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L’évolution psychiatrique 74 (2009) 65–77 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Visages Traitement de l’information faciale dans l’autisme Face processing in autism Nelly Labruyère a,,b , Bénédicte Hubert b a Psychologue–neuropsychologue, docteur en neuropsychologie, centre de neurosciences cognitives, UMR 5229, CNRS, université Lyon 1, 67, boulevard Pinel, 69675 Bron cedex, France b Psychologue–neuropsychologue, docteur en neurosciences, ITTAC, centre hospitalier Le Vinatier,9, rue des Teinturiers, BP 2116, 69616 Villeurbanne, France Rec ¸u le 20 juin 2008 ; accepté le 13 d´ ecembre 2008 Disponible sur Internet le 3 f´ evrier 2009 Résumé Les enfants avec autisme présentent très tôt dans leur développement des troubles des comportements sociaux et certaines de ces manifestations comportementales ont conduit à s’intéresser aux modalités de traitement des informations faciales dans l’autisme. Dans un premier temps, nous présenterons les études comportementales sur le traitement des visages. Les données expérimentales montrent un traitement per- ceptif atypique des visages dans la pathologie autistique. En effet, les personnes avec autisme accorderaient une moindre importance à la région des yeux et elles ne privilégieraient pas les informations configurales lors du traitement des visages, mais utiliseraient préférentiellement les informations locales. Toutefois, ces particularités perceptives ne seraient pas spécifiques au traitement des visages puisque des biais de traitement comparables ont été rapportés pour des stimuli non-sociaux. De plus, chez les personnes avec autisme, le traitement de visages émotionnel n’induit pas les processus automatiques (imitation, variation de l’activité physiologique) observés chez les personnes non-autistes. Le traitement des visages est également abordé sur le plan neurobiologique. Les études en neuro-imagerie étayent les données comportementales en met- tant en évidence des réponses cérébrales différentes chez les populations avec autisme en comparaison aux personnes non-autistes. Toutefois, à l’heure actuelle, il n’existe pas de consensus sur l’hypothèse d’un dys- fonctionnement spécifique au niveau cérébral. Enfin, nous discuterons le rôle de l’expérience sociale précoce sur le développement de processus cognitifs et de systèmes neuronaux spécialisés dans le traitement des visages et de leur possible perturbation dans l’autisme. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Labruyère N, Hubert B. Traitement de l’information faciale dans l’autisme. Evol psychiatr 2009; 74. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (N. Labruyère). 0014-3855/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.evopsy.2008.12.008

Traitement de l’information faciale dans l’autisme

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L’évolution psychiatrique 74 (2009) 65–77

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Visages

Traitement de l’information faciale dans l’autisme�

Face processing in autism

Nelly Labruyère a,∗,b, Bénédicte Hubert b

a Psychologue–neuropsychologue, docteur en neuropsychologie,centre de neurosciences cognitives, UMR 5229, CNRS, université

Lyon 1, 67, boulevard Pinel, 69675 Bron cedex, Franceb Psychologue–neuropsychologue, docteur en neurosciences, ITTAC, centre hospitalier Le Vinatier,9,

rue des Teinturiers, BP 2116, 69616 Villeurbanne, France

Recu le 20 juin 2008 ; accepté le 13 decembre 2008Disponible sur Internet le 3 fevrier 2009

Résumé

Les enfants avec autisme présentent très tôt dans leur développement des troubles des comportementssociaux et certaines de ces manifestations comportementales ont conduit à s’intéresser aux modalités detraitement des informations faciales dans l’autisme. Dans un premier temps, nous présenterons les étudescomportementales sur le traitement des visages. Les données expérimentales montrent un traitement per-ceptif atypique des visages dans la pathologie autistique. En effet, les personnes avec autisme accorderaientune moindre importance à la région des yeux et elles ne privilégieraient pas les informations configuraleslors du traitement des visages, mais utiliseraient préférentiellement les informations locales. Toutefois, cesparticularités perceptives ne seraient pas spécifiques au traitement des visages puisque des biais de traitementcomparables ont été rapportés pour des stimuli non-sociaux. De plus, chez les personnes avec autisme, letraitement de visages émotionnel n’induit pas les processus automatiques (imitation, variation de l’activitéphysiologique) observés chez les personnes non-autistes. Le traitement des visages est également abordésur le plan neurobiologique. Les études en neuro-imagerie étayent les données comportementales en met-tant en évidence des réponses cérébrales différentes chez les populations avec autisme en comparaison auxpersonnes non-autistes. Toutefois, à l’heure actuelle, il n’existe pas de consensus sur l’hypothèse d’un dys-fonctionnement spécifique au niveau cérébral. Enfin, nous discuterons le rôle de l’expérience sociale précocesur le développement de processus cognitifs et de systèmes neuronaux spécialisés dans le traitement desvisages et de leur possible perturbation dans l’autisme.© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

� Labruyère N, Hubert B. Traitement de l’information faciale dans l’autisme. Evol psychiatr 2009; 74.∗ Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (N. Labruyère).

0014-3855/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.evopsy.2008.12.008

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Abstract

One of the core deficits of autistic pathology is disturbances in reciprocal social interactions. As facesare essential components of social interactions, many studies have explored face processing in autism. Thepresent paper reviews behavioural and neuroimaging studies on neutral and emotional face processing.After hypothesis of deficit of face processing in autism, recent data suggest atypical perceptual processingof faces. Indeed, individuals with autism pay less attention to eyes’ region than typically developing personsand present a local bias, contrasting with configural processing of faces in non-autistic individuals. Fur-thermore, people with autism do not display automatic process typically induced in persons without autismby perception of emotional faces. Peculiarities of processing are also observed at the neurobiological level.Persons with autism do not activate the same brain regions than typically developing participants duringfacial information processing and do not exhibit the same pattern of evoked cerebral responses. However, todate, there is no data converging to the dysfunction of a specific cerebral area in autistic pathology. Recenthypothesis suggest alteration of cerebral connectivity instead of one neural structure. These peculiarities ofprocessing are discussed in terms of social experience and expertise in face processing.© 2008 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Mots clés : Autisme ; Traitement des informations faciales ; Traitement des expressions faciales ; Gyrus fusiforme ;Amygdale

Keywords: Autism; Face processing; Facial expression processing; Fusiform gyrus; Amygdala

1. Introduction

L’autisme est une pathologie neurodéveloppementale précoce qui affecte l’ensemble du déve-loppement de l’enfant. Elle se définit par des troubles majeurs des interactions sociales et dela communication verbale et non verbale, associés à des comportements répétitifs et des inté-rêts restreints et stéréotypés. Le trouble des interactions sociales est central. Depuis la premièredescription du syndrome par Léo Kanner, de nombreuses données issues de la clinique ainsique de l’observation de films familiaux de jeunes enfants diagnostiqués plus tard comme atteintsd’autisme, montrent que très tôt, les personnes avec autisme présentent des comportements sociauxlimités et atypiques [1]. Par exemple, sont souvent observés des contacts visuels moins nombreuxet peu utilisés pour réguler les interactions avec autrui, une attention visuelle conjointe limitée,un manque d’attention aux visages, une faible réponse aux sollicitations des parents, une absencede sourire social, une pauvreté des expressions faciales, un manque d’imitation spontanée et dejeu symbolique. Ces différentes manifestations comportementales ont amené à faire l’hypothèsed’un trouble dans le traitement des visages dans l’autisme.

Les visages sont en effet des stimuli complexes dont le traitement est essentiel pour la régu-lation des interactions sociales. Ils fournissent des informations sur l’âge, le genre, l’identité despersonnes et permettent de faire des inférences sur les intentions d’autrui via des indices dyna-miques comme les expressions émotionnelles et le regard. De nombreuses données de la littératuremontrent que le traitement typique des visages repose sur des processus cognitifs et neurobiolo-giques spécifiques. Traditionnellement, on distingue différents types d’informations faciales :

• des informations locales ou componentielles sur les différents traits de chaque partie du visage(par exemple, la forme des yeux) et ;

• des informations globales ou configurales sur la position, les relations spatiales et les distancesentre les différentes parties du visage.

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Les informations configurales sont particulièrement importantes car c’est le traitement desrelations entre les parties du visage et l’émergence d’une configuration d’ensemble qui permetla reconnaissance d’un visage. À l’aide notamment du paradigme d’inversion des visages (c’est-à-dire la présentation à l’envers des visages) qui perturbe spécifiquement les relations entre lesdifférentes régions faciales, il a été montré que les personnes non autistes privilégient un traitementconfigural des visages. Par ailleurs, ce traitement configural des visages est particulièrementperturbé chez des patients prosopagnosiques qui ont une lésion du gyrus fusiforme [2]. Cetterégion cérébrale est souvent considérée comme spécifique pour le traitement des visages car denombreuses données d’imagerie montrent qu’elle est activée de facon plus importante lors dutraitement des visages que de tout autre objet visuel.

2. Comment les personnes avec autisme traitent-elles les visages ?

Depuis ces trente dernières années, différents aspects du traitement des informations facialesont été étudiés dans l’autisme et certains résultats ont amené à conclure que les enfants et adultesavec autisme présentaient un déficit dans le traitement des informations faciales. Par exemple,de faibles performances ont été observées chez des enfants ou adultes autistes dans des tâchesde mémoire de visages non familiers [3], de reconnaissance des expressions faciales et mêmede perception du genre [4–9]. Toutefois, des données plus récentes suggèrent que les individusavec autisme traitent les visages de manière particulière sans pour autant présenter de déficit. Cetraitement atypique ne serait pas spécifique aux visages car il serait également observé lors dutraitement d’autres informations perceptives avec ou sans contenu social.

La première étude sur le traitement des visages dans l’autisme a été réalisée par Langdell en1978 [10]. Des enfants (âge moyen 9,8 ans et QI moyen 60.3) et des adolescents autistes (âgemoyen 14,1 ans et QI moyen 63) et différents groupes témoins appariés sur l’âge mental, l’âgechronologique et le niveau intellectuel devaient identifier des visages présentés à l’endroit ou àl’envers, et dont les différentes parties étaient plus ou moins masquées. Alors que les enfantset adolescents témoins privilégiaient la partie supérieure du visage (celle comprenant les yeux)pour identifier des visages familiers, les enfants autistes utilisaient plutôt la partie inférieure duvisage et les adolescents autistes ne favorisaient pas de région particulière du visage. Par ailleurs,les adolescents autistes faisaient beaucoup moins d’erreurs que les contrôles dans l’identificationdes visages inversés (alors que les enfants autistes commettaient autant d’erreurs que les enfantstémoins). Hobson, Ousten & Lee [8] ont également montré que des adolescents et adultes autistesutilisaient plus la région de la bouche et moins la région des yeux pour reconnaître l’identité etl’émotion de visages et qu’ils avaient de meilleures performances que les sujets témoins lorsqueles visages étaient présentés à l’envers.

Ces premières études ont donc permis de relever principalement deux sortes d’effets chezles personnes avec autisme dans la reconnaissance des visages : premièrement, une diminutionde l’importance donnée aux yeux, deuxièmement une sous-utilisation des aspects configurauxsuggérée par un effet d’inversion moins important. Par la suite, les recherches ont eu pour objectifde préciser ces particularités de traitement.

2.1. La région des yeux

La moindre priorité et importance de la région des yeux dans le traitement des visages chez lespersonnes autistes a été confirmée par des études récentes utilisant des techniques d’eye-tracking.Pelphrey et al. [11] ont ainsi enregistré les trajectoires d’exploration visuelle sur des photographies

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de visages expressifs chez des adultes avec autisme de haut niveau et un groupe témoin apparié enâge chronologique. Les personnes avec autisme avaient des stratégies d’exploration plus variableset anarchiques que les participants témoins. Elles passaient plus de temps à examiner les partiesexternes du visage (comme les oreilles, le menton, la ligne des cheveux) au détriment des partiesinternes (les yeux, le nez, la bouche). Par ailleurs, lorsqu’elles regardaient les parties internes,elles passaient moins de temps que les participants témoins à examiner la région des yeux. Demême, Dalton et al. [12] ont montré que les temps de fixation sur la région des yeux étaientréduits chez des adolescents avec autisme de haut niveau comparés à des adolescents normaux,alors que les deux groupes ne différaient pas pour les temps de fixation sur la région de la boucheou de l’ensemble du visage. Des résultats similaires ont été mis en évidence en utilisant non plusdes photographies mais des scènes visuelles dynamiques. Klin et al. [13] ont étudié les stratégiesd’exploration visuelle chez des adultes autistes et des participants témoins appariés en âge etniveau intellectuel lors de l’observation de séquences vidéo montrant des situations sociales entreplusieurs personnages. Les adultes avec autisme regardaient moins la région des yeux que lesparticipants témoins alors qu’ils portaient une attention plus importante à la région de la bouche.

Cependant, Van der Geest et al. [14] n’ont pas retrouvé de différence dans la facon dont desenfants autistes de haut niveau et des participants témoins exploraient des visages neutres ouexpressifs présentés à l’endroit. De même, dans un paradigme d’indicage attentionnel, Bar-Haimet al. [15] ont montré que des adolescents autistes, de la même facon que des adolescents normaux,allouaient plus d’attention à la région des yeux qu’à la région de la bouche. Ces auteurs ont suggéréque la moindre importance de la région des yeux observée par Klin et al. [13] et d’autres [11,12]pouvait refléter un manque d’intérêt pour cette région à des niveaux de traitement plus élevéset/ou plus contrôlés. Ainsi, les personnes avec autisme pourraient orienter leur attention sur lesyeux, mais elles désengageraient rapidement leur attention de cette région par manque d’intérêtou parce qu’elles ne pourraient en inférer des informations pertinentes par rapport à la situation.Cette proposition est en accord avec les données de Ristic et al. [16] montrant que des personnesautistes ne sont pas sensibles aux informations sociales véhiculées par les yeux, contrairementaux personnes non autistes qui utilisent ces informations pour diriger rapidement leur attentiondans une direction donnée.

2.2. Aspects hiérarchiques : atteinte du traitement configural ou stratégie particulière ?

Quelques études ont montré que les personnes avec autisme semblaient moins gênées que lesindividus normaux par l’inversion des visages [8–10]. Par exemple, Tantam et al. [9] ont observéque des enfants autistes étaient aussi performants que des enfants témoins pour reconnaître desphotographies d’expressions faciales présentées à l’envers alors qu’ils avaient des difficultés parrapport aux enfants témoins dans la reconnaissance de ces mêmes photographies présentées àl’endroit. Cette faible sensibilité à l’inversion des visages suggère que les personnes avec autismen’utilisent pas les informations configurales dans le traitement des visages. Certains auteurs enont conclu à un déficit du traitement configural, mais l’utilisation réduite d’un type de traitementsignifie-t-elle nécessairement que ce traitement est déficitaire ?

Quelques problèmes d’interprétation dans les études concluant à un déficit du traitement globalpeuvent être relevés. Par exemple, dans l’étude de Hobson et al. [8], les individus autistes ont demeilleures performances que les participants témoins quand les visages sont présentés à l’envers,mais cette différence n’est pas statistiquement significative quand les groupes sont appariés surle niveau intellectuel non verbal. De plus, dans les deux groupes d’individus, autistes et nonautistes, les scores étaient plus faibles pour les visages présentés à l’envers que pour les visages

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présentés à l’endroit, suggérant que l’inversion des visages affecte tout de même la performancedes personnes avec autisme.

D’autres études ont retrouvé la présence d’un effet d’inversion chez des adolescents et adultesavec autisme [17,18] et certaines ont même montré que le traitement global des visages chezdes personnes autistes n’était pas déficitaire en soi. Joseph et Tanaka [19] ont ainsi testé lareconnaissance de parties de visages (yeux, nez, bouche) présentées isolément ou dans le contextedu visage auxquelles elles appartiennent. Comme les enfants normaux et les enfants appariésen âge chronologique et QI, les enfants autistes reconnaissaient mieux les parties du visage,et plus particulièrement, la bouche, dans le contexte du visage entier que présentées seules.Par ailleurs, pour tous les groupes, cet effet disparaissait lorsque les visages étaient présentésà l’envers. Ces deux résultats plaident en faveur d’un traitement global des visages préservéchez les enfants autistes. Lahaie et al. [18] ont confirmé cette normalité du traitement global entestant la reconnaissance de visages-cibles juste après la présentation d’une ou plusieurs partiesde visages en amorce. L’ajout d’une partie de visage apporte en plus une information locale, maisaussi des informations configurales (distances entre les parties). Les résultats montrent des effetsd’amorcage similaires (c’est-à-dire une vitesse d’identification des visages plus rapide) chez lespersonnes autistes et témoins quand l’amorce est composée de deux parties ou plus, c’est-à-dire lorsque des informations configurales sont disponibles. Cela signifie que les deux groupestirent profit des informations configurales dans le traitement des visages. Cependant, lorsquel’amorce n’est composée que d’une partie de visage, seules les personnes autistes identifient plusrapidement les visages, alors que les personnes non autistes n’en ont aucun bénéfice. Ainsi lespersonnes autistes montrent un traitement supérieur des parties du visage car la présentation d’uneseule partie est une information suffisante pour activer les représentations des visages. Ce résultatest important parce qu’il montre une supériorité du traitement local des visages, en dehors d’uneatteinte du traitement global. Cette supériorité de traitement local a été retrouvée par Deruelleet al. [5] qui ont proposé à des enfants une tâche d’appariement de visages présentés en bassesfréquences spatiales (laissant apparaître préférentiellement les informations configurales) ou enhautes fréquences spatiales (privilégiant les informations locales). Contrairement aux enfants nonautistes appariés sur l’âge chronologique ou sur les capacités verbales, les enfants avec autisme fontplus d’erreurs lorsqu’ils doivent apparier les visages en basses fréquences spatiales (informationsconfigurales) que les visages en hautes fréquences spatiales (informations locales). Les auteursen concluent à un avantage pour le traitement local des visages. D’après Mottron ([20], p.94)les personnes avec autisme présentent « un biais local en reconnaissance des visages, que nousexprimons comme un traitement supérieur – plus profond, ou plus rapide ; meilleur en tout cas –des parties du visage. Cette supériorité porte sur l’ensemble des parties du visage et ‘noie’ le biaisnormalement présenté pour les yeux par les personnes non autistes. [. . .] Le traitement global desvisages est intact en autisme, mais leur traitement local est supérieur ».

3. Particularités de traitement perceptif spécifiques ou générales ?

Davies et al. [21] ont montré que des enfants avec autisme de haut niveau présentaient des diffi-cultés similaires dans la perception des propriétés configurales de figures géométriques, suggérantl’existence d’un trouble perceptif général plutôt que spécifique au traitement des visages. Cettehypothèse est intéressante car de nombreuses études ont en effet mis en évidence que les personnesautistes excellaient dans des tâches proposant d’extraire une partie locale de son contexte global[22]. Par exemple, les personnes autistes sont particulièrement performantes pour détecter unecible cachée dans une figure plus complexe. Ces résultats ont donné naissance au modèle dit de

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« faiblesse de la cohérence centrale » [23]. Selon ce modèle, les personnes avec autisme privilé-gieraient un traitement des informations locales du fait d’un déficit d’intégration des informationslocales en un niveau supérieur : en d’autres termes, un déficit du traitement global pourrait avoirpour conséquence directe une facilitation du traitement local. En effet, une des caractéristiquesdu traitement normal de l’information est la tendance à regrouper ensemble des informationsdiverses afin de construire un sens plus global : c’est ce que Frith appelle la cohérence centrale.Par exemple, nous retenons plus facilement le sens global d’une histoire que ses détails. Frithsuggère que cette caractéristique du traitement de l’information est perturbée dans l’autisme : lesindividus autistes seraient alors relativement bons dans les tâches où une attention aux détails estun avantage, mais perturbés dans les tâches nécessitant une reconnaissance globale du sens oul’intégration de stimuli dans un contexte. Cette difficulté à intégrer les différents éléments en unensemble cohérent aurait des répercussions aussi bien sur la perception que sur la cognition engénéral. En effet, une supériorité de traitement local est observée dans le domaine visuel, visuo-spatial et auditif, mais également dans d’autres domaines tels que la mémoire ou la compréhensiondu langage.

Toutefois, ce déficit de traitement global n’a pas été confirmé par une série d’expériencesutilisant des stimuli hiérarchiques (grandes lettres composées de petites lettres) ou par d’autresrésultats montrant une intégrité des mécanismes perceptifs globaux [24]. Pour Rinehart et al. [25],les autistes ne présenteraient pas un manque de cohérence centrale, mais plutôt une absence desupériorité du traitement global sur le traitement local. En effet, chez les individus non autistes,la perception des stimuli à un niveau global précède celle à un niveau local. Le traitement globalpeut donc s’effectuer sans que n’interfèrent les éléments locaux. Au contraire, chez les personnesavec autisme, le traitement local serait primaire et supérieur au traitement global des informationssans que ce dernier ne soit pour autant déficitaire. Cette révision du modèle de la faible cohérencecentrale semble faire consensus actuellement.

Concernant le traitement des visages chez les personnes autistes, les dernières études sug-gèrent également l’hypothèse d’un traitement global intact et d’un traitement local supérieur.Cette même particularité de traitement est donc observée aussi bien pour des stimuli sociauxque pour des stimuli non sociaux. Mottron fait alors l’hypothèse d’un mécanisme commund’hyperfonctionnement du traitement local des configurations perceptives qui pourrait s’expliquerpar une contribution plus importante des traitements perceptifs de bas niveau [26].

En résumé, les données de la littérature montrent un traitement perceptif atypique des visageschez les personnes avec autisme. Elles traitent préférentiellement les aspects locaux des visagessans atteinte proprement dite des processus de traitement globaux et configuraux. Toutefois, cetteparticularité de traitement n’est pas spécifique aux visages car un même type de biais perceptifest observé pour d’autres types de stimuli non sociaux.

4. Traitement des émotions faciales

La détection des visages et leur reconnaissance sont des capacités importantes pourl’établissement de relations sociales, mais la perception et l’interprétation des émotions facialesle sont certainement plus encore. En effet, les émotions percues chez autrui mettent en jeu desprocessus importants pour les comportements adaptatifs tels que l’imitation ou des modificationsphysiologiques.

De nombreuses études se sont donc intéressées au traitement des émotions faciales chez lespersonnes avec autisme. Ces études sont principalement sous-tendues par l’hypothèse de Hobsonselon laquelle un déficit dans l’extraction des indices sociaux contenus dans les visages et dans la

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compréhension des émotions d’autrui serait le déficit social primaire dans l’autisme [27,28]. Enaccord avec cette hypothèse, des déficits ont été observés dans la reconnaissance, l’identificationet la compréhension des expressions faciales chez des personnes avec autisme. Par exemple, dansdes tâches d’appariement, il a été montré que des enfants autistes avaient des difficultés à apparierdes photographies ou vidéos d’expressions faciales avec d’autres images d’expressions faciales,des sons et des scènes sociales à valeur émotionnelle [4,7,8,27,28]. Les enfants autistes ontégalement des difficultés à dénommer des expressions faciales [9]. Par ailleurs, les particularitésde traitement des informations faciales mentionnées précédemment sont retrouvées quand oninclut une dimension émotionnelle aux visages, à savoir une moindre utilisation du traitementconfigural [29,30] et de la région des yeux pour identifier des émotions [11,31,32].

D’autres études montrent que les personnes avec autisme utilisent des indices différents deceux utilisés par les personnes non autistes pour identifier les émotions. Linder et Rosén [33]ont comparé la capacité à décoder les émotions en fonction de la modalité chez des enfantsprésentant un syndrome d’Asperger et des enfants non autistes en utilisant le Perception of Emo-tion Test (POET). Les résultats suggèrent que les enfants Asperger utilisent les indices verbauxpour identifier les émotions plutôt que les indices émotionnels implicites (expression faciale,prosodie). Cette hypothèse est renforcée par les données de Grossman et al. [34] qui ont montréque lorsque des enfants et adolescents présentant un syndrome d’Asperger devaient identifierl’émotion exprimée par un visage et que ce visage était associé à un mot congruent (visage joyeuxassocié au mot « joie »), incongruent (visage joyeux associé au mot « peur ») ou non-relié (visagejoyeux associé au mot « pomme »), ils faisaient plus d’erreurs lorsque le mot était incongruentcontrairement au groupe témoin qui obtenait des résultats similaires dans les trois conditions. Desrésultats semblables ont été rapportés chez des adultes présentant un autisme de haut-niveau. Cesadultes autistes jugent plus souvent un visage comme étant sérieux ou digne de confiance mêmesi celui-ci ne l’est pas nécessairement. Or, ces mêmes adultes ont un jugement similaire à celuides personnes non autistes lorsque l’information leur est donnée verbalement (par exemple, pardes biographies) [35]. Ainsi, d’après ces trois études, il semble que les personnes avec autismeutilisent préférentiellement les informations verbales plutôt que les informations visuelles pourjuger l’émotion exprimée, contrairement aux personnes non autistes.

Les différences entre les personnes avec autisme et les personnes sans autisme ne se situent pasuniquement au niveau des stratégies utilisées pour identifier les émotions. En effet, comme nousl’avons mentionné précédemment, le traitement des émotions faciales met en jeu des processusinconscients qui permettent d’adapter notre comportement social automatiquement. La perceptiond’émotions faciales chez autrui induit notamment des modifications physiologiques, telle qu’uneaugmentation de l’activité électrodermale [36]. Or, Hubert et al.1 ont montré que la présentationde visages exprimant la joie ou la colère n’induit pas de réponse électrodermale plus forte que laprésentation d’objets chez les adultes présentant un trouble du spectre autistique, contrairementaux personnes non autistes. De même lorsqu’on percoit un visage émotionnel, nous imitonsinconsciemment les mimiques faciales de l’autre [37]. McIntosh et al. [38] ont étudié l’imitationautomatique et volontaire des expressions faciales chez des adolescents et adultes avec autismeet des adolescents et adultes sains appariés sur l’âge chronologique, le genre et les capacitésverbales. Dans la tâche d’imitation volontaire, il était demandé aux sujets d’exprimer la mêmeémotion que celle du visage présenté : les personnes autistes et non autistes imitaient de manière

1 Hubert B, Wicker B, Monfardini E, Deruelle C. Electrodermal reactivity to emotion processing in adults with autisticspectrum disorders. Autism, in press.

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similaire les émotions observées. Dans la tâche d’imitation automatique, les participants devaientseulement regarder des photographies de visages joyeux et en colère. Les auteurs n’ont alors pasobservé le même pattern d’activité des muscles chez les personnes autistes et non autistes : lespersonnes avec autisme n’imitaient pas de facon automatique les mimiques faciales des visagesobservés contrairement aux participants non autistes.

En résumé, les études sur le traitement des émotions faciales chez les personnes avec autismemontrent un traitement atypique. Elles n’utilisent pas les mêmes indices perceptifs pour identifierles émotions que les personnes non autistes. En effet, elles basent leur jugement majoritairementsur des indices locaux, ce qui concorde avec les données sur le traitement des visages neutres [5].En outre, le traitement d’émotions faciales n’induit pas chez ces personnes les mêmes processusinconscients que chez les personnes non autistes.

5. Données neurobiologiques

Les études utilisant les potentiels évoqués vont dans le sens d’un traitement atypique desvisages chez les personnes avec autisme. Chez des enfants avec autisme âgés de trois à quatreans, la perception d’un visage induit une réponse cérébrale électrique plus lente que chez lesenfants sans autisme de même âge [39]. De même lors de la perception de visages effrayés,l’onde négative précoce (N300) n’est pas présente chez les enfants avec autisme contrairementaux enfants témoins [40]. En outre, Dawson et al. [41] montrent que, contrairement aux enfantsnon autistes, les enfants avec autisme montrent des patterns de réponses cérébrales similaireslors de la perception de visages familiers et de visages d’étrangers. La familiarité d’un visagen’induit pas de réponse particulière chez les enfants avec autisme alors que le traitement d’unobjet familier versus un objet inconnu induit une réponse différente.

Par ailleurs, les études neurobiologiques montrent des différences au niveau des régions céré-brales activées lors du traitement des visages chez les personnes avec autisme et celles sansautisme. Les premières études conduites en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle(IRMf) chez des personnes avec autisme montrent que le gyrus fusiforme n’est pas activélorsqu’elles percoivent des visages ou qu’il est moins activé que chez les participants témoins[42,43]. Cette hypoactivation du gyrus fusiforme chez les personnes autistes est retrouvée pour laperception de visages neutres ou émotionnels [44] et elle semble corrélée à une moindre fixationde la région des yeux [12]. Par ailleurs, selon Schultz et al. [43], alors que le gyrus fusiformeest moins activé chez les personnes adultes autistes, l’activité cérébrale se concentre dans desrégions normalement activées dans des tâches de discrimination d’objets. En reliant ces résul-tats aux données cognitives précédemment citées, ces auteurs concluent que les personnes avecautisme traitent les visages comme ils traitent les objets, ou plutôt elles traitent les objets et lesvisages de facon identique, c’est-à-dire en privilégiant le traitement des informations locales. Troisétudes n’ont toutefois pas retrouvé d’hypoactivation du gyrus fusiforme lors de la perception devisages. Dans l’étude de Pierce et al. [45], les participants avec autisme présentent une activationdu gyrus fusiforme lorsqu’ils percoivent des visages neutres familiers et inconnus, comme lesparticipants non autistes. De même, Hadjikhani et al. [46] rapportent une activation similaire decette région chez des adultes avec un trouble du spectre autistique et des adultes non autisteslorsqu’ils observent passivement des visages neutres. Enfin, selon Dapretto et al. [47], des enfantsavec un autisme de haut-niveau activent le gyrus fusiforme comme les enfants au développementtypique dans une tâche d’imitation des émotions faciales.

Une autre région cérébrale, l’amygdale, a souvent été convoquée pour rendre compte destroubles émotionnels observés dans la pathologie autistique. En effet, cette région est particuliè-

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rement impliquée dans les tâches émotionnelles chez les personnes non autistes. Comme pour legyrus fusiforme, les résultats chez les personnes autistes sont contradictoires. Certaines études rap-portent une hypoactivation de l’amygdale lors du traitement de visages neutres [42] ou de visagesémotionnels [46,48]. À l’inverse, des études rapportent une activation similaire de l’amygdale chezles personnes avec autisme et les personnes témoins que ce soit lors du traitement des visagesneutres [45] ou de visages émotionnels [47]. Des études, notamment celles sur le traitement desémotions, montrent des différences d’activation entre les participants avec autisme et les partici-pants témoins dans des régions frontales (gyrus frontal inférieur, cortex préfrontal dorsomédian) ettemporales (sillon temporal supérieur). Mais il n’y a pas de consensus entre ces différentes études.

Dans la littérature récente, émergent des arguments en faveur de l’idée que les anomaliescérébrales rapportées chez les personnes avec autisme résulteraient d’un dysfonctionnement desinteractions entre plusieurs structures cérébrales plutôt que d’un dysfonctionnement d’une struc-ture en particulier. Cette hypothèse n’a pas été testée avec des visages neutres, mais deux étudesvont dans ce sens pour le traitement des visages émotionnels. Welchew et al. [49] ont montré quela connectivité des régions du lobe temporal médian, telles que l’amygdale, est atypique chez lesparticipants avec autisme par rapport au groupe témoin. De même, Wicker et al. [50] rapportentune connectivité différente chez les personnes avec autisme et les personnes sans autisme lors dutraitement de visages émotionnels.

En résumé, les bases neurales impliquées lors du traitement des visages sont atypiques chezles personnes avec autisme. Toutefois, à l’heure actuelle, il n’y a pas de consensus sur le dysfonc-tionnement d’une ou plusieurs régions lors de ce traitement. Il semble que cette atypicité ne serésume pas à l’altération d’une région cérébrale, mais plutôt au recrutement d’un réseau cérébraldifférent entre les populations avec autisme et les populations sans autisme. Ainsi, les données deneurobiologie soutiennent l’idée que les personnes avec autisme traitent les visages de manièreatypique dès leur plus jeune âge et pour différents aspects du visage.

6. Expériences visuelles précoces et traitement expert des visages dans l’autisme

À l’heure actuelle, le rôle du gyrus fusiforme dans la pathologie autistique reste donc largementdiscuté. Il renvoie, par ailleurs, à un débat plus général sur le rôle de cette région cérébrale dans letraitement des visages. Certains ont en effet suggéré que le gyrus fusiforme ne serait pas spécialisédans le traitement des visages seulement, mais dans tout traitement visuel « expert ». Par exemple,Gauthier et al. [51] ont montré une activation importante du gyrus fusiforme chez des personnesmontrant une expertise dans des catégories comme les oiseaux ou les voitures, alors que cetteactivation n’est pas observée chez des personnes ne présentant pas d’expertise particulière pources mêmes catégories. Par ailleurs, si on augmente l’expertise de participants pour une catégoried’objets, on observe une activation plus importante dans la région du gyrus fusiforme. Dans cetteperspective, l’hypoactivation de cette région trouvée dans certaines études lors de la perceptionde visages chez des personnes autistes peut être soit liée à une anomalie d’un système cérébralspécialisé dans le traitement des visages, soit la conséquence d’un intérêt moindre des personnesautistes pour les visages et cela depuis la plus jeune enfance, ce qui les conduirait à être moinsexpertes avec ces stimuli que les personnes non autistes.

Ces deux explications ne sont pas nécessairement exclusives. Un manque d’expertise pour lesvisages chez les personnes avec autisme pourrait en effet expliquer le défaut de spécialisation desrégions cérébrales sous-tendant normalement le traitement expert des visages. Si on admet quel’expérience guide la spécialisation corticale, une attention et un intérêt moindres pour les visagesne stimuleraient pas suffisamment les régions cérébrales normalement dédiées au traitement du

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visage : la spécialisation corticale serait réduite et conduirait au recrutement d’un réseau cérébralatypique pour le traitement des visages [43]. Par ailleurs, l’expertise pour les visages semble liée àun certain type de traitement perceptif. Diamond et Carey [52] suggèrent en effet que le traitementconfigural repose en partie sur le fait que les sujets développent une expertise pour le type destimulus utilisé. En d’autres termes, plus un sujet devient expert dans le traitement des visages,plus il privilégierait des informations configurales.

Selon Nelson [53], l’enfant naîtrait avec un système prédisposé au traitement des visages, maisc’est seulement à partir de la confrontation avec les informations faciales que la spécialisationcorticale et perceptive se développerait. Si le système ne recoit pas des informations visuelles per-tinentes ou si une atteinte du système neural l’empêche de traiter de facon adaptée les expériencesde l’environnement, il ne pourrait pas se spécialiser dans le traitement des visages. Ce modèlesuggère une période sensible dans le développement où l’exposition aux visages organiserait unsystème neuronal nécessaire au développement à long terme de compétences spécifiques dans letraitement des visages. Par exemple, il semble que des privations visuelles précoces perturbentcertains aspects du traitement des visages sans empêcher totalement son développement. Le Grandet al. [54] ont montré que des enfants présentant des cataractes congénitales bilatérales opéréesaprès plusieurs mois de privation visuelle, avaient à l’adolescence et à l’âge adulte des difficultésdans le traitement des informations configurales de visages alors que le traitement des aspectslocaux était préservé. Il semblerait donc que le traitement configural soit particulièrement sensibleà l’expérience visuelle des visages. Toutefois, les enfants autistes ne présentent pas de privationsensorielle globale ni une absence totale d’expérience avec les visages qui pourraient expliquerleur traitement atypique des informations faciales. Par ailleurs, il reste à démontrer que leur faibleintérêt pour les visages cause une expérience visuelle insuffisante.

Une question reste en suspens : pourquoi dès le plus jeune âge les enfants autistes présentent unemoindre attention pour les visages ? Plusieurs hypothèses ont été proposées. Les nouveaux-nésmontrent une préférence pour les visages humains seulement quelques minutes après la naissance[55]. D’après le modèle de Morton et Johnson, cette préférence très précoce serait le fait d’unsystème sous-cortical et inné, appelé CONSPEC, qui permettrait la détection et l’orientation del’attention vers des stimuli qui ont des configurations similaires aux visages [56]. Ce systèmeserait remplacé vers le second mois par un système cortical, CONLERN, qui soutiendrait la miseen place de mécanismes visuels corticaux spécifiques pour des traitements plus précis des visages.Le faible intérêt des autistes pour les visages pourrait alors être expliqué par un problème dès leniveau du mécanisme CONSPEC.

Plusieurs auteurs situent le déficit à un autre niveau : celui de l’attribution d’une valeur socialeaux stimuli [57,58]. Les personnes avec autisme ne pourraient pas développer une expertise pourles visages parce qu’elles ne percevraient pas la prégnance émotionnelle et sociale des visages.Les visages ne seraient pas percus comme des stimuli sociaux et émotionnels par les personnesautistes et donc ces visages ne retiendraient pas particulièrement leur attention comme cela seraitle cas chez les personnes non autistes. Selon ces auteurs, l’amygdale jouerait un rôle importantdans l’attribution de cette valence émotionnelle aux stimuli et elle influencerait les traitementsréalisés dans d’autres régions corticales comme le gyrus fusiforme [57]. Cependant, nous avonsvu que les données neurobiologiques chez les personnes autistes sont souvent contradictoires etd’autres recherches sont nécessaires pour mieux comprendre les liens entre amygdale et gyrusfusiforme dans le traitement normal des visages ou dans leur perturbation possible dans l’autisme.Par ailleurs, prôner un déficit social global comme responsable des anomalies de traitement desvisages dans l’autisme, implique que tous les enfants et adultes autistes aient des difficultés dansle traitement des visages. Barton et al. [59] ont montré que des adultes présentant un trouble

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du développement social (dont des autistes et Asperger, mais pas seulement) n’avaient pas tousdes troubles dans la reconnaissance de visages. Ils ont pu distinguer deux groupes, l’un sanset l’autre avec des difficultés dans la reconnaissance des visages, l’appartenance à ces groupesn’étant corrélée à aucun diagnostic particulier ni à un degré d’atteinte sociale plus ou moins élevé.

Ces différentes explications sont intéressantes pour mieux comprendre, dans une perspectivedéveloppementale, pourquoi les personnes avec autisme traitent différemment les visages, maisfinalement elles ne sont que peu informatives quant à l’origine même des traitements utilisés, enparticulier l’existence d’un traitement orienté localement.

7. Conclusion

Dans cette revue, nous avons montré que le traitement des visages dans l’autisme ne pouvait êtreréduit à un déficit spécifique pour ce type d’informations. Bien que les études rapportées restentsouvent contradictoires, des données cognitives et de neuro-imagerie récentes plaident en faveurde stratégies de traitement atypiques et non spécifiques des informations faciales. Premièrement,les personnes avec autisme accordent une importance différente aux parties des visages (yeuxvs autres parties) par rapport aux personnes non autistes. Deuxièmement, elles présentent uneefficacité supérieure pour le traitement local des parties par rapport à la perception globale, sansdéficit à proprement parler de ces traitements globaux. Ce biais local est observé dans le traitementd’autres types de stimuli sociaux et non sociaux et n’est donc pas spécifique au traitement desvisages. Troisièmement, chez les personnes avec autisme, le traitement de visages émotionnel nerepose pas sur les mêmes indices perceptifs et n’induit pas les processus automatiques observéschez les personnes non autistes. Au niveau neurobiologique, les données montrent que l’activationde régions clefs dans la perception des visages (gyrus fusiforme, amygdale) n’est pas systématiquechez les personnes autistes, mais reste néanmoins possible. Des questions demeurent sur lesliens entre le recrutement ou non de ces régions cérébrales et les particularités de traitementobservées au niveau cognitif. Bien que les hypothèses en termes d’expérience sociale précoce, desystème perceptif expert, de système neuronal spécialisé ou encore de motivation sociale, soientintéressantes, d’autres recherches sont nécessaires pour mieux comprendre les particularités detraitement des visages observées dans l’autisme, leurs soubassements neuronaux et leurs liensavec les difficultés relationnelles et sociales de ces personnes.

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