4
Urgences (1995) XIV, 131-134 © Elsevier, Paris Fait clinique Tentative de suicide. Une dtiologie & ne pas ndgliger dans les comas calmes du sujet &gd JM Le Gac, L Picault, P Appere 1 1SAU-SMUR, centre hospitalier de Bodefio, 56100 Lorient, France (Re~u le 11 avri11995 ; accepte le 20 avri11995) Resum~ - A partir d'une observation d'un coma calme chez une personne &gee et de sa prise en charge, nous avons pu definir une conduite & tenir. Une analyse retrospective sur 7 ans nous a revel6 que dans ce cas rorigine toxique est & evoquer de principe. Lors des tentatives de suicide des personnes de plus de 65 ans, les benzodiaze- pines sont largement employees (46%). Elles sont souvent associees & d'autres substances (56%) qui, du fait des medicaments disponibles dans la pharmacie de ces patients, rendent les pronostics plus sombres (cardiotropes). Le test au flumazenil au cours d'une conduite diagnostique et therapeutique rigoureuse peut eviter des examens inutiles Iors des comas calmes du sujet &ge. sujet ~g~ / tentative de suicide / coma La prise en charge et la recherche etiologique des comas calmes chez le sujet de plus de 65 ans sont souvent guidees par un fatalisme resign& En effet, la grande preponderance des accidents vas- culaires cerebraux ischemiques ou hemorragiques, aggravee par I'absence d'une therapeutique con- sensuellement reconnue, amene souvent & de simples mesures symptomatiques devant un coma de vieillard. Pourtant, I'interrogatoire des proches et la rigueur clinique que I'on devrait adopter quel que soit I'&ge peuvent quelquefois permettre de retrouver une cause simple et traita- ble : la tentative de suicide medicamenteuse. ,~ la suite d'une observation caracteristique, nous avons effectue une enqu~te retrospective sur les cas de tentative de suicide pris en charge par le SAU (service d'accueil des urgences). Cela nous a permis d'adopter une attitude pratique pour I'avenir. OBSERVATION Un homme &ge de 83 ans est hospitalise dans le SAU apres avoir ete pris en charge par le SMUR *Conference presentee Iors du colloque de la Societe fran- ?aise de medecine de catastrophe, Intermedica, Paris, 29 mars 1995. & son domicile pour un coma calme avec de legers sig.nes deficitaires gauches. A I'admission, ce patient presente un score de Glasgow & 7 (E = 1, M = 5, V = 1), I'examen clinique retrouve des pupilles en myosis bilateral, I'absence de signes de Iocalisation neurologique. La tension arterielle est & 16/9 ; le pouls, regulier & 70 par minute, est apyretique. Le reste de I'exa- men clinique est normal. Seul persiste un doute sur une asymetrie du tonus musculaire au niveau du membre superieur gauche. L'electrocardio- gramme, la glycemie capillaire, la radiographie thoracique sont normaux. L'interrogatoire de la fille du patient permet de preciser qu'il s'agit d'un homme actif, implique dans la vie associative de sa commune, veuf depuis 4 ans, vivant seul mais voyant souvent ses enfants. II est traite depuis quelques lours pour une prostatite par alfuzosine (Xatral®). Un scanner cerebral, pratique pour rechercher un accident vasculaire cerebral, s'avere normal. Le traitement, jusque-I& symptomatique (oxy- gene nasal, voie veineuse et surveillance clini- que), devient plus actif devant I'apparition d'une bradypnee respiratoire et d'un encombrement bronchique. Un test therapeutique par administra- tion de 0,3 mg de flumazenil par voie intravei- neuse permet le reveil du patient.

Tentative de suicide. Une étiologie à ne pas négliger dans les comas calmes du sujet âgé

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Tentative de suicide. Une étiologie à ne pas négliger dans les comas calmes du sujet âgé

Urgences (1995) XIV, 131-134 © Elsevier, Paris

Fait clinique

Tentative de suicide. Une dtiologie & ne pas ndgliger dans les comas

calmes du sujet &gd

JM Le Gac, L Picault, P Appere 1

1SAU-SMUR, centre hospitalier de Bodefio, 56100 Lorient, France

(Re~u le 11 avri11995 ; accepte le 20 avri11995)

Resum~ - A partir d'une observation d'un coma calme chez une personne &gee et de sa prise en charge, nous avons pu definir une conduite & tenir. Une analyse retrospective sur 7 ans nous a revel6 que dans ce cas rorigine toxique est & evoquer de principe. Lors des tentatives de suicide des personnes de plus de 65 ans, les benzodiaze- pines sont largement employees (46%). Elles sont souvent associees & d'autres substances (56%) qui, du fait des medicaments disponibles dans la pharmacie de ces patients, rendent les pronostics plus sombres (cardiotropes). Le test au flumazenil au cours d'une conduite diagnostique et therapeutique rigoureuse peut eviter des examens inutiles Iors des comas calmes du sujet &ge.

sujet ~g~ / tentative de suicide / coma

La prise en charge et la recherche etiologique des comas calmes chez le sujet de plus de 65 ans sont souvent guidees par un fatalisme resign& En effet, la grande preponderance des accidents vas- culaires cerebraux ischemiques ou hemorragiques, aggravee par I'absence d'une therapeutique con- sensuellement reconnue, amene souvent & de simples mesures symptomat iques devant un coma de vieillard. Pourtant, I'interrogatoire des proches et la rigueur clinique que I'on devrait adopter quel que soit I'&ge peuvent quelquefois permettre de retrouver une cause simple et traita- ble : la tentative de suicide medicamenteuse.

,~ la suite d'une observation caracteristique, nous avons effectue une enqu~te retrospective sur les cas de tentative de suicide pris en charge par le SAU (service d'accueil des urgences). Cela nous a permis d'adopter une attitude pratique pour I'avenir.

O B S E R V A T I O N

Un homme &ge de 83 ans est hospitalise dans le SAU apres avoir ete pris en charge par le SMUR

*Conference presentee Iors du colloque de la Societe fran- ?aise de medecine de catastrophe, Intermedica, Paris, 29 mars 1995.

& son domicile pour un coma calme avec de legers sig.nes deficitaires gauches.

A I'admission, ce patient presente un score de Glasgow & 7 (E = 1, M = 5, V = 1), I'examen clinique retrouve des pupilles en myosis bilateral, I'absence de signes de Iocalisation neurologique. La tension arterielle est & 16/9 ; le pouls, regulier & 70 par minute, est apyretique. Le reste de I'exa- men clinique est normal. Seul persiste un doute sur une asymetrie du tonus musculaire au niveau du membre superieur gauche. L'electrocardio- gramme, la glycemie capillaire, la radiographie thoracique sont normaux.

L'interrogatoire de la fille du patient permet de preciser qu'il s'agit d'un homme actif, implique dans la vie associative de sa commune, veuf depuis 4 ans, vivant seul mais voyant souvent ses enfants. II est traite depuis quelques lours pour une prostatite par alfuzosine (Xatral®).

Un scanner cerebral, pratique pour rechercher un accident vasculaire cerebral, s'avere normal.

Le traitement, jusque-I& symptomatique (oxy- gene nasal, voie veineuse et surveillance clini- que), devient plus actif devant I'apparition d'une bradypnee respiratoire et d'un encombrement bronchique. Un test therapeutique par administra- tion de 0,3 mg de flumazenil par voie intravei- neuse permet le reveil du patient.

Page 2: Tentative de suicide. Une étiologie à ne pas négliger dans les comas calmes du sujet âgé

132 JM Le Gac et al

TableauI. Repartition destentatives de suicide selonles centres antipoison.

Age <3 3-5 6-9 10-15 16-25 26-35 Repartition(%) 33 14 3 4 15 13

36-45 46-55 56-64 >65 8 4 3 3

Tableau II. Repartition des psychotropes dans les tentatives de suicide des sujets de plus de 65 ans (% exprime par rapport au total des prises medicamenteuses).

Benzodiazepines Barbituriques Carbamates Antidepresseurs Neuroleptiques Nbre (%) Nbre (%) Nbre (%) Nbre (%) Nbre (%)

Lorazepam 12 (15) Secobarbital 1 (1) Meprobamates 6 (7) Tricycliques 4 (5) Cyanmemazine 1 (1) Flunitrazepam 5 (7) Amobarbital 1 (1) Apparentes 2 (2) Levomepromazine 1 (1)

Autres 19 (24) Association 2 (2) Imipraminiques 1 (1)

Total 36 (46) 2 (4) 6 (7) 7 (8) 2 (2)

Ce dernier avouera avoir ingere des benzodia- zepines ayant appartenu 9_ son epouse. Son geste 9_ ete motive par ses problemes prostatiques.

Une pneumopathie necessitera neanmoins sa surveillance en service de reanimation durant 48 heures. II quittera I'hepital avec un suivi psy- chiatrique et une consultation urologique.

DISCUSSION

Cette experience montre bien qu'il faut savoir rester rigoureux devant tout coma inexpliqu& L'apanage des causes toxiques ne revient pas aux seuls sujets jeunes (tableau I). Tous &ges confondus, il apparaft que les intoxications medi- camenteuses par benzodiazepines predominent dans plus de deux tiers des cas [1,2, 3].

Nous avons realise une analyse retrospective entre le ler janvier 1986 et le 31 decembre 1993 sur les tentatives de suicide medicamenteuses des sujets de plus de 65 ans. Nous avons collecte 79 dossiers, representant 60% des tentatives des sujets &ges sur cette periode.

Les benzodiazepines sont responsables dans

Tableau III. Repartition des differents medicaments utilises dans les tentatives de suicide du sujet &ge.

M#dicaments Nombre

AINS 2 Morphiniques 1 Antalgiques 3 Cardiotropes 10 Digitaline 5 Anticonvulsivants 2 Neu ropleptiques 2 IMAO 1 Antidepresseurs 8 Carbamates 8 Barbituriques 2 Benzodiazepines 44 Autres 4

Total 84

46% des cas, le Iorazepam (Temesta ®) etant im- plique dans 15% des intoxications (tableau II).

Les autres molecules comme les antidepres- seurs tricycliques (5%) et les cardiotropes (17%), dont la digitaline (7%), sont importantes & consi- derer en raison de leur forte toxicite (tableau III).

Toutes ces substances font partie de la phar- macopee traditionnelle des sujets &ges.

Leur pathogenie est d'autant plus importante que les associations sont assez frequentes (40%) (tableau IV).

Les medicaments utilises dans les tentatives de suicide n'auront pas les m~mes repercussions cliniques chez le sujet &ge que chez le sujet jeune. Comme I'ont souligne Auzepy et Graini [4], I'eau corporelle totale diminue (donc le volume de dis- tribution des substances hydrosolubles comme la digoxine) alors que la masse graisseuse aug- mente (donc le volume de distribution des medi- caments liposolubles, comme les benzodiazepi- nes).

La recherche etiologique d'un coma calme dolt donc prendre en consideration ces elements. D'autant que le grand &ge et son cortege de problemes medicaux aggravent le pronostic.

Les patients decedes des suites d'une tentative de suicide medicamenteuse ont plus de 65 ans dans 30% des cas [5].

L'examen initial, dans notre observation, est nous I'avons vu primordial. II peut permettre de visiter la pharmacie du patient et donc d'incriminer les substances suspectes.

Tableau IV. Association des toxiques utilises dans les tentatives de suicide du sujet &ge.

Nombre de toxiques Nombre (%) en cause

3 et plus 12 (15) 2 15 (19) 1 35 (44) Alcool associe 6 (8) Non connu 11 (14)

Page 3: Tentative de suicide. Une étiologie à ne pas négliger dans les comas calmes du sujet âgé

Tentative de suicide 133

Lors de I'hospitalisation ou encore au domicile du patient, I'interrogatoire des proches eu la con- naissance du lieu de vie peut permettre de glaner des renseignements precieux.

On recherchera des facteurs de risques [6] con- nus chez les patients de plus de 65 ans (tableau V). Dans cette situation de crise, I'entourage se confiera plus volontiers et son temoignage sera important pour la suite des soins.

Chez la personne &gee, la tentative de suicide n'a vraisemblablement pas la m6me valeur que chez le sujet jeune : le nombre de tentatives pour un suicide est de un & trois chez le sujet de plus de 65 ans et de 12 & 75 chez les sujets de 25 & 34 arts selon le sexe (tableau VI) [7].

Cet acte, dans le contexte d'une maladie chro- nique ou d'un isolement social, prend avec le grand &ge une valeur differente. Si des mesures de reanimation doivent etre entreprises, I'equipe soignante sera amenee & se poser des questions ethiques [8]. De I'acharnement therapeutique & la passivite desabusee, la conduite & tenir doit ~tre temperee par la connaissance de I'etat ant~rieur du patient et de I'evolution envisageable. Les avis des proches et du medecin de famille sent primor- diaux. Une telle collaboration evite au medecin du SAU un isolement del~tere et permet d'adopter une demarche diagnostique et therapeutique con- duisant & une prise en charge optimale pour le patient.

I Comadu sujet&ge

Interrogatoire famille et proches

Antecedents Habitudes de vie

Facteurs suicidogenes Analyse ethique

I~levee ' serum phys Gdv

Examen clinique

Pas de cause retrouvee

Glycemie capillaire

Inspection du lieu de vie

Tenue du patient Recherche de medicaments

Ordonnances, ECG Source de CO

Basse ' G 30% IV

Normale

I~levee " deshydratation ? Natremie

Normale

Basse " d6pletion, diuretiques ?

d'uneReCherchecause toxique i

Aucune 3~

Scanner c6rebral

CO : dosage carboxyhemoglobine Morphiniques : test au naloxone

Benzodiazepine: test au flumazenil Alccolemie

Screening de toxiques

Fig 1. Conduite & tenir devant un coma calme du sujet &ge.

Page 4: Tentative de suicide. Une étiologie à ne pas négliger dans les comas calmes du sujet âgé

134 JM Le Gac etal

Tableau V. Facteurs favorisant un comportement suicidaire chez le patient de plus de 65 ans.

80 ans et plus Sexe masculin Categorie socioprofessionnelle defavorisee Isolement social (celibat, divorce, veuvage) Degradation physique, maladie invalidante et/ou douloureuse Alcoolisation Difficultes mentales (psychose delirante, 6tat confusionnel, demence...) Changement de domicile (institution, chez un enfant) Perte de personnes proches, difficultes physiques, sociales, 6conomiques...

CONCLUSION

En urgence prehospitaliere ou hospitaliere, en presence d'un coma chez une personne &gee, il faut savoir 6tre aussi rigoureux que chez les sujets jeunes (fig 1). Si les causes vasculaires et meta- boliques sent plus frequentes, elles ne doivent pas pour autant faire oublier les autres. Dans notre cas, un test au flumazenil, apres un interrogatoire precis de I'entourage ainsi que la visite de la pharmacie familiale, aurait permis d'eviter certai- nes errances diagnostiques.

A posteriori, I'etiologie toxique du coma, simple & trouver chez le sujet jeune, peut 1'etre aussi chez le sujet &ge.

Tableau Vl. Nombre de tentatives de suicide selon I'&ge et ie sexe.

Age Hommes Femmes

15-24 22 160 25-34 12 75 35-44 10 83 45-54 2 13 55-64 1,2 13

>65 1 3

REFERENCES

1 Hebert-Stevens J, Sauval P, Barrier G. Intoxication medi- camenteuse volontaire du sujet &ge : Experience du SAMU de Paris. Geriatrics-praticiens & 3 e #ge 1988; 11:532-536

2 Mantz JM, Kopferschmitt J, Sauder P, Flesch F, Juif J, Jaeger A. Les intoxications aigu~s : epidemiologie, etio- Iogie generale et apport de la toxicologie biolegique. Rev Prat 1988; 38:2223-9

3 Galliard M, Herve C. Approche 6pidemiologique des sui- cides et tentatives de suicide des sujets &g6s en aide medicale urgente. Urgences M#d 1992; 11:173-9

4 Auzepy P, Graini L. Rean Urg 1993;2:279-81 5 Creme P. ABC of poisoning. Br MedJ 1984;289:546-8 6 Picault L. Le suicide chez les personnes &ges. Geronto-

Iogie 1995;93:25-9 7 Andrian J. Temps sociaux, &ges, modeles. Iresco 8 Mauret te P, Valentin ML. Entre I 'acharnement thera-

peut ique et I 'euthanasie passive : les facteurs objec- tifs de la reanimat ion du sujet &ge. Agressologie 1 990;31:743-5