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© L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés. L’Encéphale (2010) Supplément 6, S173–S177 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Troubles bipolaires : continuité enfant-adulte ? Bipolar disorder: Continuity from child to adult? D. Da Fonseca (a) *, F. Bat (a) , N. Rouviere (a) , S. Campredon (a) , D. Bastard-Rosset (a) , M. Viellard (a) , A. Santos (b) , C. Deruelle (b) , J.-M. Azorin (b) , E. Fakra (b) , M. Adida (b) (a) Service de Pédopsychiatrie, bd Sainte Marguerite 13009 Marseille, France (b) Pôle Universitaire de Psychiatrie, Hôpital Sainte Marguerite, 270 bd de S te Marguerite, 13274 Marseille CEDEX 9, France Résumé Les troubles bipolaires à début précoce suscitent encore de nombreuses interrogations en particulier chez l’enfant du fait des nombreuses particularités cliniques des épisodes thymiques pour cette tranche d’âge. Il n’existe en effet aucun consensus sur la prévalence de ce trouble pendant la période pré pubertaire. Ce diagnostic reste donc très controversé chez l’enfant et le préadolescent, et nous essaierons de comprendre pourquoi. Cette problématique de la continuité entre les troubles bipolaires de l’enfant et de l’adulte, nous interroge également sur l’existence de facteurs prédictifs des troubles bipolaires chez l’adulte. Nous tenterons à travers des études concernant l’enfance des adultes bipolaires mais également des études sur les enfants de parents bipolaires, d’identifier les troubles psychopathologiques qui précèdent le trouble bipolaire. © L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés. * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] Les auteurs n’ont signalé aucun conflit d’intérêts. MOTS CLÉS Trouble bipolaire à début précoce ; Enfant ; Adolescent ; Antécédents KEYWORDS Early onset bipolar disorder ; Child ; Adolescent ; Antecedents Abstract Early onset (pediatric) bipolar disorders are still an issue of much controversy due to several clinical particularities of the thymic episodes at this age. To date, there is indeed no consensus regarding the prevalence of bipolar disorders before puberty. Diagnosis criteria in children and young adolescents remain thus elusive. The purpose of this review is to provide an overview of this issue. The idea of continuity, from childhood to adulthood, in bipolar disorders also raises important questions regarding predictive factors of bipolar disorders in adults. Studies on the childhood of bipolar adults, as well as studies on the children of bipolar parents will be reviewed, in an attempt to identify the psychopathological substrates of bipolar disorders. © L’Encéphale, Paris, 2010. All rights reserved. Malgré le nombre croissant d’articles concernant les trou- bles bipolaires à début précoce, l’existence même de ce trouble psychopathologique suscite encore de nombreuses interrogations en particulier chez l’enfant du fait des nom- breuses particularités cliniques des épisodes thymiques pour cette tranche d’âge [24]. Alors que la prévalence de ce trouble est de 1 % chez l’adolescent entre 14 et 18 ans, (0,1 % pour les troubles bipolaires de type I), il n’existe aucun consensus sur la prévalence de ce trouble pendant la période pré pubertaire avec des chiffres très variables

Troubles bipolaires : continuité enfant-adulte ?

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L’Encéphale (2010) Supplément 6, S173–S177

Dispon ib le en l igne sur www.sc ienced i rect .com

journa l homepage: www.el sev ier .com/locate/encep

Troubles bipolaires : continuité enfant-adulte ?Bipolar disorder: Continuity from child to adult?

D. Da Fonseca(a)*, F. Bat(a), N. Rouviere(a), S. Campredon(a), D. Bastard-Rosset(a), M. Viellard(a), A. Santos(b), C. Deruelle(b), J.-M. Azorin(b), E. Fakra(b), M. Adida(b)

(a) Service de Pédopsychiatrie, bd Sainte Marguerite 13009 Marseille, France (b) Pôle Universitaire de Psychiatrie, Hôpital Sainte Marguerite, 270 bd de Ste Marguerite, 13274 Marseille cedex 9, France

Résumé Les troubles bipolaires à début précoce suscitent encore de nombreuses interrogations en particulier chez l’enfant du fait des nombreuses particularités cliniques des épisodes thymiques pour cette tranche d’âge. Il n’existe en effet aucun consensus sur la prévalence de ce trouble pendant la période pré pubertaire. Ce diagnostic reste donc très controversé chez l’enfant et le préadolescent, et nous essaierons de comprendre pourquoi.Cette problématique de la continuité entre les troubles bipolaires de l’enfant et de l’adulte, nous interroge également sur l’existence de facteurs prédictifs des troubles bipolaires chez l’adulte. Nous tenterons à travers des études concernant l’enfance des adultes bipolaires mais également des études sur les enfants de parents bipolaires, d’identifier les troubles psychopathologiques qui précèdent le trouble bipolaire.© L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés.

* Auteur correspondant.E-mail : [email protected] Les auteurs n’ont signalé aucun conflit d’intérêts.

MOTS CLÉSTrouble bipolaire à début précoce ; Enfant ; Adolescent ; Antécédents

KEYWORDSEarly onset bipolar disorder ; Child ; Adolescent ; Antecedents

Abstract Early onset (pediatric) bipolar disorders are still an issue of much controversy due to several clinical particularities of the thymic episodes at this age. To date, there is indeed no consensus regarding the prevalence of bipolar disorders before puberty. Diagnosis criteria in children and young adolescents remain thus elusive. The purpose of this review is to provide an overview of this issue. The idea of continuity, from childhood to adulthood, in bipolar disorders also raises important questions regarding predictive factors of bipolar disorders in adults. Studies on the childhood of bipolar adults, as well as studies on the children of bipolar parents will be reviewed, in an attempt to identify the psychopathological substrates of bipolar disorders.© L’Encéphale, Paris, 2010. All rights reserved.

Malgré le nombre croissant d’articles concernant les trou-bles bipolaires à début précoce, l’existence même de ce trouble psychopathologique suscite encore de nombreuses interrogations en particulier chez l’enfant du fait des nom-breuses particularités cliniques des épisodes thymiques

pour cette tranche d’âge [24]. Alors que la prévalence de ce trouble est de 1 % chez l’adolescent entre 14 et 18 ans, (0,1 % pour les troubles bipolaires de type I), il n’existe aucun consensus sur la prévalence de ce trouble pendant la période pré pubertaire avec des chiffres très variables

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selon les équipes [6, 8]. Ce diagnostic reste donc très controversé chez l’enfant et le préadolescent, et nous essaierons de comprendre pourquoi.

Cette problématique de la continuité entre les troubles bipolaires de l’enfant et de l’adulte nous interroge égale-ment sur l’existence de facteurs prédictifs des troubles bipolaires chez l’adulte. En d’autres termes, de quels trou-bles psychopathologiques les adultes bipolaires souffrent-ils pendant leur enfance ? Enfin, nous tenterons de savoir si les enfants dont les parents ont un trouble bipolaire pré-sentent des troubles psychopathologiques spécifiques.

Quel diagnostic poser face à un enfant qui présente les signes cliniques suivants : agitation, logorrhée, distractibilité, impulsivité, irritabilité, idée de grandeur, labilité émotionnelle, fuite des idées, exaltation de l’humeur ?

Si ces symptômes peuvent évoquer de prime abord un trou-ble bipolaire précoce, ils peuvent avant tout se manifester chez un enfant sans trouble psychopathologique dans cer-taines situations. Comme toujours en pédopsychiatrie, il paraît indispensable d’obtenir le maximum d’informations issues de sources différentes avant de poser le moindre dia-gnostic. En effet, l’enfant a bien souvent des difficultés à verbaliser et à décrire les symptômes. La tolérance de l’en-vironnement ainsi que l’intensité des symptômes peuvent varier selon les situations. Il convient donc d’être très attentif au contexte de vie de l’enfant : son environnement familial, son environnement scolaire et ses relations socia-les [6].

Le diagnostic de trouble bipolaire chez l’enfant est d’autant plus délicat à poser que les critères diagnostiques sont identiques aux critères utilisés pour le diagnostic chez l’adulte (DSM-IV). Or chez l’enfant et l’adolescent, les dif-férents symptômes doivent toujours être considérés selon une perspective développementale : en fonction de l’âge, du genre et du niveau intellectuel du sujet [1, 21].

Quelles sont les particularités cliniques du trouble bipolaire chez l’enfant et l’adolescent ?

Les épisodes maniaques chez l’enfant et l’adolescent pré-sentent de nombreuses particularités cliniques ce qui rend le diagnostic particulièrement délicat à cet âge [1, 21].

L’exaltation de l’humeur, qui fait partie des signes car-dinaux des troubles bipolaires typiques chez l’adulte n’est pas toujours présente chez l’enfant et l’adolescent. De plus, elle est difficile à distinguer de l’euphorie et de la dysrégulation émotionnelle dont les aspects développe-mentaux sont peu connus [5].

À l’instar de l’exaltation de l’humeur, les idées de gran-deur ne font pas toujours partie du tableau clinique chez l’enfant. Elles sont surtout difficiles à définir et varient également en fonction des aspects développementaux (âge

et QI). Beaucoup de comportements ou de croyances chez l’enfant peuvent être considérés à tort comme pathologi-ques. Nous savons aussi que beaucoup d’enfants ont des difficultés d’auto-évaluation avec notamment une percep-tion particulièrement élevée de leurs compétences dans les domaines les plus fragiles [20, 22].

Selon plusieurs auteurs, les signes psychotiques sont fréquents dans les troubles bipolaires chez l’enfant, avec des chiffres très variables (de 30 à 70 %) selon les études [15, 21]. Bien que plus fréquents chez les enfants que chez les adultes, la présence de signes psychotiques n’élimine pas pour autant le diagnostic de trouble bipolaire [4].

L’irritabilité, très fréquente, est particulièrement sévère, persistante et souvent associée à une agressivité majeure, comparable à des explosions agressives [25]. En revanche, ce symptôme reste assez peu spécifique du trou-ble bipolaire puisqu’il peut se retrouver dans de nombreux autres troubles psychopathologiques comme les troubles anxieux généralisés, les états de stress post-traumatique, les troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité ou les troubles des conduites [21].

Enfin, chez l’enfant et l’adolescent, les épisodes dépres-sifs semblent précéder le plus souvent les épisodes mania-ques [1]. Ces épisodes peuvent donc être considérés dans un premier temps comme des états dépressifs majeurs au lieu de troubles bipolaires. Cependant, il est bien difficile de savoir à l’avance quels sont les adolescents présentant un état dépressif majeur qui présenteront un réel trouble bipo-laire. D’apparition brutale et d’intensité moyenne, ces épi-sodes dépressifs sont fréquemment associés à une irritabilité et à une agitation. Comme dans les états maniaques, on note la présence de traits psychotiques [9].

Les comorbidités sont très fréquentes et participent gran-dement aux difficultés diagnostiques. Selon certaines études, 50 à 80 % des enfants et des adolescents présentant un trou-ble bipolaire souffriraient également d’un TDAH, 20 à 60 % de troubles du comportement et 30 à 70 % de troubles anxieux [27]. Il semble que l’association avec le TDAH diminue avec l’âge contrairement aux troubles des conduites qui seraient plus fréquents chez les adolescents. D’autres auteurs retrou-vent un risque élevé d’abus de substances chez les adoles-cents présentant un trouble bipolaire [30]. Ces comorbidités sont d’autant plus importantes à identifier qu’elles ont un impact majeur sur le traitement et le pronostic.

Enfin, le diagnostic différentiel reste une étape impor-tante avant de poser le diagnostic de trouble bipolaire chez l’enfant et l’adolescent. Ce trouble partage de nombreux symptômes avec d’autres troubles psychopathologiques tels que le trouble déficitaire de l’attention avec hyperac-tivité (TDAH). Dans une étude récente, Geller et al. [16] n’ont retrouvé aucune différence significative entre le trouble bipolaire et le TDAH, les symptômes tels que l’irri-tabilité, la distractibilité, la logorrhée et l’agitation étant communs aux deux troubles. De surcroît, il n’est pas rare de retrouver une certaine labilité émotionnelle, des trou-bles du sommeil ou la recherche de nouveauté chez les enfants TDAH. Certains signes cliniques semblent plus spé-cifiques des troubles bipolaires. Les idées de grandeur, l’exaltation de l’humeur, la fuite des idées, la réduction du

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temps de sommeil et la désinhibition sexuelle semblent être les symptômes les plus à même de différencier les troubles bipolaires du TDAH [16].

Le trouble bipolaire est également difficile à distinguer de la schizophrénie du fait de la présence fréquente de signes psychotiques à l’origine d’une confusion diagnosti-que fréquente.

Enfin, les symptômes du trouble bipolaire se retrouvent aussi dans les troubles des conduites, les troubles de la personnalité borderline ou antisociale, les états de stress post-traumatiques et les troubles envahissants du dévelop-pement.

Au-delà de ces particularités cliniques, l’évolution du trouble bipolaire chez l’enfant et l’adolescent présenterait de nombreuses spécificités. Les épisodes mixtes seraient fréquents (20 à 80 %), les cycles seraient souvent rapides (entre 46 à 87 %) et les formes davantage chroniques : 57,5 % chez l’enfant et 23 % chez l’adolescent [3, 23].

Selon plusieurs auteurs, les troubles bipolaires d’appa-rition précoce constituent des formes sévères de la mala-die. Ces formes modifient en effet de manière significative les trajectoires développementales des sujets. L’intensité des épisodes thymiques est plus importante chez les adul-tes dont le trouble a débuté pendant l’enfance ou l’adoles-cence alors que les phases euthymiques semblent moins longues [28]. Les répercussions fonctionnelles tant au niveau familial, scolaire que social sont également impor-tantes chez les enfants et les adolescents présentant un trouble bipolaire [3, 14]. Les relations familiales semblent en effet conflictuelles et peu chaleureuses. Cette dimen-sion est d’autant plus importante à prendre en compte qu’elle détermine l’évolution du trouble. Des difficultés sont également présentes en milieu scolaire avec des rela-tions sociales peu satisfaisantes et une faible adaptation scolaire. Il semble enfin, que les idéations suicidaires et les tentatives de suicide sont également plus fréquentes chez les sujets bipolaires que chez les sujets présentant un état dépressif majeur [29].

Ainsi, compte tenu de toutes ces particularités cliniques, le diagnostic de trouble bipolaire chez l’enfant et l’adoles-cent reste très délicat et surtout très controversé. Comme nous l’avons mentionné précédemment, bon nombre de symptômes sont communs à d’autres troubles psychopatholo-giques décrits chez l’enfant. Ce trouble psychopathologique reste donc encore mal défini chez l’enfant, ce qui est proba-blement à l’origine d’erreurs diagnostiques et de traitement inappropriés. Sans réfuter totalement son existence, le trou-ble bipolaire est certainement très rare chez l’enfant.

L’augmentation récente de la prévalence observée uni-quement par certaines équipes est liée à leur redéfinition de la manie chez l’enfant [2, 31]. Ces auteurs considèrent par exemple que l’irritabilité chronique chez l’enfant signe l’existence d’un trouble bipolaire. Ils remettent également en cause la notion de cycle ou d’épisodes distincts chez l’enfant.

Il semble cependant qu’un certain nombre d’adultes bipolaires reconnaissent avoir présenté des symptômes dès leur adolescence voire leur enfance [28]. Il paraît donc perti-nent de s’interroger ici sur l’existence de signes prédictifs.

De quels troubles souffrent les adultes bipolaires pendant leur enfance ?

L’étude d’Henin et al. [17] est assez intéressante de ce point de vue. Cette étude rétrospective qui concerne 83 adultes bipolaires, montre que 64 % d’entre eux ont pré-senté un trouble psychopathologique caractérisé pendant l’enfance contre 15 % dans le groupe contrôle. Plus préci-sément, cette étude relate 22 % de troubles déficitaires de l’attention, 14,8 % de troubles oppositionnels avec provo-cation et 9,9 % de troubles des conduites. Les auteurs de cette étude suggèrent que les troubles du comportement pourraient être les précurseurs d’une forme particulière de trouble bipolaire : une forme qui serait précoce, familiale, distincte, sévère et également plus résistante au traite-ment [7]. Les troubles anxieux sont également fréquents pendant l’enfance des adultes bipolaires avec 7,4 % d’an-xiété de séparation et 45,3 % d’anxiété généralisée. Les auteurs considèrent donc les troubles anxieux comme de probables facteurs prédicteurs des troubles bipolaires chez l’adulte.

De quels troubles souffrent les enfants de parents présentant un trouble bipolaire ?

D’autres auteurs se sont intéressés aux enfants d’adultes bipolaires et ont retrouvé un nombre conséquent de trou-bles psychopathologiques dans cette population d’enfants à risque [10, 18]. Selon ces auteurs, 25 à 30 % de ces enfants présenteraient un trouble de l’attention, 10 % des troubles du comportement et jusqu’à 32 % des troubles de l’hu-meur.

Hiershfeld et Becker [19] ont réalisé une étude particu-lièrement intéressante dans la mesure où elle compare les prévalences des troubles psychopathologiques chez des enfants de parents bipolaires et chez des enfants de parents présentant soit des troubles dépressifs, soit des troubles paniques. Selon ces auteurs, il semble que les troubles défi-citaires de l’attention sont plus fréquents chez les enfants issus de parents bipolaires, ce qui n’est pas le cas pour les autres troubles du comportement.

De même, l’anxiété de séparation et le trouble anxieux généralisé seraient plus spécifiques des enfants d’adultes bipolaires. Bien qu’intéressantes, ces études concernant les enfants à risque présentent quelques limites. En effet, le diagnostic des enfants repose sur les entretiens paren-taux, en l’absence d’observations directes des enfants.

Duffy et al. [11] ont, de manière particulièrement inté-ressante, réalisé une étude longitudinale sur une popula-tion de 207 enfants à risque en les comparant à 87 sujets contrôles. Parmi ces 207 enfants à risque, 67 soit 32 % ont développé un trouble de l’humeur et 90 % d’entre eux ont débuté leurs troubles bipolaires par une dépression.

Cette étude longitudinale nous révèle que 23 % des sujets à risque présentent des troubles anxieux à l’âge de 9 ans et des troubles du sommeil à l’âge de 10 ans. À 14 ans et demi, 31 % d’entre eux développent des troubles dépres-sifs mineurs, et une dépression franche aux alentours de

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17 ans. Enfin, les premiers épisodes maniaques débutent aux alentours de 19 ans.

Les enfants à risque présentent donc une prévalence importante de troubles anxieux et de troubles du sommeil. Selon ces auteurs, la présence de troubles anxieux chez les enfants à risque double la probabilité de développer un trouble bipolaire avec un délai d’apparition des troubles bipolaires de 8 ans. Il s’agit donc d’un facteur prédicteur important, même si 27 des 41 enfants présentant des trou-bles anxieux ne développeront pas de trouble bipolaire. Contrairement aux études précédentes, il n’existe pas de différence entre les deux groupes pour le trouble défici-taire de l’attention.

Par ailleurs, dans cette étude longitudinale, le délai moyen entre le premier épisode dépressif et l’épisode mania-que est de trois ans et nous ne notons aucun trouble mania-que avant l’âge de 14 ans. Cette étude pose donc à nouveau la question de la validité du trouble bipolaire à début pré-coce. Ne devrait-on pas considérer ces troubles plutôt comme des troubles du comportement non spécifiques ?

Ces controverses engendrent également de nombreuses questions sur le plan thérapeutique. Il est vrai que les enfants présentant un trouble bipolaire sans prise en charge sont plus à risque de développer de nombreuses complica-tions au niveau familial, scolaire et social. Cependant, les traitements médicamenteux proposés ne sont pas dénués de risques. Les études dans ce domaine sont d’ailleurs très peu nombreuses aussi bien sur l’efficacité que sur les effets secondaires des traitements [8].

Par ailleurs, si le traitement médicamenteux peut être nécessaire pour les formes les plus typiques, celui-ci doit faire partie d’une prise en charge intégrative. À l’inverse du traitement médicamenteux, cette prise en charge pluri-disciplinaire semble faire consensus même si la littérature est assez pauvre dans ce domaine. Certains auteurs ont démontré l’intérêt des prises en charge psychosociales tel-les que les thérapies familiales, les thérapies interperson-nelles, les thérapies cognitives, les thérapies d’inspiration psychanalytique ou la psychoéducation [8, 12, 13, 26]. Ces thérapies permettent au sujet de mieux appréhender ses angoisses ou les événements de vie. Elles permettent éga-lement d’améliorer la dynamique familiale et les relations sociales qui jouent un rôle déterminant sur la trajectoire développementale du sujet.

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