « inégalitaire » au savoir, qu‟il doit assumer avec plus ou moins de
difficultés » (Terrisse, 1999). La position imaginaire de l‟enseignant dans la classe est donc
celle du « maître », de celui qui maîtrise par son savoir. Le « maître » constitue l‟image de
l‟enseignant pour les élèves. Ainsi, lorsque l‟enseignant se met en scène aux yeux des élèves,
c‟est d‟abord son image qui est mise à l‟épreuve. S‟il peut se sentir coupable de ne pas
pouvoir assumer sa position symbolique supposée par l‟institution, il tendra plutôt à se sentir
blessé de ne pas pouvoir assumer sa position imaginaire idéalisée. Il nous semble alors que,
contrairement à P1, c‟est davantage sa position imaginaire que P2 tend à sauvegarder.
c. Protection, intention didactique et L’enseignant sur ses gardes
P2 revient dans son discours sur la façon dont il a appréhendé chacun des deux
enseignements : « tu vois en rugby j’étais décontracté, j’étais cool tu vois j’étais quand même
soft… » (AC) ; « en rugby c’était tellement… pour moi, je faisais les choses tellement
facilement, que c’était… ça passait facilement pour moi, j’ai pas besoin de m’énerver…
j’étais plus décontracté je pense… » (AC) ; « le fait d’avoir été un peu plus novice en basket,
je suis resté plus sur mes gardes » (AC) ; « en basket j’ai tendance à être un peu plus sévère
je pense qu’au rugby… parce que souvent étant, moi… étant un peu plus novice, il fallait que
je sois très rigoureux de mon côté » (AC) ; « j’ai peut-être un peu embêté les gosses dans le
312
sens où j’étais super sérieux » (AC). P2, qui ne ressentait ne pas avoir assumer les mêmes
rôles en basket et en rugby, précise ainsi cette distinction. Il est d‟un côté un « animateur sur
ses gardes » et de l‟autre un « entraîneur décontracté ».
Il nous semble alors que cette position défensive adoptée en basket peut être
interprétée comme une réaction à une position imaginaire difficile à tenir. Lorsque cette
position, censée le distinguer des élèves, est mise à mal quand il rate un shoot, sa réaction de
défense prend la forme d‟une réaction à une « blessure narcissique » : « D’accord, vous savez
très bien que je suis pas très bon au shoot… donc… par contre en jeu, je risque de vous
prendre, d’accord ! » (S2). S‟engageant pour une fois en tant que semblable aux élèves, il
rompt momentanément la dissymétrie qui définit leur relation et prend le risque de corrompre
sa position de « maître ». La preuve de sa non maîtrise est imminente, sa blessure et sa
réaction de défense aussi.
Il nous semble alors que, d‟une manière générale, les enseignements de P2 sont très
marqués par le processus de sauvegarde de sa position imaginaire. Nous avons soulevé
l‟engagement narcissique qui définissait son enseignement de rugby, au travers de sa
centration sur lui-même et de son insistance sur son excellence lors de ses nombreuses
démonstrations à l‟intérieur du milieu de l‟élève. Sa position de « maître » est ici largement
démontrée, le conduisant à une certaine « complétude narcissique » (Terrisse, Labridy, 1990).
Il nous semble alors qu‟à l‟opposé, les aménagements didactiques de P2 censés lui permettre
de se faire entendre et son extériorité par rapport au milieu de l‟élève montrent comment il
tente de sauvegarder sa position dans la classe. Les aménagements didactiques et la « gestion
humaine » de l‟extérieur lui permettent de maintenir sa position symbolique sans pour autant
risquer de mettre à mal de sa position imaginaire.
313
2.3 Le cas de P3
2.3.1 Le cas de P3 : le point de vue du sujet
Tableau 16.6 : Le cas de P3 : le point de vue du sujet et la logique du sujet
P3 : l’immersion globale dans la culture de l’APSA
Logique du
sujet
enseignant
La culture de l’APSA « c‟est une APSA intéressante et qui amène aussi pas mal de choses au niveau de sa culture
qu‟on ne peut pas seulement décontextualiser… » (D1) ; « C‟est un petit peu comme au foot
quand tu proposes une APSA football tu leur parles des règles tu leur parles de voilà… bon bé
il existe une règle du hors-jeu parce que tu vois pour empêcher parce que à un moment il y a eu
un dribble où tous les attaquants squattaient dans le but… » (D1)
La culture et le groupe : « j‟étais super content quand je voyais qu‟on faisait une choré, ils
étaient tous derrière en train de faire le même mouvement et que ils sentaient qu‟ils étaient à
l‟intérieur d‟un groupe et que ça fonctionnait quoi ! » (D1) ; « je leur ai dit pour trouver un
thème : comment vous pouvez faire pour parler entre vous de quelque chose que vous auriez en
commun ? » (D2)
Le langage de l’APSA Le verbe pour paraître compétent : « Qu‟ils aient le choix, mais le choix pas du définitif, du
grand mot » (D3) ; « Tu parais plus compétent quand tu sors des mots en Hip Hop qui sont
vrais (…), que quand tu te plantes en basket en disant, je sais pas en disant une bêtise quoi, si
t‟as des spécialistes dans ta classe… » (AC) ; « l‟élève il sent que t‟es compétent dans une
matière (…), ça lui donne envie d‟écouter parce qu‟il pense qu‟il n‟écoute pas des bêtises… »
(AC)
Verbaliser l’APSA « comme je te dis j‟axe vraiment j‟axe vraiment
sur les trucs spécifiques à l‟APSA » (B1)
Contextualiser l’APSA « Donc voilà je l‟inscris dans le contexte du
Hip Hop, bon il y a pas de règles précises
mais il y a ce qui va avec… Pourquoi ?
pourquoi il y a ces nouvelles danses qui
arrivent maintenant… » (D1)
La globalité de l’immersion « Les matchs, il n‟y avait pas vraiment de consigne tu vois supplémentaire, j‟ai laissé jouer
mais ça permettait justement qu‟ils retrouvent des situations réelles de matchs » (B2) ; « tu vois
c‟était des cycles quand même assez globaux (…), que ce soit dans une matière ou dans
l‟autre » (AC)
Les APSA telles quelles « j‟ai laissé jouer mais ça permettait justement
qu‟ils retrouvent des situations réelles de
matchs » (B2)
Une immersion directe « ce que je faisais je les mettais direct en
création collective » (D3) ; « échauffement
rapide avec une première situation où
j‟intégrais la notion de shoot » (B1)
314
Tableau 16.7 : Le cas de P3 : le point de vue du sujet et le poids de l’expérience
P3 : l’immersion globale dans la culture de l’APSA
Ex
La verbalisation
La
verbalisation
du corps
(APSA) « tu vois, jambes
écarts, station
écart, debout un
saut à la verticale
avec les bras qui
vont chercher en
haut pour renforcer
l‟impression, tu
vois, de jump
réception pied
fort » (D3)
L’institution APSA « je l‟ai ressenti quand même dans le jargon quoi dans le jargon si tu veux… »
(AC) ; « en Hip Hop je connais tout… tandis qu‟en basket au niveau du jargon des
termes de l‟arbitrage par exemple c‟était les gars qui arbitraient, ils arbitraient
vingt fois mieux que je ne pouvais arbitrer quoi » (AC)
Crédibilité et verbe : « je sentais bien que quand j‟allais voir un élève pour le
conseiller en Hip Hop il était un petit plus alerte que quand je le conseillais en
basket » (AC) ; « je pense que je me suis beaucoup plus impliqué parce que je me
sentais beaucoup plus crédible à leurs yeux en Hip Hop qu‟en basket » (AC)
Honnêteté et verbe : « comme je dis je ne veux pas me mentir à moi-même à leur
faire croire, à leur faire miroiter que… (…), tu vois je leur ai dit des choses vraies
que je maîtrise mais j‟en ai pas rajouté quoi » (AC)
L’immersion culturelle « ils ont tout arrêté sur Usher, tu vois c‟est la même musique, j‟aurais bien aimé moi leur apporter bon
un peu…un peu de culture musicale tu vois des fois… » (D3)
L’acculturation de l’institution classe « Donc déjà tu vois leur faire toucher du doigt un petit peu ce monde ce milieu artistique dans une
version professionnelle… » (D1)
L‟ailleurs et les relations humaines : « tu sais c‟est toujours intéressant au niveau de l‟établissement et
même au niveau relation humaine, c‟est toujours super intéressant quoi, découvrir quelque chose
d‟autre, voir quelque chose qui se fait ailleurs » (D1)
Le professeur de danse L‟identité du sujet en dehors du didactique : « Donc voilà je leur ai parlé de ce côté culture, ça
me paraissait important aussi… parce que moi ils m‟imaginent pas en danseur professionnel je veux
dire, tu vois, enseignant, ils ne m‟imaginent pas » (D1) »
Le corps de l’enseignant comme référence « le premier contenu, c‟est-à-dire arriver à voir un
mouvement, l‟analyser sur quelqu‟un et le reproduire par
rapport à mon corps à moi… » (D1)
Crédibilité et démonstration : « je suis désolé quoi, si t‟es
pas capable de montrer ce que c‟est qu‟un double pas et bé
t‟es fichu quoi… » (AC) ; « je te jure que tu perds en
crédibilité quoi » (AC) ; (AC) ; « ça lui donne envie de
regarder parce qu‟il pense que tu danses bien ou que tu
joues bien au basket » (AC)
Honnêteté et démonstration : « Mais du moment où il faut
démontrer… j‟ai pas envie de leur montrer des bêtises »
« L’école de danse » « tu vois dans toutes les écoles de danse,
dans tous les apprentissages en danse
quels qu‟ils soient, c‟est ça c‟est la fin de
ton mouvement, pam, elle te fait penser
au début de l‟autre tu vois… » (D1)
Les « choses pures » de « l‟école de
danse » : « ce qu‟il y a, c‟est quand on
faisait techniquement des choses pures
sans création, c'est-à-dire au début du
cycle, quand il y a eu les intervenants qui
sont venus, bé je trouve qu‟ils réalisaient
bien les choses quoi tu vois » (D3)
Le « compromis de l’expérience » L‟initiative de la création ou la normativité de la technique : « Donc ouais point positif ça été
l‟engagement émotionnel, point négatif c'est-à-dire nuance sur la technique quoi sur la technique des
gamins… » (D3)
La nécessité de
laisser
l’initiative « c‟est eux
justement, au
niveau cours Hip
Hop, tout doit être
recevable » (D2)
Le désir de participer Réussir ensemble : « je les
ai beaucoup aidés bien sûr,
ils pouvaient pas y arriver
tous seuls… mais justement
on y est arrivé » (D3)
Les solutions référées à la « leçon de
danse » « je les ai boostés pour leur trouver je leur ai dit
pensez au pas qu‟on a déjà fait et tout… » (D2)
Une issue plus générale : « je le regrettais, quand
je t’ai dit j’abandonnais la musicalité au profit de
la création, bé tu vois bé ça a marché quoi, ça a
marché » (D3)
315
NEx
Les commentaires extérieurs « je leur dis qu‟il faut bouger ponctuellement… ou par exemple, j‟ai dit il faut se déplacer, faut bouger,
bouger » (B1) ; « il faut aussi que je gère un peu l‟arbitrage » (B1) ; « c‟est moi aussi qui gère les
remplacements (B1)
Accolé aux élèves : « la compétence d’un enseignant spécialiste (..), elle se résume et elle s’illustre dans
sa capacité à faire vivre des séances et à s’adapter quoi toujours accolé en fait à ses élèves » (AC)
L‟implication humaine : « en basket c‟était quand même un cycle beaucoup plus froid quoi » (AC) ;
« C‟est un cycle où je me suis beaucoup plus impliqué, c‟est un cycle aussi beaucoup plus humain quand
même tu vois en Hip Hop et ça c‟était sûrement dû voilà à mon expérience » (AC) ; « dans le Hip Hop,
j‟étais beaucoup plus le grand frère » (AC)
Les commentaires
ponctuels de la
situation « c‟est vrai que c‟est des
petites remarques
ponctuelles sur un match
comme ça, je ne pense pas
que je puisse transmettre
beaucoup plus de choses
que ce que j‟ai mis en
activité… je l‟ai mis en
situation… » (B2)
Les commentaires hors du milieu de l’élève Implication et responsabilité de l‟enseignant : « je pense avoir eu un rôle
plus important en Hip Hop quand même (…), j‟avais un rôle, des
responsabilités qui étaient quand même nettement supérieures » (AC) ;
« J‟étais beaucoup plus près des élèves beaucoup beaucoup plus près »
(AC) ; « je paraissais quand même plus impliqué et un rôle plus vraiment
vraiment d‟aide et de guide en Hip Hop… » (AC)
2.3.2 Le cas de P3 : interprétations
2.3.2.1 Précisions et controverses sur le cas de P3
a. Une issue plus générale
Nous avons soulevé le fait que l‟enseignement de danse mené par P3 trouvait une forte
similarité avec celui de rugby mené par P1, dans ce qu‟ils semblent tous les deux se trouver
dans un « compromis de l‟expérience ». P3 souhaite laisser l‟initiative de la création aux
élèves, mais pour autant il s‟attache à intervenir largement dans cette création en proposant
des solutions aux élèves. Ces solutions sont alors très souvent celles qui ont émergé lors de la
première séance, dans laquelle P3 portait le savoir à part entière. Nous reviendrons sur ce
compromis, car son discours prend aussi une forme semblable à celui de P1. Toutefois, à la
fin de son retour sur la dernière séance de danse, P3 semble plutôt considérer avoir mis de
côté la rigueur technique et la musicalité au profit de l‟initiative créatrice : « tu vois j’ai même
abandonné la musicalité, parce que tu vois les comptes ils étaient plus trop sur les pas, ils
n’étaient plus trop sur les comptes j’ai abandonné… » (D3) ; « ça les gênait donc j’ai dit
j’abandonne. Le but aussi tu vois, c’est que la chorégraphie, il y ait quelque chose tu vois
qu’on dépasse ça, qu’il y ait un thème qu’il y ait une émotion (…), donc j’ai décidé
d’abandonner au profit tu vois de plus d’émotion et de plus d’interprétation » (D3). Ainsi, P3,
316
contrairement à ce que nous avions avancé, considère plutôt avoir « abandonné » la rigueur
technique et rythmique. En effet, cet abandon n‟est pas ressorti de nos observations. P3, en
intervenant perpétuellement sur cette rigueur, nous semblait plutôt ne pas lâcher prise.
Retenons alors pour l‟instant que pour P3 cet abandon a oscillé au fil des séances entre les
regrets et la satisfaction : « je le regrettais, quand je t’ai dit j’abandonnais la musicalité au
profit de la création, bé tu vois bé ça a marché quoi, ça a marché » (D3).
b. Accolé aux élèves
Les deux enseignements de P3 se distinguent fortement sur un point. En danse, sans
même parler de la première séance dans laquelle le corps de P3 constitue le milieu des élèves,
il pénètre largement ce milieu en arrêtant leur création pour y participer et leur montrer ce
qu‟il faut faire. En basket, ses interventions prennent plutôt la forme de commentaires faits de
l‟extérieur. Ainsi, dans son discours P3 revient sur cette différence pour l‟ériger comme la
véritable compétence de l‟enseignant : « la compétence d’un enseignant spécialiste (…), elle
se résume et elle s’illustre dans sa capacité à faire vivre des séances et à s’adapter quoi,
toujours accolé en fait à ses élèves » (AC). P3 met alors un mot sur cette compétence : « je
pense que j’ai beaucoup plus de facultés d’adaptation sur un cycle Hip Hop que sur un cycle
basket, enfin je m’entends… dans ce métier je pense que vraiment le maître mot, c’est
l’adaptation » (AC) ; « je m’adapterais… je pense que c’est… je pense que c’est là que ça se
joue quoi le nœud de toute façon, le nœud de l’enseignement je pense que c’est ça » (AC).
Pour P3, c‟est « l’adaptation » qui justifie le fait d‟être « accolé à ses élèves ». Cette
proximité prend alors plusieurs sens pour P3 : « adaptation à posteriori chez soi ou
adaptation en fait sur le moment quoi » (AC). Elle se déploie, à la manière de P2 en rugby,
comme une capacité à faire émerger le contenu relativement au contexte singulier dans lequel
les élèves et lui se trouvent à chaque instant : « j’étais beaucoup plus près des élèves,
beaucoup beaucoup plus près quoi au niveau des petits conseils ponctuels » (AC) ; « tu vois,
si tu veux, je pense que c’est vraiment plus efficace au niveau technique, au cas par cas »
(AC). Mais, elle renvoie aussi, comme nous l‟avons encore vu chez P2, à une capacité
d‟adaptation générale relativement à la pertinence des situations et la direction prise par le
cycle complet d‟enseignement de l‟APSA : « en Hip Hop je faisais vraiment des situations
qui étaient vraiment vraiment en relation avec mes élèves, voire mon élève quoi, enfin tu vois
c’était vraiment… c’est vraiment précis quoi, c’était vraiment… c’était des situations qui
étaient là au bon moment vraiment pour faire progresser l’élève tu vois… » (AC) ;
« l’adaptation quoi, c'est-à-dire que, bé t’as une initiation qui ne fonctionne pas et bé je pense
317
que je serais beaucoup plus embêté en basket qu’en Hip Hop quoi pour la faire évoluer ou
carrément la changer quoi » (AC). Ainsi, pour P3, « être accolé » aux élèves, c‟est
« s’adapter » à eux et cette adaptation constitue le « nœud de l’enseignement ». Pour autant,
dans son enseignement de basket, P3 n‟est particulièrement pas accolé aux élèves. Ce sont
principalement les situations mises en place et quelques remarques ponctuelles qui lui ont
permis d‟enseigner : « c’est vrai que c’est des petites remarques ponctuelles sur un match
comme ça… je ne pense pas que je puisse transmettre beaucoup plus de choses que ce que
j’ai mis en activité… je l’ai mis en situation… » (B2). Nous essaierons alors d‟identifier dans
son discours ce qui retient P3. Nous insisterons sur cette extériorité ultérieurement, car il nous
semble que, même à défaut d‟expérience, P3 ne se situe pas du tout de la même façon que P1
et P2 dans le didactique.
2.3.2.2 La logique singulière du sujet et le poids spécifique de l’expérience : le cas de P3
a. La culture et le groupe, L’ailleurs et les relations humaines
Nous avons montré que le contenu des enseignements de P3 semblait être transmis à
partir de la culture spécifique de l‟APSA. En proposant aux élèves une pratique globale de
l‟APSA, telle qu‟elle existe en dehors de l‟école, et en usant d‟un langage spécifique à cette
APSA, P3 nous semblait valoriser cette dimension culturelle. La véritable acculturation que
constitue son enseignement de danse en est le modèle extrême. Ainsi, dans son discours, P3
s‟accorde largement avec ce point de vue. Il insiste ainsi sur l‟impossibilité de transmettre une
activité sans transmettre son contexte culturel, car celui-ci légitime pour lui la logique même
de l‟APSA : « c’est une APSA intéressante et qui amène aussi pas mal de choses au niveau de
sa culture, qu’on ne peut pas seulement décontextualiser… » (D1) ; « c’est un petit peu
comme au foot, quand tu proposes une APSA football, tu leur parles des règles, tu leur parles
de voilà… bon bé il existe une règle du hors-jeu parce que tu vois pour empêcher… parce
que à un moment, il y a eu un dribble où tous les attaquants squattaient dans le but… » (D1) ;
« donc voilà je l’inscris dans le contexte du Hip Hop, bon il y a pas de règles précises mais il
y a ce qui va avec… Pourquoi ? Pourquoi il y a ces nouvelles danses qui arrivent
maintenant… » (D1). De même, quand P3 revient sur son enseignement du basket, ce sont ces
aspects règlementaires, formant une partie du contexte culturel de l‟APSA, qui constituent
pour lui les carences des élèves : « Ils savaient pas que c’était la cinquième faute d’équipe…
ils savent pas comment se placer autour de la bouteille quand il y a un lancer franc… tu vois
c’est des trucs… à la fois ils sont hyper pointus sur vraiment sur ce qu’on dit, sur ça… et ça
318
bouge vraiment, les matchs sont dynamiques et tout… et à la fois ils sont hyper à poil entre
guillemets sur des choses réglementaires toutes bêtes tu vois » (B1). Mais, c‟est alors
principalement dans son retour sur son enseignement de danse que P3 insiste sur la nécessité
d‟enseigner l‟APSA en prenant en compte sa culture, c‟est à dire « ce qu’il y a avec » :
« comment est née la danse Hip Hop, qu’est-ce que la culture Hip Hop… » (D1) ; « il faut
aussi la porter avec tout ce qui va avec, on leur demande pas de faire baggy casquette mais
on essaie quand même de leur apporter ce qu’il y a avec parce que tu ne peux pas leur parler
de ça sans parler de ce qui va avec » (D1). Pour P3, une activité ne peut s‟enseigner de
manière isolée. En effet, cette activité constitue avant tout un « monde », un « milieu » qui
légitime son enseignement : « déjà le fait qu’ils touchent du doigt le milieu artistique » (D1) ;
« donc déjà tu vois leur faire toucher du doigt un petit peu ce monde, ce milieu artistique dans
une version professionnelle… » (D1) ; « j’aurais bien aimé moi leur apporter bon un peu…un
peu de culture musicale tu vois des fois… » (D3).
Ce « monde » que P3 veut faire toucher aux élèves constitue alors dans son discours
un « ailleurs » qui constitue l‟intérêt de son enseignement : « tu sais c’est toujours intéressant
au niveau de l’établissement et même au niveau relation humaine, c’est toujours super
intéressant quoi, découvrir quelque chose d’autre, voir quelque chose qui se fait ailleurs »
(D1). P3 semble ainsi très centré sur l‟ouverture de l‟institution classe, par exemple en
ouvrant ses portes à l‟établissement : « bon à la fin du cycle, il faut bien le mettre en place…
tu vois petite présentation dans le collège » (D3). Il nous semble alors que la logique de P3,
centrée sur la culture de l‟activité trouve sa justification dans cet « ailleurs » qui enrichit les
« relations humaines ». P3 insiste ainsi souvent sur cet aspect fondamental qui nous semble
constituer une clé de son intérêt pour la culture. Il s‟agit de la nature groupale, fédératrice,
associative, identitaire des « relations humaines » : « j’étais super content quand je voyais
qu’on faisait une choré, ils étaient tous derrière en train de faire le même mouvement et que
ils sentaient qu’ils étaient à l’intérieur d’un groupe et que ça fonctionnait quoi ! » (D1) ; « je
leur ai dit pour trouver un thème : comment vous pouvez faire pour parler entre vous de
quelque chose que vous auriez en commun ? » (D2) ; « c’était des pas avec choix d’un thème,
d’un projet, d’une émotion, d’une identité groupe… » (D3) ; « qu’ils aient un thème
fédérateur entre eux » (D3) ; « parce que ça, ça existe aussi dans une troupe quoi, je voulais
qu’il y ait des associations… » (D3). P3 semble ainsi particulièrement animé par cette
dimension fédératrice de la culture. Les « relations humaines » trouvent leur sens, pour P3,
dans la relation avec « les autres » et dans ce que cette relation justifie l‟engagement dans une
activité : « c’est important, on danse pas pour soi, ça c’est une grosse problématique, on
319
danse pas pour soi, on danse pour les autres » (D1) ; « mais ça amène plus loin, où quand
t’as des solos où des passages, bé tu comptes les comptes du mec qui est pas là quoi, tu les
intègres » (D3). Alors, si les « relations humaines », dans leur dimension fédératrice, passent
par la prise en compte des « autres », pour P3, la relation didactique semble être considérée
dans une même perspective : « j’étais beaucoup plus près des élèves beaucoup beaucoup plus
près quoi, au niveau des petits conseils ponctuels, au niveau tu vois de… et les élèves étaient
beaucoup beaucoup plus en demande aussi quoi, tu vois c’est un échange quoi » (AC).
Pour P3, la relation didactique est « un échange » dans lequel l‟enseignant apporte un
« monde » censé enrichir les « relations humaines » par son aspect « fédérateur ».
2.3.2.3 Le sujet didactique et le poids spécifique de l’expérience : le cas de P3
a. Le verbe pour paraître compétent, Crédibilité, Honnêteté, verbe et démonstration
L‟activité de verbalisation, relativement à la conceptualisation et la contextualisation
de l‟APSA, s‟avère particulièrement intense dans son enseignement de danse. Si dans ses
deux enseignements, le langage de l‟APSA est relativement important, en danse, il l‟est
fondamentalement. Dans son discours, P3 insiste alors sur cette importance du langage de
l‟APSA. Tout d‟abord, il précise le statut de ce langage, dans ce qu‟il est entièrement sous la
responsabilité de l‟enseignant : « qu’ils aient le choix, mais le choix pas du définitif, du grand
mot » (D3). Ce « grand mot » appartenant à l‟enseignant, P3 insiste alors largement sur les
différences entre ses deux enseignements relativement à ce langage spécifique : « je l’ai
ressenti quand même dans le jargon quoi, dans le jargon si tu veux… » (AC) ; « en Hip Hop
je connais tout, je sais… tandis qu’en basket, au niveau du jargon, des termes de l’arbitrage
par exemple, c’était les gars qui arbitraient, ils arbitraient vingt fois mieux que je ne pouvais
arbitrer quoi » (AC) ; « donc concrètement, je l’ai ressenti quoi dans l’arbitrage, dans le
jargon employé quoi, dans les termes tu vois » (AC). Pour P3, le « jargon » spécifique de
l‟activité enseignée constitue un des éléments fondamentaux de distinction entre ses deux
enseignements. Il précise alors comment la maîtrise de ce « jargon » lui permet de mieux
transmettre ses contenus : « t’es plus à l’aise déjà au niveau du jargon » (AC) ;
« techniquement les contenus étaient quand même plus calés… tu sais mieux les expliquer au
niveau des… t’es plus clair » (AC) ; « l’expérience elle est là vraiment et je pense que c’est ce
qui a fait que j’étais meilleur dans la traduction des contenus en Hip Hop » (AC). Son
320
expérience dans la culture hip-hop lui permet une meilleure connaissance de son « jargon » et
cette meilleure connaissance lui permet une meilleure « traduction » du contenu.
Mais P3 revient alors sur le rôle de ce « jargon » vis-à-vis des transferts opérés par les
élèves sur l‟enseignant : « tu parais plus compétent quand tu sors des mots en Hip Hop qui
sont vrais (…), que quand tu te plantes en basket en disant, je sais pas, en disant une bêtise
quoi, si t’as des spécialistes dans ta classe… » (AC) ; « l’élève il sent que t’es compétent dans
une matière (…), ça lui donne envie d’écouter parce qu’il pense qu’il n’écoute pas des
bêtises… » (AC) ; « je sentais bien que quand j’allais voir un élève pour le conseiller en Hip
Hop, il était un petit plus alerte que quand je le conseillais en basket » (AC). P3 insiste ainsi
sur son ressenti d‟être perçu différemment en basket et en danse. Il considère qu‟en disant des
« mots qui sont vrais », les élèves sont plus « alertes » face à un enseignant perçu comme
« plus compétent ». C‟est alors un élément qui revient de manière récurrente dans son
discours. P3 considère que les élèves « sentent » l‟expérience de l‟enseignant : « déjà je pense
que l’expérience elle se sent déjà de la part de l’élève et je pense rien que ça déjà au niveau
de l’élève ça y fait » (AC). Mais, pour lui, ce ressenti dépasse la problématique de
l‟engagement de l‟élève et déborde sur son propre ressenti à lui : « je pense que je me suis
beaucoup plus impliqué parce que je me sentais beaucoup plus crédible à leurs yeux en Hip
Hop qu’en basket » (AC). C‟est son sentiment de « crédibilité » qui détermine son implication
avec les élèves. Avant de poursuivre sur ce sentiment de crédibilité et la manière dont il
détermine son activité didactique, on peut alors remarquer que son discours relatif à la
démonstration corporelle suit exactement la même logique.
P3 revient en effet plusieurs fois, à la manière de son insistance sur le « jargon », sur
l‟importance de la démonstration, comme compétence de l‟enseignant. De la même manière,
il considère celle-ci comme fondamentale : « moi c’est vraiment ma philosophie, tu peux pas
te permettre tout le temps de faire démontrer par un élève quoi… » (AC) ; « au bout d’un
moment, je suis désolé quoi, si t’es pas capable de montrer ce que c’est qu’un double pas et
bé t’es fichu quoi… » (AC). Il revient alors sur son lien avec l‟engagement de l‟élève : « ça lui
donne envie de regarder parce qu’il pense que tu danses bien ou que tu joues bien au basket »
(AC). Puis, il poursuit sur le fait que l‟élève « sent » l‟expérience de l‟enseignant au travers de
ses démonstrations : « rien que ça déjà, ça en expérience, ça apporte un espèce de plus
mais… pff… dont on estime même pas… l’élève, l’élève déjà il sent… » (AC). Enfin, il revient
alors sur la crédibilité de l‟enseignant relativement à sa capacité à enseigner : « j’ai connu des
profs qui se faisaient tout le temps démontrer… mais… mais je te jure que tu perds en
crédibilité quoi » (AC).
321
Cette recherche de crédibilité est un élément déterminant du discours de P3. Le
« jargon » et les « démonstrations » sont des moyens pour l‟enseignant de gagner en
« crédibilité ». Il se trouve alors qu‟à défaut d‟expérience, ce ne sont pas des procédures
évidentes à mettre en œuvre pour gagner ou conserver cette crédibilité. Cette insistance sur la
crédibilité s‟apparente ainsi à ce que nous avons déjà soulevé chez P1 : la volonté de
maintenir ou rechercher sa position symbolique dans la classe, celle de « sujet supposé
savoir ». Mais, chez P3, ce processus prend une forme extrêmement différente qui nous
semble être une marque de la manière spécifique dont il se place dans le didactique. Même si
cela n‟a pas pu durer longtemps, P1 s‟attachait à faire « illusion » pour conserver sa place. P3
semble au contraire rejeter fondamentalement toute « illusion » dans le didactique. En effet,
dans son discours, il revient plusieurs fois sur sa volonté d‟assumer honnêtement le réel de
son inexpérience : « je suis resté quand même assez global sur le basket, parce que moi
j’aime pas non plus me mentir à moi-même quoi je… tu vois je voulais pas dire ni de bêtises
ou en rajouter » (AC) ; « comme je dis, je ne veux pas me mentir à moi-même à leur faire
croire, à leur faire miroiter que… non là il y a double pas… enfin tu vois, je leur ai dit des
choses vraies que je maîtrise, mais j’en ai pas rajouté quoi » (AC) ; « je n’aurais jamais pu
leur dire, double pas main gauche quoi, parce que je ne maîtrise pas les doubles pas main
gauche » (AC) ; « du moment où il faut démontrer ou du moment où il y a… j’ai pas envie de
leur montrer des bêtises » (AC). Qu‟il s‟agisse du « jargon » ou des « démonstrations », P3
ne veut pas « en rajouter », il ne veut ni « faire miroiter » les élèves, ni « se mentir à lui-
même ». Ainsi, dans son enseignement de basket, P3 ne s‟engage pas dans ce qu‟il ne maîtrise
pas, car il sait que sa « crédibilité » serait aussitôt perdue. Il conclue alors en précisant que la
recherche d‟une position « illusoire » constitue pourtant une caractéristique même de son
métier : « après c’est notre rôle aussi de faire comme si on maîtrisait tout, mais bon voilà… »
(AC). Pour autant, P3 ne joue pas ce rôle. Il nous semble alors que son refus de jouer le
« rôle » de l‟enseignant est ce qui le situe le mieux dans le didactique.
b. L’identité du sujet en dehors du didactique, l’implication humaine et la
responsabilité de l’enseignant
P3 ne court pas après la position symbolique qu‟il est supposé assumer dans le
didactique. S‟il souhaite être « crédible » face aux élèves, P3 ne veut pas pour autant « en
rajouter ». Il est bien conscient que le métier d‟enseignant l‟assigne à un rôle où il est censé
faire « comme si il maîtrisait tout ». Mais P3 ne veut pas faire « comme si ». Avant de revenir
322
sur une problématique fondamentale de son discours, nous voulons alors souligner à nouveau
plusieurs éléments qui spécifient ses pratiques. P3 ne met pas en place de lourds
aménagements didactiques pour enseigner. Quelques aménagements mais surtout de longues
situations globales de pratiques constituent le support de ses enseignements. De plus, lorsqu‟il
témoigne d‟une expérience dans l‟APSA enseignée, P3 ouvre l‟institution classe pour y faire
entrer un « ailleurs » culturel censé enrichir les « relations humaines ». Il nous semble alors
que la forme de ces enseignements est très déterminée par la place qu‟il désire occuper face
aux élèves. Sa conception d‟une relation didactique fondée sur « un échange » nous semble
déjà circonscrire cette place. Alors, dans son discours, P3 insiste encore sur deux points qui
spécifient son enseignement de danse. Tout d‟abord, en précisant sa différence d‟implication
dans les deux enseignements, il insiste sur leur différence relativement à l‟atmosphère
affective qui a pu régner : « en basket, c’était quand même un cycle beaucoup plus froid
quoi » (AC) ; « c’est un cycle où je me suis beaucoup plus impliqué, c’est un cycle aussi
beaucoup plus humain quand même tu vois en Hip Hop et ça, c’était sûrement dû voilà à mon
expérience » (AC) ; « il y a eu beaucoup beaucoup plus d’affect dans mon cycle Hip Hop
parce que j’étais beaucoup plus impliqué quoi… » (AC). Pour P3, son expérience lui a permis
de s‟impliquer davantage, d‟être davantage « accolé aux élèves », et cette implication lui a
permis de conduire un cycle moins « froid », « plus humain », avec « beaucoup plus
d’affect ». Ainsi, « l’échange » qu‟il souhaitait vivre semble avoir eu lieu en danse. P3 revient
alors ensuite sur sa perception du « rôle » qu‟il a endossé dans cet enseignement : « je pense
avoir eu un rôle plus important en Hip Hop quand même (…), j’avais un rôle, des
responsabilités qui étaient quand même nettement supérieures » (AC) ; « je paraissais quand
même plus impliqué et un rôle plus vraiment, vraiment d’aide et de guide en Hip Hop… »
(AC). P3 est un « guide » pour les élèves et plus exactement : « dans le Hip Hop, j’étais
beaucoup plus le grand frère » (AC).
Dans « l’échange » de la relation didactique, ce n‟est pas le « rôle » de l‟enseignant
que P3 veut endosser. Il ne souhaite pas jouer un rôle assigné par l‟institution scolaire. La
place à laquelle il inaugure la transmission des savoirs est celle d‟un « grand frère » qui a de
l‟expérience. Il nous semble alors que la forme globale et ouverte vers l‟ailleurs de ses
enseignements, sa conception de la relation didactique et la place qu‟il désire occuper en
classe mettent en avant ce qui anime P3. Celui-ci nous semble vouloir subvertir son
assujettissement au didactique, au moins dans sa forme scolaire. A défaut d‟expérience, il ne
veut pas faire « comme si » il pouvait assumer sa position symbolique de sujet enseignant.
Lorsqu‟il témoigne d‟une expérience prolongée, c‟est alors une autre position symbolique
323
qu‟il désire soutenir : « donc voilà, je leur ai parlé de ce côté culture, ça me paraissait
important aussi… parce que moi ils m’imaginent pas en danseur professionnel, je veux dire,
tu vois, enseignant, ils ne m’imaginent pas » (D1). C‟est la place qu‟il occupe dans son
expérience personnelle qu‟il souhaite occuper encore en classe. P3 veut simplement y être un
« grand frère » qui a l‟expérience d‟un « danseur professionnel ».
La crédibilité recherchée par P3 nous semble dépasser des enjeux symboliques. C‟est
son expérience effective, réelle, que P3 veut exposer aux élèves, qu‟elle soit prolongée ou
inexistante. C‟est davantage la relation humaine que la relation didactique qui compte pour
lui. La relation didactique repose sur une fiction, celle du contrat didactique, qui nécessite
pour l‟enseignant et ses élèves d‟accepter un assujettissement au didactique (Terrisse, Léziart,
1999). P3 ne semble pas vouloir entièrement s‟y soumettre.
Nous avons présenté, en partant du cas de P1, un enjeu symbolique organisant de
manière générique l‟activité de l‟enseignant en classe et influant alors sur son activité
didactique. Il s‟agit du processus de maintien de sa position de « sujet supposé savoir ». Il
nous semble alors qu‟on se confronte, avec le cas de P3, à une subversion de ce processus.
Cette subversion est ici déterminée par la logique singulière de P3, mais elle nous semble être
aussi un élément organisateur de l‟activité du sujet didactique, particulièrement lorsqu‟il
témoigne d‟une expérience prolongée dans l‟activité enseignée. L‟expérience personnelle du
sujet enseignant le situe avant tout comme sujet ; un sujet assujetti « aux signifiants qui le
déterminent » (Terrisse, Carnus, Sauvegrain, 2002). Pour P3, il s‟agit par exemple du
« danseur professionnel ». En entrant dans le didactique, le sujet se trouve alors assujetti,
qu‟il le veuille ou non, à sa position symbolique d‟enseignant. Ainsi, dans la classe, c‟est cet
assujettissement qui situe l‟enseignant. Sa position de « sujet supposé savoir » de l‟institution
classe empiète alors sur sa position réelle de sujet, celle qu‟il a construit dans sa propre
expérience.
Dans le champ du sport de compétition, A. Terrisse et F. Labridy (1990) ont montré,
en se référant aux catégories du Réel, du Symbolique et de l‟Imaginaire développées par
Lacan (1953) pour définir la structure du sujet, qu‟en conquérant sa position symbolique de
« champion », « le sportif subit une autre aliénation, celle d‟occuper un rang dans une suite,
d‟être un parmi d‟autres » (op. cit.). Cette aliénation est la marque de la logique symbolique,
qu‟elle touche le champ analytique, sportif ou celui de l‟enseignement scolaire : elle réduit le
sujet « à n‟être plus que l‟un des termes d‟une série » (op. cit.).
Ainsi, chaque sujet enseignant se situe spécifiquement vis-à-vis de son aliénation à sa
position symbolique supposée dans la classe. Il peut vouloir s‟y assujettir pour se situer
324
comme sujet ou bien désirer ne pas être « un enseignant parmi d‟autres ». P3 semble vouloir
s‟en défaire quelque soit son expérience dans l‟activité enseignée. Il préfère dans tous les cas
« ne pas se mentir à lui-même ». Nous faisons toutefois l‟hypothèse que, d‟une manière plus
générale, l‟expérience personnelle du sujet enseignant situe déjà la position qui le détermine
face au savoir et qu‟ainsi, l‟enseignant se défait davantage des assujettissements au
didactique. L‟ « impossible à supporter » que constitue le « charabia » de la pratique pour P1
ou la proximité de « l’entraîneur » qui définit le rôle de P2 en rugby nous semblent pouvoir
être référés à la position réelle qui les définit en dehors du didactique. En revanche, la
tentative d‟ « illusion » de P1 en gymnastique et les aménagements didactiques artificiels mis
en place par P2 en basket nous semblent plutôt devoir être référés à la recherche d‟une
position symbolique qui comble l‟effectivité de leur absence d‟expérience personnelle.
c. Les « choses pures » de « l’école de danse », L’initiative de la création ou la
normativité de la technique, Réussir ensemble
Nous voulons alors conclure sur le cas de P3 en montrant la forme que prend, dans son
discours, le « compromis de l‟expérience » que nous avons déjà soulevé. P3 conclue sur son
point de vue général à propos de son enseignement de danse : « donc ouais, point positif ça
été l’engagement émotionnel, point négatif, c'est-à-dire nuance sur la technique quoi sur la
technique des gamins » (D3). Rappelons que P3 disait avoir « abandonné » la rigueur
technique et rythmique au profit de l‟initiative créatrice et l‟engagement émotionnel. Mais
pour P3, grâce à cet abandon « ça a marché ». Pour autant, P3 précise tout de même de quelle
manière « ça a marché » : « je les ai beaucoup aidés bien sûr, ils pouvaient pas y arriver tous
seuls… mais justement on y est arrivé » (D3). Alors, si d‟une manière générale P3 considère
avoir laisser de côté la rigueur de la technique et que celle-ci constitue alors le point négatif de
l‟activité des élèves, il ne renie pas pour autant avoir continué à participer à l‟initiative de la
création. Il nous semble alors que le regret d‟avoir laissé de côté la technique a tout de même
laissé place en classe à sa large participation à la réussite des élèves. Cette participation nous
semble alors renvoyer, à la manière de P1, à un « impossible à supporter » qui se dégage de
l‟activité des élèves dès lors que l‟initiative est à eux. Lorsque P3 revient sur la première
séance de danse, quand les élèves n‟avaient qu‟à reproduire ce qu‟il faisait, il se réjouit ainsi
de la qualité de leur réalisations : « quand on faisait techniquement des choses pures sans
création, c'est-à-dire au début du cycle, quand il y a eu les intervenants qui sont venus, bé je
trouve qu’ils réalisaient bien les choses quoi tu vois » (D3). La perception négative de la
technique des élèves n‟était pas là quand, ensemble, ils faisaient « des choses pures sans
325
création ». Alors, si la division de P3 est encore identifiable dans son discours, il nous semble
que son engagement technique dans la création des élèves constitue une issue prenant la
forme d‟une recherche de ces « choses pures » au travers desquelles il a construit son savoir à
l‟école de danse.
326
2.4 Le cas de P4
2.4.1 Le cas de P4 : le point de vue du sujet
Tableau 16.8 : Le cas de P4 : le point de vue du sujet et la logique du sujet
P4 : la place aux situations et au contrat didactique
Logique du
sujet
enseignant
Le contenu dans chaque situation adidactique « c‟est vrai que moi je marche par situation et… en fait, c‟est un genre de médiateur, quoi… en fait
c‟est la situation qui permet d‟atteindre certains contenus, quoi… par rapport aux problèmes
qu‟elles engendrent, quoi… » (N1)
le vécu enfermé dans les situations : « Le truc, c‟est que voilà, moi, la piscine, je l‟ai vécue, mais je
l‟ai pas observée… je l‟ai vécue en tant que pratiquant, donc sans observation… moi, ce que je
trouve difficile, c‟est quand même avoir la place de mon prof… » (AC) ; « c‟est une situation que
j‟ai mise en place, c‟est celle que j‟ai vécu moi, » (AC) »
Se protéger avec les situations : « Ah oui ! parce qu‟en fait toutes les bêtises qu‟ils peuvent faire,
c‟est peut-être, je me dis, c‟est dans l‟organisation que j‟aurais pu l‟éviter, tu vois, donc là, à chaque
fois, je me demande : est-ce que la situation n‟est pas adaptée ? » (AC) ; « ces élèves qui sont plus
en difficultés, j‟ai du mal, quoi, à leur dire quelque chose (…), donc à mon avis, ça passe par des
situations plus adaptées, quoi » (N1)
Valorisation de l’adidactique « qu‟ils soient en situation et qu‟ils essaient de le gérer eux-mêmes, en fait. Parce qu‟en fait (…),
plus tu pratiques et plus tu trouves des solutions » (B1)
Ça marche tout seul : « le truc qui m‟a agréablement surpris, c‟est l‟autonomie… Ouais, enfin moi
je suis vraiment hyper sensible à ça et j‟aime bien quand ça marche bien tout seul, tout ça. Et que
voilà ça tourne sans que tu sois adhéré à eux. » (B2)
Une logique de gestion du contrat didactique
Le contrat doit tenir « Ouais... bé... je les arrêtais, tout ça, parce que ils respectaient pas la consigne » (N3)
Ça doit marcher : « Ouais, c‟est parce qu‟en fait j‟étais dans le pôle organisationnel... enfin... j‟étais
tellement préoccupé... enfin... pas préoccupé mais… enfin... centré sur le fait que ça marche, tout
ça... » (N3) ; « parce que je suis peut-être tellement dans l‟organisation que ça… je suis soucieux un
peu que ça se passe bien » (N1)
Le contrat didactique, un contenu social : « parce que là on parle de contenus moteurs, quoi, mais
bon au niveau… voilà, au niveau social et tout ça, au niveau… intéressant voilà » (N2) ; « Et après,
une deuxième situation un peu plus ludique (…), plutôt pour intégrer tout le monde. Que tout le
monde, ben, se lâche un peu, tu sais » (D3)
Le désengagement du corps de l’enseignant
L’absence du corps de
l’enseignant Situations ou démonstrations :
« moi je joue beaucoup sur la
situation quoi. (…). C‟est ça, quoi,
parce que tu vois, pour moi, à
chaque fois qu‟un prof ou qu‟un
entraîneur démontrait… c‟est pas
pour ça que sur le moment je vais
le faire. Mais tant qu‟il y a pas un
déclic dans la tête, tu vois » (D1)
Un discours sans engagement « moi je leur demande des situations vraiment qui les mettent
en problème (…), mais après j‟ai pas trouvé non plus des
solutions de réalisation pour leur proposer autre chose,
quoi… » (N1)
Un sentiment d‟impuissance : « Bé ouais, même, j‟ai été
même plutôt impuissant par rapport à des élèves qui avaient
des difficultés, je n‟arrivais pas à leur proposer, voire les
conseiller » (N1)
Ne pas comprendre l‟élève : « je me rappelle pas de mon
époque débutant ... (…), je me rappelle pas avoir été autant en
difficulté ... » (N1)
327
Tableau 16.9 : Le cas de P4 : le point de vue du sujet et le poids de l’expérience
P4 : la place aux situations et au contrat didactique
Ex
Des aménagements complexes à la complexité de l’APSA
La complexité dans
les situations « je travaillais d‟abord
l‟horizontalité par rapport
à la propulsion, après par
rapport à la respiration…
donc par rapport au
crawl… » (N1)
Une ouverture des situations vers la
complexité (APSA) « j‟ai essayé d‟intervenir beaucoup plus à la fin des
cinquante mètres, tu vois, pour essayer de leur rappeler
les consignes, essayer d‟insister sur ça » (N3)
Une complexité toujours limitée : « non, sur les
contenus que moi j’insistais j’ai rien trouvé de
nouveau, quoi... enfin... j’ai… au niveau quantitatif
quoi, c’était pas dans le qualitatif... » (N3)
La logique globale
de pratique comme
référence « avoir une situation de
référence par rapport à
une nage compét… »
(N1)
NEx
Un contenu en arrière-plan « Enfin pour moi c‟est la situation qui veut ça, mais ouais, après… mais bon, sur la séance, c‟est vrai, j‟ai eu…
enfin c‟est vachement dur de trouver le moment où fallait faire émerger le contenu. J‟ai essayé un peu, quoi,
mais… » (B2) ; « le basket, on va dire que ça se résumait souvent… vu que techniquement j‟avais moins de
vécu (…), j‟essayais au travers de situations de confronter les élèves à des situations » (AC)
Un contenu d‟organisation : « et en danse, c‟était des contenus surtout méthodo » (AC) ; « après en basket il y
a eu quelques contenus moteurs… mais après, c‟était soit des contenus d‟organisation, même méthodo, même,
le respect des règles et tout ça… » (AC) ; « le contenu méthodo c‟est on va dire connaître la situation. » (AC)
L’absence du corps Le corps de l’enseignant ou la confusion : « par exemple, ils me disaient, en danse, qu’il leur manquait souvent
une démonstration de l’enseignant (…) qu’il leur manquait une démonstration, qu’ils étaient un peu perdus,
quoi… » (AC)
Les situations et la relation humaine : « en basket, je l‟ai moins ressenti en tant que personne » (AC) ; « j‟osais
pas y aller… le plus dur, c‟est d‟aller sur quelqu‟un, quoi… » (AC)
Un enseignement décorporé Démonstration et jugement des élèves : « en basket, ouais, je montrais pas trop… parce que des fois, tu sais, tu
tentes un panier ou comme ça, mais je le sentais pas…si je le rate, je ramasse ! Ça le fait pas trop… et bon, en
danse encore pire… rien par rapport à la démonstration … » (AC)
L’opacité du contrat didactique Le contrat et l’incertitude de l’enseignant : « en danse, voilà, quoi, c’était… du moins sûr, encore moins… déjà
je visais moins de choses, alors quand je disais des trucs, moi, je n’étais pas du tout convaincu… » (AC)
L’ambiguïté des
aménagements Expérience et
expérimentation : « je
m‟appuyais sur
certaines situations de
base que j‟ai pu trouver
mais que j‟avais jamais
fait l‟expérience, c‟était
vraiment de
l‟expérimentation, en
danse… donc à
l‟aveugle. » (AC)
Un processus tenace malgré la
confusion « par rapport aux consignes que moi j‟ai mis,
quoi, à la première séance, c‟était vraiment ta ta
ta, c‟était cadré, quoi, tu vois. » (D1) ; « Après,
c‟est sûr que s‟ils respectent pas les consignes et
tout ça, moi je suis obligé de les recadrer par
rapport à ça. » (D1)
Qu‟ils fassent quelque chose : « et donc on a
vu… séance après séance, ils progressaient ou
au moins ils faisaient quelque chose… » (AC)
Le sentiment d‟utilité et les situations : « Moi
j‟aime bien que ça vienne d‟eux ou que la
situation que j‟ai mise en place fait qu‟ils ont
trouvé cette solution, quoi. » (B3) ; « Et après même dans la séance et tout, moi je
les aide et tout ça à avoir des idées tout ça, mais
je me sens pas très utile, quoi… » (D2)
Le contenu enfermé « Ils étaient… enfin polarisés par
ces verbes d‟action » (D1)
L’éternel recommencement : « le
truc c’est que dans… j’ai pas pu
en continuité, et je repars
toujours de zéro, quoi. » (D2) ;
« c’est un problème des trucs du
départ et de construire une base.
Comme ils ne l’ont pas, chaque
fois ils doivent recommencer, et
se mettre en situation, tu vois. »
(D2)
328
Le « compromis de l’inexpérience » Le refuge de l‟enseignant : «Tu vois, je peux pas me réfugier sur un truc que moi je sais, quoi. » (D1)
La nécessité de participer Responsabilité et impuissance :
« j‟essayais d‟éviter les
responsabilités par rapport à ça.
(…), je me sentais…
impuissant… peu efficace…
face aux responsabilités de
transmission. » (AC) ; « j‟étais
plus… plus éducateur… ou…
animateur… » (AC)
La peur de l‟épreuve :
« Je n‟aimais pas du tout…
j‟étais pas du tout à l‟aise…
Oui, j‟appréhendais
vachement… ma première
année, tout ça, ouais,
j‟appréhendais… ça m‟embêtait
de ne pas être à la hauteur… »
(AC)
Le désir de tenir le contrat « au début, je leur laisse libre mais
après, tu peux pas trop » (D2)
Repartir sur quelque chose de posé :
« en danse, j‟ai pas mis grand-chose
en place… c‟est toujours la même
chose (…), comme ça on repartait sur
quelque chose qui était déjà un peu
fait…. » (AC) L‟épreuve de la contingence :
« Avant, j‟appréhende vachement…
ouais, la séance… ouais,
j‟appréhende, ouais. Parce que bon,
je sais pas trop où ça va aller, quoi,
vu que je dépends de ce que eux font,
quoi. » (D1)
L’abandon Le courage de la transmission : « je
voulais le faire, mais j‟en ai pas eu
le courage, c‟est trop dur, quoi… »
(D2) ; « simplement je ne me suis
pas senti de le faire… » (D2) ; « A
la fin, je suis venu le voir, bon, il a
dit qu‟il avait essayé et tout. Mais
enfin je me suis retrouvé un peu à
pas savoir quoi faire » (D2)
2.4.2 Le cas de P4 : interprétations
2.4.2.1 Précisions et controverses sur le cas de P4
a. Une complexité toujours limitée
Le contenu des enseignements de P4 réside principalement dans les situations
adidactiques. Il transmet peu de contenu de manière directe et la plupart du temps, le contenu
qu‟il transmet renvoie surtout à l‟enjeu même de la situation adidactique en cours, quand il ne
s‟agit pas d‟un simple rappel des consignes. Toutefois, nous avons pu voir qu‟en natation, au
travers de phases d‟institutionnalisation, P4 s‟appuie parfois sur une diversité d‟objets et
s‟écarte davantage des enjeux des différentes situations pour proposer des solutions aux
élèves, ouvrant ainsi les situations adidactiques vers la complexité de l‟APSA. Pourtant, dans
son discours, lorsqu‟il revient sur ses pratiques dans les premières séances de natation, P4
insiste sur sa difficulté à enseigner autre chose que ce qui réside déjà dans les situations :
« moi je leur demande des situations vraiment qui les mettent en problème… et donc ça serait
une critique, quoi… mais après, j’ai pas trouvé non plus des solutions de réalisation pour
leur proposer autre chose quoi… » (N1). P4 n‟a pas l‟impression d‟offrir quelque chose de
plus aux élèves que ce qu‟il transmet au travers des situations. Nous reviendrons largement
329
sur ce sentiment qu‟a P4 de ne pas réussir à enseigner. Mais on peut déjà retenir que
l‟ouverture de ses situations vers davantage de complexité de l‟APSA n‟est pas ressentie dans
les premières séances de natation. En revanche, à partir de la troisième séance, P4 s‟enjoue
d‟être intervenu davantage en dehors des situations1 : « j’ai essayé d’intervenir beaucoup plus
à la fin des cinquante mètres, tu vois, pour essayer de leur rappeler les consignes, essayer
d’insister sur ça et, en fait, ça a marché sur pas mal, sur certains élèves, et donc là, en
répétant, répétant, répétant, j’ai l’impression que bon, au moins, ils essaient, qu’il y a
certains progrès quand même qui sont lisibles » (N3). Mais, ces interventions ne se sont pas
alors véritablement ouvertes en dehors de situations. P4, ayant pourtant tenté d‟intervenir
davantage, s‟est vu continuer à insister sur les consignes ou sur toujours les mêmes contenus :
« non, sur les contenus que moi j’insistais, j’ai rien trouvé de nouveau, quoi... enfin... j’ai…
au niveau quantitatif, quoi, c’était pas dans le qualitatif... enfin... quantitatif, j’ai répété,
répété, répété... » (N3). Certes, l‟ouverture du contenu en dehors des situations que nous
avions identifiée était peu intense ; elle servait principalement à spécifier son enseignement de
natation par rapport aux deux autres qui sont particulièrement vides de contenu. Mais pour P4,
il n‟y a pas vraiment de « nouveau » contenu dans ses interventions. Il nous semble alors que
P4 a relativement du mal à identifier du contenu, à le reconnaître dans le processus de
transmission. Plus généralement, P4 à du mal à reconnaître du contenu, où qu‟il soit.
b. Le corps de l’enseignant ou la confusion, Le contrat et l’incertitude de l’enseignant,
L’éternel recommencement
Dans les enseignements de danse et de basket menés par P4, nous avons soulevé la
confusion qui régnait chez les élèves, relativement à des aménagements parfois ambigus et à
la ténacité de P4 à ne pas lâcher prise sur le contrat didactique. Dans son discours, P4 semble
particulièrement conscient de cette confusion. Il apporte alors plusieurs éléments de précision
relativement à cette confusion. Tout d‟abord, en revenant sur son enseignement de danse, P4
souligne sa difficulté éprouvée à instaurer une progressivité dans son contenu, compte tenu de
la difficulté des élèves à s‟appuyer sur ce qui a pu émerger auparavant en classe : « c’est un
problème des trucs du départ et de construire une base. Comme ils ne l’ont pas, chaque fois
1 Cette évolution interroge par ailleurs le poids du chercheur sur les pratiques effectives d‟enseignement. En
interrogeant P4 après chaque séance relativement à ce qu‟il a transmis en dehors des situations, celui-ci s‟est vu
plusieurs fois incapable de trouver quelque chose, voire, s‟est rendu compte qu‟il ne transmettait presque rien en
dehors de ces situations. L‟engouement de P4 à la fin de la troisième séance, lorsque nous l‟interrogeons sur la
même chose, montre comment le dispositif de recherche l‟a mené dans une position réflexive sur ses pratiques,
le conduisant à tenter de les modifier. On remarquera pour autant que ses pratiques n‟ont pas véritablement
évolué.
330
ils doivent recommencer, et se mettre en situation, tu vois » (D2) ; « le truc c’est que dans…
j’ai pas pu en continuité et je repars toujours de zéro quoi. » (D2). P4 précise ainsi ce que
nous avions soulevé. Son enseignement de danse est un éternel recommencement dans lequel
le contenu ne sort jamais du contrat didactique. Ses éventuels projets visant à amener d‟autres
contenus se voient ainsi avortés : « j’avais visé des trucs par rapport à la vitesse d’exécution
et tout ça, par rapport au rythme et tout ça, j’ai pas pu y toucher parce que j’avais pas le
temps. Ça a stagné par rapport à ça… » (AC). Ensuite, P4 revient sur un autre élément qui
nous semble participer à l‟opacité du contrat en danse : « en danse, voilà, quoi, c’était… du
moins sûr, encore moins… déjà je visais moins de choses, alors quand je disais des trucs,
moi, je n’étais pas du tout convaincu… » (AC). N‟étant pas « convaincu » lui-même de ce
qu‟il enseigne, ses interventions portent encore davantage à confusion les élèves et le contrat
ne peut s‟en trouver que plus opaque pour eux. Enfin, P4 revient sur son faible engagement
corporel et sur la confusion qui a pu en ressortir de la part des élèves : « ils me disaient, en
danse, qu’il leur manquait souvent une démonstration de l’enseignant (…), qu’il leur
manquait une démonstration, qu’ils étaient un peu perdus, quoi… » (AC). P4 est ainsi
particulièrement conscient de la stagnation du contenu dans son enseignement de danse et de
son lien avec ses faibles certitudes et son faible engagement corporel relativement au savoir
qu‟il souhaiterait transmettre. Nous reviendrons sur la grosse difficulté qu‟a constitué son
enseignement de danse ultérieurement. Mais, nous pouvons remarquer que P4 est très
conscient de la confusion qui y règne et de sa responsabilité vis-à-vis d‟elle. Toutefois, malgré
cette confusion, P4 insiste toujours, même dans son discours, sur la nécessité pour lui de tenir
le contrat : « après, c’est sûr que s’ils respectent pas les consignes et tout ça, moi je suis
obligé de les recadrer par rapport à ça. » (D1).
2.4.2.2 La logique singulière du sujet et le poids spécifique de l’expérience : le cas de P4
a. Le vécu enfermé dans les situations, Situations ou démonstrations, Ne pas
comprendre l’élève
Dans son discours, P4 souligne largement sa centration sur les situations pour
enseigner : « j’ai l’habitude en fait de les mettre… enfin de les mettre en situation et de voir
après » (N1) ; « c’est vrai que moi je marche par situation et… en fait, c’est un genre de
médiateur, quoi… en fait c’est la situation qui permet d’atteindre certains contenus, quoi…
par rapport aux problèmes qu’elles engendrent, quoi… » (N1) ; « qu’ils soient en situation et
qu’ils essaient de le gérer eux-mêmes, en fait… parce qu’en fait, il y a une certaine quantité
331
de travail qui fait que, en fait, plus tu pratiques et plus tu trouves des solutions » (B1) ; « les
contenus, quoi, s’il y a pas de pratique après… » (N1). Pour P4, le savoir est exclusivement
dans la pratique et sa transmission dans les situations. Les situations sont les « médiateurs »
de la transmission. Elles constituent des « problèmes » qui, par une certaine quantité de
pratique, permettent de trouver des solutions. Pour P4, seul le pratiquant apprend et le
déploiement de son apprentissage dans le temps passe par le souvenir des situations : « tu te
rappelles d’une situation où t’as réussi à avoir un ballon, tu te rappelles et donc après, tu
essaies de remettre ça en place » (B1). Ainsi, lorsque P4 fait référence à sa propre expérience,
c‟est notamment sur son expérience d‟apprenant qu‟il revient. Lorsqu‟il était apprenant, ce
n‟étaient pas les explications ou les démonstrations de ses enseignants qui lui permettaient
d‟apprendre : « moi je joue beaucoup sur la situation quoi. C’est ça, quoi, parce que tu vois,
pour moi, à chaque fois qu’un prof ou qu’un entraîneur démontrait… c’est pas pour ça que
sur le moment je vais le faire. Mais tant qu’il y a pas un déclic dans la tête, tu vois (…), de
moi-même, ouais… et de l’élève. C’est mon vécu un peu, donc c’est pour ça que moi en fait, je
pars sur ce que eux font, quoi » (D1). Pour P4, ce sont les « déclics » en situation qui lui ont
permis d‟apprendre, pas les interventions de ses enseignants. Maintenant qu‟il est lui-même
enseignant, ce ne sont pas ses interventions hors situations qui permettront aux élèves
d‟apprendre. Son expérience en natation lui permet alors avant tout d‟avoir vécu des
situations qu‟il peut ainsi remettre en place en tant qu‟enseignant : « c’est une situation que
j’ai mise en place, c’est celle que j’ai vécu moi » (AC) ; « en natation, on va dire que mon
vécu qui m’a permis… de… par rapport à ce que j’avais vécu et comment je l’ai appris, en
fait… mais essayer d’utiliser les mêmes manières pour enseigner à ces élèves… » (AC). C‟est
davantage « comment » il a appris, au travers de situations, qui constitue un point d‟appui à
son enseignement de l‟APSA.
P4 souligne alors sa grande difficulté à passer de pratiquant à enseignant : « le truc,
c’est que voilà, moi, la piscine, je l’ai vécue, mais je l’ai pas observée… je l’ai vécue en tant
que pratiquant, donc sans observation… moi, ce que je trouve difficile, c’est quand même
avoir la place de mon prof… » (AC). Il nous semble alors qu‟il s‟agit ici d‟une grande
problématique pour P4. Ce qu‟il a vécu, pour autant qu‟il s‟en souvienne, est resté inscrit dans
la pratique et dans les situations de pratique. Le changement de position et notamment la prise
de recul nécessaire face à la pratique pour enseigner constituent une grande difficulté pour lui.
P4 a du mal à prendre « la place de son prof ». Ses souvenirs de pratique sont ainsi
relativement opaques : « je me rappelle pas de mon époque débutant (…), je me rappelle pas
avoir été autant en difficulté… » (N1). La prise de recul s‟avère alors d‟autant plus difficile :
332
« c’est ça, apprentissage, c’est vrai… j’arrive pas à avoir beaucoup de recul par rapport à
ça, tu vois… » (N1). Le problème s‟avère alors encore plus complexe lorsqu‟il n‟a pas
d‟expérience de pratique dans l‟activité enseignée : « si t’as moins de vécu, t’es comme eux,
débutant et donc t’anticipes pas les problèmes que tu peux avoir et donc encore moins les
solutions que tu peux apporter… » (AC). Si P4 a du mal à sortir son propre vécu des
situations de pratique, à défaut de vécu, il lui est encore moins possible de prendre du recul
pour anticiper sur l‟activité des élèves. Ainsi, quelque soit l‟activité enseignée, P4 ne parvient
pas à sortir des situations pour proposer des solutions : « ces élèves qui sont plus en
difficultés, j’ai du mal, quoi, à leur dire quelque chose, ouais, à leur donner des conseils
différents qui vont leur permettre de plus réussir, quoi, donc à mon avis, ça passe par des
situations plus adaptées, quoi… » (N1). Face aux obstacles inhérents à l‟activité adaptative
des élèves, ce sont encore uniquement les situations et leur pertinence qui lui permettent de
maintenir la relation didactique. P4 a du mal à enseigner dans l‟immanence des interactions.
Le temps de la préparation et de la réflexion lui sont fondamentalement nécessaires :
« souvent tu t’y attends pas, bon, parce que vu le peu d’expérience qu’on a, et bé tu sais pas,
quoi, si t’as pas préparé, c’est vachement difficile, tu vois, sans réflexion, de proposer… »
(N1). L‟interactivité de la relation didactique en classe pose problème à P4. C‟est alors surtout
son manque d‟expérience professionnelle qui lui est troublante. P4 a besoin d‟un temps de
réflexion pour enseigner. Ne pouvant le trouver en classe, ce sont les situations préparées à
l‟avance qui lui permettent d‟enseigner.
b. Expérience et expérimentation
P4 semble ainsi être dans une logique forte d‟apprentissage du métier d‟enseignant.
Cette première année d‟enseignement est avant tout une année « test » pour lui :
« j’intervenais dans l’organisation, quoi, pour tester de nouvelles situations » (AC).
Particulièrement lorsqu‟il ne témoigne pas d‟une expérience personnelle dans l‟APSA
enseignée, son activité didactique constitue pour lui une « expérimentation », un tâtonnement
« à l’aveugle » : « je m’appuyais sur certaines situations de base que j’ai pu trouver, mais
que j’avais jamais fait l’expérience, c’était vraiment de l’expérimentation, en danse… donc à
l’aveugle » (AC) ; « en danse, je me contentais d’essayer sur le terrain de trouver des
situations… j’y allais à l’aveugle… » (AC) ; « en basket, c’était quelques contenus que je
connaissais, mais c’est surtout de la découverte face aux situations et après, en danse, c’est
encore pire, c’est vraiment… le contenu dans la mesure où je n’en avais pas vécu… enfin,
j’avais certains contenus que je visais par des situations mais le fait de ne pas les avoir vécus,
333
en fait, je ne savais pas trop si c’était réussi ou pas trop réussi… vraiment à l’aveugle » (AC).
La difficulté de P4 à prendre « la place de son prof » le situe ainsi dans une démarche de
« découverte » et d‟ « expérimentation » dans laquelle son défaut d‟expérience personnelle ne
lui permet pas d‟évaluer la qualité de son activité didactique, c'est-à-dire, pour lui, ses
situations. Or, cette évaluation de sa propre activité didactique semble être fondamentale pour
lui. A tel point qu‟il met en place durant l‟année un système d‟évaluation dans lequel ce sont
les élèves qui évaluent l‟enseignant : « si tu veux, ils avaient mon évaluation à faire… ils
m’évaluaient à moi… mon année ils me l’évaluaient (…), voilà, pour avoir un retour, tu
sais… » (AC). P4 enseigne ainsi dans une logique d‟auto-formation, il veut savoir ce qu‟il
vaut en tant qu‟enseignant. Cette logique est très forte chez P4. Nous verrons alors
ultérieurement comment elle détermine sa place dans le didactique et par là même la
singularité de son activité didactique. En tout cas, il semble vouloir poursuivre encore cette
démarche dans la suite de sa professionnalisation: « je pense que l’année prochaine, chaque
cycle, j’ai envie de le faire, c’est vraiment puissant ! » (AC).
c. Le contrat didactique, un contenu social, Un contenu d’organisation
En intervenant peu en dehors des situations, P4 propose peu de contenu aux élèves.
Dans son discours sur ses propres pratiques revient souvent sur ce constat. Mais, conscient de
ne pas transmettre directement des contenus aux élèves, il précise alors certaines formes
spécifiques de contenus sur lesquelles son intérêt est plutôt centré : « parce que là on parle de
contenus moteurs, quoi, mais bon au niveau… voilà, au niveau social et tout ça, au niveau…
intéressant voilà » (N2). P4 transmet peu de contenus relativement spécifiques à l‟APSA
enseignée. Il met donc en jeu peu d‟invariants renvoyant à l‟APSA enseignée. Ce sont plutôt
d‟autres contenus, relatifs aux compétences générales en EPS, que P4 considère transmettre. Il
précise alors comment, en danse et en basket, ces contenus transversaux constituent la plus
grande partie de ses enseignements : « en danse, c’était des contenus surtout méthodo »
(AC) ; « après en basket, il y a eu quelques contenus moteurs… mais après, c’était soit des
contenus d’organisation, même méthodo, même le respect des règles et tout ça… » (AC). P4
précise alors ce qu‟il entend par « contenu méthodo » : « le contenu méthodo c’est, on va dire,
connaître la situation. » (AC). Dans ses enseignements, le contenu relatif à l‟APSA enseignée
est bien en arrière-plan et laisse place à des contenus de deux ordres : ceux qui renvoient à
« l’organisation », à la connaissance des situations, en quelque sorte à la capacité à entrer et
rester dans le contrat didactique et ceux qui renvoie au « social », « au respect des règles ».
La transmission des premiers prend alors exactement la forme du processus tenace dans lequel
334
P4 s‟engage à tenir le contrat didactique. P4 insiste alors sur la transmission des seconds :
« moi j’insiste beaucoup par rapport aux élèves, ici… parce qu’ils ont vachement de mal à
respecter l’arbitre. Enfin essayer de leur faire comprendre que c’est l’arbitre qui décide, qu’il
peut se tromper… » (B2) ; « je trouve intéressant par rapport… et bé, à cette éducation, je
trouve que ça amène quelque chose par rapport… enfin, il y a la gym aussi qui est au niveau
quand même d’être accepté, d’être jugé, tu vois (…). Passer devant un public, se respecter…
Je trouve vachement intéressant au niveau… tu vois, compétence générale » (D1) ; « Et après,
une deuxième situation un peu plus ludique (…), plutôt pour intégrer tout le monde. Que tout
le monde, ben, se lâche un peu, tu sais » (D3). Ce sont donc ces compétences générales qui
passent au premier plan dans ces enseignements. Alors, si P4 a, d‟une manière générale, des
difficultés à intervenir pour transmettre du contenu en dehors des situations, c‟est aussi cette
centration sur ces contenus-là qui spécifie ses enseignements. « Etre accepté », « être jugé »,
« se respecter », « intégrer tout le monde » sont des contenus fondamentaux pour P4. Ainsi, il
nous semble que sa centration sur le contrat didactique est aussi déterminée par sa conception
« sociale » de la transmission des savoirs. Au-delà de ses difficultés à enseigner, P4 est ainsi
dans une logique de socialisation, dans laquelle l‟enseignant, évalué par ses élèves, transmet,
par le maintien d‟un contrat, des contenus d‟ordre organisationnel et social. Toutefois, ces
dîtes difficultés à enseigner, nous semblent déterminer aussi largement son activité didactique.
2.4.2.3 Le sujet didactique et le poids spécifique de l’expérience : le cas de P4
a. Le sentiment d’utilité et les situations, Un sentiment d’impuissance, Responsabilité
et impuissance, Le courage de la transmission
P4, comme probablement chaque enseignant, souhaite « y être pour quelque chose »
(Carnus, 2001) dans les apprentissages des élèves. Dans son discours, il explicite alors ce
souhait, en précisant, comme à son habitude, que ce sont ses situations qu‟il souhaite voir
participer à cet apprentissage : « moi j’aime bien que ça vienne d’eux ou que la situation que
j’ai mise en place fait qu’ils ont trouvé cette solution, quoi. » (B3) ; « tu sais, ça vient d’eux
parce qu’ils ont des qualités, quoi, et que… bien sûr, c’est ta situation... c’est cette situation
qui fasse ça, tu vois, en fait… » (B3) ; « j’espère avoir quand même une certaine influence
quoi » (D3). Mais, en danse et en basket, P4 revient sur son sentiment de ne pas être
responsable des progrès des élèves : « elles s’écartent, les directions, tout ça, c’est… non,
non, sans que forcément… enfin je l’ai dit, mais ça, à mon avis c’est pas moi qui y fait
quelque chose… » (D3) ; « mais bon, enfin, je suis content pour lui, mais moi je suis plus
335
content quand c’est un comportement qu’il développe pendant la séance » (B3) ; « après
même dans la séance et tout, moi je les aide et tout ça à avoir des idées tout ça, mais je me
sens pas très utile, quoi… » (D2). P4 ne se sent pas « utile » face aux élèves vis-à-vis de la
transmission des savoirs. Ce sentiment est alors présent pour tous ses enseignements : « j’ai
été même plutôt impuissant par rapport à des élèves qui avaient des difficultés, je n’arrivais
pas à leur proposer, voire les conseiller » (N1). Comme nous l‟avons soulevé, P4 a beaucoup
de difficultés à enseigner en dehors des situations. Ces difficultés résonnent alors comme un
sentiment d‟ « impuissance ». Mais, s‟il reconnaît toutefois avoir eu plus un rôle de
« transmetteur de connaissances, de savoirs pour les élèves » (AC) en natation, en revanche,
dans ses autres enseignements, ce sentiment d‟impuissance engage sa responsabilité même
face au savoir : « j’essayais d’éviter les responsabilités par rapport à ça… pas forcément
éviter mais j’essaie… de… enfin, pour moi… non, j’évitais pas… mais j’essayais au
maximum… je me sentais… impuissant… peu efficace… face aux responsabilités de
transmission. » (AC) ; « j’étais plus… plus éducateur… ou… animateur… » (AC). P4 est
embarrassé avec la responsabilité qui lui incombe de transmettre des savoirs. Alors, s‟il dit
finalement avoir « essayé au maximum » sans y être arrivé, il précise toutefois, dans son
retour sur son enseignement de danse, avoir abandonné plusieurs de ses projets didactiques :
« je voulais le faire, mais j’en ai pas eu le courage, c’est trop dur, quoi… » (D2) ;
« simplement je ne me suis pas senti de le faire… » (D2).
Face à son « impuissance », il faut du « courage » à P4 pour mener ses enseignements,
particulièrement lorsqu‟il ne témoigne pas d‟une expérience personnelle dans l‟APSA. Mais,
même avec cette expérience, il précise quel est encore une fois son seul moyen pour participer
aux apprentissages des élèves : « ces élèves qui sont plus en difficultés, j’ai du mal, quoi, à
leur dire quelque chose… ouais, à leur donner des conseils différents qui vont leur permettre
de plus réussir, quoi, donc à mon avis, ça passe par des situations plus adaptées, quoi » (N1).
b. Qu’ils fassent quelque chose, Se protéger avec les situations
P4 revient plusieurs fois dans son discours sur sa centration sur les situations et le
contrat pour enseigner. Comme nous venons de le voir, ce sont ces situations qui lui
permettent de participer à l‟émergence du savoir. Impuissant à donner des conseils aux élèves
pour qu‟ils réussissent, les situations lui permettent d‟ « y être pour quelque chose ». Il s‟agit
ici d‟une réponse à une forme d‟ « impossible à supporter » relatif à son sentiment d‟inutilité
qui le place dans une situation compromettante, compte tenu de la position symbolique qu‟il
est censé occuper dans la classe et des responsabilités qui en découlent. Mais, il nous semble
336
que les conséquences et les déterminations de sa centration sont plus spécifiques chez P4.
Tout d‟abord, lorsqu‟on interroge P4 sur les raisons des aménagements qu‟il a mis en place en
danse puis sur leur évolution, il répond : « Ouais, c’était juste pour leur donner des idées,
parce que bon, ça les gonfle quoi, parce que donc moi au début… c’était une manière pour
qu’ils commencent à faire l’enchaînement quoi » (D3) ; « et donc on a vu… séance après
séance, ils progressaient ou au moins ils faisaient quelque chose… » (AC). P4 nous semble
ici préciser comment l‟organisation didactique qu‟il a mise en place trouvait notamment sa
justification dans ce qu‟elle permettait simplement de mettre les élèves en activité, de manière
à ce qu‟ils fassent « quelque chose ». P4 souhaite que les élèves soient en activité, qu‟ils
pratiquent, dans la mesure où pour lui seule la pratique permet de faire émerger le savoir.
Mais, il ne nous semble que ce soit véritablement une intention didactique qui détermine ici
l‟organisation didactique mise en place. En effet, P4 nous précise par ailleurs quel est le rôle
primordial de l‟organisation didactique des situations qu‟il met en place : « Ah oui ! Parce
qu’en fait toutes les bêtises qu’ils peuvent faire, c’est peut-être, je me dis, c’est dans
l’organisation que j’aurais pu l’éviter, tu vois, donc là, à chaque fois, je me demande : est-ce
que la situation n’est pas adaptée ? est-ce que la situation… tu vois, quand c’est des
situations trop faciles, il y a une relecture des buts, quoi, et donc eux, ils font ce qu’ils
veulent, quoi… quand c’est trop dur, pareil, il y a des stratégies d’auto handicap et ils le font
pas… » (N2) ; « donc tout le temps j’essaie de penser pour éviter ce genre de chose » (N2). Il
nous semble que l‟on voit ici apparaître la véritable centration de P4. Celui-ci semble bien
conscient de certains ressorts du contrat didactique. Il connaît les stratégies adaptatives des
élèves qui conduisent à des ruptures de contrat didactique1 (Amade-Escot, 1998). Mais P4
semble très réfractaire à ces ruptures de la part des élèves. Sa réponse pour les éviter passe
alors par un travail sur la situation et son organisation didactique. P4 a une crainte : que les
élèves fassent « ce qu’ils veulent », qu‟ils ne fassent pas ce qu‟il désire, c'est-à-dire qu‟ils
rompent le contrat.
c. Ça doit marcher, L’épreuve de la contingence, Repartir sur quelque chose de posé,
Le refuge de l’enseignant
P4 nous fait part de ce souci qui le traverse en permanence en clase : « j’étais dans le
pôle organisationnel... enfin... j’étais tellement préoccupé... enfin... pas préoccupé mais…
1 A vrai dire, il n‟en maîtrise pas précisément leur explicitation, du moins ici. En effet, la relecture des buts
concerne à la fois les « situations trop faciles et trop dures » et les stratégies d‟auto handicap concernent plutôt
les « situations trop faciles ».
337
enfin... centré sur le fait que ça marche, tout ça... » (N3) ; « je suis peut-être tellement dans
l’organisation que ça… je suis soucieux un peu que ça se passe bien » (N1). Même lorsqu‟il
témoigne d‟une expérience dans l‟activité, la préoccupation principale de P4 est « que ça
marche », « que ça se passe bien ». Mais à défaut d‟expérience, cette préoccupation prend la
forme d‟une véritable crainte : « avant, j’appréhende vachement… ouais, la séance… ouais,
j’appréhende, ouais. Parce que bon, je sais pas trop où ça va aller, quoi, vu que je dépends de
ce que eux font, quoi. » (D1). C‟est cette appréhension de P4 qui le conduit à enseigner en
tenant en permanence le contrat. Nous voulons alors ici présenter un cadre interprétatif de la
didactique clinique qui nous semble permettre de caractériser la position adoptée par P4 en
classe.
Dans le didactique, le sujet enseignant se confronte à la contingence (Terrisse, 1994).
Il lui est impossible de prévoir tous les obstacles des élèves qui émergeront en classe, ni les
demandes qui en découleront. Il ne peut anticiper totalement sur les stratégies singulières,
parfois inefficaces, qu‟ils mettront en œuvre pour répondre aux problèmes qui leur sont posés,
ni sur les nouveaux problèmes qui émergeront de la complexité de leur activité adaptative.
Son projet didactique ne peut alors pas s‟accomplir sans détour, sans perte de contrôle
potentielle. Cette part de maîtrise qui lui échappe peut alors conduire chaque sujet enseignant
à adopter une attitude singulière qui spécifie son activité didactique. Les déterminations
subjectives de cette attitude constituent son « rapport à la contingence » (Buznic-Bourgeacq,
Terrisse, Lestel, 2008). Nous avons déjà mené en didactique clinique une étude croisée (op.
cit.) au travers de laquelle deux enseignantes enseignant des APSA dans lesquelles elles
n‟avaient pas d‟expérience personnelle, faisaient preuve d‟un « rapport à la contingence »
similaire malgré leur expérience professionnelle très différente1. L‟une en restant accolé à ses
feuilles de préparation, l‟autre en institutionnalisant chaque nouveau savoir émergent,
chacune trouvait un élément pour répondre à sa crainte de la contingence. Cette
problématique nous semble ainsi un élément clé pour comprendre les ressorts du sujet
didactique et, par conséquent, certaines déterminations de son activité didactique.
Particulièrement, elle permet de situer un élément déterminant du poids de l‟expérience
personnelle.
En ce qui concerne P4, son appréhension, qui émerge du fait qu‟il ne peut savoir « où
ça va aller » et qu‟il « dépend de ce que eux font », nous semble constituer le modèle même
d‟un rapport craintif à la contingence. Son activité permanente de maintien du contrat
1 L‟une enseignait pour le première année, l‟autre depuis plus de vingt-cinq ans.
338
constitue une tentative persistante de maîtrise de cette contingence. A vrai dire, le concept
même de contrat didactique a d‟ailleurs émergé en didactique des mathématiques comme une
réponse du chercheur à la contingence sous-jacente au pari de la dévolution (Brousseau, in
Terrisse, Léziart, 1999). P4, qui n‟enseigne qu‟au travers de situations adidactiques, fait ce
pari, mais craintif de ne pas véritablement pouvoir le tenir, il s‟engage dans un processus
tenace de gestion du contrat didactique. Quand on l‟interroge sur l‟évolution des situations en
danse, il exemplifie ainsi cette procédure de gestion : « en danse, j’ai pas mis grand-chose en
place… c’est toujours la même chose (…), comme ça on repartait sur quelque chose qui était
déjà un peu fait… » (AC). En repartant sur « quelque chose qui était déjà un peu fait » et en
s‟attachant à ce que les élèves ne s‟en éloigne pas, P4 tente d‟apporter sa part de maîtrise face
à une contingence qu‟il appréhende. P4 veut bien laisser les élèves pratiquer, mais il ne le
peut pas vraiment : « je leur laisse libre mais après, tu peux pas trop » (D2).
Ce rapport craintif à la contingence traverse P4 dans tous ses enseignements, mais
lorsqu‟il ne peut s‟appuyer sur une expérience personnelle pour enseigner, ce rapport est
exacerbé. Le défaut d‟expérience conduit le sujet enseignant à craindre inévitablement de
perdre sa part de maîtrise sur la contingence du processus de transmission des savoirs. Dans le
cas de P4, cette perte de maîtrise le place face à un problème singulier : « tu vois, je peux pas
me réfugier sur un truc que moi je sais, quoi » (D1).
d. La peur de l’épreuve, Démonstration et jugement des élèves, Les situations et la
relation humaine, Ça marche tout seul
A défaut d‟expérience personnelle, face à la contingence de la classe, la crainte de P4
est déterminée par son impossibilité à « se réfugier » sur son savoir. Or, comme nous l‟avons
soulevé avec le cas de P2, le savoir de l‟enseignant est bien ce qui le distingue des élèves dans
la dissymétrie de la relation didactique. Le savoir est un « refuge » à partir duquel
l‟enseignant se situe « au dessus » des élèves. C‟est ce qui lui assure la position imaginaire du
« maître » et qui valide la légitimité de sa position symbolique de « sujet supposé savoir ». Or,
P4, dont la principale difficulté consiste à prendre « la place de son prof », a bien du mal à
assumer cette place qui le distingue des élèves. Lorsqu‟il nous parle de son enseignement de
danse, il exprime son souci : « je n’aimais pas du tout… j’étais pas du tout à l’aise (…),
j’appréhendais vachement… ma première année, tout ça, ouais, j’appréhendais… ça
m’embêtait de ne pas être à la hauteur… » (AC). Le sentiment d‟impuissance dont P4 nous
rendait compte est ici spécifié. Ne pouvant pas se « réfugier » sur son savoir, il ne peut « être
à la hauteur » de la position de supériorité qu‟il est censé assumer dans la classe. Son
339
discours relatif à son engagement corporel nous semble alors permettre d‟identifier plus
précisément les enjeux qui l‟animent. Lorsque P4 nous parle de ses enseignements de basket
et de danse, il revient sur son désengagement corporel : « en basket, ouais, je montrais pas
trop… parce que des fois, tu sais, tu tentes un panier ou comme ça, mais je le sentais pas…si
je le rate, je ramasse ! Ça le fait pas trop… et bon, en danse encore pire… rien par rapport à
la démonstration … » (AC). P4 explique ici combien la démonstration lui est impossible, non
pas seulement qu‟elle mettrait à jour une position symbolique usurpée, mais surtout qu‟elle lui
ferait « ramasser », c'est-à-dire subir une attaque de la part des élèves. Comme nous l‟avons
soulevé avec P2, la pénétration du milieu de l‟élève, particulièrement au travers de
démonstrations corporelles, met entre parenthèses quelques instants la dissymétrie de la
relation didactique. L‟engagement corporel de l‟enseignant le place en « semblable » face aux
élèves et met potentiellement à mal sa position imaginaire. Nous avons alors montré comment
les aménagements didactiques permettaient à P2 de conserver sa position symbolique sans
mettre à mal sa position imaginaire. P4 nous semble être le modèle même de cette stratégie de
sauvegarde. Les situations et le contrat nous semblent ainsi remplacer le « refuge » que P4 ne
trouve pas dans un savoir qu‟il ne possède pas.
Cette logique semble fondamentale chez P4. Il a besoin de préserver une distance avec
ses élèves pour conserver sa « hauteur » : « le truc qui m’a agréablement surpris, c’est
l’autonomie… Ouais, enfin moi je suis vraiment hyper sensible à ça et j’aime bien quand ça
marche bien tout seul, tout ça. Et que voilà ça tourne sans que tu sois adhéré à eux » (B2).
Contrairement à P3, qui désire « être accolé » aux élèves, P4 préfère qu‟au travers de ses
situations « ça marche bien tout seul ». Car, sinon, il doit affronter la mise à l‟épreuve de sa
position imaginaire : « j’osais pas y aller… le plus dur, c’est d’aller sur quelqu’un, quoi… »
(AC). Dans le didactique, « aller sur quelqu’un » rompt inévitablement la distance
symbolique qui sépare l‟enseignant de ses élèves pour laisser place à la position réelle de
l‟enseignant, ici, celle du non savoir. Cette rupture fait alors émerger chez l‟enseignant des
enjeux de protection de sa position imaginaire. C‟est alors l‟angoisse d‟une « incompétence
fantasmée » (Blanchard-Laville, 2001) qui ressurgit potentiellement dans l‟interaction directe
avec l‟élève. Mais, inévitablement cette distance permanente instaurée par les situations et le
contrat place l‟enseignant uniquement dans une position symbolique : « j’essayais au travers
de situations de confronter les élèves à des situations par lesquelles ils pouvaient effectuer
quelques tirs (…), en basket, je l’ai moins ressenti en tant que personne… » (AC). P4 se sent
dépersonnalisé derrière ses situations, mais au moins il préserve ses positions symbolique et
imaginaire, c'est-à-dire « la place de son prof » qu‟il désire tant bien que mal endosser.
340
2.5 Conclusions : quatre sujets dans le didactique
Nous avons identifié la singularité des pratiques de quatre enseignants. Cette analyse
nous a conduit à identifier des logiques singulières de sujets enseignants et un poids
spécifique de l‟expérience chez chacun d‟eux. L‟analyse de leur discours sur leurs propres
pratiques que nous venons de mener nous a permis de discuter nos analyses des pratiques au
regard de leur point de vue subjectif. Nous avons alors largement porté notre attention sur les
enjeux subjectifs qui semblaient les animer dans leur enseignement effectif. Cela nous a
permis d‟identifier le poids de l‟expérience personnelle de l‟enseignant dans ce qu‟il spécifie
ses assujettissements au didactique et détermine ainsi sa place dans ce didactique.
Nous avons pu construire le cas de chacun des quatre enseignants. Pour construire
chaque cas, nous avons alors croisé notre regard sur les pratiques, caractérisé à partir de notre
cadre d‟analyse du savoir expérientiel organisant leur contenu, et le point de vue des sujets
enseignant, identifié à partir des problématiques dégagées de l‟analyse qualitative des
pratiques et des cadres interprétatifs de la didactique clinique. Au-delà du poids générique de
l‟expérience sur l‟organisation du contenu des pratiques, identifié pour initier et cadrer les
analyses comparatives qualitatives et les études de cas, nous nous sommes ainsi confrontés à
la singularité de quatre sujets enseignants. Nous avons pu caractériser la spécificité de chaque
organisation singulière du contenu, de chaque logique de sujet enseignant et de chaque place
spécifique assumée par chaque sujet didactique. Ces spécificités nous ont ainsi permis
d‟identifier à la fois combien l‟expérience personnelle pèse fortement sur les pratiques
d‟enseignement et comment elle pèse singulièrement sur les pratiques de chaque sujet
enseignant.
Nous voulons alors maintenant proposer une réponse à la question du poids de
l‟expérience personnelle de l‟enseignant sur l‟organisation du contenu des pratiques. Pour
cela, nous procédons en deux temps. Tout d‟abord, nous proposons une synthèse pour chaque
enseignant des singularités identifiées et de leurs articulations. En nous appuyant sur les traits
les plus marquants de la singularité de leurs pratiques, de leur logique de sujet enseignant et
de leur place dans le didactique, nous proposons une modélisation du poids spécifique de
l‟expérience personnelle. Ensuite, à partir des quatre synthèses proposées et d‟un retour sur
nos différentes étapes conclusives, nous extrayons les éléments génériques qui nous semblent
les plus révélateurs du poids de l‟expérience personnelle. Nous proposons alors une
modélisation de ce poids.
341
3. Conclusions : le poids de
l’expérience personnelle
3.1 Quatre cas face au poids de l’expérience
Si le poids de l‟expérience personnelle de l‟enseignant ressort conséquemment de nos
analyses, la longue démarche progressive de construction des cas que nous avons menée
montre aussi comme la logique singulière de chaque sujet enseignant spécifie peut-être encore
davantage l‟organisation du contenu des pratiques. Ainsi, nous avons pu remarquer que le
poids de l‟expérience n‟agit pas de la même manière selon les enseignants. Il y a
indéniablement des éléments génériques qui définissent ce poids, mais l‟expérience
personnelle semble peser différemment, d‟un point de vue quantitatif et qualitatif. Au niveau
quantitatif, l‟expérience personnelle peut peser plus ou moins intensément. Au niveau
qualitatif, elle détermine de manière singulière les différentes pratiques de chaque enseignant.
Nous voulons alors ici proposer une synthèse de ce poids relativement à chaque sujet
enseignant. En articulant les différents éléments dégagés de nos analyses successives pour
chaque cas, nous présentons une vision synthétique de ce poids spécifique. Notre intention est
alors d‟articuler dans un même ensemble, relativement à la logique de chaque sujet
enseignant, les éléments les plus significatifs du poids de l‟expérience sur l‟organisation
singulière de ses pratiques et sur la place assumée par le sujet didactique.
Nous proposons alors une modélisation synthétique de ce poids pour chaque
enseignant suivie de son explicitation. Ces modélisations ne fonctionnent pas comme des
déclinaisons d‟un cadre d‟analyse générique dans lequel chaque enseignant y serait spécifié. Il
s‟agit d‟une construction clinique qui tente de situer quatre enseignants face au poids de
l‟expérience personnelle. La valeur générique de ces cadres est en fait le projet final de cette
démarche qui s‟est constituée à partir de différents éléments interprétatifs issus de la
didactique clinique. La stabilité de ces cadres s‟appuie alors dans un premier temps
uniquement sur la stabilité épistémologique de la didactique clinique et sur notre tentative
permanente de les articuler de manière systémique. Nous tenterons alors par la suite de
conclure en proposant un cadre générique à partir de ces cas.
342
3.1.1 P1 face au poids de l’expérience
Schéma 7.1 : P1 face au poids de l’expérience
C‟est la logique de justification qui nous semble être au cœur des déterminations des
pratiques de P1. Lorsqu‟il témoigne d‟une expérience personnelle prolongée, cette logique
s‟affirme dans un temps réservé à la justification dans lequel P1 propose une solution stable
aux élèves. Ce temps réservé à la justification théorique constitue alors une réponse à
l‟ « impossible à supporter » que constitue le « charabia » de la pratique inhérent à l‟activité
des élèves en situation. Ce temps renvoie à l‟issue prise par P1 face au compromis de
l‟expérience dans lequel il se trouve.
Lorsqu‟il ne témoigne d‟aucune expérience personnelle, son enseignement est
toutefois relativement semblable. Mais la logique de justification semble plutôt conduire P1 à
vouloir justifier sa position symbolique d‟enseignant à tout prix. Or, à défaut d‟expérience, P1
se trouve désarmé face aux élèves et tente alors de alors de faire « illusion » face à eux. Mais,
cette illusion le conduit dans une autre forme d‟impossible à supporter : la culpabilité. Face à
cet impossible P1 préfère s‟échapper.
La justification
Le compromis
de l‟expérience
L‟« illusion »
L‟impossible à supporter :
le « charabia » de la
pratique
L‟impossible à
supporter : la
culpabilité
L‟enseignant
désarmé
Le processus de
sauvegarde de la position
symbolique
S‟ « échapper »
Le temps de la justification :
une solution stable
343
3.1.2 P2 face au poids de l’expérience
Schéma 7.2 : P2 face au poids de l’expérience
C‟est le processus de maintien de la position imaginaire de l‟enseignant qui nous
semble être au cœur des déterminations des pratiques de P2. Ce processus le conduit alors à
engager différemment son corps dans le milieu de l‟élève selon qu‟il témoigne ou non d‟une
expérience personnelle. Lorsqu‟il témoigne d‟une expérience personnelle prolongée, il
pénètre totalement le milieu de l‟élève avec son corps. Sa proximité avec les élèves le place
tel l‟« entraîneur ». Cette proximité est ainsi déterminée par sa capacité à faire émerger le
contenu de manière contextuelle, relativement à chaque situation objective singulière. Cette
proximité lui permet aussi de mettre en avant l‟excellence de son corps le conduisant ainsi à
une certaine complétude narcissique. Lorsqu‟il ne témoigne d‟aucune expérience personnelle,
il reste extérieur au milieu de l‟élève et se situe plutôt comme un « animateur sur ses gardes »
adoptant alors une position défensive face à une éventuelle blessure narcissique. Il parvient
alors toutefois à maintenir sa position symbolique d‟enseignant en s‟appuyant sur des
aménagements didactiques artificiels.
Le processus de
maintien de la position
imaginaire
L‟émergence
contextuelle
Le corps de
l‟enseignant et le
milieu de l‟élève
La proximité de
« l’entraîneur »
Le processus de
maintien de la
position symbolique
« L’animateur
sur ses gardes »
Les
aménagements
artificiels La complétude narcissique
344
3.1.3 P3 face au poids de l’expérience
Schéma 7.3 : P3 face au poids de l’expérience
C‟est la position réelle du sujet qu‟est P3, soit celle d‟un « grand frère » et d‟un
« danseur professionnel », qui est au cœur des déterminations de ses pratiques. Dans une
volonté de subvertir son assujettissement au didactique, il souhaite moins adopter le rôle de
l‟enseignant que rester crédible en tant que sujet. Cette crédibilité passe principalement pour
lui par le « jargon » de l‟activité enseignée et les démonstrations corporelles. Ainsi, lorsqu‟il
témoigne d‟une expérience personnelle, il use largement de ce « jargon » et pénètre
corporellement le milieu de l‟élève. En restant accolé aux élèves, il s‟adapte ainsi à la
singularité de chacun d‟eux. Lorsqu‟il ne témoigne d‟aucune expérience personnelle, il reste
très extérieur au milieu de l‟élève et ne s‟engage pas dans plus de choses qu‟il n‟en maîtrise.
De par son expérience, sa position de « danseur professionnel » le place dans un
compromis. Mais l‟ « impossible à supporter » que constitue l‟absence de maîtrise technique
des élèves relativement aux « choses pures » de l‟école de danse qu‟il souhaite voir dans leur
activité, le conduit à s‟engager dans une issue. Il participe ainsi à l‟activité créative des élèves
en leur proposant des solutions référées à la première séance qui prenait la forme d‟une
« leçon de danse » de manière à ce qu‟ils réussissent ensemble.
La position réelle : « le
grand frère », « le
danseur professionnel » Le compromis
de l‟expérience
La crédibilité du
sujet
L‟impossible à supporter :
le manque des « choses
pures » de l‟école de danse Le corps de
l‟enseignant et le
milieu de l‟élève
Le « jargon » et
les
démonstrations
Réussir ensemble : les
solution référées à la « leçon
de danse » L‟adaptation
345
3.1.4 P4 face au poids de l’expérience
Schéma 7.4 : P4 face au poids de l’expérience
C‟est la difficulté de P4 à prendre « la place de son prof » qui est au cœur des
déterminations de ses pratiques. Cette problématique provient notamment de sa difficulté à
prendre du recul par rapport à la pratique. Ainsi, cette difficulté le conduit à un « impossible à
supporter » : son sentiment d‟impuissance. Ce sentiment le conduit alors à entrer dans un
processus de sauvegarde de sa position imaginaire d‟enseignant. Pour pouvoir la sauvegarder,
il souhaite se « réfugier ». Ainsi, lorsqu‟il ne témoigne d‟aucune expérience personnelle, il ne
peut se réfugier sur son savoir et s‟appuie exclusivement sur les situations adidactiques pour
enseigner, maintenant ainsi sa position symbolique d‟enseignant. Mais, cette absence de
refuge, le place aussi dans un rapport craintif à la contingence qui le conduit à entrer dans un
processus tenace de maintien du contrat didactique. Lorsqu‟il témoigne d‟une expérience
personnelle prolongée, son enseignement reste relativement semblable. Mais la possibilité de
se « réfugier » sur son savoir lui permet de sortir légèrement des situations et du contrat pour
enseigner.
« La place de mon
prof » Le rapport
craintif à la
contingence
« Se réfugier »
Le processus tenace de
maintien du contrat
didactique
Le vécu bloqué dans
la pratique
Les situations
adidactiques
L‟impossible à
supporter :
l‟impuissance
Le processus de maintien de
la position symbolique
Le processus de
sauvegarde de la
position imaginaire
346
3.2 L’enseignement effectif face au poids de l’expérience
Nous sommes partis d‟un postulat simple : une expérience personnelle prolongée dans
une activité permet à l‟enseignant de transmettre quelque chose en plus que lorsqu‟il ne
témoigne d‟aucune expérience. Nous avons alors définit théoriquement cet en plus en tant que
savoir expérientiel. C‟est ainsi ce savoir expérientiel qui nous a servi pivot théorique pour
initier l‟analyse du poids de l‟expérience personnelle sur les pratiques d‟enseignement. Les
analyses épistémologique et didactique de ce savoir expérientiel nous ont alors permis de
construire un cadre d‟analyse des pratiques d‟enseignement centré sur l’organisation du
contenu de ces pratiques. En comparant, par l‟intermédiaire de ce cadre d‟analyse, les
pratiques effectives de quatre enseignants ayant des expériences très contrastées dans
plusieurs APSA qu‟ils ont à charge d‟enseigner, nous avons alors pu identifier combien et
comment le poids de l‟expérience personnelle détermine ces organisations du contenu.
La démarche progressive de cette analyse, au croisement d‟analyses comparatives et
d‟études de cas, nous a ainsi permis de proposer plusieurs étapes conclusives relativement au
poids de l‟expérience personnelle. Chaque étape prenant davantage en compte le sujet
enseignant dans l‟analyse, son aboutissement nous a conduit à identifier ce poids de manière
plus précise. Nous avons alors pu caractériser des éléments génériques du poids de
l‟expérience, mais aussi des spécificités propres à chaque enseignement identifié, à chaque
activité enseignée, à chaque sujet enseignant. L‟identification de ces spécificités a ainsi
permis d‟identifier plus précisément les ressorts de l‟expérience dans des pratiques
singulières. Nous voulons alors maintenant revenir sur les conclusions auxquelles chaque
étape nous a conduits. Nous reprenons ici chacun d‟elles en l‟ouvrant par rapport à l‟ensemble
de ces conclusions. Nous terminons alors en proposant une modélisation des rapports entre le
savoir expérientiel et le sujet didactique.
347
3.2.1 Le poids de l’expérience : les six dimensions du savoir expérientiel organisant
le contenu des pratiques
L‟analyse de l‟ensemble des pratiques effectives des quatre enseignants menant dix
enseignements de cinq APSA appuyés par des expériences personnelles contrastées, nous a
menés à un premier ensemble de conclusions. Ces conclusions mettent en avant les tendances
de l‟ensemble des enseignements s‟appuyant sur une expérience personnelle prolongée ou
bien inexistante. Ces tendances sont relatives à chaque dimension constitutive du savoir
expérientiel. Ainsi, la dimension purement quantitative de ces tendances révèle une grande
différence entre les deux ensembles pour chaque dimension ; ce qui étaye d‟une manière
générale notre postulat initial. Mais ces tendances permettent surtout de qualifier une première
fois le poids de l‟expérience personnelle à plusieurs niveaux, en mettant en avant des
organisations spécifiques du contenu qui trouvent une certaine généricité dans chaque
ensemble d‟enseignements analysés. Pour chacune des six dimensions du savoir expérientiel,
les enseignements appuyés par une expérience personnelle prolongée de l‟enseignant dans
l‟activité enseignée se distinguent des autres. Nous avons alors pu spécifier ces enseignements
sur six points :
- La dimension conceptuelle : leur contenu est beaucoup plus dense d‟un point
de vue conceptuel. Les enseignants mettent en jeu davantage de fois des objets plus diversifiés
et plus articulés entre eux ; ceci au travers d’interventions didactiques plus longues et plus
nombreuses, et, notamment, plus injonctives.
- La dimension signifiante : les enseignants verbalisent davantage et plus
spécifiquement l‟APSA enseignée. L‟activité de conceptualisation passe par une
verbalisation, elle aussi, plus dense, mais aussi plus contextualisée relativement à la
singularité du « jargon institutionnel » propre à l‟activité.
- La dimension corporelle : le corps est davantage un élément central du
contenu ; ceci par l‟intermédiaire de procédures didactiques spécifiques, principalement la
démonstration corporelle, et d’une verbalisation du corps. Les enseignants ont ainsi tendance
à pénétrer davantage corporellement le milieu de l’élève.
- La dynamique situationnelle/représentationnelle : leur contenu, au travers
d‟une valorisation des processus inférentiels, est plus dynamique. Les objets s‟articulent dans
des espaces-temps enchevêtrés, entre la singularité de chaque situation et la généricité de
l‟activité qu‟ils composent. Les enseignants mettent en œuvre une logique de progression plus
ouverte et complexe, mais plus explicite et stratifiée.
348
- La part d’initiative : les enseignants verrouillent davantage les choix
potentiels des élèves et leur laissent ainsi peu d‟initiative dans l‟émergence du contenu ; ceci
notamment par un glissement des moyens en buts dans la présentation explicite des tâches.
- L’organisation globale : leur contenu respecte davantage la globalité du réel
de l‟APSA ; notamment, les situations mises en place par les enseignants sont plus proches
des situations globales identifiables dans les pratiques sociales et la chronogenèse des objets
prend un forme moins linéaire, plus éparse.
Cette analyse nous a alors permis d‟identifier des organisations du contenu des
pratiques, révélant des articulations spécifiques entre le contenu et la forme des processus
didactiques, propres à chaque ensemble d‟enseignements. Ces conclusions permettent ainsi de
caractériser d‟une manière générique le poids de l‟expérience sur les pratiques. Mais ne
pouvions en rester là. La spécificité de APSA enseignées, la singularité des sujets enseignants
et, d‟une manière générale, la singularité de toute pratique d‟enseignement contextualisée
s‟avèrent déterminantes pour chaque pratique d‟enseignement. Le poids de l‟expérience
personnelle ne peut être précisément identifié en laissant de côté ces spécificités. A partir des
conclusions établies, il reste à savoir comment chaque enseignement se spécifie relativement
aux organisations identifiées pour chaque ensemble. Pour comprendre les ressorts de
l‟expérience dans les pratiques, il faut encore analyser comment elle pèse spécifiquement sur
chaque pratique, relativement à son objet et au sujet qui s‟y engage. Il faut aussi examiner
comment le sujet est lui-même touché par le poids de cette expérience.
Ainsi, ces premières conclusions nous ont permis de cadrer la suite de notre analyse
pour y identifier comment chaque enseignement mené par chaque enseignant dans chaque
APSA se situe relativement aux organisations caractérisées de manière générique.
3.2.2 Le poids de l’expérience : des six dimensions du savoir expérientiel aux
organisations singulières du contenu des pratiques de chaque enseignant
En nous appuyant sur les résultats les plus significatifs relativement à chaque élément
constitutif de notre cadre d‟analyse nous avons alors mené une analyse qualitative des
différents enseignements. Cette longue démarche d‟analyse progressive nous a permis de
caractériser des organisations singulières du contenu marquées de la logique singulière de
chaque enseignant, de la spécificité des différentes APSA enseignées et du poids de
349
l‟expérience personnelle. Nous avons ainsi pu caractériser ce poids d‟une manière plus précise
chez chaque enseignant et situer ainsi chacun d‟eux par rapport aux éléments génériques
dégagés dans la première étape. L‟identification de leur logique de sujet enseignant nous a
permis de caractériser spécifiquement comment leur expérience ou leur défaut d‟expérience
pesait sur l‟organisation du contenu de leurs pratiques. Ce travail a ainsi abouti à une première
étape dans la construction du cas de chaque enseignant. Ces cas ont alors été caractérisés
relativement à trois points pour chaque enseignant : les organisations du contenu génériques à
ses différents enseignements, les organisations du contenu spécifiques à ses enseignements
appuyés par une expérience prolongée et les organisations du contenu spécifiques à ses
enseignements appuyés par aucune expérience. Ces organisations singulières ont alors été
aménagées de manière systémique afin de proposer une logique propre à chaque cas.
Les conclusions issues de cette étape de l‟analyse sont donc spécifiques à chaque cas.
Elles ne sont donc pas véritablement propices à dégager des éléments génériques du poids de
l‟expérience. Toutefois, nous voulons ici préciser deux choses.
Tout d‟abord, nous avons pu identifier dans l‟aboutissement de cette étape combien
l‟expérience personnelle pesait différemment sur les pratiques de chaque enseignant. Au-delà
des larges différences qualitatives, nous avons pu voir que selon les enseignants, l‟expérience
semble peser plus ou moins. Par exemple, P1, dans sa tentative de faire « illusion » en
gymnastique, conduit un enseignement qui s‟apparente sur de nombreux points aux
enseignements appuyés par une expérience personnelle prolongée. De même, P4, dans sa
centration sur les situations et le contrat, mène un enseignement de natation qui prend aussi la
forme sur de nombreux éléments des enseignements sans expérience personnelle. En
revanche, P3, par son souci de crédibilité, mène deux enseignements qui se distinguent
largement vis-à-vis de sa pénétration du milieu de l‟élève. On voit alors ici combien il est
nécessaire d‟identifier les préoccupations subjectives des enseignants pour comprendre le
poids spécifique de l‟expérience chez chaque enseignant. C‟est ce que nous avons tenté de
caractériser dans l‟étape suivante.
Ensuite, si les conclusions issues de cette étape n‟avaient pas pour but de dépasser les
spécificités propres à chaque sujet enseignant, nous pouvons tout de même après-coup
caractériser certains éléments qui prennent une forme générique dans chaque ensemble
d‟enseignements. Nous voulons alors soulever deux points sur lesquels les enseignements
appuyés par une expérience personnelle prolongée se distinguent fortement des autres. D‟une
part, leur contenu est beaucoup plus ouvert, dynamique, complexe. Les enseignants
ouvrent davantage le contenu en dehors de chaque situation. Il prennent davantage le temps de
350
formuler ce contenu, de l‟extraire de la pratique des élèves, de le référer à des éléments
passés, futurs ou extérieurs à chaque situation. Ce contenu articule alors davantage d‟objets
distincts dans des espaces-temps distincts et s‟ouvre alors plus sur la complexité de l‟activité.
Les enseignants confrontent davantage les élèves à la logique globale de l‟activité. Ils
appuient leurs enseignements sur des aménagements moins didactisés, plus proches des
conditions effectives de la pratique globale de l‟activité. Leur contenu est ainsi moins bloqué
dans ces aménagements. D‟autre part, les enseignants se situent de manière très différente
par rapport au milieu de l’élève. Ils le pénètrent en s‟y engageant largement plus avec leur
corps. Le corps des enseignant est beaucoup plus source d‟émergence du savoir, parfois même
uniquement le modèle à suivre. Ils sont ainsi beaucoup plus proches des élèves et l‟émergence
du contenu s‟avère alors beaucoup plus relative à la singularité de chaque situation objective.
Faisant ainsi bien plus référence à leur corps, ils ont tendance à être plus exigeants vis-à-vis
de la motricité des élèves et le corps en général constitue un objet d‟enseignement plus
important.
Ces éléments de réponse à la question du poids de l‟expérience personnelle permettent
ainsi de caractériser ce poids d‟une manière générique après que les pratiques effectives soient
passées par le filtre des spécificités. Mais comme nous l‟avons soulevé, il nous fallait aussi
identifier les préoccupations subjectives des enseignant pour en comprendre davantage.
3.2.3 Le poids de l’expérience : la place du sujet dans le didactique
L‟étape suivante a alors consisté à analyser le discours des enseignants sur leurs
propres pratiques à partir des éléments dégagés dans l‟analyse des pratiques effectives. Les
organisations singulières identifiées chez chaque enseignant et leur aménagement systémique
effectué pour qualifier une logique propre à chacun nous ont alors permis de dégager des
problématiques spécifiques nous servant de cadre d‟analyse du discours de chaque enseignant.
Cette analyse nous a permis de préciser cette logique propre à chacun et ainsi le poids
spécifique de l‟expérience. Nous avons alors identifié ces spécificités en les interprétant
progressivement à partir d‟une démarche didactique clinique. Cette démarche a consisté à
identifier les enjeux subjectifs qui animent chaque sujet enseignant dès lors qu‟il entre dans le
didactique. L‟identification de ces enjeux dans leur discours, croisée avec les cadres
interprétatifs de la didactique clinique, nous a permis de caractériser la place spécifique
assumée par chaque sujet enseignant dans le didactique. Considérant que l‟expérience
personnelle détermine largement cette place, nous avons ainsi tenté d‟identifier comment
351
chaque sujet didactique se situe singulièrement face au poids de l‟expérience et comment cette
singularité détermine la spécificité des organisations singulières du contenu préalablement
identifiées.
Encore une fois, les conclusions issues de cette dernière étape de l‟analyse sont
spécifiques à chaque cas. Mais, nous appuyant sur des outils interprétatifs considérés comme
ayant une certaine portée générique, nous voulons ici présenté ce que nous dégageons des
quatre cas relativement au poids de l‟expérience sur le jeu de déterminations qui s‟instaure
entre le positionnement du sujet dans le didactique et les organisations singulières du contenu
de ses pratiques. Nous présentons ces éléments génériques à partir de chaque outil
interprétatif utilisé pour les différents cas :
- La position symbolique du sujet enseignant : dans le didactique, le sujet
s‟instaure symboliquement, qu‟il le veuille ou non, comme le « sujet supposé savoir ». Il est le
représentant du savoir dans l‟institution classe, c‟est ce qui assure sa légitimité. A défaut
d‟expérience et donc de savoir, le sujet enseignant peut alors avoir le sentiment d‟usurper
cette place. Il doit alors trouver des moyens pour la sauvegarder. Ce processus de sauvegarde
peut ainsi le conduire à faire « illusion ». Cette « illusion » peut alors prendre la forme d‟un
interventionnisme didactique, au travers de nombreuses régulations voire même de
démonstrations. Mais, cette « illusion » s‟effectue au risque de la culpabilité et a peu de
chances de tenir, conduisant ainsi potentiellement l‟enseignant à différentes formes
d‟abandon. Ce processus de sauvegarde peut aussi le conduire à masquer le manque d‟un
savoir supposé dans la didactification intense des aménagements du milieu mis en place. En
portant en lui le savoir de manière relativement explicite, le milieu de l‟élève peut prendre la
place de l‟enseignant, lui assurant ainsi le maintien de sa position symbolique.
- La position imaginaire du sujet enseignant : dans le didactique, la relation
entre l‟enseignant et les élèves est dissymétrique par rapport au savoir. L‟enseignant occupe la
place du « maître », de celui qui maîtrise par son savoir. L‟image de l‟enseignant dans la
classe est ainsi celle du maître lorsque, au-delà du symbole, il se donne à voir aux élèves.
Cette position de supériorité peut alors être différemment assumée au regard du degré effectif
de maîtrise de l‟enseignant. Lorsqu‟il témoigne d‟une expérience prolongée, l‟image de
maîtrise qu‟il propose aux élèves peut le conduire à une certaine complétude narcissique.
Cette recherche de complétude peut alors le mener à pénétrer largement le milieu de l‟élève
avec son corps, voire à souligner son excellence au détriment de celle des élèves. Lorsqu‟il ne
témoigne d‟aucune expérience, l‟image qu‟il propose aux élèves peut difficilement être celle
de celui qui maîtrise. Ainsi, il peut avoir tendance à rester extérieur au milieu de l‟élève et à
352
adopter une position défensive comme réponse à une blessure narcissique potentielle. Il peut
aussi simplement appuyer son enseignement uniquement par l‟intermédiaire d‟aménagements
didactiques, conservant ainsi sa position symbolique, sans jamais s‟engager à mettre à
l‟épreuve une position de « maître » qu‟il ne peut afficher devant les élèves.
- La position réelle du sujet : l‟inscription du sujet dans le didactique constitue
inévitablement un assujettissement, notamment à des positions symbolique et imaginaire
supposées. Cet assujettissement peut être perçu comme aliénant par le sujet et le conduire
ainsi à vouloir subvertir cet assujettissement en ne recherchant pas à endosser le rôle qui lui
est, symboliquement et imaginairement, attribué par l‟institution. Lorsqu‟il témoigne d‟une
expérience personnelle prolongée, le sujet s‟est alors déjà largement construit dans cette
position réelle face au savoir. Cette position peut alors le conduire à rejeter les formes
canoniques de l‟enseignement institutionnel, en ouvrant les portes de l‟institution classe, en
didactisant peu les situations qu‟il met en place. Mais cette position réelle face au savoir,
construite dans son expérience personnelle, peut aussi le conduire à avoir du mal à supporter
la maladresse inhérente à l‟inexpérience de ceux qu‟il fait pratiquer.
- L’impossible à supporter : au-delà des position symbolique et imaginaire qui
spécifient le sujet dans le didactique, sa position réelle face au savoir le dépasse et le rattrape
comme une détermination interne qu‟il ne maîtrise pas et qui s‟impose à lui comme une
nécessité. C‟est précisément ce que constitue le Réel comme déterminant de la structure du
sujet : un impossible à supporter. Ainsi, lorsqu‟il témoigne d‟une expérience prolongée,
l‟enseignant peut avoir du mal à se suffire des productions erratiques et inévitablement
inefficaces qui émergent de l‟activité adaptative des élèves. Il peut ainsi avoir tendance à
participer largement à l‟émergence du contenu en reprenant une grande part des
responsabilités de cette émergence. Lorsqu‟il ne témoigne d‟aucune expérience personnelle, il
se confronte alors à d‟autres formes d‟impossible à supporter qui spécifient sa position
singulière face à son manque de savoir. La culpabilité ou l‟impuissance en sont des exemples
qui montrent comment chaque enseignant est singulièrement dépassé par des déterminations
internes qui lui font adopter des postures différentes face à un manque de savoir similaire. Ces
déterminations sont toutefois très complexes à caractériser dans la mesure où elles dépassent
des expériences personnelles dans une activité pour s‟inscrire dans des histoires de vie
singulières.
- Le rapport à la contingence : dans le didactique, le sujet enseignant se
confronte à la contingence. Cette confrontation lui fait ainsi inévitablement perdre une part de
maîtrise. Cette part de maîtrise qui lui échappe peut alors le conduire à adopter une attitude
353
singulière qui spécifie son activité didactique. Les déterminations subjectives de cette attitude
constituent son « rapport à la contingence ». Lorsqu‟il ne témoigne d‟aucune expérience
personnelle, l‟enseignant peut avoir tendance à entrer dans un rapport craintif à la
contingence, dans la mesure il ne peut s‟appuyer sur son savoir pour maîtriser les aléas de
l‟interaction. Ce rapport craintif peut alors le conduire à appuyer son enseignement sur un
contrat didactique très dense et à poursuivre coûte que coûte le processus de maintien de ce
contrat. Lorsqu‟il témoigne d‟une expérience personnelle prolongée, nous faisons le postulat
qu‟au contraire, les aléas de l‟interaction lui permettent de mettre à jour son savoir dans une
émergence contextuelle permanente. Son rapport à la contingence peut alors plutôt prendre
une forme jubilatoire, dans la mesure où cette contingence est ce qui permet de mettre à jour
sa position de « maître ».
- La division du sujet et les compromis du sujet didactique : l‟actualisation de
la division structurelle du sujet dans le didactique prend la forme de compromis. Divisé entre
les enjeux subjectifs qui l‟animent et l‟intériorisation des contraintes institutionnelles, le sujet
didactique est inscrit dans un réseau de compromis. Ces compromis permettent ainsi de
décrire les déterminants de ses pratiques et les issues progressives qu‟il prend pour s‟en sortir.
Ces issues permettent alors d‟identifier les « impossible à supporter » qui traversent
l‟enseignant dans le didactique. Nous avons qualifier de « compromis de l‟expérience » cette
tendance de l‟enseignant expérimenté à être partagé entre la nécessité de laisser l‟initiative des
apprentissages aux élèves et la désir de participer activement à l‟émergence du contenu.
L‟initiative des élèves dans les apprentissages conduit peu souvent à une activité rapidement
efficace dans leurs productions motrices, confrontant alors l‟enseignant à un « impossible à
supporter » prenant la forme que nous avons soulevé plus haut et menant l‟enseignant à
reprendre la responsabilité du savoir quoi qu‟il arrive. A défaut d‟expérience, la division entre
la position symbolique de « sujet supposé savoir » et la position réelle du sujet de « non
sachant », le place dans une autre forme de compromis qui le confronte à d‟autres formes
d‟impossible à supporter et le conduisent par exemple à l‟abandon, la relâche du contrat
didactique, l‟arrêt des démonstrations ou même de l‟enseignement.
Les cadres que nous venons de présenter permettent de porter un autre regard sur le
poids de l‟expérience personnelle. En les articulant avec les organisations singulières
identifiées dans l‟analyse des pratiques, nous pensons avoir pu caractériser plus précisément
les ressorts de l‟expérience dans les pratiques effectives. Le savoir expérientiel ne s‟avance
pas seulement dans les pratiques d‟enseignement comme la partie épistémique de
354
l‟expérience. Il est aussi une construction subjective sur laquelle l‟enseignant peut s‟appuyer
pour assurer sa place dans le didactique. De la place singulière qu‟il peut assumer, son activité
didactique s‟en trouve alors spécifiée. Les situations adidactiques, le contrat didactique, les
démonstrations corporelles, les phases d‟institutionnalisation ou encore le milieu de l‟élève ne
sont pas seulement des médias du savoir. Ce sont aussi des moyens pour l‟enseignant de se
situer dans le didactique. L‟expérience personnelle dans l‟activité enseignée spécifie alors
fortement la place qu‟il peut, qu‟il désire ou qu‟il craint occuper.
3.2.4 Le poids de l’expérience : le savoir expérientiel et le sujet didactique
Nous proposons ici, pour conclure, une modélisation des rapports entre le savoir
expérientiel et le sujet didactique. En reprenant les éléments les plus significatifs issus des
différents ensembles de conclusions établies, nous proposons ainsi une vision synthétique de
ces rapports. La modélisation que nous présentons s‟appuie sur le modèle construit par A.
Terrisse (1994) pour revisiter le triangle didactique dans une perspective clinique.
Schéma 8 : le triangle didactique à la lumière de la clinique (Terrisse, 1994)
Dans cette schématisation du système didactique, le savoir est placé au centre du
système et non sur l‟un des pôles. Ce savoir est alors « remplacé par l‟épreuve, au sens où elle
constitue le moment où le sujet confronte et vérifie le savoir » (Terrisse, 1998). Le savoir est
alors « le nœud qui lie ces trois pôles » (Terrisse, 1994). Autour du savoir, s‟instaurent alors
plusieurs relations. Le lien entre l‟épreuve et le professeur constitue le « nécessaire », soit
l‟antériorité de la rencontre du professeur avec l‟épreuve, c'est-à-dire l‟expérience
Epreuve
Nécessaire Contingent
Savoir
Professeur Elève Possible
355
personnelle. Le lien entre le professeur et l‟élève constitue le « possible », c'est-à-dire
l‟ensemble des décisions, des choix, des stratégies didactiques qui forment la relation
didactique. Le lien entre l‟élève et l‟épreuve constitue le « contingent », c'est-à-dire
l‟impossibilité de prévision du résultat de la confrontation de l‟élève à l‟épreuve du savoir.
A. Terrisse (1994) concluait sur ce schéma en précisant : « la nécessité de l‟antériorité
de la rencontre de l‟épreuve par le professeur rend possible le transfert que l‟élève opère sur
ce sujet supposé savoir ». Si, en effet, cette antériorité de la rencontre de l‟épreuve s‟avère
nécessaire, nous avons pu voir que l‟enseignant se confronte parfois à l‟enseignement sans
que cette rencontre ait pu avoir lieu. Nous reprenons alors ce schéma à la lumière de nos
avancées.
Dans notre schéma, que nous présentons à la page suivante, le « nécessaire » constitue
l’expérience personnelle ; le « contingent » renvoie à la contingence inhérente à l‟initiative de
l‟élève face à l‟épreuve ; le « possible » constitue la relation didactique. Au centre du système
se trouve alors le savoir expérientiel, que détient ou non l‟enseignant selon son expérience
personnelle. Le triangle didactique est divisé en trois zones formant trois triangles
représentant les trois positions qui nous permettent de décrire la place du sujet didactique : la
position réelle du sujet, la position symbolique de « sujet supposé savoir » et la position
imaginaire de « maître ». Les deux dernières zones sont colorées, elles constituent le
didactique. La zone colorée en vert représente le milieu de l’élève dans ce didactique. Les
écritures bleues représentent les éléments de l’activité didactique effective de l’enseignant.
Les écritures marrons constituent les compromis issus des divisions de l‟enseignant. Les
écritures oranges représentent les impossible à supporter. En violet, nous représentons le
rapport à la contingence.
356
Schéma 9 : Le savoir expérientiel et le sujet didactique
Enseignant
Epreuve
Elève
Expérience
personnelle Contingence
Relation
didactique
« Sujet supposé
savoir »
« Maître »
« Position
réelle »
Rapport à la
contingence
Processus de
gestion du contrat
didactique
Initiative de
l‟élève
Compromis Ex
Impossible à
supporter
Responsabilité de
l‟émergence du
contenu
Démonstrations
corporelles
Compromis
NEx
Abandons
Impossible à
supporter
Ex
NEx
Ex Savoir
expérientiel
Aménagements didactiques
357
4. Discussion : La transmission
du savoir expérientiel en
didactique clinique
Nous concluons ici cette recherche en revenant sur plusieurs points qui nous semblent
devoir être discutés au regard de l‟ancrage épistémologique et méthodologique de ce travail.
Nous proposons alors en premier lieu une réflexion sur la question de l‟expérience et le travail
du chercheur à son propos. Nous présentons ensuite les perspectives de recherche que nous
souhaiterions suivre au regard des apports et des limites de ce travail.
4.1 L’expérience, le savoir, le sujet
Nous avons effectué un long parcours depuis notre questionnement initial. Nous
voulions identifier les ressorts de l‟expérience de l‟enseignant dans le didactique. En prenant
pour pivot théorique le savoir expérientiel, nous avons construit un cadre d‟analyse des
pratiques d‟enseignement nous permettant de poser sur elles un regard spécifique. Au travers
de ce regard, nous avons alors pu identifier comment quatre sujets enseignaient d‟une manière
singulièrement déterminée par le poids de l‟expérience personnelle dans l‟activité enseignée.
Nous avons ainsi pu voir combien l‟expérience personnelle détermine fortement leurs
pratiques.
Mais c‟est aussi une réflexion sur le savoir lui-même qui nous a animé dans ce travail.
La construction initiale de notre cadre d‟analyse n‟est pas anodine. Dans l‟enseignement, le
savoir constitue l‟objet de la transmission. Or, il nous semble que le savoir n‟est justement pas
un objet. Il est à la fois produit et processus, il implique le sujet, les sujets et les institutions, il
implique le corps, le cognitif et le langage. Il n‟est jamais établi, il émerge dans sa
transmission, dans son appropriation, dans sa manipulation, dans sa transposition. Il est
changeant et singularisé par chaque pratique. Bien sûr, sa transmission institutionnelle
358
nécessite de le figer en objet, c‟est ce que montre la problématique de la transposition
didactique. Mais, une brève immersion clinique dans cette transposition met rapidement à jour
l‟instabilité du savoir comme objet. Si l‟on accepte que le chercheur peut prendre en compte
le sujet dans ses analyses, le savoir n‟est plus un objet.
Nous l‟acceptons volontiers et nous en faisons d‟ailleurs un élément fondamental de
notre posture épistémologique. C‟est en effet aussi une réflexion sur le sujet qui nous a animé
dans ce travail. Car à proprement parler, l‟expérience ne pèse pas sur les pratiques
d‟enseignement, elle pèse sur le sujet enseignant qui les conduit. On peut décrire le didactique
sans prendre en compte le sujet. Nous nous appuyons d‟ailleurs largement sur des travaux
issus de recherches qui l‟excluent de leurs analyses. Une partie de la recherche en didactique
se doit même de l‟exclure pour identifier certains phénomènes didactiques. Mais, compte tenu
des larges avancées qui constituent aujourd‟hui le champ des didactiques, il nous semble
essentiel de réintroduire ce sujet pour comprendre certains ressorts du didactique. On peut
adopter une position structurale en considérant que des structures didactiques « agissent » le
sujet et conduisent à des phénomènes qui le dépassent et l‟effacent ainsi des préoccupations
du chercheur. Mais, c‟est à oublier que ce sujet est déjà « agit » par des structures, comme a
pu le montrer J. Lacan. Avant d‟entrer dans le didactique, l‟enseignant est déjà un sujet. En
entrant dans le didactique, l‟enseignant est encore un sujet. Il reste ainsi conduit par son désir,
spécifié par ses assujettissements, divisé par son inconscient. Les phénomènes didactiques
dépassent certes le sujet, mais il en est alors le soubassement.
Il nous semble alors que la question de l‟expérience trouve pertinence à être abordée
simultanément avec celle du savoir et du sujet. C‟est ce que nous avons tenté de faire.
Notre cadre d‟analyse des pratiques, issu en premier lieu d‟une réflexion
épistémologique sur l‟expérience, nous a conduit à théoriser le savoir expérientiel. En
l‟actualisant sur un terrain empirique nous avons alors aussi caractérisé différentes formes
prises par le savoir dans l‟enseignement de l‟EPS. Les logiques des sujets enseignants que
nous avons dégagées renvoient ainsi à des formes singulières de ce savoir. Nous avons pu voir
que pour quatre sujets singuliers, le savoir pouvait renvoyer à des automatismes, à des
logiques d‟action motrice, à une culture ou encore à une pratique dans un milieu spécifique.
De même, nous avons pu remarquer que ces formes du savoir déterminaient les formes de sa
transmission : une répétition progressive et complexificatrice, une justification théorique, une
immersion globale ou une gestion intensive du contrat didactique. Bien entendu le savoir ne
s‟impose pas dans une forme générique à toute activité. La spécificité des savoirs constitue un
359
fondement de la recherche en didactique. Mais, il nous semble que ces spécificités se
dessinent sur un arrière plan épistémologique générique. Quelque soit l‟activité dans laquelle
il se déploie, le savoir en appelle à la conceptualisation, au langage, à l‟implication corporelle
ou encore à l‟initiative du sujet. Il nous semble alors qu‟en prenant un point de départ
épistémologique, notre cadre d‟analyse permet de questionner simultanément le savoir et les
pratiques d‟enseignement de ce savoir. Il nécessite certes une démarche relativement fine
d‟analyse des pratiques qui prend en compte pas à pas les spécificités de chaque processus de
transmission. Mais, il permet de questionner les rapports entre expérience et transmission à
partir ce qui les relie intrinsèquement : le savoir.
La prise en compte du sujet nous semble aussi s‟articuler avec la question de
l‟expérience et de la transmission. Car l‟expérience arrive simultanément avec le sujet dans la
classe. Le sujet enseignant occupe une place dans le didactique qui est largement déterminée
par cette expérience. Ainsi, notre intention de participer à la construction d‟une théorie du
sujet didactique nous semble trouver dans la problématique de l‟expérience un élément clé.
Situant singulièrement le sujet didactique, le poids de l‟expérience personnelle met en avant
des positionnements très contrastés qui élargissent la compréhension générale du
fonctionnement de ce sujet didactique. Notamment, le défaut d‟expérience personnelle se
situe au cœur des préoccupations du clinicien dans la mesure où il interroge « ce qui ne
marche pas », « ce qui pose problème » et permet ainsi de mettre en exergue des symptômes
propres au sujet didactique. De même, le travail avec des enseignants débutants permet
d‟accentuer ces symptômes pour mieux les comprendre. Il permet ainsi d‟identifier la genèse
du sujet didactique, ce qui constitue à notre avis une voie pertinente pour comprendre son
fonctionnement général.
Mais, il y a des éléments appartenant à l‟expérience, au savoir et au sujet que nous
n‟avons pu prendre en compte dans notre travail et sur lesquels nous voulons revenir pour
proposer des perspectives de poursuite de cette voie de recherche.
360
4.2 Perspectives de recherche
Nous nous sommes trouvés contraints de limiter notre investigation sur l‟expérience
pour des raisons liées aux contraintes temporelles et à la densité de la recherche. Nous
n‟avons pu exploiter l‟ensemble des données que nous avions récoltées. Nous n‟avons pu
exploiter les entretiens expérientiels que nous avions menés avec chaque enseignant. Nous
voulions au départ référer tous nos résultats à une analyse qualitative de leur expérience. Nous
avions mené ces entretiens pour pouvoir ensuite les interpréter à la lumière de la
problématique du « rapport au savoir ». Cette problématique, qui prend en compte par essence
le sujet et le savoir, nous semblait fortement pertinente pour interroger la question de
l‟expérience personnelle. Mais le temps et surtout l‟ampleur déjà conséquente de cette
recherche ne nous l‟ont pas permis. Nous voudrions alors ultérieurement reprendre l‟ensemble
de nos conclusions pour les réinterroger à la lumière du rapport au savoir des enseignant.
Notamment pour essayer de comprendre davantage la position réelle qui situe chaque
enseignant au-delà de ses assujettissements au didactique et identifier de quelle manière elle
détermine son activité didactique.
Il y a un autre élément sur lequel nous voudrions revenir. Nous avons tenté de le
prendre en compte relativement loin dans la recherche, mais, il nous semble qu‟au fil de
l‟analyse clinique il s‟est dissout dans une faible valeur heuristique. Il s‟agit du poids de
l‟expérience dans une activité appartenant au même groupe que l‟activité enseignée. Nous
avons pu identifier quelques éléments relatifs à la transversalité des champs conceptuels ou au
poids de l‟institution « groupe de l‟APSA ». Mais, l‟analyse des pratiques ne nous ayant pas
permis d‟identifier précisément ce poids, nous n‟avons pu exploiter efficacement les données
issues du discours des enseignants. Pour poursuivre sur cette voie, il faudrait ainsi spécifier le
protocole de la recherche à partir de croisements plus propices à dégager le poids de cette
expérience transversale.
Ensuite, arrivés où nous en sommes, d‟autres projets nous animent. Tout d‟abord, ce
travail de recherche s‟avère très exploratoire. Nous avons construit un cadre d‟analyse
original qui a donc été mis à l‟épreuve empirique pour la première fois. Il nous a semblé
relativement heuristique et nous voudrions alors continuer à le travailler au regard des
difficultés auxquelles il nous a confrontés dans sa mise en œuvre et des résultats les plus
intéressants auxquels il nous a menés. Ainsi, nous voudrions utiliser notre cadre d‟analyse des
361
pratiques d‟enseignement à partir de nouveaux terrains empiriques. Notamment, nous
voudrions le mettre en œuvre dans une méthodologie plus fermée, s‟appuyant sur un seul
enseignant ou une seule activité afin d‟adopter une position moins relativiste dans la
démarche de recherche. Nous voudrions aussi à l‟opposé l‟ouvrir sur davantage d‟activités, en
dépassant la spécificité de l‟EPS, pour toujours creuser la problématique de la généricité du
savoir expérientiel. Au-delà de sa cohérence interne et de sa pertinence épistémologique, la
validité d‟un cadre théorique ne vaut que de son actualisation empirique. C‟est pour cela que
nous voudrions nous confronter, dans l‟après-coup, à de nouveaux terrains de recherche.
Enfin, nous voudrions aller voir du côté des élèves pour identifier comment eux vivent
et ressentent le poids de l‟expérience personnelle des enseignants. Les professeurs que nous
avons observés insistent sur leur impression que les élèves sentent lorsque l‟enseignant
possède ou non une véritable expérience dans ce qu‟il leur enseigne. Nous voudrions voir si
cette impression s‟avère juste ou s‟il s‟agit encore d‟une vicissitude du sujet didactique. Nous
avons alors l‟intention de continuer à contribuer à la construction d‟une théorie du sujet
didactique car elle nous semble indispensable à la compréhension des phénomènes
didactiques. Mais, l‟assujettissement au didactique qui touche le sujet enseignant nous
semblerait pertinent à identifier à partir des écarts entre ce que vivent les enseignants et les
élèves. Cela en retenant la phrase du philosophe : « les fautes du maître, l‟élève les a déjà
oubliées, que lui s‟en souvient encore » (Verret, 1990).
Bibliographie
AMADE-ESCOT C. (1996). – L‟observation des activités didactiques en éducation physique et
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Tableaux, schémas et graphiques
Tableaux
Tableau 1 : la dimension conceptuelle organisant le contenu du processus de
transmission des savoirs
89
Tableau 2 : la dimension signifiante organisant le contenu du processus de
transmission des savoirs
92
Tableau 3 : la dimension corporelle organisant le contenu du processus de
transmission des savoirs
95
Tableau 4 : la dynamique situationnelle/représentationnelle organisant le contenu du
processus de transmission des savoirs
98
Tableau 5 : la part d‟initiative organisant le contenu du processus de transmission
des savoirs
101
Tableau 6 : l‟organisation globale du contenu du processus de transmission des
savoirs
105
Tableau 7 : Croisement des expériences personnelles des enseignants dans les
différentes APSA
126
Tableau 8 : Questions guides des entretiens post-séances 143
Tableau 9 : Questions guides des entretiens expérientiels 144
Tableau 10 : Questions guides des entretiens d‟après-coup 145
Tableau 11 : le protocole de recueil : les données effectivement recueillies 146
Tableau 12 : Eléments comptabilisés dans l‟analyse des pratiques 152
Tableau 13 : Résultats significatifs pour chaque dimension 154
Tableau 14.1 : Résultats significatifs pour la dimension conceptuelle 223
Tableau 14.2 : Résultats significatifs pour la dimension signifiante 230
Tableau 14.3 : Résultats significatifs pour la dimension corporelle 235
Tableau 14.4 : Résultats significatifs pour la dynamique
situationnelle/représentationnelle
243
Tableau 14.5 : Résultats significatifs pour la part d‟initiative 254
Tableau 14.6 : Résultats significatifs pour l‟organisation globale 261
Tableau 15.1 : Le cas de P1 : synthèse de l‟analyse des pratiques 276
Tableau 15.2 : Le cas de P2 : synthèse de l‟analyse des pratiques 279
Tableau 15.3 : Le cas de P3 : synthèse de l‟analyse des pratiques 283
Tableau 15.4 : Le cas de P4 : synthèse de l‟analyse des pratiques 286
Tableau 16.1 : Le cas de P1 : le point de vue du sujet et la logique du sujet 293
Tableau 16.2 : Le cas de P1 : le point de vue du sujet et le poids de l‟expérience 294
Tableau 16.3 : Le cas de P2 : le point de vue du sujet et la logique du sujet 302
Tableau 16.4 : Le cas de P2 : le point de vue du sujet et le poids de l‟expérience 303
Tableau 16.5 : Le cas de P2 : le point de vue du sujet et le poids de l‟expérience dans
une APSA du groupe de l‟APSA enseignée
304
Tableau 16.6 : Le cas de P3 : le point de vue du sujet et la logique du sujet 313
Tableau 16.7 : Le cas de P3 : le point de vue du sujet et le poids de l‟expérience 314
Tableau 16.8 : Le cas de P4 : le point de vue du sujet et la logique du sujet 326
Tableau 16.9 : Le cas de P4 : le point de vue du sujet et le poids de l‟expérience 327
Schémas
Schéma 1 : Situer le savoir (???) : le réel, le sujet et les institutions 26
Schéma 2 : D‟une épistémologie de la pratique à la théorisation du savoir
expérientiel
53
Schéma 3 : Modélisation finale du savoir expérientiel 71
Schéma 4 : la structure conceptuelle organisant le contenu : présentation 150
Schéma 5.1 : Déroulement des séances : P1/Rugby 165
Schéma 5.2 : Déroulement des séances : P1/Natation 168
Schéma 5.3 : Déroulement des séances : P1/Gymnastique 171
Schéma 5.4 : Déroulement des séances : P2/Rugby 174
Schéma 5.5 : Déroulement des séances : P2/Basket 177
Schéma 5.6 : Déroulement des séances : P3/Danse 180
Schéma 5.7 : Déroulement des séances : P3/Basket 183
Schéma 5.8 : Déroulement des séances : P4/Danse 185
Schéma 5.9 : Déroulement des séances : P4/Natation 188
Schéma 5.10 : Déroulement des séances : P4/Basket 191
Schéma 6.1 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P1/Rugby 166
Schéma 6.2 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P1/Natation 169
Schéma 6.3 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P1/Gymnastique 172
Schéma 6.4 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P2/Rugby 175
Schéma 6.5 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P2/Basket 178
Schéma 6.6 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P3/Danse 181
Schéma 6.7 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P3/Basket 183
Schéma 6.8 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P4/Danse 186
Schéma 6.9 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P4/Natation 189
Schéma 6.10 : la structure conceptuelle organisant le contenu : P4/Basket 192
Schéma 7.1 : P1 face au poids de l‟expérience 342
Schéma 7.2 : P2 face au poids de l‟expérience 343
Schéma 7.3 : P3 face au poids de l‟expérience 344
Schéma 7.4 : P4 face au poids de l‟expérience 345
Schéma 8 : le triangle didactique à la lumière de la clinique (Terrisse, 1994) 354
Schéma 9 : Le savoir expérientiel et le sujet didactique 356
Graphiques
Graphique 1 : Diversité de la structure conceptuelle 196
Graphique 2 : Redondance de la structure conceptuelle 196
Graphique 3 : Finalisation de la structure conceptuelle (en %) 196
Graphique 4 : Hiérarchisation de la structure conceptuelle 196
Graphique 5 : Automatisation de la structure conceptuelle 197
Graphique 6 : Densité de la structure conceptuelle 197
Graphique 7 : Importance de la dimension signifiante 200
Graphique 8 : Importance de la référence institutionnelle 200
Graphique 9 : Appartenance institutionnelle des signifiants 200
Graphique 10 : L‟importance des sensations 204
Graphique 11 : L‟importance des repères sensoriels 204
Graphique 12 : L‟importance de la référence corporelle 204
Graphique 13 : La prépondérance des dimensions situationnelle et
représentationnelle (en %)
207
Graphique 14 : L‟importance des processus inférentiels : Réinvestissements 207
Graphique 15 : L‟importance des processus inférentiels : Analogies 208
Graphique 16 : L‟importance des choix potentiels dans les situations (en %) 212
Graphique 17 : L‟importance des choix potentiels dans les interactions 212
Graphique 18 : L‟importance des articulations systémiques 215
Graphique 19 : La globalité des situations (en %) 215
Graphique 20 : La globalité de l‟émergence des invariants (en %) 216
AUTHOR Pablo Buznic-Bourgeacq
TITLE
Transmission of the experiential knowledge. Case studies and comparative analysis in PE clinical didactics.
THESIS SUPERVISORS
André Terrisse, Eric Margnes
PLACE AND DATE OF THE THESIS DEFENCE University of Toulouse III – Paul Sabatier, September 23
rd 2009
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SUMMARY
In this research we identify how the teacher personal experience on a specific activity may have a great influence into his practical teaching experience. The practices of four recently qualified PE teachers are examined through comparative analysis and case studies. An epistemological analysis of the experiential knowledge and a transpositive analysis of its transmission framed an analysis of the effective practices. This framework led to quantitative comparisons and qualitative analysis of teaching methods supported by uneven personal experiences in the taught activities. Generic trends and experienced teaching have been identified. The clinical didactics analysis of the teachers' views about their own practices through a theory of the didactic subject have led to construct each teacher case by identifying how the experience determines the place he assumes in the didactics.
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KEY WORDS
Experience, experiential knowledge, practical teaching experience, PE clinical didactics, didactic subject.
ADMINISTRATIVE DISCIPLINE
Didactics of the technological and scientific disciplines. _________________________________________________________________________________
NAME AND ADDRESS OF THE U.F.R. OR THE LABORATORY
DiDiST, CREFI-T (EA 799). Bât. 3R1, Université Toulouse III – Paul Sabatier. 118, Rte de Narbonne. 31000 Toulouse, France.
AUTEUR Pablo Buznic-Bourgeacq
TITRE
La transmission du savoir expérientiel. Etudes de cas et analyses comparatives en didactique clinique de l’EPS
DIRECTEURS DE THESE
André Terrisse, Eric Margnes
LIEU ET DATE DE SOUTENANCE Université Toulouse III – Paul Sabatier, le 23 septembre 2009
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RESUME Dans cette recherche, nous identifions comment l’expérience personnelle de l’enseignant dans une activité spécifique pèse sur ses pratiques d’enseignement. Au travers d’analyses comparatives et d’études de cas, les pratiques de quatre professeurs d’EPS débutants sont examinées. Une analyse épistémologique du savoir expérientiel et une analyse transpositive de sa transmission ont permis de construire un cadre d’analyse des pratiques effectives. Ce cadre a permis de mener des comparaisons quantitatives et des analyses qualitatives d’enseignements appuyés par des expériences personnelles très contrastées dans les activités enseignées. Des tendances génériques aux enseignements avec expérience ont été identifiées. Enfin, l’analyse didactique clinique du discours des enseignants sur leurs propres pratiques, au travers d’une théorie du sujet didactique, a conduit à construire le cas de chaque enseignant en identifiant comment l’expérience détermine la place qu’il assume dans le didactique. _________________________________________________________________________________
MOTS-CLES
Expérience, savoir expérientiel, pratiques d’enseignement, didactique clinique de l’EPS, sujet didactique
DISCIPLINE ADMINISTRATIVE
Didactique des disciplines scientifiques et technologiques _________________________________________________________________________________
INTITULE ET ADRESSE DE L'U.F.R. OU DU LABORATOIRE
DiDiST, CREFI-T (EA 799). Bât. 3R1, Université Toulouse III – Paul Sabatier. 118, Rte de Narbonne. 31000 Toulouse.