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22 ° 1796 15 2019 PRATIQUE CANINE L’ACTU L e bonheur au travail … les chiens aussi ? » était la question posée lors du Jeudi de Zoopsy, le 20 décembre 2018, à Lyon (Rhône). « Travailler, pour un chien, consiste à remplir une tâche spécifique, explique Nathalie Marlois, présidente de l’association Zoopsy. La définition du travail évolue dans le temps. Certains courants de pensée actuels s’opposent au travail de l’animal et la question du bien- être et du bonheur se pose ». Jérôme Micha- lon, sociologue, déclare « qu’on n’a jamais autant parlé de bien-être au travail, mais éga- lement de souffrance. Chez l’homme, la recon- naissance du travail par autrui est nécessaire pour qu’il soit un plaisir ». Transformer le travail des animaux en une collaboration avec l’humain serait une façon de ne plus les réduire à des victimes. Deux types de travail demandés Astrid Dresse, zoopsychiatre, remarque qu’il existe deux types de travail deman- dés aux chiens. Le premier est une exa- cerbation d’un comportement pour lequel l’animal possède une appétence (notam- ment la chasse), avec la réalisation de sé- quences cognitives simples et rapidement récompensées. Le second est un appren- tissage complexe, où une performance cognitive élevée est demandée. Les chiens guides d’aveugles, par exemple, doivent intégrer des schémas de connaissances (comme le trottoir) et d’action (que faire face au trottoir), avec parfois des objectifs compliqués (retrouver son chemin). Leur responsabilité est permanente, sans pos- sibilité de fuite en situation difficile, sans récompense systématique, etc. Il convient alors de développer la motivation et la confiance en soi chez ces chiens. Toutefois, « le risque de demander trop de travail est que l’animal s’épuise, en analogie ÉTHIQUE La consultation d’un chien de travail est particulière. « Il convient d’expliquer au propriétaire que nous ne connaissons pas forcément sa discipline et que nous sommes experts seulement de la santé de son chien », analyse notre consœur Sylvia Masson. Pour elle, il importe ainsi de s’adapter à la situation et, avant tout, d’observer le chien pour déterminer s’il souffre. © Zoopsy conduit une réflexion sur le bien-être des chiens de travail La notion de bien-être animal est complexe et subjective. Pour pallier cette difficulté, l’association Zoopsy travaille à l’élaboration d’une grille capable d’en évaluer le niveau « pour progresser et non pour juger le propriétaire ». avec le burn-out observé chez les humains, et qui touche 45 % des vétérinaires », d’après Liliane Chalaye, psychologue. Pour Sylvia Masson, zoopsychiatre, la souffrance d’un chien au travail peut être d’origine diverse : un travail permanent, des méthodes d’éducation inappropriées, un trouble de l’attachement, une mala- die organique, etc. La consultation d’un chien de travail est particulière ; notre consœur conseille « d’expliquer au proprié- taire que nous ne connaissons pas forcément sa discipline et que nous sommes experts seulement de la santé de son chien. » Pour elle, il convient ainsi de s’adapter à la si- tuation, et avant tout d’observer le chien pour déterminer s’il souffre. « Le bien-être dépend de la perception de l’animal, et c’est son point de vue qui compte. Il faut ainsi chercher les signes de plaisir et les remettre en place. » Une grille d’évaluation du bien-être De plus, Guillaume Sarcey, zoopsychiatre, a présenté une grille d’évaluation du bien-être du chien en cours d’élaboration par plusieurs membres de Zoopsy. Elle est amenée à évoluer, et sera, une fois fi- nalisée, mise à la disposition de l’ensem- ble des vétérinaires. « L’objectif est de créer un outil numérique évolutif qui soit un sup- port dans les consultations, explique notre confrère. L’enjeu est que les vétérinaires de- viennent des référents du bien-être des chiens. » L’outil est constitué de trois feuilles Excel : l’identité du chien, le ques- tionnaire, qui contient 28 items, et les ré- sultats, classés de A (optimum) à D. Ces derniers sont divisés en six dimensions qui reprennent les cinq libertés fonda- mentales (besoins physiologiques, santé physique, environnement, relation au monde, santé mentale) et une “mission” pour les chiens qui effectuent des tâches. Toutefois, « la difficulté est la différence de représentation du bien-être du chien par son maître, par le vétérinaire et par le chien. Le bien-être est un état momentané, mais la qualité de vie s’inscrit dans le temps, et il convient de tenir compte des choix des clients sans les juger ». C’est également l’avis de Nathalie Marlois : « Mesurer le bien-être du chien, c’est s’engager pour progresser et non pour juger le propriétaire. Il convient d’être dans l’empathie et la bienveillance, et de se présenter en tant qu’accompagnateur pour améliorer les pratiques. » Le risque de demander trop de travail est que l’animal s’épuise, en analogie avec le burn-out observé chez les humains. ,

ÉTHIQUE Zoopsy conduit une réflexion sur le bien-être des

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22 I LA SEMAINE VÉTÉRINAIRE I N° 1796 I 15 FÉVRIER 2019

PRATIQUE CANINE L’ACTU

Le bonheur au travail … les chiensaussi ? » était la question posée lorsdu Jeudi de Zoopsy, le 20 décembre2018, à Lyon (Rhône). « Travailler,pour un chien, consiste à remplir unetâche spécifique, explique Nathalie

Marlois, présidente de l’association Zoopsy.La définition du travail évolue dans le temps.Certains courants de pensée actuels s’opposentau travail de l’animal et la question du bien-être et du bonheur se pose ». Jérôme Micha-lon, sociologue, déclare « qu’on n’a jamaisautant parlé de bien-être au travail, mais éga-lement de souffrance. Chez l’homme, la recon-naissance du travail par autrui est nécessairepour qu’il soit un plaisir ». Transformer letravail des animaux en une collaborationavec l’humain serait une façon de ne plusles réduire à des victimes.

Deux types de travail demandésAstrid Dresse, zoopsychiatre, remarquequ’il existe deux types de travail deman-dés aux chiens. Le premier est une exa-cerbation d’un comportement pour lequell’animal possède une appétence (notam-ment la chasse), avec la réalisation de sé-

quences cognitives simples et rapidementrécompensées. Le second est un appren-tissage complexe, où une performancecognitive élevée est demandée. Les chiensguides d’aveugles, par exemple, doiventintégrer des schémas de connaissances(comme le trottoir) et d’action (que faireface au trottoir), avec parfois des objectifscompliqués (retrouver son chemin). Leurresponsabilité est permanente, sans pos-sibilité de fuite en situation difficile, sansrécompense systématique, etc. Il convientalors de développer la motivation et laconfiance en soi chez ces chiens.Toutefois, « le risque de demander trop detravail est que l’animal s’épuise, en analogie

É T H I Q U E

La consultation d’un chien de travail est particulière. « Il convient d’expliquer au propriétaire que nous neconnaissons pas forcément sa discipline et que nous sommes experts seulement de la santé de son chien »,analyse notre consœur Sylvia Masson. Pour elle, il importe ainsi de s’adapter à la situation et, avant tout,d’observer le chien pour déterminer s’il souffre.

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Zoopsy conduit une réflexion sur le bien-être des chiens de travail

La notion de bien-être animal est complexe et subjective. Pour pallier cette difficulté,l’association Zoopsy travaille à l’élaboration d’une grille capable d’en évaluer le niveau« pour progresser et non pour juger le propriétaire ».

avec le burn-out observé chez les humains,et qui touche 45 % des vétérinaires », d’aprèsLiliane Chalaye, psychologue.Pour Sylvia Masson, zoopsychiatre, lasouffrance d’un chien au travail peut êtred’origine diverse : un travail permanent,des méthodes d’éducation inappropriées,un trouble de l’attachement, une mala-die organique, etc. La consultation d’unchien de travail est particulière ; notreconsœur conseille « d’expliquer au proprié-taire que nous ne connaissons pas forcémentsa discipline et que nous sommes expertsseulement de la santé de son chien. » Pourelle, il convient ainsi de s’adapter à la si-tuation, et avant tout d’observer le chienpour déterminer s’il souffre. « Le bien-êtredépend de la perception de l’animal, et c’estson point de vue qui compte. Il faut ainsichercher les signes de plaisir et les remettreen place. »

Une grille d’évaluation du bien-êtreDe plus, Guillaume Sarcey, zoopsychiatre,a présenté une grille d’évaluation dubien-être du chien en cours d’élaborationpar plusieurs membres de Zoopsy. Elleest amenée à évoluer, et sera, une fois fi-nalisée, mise à la disposition de l’ensem-ble des vétérinaires. « L’objectif est de créerun outil numérique évolutif qui soit un sup-port dans les consultations, explique notreconfrère. L’enjeu est que les vétérinaires de-viennent des référents du bien-être deschiens. » L’outil est constitué de troisfeuilles Excel : l’identité du chien, le ques-tionnaire, qui contient 28 items, et les ré-sultats, classés de A (optimum) à D. Cesderniers sont divisés en six dimensionsqui reprennent les cinq libertés fonda-mentales (besoins physiologiques, santéphysique, environnement, relation aumonde, santé mentale) et une “mission”pour les chiens qui effectuent des tâches.Toutefois, « la difficulté est la différence dereprésentation du bien-être du chien par sonmaître, par le vétérinaire et par le chien. Lebien-être est un état momentané, mais laqualité de vie s’inscrit dans le temps, et ilconvient de tenir compte des choix des clientssans les juger ». C’est également l’avis deNathalie Marlois : « Mesurer le bien-être duchien, c’est s’engager pour progresser et nonpour juger le propriétaire. Il convient d’êtredans l’empathie et la bienveillance, et de seprésenter en tant qu’accompagnateur pouraméliorer les pratiques. » •

“ Le risque de demander tropde travail est que l’animals’épuise, en analogie avec le burn-out observé chez

les humains. ”LILIANE CHALAYE, PSYCHOLOGUE

LORENZA RICHARD