T3 Catherine Halpern (FR-RO)

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  • 8/19/2019 T3 Catherine Halpern (FR-RO)

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    Catherine Halpern, Le Charme discret de la pauvreté 

    (Sciences humaines, n° 202, 3/2009)

    À contre-courant de la société de consommation, certains ont fait le choix de la simplicité. Promouvant un mode de vie frugal, les tenants de lapauvreté volontaire entendent valoriser d’autres richesses : le respect de l’environnement, la solidarité et l’épanouissement sans cesse menacés parl’inflation des besoins.

    À contre-courant de la société de consommation, certains ont fait le choix de la simplicité. romou!ant un mode de !ie fru"al, les tenants de la pau!reté !olontaireentendent !aloriser d#autres richesses $ le respect de l#en!ironnement, la solidarité et l#épanouissement sans cesse menacés par l#inflation des %esoins.

    « Vive la pauvreté! »  , titrait a!ec insolence le &ournal La Décroissance en septem%re 200'. audrait-il donc se ré&ouir de ce ue certains ne puissent su%!enir * leurs

     %esoins, souffrent de la faim et du froid et soient mis au %an de la société + on. errire un mot d#ordre pro!ocateur, c#est un pro&et de !ie ré!olutionnaire ue

    défendent ici les o%&ecteurs de croissance en promou!ant non pas la misre mais une pau!reté choisie. ontre l#hperconsommation et le culte de la croissanceéconomiue ui !alorisent l#a!oir au détriment de l#1tre, ils en appellent * la simplicité !olontaire pour par!enir * un plus "rand épanouissement personnel mais aussi pour mieux respecter l#en!ironnement et les hommes. ref, sortir de l#inflation des %esoins ui nous condamnent * souffrir tou&ours du manue et * passer * cté del#essentiel. « Vivre sans télévision, sans automobile, sans téléphone portable ou encore sans prendre l’avion, c’est aujourd’hui faire le choix de la résistance nonviolente bandonner, c’est résister "omme cultiver son pota#er, faire de la politi$ue, %tre capable de s’en#a#er "’est savoir dire non, %tre rebelle, insoumis, pour  parta#er une vie intense et profonde, $ui ne peut reposer $ue sur une certaine forme de dénuement matériel  (4) » ette aspiration * un mode de !ie plus fru"al n#est enrien une %i5arrerie hexa"onale. 6lle s#inscrit dans un mou!ement plus !aste ue l#on retrou!e aux 7tats-8nis, au anada, en rande-reta"ne, en :ustralie (2), en ou!elle-;élande, et dans %ien d#autres pas encore, sou!ent sous l#appellation d#adeptes de la < simplicité !olontaire (3)= ou de do&nshifters (décélérateurs).

    >ui sont ces partisans de la fru"alité+ 6t, surtout, comment !i!ent-ils+ eaucoup appartiennent aux classes moennes et supérieures et ont fait le choix de rompre a!ec leur mode de !ie. ?el @incent henet, fondateur des asseurs de pu% et du &ournal  La Décroissance, ui a!ait tra!aillé pendant une di5aine d#années dans la pu%licité.Aeur en"a"ement se traduit au uotidien par tout un é!entail de décisions et de petits "estes $ acheter des fruits et des lé"umes de saison, produits localement, renoncer au maximum * la !oiture pour pri!ilé"ier le !élo et les transports en commun, é!iter de prendre l#a!ion, se dé%arrasser des appareils électriues ui ne sont pasindispensa%les, limiter sa consommation d#eau, !oire pour les plus intransi"eants ne plus a!oir de réfri"érateur et adopter des < toilettes sches=B :ux mira"es de la consommation, préférer l#échan"e et la < récup=, réparer plutt ue &eter, faire au maximum les choses soi-m1me. e peut 1tre construire sa maison comme Cer!é Dené Eartin, auteur d# 'lo#e de la simplicité volontaire (lammarion, 200F), culti!er un pota"er, ou faire le choix de « travailler moins pour #a#ner moins»  . Gl ne

    s#a"it donc pas tant de !i!re dans la pau!reté ue dans la simplicité a!ec l#idée ue, pour chan"er le monde, il faut aussi apprendre * se chan"er soi-m1me.

    Pauvreté contre misre

    8ne !ision de l#existence ue re&oint la réflexion sur la pau!reté de Ea&id Dahnema. et ancien diplomate iranien refuse le discours techniue sur une pau!reté réduite %ien sou!ent * des chiffres $ « (éduire la vérité d’un )pauvre* + un revenu d’un ou deux dollars est en soi non seulement une aberrationmais aussi une insulte + sa condition Les chiffres $ui sont avancés ne peuvent donc rien nous dire, ni sur les milliards de personnes $ui, pour des raisonsdiverses, se trouvent aujourd’hui acculées + la misre, ni sur ce $ui pourrait leur permettre de recouvrer leur puissance d’a#ir Dans le meilleur des cas, ceschiffres ne peuvent $ue révéler un aspect particulier de la vie d’une certaine caté#orie de )pauvres* de pauvres déracinés vivant de leurs seuls revenusmonétairement $uantifiables -ls ne nous apprennent rien sur les autres sources de richesses relationnelles, traditionnelles, culturelles et autres $ui, jus$u’+la désinté#ration de leur mode de subsistance, les avaient emp%chés de perdre leurs propres mo.ens de lutte contre la misre (') »

    récisément. Aa pau!reté n#est pas la misre $ on peut !i!re dans le dénuement, presue entirement < hors marché = et pourtant surmonter les difficultés "rHce * la solidarité et l#entraide. Ir la modernité s#est attauée aux modes de su%sistance populaires faisant %asculer des millions de personne dans la misre,la !raie, celle oJ l#on ne par!ient pas * assurer sa su%sistance. A#économie de croissance, loin de résor%er la pau!reté, n#a selon lui créé pour les pau!res uede nou!elles sources de précarisation et de dépendance * des %esoins économiues fa%riués de toutes pices. e faisant, elle a éradiué ce ue E. Dahnema

    nomme * la suite d#G!an Gllich une « pauvreté conviviale » 

    , mode de !ie fru"al caractérisé par la solidarité et le contrle social de l#en!ie $ « La pauvretéconviviale, loin de se confondre avec la misre, a (B) été l’arme principale dont les pauvres se sont toujours servis pour l’exorciser et la combattre »  E.Dahnema appelle donc * redécou!rir un mode de !ie simple pour ue chacun puisse retrou!er sa puissance d#a"ir.

    ! "e pousse pas # bout, fiston$ % 

    :ssurément déran"eant dans des sociétés modernes ui !alorisent l#économie, la consommation et le pro"rs matériel. « Don’t force me, sonn. ! »  (« /e pousse pas + bout fiston ») se !oit ainsi répondre le philosophe allemand Knther :nders tandis u#il marche le lon" d#une nationale de alifornie. Ae policier désLu!ré ui l#interpelle ne comprend pas u#un homme n#ait pas de !oiture et, pire encore, a!oue n#en a!oir &amais eue (M). Deprenant cetteanecdote, C. Dené Eartin, dans son 'lo#e de la simplicité volontaire, met %ien en é!idence les o%stacles auxuels se heurtent ceux ui ont fait le choix de!i!re autrement, tel ce couple ui n#a pas !oulu ue leur enfant naisse * l#hpital et ui a su%i de ce fait %ien des tracasseries administrati!es et des contrlessociaux. :scétisme malsain, !ision réactionnaire de la société, spiritualisme suspect, !oire menace pour l#économie donc pour la prospéritéB Aa pau!retéchoisie suscite des suspicions et des réactions hostiles. 6t pour cause, elle inuite l#ordre social. 8n détour historiue apparaNt instructif.

    :u Eoen O"e, * partir de l#an mil, sur"it un important mou!ement en fa!eur de la pau!reté !olontaire. 8n nom%re croissant d#ermites itinérants sillonne lesroutes et prne le dénuement pour retrou!er le messa"e du hrist $ saint Domuald, Do%ert d#:r%rissel, Cenri de AausanneB Pusu#* saint ranQois d#:ssise, filsd#un riche marchand d#étoffes, ui rompt a!ec une !ie insouciante et tournée !ers le plaisir et ui fonde l#ordre franciscain oJ l#on fait !Lu de pau!reté. om%reux sont alors les ordres et les confréries * adopter le m1me précepte ui &ouit d#une "rande audience dans la population. :pparaissent ainsi au xiie sicleles %é"uines, dans les landres et en Collande, puis en rance et en :llema"ne, ui tra!aillent et !i!ent dans le dénuement. A#accueil de ces mou!ements par l#7"lise sera pour le moins contrasté $ certains adeptes de la pau!reté !olontaire seront &u"és hérétiues, d#autres seront canonisés. e u#expliue a!ec %eaucoupde clarté l#historien polonais ?adeus5 Eanteuffel (R) $ « L’'#lise n’a jamais condamné le précepte évan#éli$ue de la pauvreté volontaire 0out au contraire, elle atoujours été bienveillante envers ceux $ui en faisaient profession, mais seulement lors$u’ils l’appli$uaient + titre individuel, sans en faire l’objet d’une propa#ande parmi les masses La canonisation d’un nombre considérable d’ermites en est la meilleure preuve "e problme chan#eait toutefois d’aspect dsl’instant o1 ces m%mes principes commen2aient + %tre propa#és lar#ement parmi les fidles Le précepte de la pauvreté volontaire cessait d’%tre alors l’affaire personnelle de tel ou tel individu, pour devenir un problme social $ui pouvait avoir des implications politi$ues»  In s#étonnera d#autant moins du re&et suscité par la pau!reté !olontaire dans des sociétés modernes sécularisées ui !alorisent fortement le pro"rs matériel et la consommation.

    6t pourtant, rien de nou!eau sous le soleil. ul %esoin d#attendre les o%&ecteurs de croissance, les adeptes de la simplicité !olontaire pour !aloriser la fru"alité. sl#:ntiuité, nom%reuses sont les écoles philosophiues * prner la réduction des %esoins. ?el io"ne ou les stoSciens ou m1me les épicuriens sou!ent assimilés * tort *des &ouisseurs forcenés$ « 3uel$u’un a.ant demandé + 'picure comment il fallait s’. prendre pour devenir riche, celui4ci répondit5 ce n’est pas en au#mentant les

     

    biens, mais en diminuant les besoins», rapporte Tto%ée ( 6loril#e, U@GG, 3F). 8ne leQon !ieille comme le monde mais peut-1tre plus ue &amais difficile * entendre.

     &'()* :

    (4) @incent henet et runo lémentin, « (ésister par la pauvreté », La Décroissance, n7 89, septembre 8::; (2) @oir par exemple icola Thepheard, « Vive la décroissance ! », 0he erald, repris dans "ourrier -nternational, n7 ?@A, 9 janvier 8::? (3) :rticle < Timplicité !olontaire = disponible sur  http5BBfreCopediaor# (') Ea&id Dahnema et Pean Do%ert, La uissance des pauvres, ctes Sud, 8::?(M) Knther :nders, L’Ebsolescence de l’homme, A#6ncclopédie des nuisances, 2002.(R) ?adeus5 Eanteuffel,