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Article original Traitement chirurgical des lipoatrophies faciales Surgical treatment of facial lipoatrophy N. Caye *, B. Le Fourn, M. Pannier Service de chirurgie plastique et brûlés, centre hospitalier universitaire Nantes, immeuble Jean-Monnet, 30, boulevard Jean-Monnet, 44093 Nantes cedex 1, France Reçu le 8 juillet 2002 ; accepté le 20 novembre 2002 Résumé Le syndrome de lipodystrophie est une des complications majeures du traitement antirétroviral de l’infection par VIH. Ce traitement entraîne une lipoatrophie, une lipohypertrophie ou l’association des deux (forme mixte). La lipoatrophie est caractérisée par une perte de la graisse sous-cutanée. L’impact psychologique peut être sévère quand la lipoatrophie touche le visage. Le but de ce travail était de montrer les possibilités d’amélioration de cette lipoatrophie par la réalisation d’autogreffes d’adipocytes selon la technique décrite par Coleman. Une consultation de chirurgie plastique pour les lipodystrophies a été crée en décembre 1999. De décembre 1999 en janvier 2002, 87 patients ont été vus en consultation dont 29 ont bénéficié d’un traitement chirurgical par la technique de Coleman pour une lipoatrophie faciale. Les résultats ont été évalués par les auteurs cliniquement et par un bilan photographique standardisé en préopératoire et à 1 et 6 mois postopératoires. L’utilisation de la technique de Coleman est pour les auteurs le traitement idéal des lipoatrophies faciales chez les patients infectés par VIH sous traitement antirétroviral. La technique est fiable et les résultats préliminaires obtenus montrent une stabilité des greffons d’adipocytes dans le temps. La technique de Coleman est malgré tout limitée par la disponibilité de graisse et ne peut pas être utilisée dans tous les cas de lipoatrophie. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract The lipodystrophy syndrome is one of the major event of potent antiretroviral therapy. This treatment results in lipoatrophy, lipohypertro- phy or mixed syndrome. Lipoatrophy is characterized by a loss of subcutaneous fat. The psychological impact may be severe when it is localized at the face. The aim of this study was to show the possibilities of improve lipoatrophy by autologuous fatty tissue transplantation with the Coleman method. Since december 1999 we have a plastic surgery consultation for lipodystrophy. From December 1999 to march 2002 we have seen 87 patients in consultation and 29 patients have been treated for facial lipoatrophy with Coleman method. The patients were evaluated clinically and with serial photography at 1 and 6 months post operatively. Coleman method is the ideal treatment for facial lipoatrophy in HIV infected patients. This technique is reliable and preliminary results show durability of fat graft after 6 months. Nevertheless, Coleman method is restricted by fat availability and can not be used for all lipoatrophy. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots clés : Lipodystrophie ; VIH ; Face ; Greffe ; Graisse Keywords: Lipodystrophy; HIV; Face; Graft; Fat * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (N. Caye). Annales de chirurgie plastique esthétique 48 (2003) 2–12 www.elsevier.com/locate/annpla © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. DOI: 1 0 . 1 0 1 6 / S 0 2 9 4 - 1 2 6 0 ( 0 2 ) 0 0 1 7 6 - 0

Traitement chirurgical des lipoatrophies faciales

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Article original

Traitement chirurgical des lipoatrophies faciales

Surgical treatment of facial lipoatrophy

N. Caye *, B. Le Fourn, M. Pannier

Service de chirurgie plastique et brûlés, centre hospitalier universitaire Nantes, immeuble Jean-Monnet,30, boulevard Jean-Monnet, 44093 Nantes cedex 1, France

Reçu le 8 juillet 2002 ; accepté le 20 novembre 2002

Résumé

Le syndrome de lipodystrophie est une des complications majeures du traitement antirétroviral de l’infection par VIH. Ce traitemententraîne une lipoatrophie, une lipohypertrophie ou l’association des deux (forme mixte). La lipoatrophie est caractérisée par une perte de lagraisse sous-cutanée. L’impact psychologique peut être sévère quand la lipoatrophie touche le visage. Le but de ce travail était de montrer lespossibilités d’amélioration de cette lipoatrophie par la réalisation d’autogreffes d’adipocytes selon la technique décrite par Coleman. Uneconsultation de chirurgie plastique pour les lipodystrophies a été crée en décembre 1999. De décembre 1999 en janvier 2002, 87 patients ontété vus en consultation dont 29 ont bénéficié d’un traitement chirurgical par la technique de Coleman pour une lipoatrophie faciale. Lesrésultats ont été évalués par les auteurs cliniquement et par un bilan photographique standardisé en préopératoire et à 1 et 6 moispostopératoires. L’utilisation de la technique de Coleman est pour les auteurs le traitement idéal des lipoatrophies faciales chez les patientsinfectés par VIH sous traitement antirétroviral. La technique est fiable et les résultats préliminaires obtenus montrent une stabilité des greffonsd’adipocytes dans le temps. La technique de Coleman est malgré tout limitée par la disponibilité de graisse et ne peut pas être utilisée dans tousles cas de lipoatrophie.

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

The lipodystrophy syndrome is one of the major event of potent antiretroviral therapy. This treatment results in lipoatrophy, lipohypertro-phy or mixed syndrome. Lipoatrophy is characterized by a loss of subcutaneous fat. The psychological impact may be severe when it islocalized at the face. The aim of this study was to show the possibilities of improve lipoatrophy by autologuous fatty tissue transplantation withthe Coleman method. Since december 1999 we have a plastic surgery consultation for lipodystrophy. From December 1999 to march 2002 wehave seen 87 patients in consultation and 29 patients have been treated for facial lipoatrophy with Coleman method. The patients wereevaluated clinically and with serial photography at 1 and 6 months post operatively. Coleman method is the ideal treatment for faciallipoatrophy in HIV infected patients. This technique is reliable and preliminary results show durability of fat graft after 6 months.Nevertheless, Coleman method is restricted by fat availability and can not be used for all lipoatrophy.

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved.

Mots clés : Lipodystrophie ; VIH ; Face ; Greffe ; Graisse

Keywords: Lipodystrophy; HIV; Face; Graft; Fat

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (N. Caye).

Annales de chirurgie plastique esthétique 48 (2003) 2–12

www.elsevier.com/locate/annpla

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.DOI: 1 0 . 1 0 1 6 / S 0 2 9 4 - 1 2 6 0 ( 0 2 ) 0 0 1 7 6 - 0

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1. Introduction

Le syndrome de lipodystrophie est une des complicationsmajeures du traitement antirétroviral de l’ infection par VIH[1]. Ce traitement entraîne des anomalies métaboliques avecmodifications du schéma corporel et des anomalies biologi-ques associées. Les anomalies cliniques résultent d’une ré-partition anormale des graisses : lipoatrophie, lipohypertro-phie ou l’association des deux (forme mixte) [1–5].

La lipoatrophie est caractérisée par une perte de la graissesous-cutanée. L’ impact psychologique peut être sévèrequand cette lipoatrophie touche le visage [6].

Le but de ce travail était de montrer les possibilités d’amé-lioration de la lipoatrophie faciale par la réalisation d’auto-greffes d’adipocytes selon la technique décrite par Coleman,chez les patients infectépar VIH bénéficiant d’un traitementantirétroviral.

2. Le syndrome de lipodystrophie

Le syndrome de lipodystrophie est défini par l’associationvariable d’une accumulation de graisse, d’une fonte degraisse et d’anomalies métaboliques chez les patients infectépar VIH bénéficiant d’un traitement antirétroviral [2,3].

2.1. Lipohypertrophie

La lipohypertrophie est le résultat d’une accumulation degraisse. Cette accumulation se situe principalement au ni-veau [1–4] :

• la région cervicale postérieure appelée « bosse de bi-son » (Fig. 1) ;

• la région cervicale antérieure (Fig. 2) ;• la région thoraco-abominale avec une obésité troncu-

laire de type androïde et la possibilité de surchargegraisseuse intra-abdominale (Fig. 3), une hypertrophiemammaire chez la femme (Fig. 4) et une gynécomastiechez l’homme (Fig. 3).

2.2. Lipoatrophie

La lipoatrophie est le résultat d’une fonte de la graissesouscutanée. Elle se situe principalement [1–4] :

• au niveau de la face (Fig. 5) : la lipoatrophie faciale estcaractérisée par une atrophie des joues au niveau de laboule de Bichat et une atrophie des régions temporalessus- et sous-zygomatique (Fig. 6) ;

• au niveau des fesses (Fig. 7) ;• au niveau des membres avec apparition du réseau vei-

neux superficiel entraînant un aspect de pseudoveino-mégalie (Fig. 8).

2.3. Désordres métaboliques

Des anomalies du métabolisme glucidique et du métabo-lisme lipidique peuvent être associées aux anomalies clini-ques [1–4]. Ces troubles métaboliques sont principalement :

• des cas de diabète, une intolérance aux hydrates decarbone ou un état d’ insulinorésistance ;

• une hypertriglycéridémie et/ou une hypercholestérolé-mie.

2.4. Prévalence

La prévalence de ces anomalies est mal évaluée. Dans lesséries récentes, elle varie de 50 à 62 % pour le syndrome delipodystrophie et de 25 à 33 % pour la lipoatrophie faciale[1,4,5]. Le délai d’apparition de ces anomalies est de l’ordrede quelques mois et leur fréquence augmente avec la duréed’exposition au traitement antirétroviral [7,8]. Ces anomaliespeuvent s’associer sous une forme d’obésité tronculaire, delipoatrophie périphérique ou une forme mixte [1,5].

2.5. Physiopathologie

Les mécanismes impliqués dans la survenue des lipodys-trophies et des désordres métaboliques associés sont actuel-lement mal cernés [8,9]. Il existe des arguments pour penserque les médicaments sont impliqués dans ces anomalies,mais les arguments pour attribuer chaque symptôme, chaqueanomalie, à une classe thérapeutique ou à une moléculeprécise sont aujourd’hui loin d’être définitifs [1,8,9]. Il estdifficile de définir des conduites à tenir précises pour préve-nir ces symptômes [4].

Fig. 1. Sucharge cervicale postérieure ou bosse de bison.

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3. Matériel et méthodes

3.1. Matériel

Une consultation de chirurgie plastique pour les lipodys-trophies a étécréée en décembre 1999. De décembre 1999 enjanvier 2002, 87 patients ont été vus en consultation dont 29ont bénéficié d’un traitement chirurgical par autogreffed’adipocytes selon la technique de Coleman [10,11] pour unelipoatrophie faciale.

3.2. Méthodes

La technique chirurgicale était une autogreffe d’adipocy-tes selon la technique décrite par Coleman [10,11] pourcombler les dépressions au niveau de la face.

Les patients ont été évalués cliniquement et par un bilanphotographique standardiséen préopératoire et à1 et 6 moispostopératoire.

Les résultats ont été évalués par les opérateurs et séparésen 3 classes en fonction de la résorption des greffons adipo-cytaires et de la qualité du comblement des dépressionsfaciales :

• les bons résultats correspondaient aux résultats stables 6mois après l’ intervention ;

• les résultats moyens correspondaient aux résultats jugéssuffisants à 1 mois mais avec un résultat insuffisant à 6mois ;

• les mauvais résultats correspondaient aux résultats jugésinsuffisants à 1 mois.

Fig. 2. Lipohypertrophie cervicale antérieure.Fig. 3. Accumulation graisseuse tronculaire avec gynécomastie.

Fig. 4. Hypertrophie mammaire associée à une lipoatrophie des membressupérieurs.

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3.3. Technique chirurgicale

Nous avons utilisé une autogreffe d’adipocytes selon latechnique décrite par Coleman (Lipostructure®) [11].

La réalisation de cette technique est conditionnée par ladisponibilitéde graisse du patient. Le pli cutanéa étémesurépour apprécier la disponibilité de graisse : elle a été jugéesuffisante si celui-ci était supérieur à 1 cm.

La technique est réalisée de façon stérile sous anesthésiegénérale. La cartographie des régions à combler est réaliséeen préopératoire sur le patient en position debout. Le prélè-vement de graisse est réalisé sans infiltration préalable parune lipoaspiration à la seringue en essayant d’être le plusatraumatique possible. Une canule de lipoaspiration à boutmousse de 2 ou 3 mm est utilisée. La graisse prélevée estcentrifugée pendant 3 min à la vitesse de 3000 tr min–1. Lesphases huileuse et sanguine sont ensuite éliminées afin d’ob-tenir les greffons d’adipocytes. Les greffons de graisse sontensuite déposés au niveau du site receveur par de courtesincisions cutanées en essayant de traumatiser au minimumceux-ci. La graisse est injectée à l’aide de microcanules et deseringues de 1 cc Luer-lock® en réalisant des injectionsmultiplans croisées.

Les soins postopératoires consistent en une compressionélastique pour 15 j du site de prélèvement, un pansement desorifices d’ injections par bandelettes adhésives et des conseilspour la prévention des ecchymoses. Les patients sont hospi-talisés 24 h.

4. Résultats

Vingt-neuf patients ont été traités dont 22 hommes et 7femmes. L’âge moyen était de 43 ans (extrême de 28 à 64ans). Dix-neuf patients avaient une activitéprofessionnelle, 7étaient sans emploi et 3 étaient retraités. Tous les patients

Fig. 5. Lipoatrophie faciale.

Fig. 6. Lipoatrophie faciale avec fonte graisseuse de la boule de Bichat et desrégions temporales.

Fig. 7. Lipoatrophie des fesses.

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étaient infectés par le VIH depuis plus de 5 ans. La chargevirale était indétectable dans 24 cas (82,8 %).

Il existait une lipoatrophie faciale isolée dans 7 cas(24,1 %) et une lipoatrophie faciale associée avec une autrelipodystrophie (forme mixte) dans 22 cas (75,9 %). La lipoa-trophie faciale concernait les joues et les régions temporalesdans 24 cas (82,8 %) et les joues de façon isolée dans 5 cas(17,2 %).

La disponibilitéde graisse était bonne (pli cutané> 1 cm)dans 18 cas (62,1 %) et faible dans 11 cas (37,9 %). Leprélèvement de graisse était réalisé au niveau de l’abdomendans 28 cas (96,6 %) et au niveau de la nuque (« bosse debison ») dans 1 cas. Les volumes moyens de graisse injectéepar coté étaient :

• au niveau de la joue 7,6 cc (extrême de 4 à 15 cc) ;• au niveau de la tempe 1,8 cc (extrême de 1 à 4 cc).Les complications observées étaient une douleur au ni-

veau du site de prélèvement et un œdème associé à desecchymoses plus ou moins importantes au niveau de la face.

Le recul moyen de la série était de 11 mois (extrême de6 à27 mois). Le résultat était jugébon dans 21 cas (72,4 %),moyen dans 4 cas (13,8 %) et mauvais dans 4 cas (13,8 %).Un traitement complémentaire était toujours proposé dansles résultats moyens et mauvais : une nouvelle greffe d’adi-

pocyte a été réalisée dans 2 cas et des injections d’acidepolylactique (New Fill®) ont été réalisées dans 3 cas. Lerésultat était jugé bon chez les 5 patients ayant eu un traite-ment complémentaire.

5. Cas cliniques

5.1. Cas clinique 1 (Fig. 9)

Cette patiente de 37 ans présentait une lipoatrophie facialelocalisée aux régions malaires et temporales associée à unelipoatrophie des membres inférieurs. Un comblement parautogreffe d’adipocytes a été réalisé avec prélèvement degraisse abdominale : 7 cc ont été injectés par région malaireet 2 cc ont été injectés par région temporale. Le résultat à 1mois était satisfaisant mais une fonte progressive des régionsinjectées a été observée avec, à 6 mois, une insuffisance decomblement. Une nouvelle autogreffe d’adipocytes a étéréalisée à 12 mois : 10 cc ont été injectés dans la régionmalaire gauche, 8 cc dans la région malaire droite et 2 cc parrégion temporale. Le résultat final à 24 mois était jugé satis-faisant.

5.2. Cas clinique 2 (Fig. 10)

Ce patient de 36 ans présentait une lipoatrophie facialeprédominante au niveau des régions malaires associée à unesurcharge cervicale postérieure. Ce patient avait un antécé-dent de néoplasie au niveau de l’œil droit traitépar radiothé-rapie : il existait àce niveau un œil creux. Un comblement parautogreffe d’adipocytes a été réalisé avec prélèvement degraisse abdominale (la bosse de bison a été traitée secondai-rement après stabilisation de son volume) : 7 cc ont étéinjectés par région malaire et 1,5 cc ont étéinjectés par régiontemporale. Le résultat à 6 mois était jugé satisfaisant.

5.3. Cas clinique 3 (Fig. 11)

Ce patient de 43 ans présentait une lipoatrophie facialelocalisée aux régions malaires et temporales associée à unelipoatrophie des membres inférieurs et des fesses. Un com-blement par autogreffe d’adipocytes a été réalisé avec prélè-vement de graisse abdominale : 9 cc ont été injectés parrégion malaire et 2 cc ont été injectés par région temporale.Les résultats à 1 et 6 mois étaient jugés satisfaisants. À 6mois, il existait une surcorrection du résultat secondaire àune prise de poids de 5 kg : celle-ci peut s’expliquer par lamodification de taille des greffons d’adipocytes parallèle-ment à l’augmentation pondérale. De plus, cette sur correc-tion s’était corrigée à 12 mois après perte de 4 kg.

5.4. Cas clinique 4 (Fig. 12)

Ce patient de 48 ans présentait une lipoatrophie facialelocalisée aux régions malaires et temporales, associée à une

Fig. 8. Lipoatrophie des membres inférieurs avec aspect de pseudo-veinomégalie.

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surcharge cervicale postérieure type bosse de bison. Il n’exis-tait pas de graisse disponible par ailleurs. Un comblement parautogreffe d’adipocytes a été réalisé avec prélèvement degraisse au niveau de la bosse de bison : la lipoaspiration à la

seringue était difficile à ce niveau. Sept cc ont était injectéspar région malaire et 2 cc par région temporale. Le résultat à1 mois était jugé insuffisant. Le patient n’a pas était deman-deur par la suite de traitement complémentaire.

Fig. 9. Cas clinique 1. A, B, C : clichés préopératoires ; D, E, F : résultat à 1 mois ; G, H, I : résultat à 10 mois avant réalisation d’une seconde autogreffed’adipocytes ; J, K, L : résultat à 24 mois.

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5.5. Cas clinique 5 (Fig. 13)

Ce patient de 64 ans présentait une lipoatrophie facialelocalisée aux régions malaires et temporales avec une accen-tuation des sillons nasogéniens liée àl’association de la fontegraisseuse jugale et du vieillissement des téguments de laface. Un comblement par autogreffe d’adipocytes a été réa-lisé avec prélèvement de graisse abdominale : 15 cc ont étéinjectés dans la région malaire gauche, 12 cc dans la régionmalaire droite et 4 cc par région temporale. Le résultat à 6mois était jugé satisfaisant avec une amélioration des sillonsnasogéniens donnant un aspect de rajeunissement facial.

6. Discussion

Le traitement des lipoatrophies faciales par autogreffed’adipocytes selon la technique de Coleman est une techni-que fiable et qui a donné des résultats jugés suffisants etstables dans 72,4 % des cas. Dans tous ces cas, la satisfactiondes patients était supérieure à celle du chirurgien : il existaitune amélioration de leur apparence qui correspondait à leurdésir et qui avait un impact important sur le psychisme et lavie sociale de ces patients.

Les résultats n’étaient pas stables dans le temps dans 27,6 %des cas avec une résorption plus ou moins importante des

Fig. 10. Cas clinique 2. A, B, C : clichés préopératoires ; D, E, F : résultat à 6 mois.

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greffons de graisse entre le 1er et le 6e mois postopératoire. Cesrésultats se traduisaient par une fonte des régions comblées,d’asymétries ou d’ irrégularités de comblement. Les hypothè-ses émises concernant ces résultats insuffisants étaient :

• la mauvaise qualité des greffons de graisse qui pouvaitêtre la conséquence d’un prélèvement traumatique ou dela faible disponibilité de graisse chez certains patients,qui est la principale limite de cette technique ;

Fig. 11. Cas clinique 3. A, B : clichés préopératoires ; C, D : résultat à 1 mois ; E, F : résultat à 6 mois ; surcorrection jugale secondaire à une prise de poids ;G, H : résultat à 12 mois.

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• la technique nécessite une courbe d’apprentissage avecplus particulièrement la nécessité de réaliser une légèrehypercorrection qui est à l’appréciation de chaque opé-rateur ;

• la qualité trophique de la peau doit aussi être prise encompte car elle peut être source d’ imperfections.

Toutefois il existait chez ces patients une améliorationconstante par rapport à l’aspect préopératoire de la lipoatro-phie faciale : le patient était conscient d’une amélioration deson image avec parfois une déception sur la quantité ducomblement réalisé. Il est important dans ce cas de proposerde façon systématique un complément au comblement soitpar une nouvelle autogreffe d’adipocytes (en fonction des

possibilités de prélèvement), soit par un produit de comble-ment résorbable (l’acide polylactique dans notre expérience).Ce traitement complémentaire permet d’améliorer les résul-tats de façon constante, mais il dépend de la disponibilité degraisse résiduelle pour réaliser une nouvelle autogreffed’adipocytes et de la possibilité financière des patients pourpayer les produits de comblement qui ne sont pas pourl’ instant pris en charge par l’assurance maladie. La techniquede Coleman quand à elle peut être prise en charge aprèsdemande d’entente préalable auprès des caisses d’assurancemaladie.

Chez les patients de plus de 50 ans, il existait un vieillis-sement de la peau avec une détente des téguments de la face

Fig. 12. Cas clinique 4. A, B, C : clichés préopératoires ; D, E, F : résultat à 1 mois avec insuffisance de comblement.

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associée à la lipoatrophie. Cette détente était signalée auxpatients et ils étaient avertis que le traitement par autogreffed’adipocytes cherchait àcombler avant tout la lipoatrophie. Ilexistait dans tous les cas une amélioration sur le sillon naso-génien mais il était expliqué clairement que cette chirurgieréparatrice n’était pas une chirurgie du vieillissement facial.Les possibilités chirurgicales de remise en tension des tégu-ments de la face étaient évoquées à ces patients en leurexpliquant qu’elles ne faisaient pas partie du traitement de lalipoatrophie faciale.

Il n’existe pas dans la littérature de série sur le traitementpar la technique de Coleman des lipoatrophies faciales se-condaires aux traitements antirétroviraux de l’ infection parVIH. Cette technique a prouvé son efficacité depuis plus de10 ans en chirurgie réparatrice ou esthétique avec une stabi-litédes résultats [11–14]. La clédu succès de cette techniqueréside dans la rigueur de sa réalisation : la graisse doit êtreconsidérée comme une greffe tissulaire en respectant sa fra-gilité[11–13].Au niveau de la face, la difficultéréside dans levolume de graisse à injecter pour remodeler les éléments

Fig. 13. Cas clinique 5. A, B, C : clichés préopératoires ; D, E, F : résultat à 6 mois ; amélioration sur les sillons nasogéniens avec rajeunissement facial.

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faciaux [11]. Les greffons doivent être déposés dans unmilieu qui assure leur nutrition et leur vascularisation[11,13]. Le tissu graisseux doit être injectéavec un minimumde traumatisme dans les trois dimensions de l’espace : lesinjections sont réalisées en tunnels multiples et croisés defaçon à optimiser le contact entre greffons et tissu receveur[11–13]. Une légère hypercorrection est nécessaire afin deprévoir la résorption inéluctable d’une partie des greffons[13].

Certains auteurs ont décrit la possibilité de corriger ceslipoatrophies à l’aide de produits de comblement en privilé-giant ceux qui possèdent la meilleure tolérance dans l’orga-nisme [15–16]. La sécuritéde ces produits de comblement sefait au détriment d’une biorésorbabilitéentraînant un effet decomblement transitoire dans le temps (12 à 18 mois) [15].

La technique de Coleman a pour avantage principal devenir remplacer la graisse manquante dans les lipoatrophiespar un tissu identique et autologue. Les injections de produitsde comblement doivent être réservées au patient dont ladisponibilitéde graisse n’est pas suffisante pour réaliser cettetechnique. Elles peuvent être aussi proposées en complémentd’une autogreffe d’adipocytes pour corriger les irrégularitésou imperfections secondaires.

7. Conclusion

Patients et médecins doivent être informés sur les possibi-lités de modifications du schéma corporel sous traitementantirétroviral. Cette information est fondamentale pour anti-ciper les problèmes d’adhésion thérapeutique. La prise encharge doit être pluridisciplinaire avec un rôle important duchirurgien plasticien pour le traitement des modificationsiatrogènes du schéma corporel.

Devant la satisfaction de nos patients et les résultats obte-nus, l’utilisation d’autogreffes d’adipocytes selon la techni-que de Coleman est pour nous le traitement idéal des lipoa-trophies faciales. Cette technique est fiable et les résultatspréliminaires que nous avons obtenus montrent une stabilitédes greffons d’adipocytes dans le temps. Cependant la phy-siopathologie de ces désordres cliniques et métaboliquesétant mal connue, il est difficile de prédire à long terme leseffets des traitements antirétroviraux sur la graisse injectée.

La technique de Coleman est malgré tout limitée par ladisponibilité de graisse et ne peut pas être utilisée dans tousles cas de lipoatrophie.

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