4
Terminus 2001 ? Quand finit le XX e siècle ? La date du 11 septembre 2001 vient tout de suite à l’esprit : catastrophe spectaculaire et mondiale, vécue en direct sur les écrans de TV, emblèmes de la globalisation, anéantissement du symbole le plus hardi de la modernité par un retour stupéfiant de la violence barbare. Les tours jumelles semblaient bien relayer la bergère-Tour Eiffel d’Apollinaire, mais voici que cette poésie ne chante plus, et que la prose des journaux énonce l’horreur. De quoi se souvenir qu’elle avait déjà occupé le cœur de ce siècle dont une première grande guerre avait constitué le lever de rideau. Ainsi allait commencer la longue série des récits relatant ces atrocités, jusqu’en 2006 où le roman de Jonathan Littell, Les Bienveillantes, devait apparaître, dans le domaine de la littérature française, comme un des premiers grands livres du XXI e siècle. Après une période d’euphorie, liée au triomphe de l’immatériel dans le domaine monétaire et à la prospérité d’une épargne constituée par une génération soucieuse de sa retraite, la bourse s’effondre en 2000 : les titres perdent plus de 60% en trois ans. La spéculation sur les nouvelles technologies, les effets d’une « nouvelle économie », l’entrée sur le marché des start up, les rachats et investissements au-delà des capacités réelles, tout portait à croire à une nouvelle civilisation, à de nouvelles sources de richesses et à une nouvelle ère de communication. Les valeurs traditionnelles du capitalisme d’entreprise s’effacent pour laisser la place à un capitalisme financier. Huit ans plus tard, la « bulle de l’immobilier » entraînera un second krach... Mais c’est aussi en 2001 que paraissait Le Tramway de Claude Simon, dernier livre d’un romancier dont une grande partie de l’œuvre avait consisté à interroger ce qui lui était arrivé en 1940 sur une certaine Route des Flandres, et qui avait réussi, de la sorte, à intéresser suffisamment le monde pour obtenir le Prix Nobel. Cette même année mourait son éditeur, Jérôme Lindon, qui avait hébergé aux Éditions de Minuit sous l’étiquette de « Nouveau roman » une remise en cause majeure des pratiques narratives, reprise et continuation des questions qu’avaient déjà posées l’œuvre de Proust, Les Faux-Monnayeurs de Gide, et les réflexions de Sartre sur l’imposture que signifiait l’omniscience du romancier. La disparition des auteurs regroupés sous cette appellation de « Nouveau roman » –ou l’inflexion de leurs œuvres– marque-t-elle, en cette fin de siècle, le déclin d’un mode d’existence de la littérature, comme ensemble, plus ou moins homogène et plus ou moins durable, de conduites et de créations identifié comme un « mouvement littéraire » ? Orienté par une réflexion et une posture fondées sur une vision de la politique, ici et maintenant, le « mouvement » a animé tout le siècle en tant que forme sociale de la vie littéraire, forme souvent liée à une représentation de son rôle actif, voire prophétique. Elle était au carrefour d’une définition personnelle et d’une conception collective de la littérature, parvenant à réaliser ainsi ce que Bourdieu qualifiait d’autonomie relative de l’art. La notion même de post-modernité –et son impossible synthèse– ne peut être entendue comme synonyme de celle de mouvement, non plus que celle de littérature-monde et son intention d’embrasser une totalité : celle-ci réunit des œuvres disparates émanant de cultures distinctes et non de l’affirmation identitaire d’une littérature fondée sur un moment, une intention, une action, et une esthétique. Le destin des Éditions de Minuit aurait presque fait oublier qu’elles devaient leur nom à une tout autre circonstance : la clandestinité dans laquelle avait été publié sous l’Occupation, en 1943, le recueil collectif de résistance intitulé L’Honneur des poètes, préfacé par Paul Éluard, auquel avaient collaboré tous ceux qui allaient compter dans la poésie de la seconde moitié du siècle, et qui s’éteindraient l’un après l’autre dans sa dernière décennie : André Frénaud (1993), Jean Tardieu (1995), Eugène Guillevic (1997). Yves Bonnefoy était trop jeune pour en faire partie, mais son recueil Les Planches courbes, publié en 2001, apparaît un peu comme le chant du cygne de ces poètes que Jean-Claude Pinson a rassemblés dans

Terminus 2001 - dipot.ulb.ac.be

  • Upload
    others

  • View
    4

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Terminus 2001 - dipot.ulb.ac.be

Terminus 2001 ?

Quand finit le XXe siècle ? La date du 11 septembre 2001 vient tout de suite à l’esprit : catastrophe spectaculaire et mondiale, vécue en direct sur les écrans de TV, emblèmes de la globalisation, anéantissement du symbole le plus hardi de la modernité par un retour stupéfiant de la violence barbare. Les tours jumelles semblaient bien relayer la bergère-Tour Eiffel d’Apollinaire, mais voici que cette poésie ne chante plus, et que la prose des journaux énonce l’horreur. De quoi se souvenir qu’elle avait déjà occupé le cœur de ce siècle dont une première grande guerre avait constitué le lever de rideau. Ainsi allait commencer la longue série des récits relatant ces atrocités, jusqu’en 2006 où le roman de Jonathan Littell, Les Bienveillantes, devait apparaître, dans le domaine de la littérature française, comme un des premiers grands livres du XXIe siècle.

Après une période d’euphorie, liée au triomphe de l’immatériel dans le domaine monétaire et à la prospérité d’une épargne constituée par une génération soucieuse de sa retraite, la bourse s’effondre en 2000 : les titres perdent plus de 60% en trois ans. La spéculation sur les nouvelles technologies, les effets d’une « nouvelle économie », l’entrée sur le marché des start up, les rachats et investissements au-delà des capacités réelles, tout portait à croire à une nouvelle civilisation, à de nouvelles sources de richesses et à une nouvelle ère de communication. Les valeurs traditionnelles du capitalisme d’entreprise s’effacent pour laisser la place à un capitalisme financier. Huit ans plus tard, la « bulle de l’immobilier » entraînera un second krach...

Mais c’est aussi en 2001 que paraissait Le Tramway de Claude Simon, dernier livre d’un romancier dont une grande partie de l’œuvre avait consisté à interroger ce qui lui était arrivé en 1940 sur une certaine Route des Flandres, et qui avait réussi, de la sorte, à intéresser suffisamment le monde pour obtenir le Prix Nobel. Cette même année mourait son éditeur, Jérôme Lindon, qui avait hébergé aux Éditions de Minuit sous l’étiquette de « Nouveau roman » une remise en cause majeure des pratiques narratives, reprise et continuation des questions qu’avaient déjà posées l’œuvre de Proust, Les Faux-Monnayeurs de Gide, et les réflexions de Sartre sur l’imposture que signifiait l’omniscience du romancier. La disparition des auteurs regroupés sous cette appellation de « Nouveau roman » –ou l’inflexion de leurs œuvres– marque-t-elle, en cette fin de siècle, le déclin d’un mode d’existence de la littérature, comme ensemble, plus ou moins homogène et plus ou moins durable, de conduites et de créations identifié comme un « mouvement littéraire » ? Orienté par une réflexion et une posture fondées sur une vision de la politique, ici et maintenant, le « mouvement » a animé tout le siècle en tant que forme sociale de la vie littéraire, forme souvent liée à une représentation de son rôle actif, voire prophétique. Elle était au carrefour d’une définition personnelle et d’une conception collective de la littérature, parvenant à réaliser ainsi ce que Bourdieu qualifiait d’autonomie relative de l’art. La notion même de post-modernité –et son impossible synthèse– ne peut être entendue comme synonyme de celle de mouvement, non plus que celle de littérature-monde et son intention d’embrasser une totalité : celle-ci réunit des œuvres disparates émanant de cultures distinctes et non de l’affirmation identitaire d’une littérature fondée sur un moment, une intention, une action, et une esthétique.

Le destin des Éditions de Minuit aurait presque fait oublier qu’elles devaient leur nom à une tout autre circonstance : la clandestinité dans laquelle avait été publié sous l’Occupation, en 1943, le recueil collectif de résistance intitulé L’Honneur des poètes, préfacé par Paul Éluard, auquel avaient collaboré tous ceux qui allaient compter dans la poésie de la seconde moitié du siècle, et qui s’éteindraient l’un après l’autre dans sa dernière décennie : André Frénaud (1993), Jean Tardieu (1995), Eugène Guillevic (1997). Yves Bonnefoy était trop jeune pour en faire partie, mais son recueil Les Planches courbes, publié en 2001, apparaît un peu comme le chant du cygne de ces poètes que Jean-Claude Pinson a rassemblés dans

Page 2: Terminus 2001 - dipot.ulb.ac.be

l’habitation poétique du monde. Tous sont retombés dans la confidentialité, après la fin de l’embellie miraculeuse de la poésie de résistance. On peut faire, à la fin du siècle, le même constat que Jules Romains à son début : certes, on choie, enrichit et couvre d’honneurs certains écrivains, mais s’agissant des poètes, « la grande presse les ignore, les critiques en plus évitent d’en parler. […] [U]n Français de la bonne moyenne écarquillera les yeux, ou rigolera, si tu prononces leurs noms1 ». Le « Printemps des poètes », créé par Jack Lang en 1999, fut une tentative pour remédier à cet état de fait mais il ne paraît pas avoir été encore le printemps de la poésie du XXIe siècle… même si les manifestations de slam, de poésie sonore, et les diverses « performances » qui se déploient à cette occasion préfigurent peut-être un nouveau mode d’investissement de l’espace social.

En 2001 toujours disparaît Léopold Sédar Senghor, dont le nom évoque tout le tumulte qui a entouré la décolonisation au XXe siècle : la fin de l’aveuglement condescendant et de l’exotisme esthétisant du siècle précédent, la dénonciation de l’oppression économique et idéologique, les valeurs de la négritude, l’émergence d’une littérature qui dans un même mouvement dénonce et rallie l’ensemble déconcertant de la francophonie. Toute réflexion sur la fin du XXe siècle dans les littératures écrites en français doit prendre en compte au moins trois faits. Tout d’abord, le déplacement du centre de gravité de la production littéraire de Paris vers New York. Ensuite, le rôle fondamental, aux États-Unis, des littératures francophones, surtout post-coloniales, pour la survie des départements de littérature française. Enfin, la crise quasi existentielle qui assaille le domaine du littéraire et des humanités en général et dont témoigne, par exemple, le récent colloque en ligne « Enseigner la littérature à l’Université » du portail Fabula2.

Ces trois tendances qui se sont affirmées au cours du dernier tiers du XXe siècle caractérisent certainement la fin d’une époque où la littérature possédait une aura, la littérature française la sienne propre, et les littératures francophones une place subalterne, comme un appendice à la littérature française, même si l’on pouvait en reconnaître certains joyaux. Une nouvelle ère se profile, dans laquelle la littérature française doit non pas s’ouvrir aux francophonies, mais en faire partie pour espérer une reconnaissance au niveau international, puisque celle-ci semble passer (mais pour combien de temps encore ?) par l’anglais, langue d’écriture et de traduction. Le « diktat » de la langue anglaise est cependant contrebalancé par une autre réalité récente, à savoir l’écriture en langue autochtone par les écrivains africains, comme le Sénégalais Boris Boubacar Diop ou le Kényan Ngugi wa Thiong’o. Cette démarche traduit une interrogation : la langue de l’ancien colonisateur n’est-elle qu’une simple langue à dimension internationale ou est-elle forcément empreinte de l’idéologie coloniale ? La question ne saurait être tranchée de manière radicale et définitive tant elle dépend des sensibilités et des situations spécifiques. Dans tous les cas, cette ère nouvelle ne semble pas s’être tout à fait débarrassée des démons du passé : malgré la décolonisation qui a marqué la seconde moitié du XXe siècle, le discours colonial et européano-centriste semble encore bien ancré dans les mentalités, dans l’inconscient collectif des peuples européens, comme le soulignent tant Dominique Combe dans son analyse du pamphlet « La littérature-monde 3 » que Jérémie Piolat dans son ouvrage Portrait du colonialiste4. Dès lors, il faut espérer, avec Pascal Blanchard5 que les anciens peuples colonisateurs commencent enfin un travail autocritique salutaire, comme l’ont entamé depuis longtemps les anciens colonisés, relatif à l’impact de la colonisation sur leur propre façon d’être au monde.

1 « Éros de Paris », Les Hommes de bonne volonté, vol. 4, 1932. L’auteur place ce propos en 1906. 2 « http://www.fabula.org/colloques/sommaire1475.php », consulté le 19 décembre 2011. 3 D. Combe, Les Littératures francophones. Questions, débats, polémiques, Paris, PUF, 2010, p. 213-228. 4 Paris, La Découverte, 2011. 5 Entretien de Pascal Blanchard, historien spécialiste de l’immigration dans Noirs, l’identité au cœur de la question, un film documentaire d’Arnaud Ngatcha (France 5 / France 3 / Arno Production / Tabo Tabo film, 2006).

Page 3: Terminus 2001 - dipot.ulb.ac.be

Un autre défunt, sur le mode mineur, en cette même année 2001 : Charles Trenet fut le dernier de ces chanteurs-poètes qui ont coloré toute la deuxième moitié du XXe siècle. Les plus célèbres sont Georges Brassens, Jacques Brel, Léo Ferré, mais il y en eut beaucoup d’autres –Jean Ferrat par exemple, dont le dernier album est de 1994–, et certains poètes qualifiés tels qu’Aragon, Queneau, Prévert n’hésitèrent pas à leur prêter leurs paroles. La liaison s’était effectuée dans les cabarets de Saint-Germain-des-Prés et de Montparnasse après la Libération, où une personnalité telle que Boris Vian sut se créer une réputation de trompettiste, chanteur et poète. De fait, il n’y eut guère de distinction essentielle entre les genres, ce qui permit toutes les rencontres et tous les croisements : un poète, Luc Bérimont, animait des émissions de radio consacrées à la chanson, le poète-éditeur Pierre Seghers6 faisait place à des chanteurs dans sa collection « Poètes d’aujourd’hui ». Ensemble, ils avaient lancé dans les années 60 les disques du « Club de la fine fleur », dont le but était de conjuguer « la chanson du XXe siècle avec la poésie de toujours, celle qui va de Orphée à René Guy Cadou et à Aragon7 ». Certes, à la fin du XXe siècle, et au début du suivant, il y a toujours une chanson à texte, qu’on n’en finit pas d’appeler « La nouvelle chanson française », mais ses auteurs-interprètes n’entretiennent plus aucun lien avec les poètes, et leurs couplets, inspirés par le quotidien, sont, pour beaucoup, platement prosaïques. Il faut insister sur cette réalité que le siècle de la technologie a scellé les noces des ondes et la littérature : qu’on songe à Jean Tardieu, animant de 1946 à 1962 le Club d’Essai de la RTF, où ont défilé Cocteau, Camus, Claudel, Queneau, Ponge, Prévert, Bachelard ; et qu’on considère l’événement culturel et le formidable moteur de diffusion du livre qu’a été, à la télévision cette fois, l’émission Apostrophes de Bernard Pivot8. Aussi est-il légitime de se demander si la fin du siècle ne serait pas à cet égard témoin du passage, dans les médias de grande diffusion, de l’analyse précise d’une œuvre à un débat sur une question d’actualité –entre Lectures pour tous, par exemple, consacré à un auteur et Bouillon de culture conçu autour d’un thème. C’est l’usage de la littérature qui se modifie, auquel se prêtent éditeurs, auteurs et lecteurs. Et l’inquiétude, qui n’est pas nouvelle, sur la « fin de la littérature », n’est-elle pas exprimée, chacun à leur manière, par William Marx9 et Jean-Marie Schaeffer10 ? Leurs opinions diffèrent sans se contredire. Celle du premier repose sur une forme récente de littérature autocentrée, coupée de toute référence explicite, et destinée à des lecteurs soucieux de faire valoir leurs compétences esthétiques ; celle du second sur une pratique austère des études littéraires rejetant le plaisir et l’interprétation personnelle. Mais toutes deux relancent, en cette fin de siècle, une réflexion sur la place de la littérature, contemporaine ou ancienne, dans la formation des esprits.

C’est encore en 2001 que meurt Jean Bazaine, un des peintres les plus éminents d’un groupe informel qui, grâce à l’activité du mécène Aimé Maeght, entretint avec la littérature une liaison effervescente, née de la fusion des arts voulue par les surréalistes. À l’occasion des quarante ans de la fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, une rétrospective intitulée De l’écriture à la peinture offrit un bilan étincelant : Alechinsky, Bazaine, Ernst, Estève, Fautrier, Giacometti, Picasso, Ubac pour les peintres, Cioran, Du Bouchet, Dupin, Bonnefoy, Esteban, Butor, Frénaud, Char, Tardieu, Ponge pour les écrivains…

Notons que le théâtre est le seul genre littéraire à avoir immédiatement pris en compte l’attentat sur Manhattan, avec la pièce aussitôt écrite par Michel Vinaver, 11 septembre 2001 / 11 septembre 2001, qui sera créée au Festival d’Avignon en 2003. Mais l’auteur lui-même en est aux bilans : il vient de publier en 2000 la nouvelle édition complétée de ses

6 Lui-même auteur de la chanson « Merde à Vauban » de Léo Ferré. 7 Les auteurs des trois premiers disques « 30 centimètres » étaient Hélène Martin, James Ollivier et Jacques Douai, tous trois lauréats du Grand prix du disque de l’Académie Charles-Cros. 8 Mais l’année 2001 voit la dernière de Bouillon de culture, qui lui a succédé. 9 L’Adieu à la littérature. Histoire d’une dévalorisation, XVIIIe-XXe siècles, Paris, Minuit, 2005. 10 Petite écologie des études littéraires : pourquoi et comment étudier la littérature, Vincennes, Marchaisse, 2011.

Page 4: Terminus 2001 - dipot.ulb.ac.be

Écrits sur le théâtre. Il est un représentant de ce qu’on a appelé, après le théâtre de l’absurde, le théâtre du quotidien, décimé dans les dernières années du siècle par la mort prématurée de ses auteurs les plus brillants, Bernard-Marie Koltès (1989) ou Jean-Luc Lagarce (1995). C’est un constat répandu : le théâtre « à texte », autrement dit littéraire, se porte mal et peut-être faut-il en voir le signe dans le fait que le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine monte pour la dernière fois, en 1999, un texte d’auteur, Tambour sur la digue d’Hélène Cixous, pour se consacrer ensuite aux créations collectives.

Quid, pour finir, des intellectuels ? Roland Barthes a proclamé la mort du « grand écrivain », celui qui, selon sa définition, dit ce qu’il sait. Les funérailles de Sartre, en 1980, ont connu sans doute le dernier grand cortège rassemblé par un événement de ce type ; celles d’Aragon, deux ans plus tard, furent plus modestes. Mais c’est justement à partir de ces années 80 que s’est développée dans les universités américaines, avec un réel succès, ce qu’on a appelé la French theory, fondée sur l’étude des œuvres de Michel Foucault, Jacques Lacan, Jacques Derrida, Louis Althusser, Gilles Deleuze, Jean Baudrillard, Jean François Lyotard11 : la cohérence conceptuelle n’était évidemment pas la vertu première de tels assemblages, qui ont d’ailleurs été dénoncés par Alan Sokal et Jean Bricmont12. Mais s’il est vrai de tels engouements et de tels amalgames prêtent à sourire, peut-on espérer, en ce début du XXIe siècle, que des intellectuels de cette stature susciteront le même enthousiasme ?

Bruno CURATOLO

Université de Franche-Comté

Jean-Yves DEBREUILLE Université Lumière Lyon II

Sabrina PARENT

FRS-FNRS/Université Libre de Bruxelles

Michèle TOURET Université Rennes II

11 Les plus jeunes morts de cette « communauté inavouable » sont Jacques Derrida en 2004 et Jean Baudrillard en 2007. 12 Notamment dans Impostures intellectuelles, Paris, Odile Jacob, 1997 ; renouvelé en1999.