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"L'Africain" n° 235, juin-juillet 2008 E-mail : [email protected] 40 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 235, juin-juillet 2008 Page 1 Éditorial La Rédaction ÉCONOMIE ET DÉVELOPPEMENT 2 Les causes de la pauvreté en Afrique subsaharienne (I) J. NTAMAHUNGIRO 14 Pourquoi l'inflation mondiale frappe-t-elle durement l'Afrique ? Th. AMOUGOU CULTURE ET SOCIÉTÉ 20 Célébration de la journée internationale de la femme à Bruxelles M. TIEMBE 23 Évolution ou émancipation de la femme congolaise J. MBUNGU N. 25 Incohérences du kimbanguisme Dr I. B. TEDANGA 30 L'Église et les défis de la société africaine M. CHEZA 32 Fondation Père EVERARD : rapport 2008 33-34 PHOTOS 35 Défense de thèse de doctorat : le contrôle de constitutionnalité en RD Congo P. G. NGONDANKOY À TRAVERS LIVRES ET REVUES 37 1) M. POPOVITCH et F. DE MOOR (sous la direction), Congo Eza. E. van SEVENANT 37 2) B. SENE MONGABA, L'instant de paix, E. van SEVENANT 38 3) G. CONVENTS, Images et paix. Les Rwandais et les Burundais face au cinéma et à l'audiovisuel M. H. 39 Nouvelles familiales Page 2 de la couverture : présentation de "L'Africain" Page 3 de la couverture : mots croisés n° 249 et 250 Vincenzo SORETTI "L'Africain" : éd. responsable : Eddy VAN SEVENANT, dir. du C.A.C.E.A.C. Asbl, Michel Hakizimana, secrétaire de rédaction, rue Léon Bernus 7, 6000 Charleroi, Tél. ++ 32 (0)71 31 31 86. Fax : ++ 32 (0)71 31 31 84 E-mail : [email protected] Comité de rédaction : Antwerpen : G. Muheme Bagalwa ; Bruxelles : Valérien Mudoy, Camille Tedanga Ipota ; Liège : J.C. Mputu ; Louvain-la-Neuve : Sabine Kakunga ; Namur : Tite Kubushishi, Eustache Niyitugabira. Allemagne : Shungu M. Tundanonga-Dikunda, e-mail : [email protected] France : Anicet Mobe Fansiama, 21, Route de Pontoise, F-95100, Argenteuil. RD Congo : Jean-Pierre Mbwebwa Kalala et François Budim'bani Yambu, FCK. B.P. 1534, Kinshasa. ABONNEMENTS : Ce numéro clôture les abonnements en cours. Avec la nouvelle année académique 2008- 2009 commence la 47 ème année . abonnement ordinaire : Belgique : 15 Europe : 22 reste du monde : 25 abonnement de soutien : 25 payables au CCP 000-1178819-75 du C.A.C.E.A.C. Asbl, Charleroi (Belgique) ou par mandat postal international (si par chèque bancaire, ajouter les frais). Si payement par virement à partir de l'étranger, utiliser les codes : IBAN BE05 0001 1788 1975 BIC BPOTBEB1 Les articles n'engagent que leurs auteurs. Cette revue est publiée avec le soutien de la DGCD.

TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 235, juin-juillet 2008 · ’homme est né libre mais partout il est dans les fers" (J.-J. ROUSSEAU). Voici peu, on a célébré en France le 150

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"L'Africain" n° 235, juin-juillet 2008 E-mail : [email protected]

TABLE DES MATIÈRES"L'Africain" n° 235, juin-juillet 2008

Page

1 Éditorial La Rédaction

ÉCONOMIE ET DÉVELOPPEMENT

2 Les causes de la pauvreté en Afrique subsaharienne (I) J. NTAMAHUNGIRO14 Pourquoi l'inflation mondiale frappe-t-elle durement l'Afrique ? Th. AMOUGOU

CULTURE ET SOCIÉTÉ

20 Célébration de la journée internationale de la femme à Bruxelles M. TIEMBE23 Évolution ou émancipation de la femme congolaise J. MBUNGU N.25 Incohérences du kimbanguisme Dr I. B. TEDANGA30 L'Église et les défis de la société africaine M. CHEZA32 Fondation Père EVERARD : rapport 2008

33-34 PHOTOS

35 Défense de thèse de doctorat : le contrôle de constitutionnalité en RD CongoP. G. NGONDANKOY

À TRAVERS LIVRES ET REVUES

37 1) M. POPOVITCH et F. DE MOOR (sous la direction), Congo Eza.E. van SEVENANT

37 2) B. SENE MONGABA, L'instant de paix, E. van SEVENANT38 3) G. CONVENTS, Images et paix. Les Rwandais et les Burundais face au cinéma et

à l'audiovisuel M. H.39 Nouvelles familiales

Page 2 de la couverture : présentation de "L'Africain"Page 3 de la couverture : mots croisés n° 249 et 250 Vincenzo SORETTI

"L'Africain" : éd. responsable : Eddy VAN SEVENANT, dir. du C.A.C.E.A.C. Asbl, Michel Hakizimana,secrétaire de rédaction, rue Léon Bernus 7, 6000 Charleroi, Tél. ++ 32 (0)71 31 31 86. Fax : ++ 32 (0)71 31 31 84E-mail : [email protected]é de rédaction : Antwerpen : G. Muheme Bagalwa ; Bruxelles : Valérien Mudoy, Camille Tedanga Ipota ;Liège : J.C. Mputu ; Louvain-la-Neuve : Sabine Kakunga ; Namur : Tite Kubushishi, Eustache Niyitugabira.

Allemagne : Shungu M. Tundanonga-Dikunda, e-mail : [email protected] : Anicet Mobe Fansiama, 21, Route de Pontoise, F-95100, Argenteuil.RD Congo : Jean-Pierre Mbwebwa Kalala et François Budim'bani Yambu, FCK. B.P. 1534, Kinshasa.

ABONNEMENTS : Ce numéro clôture les abonnements en cours. Avec la nouvelle année académique 2008-2009 commence la 47ème année.

abonnement ordinaire : Belgique : 15 €Europe : 22 €reste du monde : 25 €

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Les articles n'engagent que leurs auteurs.Cette revue est publiée avec le soutien de la DGCD.

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Éditorial

’homme est né libre mais partout il est dans les fers" (J.-J. ROUSSEAU).

Voici peu, on a célébré en France le 150e anniversaire de l’abolition del’esclavage. Mais s’il est officiellement abandonné sur l’ensemble de la planète,l’esclavage hélas survit toujours ; simplement, il a pris d’autres formes, non"officielles". Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, il est aussi bien présentsur le sol européen.

Le cas le plus courant, c’est celui de jeunes émigrés, esclaves domestiquesderrière les murs des maisons privées ou même des ambassades (un cas récent a étédécouvert en France). Faut-il vous citer le cas d’Henriette qui avait débarqué il y a 5ans chez une Togolaise mariée à un Français et qui ensuite la "prête" à une amiemauritanienne. Là, Henriette dort par terre, et travaille 15 heures par jour sanssalaire. N’est-ce pas là de l’esclavage ? Ahmed est marocain et pendant 3 ans un deses compatriotes l’a réduit en servitude dans une boucherie, en France encore, et sansaucun salaire. Il dort dans l’arrière-boutique. Lui aussi est arrivé à s’enfuir. Leboucher est actuellement incarcéré et Ahmed vit et travaille avec la communautéEmmaüs.

Le Département d'État américain vient justement de publier un rapport fortintéressant dans lequel il estime le nombre d'"esclaves modernes" dans le monde àplus de 12 millions et d'autres sources montent jusqu'à 24 millions, répartis enesclaves domestiques, esclaves pour dettes (en Inde notamment) esclaves sexuels,enfants soldats etc. (Le rapport est disponible sur internet à l'adresse suivante :http://www.state.gov).

Et combien d’autres cas se dévoilent ainsi peu à peu. Mais à côté des casindividuels dont on pourrait allonger la liste pour remplir toute cette revue, ne peut-on pas aussi estimer que des peuples entiers sont soumis à une sorte d’esclavagequand on sait que deux milliards de personnes dans le monde survivent dans la plusextrême pauvreté ? Peut-on parler de liberté quand on a faim ? L’Afrique comptepour beaucoup dans cette misère, elle qui fut conquise, colonisée, néocolonisée,soumise aux diktats de la mondialisation dont elle souffre plus que d’autres : pensonspar exemple au scandale des subventions agricoles dans les pays du Nord qui ontpour effet de faire mourir l’agriculture africaine .Et ce n’est pas la récente réunion dela FAO qui pourra rassurer les producteurs du Sud car on n’y a même pas faitallusion dans le communiqué final.

Non, l’esclavage tant décrié officiellement n’est pas disparu et tous les espritséclairés doivent continuer à protester contre ces situations insupportables, qu’elles serapportent à des cas individuels ou collectifs.

Enfin, que ceux qui contribuent d'une façon ou d'une autre à l'asservissementd'autres peuples se souviennent de ces propos de Simone WEIL : "Rien au monde nepeut empêcher l'homme de se sentir né pour la liberté. Jamais, quoiqu'il advienne, ilne peut accepter la servitude ; car il pense."

LA REDACTION

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É C O N O M I E E T D É V E L O P P E M E N T

Les causes de la pauvreté en Afrique subsaharienneet les enjeux pour en sortir (I)

NDLR : le texte reçu étant très long, il sera publié en deux parties. En voici la première :

onférence donnée à PalmaDe Majorca dans le cadre duSéminaire "Stratégies de

lutte contre la pauvreté en Afriquesubsaharienne" du 22 au 24 Avril 2008.Le séminaire était organisé par VoisinsSans Frontières des îles Baléares (VSF-IB), le Collectif d’Éducation en DDH etde Prévention Active des Conflits(CEPAC), avec la participation dedifférentes organisations d’immigrésoriginaires d’Afrique résidant aux îlesBaléares et de l’Université des îlesBaléares.

Introduction

Avant d’entrer dans le vif du sujet,je voulais d’abord remercier lesorganisateurs de ce séminaire qui m’ontfait l’amitié de m’inviter, une nouvellefois, me permettant ainsi de me trouversur la belle et très accueillante terre desîles Baléares où c’est toujours un plaisirpour moi de passer quelques jours. Ellecommence à être ma nouvelle terred’adoption. J’ajoute aussi que le sujetqu'il m’a été demandé de présenterbrièvement est si vaste qu’il faudrait auminimum une semaine pour essayer d’endessiner les contours. Ma contributionsera donc forcément très limitée. Dureste, ma seule ambition est de lancer ledébat, en toute vérité mais de manièreconstructive. Si d’aventure mon proposarrivait à blesser l’une ou l’autresusceptibilité, qu’elle veuille bien m’enexcuser.

Pour que vous puissiez suivre plusfacilement mon exposé, je vous propose leplan suivant :

Commençons par l’actualité : Lesrévoltes de la faim. Nous avons tous vuces derniers temps sur nos petits écrans

des scènes de pauvres paysans ouhabitants des bidonvilles se révolter enÉgypte, au Cameroun, en Côte d'Ivoire, auSénégal, en Éthiopie, au Pakistan,en Thaïlande, en Haïti, au Burkina Faso,en Argentine, au Yemen, au Zimbabwe,au Mexique, au Bangladesh, auxPhilippines, en Guinée, en Mauritanie, auMaroc, en Ouzbékistan et dans unetrentaine d'autres pays, tous de continentspauvres. Motif : la faim provoquée parl’augmentation brutale des prix desproduits alimentaires que les pauvres nepeuvent plus payer. Ces révoltes ontmême fait des morts.

Sur un autre plan mais toujoursdans le même ordre d’idées, évoquons leproblème des migrations clandestines quiest toujours d’actualité. Vous mepermettrez de faire une longue citation carelle nous plonge dans le cœur même denotre débat.

Dans un article publié par le journalLe Monde Diplomatique de mars 2008,Jean ZIEGLER, écrivain, professeur àl’Université de Genève et surtoutRapporteur Spécial de la Commission desdroits de l’homme des Nations unies pourle droit à l’alimentation, écrit : "On estimeque, chaque année, quelque 2 millions depersonnes essaient d’entrer illégalementsur le territoire de l’Union européenne etque, sur ce nombre, environ 2.000périssent en Méditerranée, et autant dansles flots de l’Atlantique. Leur objectif estd’atteindre les îles Canaries à partir de laMauritanie ou du Sénégal, ou de franchirle détroit de Gibraltar au départ du Maroc.Selon le gouvernement espagnol, 47.685migrants africains sont arrivés sur lescôtes en 2006. Il faut y ajouter les 23.151migrants qui ont débarqué sur les îlesitaliennes ou à Malte au départ de laJamahiriya arabe libyenne ou de la

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Tunisie. D’autres essaient de gagner laGrèce en passant par la Turquie oul’Égypte. Secrétaire général de laFédération internationale des sociétés dela Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, M.MARKKU NISKALA commente : "Cettecrise est complètement passée soussilence. Non seulement personne ne vienten aide à ces gens aux abois, mais il n’y apas d’organisation qui établisse ne serait-ce que des statistiques rendant compte decette tragédie quotidienne."1

Pour défendre l’Europe contre cesmigrants, l’Union européenne a mis surpied une organisation militaire semi-clandestine qui porte le nom deFRONTEX. Cette agence gère les"frontières extérieures de l’Europe". Elledispose de navires rapides (et armés)d’interception en haute mer,d’hélicoptères de combat, d’une flotted’avions de surveillance munis decaméras ultrasensibles et de visionnocturne, de radars, de satellites et demoyens sophistiqués de surveillanceélectronique à longue distance.FRONTEX maintient aussi sur le solafricain des "camps d’accueil" où sontparqués les réfugiés de la faim quiviennent d’Afrique centrale, orientale ouaustrale, du Tchad, de la RépubliqueDémocratique du Congo, du Burundi, duCameroun, de l’Érythrée, du Malawi, duZimbabwe… Souvent, ils cheminent àtravers le continent durant un ou deux ans,vivant d’expédients, traversant lesfrontières et tentant de s’approcherprogressivement d’une côte. Ils sont alorsinterceptés par les agents de FRONTEXou leurs auxiliaires locaux qui lesempêchent d’atteindre les ports de laMéditerranée ou de l’Atlantique. Vu lesversements considérables en espècesopérés par FRONTEX aux dirigeantsafricains, peu d’entre eux refusentl’installation de ces camps"2

On pourrait multiplier lestémoignages.

1 La Tribune de Genève, 14 décembre 2006.2 Jean ZIEGLER, "Réfugiés de la faim", in LeMonde Diplomatique, mars 2008, p. 14.

Comment comprendre ces phéno-mènes ?

Selon Gilles Hirzel, représentant enFrance de la FAO (Organisation desNations unies pour l'alimentation etl'agriculture), les responsables sont lesdérèglements climatiques qui ont eu lieudurant l'année 2007, la croissance de lapopulation, l’évolution de l'alimentationdans les pays émergents, l'augmentationdu prix du pétrole, l'émergence de laproduction d'agrocarburants. Mais "levéritable problème de fond est ledésinvestissement dans le secteur agricoledepuis de très nombreuses années"3. Nousn’allons pas discuter de ces réponsesmaintenant, mais il nous semble quant ànous que les réponses suivantes sont plusproches de la réalité. Nous citons :

"Les révoltes de la faim dans des dizainesde pays en développement sur tous lescontinents traduisent une crise profonde etviolente des relations économiquesinternationales et du modèle néo-libéral.Des centaines de millions de personnesdans le monde paient les conséquences dela libéralisation, de la privatisation, de ladestruction des agricultures vivrières, dela réduction drastique des budgetssociaux... Les politiques d’ajustementstructurel ont contribué à l’affaiblissementdes économies des pays du Sud, àl’extension d’une pauvreté massive aunom d’une insertion dans lamondialisation capitaliste qui n’a faitqu’accentuer la vulnérabilité et ladépendance de ces pays. L’augmentationbrutale des prix de nombreux produitsvitaux révèle et accentue cette crisemajeure du mode de développement encontribuant à déstabiliser des sociétés déjàtrès fragilisées et souvent victimes derégimes répressifs et corrompus. Laresponsabilité des pays capitalistesdéveloppés et des institutions financièreset commerciales internationales - l’OMCet le FMI, en particulier - est écrasante.Elle l’est d’autant plus que l’augmentationdu prix a été encore aggravée par la

3 Gilles HIRZEL, "Le retour des révoltes de lafaim ", in Les Échos, Paris, 18/04/08 (Interview).

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spéculation sur les produits de base et leseffets de la crise énergétique. La baisse del’aide publique au développement, pour ladeuxième année consécutive, en a encorerajouté"4.

Les causes de la pauvreté

J’en évoque huit : la nature, lesguerres, le manque de moyens financiers,le manque d’infrastructures agricoles, lasurexploitation de l’environnement, la"paresse africaine", la surpopulationmondiale et le problème de la dette malposé.

Dans un article consacré à la faimdans le monde, le Programme AlimentaireMondial des Nations unies (PAM) pose laquestion du "Pourquoi la faim dans lemonde"5 et spécialement en Afrique. Elleidentifie cinq causes principales : lanature, la guerre, la pauvreté, le manqued’infrastructures agricoles et lasurexploitation de l’environnement.

Concernant la nature, le PAMévoque les catastrophes naturelles commeles inondations, les tempêtes tropicales etles longues périodes de sécheresse semultiplient, avec des conséquencescalamiteuses pour la sécurité alimentairedans les pays pauvres, en développement.A titre d’exemple, le PAM souligne que lasécheresse récurrente a causé des déficitsde récoltes et de lourdes pertes de bétaildans des régions de l'Ethiopie, del'Erythrée, de la Somalie, de l'Ouganda etdu Kenya. Dans de nombreux pays, lechangement climatique exacerbe desconditions naturelles déjà défavorables.

Pour sa part, le journal le Monde du8 février 2008 écrit que : "leréchauffement climatique constitue,d'après les experts, un danger majeur pourl'agriculture mondiale. "Les zonestouchées par la sécheresse en Afrique

4 Parti communiste français, " Révoltes de la faim :pour des mesures urgentes et un changement depolitique ", in Bellaciao, (Collectif franco-italien),Paris, 17/04/08.5 PAM, " Pourquoi la faim existe-t-elle ", octobre2007, 2 p. (voir site du PAM).

subsaharienne pourraient augmenter de 60à 90 millions d'hectares (...) d'ici à 2060.(...) Le nombre de personnes souffrant demalnutrition pourrait augmenter de 600millions d'ici à 2080", prévoyait l'ONU en2007. Chaque étude semble pluspessimiste que la précédente."6

Parlant des guerres, le PAMrappelle que, lorsque dans les années1990, la guerre plongea l'Afrique Centraledans la confusion, la proportion depersonnes souffrant de la faim est passéede 53 à 58%. En comparaison, lamalnutrition est en recul dans des régionsplus pacifiques d'Afrique comme leGhana et le Malawi.

Évoquant le problème de lapauvreté, le PAM écrit : "dans les paysen développement, les paysans n'ontsouvent pas les moyens d'acheter dessemences pour planter les cultures quipermettraient de subvenir aux besoins deleurs familles. Les artisans manquent demoyens pour se payer les outils pourexercer leur métier. D'autres n'ont pas deterre, d'eau ou d'éducation pour jeter lesfondements d'un avenir sûr. Ceux qui sontfrappés par la pauvreté n'ont passuffisamment d'argent pour acheter ouproduire suffisamment de nourriture poureux-mêmes et leurs familles. Enconséquence, ils ont tendance à être plusfaibles et ne peuvent pas produiresuffisamment pour acheter plus de vivres.En résumé, les pauvres ont faim et leurfaim les prend au piège de la pauvreté "7

Manque d’infrastructuresagricoles : citant le Rapport 2004 del'Organisation pour l'alimentation etl'agriculture (FAO) sur l'insécuritéalimentaire, le PAM fait remarquer quetrop de pays en développement manquentd'infrastructures agricoles telles que desroutes, des entrepôts et des moyensd'irrigation. Il en découle des frais detransport élevés, un manque d'installationsde stockage et un approvisionnement en

6 Frédéric LEMAÎTRE, "Une crise alimentairemajeure se profile ", le Monde, Paris, 8 février2008, 3 p.7 PAM, article cité.

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eau peu fiable. Tout concourt à limiter lesrendements agricoles et l'accès à lanourriture.

Surexploitation de l’environ-nement : le PAM évoque enfin lespratiques agricoles médiocres, ladéforestation, la surexploitation des terreset des herbages qui épuisent la fertilité dela terre et sèment les graines de la faim.Les terres agricoles fertiles du monde sontde plus en plus menacées par l'érosion, lasalinisation et la désertification.

D’autres causes non évoquées parle PAM : parmi d’autres causesgénéralement évoquées quant à lapauvreté de l’Afrique, j’en mentionnetrois : la paresse, la surpopulation, leproblème de la dette.

Pour ce qui est de la "paresseafricaine", vous avez certainement déjàentendu la rengaine qui affirme comme undogme que les Noirs sont des fainéants etque les rares fois qu’ils travaillent, ils lefont de façon tellement irrationnelle queles résultats sont les mêmes. Ce point devue se passe de commentaire et estheureusement battu en brèche par uneexpression française qui dit "travaillercomme un nègre" pour signifier que cesgens-là travaillent très durement.

La surpopulation mondiale : le 11juillet 1987, toutes les radios, télévisionset tous les journaux du monde entierannonçaient comme une catastrophe lanaissance de la 5ème milliardième personnedans une clinique australienne. Selon leSecrétaire général de l’Organisation desNations unies, "la naissance de la 5ème

milliardième personne du monde a sonnél’alarme que l’explosion démographiquecausera sans doute des problèmes sociaux,économiques et politiques pour le mondeentier "8

8 Cité par MUTOMBO Hanshi-Matuhu," Controverse autour de l’incidence del’accroissement de la population sur la croissanceéconomique ", in Développement et Coopération,N° 5/1987, p. 19.

Le problème de la dette mal posé: dans une réflexion datée de 20009,j’écrivais ceci : "le tiers-monde, dit-on,doit rembourser aujourd’hui plus de 2.100milliards de dollars. A elle seule,l’Afrique doit rembourser 390 milliardsde dollars. Le Honduras, qui avait reçudes institutions internationales la bagatellede 1 milliard de dollars, a déjà remboursé4 milliards de dollars et le remboursementest loin d’être terminé. D’autres payss’endettent pour rembourser, non pas lemontant de la dette, mais les intérêts quiparfois dépassent le montant même decette dette. Rappelons que la dette du tiersmonde se contracte de trois manières : lesdettes d’État à État, les dettes contractéesauprès des banques privées, les dettescontractées auprès des organisationsfinancières internationales comme le FMIet la Banque mondiale. Les préalables duconsentement d’octroi de cette dette sontsouvent draconiens, à savoir : la mise enmarche de ce qu’on appelle pudiquementles "plans d’ajustement structurel" quiconsistent à réduire drastiquement lesdépenses publiques dans des domaines quitouchent plutôt les plus pauvres :enseignement, santé, aides sociales. Unedes conséquences perverses visibles est ladévaluation de la monnaie. Celle-citouche une fois de plus les populations lesplus vulnérables et creuse ainsi davantagele fossé déjà immense entre une minoritédéjà riche et la majorité qui s’en tiraitencore relativement bien"10.

Les causes réelles, structurelles :ces causes concernent aussi bien les paysriches que les pays pauvres.

Les causes réelles, structurelles côtépays riches

J’en évoque neuf : le dumpingagricole et la destruction des aliments, lepillage des richesses, le vrai problème dela dette, le rôle criminel desmultinationales, l'organisation de la

9 Joseph NTAMAHUNGIRO, " Réflexion d’unchrétien sur la remise de la dette en cette annéejubilaire 2000", Bruxelles, avril 2000, 9 p.10 Joseph NTAMAHUNGIRO, "Réflexionchrétienne... article cité p. 1.

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famine et la criminalisation de ceux qui lafuient, les fameux Accords de PartenariatÉconomique (APE), le pillage descerveaux des pays pauvres, lesinvestissements dans la guerre plutôt quedans la paix et l’alimentation, legaspillage des biens de la planète

Le dumping agricole et ladestruction des aliments

Pour l’Indien Amartya SEN, prixNobel d’économie en 1998 etinvestigateur de longue date des questionsalimentaires, la "bonne gouvernance" estun rempart confirmé face à la famine : ellen’existe pas dans les pays démocratiques,même très pauvres11. Sylvie BRUNEL faitune analyse semblable. Selon elle, iln’existe plus une seule famine, sur notreplanète mondialisée, qui ne soit paspolitique. "Aujourd’hui, quand une simplepénurie alimentaire dérive jusqu’àprovoquer la rupture absolue del’approvisionnement en nourriture pourdes populations entières, et jusqu’au décèsde dizaine de milliers de personnes, c’estqu’on l’a toléré, voire encouragé !12"

Pour Patrick PIRO du journall’Événement, le scandale de la faim "setransforme en amoralité profonde pour lespays occidentaux quand les subventionsservent à financer l’exportation de surplusd’un secteur agricole - qui a reçu près de400 milliards d’euros de soutien en 2001dans les pays de l’OCDE -, qui vontdirectement concurrencer les agriculturesdes pays en développement. En moins dedix ans, le cheptel d’Afriquesubsaharienne en viande rouge et blanchea été divisé par deux, devant l’afflux decarcasses de bovins ou de pouletsbradées ".13

Sur un autre plan, un auteur évoquela destruction de la nourriture. KhaledELRAZ écrit : "les chiffres sontaccablants : le monde contemporain

11 Lire son entretien dans le journal le Monde,Paris, 12/06/2002.12 Cité par Patrick PIRO, "Le scandale de la faim",in l’Événement du 26 décembre 2002.13 Ibidem

détruit quotidiennement des centaines demilliers de tonnes de nourriture inutilisée :stocks agricoles occidentaux et enparticulier européens, réserves inutiliséesdans les "pays riches" et même dans ungrand nombre de "pays moins avancés".Dans le même temps, 850 millions de noscontemporains restent le ventre vide, enproie à la plus grande détresse 14".

Pour sa part, Jean ZIEGLER, déjàcité, dénonce la concurrence déloyale despays riches vis-à-vis des pays pauvres. Ilaffirme qu’en subventionnant sonagriculture, l’Europe pratique "dudumping agricole sur les pays africains".Résultat : "sur n’importe quel marchéafricain, vous pouvez acheter, (…) desfruits, des légumes,… belges, portugais,italiens, espagnols à la moitié ou au tiersdu prix du produit agricole équivalentafricain15".

Le pillage des richesses

Pour faire vite, je vais vous citerdes passages très éclairants d’un petit livreintitulé "Bush le cyclone"16 On y litnotamment : "si l’Espagne et l’Europe ontcommencé à devenir riches au 17e siècle,c’est parce qu’elles ont volé l’or etl’argent de l’Amérique latine enmassacrant les Indiens et sans rien payer.Si la France, l’Angleterre et les États-Unissont devenus si riches, c’est grâce àl’esclavage, c’est en volant des êtreshumains à l’Afrique. Sans rien payer. Siles mêmes et la Belgique, et la Hollandesont devenus si riches à partir du 19e

siècle, c’est en volant les matièrespremières de l’Afrique et de l’Asie. Sansrien payer." (p. 15-16) "Depuis cinqsiècles, nos grandes sociétés occidentalesont pillé les richesses du tiers-monde, sansles payer. On pourrait faire un tableau dechaque pays riche et montrer l’originehonteuse de chacune de ses grandesfortunes. On pourrait faire l’histoire de

14 Khaled ELRAZ, "Le scandale de la faim. LaFAO vient de révéler l’échec de la lutte contre lafamine ", in Afrik.com, Paris, 01/11/2006.15 Cité par Afrik.com, Paris, 16/10/2007.16 Michel COLLON, "Bush le cyclone", Leséditions Oser dire, Paris, janvier 2006.

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chaque pays pauvre et montrer qui l’apillé et comment. Bref, nous – ou plutôt :certains d’entre nous – sommes desvoleurs, et c’est pour ça que nous sommesriches : voilà ce qu’on ne peut absolumentpas dire dans les médias". (p.16). Ce voln’est pas un fait historique passé. Il seperpétue aujourd’hui encore caché sous lafausse rhétorique de "la démocratielocale". "Le néocolonialisme continue etperfectionne l’exploitation". (p.16) Lafixation unilatérale et tyrannique des prixdes matières premières et le poids de ladette étranglent le Sud. "C’est lui (leNord) qui devrait rembourser ce qu’il avolé ! ".

Le vrai problème de la dette

Nous avons indiqué plus haut lessommes astronomiques que les paysendettés doivent débourser et quidépassent de bien loin ce qu’ils ont reçu.Selon Rudolph STRAHM, l’aide des paysriches aux pays pauvres n’est pas octroyéeselon les besoins, mais selon lagéopolitique. Ainsi, les pays richesfinancent plus facilement les projets dits"présidentiels" que les projets agricoles,qui sont les premiers touchés en cas decompression. Pour se faire une idée :dans les années 1965-70, un Israélienrecevait comme aide annuelle audéveloppement 36 $ US, contre 3,4 $ pourun Burundais, 3,2 $ pour un habitant de laHaute-Volta et 2,1 $ pour un Hindou(Inde). Dans le même ordre d’idées, laBanque mondiale et les États-Uniscoupèrent tout crédit et toute aide augouvernement socialiste d’ALLENDE(Chili) qui venait de remporterdémocratiquement les élections et quiavait entrepris une réforme agraire enfaveur des paysans. Ils les rétablirent etmême les augmentèrent dès l’arrivée aupouvoir du dictateur AugustoPINOCHET17. Pour rappel, le GénéralPINOCHET a renversé et assassiné lePrésident ALLENDE avec le concourstrès actif du gouvernement américain (laCIA en tête) et de quelques

17 Rudolph STRAHM, "Pourquoi sont-ils sipauvres ?", éditions la Baconnière, Neuchâtel,1981, p. 14.

multinationales américaines (dont ITT).La Télévision suisse romande a consacré àce coup d’État une célèbre enquêtediffusée dans son émission "Tempsprésent". Elle vaut la peine d’être vue.

Le rôle criminel desmultinationales

Parlant des multinationales, MichelCOLLON déjà cité note que pour mieuxexploiter le Sud, les multinationales sefixent des objectifs. À savoir : contrôlerles matières premières, contrôler les mainsd’œuvre qualifiées et bon marché etdominer les marchés pour vendre leursproduits.

La réalisation de ces objectifs passepar une stratégie : la provocation de laguerre. Ainsi, la guerre contre la RDCongo (menée par l’intermédiaire duRwanda, de l’Ouganda et de certainesmilices) est une guerre pour les bénéficesdes multinationales du diamant, du coltan,de l’uranium et d’autres minerais. Or onsait justement, comme le notent lesauteurs d’un document publié en ce moisd’avril à Bruxelles, que "la RD Congo estun des pays les plus riches au monde d’unpoint de vue géologique. Les diamantsainsi que les minerais, comme l’or, lecuivre, l’étain, le coltan et le cobalt, sontles principales ressources minières dupays. Les réserves sont importantes : laRD Congo possède la deuxième réservemondiale de cuivre et la première decobalt. La plupart de ces ressources sontsituées au Sud et à l’Est du pays, régionsâprement disputées lors de la guerre18".

Contrairement donc aux idéesreçues, la majorité de guerres africainesne sont pas le fruit de ce qu’un auteurfrançais appelait "le nazisme tropical".Selon Michel COLLON, "la science et lesscientifiques fabriquent les idéologiesjustificatrices de ces guerres. Souvent, ils

18 Alexia de JONGHE et Anne –Sylvie BERK,"Des conflits liés aux ressources naturelles : le casdu Pérou et de la République Démocratique duCongo. Quel impact sur la souverainetéalimentaire ?", Commission Justice et paix Europe,Bruxelles, 15 avril 2008, p. 17.

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appartiennent aux grandes universités duNord ou aux groupes dirigeant les grandsmédias. "Il y a quelques années, unéconomiste réputé, Ian ANGELI,chroniqueur du Wall Street Journal et duFinancial Times, déclarait devant unparterre invité par la firme Unisys : ‘Il y asix milliards d’êtres humains sur terre,dont cinq milliards ne pourront jamais êtreutilisés. Il ne sert à rien de vouloir lesaider. Les États n’ont rien à y gagner."(p.76) Il y a des bouches de trop. Des gensqui "ne pourront jamais être utilisés".Dans ce contexte, la Stratégie pour laRéduction de la Population (dont parleSusan GEORGE dans le Rapport Lugano,Paris, Fayard, 2000) utilise la tactique dela guerre pour éliminer "ces hommes etfemmes de trop".

L'organisation de la famine et lacriminalisation de ceux qui la fuient

La formulation n’est pas de moimais de Jean ZIEGLER déjà cité. Je mepermets encore de le citer longuement, carce qu’il dit est si juste et il parled’autorité. Nous lisons donc :"La fuite des Africains par la mer estfavorisée par une circonstanceparticulière : la destruction rapide descommunautés de pêcheurs sur les côtesatlantique et méditerranéenne ducontinent. Quelques chiffres. Dans lemonde, 35 millions de personnes viventdirectement et exclusivement de la pêche,dont 9 millions en Afrique. Les poissonscomptent pour 23,1 % de l’apport total deprotéines animales en Asie, 19 % enAfrique ; 66 % de tous les poissonsconsommés sont pêchés en haute mer,77 % en eaux intérieures ; l’élevage enaquaculture de poissons représente 27 %de la production mondiale. La gestion desstocks de poissons dont les déplacementss’effectuent tant à l’intérieur qu’àl’extérieur des zones économiquesnationales revêt donc une importancevitale pour l’emploi et la sécuritéalimentaire des populations concernées.

La plupart des États de l’Afriquesubsaharienne sont surendettés. Ilsvendent leurs droits de pêche à des

entreprises industrielles du Japon,d’Europe, du Canada. Les bateaux-usinesde ces dernières ravagent la richessehalieutique des communautés de pêcheursjusque dans les eaux territoriales. Utilisantdes filets à maillage étroit (interdits enprincipe), elles opèrent fréquemment endehors des saisons où la pêche estautorisée. La plupart des gouvernementsafricains signataires de ces concessions nepossèdent pas de flotte de guerre. Ils n’ontaucun moyen pour faire respecterl’accord. La piraterie est reine. Lesvillages côtiers se meurent.

Les bateaux-usines trient lespoissons, les transforment en surgelés, enfarine ou en conserves, et les expédient dubateau aux marchés. Exemple : la Guinée-Bissau, dont la zone économique abrite unformidable patrimoine halieutique.Aujourd’hui, pour survivre, les Bissagos,vieux peuple pêcheur, sont réduits àacheter sur le marché de Bissau – au prixfort – des conserves de poisson danoises,canadiennes, portugaises.

Plongés dans la misère, ledésespoir, désarmés face aux prédateurs,les pêcheurs ruinés vendent à bas prixleurs barques à des passeurs mafieux ous’improvisent passeurs eux-mêmes.Construites pour la pêche côtière dans leseaux territoriales, ces barques sontgénéralement inaptes à la navigation enhaute mer.

Et encore… Un peu moins d’unmilliard d’êtres humains vivent enAfrique. Entre 1972 et 2002, le nombred’Africains gravement et en permanencesous-alimentés a augmenté de 81 à 203millions. Les raisons sont multiples. Laprincipale est due à la politique agricolecommune (PAC) de l’Union européenne.

Les États industrialisés del’Organisation de coopération et dedéveloppement économiques (OCDE) ontpayé à leurs agriculteurs et éleveurs, en2006, plus de 350 milliards de dollars autitre de subventions à la production et àl’exportation. L’Union européenne, enparticulier, pratique le dumping agricole

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avec un cynisme sans faille. Résultat : ladestruction systématique des agriculturesvivrières africaines"19.

Les fameux Accords de partenariatéconomique (APE)

Dans le même esprit d’uneéconomie prédatrice de la part des paysriches, ceux-ci viennent d’inventer lesAccords de partenariat économique(APE), puisque le mot partenariat est à lamode. De quoi s’agit-il ? Selon le dogmeprincipal des pays riches, les APE sontcensés remplacer les accordscommerciaux préférentiels signés entrel’UE et les pays AfriqueCaraïbes/Pacifique (ACP). Ces accordsexpiraient en décembre 2007 et l’UE aexercé des pressions énormes sur les paysACP pour signer les APE avant cette datefatidique.

Or comme le souligne – parmi biend’autres – la Fédération internationale desdroits de l’homme (FIDH), il existe "desimpacts négatifs potentiels de ces accordssur les droits économiques et sociaux dansles pays africains et en particulier sur ledroit à l’alimentation, à la santé, au travailet au développement (..)". La FIDHdénonce "l’insistance de la Commissioneuropéenne à éliminer les taxes àl’exportation, utilisées par plusieurs paysafricains pour obtenir des revenus. Lasuppression de ces taxes pourrait entraînerune baisse des dépenses publiques dansdes domaines pourtant vitaux tels que lasanté et l’éducation. Elle entraînera aussila désintégration régionale puisqueplusieurs pays isolés ont signé des accordsintérimaires, ce qui est susceptibled’affecter les relations commerciales avecd’autres pays de leur région puisque laCommunauté de développementd’Afrique australe (SADC) et l’Uniondouanière d’Afrique australe ressortenttrès divisées des négociations. Et ceci esten contradiction avec l’un des objectifsannoncés des accords de partenariatéconomiques : celui de développer et

19 Jean ZIEGLER, "Réfugiés de la faim", articledéjà cité.

renforcer l’intégration régionale. Plusgrave : des clauses de sauvegardeinappropriées (manque de flexibilité,procédures lourdes, durée limitée) qui nepermettent pas une protection adéquate del’agriculture et des industries fragiles.L’insistance de la Commissioneuropéenne pour obtenir des engagementssur les services et l’investissementdépasse les exigences des règles del’Organisation mondiale du Commerce(OMC)"20.

Le pillage des cerveaux des payspauvres

Il n’est un secret pour personne queles pays riches pillent aussi les matièresgrises des pays pauvres. Alors qu’ils onttout le temps à la bouche la défense desdroits de l’homme, ils ne s’empêchent pasde soutenir – et même de sauvermilitairement - des dictatures pour leursintérêts politiques et économiques. Pourne parler que de l’Afrique, ce sont cesdictatures qui obligent les meilleurscerveaux à quitter leurs pays, fuyant lamort, la prison, la misère afin de chercherun espace de liberté et d’épanouissement.

Pour ne prendre qu’un exemple,citons celui de la santé. Selon unedépêche de l’association burundaise dedéfense des droits de l’homme ITEKA,citant les propos d’un médecin canadien ;"le recrutement massif de personnels desanté africains par les pays riches devraitêtre considéré comme un crimeinternational (...) car la fuite des cerveauxhypothèque l’avenir des systèmes de santéafricains. Certes ce commerce, car c’estvraiment de cela dont il s’agit, n’est pasnouveau. Le problème a même fait l’objetd’un rapport spécial à la dernièreConférence des Nations unies sur lecommerce et le développement. C’estpourtant la première fois qu’il est assimiléà un crime, et de surcroît, dans une revuescientifique de référence. Le recrutementintensif de personnels africains déstabiliseles systèmes de santé locaux. Il contribue

20 Lettre de la FIDH aux Chefs d’État et degouvernement de l’Union africaine (UA) réunis au10ème Sommet, Paris, 31/01/2008, 2 p.

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aux crises sanitaires majeures que connaîtle continent (...). Nous sommes face à uncrime international. Des pays comme laGrande-Bretagne, les États-Unis,l’Australie, le Canada, l’Arabie Saouditeet les Émirats arabes unis régulent leurpopulation médicale en recrutantnotamment en Afrique subsaharienne.

Le résultat est accablant : laTanzanie par exemple se retrouve avec800 professionnels de santé pour 40millions d’habitants. Soit 0,02 pour 1.000habitants. L’Éthiopie et Madagascar font àpeine mieux, avec un taux de 0,03 tandisqu’au même moment, la Grande-Bretagnealigne 2,30 médecins pour 1.000habitants. Cerise sur le gâteau, les paysrecruteurs prennent dans leurs filets lesmeilleurs éléments du continent africain.Médecins, infirmiers, pharmaciens, tousterminent leurs études en Afrique avant legrand départ. Le Royaume-Uni a ainsiéconomisé 86 millions d’euros grâce aurecrutement de médecins ghanéens entre1998 et 2002"21.

Pour revenir au climat, on sait bienque ce sont les pays industrialisés quipolluent la planète mais que lesconséquences dramatiques s’abattent surles pays pauvres qui n’ont aucun moyenpour les réguler.

Les investissements dans la guerreplutôt que dans la paix et l’alimentation

Dans son livre "Les stratèges de lafaim", Susan GEORGES écrivait en 1981: "une campagne pour éliminer la mouchetsé-tsé en Afrique permettrait de mettre envaleur une zone de culture et de pâturagepresque aussi grande que les États-Unis.Une telle campagne coûterait plus oumoins 2,5 milliards de dollars... Ensuite,le développement de la technologiepermettrait de mettre en culture 10millions d’hectares par année. Endépensant 90 milliards de dollars dans les10 prochaines années, il serait possible derendre productifs 70 millions d’hectaressupplémentaires, de réaliser d’énormesprojets d’irrigation et de rénover la plupart

21 Ligue ITEKA, "Afrique : le pillage des cerveauxcontinue ", Bujumbura, 7 Avril 2008.

des systèmes d’irrigation inadéquatsexistant aujourd’hui. A titre decomparaison, le monde a dépensé 350milliards de dollars en armement pour laseule année 1976"22.

Dans le même ordre d’idées, en1979, le monde a consacré 400 francsfrançais par personne pour l’armementalors que l’ONU ne recevait que 57centimes et les opérations internationalespour le maintien de la paix...5 centimes..La même année, le monde a consacré 468millions de dollars à la recherche agricolecontre 10,6 milliards de dollars à larecherche militaire.

Le gaspillage des biens de laplanète

Dans les années 1988, la populationdes pays riches consommait à elle seuleles 7/8 de toutes les ressources de laplanète. A eux seuls, les Américains quine représentaient que 6% de la populationmondiale consommaient plus ou moins50% de toutes les ressources mondiales.Ainsi, un Américain consommait, en1970-1972 , 910 kg de céréales contre 194kg pour un habitant des pays pauvres. Des910 kg, les États-Unis consacraient 70 kgà l’alimentation humaine directe et 840 kgà l’alimentation animale23 En 1980, unAméricain consommait autant d’énergiesque 1.100 Rwandais.

Les causes réelles, structurelles côtépays pauvres

J’en évoque sept : les détourne-ments, la corruption et la mauvaisegestion, les inégalités sociales tropcriantes, la fuite des capitaux, la mise àl’écart de l’agriculture, le manque deplanification et de projets de société et lemanque d’une vision commune régionaleet continentale.

Les détournements

Vous connaissez sûrement lablague qui court à propos de deuxministres des travaux publics français et

22 Susan GEORGE, " Les stratèges de la faim ",éditions Grounauer, Genève, 1981, p. 344.23 Rudolph STRAHM, op. cit., p. 14.

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congolais. Selon l’histoire, le ministrecongolais participe à une réunion enFrance puis rend une visite de courtoisie àson homologue français. Il admirebeaucoup sa villa et lui demande commentil a fait pour se construire une si bellemaison compte tenu de son salaire. Leministre français l’amène à la fenêtre etlui montre une autoroute. "Tu vois cetteautoroute ? J’ai demandé à l’entrepreneurde raccourcir la largeur de quelquescentimètres et cela m’a permis de meconstruire cette villa".

Quelque temps plus tard, leministre français participe à une réunionau Congo. Après la réunion, il rend unevisite de courtoisie à son homologue. Cedernier l’amène dans un véritable château,tellement le bâtiment était grand,somptueux avec tout ce qu’il y a de plusriche, de plus cher, du parquet aumobilier. Le Français s’exclame et dit :"Quand tu es venu chez moi, tu as admiréma villa qui est une véritable hutte à côtéde la tienne. Pourtant, un ministrecongolais gagne un salaire de loininférieur à celui d’un ministre français".Le ministre congolais mène alors sonvisiteur à la fenêtre de ce beau joyauartistique situé sur une haute colline etdominant tout le paysage. "Tu vois cetteautoroute ?" lui demande-t-il. Le Françaisa beau regarder dans toutes les directionset jusqu’à l’horizon mais il ne voit rien.Alors il dit à son hôte : "Mais je ne voispas d’autoroute". "Justement", lui répondle ministre congolais. Cela se passe decommentaire.

La corruption et la mauvaisegestion

Je ne connais pas un seul paysafricain où l'on ne dénonce pas ces deuxmaux. Pour évoquer rapidement deuxexemples, je prendrai le cas du Burundi,mon pays natal et celui de la RD Congo.Au Burundi, selon deux études publiéesen mars 2006 et novembre 200724 par le

24 FORSC, "Étude sur la problématique de lacorruption au Burundi ", Bujumbura, 28 mars 2006,23 p. et "Décryptage du phénomène de la

Forum pour le Renforcement de la Sociétécivile (FORSC), "la corruption estdevenue un phénomène social total. Ellerenvoie à toutes les sphères de la viesociale (économique, sociale, juridique etpolitique)". Pour sa part, l’Observatoire delutte contre la corruption et lesmalversations économiques(OLUCOME), association agréée endécembre 2002, a déjà traité 7.219 cas decorruption et de malversations diverses.

Selon cette organisation, au 30 juin2007, le manque à gagner pour l’Étatburundais était de 186.303.827.008 francsburundais (Fbu). Pour votre information,1 €s’échange aujourd’hui contre 1.800Fbu et le salaire d’un fonctionnaire moyenest de plus ou moins 40.000 Fbu, soitmoins de 25 €. Parmi les cas traités parOLUCOME se trouve un avion "Aluette"importé d’Espagne le 23 septembre 1998pour un montant de 650.000.000 Fbualors qu’il manquait des pièces maîtresses.Cet avion n'a jamais volé. L’OLUCOMEaffirme que pour les années 2006-2007,c’est la moitié du budget national qui a étédétourné. A ce jour, aucun coupable n’aencore été puni.

Dans le cas de la RD Congo, laLigue congolaise de lutte contre lacorruption (LICOCO) a dressé, le 23novembre 2007, la liste des 10 principalespersonnalités qui se sont livrées à desdétournements. Le plus petitdétournement est d’un demi million dedollars et le plus grand de plus de 100millions de dollars.25 La mêmeassociation a publié pour l’année 2006 laliste des "cabinets ministériels les plusgourmands de l’année budgétaire 2006."26

Sur 44 ministères étudiés, certainsconsacrent entrent 50% et 99,5% de leursbudgets au fonctionnement du Cabinetministériel. On peut citer notamment leministère de la Fonction publique : 99,5%,le ministère des Sports et Loisirs : 87%, le

corruption au Burundi", Bujumbura, 22 novembre2007, 14 p.25 LICOCO, "Hit parade des meilleurs détourneursdes deniers publics pour l’année 2007 en RDCongo ", Kinshasa-Oslo, 23 novembre 2007, 10 p.26 LICOCO, janvier 2007, 14 p.

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Ministère du Tourisme : 59%, leMinistère des Affaires sociales : 54,7%, leMinistère du Travail et de la Prévoyancesociale : 53,6%.

Les inégalités sociales trop criantes

Lors d'un séminaire internationaltenu à Addis-Abeba (Éthiopie), le 1er mars2008, le directeur général du ministèreéthiopien du Commerce et de laCoopération, M. SEYDOU GUÈYE, adéploré une croissance de la pauvreté enAfrique subsaharienne malgré lacroissance économique de ces pays. "Endépit de la croissance économique desdernières années, a-t-il dit, l'Afriquesubsaharienne est la seule région endéveloppement où le nombre de pauvresn'a cessé de croître". D'après les dernièresstatistiques de la Commission économiquepour l'Afrique, les pays du continent ontconnu une croissance constante supérieureà 5% depuis 2004, avec un record de 5,7%en 2006. "Malgré les signes de croissanceéconomique, l'Afrique demeure encore enmarge du processus de mondialisation" et,selon le représentant sénégalais à cetteconférence, "l'ouverture des marchésafricains, qui aurait dû augmenter lesrichesses nationales, a au contraire eul'effet de marginaliser davantage lecontinent et ne s'est pas révélé un facteurde croissance. L'Afrique représente moinsde 2% du marché planétaire alors quedans les années 80, elle en occupait 12%.27 En cause, la richesse est concentréedans les mains d’une infime minorité et lamajorité vit dans la misère.

Autre signe de ces inégalités, le casdu Brésil. En 1988, ce pays était unemoyenne puissance. Son PIB est passé de1965 à 1985 de 220 à 1.575 dollars US. Ilétait le deuxième producteur de soja, lepremier producteur mondial de sucre et decafé. Il était dans les 5 premiersproducteurs mondiaux pour 18 produitsagricoles et il était sur le point de se doterde la technologie nucléaire. De 1965 à1974, l’accroissement de sa production

27 DIA, "Afrique subsaharienne : malgré lacroissance, la pauvreté ne cesse de croître ", Addis-Abeba, le 1 mars 2008, 1 p.

avait été de 6,3% contre 2,9% decroissance démographique. Pourtant, desmillions de Brésiliens mouraient de faimou de malnutrition.

La fuite des capitaux

Dans son livre "Silence d’argent, laSuisse, carrefour financier"28, UrsHAYMOZ écrit que sur la bagatelle deplus ou moins 24 milliards $ US de dépôtsbancaires étrangers en Suisse en 1979,"90% venaient des pays pauvres et étaientdes capitaux en fuite". En août 1988, lapresse suisse a révélé que l’ex-PrésidentJoseph MOBUTU de l’ex-Zaïre avaitdéposé dans les banques suisses plus oumoins 18 milliards $ US, soit plus que ladette totale des pays de la région desGrands Lacs africains. Dans ce mêmeordre d’idées, l’Agence France Presse(AFP) a révélé, que le 19 juin 2007, leparquet de Paris avait ouvert une enquêtepréliminaire contre les chefs d’État duGabon (Omar BONGO) et du Congo-Brazzaville (Denis SASSOUN'GUESSO). La plainte venait de troisassociations :"Sherpa", un réseauinternational de juristes ; "Survie", quidénonce le soutien de Paris à desdictateurs africains, et la "Fédération desCongolais de la diaspora". Elles accusentces chefs d’État de posséder en France desbiens financés par de l’argent publicdétourné, ce qui s’appelle "recel dedétournement de biens publics". Cesplaintes ont provoqué des tensions dansles relations diplomatiques entre la Franceet ces deux pays. Résultat : l’enquête aété classée sans suite.

La mise à l’écart de l’agriculture

Afrede MULELE, paysan zambien,président d’une coopérative laitière de larégion de Kazungula dans le sud du pays,participait au Sommet du développementdurable qui se tenait à Johannesburg.Voilà ce qu’il dit de son gouvernement :"Avec la vague néolibérale, l’État s’estdésengagé de son soutien à l’agriculture.

28 Urs HAYMOZ, "Silence d’argent. La Suisse,carrefour financier", éd. CETIM, Genève 1979, p.34.

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Le marché intérieur s’est complètementdérégulé. Personne pour s’occuper dutransport, des routes, du stockage, desprix. L’agriculture locale était en train demourir à petit feu. L’an dernier, legouvernement a commencé à faire marchearrière. Mais il faudra du temps.Aujourd’hui, on attend l’aidealimentaire...".

Le manque de planification et deprojets de société

Quand surviennent des catastrophesen Afrique – sécheresse, pluiestorrentielles ou autres – un bon nombred’autorités réagissent en appelant à l’aide.Une fois la catastrophe passée ouatténuée, elles oublient cette catastrophejusqu’à la prochaine. Aucune mesure n’estprise pour y faire face. Pourtant, lessolutions pourraient être très simplescomme profiter des saisons de très bonnesrécoltes pour stocker le surplus et prévenirl’avenir. Or comme le souligne OXFAM,pour résister aux changementsclimatiques, "les communautés doiventaméliorer leur résistance en adoptant destechnologies adéquates et en diversifiantleurs moyens de subsistance afin desurmonter le stress climatique à venir,d’une ampleur jamais expérimentée parl’être humain. Les ministères doiventapprendre à planifier et budgétiser entenant compte de l’incertitude climatique.Les infrastructures nationales – neuves ouanciennes – telles que les hôpitaux, lesréservoirs et les routes, doivent êtreconçues ou adaptées pour résister auxvariations climatiques".

Le manque d’une vision communerégionale et continentale

Il existe dans l’Afriquesubsaharienne une multituded’organisations régionales etcommerciales. On peut citer notammentla Communauté de l’Afrique de l’Est(East African Community – EAC), leMarché commun de l’Afrique australe(Common Market for Eastern andSouthern Africa – COMESA), laCommunauté pour le développement del’Afrique australe (Southern AfricanDevelopment Community – SADC) et laCommunauté économique des Pays desGrands Lacs (CEPGL) qui regroupe leBurundi, la RD Congo et le Rwanda. Bienque ces organisations existent depuislongtemps, on ne sent pas beaucoup leurdynamisme dans la vie des populations deces pays. Cette dernière organisation a étémise à mal par les guerres qui ont déchiréla RD Congo depuis 1996 et sa relancesous les pressions européennes se fait àpas de tortue. Ainsi, aux dernièresnouvelles, la RD Congo n’a toujours pasenvoyé de représentants au secrétariatgénéral de l’organisation et lescontributions financières des trois paysmembres (Burundi, RD Congo etRwanda) se font toujours attendre.Rappelons que dans le passé, la CEPGLavait dépendu de dons de l’UnionEuropéenne (UE). On voit aussi quemalgré l’appel pressant de la Libye,l’Union africaine (UA) peine à prendreréellement son envol. (à suivre)

Joseph NTAMAHUNGIRO

VENTE DE "L'AFRICAIN" AU NUMÉRO

L'Africain est en vente dans les librairies suivantes :A Bruxelles :

Librairie U.O.P.C, Avenue Gustave Demey 14-16 1160 BRUXELLESA Louvain-la-Neuve :

Librairie Agora, Agora 11 1348 LOUVAIN-LA-NEUVE

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Pourquoi l’inflation mondiale frappe-t-elle aussi durementl’Afrique ? D’où vient-elle ? Que faire pour l’avenir ?

lors que l’Afrique est uncontinent majoritairementagricole, la FAO affirme

que de nombreux pays africains dont leSénégal, l’Égypte, le Burkina Faso, leBurundi, la Centrafrique, la Guinée-Bissau, le Lesotho, la Mauritanie, leLibéria, La Sierra Leone, la Somalie, leZimbabwe, le Kenya, l’Ouganda,l’Érythrée, la RD Congo, le Congo-Brazzaville, le Soudan, le Swaziland, leTchad et la Côte d’Ivoire sont largementtouchés par la pénurie des denréesalimentaires. Quels sont les facteursconjoncturels et structurels qui expliquentpourquoi l’Afrique est aussi farouchementtouchée par l’inflation mondiale ? Quellespolitiques de développement adopter poury remédier dans l’avenir ?

Les facteurs conjoncturels interna-tionaux

La crise des subprimes

L’économie mondiale connaît unepériode de récession entraînée par unconcours de plusieurs phénomènes. Auniveau du système financier international,tout a commencé avec les subprimes, cescrédits immobiliers à taux variablesconsentis abondamment par les banquesaméricaines aux ménages sans tenircompte de leurs capacités deremboursement. Il y a eu ensuite unehausse des taux d’intérêts qui, les créditsétant à taux variables, a gonflé le montantque les ménages américains devaientrendre à leurs banques pour rembourserleurs crédits. Conséquence, les maisonsont été saisies par les banques et venduesavec une grande décote financière, nonseulement parce que l’offre de maisonsétait largement supérieure à sa demande,mais aussi parce que les banques avaientun besoin urgent de combler le gouffreque les crédits consentis avaient creusédans leurs fonds propres. Ces expulsionset ventes en cascade de maisons ontentraîné la hausse des créances douteuses

dans les bilans des banques qui s’étaienten plus lancées dans des opérations detitrisation complexes (transformation descrédits immobiliers en valeurs mobilières)entre elles au sein du marché interbancaire(marché où les banques s’échangent leursexcédents et leurs déficits), et des marchésfinanciers : d’où la crise des subprimesqui, étant donné le caractère interconnectédu système bancaire international et lepoids du système financier américain,affecte la politique de crédit internationalepar la hausse des taux débiteurs et la pertede confiance entre les banques dontcertaines, comme Gordon Rock, sonttombées en faillite. En conséquence, laRéserve fédérale américaine (FED) et laBank of England sont intervenues pourinjecter des liquidités dans l’économie quien avait grand besoin : cet enchaînementde faits constitue la première cause del’inflation mondiale actuelle.

La hausse du prix du pétrole

Le pétrole est la principale sourced’énergie des économies industrialisées.Son prix est en hausse en ce moment(114 $ le baril) parce que sa demande aaugmenté plus que d’habitude suite àl’industrialisation rapide notamment de laChine et de l’Inde qui, avec des systèmesproductifs hautement énergivores et leursimmenses populations, consommentbeaucoup de pétrole pour alimenter leurcroissance à deux chiffres. En outre, latendance haussière du prix du pétrole serenforce par le fait que l’énorme déficitpublic américain et la crise des subprimesentraînent une défiance vis-à-vis du dollaraméricain au bénéfice du pétrole.Autrement dit, le pétrole voit encore sademande augmenter parce qu’il devientplus sûr d’avoir des actifs libellés en ornoir qu’en dollar américain : il devientune valeur refuge pour de nombreuxacteurs économiques. C’est la deuxièmesource de l’inflation mondiale.

A

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La hausse et la diversification de lademande des produits alimentaires

Cette hausse est due à troisprincipaux paramètres. D’abord, lanaissance des classes moyennes dans denombreux pays émergents (Chine, Inde,Brésil…) entraîne une homogénéisationdes habitudes alimentaires entre l’Asie,l’Occident et l’Amérique latine. D’où uneaugmentation des prix liée au fait que lahausse de la demande mondiale dedenrées alimentaires est plus grande quecelle de l’offre. Ensuite, le fait queplusieurs pays fassent des recherches surles biocarburants entraîne tant une haussesupplémentaire de certains produitsagricoles de consommation courantequ’une concurrence entre la demandemondiale pour consommer, et la demandemondiale pour fabriquer des biocarburantsdevenus plus attractifs suite à la flambéedu prix du baril. Il en résulte une raretédes produits alimentaires alors que lademande se diversifie et augmente. Enfin,échaudés par la crise des subprimes, denombreux spéculateurs se sont mis àplacer leurs ressources financières sur lesmatières alimentaires (soja, riz, maïs,blé…) qui voient ainsi leurs prix s’envoleren un temps record : c’est la troisièmecause de l’inflation mondiale.

L’impact des facteurs conjoncturels surles structures productives africaines

Quels sont les facteursmultiplicateurs des effets de cetteconjoncture économique internationalesur les populations africaines ?

Un environnement politiquefavorable aux émeutes

Il faut dire que la hausse des prixgénéralisée qui frappe de nombreux paysafricains agit surtout comme "la goutted’eau qui fait déborder le vase" dessouffrances sociales endurées par despopulations au sein de régimes instables,peu crédibles et largement contestés.Situation qui constitue un terreau fertileaux émeutes urbaines dont les mobiles nesont pas seulement la hausse des prix,

mais des problèmes sociopolitiques defond ayant depuis longtemps mis lespopulations "sur les dents". La hausse desprix des denrées alimentaires ne constitueainsi que l’élément en trop qui sert dedétonateur à l’embrasement général.Autrement dit, la hausse des prix affectebien la Côte d’Ivoire, le Tchad, le Soudan,le Kenya ou le Zimbabwe, mais elle vientse greffer sur une situation sociopolitiquedéjà hautement conflictuelle, délétère etexplosive que seul le fait de manger à safaim tempérait encore. Le prototype de cecas est le Cameroun qui, bien queconnaissant une inflation des produits debases, n’est pas cité par la FAO commeun pays connaissant une pénurie desproduits alimentaires. Ici, l’inflation estvenue renforcer l’exaspération et lafrustration d’une population qui acceptaitdéjà très mal le projet de révisionconstitutionnelle introduit par l’actuelprésident pour se maintenir au pouvoir advitam aeternam. Il apparaît ainsi quel’inflation mondiale se répercute avecd’autant plus d’ampleur sur l’Afriquequ’elle s’y joint à un ensemble desouffrances sociales et de contestationsdes régimes en place par les populationsafricaines.

Les systèmes financiers africains

Libéralisées depuis les ajustementsstructurels des années 1980, les grandesbanques africaines sont interconnectéesaux banques privées internationales encrise dont elles sont des filiales. Ceciétant, il va sans dire que la hausse du coûtdu crédit sur le plan international serépercute aussi sur le coût du crédit enAfrique pour celles des populations qui yont accès. Celles des populationsafricaines qui subissent le rationnementdu crédit du système bancaire officiel nesont pas épargnées. Elles sont doublementsanctionnées : d’un côté, les marchésfinanciers étant encore peu développés, labaisse de la masse monétaire qui résultedu manque de liquidité actuel, réduit lemontant du numéraire (pièces et billets)qu’elles utilisent abondamment dans lescircuits informels. De l’autre, ce manquede liquidité entraîne une hausse des taux

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d’intérêts informels pour ceux qui yempruntent. Il devient donc très difficilede consommer car avoir de l’argentdevient très coûteux et les prix desproduits augmentent parce que lemarchand du coin achète plus cher et vendaussi obligatoirement plus cher.

La division coloniale du travail

En ce qui concerne la structure deséconomies africaines et l’impact que laconjoncture internationale a sur elles, unechose banale mais fondamentale est àsavoir : la coopération entre les paysafricains et l’Occident n’a pas entraînéune modification et une diversification deleurs structures productives. Celles-cirestent confinées dans la production etl’exportation de produits primaires à trèsfaible élasticité-prix de la demande, etdans l’importation des produitsmanufacturés à haute valeur ajoutée etdonc, plus coûteux.

Les conséquences de cette réalitésont désastreuses. Primo, l’économieafricaine demeure dans une logique decomplémentarité alors que le moteur ducommerce international est laconcurrence. Secundo, les balancescommerciales africaines sontgénéralement déficitaires, car ce que lespays africains importent coûte largementplus cher que ce qu’ils exportent. Tertio,les pays africains sont en général dans unesituation de grande dépendance en ce sensque leur activité économique dépendlargement de facteurs externes qu’ils nemaîtrisent pas comme les conditionsclimatiques, les termes de l’échange et dela demande mondiale des produits debase. Étant donné que tous ces facteursréduisent inévitablement les capacités decréation d’emplois du marché du travailafricain, l’action première desgouvernements africains est de chercher àréduire drastiquement cette dépendancepar la diversification des structuresproductives.

En outre, le pétrole étant la variablecentrale des coûts de production desproduits manufacturés importés par les

pays africains, la hausse de son prix serépercute immédiatement sur leurs prix devente et, par conséquent, sur leconsommateur africain. La mondialisationrenforçant les interdépendances entre leséconomies, l’inflation internationale parles coûts que nous venons de mettre enévidence, atteint l’Afrique de plein fouetpar la détérioration de sa balancecommerciale sur le plan macro, et par uneérosion drastique du pouvoir d’achat desménages sur le plan micro. Donc, nonseulement l’extraversion des économiesafricaines amplifie leur sensibilité auxvariations des cours mondiaux de matièrespremières, mais il y a aussi, depuis lapériode coloniale, une éviction desproduits vivriers nécessaires à laconsommation courante par des produitsde rentes exportables (cacao, café, coton…). Un bémol s’impose cependant : lahausse du prix du pétrole apporte aussibeaucoup de ressources aux pays africainsqui en produisent mais dont lespopulations ne voient jamais la couleur.Les Camerounais en savent quelque choseétant donné que les ressources généréespar l’exportation de l’or noir ont toujoursété une affaire secrète entre la présidencede la république, le directeur de la SociétéNationale des Hydrocarbures (SNH) etleurs associés extérieurs.

Le chômage chronique et massifdes populations urbaines

Avec une structure productive trèsétroite et dépendante parce que confinéesur les produits de base, avec un systèmebancaire extraverti qui accorde plusfacilement un crédit pour acheter unePeugeot que pour faire de l’agriculture oupour créer une micro entreprise, avec desÉtats sous ajustements structurelsdraconiens et avec des dirigeantspolitiques plus enclins auxconsommations somptuaires qu’auxinvestissements productifs, le marché dutravail africain est incapable de fairetravailler de nombreux Africains parceque l’offre de travail y est largementsupérieure à la demande. En conséquence,les chômeurs structurels, conjoncturels,frictionnels, déguisés et techniques

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s’accumulent au point que les paysafricains connaissent actuellement unesituation de stagflation. C'est-à-dire, unétat de chômage élevé et d’inflationélevée au même moment. La masse dechômeurs étant sans ressources et sanssécurité sociale, les populations africainessubissent de plein fouet l’inflationmondiale qui érode encore plus leursmaigres revenus acquis dans l’économiepopulaire (informelle). Cela se traduit parle pain, l’huile, le riz, le sucre, la farine,l’essence qui deviennent hors de prix et,par conséquent, hors de portée del’Africain ordinaire. Même si lespopulations rurales subissent aussil’inflation par les coûts des produitsmanufacturés, le fait d’habiter en zonesrurales et donc, d’avoir ses champs, yatténue les effets dévastateurs del’inflation des denrées alimentaires parrapport aux zones urbaines où le pouvoird’achat règne en maître alors que lamajeure partie des citadins est auchômage.

Quelle politique de développementadopter ?

Les problèmes de structure fontappel au temps long nécessaire à leurmodification. Les mesures de court termesont conjoncturelles et ne peuvent avoirque des effets de circonstance. C’est le casde la hausse des salaires au Camerounalors que la majeure partie de lapopulation camerounaise se trouve dans lesecteur de l’économie populaire où elle neperçoit aucun salaire. Qui plus est, lesalaire est lui-même un prix (coût deproduction) dont la hausse ne fait querenforcer le cycle de l’inflation tout enplaçant les populations dans une situationd’illusion monétaire. C’est aussi le cas dela suppression des taxes à l’importation oude la réduction de la TVA comme en Côted’Ivoire, au Sénégal ou au Cameroun. LeBurkina Faso a créé une commissionparlementaire contre la "vie chère", leSénégal a annoncé la relance d’un"programme national d’autosuffisance" etla Sierra Leone vise désormaisl’autosuffisance en riz à l’horizon 2009.L’Égypte, qui a mobilisé les boulangeries

de l’armée pour faire face à la pénurie depain, a dû décider de suspendre pendantsix mois ses exportations de riz à partir du1er avril 2008. Éviter ces situations depanique exige non seulement unepolitique à long terme dont le but est derendre les structures capables d’amortirles effets conjoncturels internationaux,mais aussi d’avoir des politiquesprévoyants. Ceci passe par la mise enplace de structures productives moinsétroites et moins dépendantes, desbanques au service du développementendogène, la construction de lacoopération intra-régionale etinterrégionale et par des pouvoirspolitiques moins attentistes.

Un pouvoir politique compétent,prévoyant et axé sur l’amélioration dubien-être des populations

Comme le disait Max WEBER dansle savant et le politique, la fonction dupolitique est l’action. C’est lui qui doittransformer en réalités concrètes lesconclusions que les scientifiquesproposent comme solutions possibles auxproblèmes auxquels fait face une société.Dans le cas de l’Afrique, force est deconstater, en dehors de quelquesexceptions en Afrique du Nord et enRépublique d'Afrique du Sud, que lepolitique, au sens de mode de régulationd’un espace instable et conflictuel, estplus préoccupé par la satisfaction à courtterme d’intérêts généalogiques etclaniques, que par la prise et l’applicationde mesures structurelles pouvant assurerle bien-être à long terme des populations.C’est en grande partie à cause de lamédiocrité politique de ses dirigeants, quel’Afrique connaît encore, au niveau de sesstructures productives, les mêmesproblèmes que pendant l’État colonial.Comment, en effet, améliorer la vie despopulations et renforcer la légitimité d’unpouvoir lorsque l’aide publique audéveloppement est détournée à des finsprivées au même titre que les denierspublics qui auraient dû permettre d’élargirl'éventail des biens publics et de créer desemplois par des investissementsproductifs ? Les populations qui subissent

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les effets négatifs de cedysfonctionnement généralisé dans leurvie quotidienne s’appauvrissent de plus enplus et ne peuvent qu’être très durementfrappées par une hausse des prix qui obèreencore plus le coût de la vie.

C’est le même pouvoir politique quidoit faire de bons arbitrages entre lesobjectifs à poursuivre à court, à moyen ouà long terme. Il est paradoxal qu’un payscomme le Sénégal, importateur net deplusieurs produits alimentaires, se lancedans la recherche sur les biocarburantssans au préalable garantir sonautosuffisance alimentaire. Ledéveloppement durable est certesimportant, mais il ne peut se faire enoubliant la satisfaction des besoins desgénérations actuelles dont la mort excluttout futur. Un choix plus judicieux auraitété celui de nourrir d’abord les Sénégalaisavant de chercher du biocarburant pourleurs voitures qui, de toute façon, nepeuvent circuler si leurs conducteursmeurent de faim. L’autosuffisancealimentaire est la priorité des prioritésdans la mesure où aucun pays au mondene s’est développé sans elle.

De nombreux pays africainsdevraient aussi réformer leurs systèmeséducatifs hérités de la période colonialeoù les puissances coloniales avaient pourobjectif de formater les esprits africains àla culture occidentale. Ceux quiconnaissent l’Afrique sont sûrement aucourant du fait que les chômeurs sontgénéralement des hommes et des femmesnantis de plusieurs diplômes. Ils seretrouvent cependant très souvent auchômage parce qu’ils possèdent un stockinestimable de connaissances théoriqueset pratiques ne correspondant pas auxbesoins du marché du travail local : il enrésulte un chômage structurel massif carles têtes sont pleines d’acquis culturelsoccidentaux généralement inutiles etinadaptés au contexte africain. Ilappartient aux politiques de faire uneréforme des systèmes éducatifs ens’inspirant des demandes dedéveloppement qui s’expriment dans leurspays et leurs sous-régions.

Il est paradoxal, lorsqu’on analyseles économies africaines, de constater queles budgets sont majoritairement orientésvers les secteurs secondaires et tertiairesqui, certes, contribuent plus à la créationde la valeur ajoutée, mais créent aussi lemoins d’emplois pour les populations.L’économie populaire constitue pourtantun creuset dynamique d’initiatives etd’activités de circulation, de production,de consommation et de crédit desquelspeuvent s’inspirer les États africains pourpromouvoir des activités génératrices derevenus en parallèle des activitésd’import/export. Sans nier l’importancedes connaissances théoriques acquises àl’école occidentale, il est temps queplusieurs pays africains sortent du culte dudiplôme inutile pour s’orienter vers desconnaissances pratiques plus adaptées auxbesoins locaux et sous-régionaux.

Certaines mesures sont aussi àprendre vis-à-vis de la Chine. Ellespeuvent permettre aux Africains nonseulement d’accéder à l’emploi et demoins subir les effets de l’inflation, maisaussi de diversifier leurs structuresproductives. Il est connu de tousactuellement que les parts de marché de laChine sont désormais supérieures à cellesdes anciennes puissances coloniales enAfrique. Il est aussi connu que lacoopération sino-africaine n’est pasexploitée au mieux par les dirigeantsafricains. En voici quelques faits stylisés :

les Chinois gagnent des marchéspublics en Afrique mais viennentavec des travailleurs chinois dansleurs valises. Ils n’emploient doncles Africains que de façonrésiduelle et contribuent très peu àrésorber le chômage ;

les Chinois font de plus en plus del’agriculture en Afrique pourexporter en Chine et vendre enOccident ;

les entreprises chinoises nerecrutent les Africains que dans lespostes subalternes. Les politiquesafricains peuvent remédier à cette

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situation. Ceci peut se fairerespectivement par :

des contrats avec la Chine quiexigent plus de 60 % d’Africainsdans les chantiers et les marchéspublics que gagnent les entrepriseschinoises ;

une obligation de vendre localement50 % de la production agricolechinoise issue des terres africaines ;

une obligation d’avoir des Africainsqualifiés à des postes deresponsabilité ;

une exigence d’apprendre latechnologie aux techniciens africains.

Entre autres, de telles mesurespermettraient d’augmenter le pouvoird’achat et de former des compétences quiélargiraient les possibilités du marché dutravail africain. L’Afrique a des matièrespremières dont ne peut se passeractuellement la Chine. Il semble logiqueet possible de faire du donnant-donnant etde profiter de la présence chinoise pourélargir son marché d’emploi, et réduire sadépendance aux produits primaires enintroduisant des clauses contractuelles oùles Africains reçoivent des Chinois dessavoirs sur les procédés de fabrication desjouets, des motocyclettes, des vélos, desmontres, des téléviseurs, des chaussurespar le biais de joint-venture.

Privilégier et organiser la coopérationentre pays africains

Une autre solution pour éviter letype d’émeutes alimentaires que connaîtactuellement l’Afrique réside dans lerenforcement des accords politiques etéconomiques entre pays africains auxpotentialités variables, maiscomplémentaires. Un pays comme leCameroun, largement autosuffisant sur leplan alimentaire, connaît actuellement uneinflation du prix du carburant alors queses voisins les plus immédiats (Nigeria,Gabon et Guinée Équatoriale) sont degrands producteurs et exportateursmondiaux de pétrole. Étant donné d’unepart, que le Nigeria et le Gabon importent

des produits agricoles parce que leursecteur pétrolier a complètementdéstructuré leur secteur agricole(syndrome hollandais), et d’autre part,que le Cameroun importe du pétrole parceque sa production est de plus est plusfaible, il semble rationnel que leCameroun, le Nigeria et le Gabonétablissent des contrats commerciauxcomplémentaires sur la base pétrolecontre nourriture. De tels accordspermettraient à ces pays non seulementd’exploiter de façon plus rationnelle leursdotations factorielles différentes, maisaussi d’avoir la capacité de réguler leursprix dans le cadre de leurs échangesinterafricains.

Le renforcement de la coopérationentre pays africains est aussi fondamentaldans la recherche de solutions auproblème du chômage massif despopulations. D’où l’importance defaciliter la circulation des hommes entreplusieurs pays africains car la mobilité estun facteur d’intégration au marché dutravail. Tant qu’il sera plus difficile à unCamerounais d’aller en GuinéeÉquatoriale ou au Gabon pour chercher dutravail, qu’à un Français d’aller au Gabonou en Guinée Équatoriale pour le mêmemotif, chaque pays africain seraindividuellement incapable de donner del’emploi à tous ses citoyens au chômage.

Le marché du travail devrait êtreconstruit à l’échelle africaine et nonnationale. Les choses ne semblent pasaller dans ce sens comme le prouvent lesnationalismes égoïstes qui resurgissentdès lors qu’un pays, initialement prêt àcollaborer à l’intégration sous-régionale,se rétracte une fois d’énormes réserves depétrole découvertes sur son territoire.Comme quoi, un pays africain est plusenclin à collaborer avec les autres quand ilest pauvre, que quand il découvre qu’il estpotentiellement très riche : les citoyensdes pays voisins deviennent subitementdes profiteurs à pourchasser alors que cesont des potentialités à exploiter.

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Ajuster la coopération et certainespolitiques internationales en matière dedéveloppement

Il est un proverbe africain qui ditque "l’homme le plus méchant au mondeest celui qui tue quelqu’un et va ensuite àson deuil où il pleure à chaudes larmes".Ceci dit, les complaintes actuelles du FMIet de la BM par rapport aux émeutesalimentaires en Afrique peuvent êtreconsidérées comme "des larmes decrocodiles", tant ces deux institutions ontcomplètement démantelé les systèmesagricoles africains par les mesures delibéralisation tous azimuts qui ont écartél’État africain de son rôle de soutien à cesecteur et aux paysans. Aussi, fairesemblant aujourd’hui de prendre desmesures de sauvetage relève de la purestratégie du pompier-pyromane. Est-ilraisonnable, lorsqu’on analyse l’histoiredu développement, d’imposer unelibéralisation tous azimuts aux paysafricains au stade où ils se trouvent ?Pourquoi l’Afrique doit-elle libéraliserson secteur agricole quand les USA etl’Europe subventionnent leurs agriculteurset leurs politiques agricoles qui viennentfaire une concurrence déloyale auxproduits africains ? Comment l’Afriquepeut-elle poursuivre ses propres objectifsde développement lorsque, après laprivatisation de son système bancaire,toutes ses banques majeures sont des

filiales de banques internationales privéesqui ne financent pas les microentrepriseslocales, mais font des placements dans lesgrandes places financières occidentales ?Comment avoir une politique monétaire etde change autonome en Afrique noire, etlutter contre l’inflation lorsque le FCFAreste un sous-multiple d’un euro dont leniveau actuel obère encore plus lesimportations africaines alors que son tauxde change est géré par une Banquecentrale indépendante ? Comment assurerl’autosuffisance alimentaire à long termequand le FMI exige actuellement laprivatisation de la terre en Afrique afin,selon lui, de mieux définir les droits depropriété et d’augmenter la production ?

Il s’agit là, de quelques questionscruciales qui vont parfois au-delà descompétences des seuls pays africains. Cesquestions nécessitent des réponsesfavorables au développement et non à lapromotion de la simple idéologie libéralequi, comme le montrent les émeutesalimentaires et le cycle inflationnistemondial actuels, va de catastrophes encatastrophes. Il est dès lors regrettable devoir les chefs d’États africains signer lesAPE en rangs dispersés alors qu’ilsauraient dû défendre leurs intérêts enfaisant bloc.

Thierry AMOUGOU

C U L T U R E E T S O C I É T É

Célébration de la journée internationale de la femmele 08 mars 2008 aux Écuries de la Maison Haute

à Bruxelles (Watermael-Boitsfort)

l’initiative de l’AFEDE asbl,cette journée a été marquéepar l’engagement des artistes

comme Johan BAGGIO qui a dédié, pourla circonstance, une superbe toile auxactions menées par cette association pourles survivantes des violences sexuelles enRD Congo.

Elle fut dévoilée au moment oùJean BOFANE – le modérateur de lajournée - rappelait que la mobilisation detous est nécessaire afin de proposer despistes pour mettre fin au cycle desviolences sexuelles en RD Congo. Il ainsisté sur la gravité du phénomène ainsique sur la douleur infligée auxpopulations locales.

À

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Joëlle SAMBI est revenue sur lamotivation qui l’a conduite à écrire sonlivre Le Monde est gueule de chèvre ;suivie par Émilie-Flore FAIGNOND dontla lecture du poème ‘Les femmespleurent’ a rappelé combien il estimportant que les femmes congolaisesd’ici et d’ailleurs marchent ensemble pourque s'arrêtent les violences sexuelles dontsont victimes leurs sœurs en RD Congo.La justesse ainsi que la pertinence de sespropos ont maintenu le public dans unsilence empli d’émotion.

Charles MICHEL, le Ministre belgede la Coopération au Développement, arappelé que les femmes sont un enjeuimportant si on veut concrétiser desprojets envers les populations : elles sontle ciment des familles et descommunautés. La mise en évidence del’égalité entre les hommes et les femmesainsi que la promotion de l’autonomie decelles-ci imprègnent la politique belge decoopération au développement à telleenseigne qu’il se fait l’avocat du Congoauprès des instances internationales afinde mobiliser plus de moyens pour soutenirles associations, les ONG ainsi que lesagences des Nations unies qui oeuvrentsur le terrain. Il en appelle à plus deconcrétisation avec des actes et non à uneprofusion de discours et de déclarationsd’intention. S’inscrire dans une logique depaix, de sécurité et de stabilité à travers undialogue politique parce que la violenceengendre l’échec. La mobilisation doitêtre générale afin "que les femmes nepleurent plus mais qu’elles nousilluminent de leur rire, de leur paix, deleur douceur", a-t-il conclu.

Éric REMACLE – professeur desciences politiques à l’ULB qui dirige lepôle Bernheim, a mis l’accent surl’intervention européenne en RD Congoqu’il qualifie de laboratoire des actionsmilitaires et de police européennes ;notamment en 2003 avec l’opérationArtémis à Bunia puis la mission de policeEupol à Kinshasa en 2005 – 2006. Il atenu à souligner que les universitairesréunis autour du livre L’Afrique desGrands Lacs, des conflits à la paix se sont

rendu compte qu’il était utile de se mettreen commun pour comprendre lesmécanismes de la guerre et de maintien dela paix. Ayant une liberté d’appréciationque les acteurs impliqués dans cesprocessus ne sauront pas utiliser, il arépondu aux nombreuses questions dupublic très au fait de la situation quiprévaut sur le sol congolais.

Joseph MBUNGU – journaliste ettémoin privilégié de l’émergence despremières femmes congolaises sur lascène publique, a rappelé que les femmesrencontraient déjà dans les années 50 desdifficultés à participer à la vie de la cité etleur mérite ne leur ouvrait pas non plus lesportes de la reconnaissance ! Le regard dela société sur leur condition leur imposaitun rôle secondaire : elles dépendaient deleurs maris ; pour celles qui embrassaientune carrière politique, bien souvent celle-ci était tributaire des nominations, lemanque de moyens financiers réduisantleur champ d’action. Par contre, dèsqu’elles ont pu participer au processus dedécision politique par exemple, ellessavaient peser de tout leur poids afind’empêcher le vote de loi ou d’articlesmettant à mal l’égalité des genres.

Yvette TABU et Isabelle KIDISHO– rejointes par Cécile CHAROT de lacellule stratégique du ministre CharlesMICHEL, ont répondu avec brio auxattentes du public en matièred’implication de la diaspora congolaisedans les programmes d’accompagnementdes survivantes de violences sexuelles enRD Congo.

Dread Litoko a ému l’assembléeavec la lecture du ‘Pistolet bleu’, poignantplongeon dans la réalité quotidienne d’unenfant soldat.

La journée s’est achevée auxalentours de 18 heures sur les airsmusicaux de Dju Bébé qui a célébré lesvictimes congolaises présentes dans lasalle ce 08 mars 2008.

Pour AFEDE asbl, l’intervention duministre de la coopération au

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développement se situe en droite ligne decelle de ses prédécesseurs ayant participéà la célébration de la JournéeInternationale de la Femme organisée parl’association.

En effet, déjà en 2006, MonsieurAldo AJELLO, alors Représentant Spécialde l’Union Européenne pour la région desGrands Lacs, rappelait que le processus depaix engagé en RD Congo était le résultatd’une pression internationale. Il soulignaitalors que les efforts seraient vains si laRD Congo ne se dotait pas d’une armée etd’une police formées et nationales d’unepart, et d’autre part si le pays ne réformaitpas son appareil judiciaire, notamment enfustigeant les conséquences de l’insécuritéet la présence des forces négatives sur lavie des femmes et des enfants en RDCongo.

Dans la même lignée, MadameNathalie GILSON, députée bruxelloise,stigmatisait les sévices sexuels utiliséscomme une "arme de guerre et dedestruction". Pour cette violence, avait-elle enchaîné, les coupables utilisent troisarmes : le fusil, la corruption et le viol.Elle plaidait pour la poursuite pénale desvioleurs.

En 2007, Madame AngéliqueMOYABO, députée congolaise au sein duParlement de la Transition, faisaitobserver que le viol est la conséquenced’un problème qu’il faut attaquer dans sesracines. Il s’agit d’un "problèmeéminemment politique", martelait-elle, enplaidant pour l’accompagnementjudiciaire des victimes et le rétablissementd’une justice équitable. "La victime doitobtenir réparation et le violeur être puni",tranchait-elle.

Madame la ministre congolaise desdroits humains, Marie-MadeleineKALALA, s’exprima, quant à elle, sur lanécessité d’une prise en charge tantpsychologique que sociale des survivantesdes violences sexuelles.

La secrétaire d’État belge à laFamille, Gisèle MANDAILA, avait elleaussi exhorté les femmes congolaises àrester mobilisées et à mener des actionsconcrètes au bénéfice de leurs sœurs duCongo.

Pour AFEDE asbl, la participationdes politiques aux activités del’association est un baromètre efficacepour évaluer leur engagement à mettre finà la tragédie que vivent les populations dela RD Congo.

La société civile ainsi que ladiaspora congolaises et les ONGinternationales dénoncent avecvéhémence ce drame afin de faireprogresser la question des droits humains.En 4 ans, Sylvie MBOMBO - EMECOJ,Karin HEISECKE - UNFPA, Brice DELE VINGNE et Christine LEBRUN -MSF, Raf CUSTERS, ChristineDESCHRYVER et Pie TSHIBANDA sesont succédés à la tribune d’AFEDE asbl ;chacun, avec ses mots, a dit combien ilétait urgent d’investir pour les femmes,les filles et les petites filles de la RDCongo pour une paix et un développementdurables.

Rendez-vous pris en 2009 pour unenouvelle édition de la JournéeInternationale de la Femme avec AFEDEasbl. En espérant que nous n’aurons plus àrappeler qu’au Congo, des femmespleurent … mais qu’elles sont DEBOUT !

Maddy TIEMBE

"Ce sont de petites choses qui cependant donnent du prix à la vie. Et c'est par ellesqu'on tient un homme. Ainsi, peut-on dire que l'être le plus libre du monde est celui quidomine ses passions sur lesquelles nous spéculons toujours pour l'asservir." (BernardDADIÉ, Un nègre à Paris. Paris, Présence africaine, 1959. Page 77).

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Évolution ou émancipation de la femme congolaise

NDLR : à l'occasion de la célébration de la journée internationale de la femme (voir pagesprécédentes) à Watermael-Boitsfort (Bruxelles) et sur invitation d'AFEDE, JosephMBUNGU NKANDAMANA a donné un exposé dont le texte est repris ci-dessous.

e ne suis pas historien, moinsencore orateur, pourtant je vaisvous raconter la situation de

l'écart qu'il y a, entre l'homme et lafemme, dans notre pays au point de vuede l'enseignement. Cela est dû à la culturede nos ancêtres qui consigne le rôle d'unefemme dans le foyer uniquement.

D'ailleurs, cette culture n'est paspropre uniquement à notre pays parcequ'avant le Concile de Trente, il était ditque l'homme noir et la femme en général,n'avaient pas d'âme. Il suffit d'observerqu'aujourd'hui même, en Occidentaméricain et européen, pour ne pas diredans le monde entier, la femme continuede réclamer l'égalité des droits, étantdonné que l'homme et la femmeégalement qualifiés, ne jouissaient pas desmêmes avantages. D'où la discriminationqui persiste jusqu'à maintenant encore,qu'on le veuille ou non. Je vais vousraconter ici ce que j'ai vécu dans monentourage depuis mon enfance.

J'avais encore moins de dix anslorsque j'ai vu débarquer à Dima une filledénommée Joséphine SHIONGO, venantde Lusambo au Kasaï. Si je cite cette fille,c'est parce que, vingt-cinq ans plus tard, jela rencontrerai à Léopoldville commepremière porte-parole officielle des sans-voix, dans un forum de 50 hommes.

Tenant compte de notre culture, lesMissionnaires ont eu beaucoup de peine àrecruter des filles pour l'enseignement.C'est pourquoi les premières écoles crééesétaient destinées uniquement àl'enseignement ménager. L'administrationse préoccupait particulièrement del'instruction des métisses qu'elle ramassaitpartout, de gré ou de force, pour lesenvoyer à Moanda, au Bas-Congo, pourleur formation. Quant aux missionnairesreligieuses, elles qui se souciaient del'avenir de la femme, elles repéraient

parmi leurs protégées, les plus douéespour leur donner une formation spécialede futures responsables comme monitricesou religieuses, parfois au sein de leurspropres congrégations.

C'est ainsi que vers 1933, fut créé àBanningville (Bandundu) un noviciat pourfilles, parmi lesquelles Francisca DISASI,enfant du chef du centre extra-coutumierdu lieu. Celle-ci sera bourgmestre de lacommune de Barumbu aprèsl'indépendance du Congo.

J'arrive à Leverville-Soa (Lusanga)en 1936, pour mes études. Il y existaitdepuis un an, un noviciat pour laformation de futures sœurs de laCongrégation de Sainte Marie duKwango, dont une certaine Monique …

Je débarque à Léopoldville endécembre 1941 ; je ne sais pas situerl'époque précise où un noyau de novicescongolaises commença sa formation ausein de la congrégation des sœursfranciscaines, dont maman ATEMBINAet plus tard maman Astrid PESAMBI.Curieusement, deux anciennes deBanningville que j'ai connues étaient leursmonitrices de français à Kintambo ! Il y alieu de noter qu'à cette époque les prêtresscheutistes n'aimaient pas voir un noirparler français.

À cette époque, il existait déjà surplace quelques associations fémininesd'aide mutuelle, de cultures ancestrales etd'élégance, la plus réputée étaitl'association LA BEAUTÉ dirigée parFrancisca MUTOMBO, présidente.

En 1951, fut créé, sous l'impulsionde l'administration coloniale, le cercled'études et d'agréments dénommé"Emmanuel Capella", du nom du chef dela population noire, avec plusieurssections, dont une culturelle, l'unique qui

J

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comptait en son sein deux femmes,Marthe MADIBALA et PaulineLISANGA, célibataires et sans emploi. Ànotre demande, M. SCHATTENS les fitengager à la radio congolaise commepremières speakerines pour leur permettrede vivre dignement.

Vinrent ensuite le Mouvementfamilial chrétien et la Ligue des famillesnombreuses, deux premières associationsmixtes où les deux sexes se côtoyaientpour discuter ensemble de leursproblèmes.

Vers 1950, déjà, la presse parlad'une première femme congolaise quivenait de réussir son permis de conduire.À partir de ce moment, l'opinion publiquecommença à s'intéresser à l'évolution ou àl'émancipation des femmes.

En 1954, fut créé, grâce à AugusteBUISSERET, ministre des Colonies,l'enseignement officiel, laïc et mixte ;quelques jeunes filles eurent ainsil'occasion de prouver, dans leur classe,qu'elles étaient aussi douées que leurscollègues masculins. Ce qui donna un élannouveau à l'enseignement pour jeunesfilles. Entre-temps, la congrégation desSœurs du Sacré-Cœur à Mbanza Boma,dans le Bas-Congo, avait créé unpensionnat modèle et très réputé quiaccueillait des enfants venant de tous lescoins du pays dont les parents pouvaientsupporter les charges et frais scolairesinhérents à leur scolarisation.

Entre 1955 et 57, JoséphineSHIONGO, dont il était question au débutde mon exposé, fut désignéeofficiellement comme membre du Conseilde Cité parmi une cinquantaine d'hommes.

Les élections communales de 1957et de 1959, comme les provinciales etlégislatives de 1960 et de 1965, n'avaientenregistré aucune candidature fémininealors qu'au sein de certains partispolitiques évoluaient des sectionsféminines très dynamiques et évoluées.Toujours à cause de la discrimination.

Pourtant, vers 1959-1960, unecongolaise, fille d'un pasteur dont j'aioublié le nom, fut désignée commepremière femme à la magistrature.

Il fallait attendre la venue deMOBUTU au pouvoir pour voir la femmecongolaise propulsée sur la scènepublique. En effet, après la création duMPR, en 1967, une première femme futnommée bourgmestre de Bandalungwa enla personne de Véronique KANI. Cettenomination sera suivie par d'autres àplusieurs postes de responsabilités :Sophie KANZA, première femmeministre, … Il en sera de même dansl'Armée, la Fonction Publique et le secteurprivé.

Malheureusement, ces nominationsétaient faites principalement à cause de labeauté et de la séduction de leurstitulaires. De sorte que ces femmes étaientindividualistes et ne tenaient compte quede leurs intérêts personnels, au détrimentde leurs semblables, parce qu'ellesn'avaient de compte à rendre qu'à ceux quiles avaient nommées. En plus, ellesdevenaient arrogantes et indignes de leursresponsabilités qu'elles utilisaient pour sevenger parfois de leurs maris, si bienqu'elles finissaient par les mettre aucachot à la suite d'une simple dispute deménage !

Il y a eu des divorces en cascade.Ce qui déplut à l'opinion publique aupoint de renforcer la conviction deplusieurs hommes mariés de refuser àleurs épouses de jouer un rôle public.Évidemment, des exceptions nemanquaient jamais à la règle.

En 1970 et 1975, après unsimulacre d'élections organisées par leMPR, une dizaine de femmes élues setrouvèrent à l'Assemblée Nationale pourla première fois. Elles prirent leur rôle àcœur et se défendirent héroïquement, parexemple contre un article de laconstitution que MOBUTU voulaitmodifier concernant le mariage.Finalement, elles eurent gain de cause.

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En 1990 et 1992, beaucoup decompétences féminines s'étaient révélées àla CNS, où elles méritaient leur placed'interlocutrices très valables, malgré ladiscrimination que l'homme affichaittoujours à l'égard de la femme.

Par exemple, le cas de MadameMPAKASA est très significatif. En effet,cette femme s'était battue comme unediablesse dans un bénitier contre le régimede MOBUTU à la tête du PALU enl'absence de GIZENGA, en s'affiliantégalement dans l'Union Sacrée. Elle reçutGIZENGA chez elle à son retour d'exil.GIZENGA se fait corrompre parMOBUTU et écarte Mme MPAKASA deson parti PALU !

Une anecdote pour terminer avec ladiscrimination. En 1966, la Fraternité desAnciens Combattants du Congo organisaun concours ou tournoi d'éloquence parmiles classes terminales des écolessecondaires du pays : une fille du lycée duSacré Cœur à Kinshasa fut proclaméedeuxième. En réalité, c'est elle qui avaitbattu le record. Mais le jury jugea qu'unefemme ne pouvait être proclamée parmitant de garçons. Évidemment, dans cejury, il n'y avait aucune femme, sans quoielle se serait battue pour que la véritablegagnante puisse être proclamée à la placequ'elle méritait à juste titre. Cetteconfidence, je l'ai apprise de la bouche dureprésentant du ministre de l'Éducationqui siégeait au jury, du fait que l'étudianteen question était ma fille EMMA.

Joseph MBUNGU NKANDAMANABruxelles, le 8 mars 2008

Incohérences du kimbanguismela déification de Simon KIMBANGU et de ses trois fils

ous conformant à larecommandation deRichard FEINMAN qui

incite le chercheur à toujours secouer labaraque et à bousculer l’argumentd’autorité, nous allons modestement faireune critique rationnelle contre ledogmatisme du kimbanguisme sans pourautant nous arc-bouter dans lesprétentions d’un savoir dont on peutégalement étaler les limites. Nous sommesouvert à la contradiction et à la réfutationde nos thèses par des arguments opposés àla condition qu’ils s’inscrivent dans lemouvement dialectique de notre critique.Plus précisément, nous voulons releverquelques contradictions même formellesde la doctrine religieuse kimbanguiste etmontrer que certaines affirmations àcaractère dogmatique ou mystique sont enfait et tout simplement irrationnelles etcontradictoires, car, contrairement à ceque l’on voudra faire croire, toutn’échappe pas à la raison raisonnante.Certains travaux ou certaines assertionsd’allure érudite ne servent au final qu’àplébisciter des vérités voulues infaillibles

et que les kimbanguistes même instruits,érudits ou conscientisés ne peuventremettre en question sous peine desanction. Il est vain ainsi d’attendre de lapart des théologiens kimbanguistes unecritique libre de leur église puisque ladoctrine de cette dernière, supposéedérivée d’une révélation, échappe de fait àun réexamen. Ces théologiens sontastreints à faire un métier de funambules.

Le caractère divin outranscendantal et le caractère humain oucontingent s’excluent mutuellement etsont donc rationnellement contradictoires.D’un côté, le kimbanguisme sembleadopter au départ la théorie originelle dela révélation des autres christianismes ense ralliant au credo de Nicée, théorieattenant à la fameuse doctrine del’incarnation qui entend soustraire lechrétien à l’irrémédiable cercle vicieux del’altérité de Dieu, le Transcendant oul’Absolu, et de l’homme, le contingent oule relatif. Mais très vite, la christologieorthodoxe est minée de l’intérieur dusocle doctrinal kimbanguiste, s’il

N

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n’implose pas carrément. En effet, leprophète, mieux l’envoyé spécial deJésus-Christ, Simon KIMBANGU,semble lui-même et désormais en voied’être déifié : il n’est plus un simpleprophète, il est l’envoyé spécial de Dieu etdonc de Jésus-Christ, il est plus qu’unhomme : c’est un Homme-Esprit(autrement dit à la fois etcontradictoirement visible et invisible).

Pourtant, comme tout Congolais,comme tout Négro-Africain et touthumain, Simon KIMBANGU a épouséune femme, mama MWILU, de laquelle ileut trois fils et une fille (on y revient !)par l’acte de sexualité toute humaine. Lestrois fils deviennent ou sont décrétésaujourd’hui les trois personnes en Dieu.L’un des trois enfants, DIALUNGANApour le nommer, s’est auto-proclamécomme étant Jésus-Christ en personne etavait, disent les kimbanguistes, lesprécieux et vénérés stigmates.

Tel qu’on le ressent déjà parailleurs, la doctrine christologiqueorthodoxe est donc tout simplementtordue par le kimbanguisme, sauf siquelqu’un peut nous fournir une autre cléd’interprétation rationnellementacceptable. Aux classiques contradictionsde l’idéologie de l’incarnation de Jésus-Christ sur lesquelles s’abattent depuis dessiècles tant de critiques, s’ajoutent àprésent des contradictions kimbanguistesfranchement autodidactes, reflet d’uneassimilation à mauvais escient d’unedoctrine allogène à la faveur d’uneidéologie bancale. Contrairement à Jésus-Christ qui est dit être né en dehors detoute sexualité et n’avoir pas eu dedescendance, KIMBANGU,DIALUNGANA, DIANGENDA etKISOLOKELE sont les fruits de lasexualité humaine de leurs parentsrespectifs. Ces trois Congolais que nousavons connus comme humains et donccontingents, avec leurs qualités et leursdéfauts, étaient des époux (ils se sontmariés chacun à une personne humaine) etdes pères de famille (ils ont eu chacun uneflorissante descendance devenue par lamagie de la foi et du mimétisme la Sainte

Famille kimbanguiste). On nous dit àprésent que ces trois grands hommesétaient à la fois humains et divins et doncfaisaient coïncider en eux deuxpersonnalités rationnellementcontradictoires, divine et humaine.Puisque Simon KIMBANGU est l’envoyéspécial de Dieu et donc de Jésus-Christ etque par ailleurs DIALUNGANA estJésus-Christ réincarné dans le corpsmatériel d’un Nègre, alors SimonKIMBANGU et sa femme ont eulogiquement comme enfant un Dieu dontSimon KIMBANGU lui-même a été aupréalable l’envoyé spécial. Allez-ycomprendre !

Si on peut penser que lechristianisme occidental n’a pas réussi lemoindrement à élaborer une théorieparfaitement cohérente, non contradictoirede la révélation et de l’incarnation, onconstate que le melting-pot kimbanguisten’a fait qu’empirer les choses. Leskimbanguistes doivent faire un effort pourrationaliser leur doctrine ou procéder àson élaboration poussée et sortir dubourbier d’une théologisation sommaire etvrillée. La déité ou le caractère mystique àrebours collé(e) aux basques de SimonKIMBANGU et de ses trois enfants tentevaille que vaille de remédier au lourdinconvénient théorique d’un messageconfié à un intermédiaire personnel outemporel et donc contingent étant donnéque son caractère immédiat présumé doiten principe et logiquement s’affranchird’un média c’est-à-dire de tout traducteur,même sous la forme par exemple d’unprophète, et aussi de tout délai detransmission du message. C’est pourquoia posteriori on s’époumone à convaincreque Simon Kimbangu était plus qu’unhomme, un Homme-Esprit, un envoyéspécial de Dieu, un descendant de Dieu,Dieu en titre (n’ayons pas peur deconclure !).

Mais cela passe mal dansl’entendement de ceux qui, commecertains de nos lecteurs, essaient de bienpénétrer l’intelligibilité de ce rafistolagethéorique et qui sont au fait de son desseinultime, à savoir édifier le culte de Simon

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Kimbangu et de sa postérité, doncperpétuer la domination de cette familleou de ce clan sur l’EJCSK avec toutes lesconséquences matérielles imaginables quiont provoqué déjà tant de remous au seinde cette institution. Mohamed, lefondateur de l’islam, n’est pas au centrede cette religion et ne concurrence pas leTranscendant. Né de l’acte de sexualitéhumaine de ses deux parents humainscomme nous tous, marié à une humaine(sauf preuve contraire et sauf énièmeretro-élaboration théologique) et ayant euune descendance par l’acte de sexualitétoute humaine, baptisé au départ au seind’une branche de l’Eglise chrétienne etayant évolué idéologiquement au termed’une révolte politico-religieuse dont on adéjà retracé les arcanes, la figure deSimon Kimbangu est fatalement imbibéed’humanitude et de contingence et,partant, s’ébroue difficilement au milieudes contradictions théologiques suite à larampante déification décrétée de sonontologie et de celle de ses trois enfants.Toutes les affirmations (orales ou écrites)déduites actuellement de la missionconfiée à l’envoyé spécial SimonKimbangu ne remplissent pas de notrepoint de vue les conditions pouvant lesfaire accréditer comme authentiquementdes paroles de Dieu et ne sont soutenablesni spirituellement ni théologiquement.

Pour le croyant kimbanguiste debase, absolue est sa foi en ces allégationsassenées répétitivement par un clergésaoulé doctrinalement (un peu commedans la méthode Coué) et qui sans doutes’échine à faire admettre aux ouaillescomment il est envisageable, sans sedédire, de démontrer qu’il est chimériqued’illustrer la non-déité de SimonKIMBANGU et compagnie. Chez un telfidèle et par une espèce d’osmosemétaphysique, la foi imposée par l’EJCSK(Église de JÉSUS-CHRIST sur la terre parson envoyé spécial Simon KIMBANGU)a toujours sempra razione fortifié sa foien ce qui lui est inculqué parce qu’il estdémuni d’arme épistémologique et qu’il aune maigre capacité de révolte qui auraitpu lui permettre de remettre en question lesophisme par lequel il se sert de cette foi

comme authentique preuve de ce qui n’esten réalité que montage au profit d’unecause, d’une hiérarchie ou d’un clan, alorsque ce sophisme est censé devoir êtredémontré et qu’il ne l’est en rien du tout.

En déifiant les quatre hommes(Simon KIMBANGU, DIANGENDA,DIALUNGANA et KISOLOKELE), lekimbanguisme perpétue le mythe de lamasculinité historique d’un divin (Jésus-Christ) réincarné en DIALUNGANA etaussi les conséquences sociales d’un teldogme vu du côté des relations socialesentre hommes et femmes. Il s’engouffredans le machisme de la doctrinechrétienne. Le Dieu en titre et les troispersonnes en ce Dieu se sont incarnésdans les corps matériels et masculins deSimon KIMBANGU et de ses trois fils. SiKIMBANGU et ses trois fils sont desDieux, qu’est alors l’épouse de l’envoyéspécial et les trois épouses desdits troisfils ? A propos, combien d’enfants avaientle héros Simon KIMBANGU et sa femmela vénérable mama MWILU ? Ils enavaient non pas trois, mais quatre, lequatrième enfant étant une fille dont on neparle jamais pour des raisons quin’échappent pas au lecteur et que nousexplique le si perspicace compatrioteLANDU BITABA qui a lu la premièrelivraison de ce texte et qui, le 9 juin 2007,nous a fait parvenir via la toile internet saréaction pleine d’à-propos et assortie d’unsens de l’humour bien placé :

"Bonjour! Je voulais juste teremercier pour cette réflexion savante etédifiante sur la déification de SimonKIMBANGU et de ses trois fils... Au fait,le couple Papa Simon KIMBANGU etmama MWILU KIAWANGA avait quatreenfants : trois garçons et une fille qu'on aétouffée pour mieux endormir les gensavec leur théorie de trinité et dedéification... KIMBANGU n'est pas àl'origine de toute cette aventure qui aréussi... en se tapant des colossalessommes d'argent dans cette affaire... Quedire aussi de la crise qui règne au sein decette communauté où il y a eu émergencede deux différentes ailes: Saiö pour le filsde DIALUNGANA et Monkoto pour les

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autres enfants... S'ils étaient des dieuxcomme ils s'en vantent, il n'y aurait passcission de l'église en deux Wenge, pardonen deux ailes. Tout ça, c'est dumarketing... Heureusement que noussommes tous des petits dieux... A suivre".LANDU Bitaba [email protected]

Tous les attributs du Dieu deskimbanguistes sont mâles contrairement àla perception des Kémits qui résolvent ceproblème en considérant qu’il y a uneMatrie à côté de la Patrie et que lePatriarche a sa réplique, la Matriarche,que la masculinité et la féminitéfusionnent en Dieu et c’est pourquoi ilsl’appellent la Mère-Père Primordial(e).Cependant, nous pensons que tous leskimbanguistes ne partagent heureusementpas ce dogmatisme. C’est pourquoi, euégard à la dérive kimbanguiste, on peutcomprendre, sans totalement l’approuver,le dépit d’un KANT qui disait : "Si larévélation était une réalité, ce serait undésastre pour la liberté humaine".

Résidant aux États-Unisd’Amérique, deux personnes qui ont luune ancienne version de ce texte et qui sesont présentées comme étant prénomméesLouise et Marie nous ont gentimentrépondu et nous ont fait notamment unetrès exacte observation que nousreproduisons in extenso : "La correctionest sur la confusion que vous avez faiteentre KISOLOKELE le père et le fils.Nous voudrions que vous corrigiez ce faitparce que Sa Grandeur CharlesKISOLOKELE avait été ministre dutravail dans le gouvernement de KASA-VUBU et pour un mandat de deux ans.Plus tard, c’est son fils KISOLOKELEqui sera secrétaire d’État dans legouvernement de MOBUTU. Notez aussique le malheur du Zaïre est celui de toutel'Afrique et de la race noire. Votrefrançais paraît parfait mais qu’est-ce quevous avez déjà inventé? Louise et MarieUSA".

Cela est une très bonne observationet nous reconnaissons avoir confondu lesdeux. Cependant nous faisons remarquerqu’il n’est pas exact de dire que papa

KISOLOKELE fut dans le gouvernementKASA-VUBU car le président KASA-VUBU n’a jamais été chef d’ungouvernement. En outre, cette remarquen’annule pas nos observations et, aucontraire, elle les renforce. En effet, siKISOLOKELE père fut membre d’ungouvernement pendant deux ans et qu’àprésent on reconnaît qu’il est l’une destrois personnes en Dieu, alors notrequestion subsiste. On a le droit de sedemander pourquoi lui, Homme-Dieu, n’apas puisé dans son omniscience et dansson omnipotence pour sauver notre payset lui éviter tous les malheurs survenusdès l’époque et par la suite. On pourraitl’accuser de non-assistance à nation endanger. Si KISOLOKELE père étaitmembre de la Trinité Sainte versionkimbanguiste, quelle est la nature de sonfils KISOLOKELE, l’inamoviblesecrétaire d’État sous le règne deMOBUTU ? Quelle est ensuite la naturede l’épouse de ce même KISOLOKELEpère, le ci-devant divin ? Est-il possibleque Dieu le Transcendant donne naissanceà un humain, à un contingent, ou qu’Il semarie à une humaine ? En outre, commentles kimbanguistes jugeaient-ils cesrapports de la Sainte Famille avec lapolitique ?

Au fait, qui des quatre divinisés estJÉSUS-CHRIST ? Jusqu’à présent, nouscroyions que c’est DIALUNGANA. Maisdepuis peu, un courriel reçu du CentreMandombe (c’est un site kimbanguiste)s’intitulait "KIMBANGU = Christ". Noussommes nombreux qui aimerionscomprendre.

Dans un courriel qu’il nous aadressé, le théologien kimbanguisteConstantino KALEMBA affirme que lecaractère divin de Simon KIMBANGUn’est pas une nouveauté ainsi que celasemble émaner de mon texte plus haut,mais que ce caractère est acquis depuis1921. Il faut savoir gré à ce théologien defournir cette précision sans ambages etsans détour. Il n’y a plus de doute : leskimbanguistes croient depuis 1921 queSimon KIMBANGU est leur Dieu.Cependant tout n’est pas résolu et loin

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s’en faut. Voici en effet et en vrac latrombe des questions qui nous viennent entête en rapport avec cette affaire : depuisquand Papa Simon est-il Dieu ? Depuistoujours sans doute puisque l’on ne peutpas concevoir qu’il soit devenu Dieuseulement à partir de 1921.

Comment Dieu s’est-il réincarnédans le corps matériel du MUKONGOKIMBANGU que nous Congolais nousavons connu ? En d’autres mots, quelle estla doctrine de l’incarnation deskimbanguistes en rapport avec la personnehumaine historiquement datée de SimonKIMBANGU ? Il faut rappeler que PapaKIMBANGU a eu des parents et que c’estde leur sexualité humaine qu’il est né. Onne peut donc pas créer comme lescatholiques une théorie dans laquelle unSaint-Esprit féconde une Vierge. Nousavons discuté avec de nombreuxkimbanguistes et nous n’avons pas reçuun éclairage définitif sur la question.

Papa Simon KIMBANGU étantDieu fait Homme à travers l’acte desexualité humaine de ses parents s’estmarié à l’Honorable et Vénérable MamaMWILU. Quel est le sort de cette GrandeDame dans la doctrine kimbanguiste ?Elle était tout de même mariée à un Dieufait Homme et, comme on va le voir plusloin, elle aura enfanté trois personnes enDieu (ses trois fils). Excusez du peu !Donc, c’est une Grande Dame qui s’estfrottée de très près à la déitude, mais –hélas – elle n’est pas déesse. Commentexpliquer cela ? Est-ce parce que c’est unefemme ? Nous posons là le problème dumachisme de la doctrine religieusekimbanguiste. Qu’on nous répondecalmement et que l’on nous explique enquoi éventuellement notre questionnementpasse à côté.

On en vient aux trois fils quiconstituent la Trinité Sainte. Ce n’est pasnous qui inventons. En ce qui lesconcerne, la déité est acquise parl’incarnation et la reproduction. Nousnous expliquons. En effet, Dieu s’estd’abord réincarné dans le corps matérielde Papa Simon KIMBANGU par l’acte de

sexualité humaine de ses parents. Ensuite,Dieu Simon KIMBANGU étant marié à laVénérable Mama MWILU, tous les deuxdonnent naissance par l’acte de sexualitéhumaine à leurs trois fils (DIANGENDA,KISOLOKELE et DIALUNGANA) enqui, si nous comprenons bien, les troispersonnes en Dieu se réincarnent et qui,de ce fait, constituent la Trinité Saintekimbanguiste. Le problème dans tout cela,c’est le sort du quatrième enfant du coupleKIMBANGU-MWILU car il y avait bienun quatrième enfant. Une fille. C’est unCongolais résidant aux États-Unis qui aattiré notre attention sur cette existencecomme nous l’avions déjà mentionné.Quelle est la place de cette fille dans lathéologie kimbanguiste ? Est-elle aussiaffectée du caractère divin ? Comme ellene fait pas partie de la Trinité, on peutpenser qu’elle n’est pas divine. Dès lors,ne doit-on pas y voir encore une fois là undes effets pervers du machisme de ladoctrine religieuse kimbanguiste ?Comment comprendre cettediscrimination basée sur le sexe entre desenfants du même père et de la même mère? Nous serions heureux de voir unthéologien contester ces lignes. Noussommes certain que notre raisonnementaura un écho chez certains kimbanguistesqui nous liront.

Papa Simon KIMBANGU étantreconnu Dieu depuis 1921, pourquoi dèslors continuer à le désigner jusqu’à ce jourcomme étant un envoyé spécial de Jésus-Christ ? Veut-on dire par là que le DieuKIMBANGU est un Dieu auxiliaire parrapport au Dieu JÉSUS-CHRIST ? Nousnous posons une autre question : si leskimbanguistes ont reconnu SimonKIMBANGU comme étant Dieu depuis1921, pourquoi ont-ils continué à lequalifier de prophète ? Nombre d’entreles Congolais se rappellent en effet quel’Église kimbanguiste s’est toujoursdénommée Église du Christ par leprophète Simon KIMBANGU.

Pourquoi ne pas changer ladénomination de l’EJCKSK (Église deJÉSUS-CHRIST sur la terre par sonenvoyé spécial Simon KIMBANGU) en

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ESK (Église de Simon KIMBANGU)étant donné que Simon KIMBANGU estreconnu comme étant Dieu ? Nousaimerions qu’un théologien kimbanguistenous décortique ces incohérences.Pourquoi les kimbanguistes

s’accrochent-ils au nom de JÉSUS-CHRIST alors même que leur fondateurest reconnu comme Dieu ? Ce sont alorsdes kimbanguistes et non plus deschrétiens. Jouons cartes sur table.

Dr TEDANGA Ipota Bembela

L’Église et les défis de la société africainePerspectives pour le 2e synode africain

NDLR : Ce titre reprend le thème de la journée d'étude organisée le 13 mai 2008 à Louvain-la-Neuve par le Centre Vincent LEBBE de la Faculté de théologie de l'Université Catholiquede Louvain et dont le compte-rendu est donné dans les lignes suivantes.

près l’Assemblée spécialepour l’Afrique du Synodedes Évêques qui s’est tenue

à Rome du 10 avril au 8 mai 1994 (enraccourci "synode africain"), unedeuxième assemblée sera convoquée,toujours à Rome, du 4 au 25 octobre 2009.Elle aura pour thème "L’Église en Afriqueau service de la réconciliation, de lajustice et de la paix : ‘Vous êtes le sel dela terre… Vous êtes la lumière du monde’(Mt., 5, 13.14)". Le premier texte officiel,les Lineamenta, a été rendu public dès200629. En prévision de ce synode, leCentre Vincent LEBBE a mis au point unplan de travail dont la première étape a eulieu à Louvain-la-Neuve le 13 maidernier. Un public très diversifié d’unebonne centaine de personnes y a participé.

René LUNEAU, ancien chercheurau CNRS (français), s’est tourné vers lepassé. Le thème qui sera étudié auprochain synode a déjà fait l’objet denombreuses déclarations des épiscopatsafricains depuis près de quarante ans. Eneffet, dès sa première assemblée tenue àKampala en juillet 1969, le SCEAM(Symposium des Conférences Épiscopalesd’Afrique et de Madagascar) a publié untexte concernant la justice et la paix. Aucours des années suivantes, il aapprofondi le même sujet lors de trois

29 Voirhttp://www.vatican.va/roman_curia/synod/index_fr.htm et dans Doc. Cath., n° 2365, 2006, p. 830-861.Ces Lineamenta se terminent par 32 questionsdestinées à stimuler la réflexion.

assemblées (1978, 1981, 1984). Pendantle Synode de 1994, quarante évêques ontconsacré l’essentiel de leurs interventionsà la justice et à la paix. Ce thème seretrouve donc dans le Message final, dans12 des 64 propositions votées par lesPères et dans l’exhortation apostoliqueEcclesia in Africa. On peut donc sedemander ce que le futur synode pourradire de plus. Sans doute faudra-t-ilinterroger les experts africains en scienceshumaines (démographie, sociologie,économie, histoire) pour chercher àcomprendre pourquoi il existe tant desouffrances en Afrique30.

Ensuite, Ignace NDONGALAMADIKU, théologien congolais, aproposé une réflexion ecclésiologique. Sile synode continental a pu être un momentimportant de convergence dans laresponsabilité pastorale (collégialitéeffective) et de communion de sentimentsdes évêques entre eux et avec lesuccesseur de Pierre (collégialitéaffective), il n’en reste pas moins quecette procédure pose des problèmes denature ecclésiologique. En particulier,l’influence de la Curie romaine freine

30 Sur le SCEAM, voir Revue Théologique deLouvain, 21, 1990, p. 472-476 ; sur lesinterventions épiscopales africaines concernant lethème et antérieures au premier synode, voir Lesévêques d'Afrique parlent. 1969-1992, textes réunispar M. CHEZA, H. DERROITTE et R. LUNEAU,Paris, Centurion, 1992, p. 256-395 ; sur le Synodede 1994, voir M. CHEZA (éd.), Le Synode africain.Histoire et textes, Paris, Karthala, 1996 et R.LUNEAU, Paroles et silences du Synode africain,Paris, Karthala, 1997.

A

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l’émergence d’autres modèles quipermettraient de mieux réguler lasolidarité organique entre Églises en vuede répondre aux défis de la mission. Desinstances intermédiaires (le SCEAM auplan continental et les assembléesépiscopales régionales par exemple)seraient propices à une saine articulationde l’unité dans la diversité" (Sur ce sujet,voir l’étude très documentée de I.NDONGALA MADUKU, Pour desÉglises régionales en Afrique, Paris,Karthala, 1999).

Léonard SANTEDI KINKUPU,secrétaire général de la ConférenceÉpiscopale du Congo et membre de laCommission Théologique Internationale,a construit son exposé selon la méthodecontextuelle de l’École de Kinshasa quis’articule en trois temps. Il a tout d’abordporté un regard sur l’état actuel del’Afrique, continent traversé par demultiples guerres, massacres et divisions,où l’ethnicisme tend à se renforcer et où leproblème des minorités est crucial en denombreux endroits. Les fauteurs en sontdes autochtones, mais aussi "des milicesallogènes en partenariat avec les tireurs deficelles". Dans une deuxième étape, ditede "décontextualisation", il a procédé àune méditation libre du récit de larencontre de JÉSUS avec la Samaritaine(Jn, 4, 5-42). L.S. y voit un paradigme deréconciliation. JÉSUS opère plusieursdéplacements : au-delà du narcissismeidentitaire de l’ethnie, il se présentecomme un humain qui a soif. En outre,dans cette scène, deux peuples qui sehaïssent arrivent à fraterniser ; il existe undésir de rencontrer l’autre et de s’ouvrir àlui. Troisième étape et retour au contexte,SANTEDI propose plusieurs aspectsd’une stratégie ininterrompue denégociation et de dialogue "avec tous lesSamaritains" pour arriver à une "socialitéde convivialité". Pour lui, l’Église devraitêtre "en état de poésie", c’est-à-dire êtreinventive et capable de créer du neuf àpartir de ce qui existe.

Dernier orateur, PierreLEFEBVRE, théologien scheutiste ayanttravaillé pendant de nombreuses années

en Afrique centrale, estime que deuxconditions sont nécessaires pour que lesynode serve à quelque chose. D’une part,le processus synodal doit être vécu parl’ensemble des chrétiens comme lieu deprise de conscience et de parole. D’autrepart, la réflexion doit partir des situationsréelles, analysées par ceux qui la vivent.En effet, la théologie africaine naît descommunautés africaines. De plus, l’avenirde l’Afrique n’est pas d’abord unproblème d’Église, il concerneprioritairement les hommes et les femmesqui vivent sur le continent. Le texte desLineamenta est trop ecclésiocentrique.Pour préparer le synode, LEFEBVREpropose trois axes d’engagement. Selonlui, il faut tout d’abord procéder à uneanalyse critique de la situation actuelle del’Afrique. Cette analyse devra êtrestructurelle et dégager les pointsnévralgiques, en vue de créer desperspectives nouvelles. Elle s’interrogeraaussi sur la signification des nombreuxmouvements religieux qui surgissent unpeu partout. Ensuite, il est nécessaired’approfondir la Bonne Nouvelle deJÉSUS-CHRIST libérateur et sauveur etde réfléchir à la formation et à l’animationdes croyants, convertis au programme devie de Jésus et envoyés dans leur sociétécomme témoins et prophètes. Une telleoption implique la revitalisation despetites communautés et la priorité d’unelecture contextualisée des Écritures.Enfin, la mission de l’Église ne pourras’accomplir que sur la base d’uneéducation permanente de la consciencesociale des chrétiens, les groupes "Justiceet Paix" étant une pièce maîtresse duprojet. J. L. conclut son intervention ensoulignant la nécessité du développementd’Églises régionales plus responsables etde la conversion aux méthodes actives deformation populaire : voir, juger, agir.

La réflexion entreprise le 13 mai sepoursuivra dans trois ateliers thématiques(réconciliation, justice et paix,communautés ecclésiales vivantes), puisdans une journée d’approfondissementthéologique prévue pour le 14 octobre2008.

Maurice CHEZA

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FONDATION PERE EVERARD : RAPPORT 2008

A chaque fin d'année académique, notre revue publie le compte-rendu desaides que la Fondation Père EVERARD a pu distribuer aux étudiants endifficulté financière qui ont été sélectionnés. Nous remercions en leur nom nosgénéreux donateurs ; qu'ils soient assurés que ces aides vont réellement profiterà des jeunes qui se démènent au milieu de gros problèmes pour réussir desétudes qui leur tiennent à cœur et qu'ils veulent absolument réussir quels quesoient les écueils qu'ils doivent affronter.

Nous aimerions être moins sévères au niveau de la sélection que nousdevons opérer parmi les demandes que nous recevons en début d'annéescolaire. Malheureusement nos ressources sont limitées et les donateurs sontmoins nombreux qu'auparavant. Ceci explique que sur une cinquantaine desollicitations, nous avons examiné seulement 38 dossiers et nous en avonsaccepté 23 soit moins que l'an dernier et le total des dons distribués s'élève doncà 11.000€au lieu de 14.600€en 2007.

Les étudiants retenus sont originaires des pays suivants : Maroc (9),Algérie (1), Cameroun (11), Rép. Démocratique du Congo (2). Ils étudient àCharleroi (6), Mons (13) et Bruxelles (4). Ils se répartissent dans les branchessuivantes : sciences industrielles, informatique, génie civil, infirmier,électronique, imagerie médicale, médecine, gestion et communication.

Les aides ont été réparties comme suit : 9 x 600€, 2 x 500€, 10 x 400€, 2 x300€pour un total de 11.000€.

Nous renouvelons notre appel à la générosité des donateurs en faveur de laFondation Père EVERARD qui aide les étudiants démunis du Tiers-Monde auxétudes en Belgique.

Ils ont besoin de vous. Nous comptons sur vos dons généreux, petits ougrands. Vous pouvez les verser au compte du CACEAC ASBL à Charleroinuméro : 000-1178819-75, avec la mention "Fondation Père EVERARD".

Si vous désirez recevoir une attestation fiscale pour votre don en faveurdes étudiants du tiers-monde aidés financièrement par l'Asbl CACEAC (dansles critères de la Fondation ou en dehors), vous pouvez le verser au compte000-0000041-41 de Caritas Secours International qui soutient notre projet, avecla mention "CACEAC projet P161".

A l'occasion d'un jubilé, d'un mariage ou d'un autre événement familial,songez à faire un double plaisir en désignant la Fondation comme bénéficiairede la générosité de vos amis.

Grand et cordial MERCI de la part du CACEAC et de tous lesbénéficiaires !

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Défense de thèse de doctorat

Le contrôle de constitutionnalité en RD CongoÉtude critique d’un système de justice constitutionnelle

dans un État à forte tradition autocratique

NDLR : le lundi 26 mai 2008 à Louvain-la-Neuve, Paul-Gaspard NGONDANKOY a défendupubliquement, en vue de l’obtention du titre de Docteur en Sciences juridiques, sa thèse dontle sujet est repris dans le titre. En voici le résumé.

a RD Congo, comme Étatdisposant d'une Constitutionécrite, organise, tant du point

de vue des structures que descompétences, un système de contrôle deconstitutionnalité qui s'inscrit dans lecadre du mouvement général duconstitutionnalisme apparu au 18ème siècleeuropéen, au moment où il fut questionentre autres d'abolir l'absolutisme royal.Son système de justice constitutionnellecomprend, d'une part, un cadre organiqueet, d'autre part, un cadre matériel quipermet d'assurer un contrôle aussi efficaceque possible des actes soumis à l'autoritéde la Constitution.

Sur le plan organisationnel, onconstate que, depuis la promulgation de laLoi fondamentale du 19 mai 1960 jusqu'àl'adoption par voie de référendum de laConstitution du 18 février 2006, deuxtypes de juridictions investies du contrôlede constitutionnalité ont étéexpérimentées : d'une part, la Courconstitutionnelle et, d'autre part, la Coursuprême de Justice. Si la première,apparue en 1960, n'a pas pu fonctionner -en raison notamment de l'absence d'unevolonté politique claire à ce sujet -, laseconde a, quant à elle, fonctionné de1968 à ce jour, avant son remplacementannoncé par la nouvelle Courconstitutionnelle. De l'indépendance de laCour suprême de Justice, il n'a été enréalité qu'un vrai discours, le systèmepolitique instauré de 1970 à 1990 (leM.P.R-parti-État) ayant miné, tant en droitqu'en fait, cette garantie indispensable àtoute efficacité de la juridictionconstitutionnelle. Il s'en faut d'ailleurs debeaucoup que la nouvelle Cour

constitutionnelle, créée à la faveur de laConstitution du 18 février 2006, échappeau poids de cette lourde traditionautocratique, dont les séquelles sontencore palpables aujourd'hui dans la viedes magistrats et dans le fonctionnementréel des institutions étatiques.

Sur le plan matériel, en revanche,on constate que le cadre congolais ducontrôle de constitutionnalité, à l'opposéde la pratique généralement en vigueurdans des sociétés à forte traditionautocratique, est riche et digne demention. Il définit les compétences dujuge constitutionnel dans des domainesaussi traditionnels qu'insoupçonnés,élargissant ainsi la théorie du contrôle deconstitutionnalité à plusieurs "objets"d'étude. Ainsi le juge constitutionnelcongolais est compétent pour connaître deplusieurs types de contentieux allant descontentieux dits "normatifs"(interprétation de la Constitution, contrôlede constitutionnalité des normesjuridiques) aux contentieux touchant austatut du Pouvoir politique (contrôle de ladistribution horizontale et verticale duPouvoir, contrôle de la dévolutionconstitutionnelle du Pouvoir), en passantpar les contentieux mettant en cause laresponsabilité des pouvoirs publics (dontle contentieux relatif à la responsabilitépénale est à cet égard l'exemple topique).Tel qu'il est défini, ce cadre matériel ducontrôle de constitutionnalité est on nepeut plus prometteur du point de vue del'instauration d'un État de droitconstitutionnel.

Cependant, il ne peut y avoir Étatde droit constitutionnel dans une société

L

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politique où la culture la plus dominanteest celle non seulement de l'oralité et de laviolation de la parole donnée, maissurtout, du culte du "chef". En effet, lepoids de la longue tradition autocratiquedans laquelle baigne la RD Congo depuis1885 a, de notre point de vue, fait que,dans sa pratique, le système congolais ducontrôle de constitutionnalité, pourtantriche en recettes constitutionnelles, agénéré, de la part du juge constitutionnel,plusieurs types de "tactiques"jurisprudentielles. Selon que le jugeconstitutionnel congolais s'est trouvé, eneffet, devant des contentieux à forteconnotation politique ou pas, il adéveloppé, pour "se sauver",essentiellement trois types de "tactiques":soit il s'est agi d'"éviter" d'opérer uncontrôle méticuleux des actes ou faits luisoumis, soit il s'est agi de contribuer àl'"échec" même du contrôle deconstitutionnalité, soit encore il s'estmontré carrément lui-même un"instrument" à la disposition du Pouvoirpolitique.

Ce fut le cas notamment lors del'exception d'inconstitutionnalité de la loidite "BAKAJIKA" soulevée à l'occasiondu contrôle de la régularité d'un arrêtéministériel (arrêt Congo Motors Ltd, 14juin 1973) ou lors du contrôle de larégularité des ordonnances présidentiellesdes 16 juin et 6 juillet 1994 portantinvestiture d'un Premier ministre etnomination des membres de sonGouvernement (arrêt USORAL et crts, 21août 1996). Ce fut le cas également lorsde nombreux contrôles deconstitutionnalité des lois opérés de 2001à 2006, sous la "transition démocratique".Plus illustratifs de ces tactiques noussemblent être les contrôles de régularitéopérés lors des dernières élections, enparticulier lors de l'élection présidentielledes 30 juillet et 29 septembre 2006. Àl'occasion du premier contentieuxélectoral ayant opposé en effet lescandidats BEMBA et KABILA, le jugeconstitutionnel congolais, compte tenu de

l'hostilité du contexte politique del'époque, s'est montré, nous semble-t-il,plus que pusillanime, apparaissantcarrément comme l'"allié" du processuspolitique initié à Sun City. Cela eninterprétant d'une manière fort restrictiveses compétences.

Deux principes de solution sontalors proposés pour que le systèmecongolais du contrôle de constitutionnalitécontribue véritablement à l'avènementd'un État de droit constitutionnel, tel qu'ilest proclamé dans le préambule et dansl'article 1er de la Constitution. Primo, ilfaut poser pour thèse que le Congo du21ème siècle n'a plus besoin d'un État àcaractère autocratique, et que ceci est unecondition fondamentale à la libération desforces démocratiques qui sommeillentdans chacun des citoyens et des magistratsdu Congo. Secundo, il faut poser pourthèse complémentaire que l'avènementd'un État de droit démocratique (ce queC.J. FRIEDRICH appelle la "démocratieconstitutionnelle") n'est possible que là oùune Constitution démocratique est nonseulement respectée par tous les citoyens,mais surtout appliquée par un corps dejuges indépendants et revêtus d'aptitudesintellectuelles nécessaires à l'impositionde ce constitutionnalisme.

Car il ne s'agit pas que lestendances autocratiques qui somnolentdans chacun des dirigeants potentiels duCongo commandent la marche de sadémocratie ; il s'agit de faire en sorte quela parole du peuple exprimée dans le texteconstitutionnel, quelles que soient parailleurs les qualités techniques ou lalégitimité démocratique de celui-ci,devienne, elle, souveraine, condition sinequa non de l'existence de tout État de droitconstitutionnel. A cette double condition,le développement de la justiceconstitutionnelle permettra alors de faireen sorte que le projet de sociétédémocratique dessiné dans la nouvelleConstitution ne reste pas que sur lespointillés...

Paul-Gaspard NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA

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À T R A V E R S L I V R E S E T R E V U E S

1) Mirko Dragolioub POPOVITCH et Françoise De MOOR (sous la direction), CongoEza. Photographes de RD Congo, fotografen van de DRC, photographers from the DRC.Bruxelles, Africalia éditions - Roularta Books. 262 pages.

Chacun connaît la devise de Paris Match : "Le choc des mots, le poids desphotos". L'ouvrage dont il est ici question s'inspire largement de ce slogan car il nousprésente l'Afrique à travers un recueil de près de 200 photos, réalisées par desAfricains et regroupées en huit thèmes (se débrouiller, éduquer, communiquer etc..)de la vie courante.

L'intérêt particulier de cet ouvrage est bien évidemment de nous montrer uneAfrique vue non pas par des photographes étrangers mais par les autochtones eux-mêmes, en dépit de leurs moyens limités en ce qui concerne les nouvellestechnologies de l'image. Mais au moins, avons-nous donc ici la réalité congolaisereprise en main par des Congolais.

A l'appui des photos, quatre écrivains ont accepté de préfacer chacun deuxthèmes développés dans le recueil et réalisent ainsi une symbiose bienvenue dedifférents moyens d'expression artistique : cette confrontation des genres rend donchommage à la richesse et à la force de la culture africaine. Chaque texte est présentésuccessivement en français, néerlandais et anglais, ce qui permet évidemment à untrès large public de pénétrer pleinement dans l'univers qui nous est présenté.

Un fort bel ouvrage donc, qui comble un vide, celui de voir l'Afrique à traversle regard de ses propres enfants. La présentation très soignée en fera un fleuron debibliothèque.

Eddy van SEVENANT

2) Bienvenu SENE MONGABA, L’instant de paix, Kinshasa-Wavre-Bruxelles, éditionsMabiki, février 2008. 193 pages.(voir site internet : www.mabiki.net). Prix : 15€.

Ce petit roman se présente comme une sorte de saga familiale qui débute à lafin du XIXème siècle et se poursuit jusqu’ànos jours à travers la filiation d’une sériede personnages attachants, de Baki lechasseur de fauves à Eleya la rebellelumumbiste.

Mais cet instant de paix, il n’arrivequ’en toute fin du récit car avant cela, cene sont souvent que luttes contre leshommes ou les animaux, crimes,massacres, tortures diverses et toutessortes d’avanies qui font de la vie de nospersonnages une aventure permanentemais finalement passionnante à suivre : le livre se lit donc facilement et d’un seultrait.

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L’auteur nous fait revivre la période pré-coloniale avec ses traditionsvillageoises, les chasses aux fauves, les mariages coutumiers, les joies et lesdifficultés de la vie en forêt ; puis vient l’époque des colonisateurs qui sont présentéssous un jour très défavorable pour ne pas dire plus, la résistance à l’introduction duchristianisme qui allait à l’encontre de la religion traditionnelle mais à travers tousles bouleversements sociétaux, la continuité d’un état d’esprit purement africain quipoursuit courageusement la lutte malgré tous les obstacles. Quant à la périodemoderne de l’indépendance, elle est évoquée assez rapidement en vue de clôturer desévénements bien plus anciens (une vengeance finale) et on devine aussi que lanouvelle classe dirigeante du pays ne sera pas beaucoup plus compréhensive nibénéfique pour le peuple que l’ancienne puissance coloniale.

Sur le plan formel, on regrettera que les correcteurs de la maison d’éditionaient laissé passer l’une ou l’autre coquille orthographique et l’on sourira de certainsanachronismes comme celui de l’emploi d’un filet de pêche en nylon au XIXème s. oudes soins au blessé dispensés par un kiné à la même époque. Mais tout cela n’est pasbien grave et l’on prendra beaucoup de plaisir à suivre les aventures multiples etvariées des héros du roman dans leur recherche souvent vaine hélas de ce fameuxinstant de paix sous les tropiques.

Eddy van SEVENANT

3) Guido CONVENTS, Images et paix. Les Rwandais et les Burundais face aucinéma et à l'audiovisuel. Une histoire politico-culturelle du Rwanda-Urundiallemand et belge et des Républiques du Rwanda et du Burundi (1896-2008).Leuven, 2008. 604 pages. Avec le soutien de la Région Bruxelles-Capitale et deAfricalia Asbl.

NDLR : le 17 avril 2008 à Bruxelles, Africalia Asbl et l'Afrika Filmfestival (Leuven)ont organisé une troisième table-ronde audiovisuelle. Thème de cette année :"Diffusion des productions audiovisuelles dans la région des Grands-Lacs et enAfrique de l'Est." La première partie de la journée a été une sorte de prolongementde la réflexion entamée antérieurement et qui avait permis de montrer les enjeux etles perspectives de l'audiovisuel en RD Congo, au Burundi et au Rwanda. Ladeuxième partie a été consacrée à un état des lieux de la création et de la diffusionaudiovisuelle en Afrique de l'Est : Kenya, Ouganda et Tanzanie. Mais un desmoments forts de la journée fut sans doute la présentation du livre de GuidoCONVENTS dont le titre est repris ci-dessus.

En effet, ce livre peut être considéré comme une véritable somme sur l'histoiredes productions audiovisuelles au Rwanda et au Burundi. Par la qualité et la quantitédes informations fournies, l'auteur démontre incontestablement qu'il a bien maîtriséson sujet. Il est vrai qu'il a beaucoup publié sur le cinéma africain depuis plusieursannées.

En se penchant particulièrement sur les cas du Rwanda et du Burundi, l'auteura essayé "d'appréhender la culture cinématographique au Rwanda et au Burundi, enexaminant les rapports que les habitants de ces pays ont entretenus avec le cinématout au long du XXème et au début du XXIème siècles. [L'étude] s'intéresse nonseulement à la production des œuvres, mais aussi à d'autres éléments comme

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l'exploitation, la distribution et la réception des films dans ces pays. Elle accorde uneattention particulière au public, aux réalisateurs et aux acteurs, mais se pencheégalement sur le rôle joué par le pouvoir politique et celui, considérable, des Églises(notamment catholique, avant et après l'indépendance)." (page 26).

Le livre est divisé en deux parties. La première (pages 31 à 212) est consacréeau cinéma de l'époque coloniale allemande et belge. Durant cette période, ce sontsurtout les productions de l'Occident, réalisées parfois à des fins de propagandecoloniale, qui sont montrées aux expatriés vivant en Afrique et aux indigènes.L'auteur montre en particulier le rôle joué par les Missionnaires dans la productionde films à caractère éducatif et récréatif. Mais en même temps il fait aussi ressortirles attitudes des autorités de l'époque à l'égard du cinéma en Afrique.

Avec la deuxième partie (pages 213 à 531) intitulée Rwanda et Burundi (1962-2008), on peut dire que les Rwandais et les Burundais entrent maintenant en scène,non plus en tant que consommateurs presque uniquement, mais cette fois-ci commeacteurs, producteurs, réalisateurs, distributeurs et même techniciens. Certes, lesdébuts n'ont pas été faciles comme on pouvait s'y attendre mais les recherchesméthodiques et très fouillées de l'auteur permettent de se rendre compte de toutes lesinitiatives et d'une très grande partie des réalisations des organisations publiques ouprivées et des particuliers. Et si la période précédente a été surtout marquée parl'avènement du cinéma, d'abord muet et ensuite sonore, on peut dire que le rôle de latélévision ne va cesser de se faire sentir dans les productions audiovisuelles de laseconde période, en particulier, pour le cas du Rwanda, avec les nombreuxdocumentaires produits de 1994 à 2008 à propos du génocide rwandais. Il est à noterqu'en quelques années plusieurs longs métrages ont été réalisés sur le Rwanda. Onpeut parler d'un véritable engouement pour la production audiovisuelle, portéeparfois par de jeunes producteurs, réalisateurs et acteurs dont les talents seconfirment de jour en jour.

Véritables témoins de l'histoire, de la culture ou de la vie tout simplement detout un peuple, les productions audiovisuelles au Rwanda et au Burundi nemanqueront pas d'intéresser toutes les personnes désirant comprendre les différentsépisodes qui ont marqué l'histoire de ces pays. On ne peut donc que recommander lelivre à l'attention des lecteurs de la revue.

M. H.

N O U V E L L E S F A M I L I A L E S

Nous sommes heureux de vous faire part de la naissance :- le 22 mai 2008 à Charleroi, de Jean-Elie, fils de Johnny MUKOKO BOPOPI et JoséphineYASSAMBIA K.

Nous lui souhaitons une vie heureuse dans sa familles et dans sa communauté.

C'est avec regret que nous vous faisons part du décès :- le 7 juin 2008 au Cameroun, de Emmanuel KUINDJA, à l'âge de 71 ans, père de PhilibertKONANA

Ne soyons pas tristes de l'avoir perdu mais soyons reconnaissants de l'avoir eu. (SaintAugustin).