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Troubles cognitifs aigus Acute cognitive disorders M. Sarazin a, *, P. Amarenco b a Centre de neuropsychologie, Hôpital de la Salpêtrière, 47, boulevard de l’hôpital, Paris, France. HDJ neuro-psycho-gériatrique, Hôpital Bretonneau, Paris, France b Service de neurologie et centre d’accueil et de traitement de l’attaque cérébrale, Hôpital Bichat, 46, rue Henri-Huchard 75018 Paris, France MOTS CLÉS Aphasie ; Amnésie ; Apraxie ; Comportements ; Urgence KEYWORDS Aphasia; Amnesia; Apraxia; Behaviour; Emergency Résumé Les manifestations les plus habituelles des troubles cognitifs d’apparition bru- tale se caractérisent principalement par des troubles de la mémoire et de langage. Un scanner cérébral doit être réalisé en urgence, parfois suivi d’une ponction lombaire. Les mécanismes étiologiques sont nombreux. Les causes les plus fréquentes de déficit cognitif sont représentées par les accidents vasculaires cérébraux. La méningoencéphalite herpé- tique impose la mise en route d’un traitement en urgence. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Acute cognitive and behavior disorders are usually characterized by language and memory deficit. However, other clinical manifestations may be encountered, such as apraxia, agnosia, alexia... Cranial computed tomography must be undertaken in emer- gency, sometimes followed by lumbar punction. Etiologies are various. Stroke is the most common cause. Immediate treatment initiation is needed in case of suspected herpes encephalitis. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Introduction Les manifestations les plus habituelles des troubles cognitifs d’apparition brutale se caractérisent prin- cipalement par des troubles de la mémoire et de langage. Mais d’autres symptômes neuropsycholo- giques sont également fréquents tels que l’apraxie, l’agnosie, l’héminégligence et les troubles du com- portement. L’objectif de ce chapitre est de rappe- ler les principales spécificités sémiologiques des différents troubles cognitifs et de préciser les pis- tes étiologiques à évoquer dans le cadre de l’urgence médicale. Nous débutons notre propos par l’évocation du syndrome confusionnel, source de trouble global aigu des fonctions cognitives, puis nous abordons les différentes spécificités cliniques cognitives. Première et nécessaire étape : éliminer un syndrome confusionnel Dans le cadre de l’urgence, et de façon générale, il est impératif de chercher un syndrome confusion- nel avant de proposer un examen clinique orienté vers l’analyse des fonctions cognitives. La confu- sion mentale résulte d’une souffrance et d’une désorganisation aiguë du fonctionnement cérébral * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Sarazin). EMC-Médecine 1 (2004) 325–336 www.elsevier.com/locate/emcmed © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emcmed.2004.05.002

Troubles Cognitifs Aigus. Aphasie Amnesie Apraxie Comportement Urgence

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Troubles cognitifs aigus

Acute cognitive disorders

M. Sarazin a,*, P. Amarenco b

a Centre de neuropsychologie, Hôpital de la Salpêtrière, 47, boulevard de l’hôpital, Paris, France.HDJ neuro-psycho-gériatrique, Hôpital Bretonneau, Paris, Franceb Service de neurologie et centre d’accueil et de traitement de l’attaque cérébrale,Hôpital Bichat, 46, rue Henri-Huchard 75018 Paris, France

MOTS CLÉSAphasie ;Amnésie ;Apraxie ;Comportements ;Urgence

KEYWORDSAphasia;Amnesia;Apraxia;Behaviour;Emergency

Résumé Les manifestations les plus habituelles des troubles cognitifs d’apparition bru-tale se caractérisent principalement par des troubles de la mémoire et de langage. Unscanner cérébral doit être réalisé en urgence, parfois suivi d’une ponction lombaire. Lesmécanismes étiologiques sont nombreux. Les causes les plus fréquentes de déficit cognitifsont représentées par les accidents vasculaires cérébraux. La méningoencéphalite herpé-tique impose la mise en route d’un traitement en urgence.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract Acute cognitive and behavior disorders are usually characterized by languageand memory deficit. However, other clinical manifestations may be encountered, such asapraxia, agnosia, alexia... Cranial computed tomography must be undertaken in emer-gency, sometimes followed by lumbar punction. Etiologies are various. Stroke is the mostcommon cause. Immediate treatment initiation is needed in case of suspected herpesencephalitis.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction

Les manifestations les plus habituelles des troublescognitifs d’apparition brutale se caractérisent prin-cipalement par des troubles de la mémoire et delangage. Mais d’autres symptômes neuropsycholo-giques sont également fréquents tels que l’apraxie,l’agnosie, l’héminégligence et les troubles du com-portement. L’objectif de ce chapitre est de rappe-ler les principales spécificités sémiologiques desdifférents troubles cognitifs et de préciser les pis-tes étiologiques à évoquer dans le cadre de

l’urgence médicale. Nous débutons notre propospar l’évocation du syndrome confusionnel, sourcede trouble global aigu des fonctions cognitives, puisnous abordons les différentes spécificités cliniquescognitives.

Première et nécessaire étape : éliminerun syndrome confusionnel

Dans le cadre de l’urgence, et de façon générale, ilest impératif de chercher un syndrome confusion-nel avant de proposer un examen clinique orientévers l’analyse des fonctions cognitives. La confu-sion mentale résulte d’une souffrance et d’unedésorganisation aiguë du fonctionnement cérébral

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

(M. Sarazin).

EMC-Médecine 1 (2004) 325–336

www.elsevier.com/locate/emcmed

© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi: 10.1016/j.emcmed.2004.05.002

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secondaire à une cause organique et s’accompagned’un trouble majeur du contrôle attentionnel. Ellese caractérise par :

• une obnubilation de la conscience ou unebaisse de la vigilance avec perturbation ducycle veille-sommeil ;

• une perturbation diffuse des activités intellec-tuelles prédominant sur les capacités atten-tionnelles et s’accompagnant d’une désorien-tation temporospatiale ;

• un délire onirique avec hallucinations ;• une fluctuation des troubles.1L’ensemble survient constamment dans un

contexte d’atteinte somatique qui oriente l’en-quête étiologique. Les mécanismes étiologiquessont multiples : métaboliques, neurologiques, épi-leptiques, infectieux, toxiques, mais ne sont pasdétaillés dans ce chapitre. Il faut se souvenir quechez le sujet âgé, un syndrome confusionnel peutcacher une authentique démence (maladied’Alzheimer le plus souvent) qu’il faut donc savoirrechercher à distance de l’épisode aigu.Le syndrome confusionnel est donc responsable

d’un dysfonctionnement global des fonctions intel-lectuelles qui se distingue des troubles cognitifsfocaux. Dans le syndrome confusionnel, ce sont lestroubles attentionnels qui sont au premier plan.Ces difficultés d’attention rendent difficile l’exa-men, le patient ne pouvant maintenir son attentionpendant la réalisation de tâches même simples,

comme compter à l’envers à partir de 20, répéterles mois de l’année à l’envers, répéter une série dechiffres (l’empan direct qui correspond à la répéti-tion simple d’une liste de chiffres est de 7 ± 2 chezle sujet normal). Le déficit attentionnel contribueaux troubles intellectuels associés : trouble du lan-gage avec un discours incohérent, troubles de lamémoire avec un oubli à mesure, troubles du rai-sonnement, troubles du comportement (Ta-bleau 1).2 La fluctuation de la symptomatologie estégalement typique de la confusion. Le pronosticévolutif dépend du mécanisme causal.

Troubles amnésiques d’installation aiguëou subaiguë

Terminologie

Il est maintenant bien reconnu qu’il n’y a pas unemémoire mais des systèmes de mémoire, corres-pondant à des unités fonctionnelles et neuroanato-miques déterminées.3 La mémoire à court termedésigne le stockage des informations sur une duréebrève et transitoire. Les capacités de stockage demémoire à court terme sont limitées quantitative-ment (l’empan endroit qui mesure la capacité àrépéter immédiatement une série de chiffres est de7 habituellement chez l’adulte) et temporairement(15 à 20 s). La mémoire à long terme, au contraire,

Tableau 1 Caractéristiques des troubles intellectuels dans la confusion mentale2.

Vigilance Vigilance diminuéeObnubilation de la conscienceInversion du rythme veille-sommeil

Aspect général Présentation négligéeAspect hébété, hagard

Attention Capacité attentionnelle diminuéeDistractibilité majeure

Langage Discours spontané incohérentManque du motTroubles de la compréhensionTroubles de l’écriture et de l’orthographe

Mémoire Troubles de la mémoire à court terme et à long termeOubli à mesureDésorientation temporospatiale

Raisonnement Raisonnement incohérentDyscalculieTroubles neuropsychiatriques, hallucinations visuelles ou auditivesDélireAgitation anxieuse, conduites agressives

Modifications somatiques Inversion rythme veille-sommeilTroubles végétatifs et dysautonomiquesTremblement d’actionAstérixis, myocloniesRalentissement diffus à l’EEG

EEG : électroencéphalogramme.

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Page 3: Troubles Cognitifs Aigus. Aphasie Amnesie Apraxie Comportement Urgence

correspond au stockage illimité quantitatif et tem-porel des informations. La mémoire à long termeimplique un processus de consolidation mnésiquecorrespondant à la formation d’une trace mnési-que. Le passage de mémoire à court terme à mé-moire à long terme s’appelle l’encodage.Une amnésie antérograde se définit par une alté-

ration de mémorisation de nouveaux souvenirs, de-puis l’installation de l’événement causal. Une am-nésie rétrograde se définit par une incapacité à sesouvenir d’éléments anciens, antérieurs à l’événe-ment causal.On peut aussi distinguer la mémoire, en fonction

de son contenu, en mémoire verbale qui est plutôtsous la dépendance de l’hémisphère gauche et mé-moire non verbale (visuospatiale) qui est plutôtsous la dépendance de l’hémisphère droit ; ouencore en mémoire épisodique (mémoire d’événe-ments factuels) et mémoire sémantique (mémoiredes faits généraux). Enfin on peut distinguer lamémoire en fonction du traitement de l’informa-tion en mémoire explicite (mémorisation cons-ciente et volontaire) qui est sous-tendue par lecircuit hippocampo-mamillo-thalamo-cortical (cir-cuit de Papez), et mémoire implicite (mémoireautomatique du « savoir-faire »).4 Apprécier leniveau du dysfonctionnement mnésique permet depréciser le site lésionnel et le mécanisme causal.

Examen clinique aux urgences

L’examen clinique neuropsychologique aux urgen-ces doit être réalisable rapidement au lit du pa-tient. Devant toute difficulté de mémoire, il estimportant dans un premier temps d’évaluer l’étatpsychique à la recherche d’un syndrome dépressifmajeur ou d’une anxiété pouvant rendre compte dela symptomatologie. Il est ensuite possible, au litdu malade, d’analyser le fonctionnement mnésiquesur plusieurs domaines. La mémoire à court termepeut s’apprécier par les capacités de répétitionimmédiate d’une liste de mots, comme le rappelimmédiat des trois mots du Mini Mental Score (MMS)et par le span endroit (répétition de séries dechiffres). L’évaluation de la mémoire autobiogra-phique se fait par des questions simples et vérifia-bles. La mémoire à long terme s’évalue par unentretien au cours duquel on cherche à mettre enévidence un éventuel gradient temporel amnésiqueen proposant des questions portant sur les faitsrécents (heures, jours), plus anciens (semaines,mois) et très anciens (années). La mémoire épiso-dique (mémoire à long terme) sera analysée par untest d’apprentissage de mots comportant un rappelimmédiat et un rappel différé. La présentation d’unindice sémantique lors de l’étape de rappel différé

(par exemple : « il y avait un bâtiment ...un ani-mal...un fruit ») permet de vérifier si l’oubli est liéà un déficit de consolidation de la trace mnésique(absence d’aide par l’indice sémantique) ou à untrouble de la récupération de l’information (amé-lioration par l’indiçage). C’est dans ce cadre quel’on peut utiliser le test des cinq mots de Dubois(Tableau 2).5 Enfin, l’examen est complété par unexamen neuropsychologique et neurologique com-plet (Encadré 1).

Troubles mnésiques d’installation aiguëou subaiguë de durée transitoire

Ictus amnésique (ou amnésie globale transitoire)Un trouble amnésique d’installation aiguë ou su-baiguë transitoire qui régresse spontanément évo-que en premier lieu un ictus amnésique. Le tableauclinique de l’ictus amnésique est typique et carac-téristique.6 Aux urgences, le patient est vu le plussouvent en pleine « crise amnésique » (avant larégression).

Description cliniqueIl s’agit d’un trouble isolé et global de la mémoire,qui s’installe soudainement. Il n’y a aucun autresigne d’accompagnement neurologique ou physi-que, ni de prodrome neurologique. La présence designes d’accompagnement doit faire écarter ce dia-gnostic. Il n’y a donc jamais de notion de perte deconnaissance. De la même façon, il n’y a pas detrouble de la vigilance ni de la conscience. Aucontraire, le patient peut poursuivre des activitésintellectuelles élaborées pendant la durée de l’ic-tus amnésique. La motricité est également conser-vée. Cependant, il n’est pas rare d’observer unelégère agitation anxieuse, avec perplexité, ou aucontraire de constater une apathie, avec un aspectfigé et prostré du patient.L’atteinte de la mémoire est globale et porte

avant tout sur la mémoire antérograde qui estatteinte de façon massive. Le patient ne peut cap-ter, fixer et mémoriser une information nouvelle.Ceci se manifeste par un oubli à mesure, le maladerépète sans cesse les mêmes questions, et oublieles réponses fournies (par exemple, les patients

Tableau 2 Test des cinq mots4.

LimonadePassoireCamionMuséeSauterelle

327Troubles cognitifs aigus

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demandent sans cesse l’heure qu’il est). La mé-moire rétrograde est également atteinte mais cetteatteinte est au second plan du tableau clinique.L’oubli est alors parcellaire concernant les heuresou jours précédant l’ictus. Lorsque l’amnésie rétro-grade s’étend sur des événements plus anciens, ilpersiste un gradient temporel net, les faits les plusanciens restant les mieux conservés. Les autresfonctions cognitives sont intactes. Il n’y a pas detrouble du langage, pas d’élément aphasique, pasd’apraxie, pas de trouble visuoconstructif. Cetteintégrité des fonctions cognitives autres que mné-siques est indispensable au diagnostic d’ictus am-nésique. Pour une raison inconnue, l’ictus amnési-que survient préférentiellement chez les hommesadultes d’âge mûr.

Évolution

L’ensemble du tableau clinique régresse progressi-vement en quelques heures, en moyenne entre 6 et8 heures. On observe alors un retour à la normale dufonctionnement mnésique. Il n’est pas rare cepen-dant que le patient se plaigne de discrètes difficul-tés pendant les jours qui suivent l’épisode. Il gar-dera par ailleurs de façon quasi constante uneamnésie lacunaire de l’épisode sans autre séquelleneuropsychologique à distance. Les récidives sontpossibles. Le risque de récidive est évalué à 20 %environ.

Examens complémentairesPar définition, pour parler d’ictus amnésique, ilfaut que le bilan réalisé soit négatif. L’enquêteétiologique a donc pour principaux objectifs d’éli-miner les diagnostics différentiels tels que les acci-dents vasculaires cérébraux, les épilepsies, les pro-cessus expansifs, les causes métaboliques, toxiqueset infectieuses. Dans l’ictus amnésique bénin,l’imagerie cérébrale est normale. L’électro-encéphalogramme (EEG) est normal. La biologie estsans particularité. L’association à un syndrome desantiphospholipides est exceptionnelle.Seules les techniques d’imagerie cérébrale fonc-

tionnelle réalisées pendant l’ictus amnésique mon-trent des anomalies cérébrales totalement réversi-bles.7 La scintigraphie cérébrale (SPECT) met enévidence un hypodébit transitoire des lobes occipi-taux, temporaux et du thalamus. La tomographie àémission de positons (PET scan) montre un hypomé-tabolisme transitoire des lobes temporaux internes.

Mécanismes étiologiquesLes causes des ictus amnésiques bénins restentencore inconnues. Des facteurs favorisants sontfréquemment rencontrés, tels que le stress, la fati-gue, les efforts physiques, la prise de certainspsychotropes comme les benzodiazépines et laprise de chloroquine. Il a été rapporté également lasurvenue d’ictus amnésique après injection de pro-duit de contraste.

Encadré 1

Consignes

Montrer la liste : « lisez cette liste de mots à voix haute et essayez de les retenir, je vous lesredemanderai tout à l’heure ».Interroger le patient : « pouvez-vous me dire tout en regardant la liste quel est le nom de la boisson,

l’ustensile de cuisine, le véhicule, le bâtiment, l’insecte ? ».Retourner la liste et interroger à nouveau le patient « pouvez-vous me redonner les mots que vous

venez de dire ».Pour les mots non rappelés, et seulement pour ceux-ci, demander : « quel était le nom de .......... ? »

(en fournissant l’indice correspondant).→ Compter le nombre de réponses correctes = score d’apprentissage (maximum = 5).Si score < 5 : remontrer la liste et indiquer du doigt les mots non rappelés puis retourner la liste et

redemander au patient les mots non rappelés en réponse à l’indice. Le but est de s’assurer que lepatient a bien enregistré les mots.Poursuivre la consultation médicale ou faire d’autres tests pour détourner l’attention pendant 3 à

5 minutes.Interroger de nouveau le patient « pouvez-vous me redonner les cinq mots ? »,puis, pour les mots non rappelés, demander « quel était le nom de .......... ? » (en fournissant

l’indice correspondant).→ Compter le nombre de bonnes réponses = score de mémoire (maximum = 5).

Score global = score d’apprentissage + score de mémoire = normalement à 10

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Les mécanismes responsables de l’ictus amnési-que sont discutés et seraient de nature vasculaire,épileptique, ou encore migraineuse. Un terrain vas-culaire est en effet significativement plus fréquentchez les sujets ayant fait un ictus amnésique, demême que des antécédents migraineux. Le risqued’accident ischémique cérébral constitué n’esttoutefois pas plus élevé que celui observé dans lapopulation générale, c’est-à-dire inférieur à celuid’un accident ischémique transitoire (AIT). L’ictusamnésique ne peut donc pas être considéré commeun AIT.Doit faire discuter le diagnostic d’ictus amnési-

que et faire envisager un autre diagnostic neurolo-gique tout élément atypique tel que :

• l’existence de signes neurologiques ou physi-ques associés ;

• une durée brève du déficit mnésique ;• des ictus se répétant à bref intervalle ;• une sémiologie évolutive et s’enrichissant ;• des examens complémentaires anormaux.

Autres causes de troubles amnésiques aigustransitoiresLes autres causes d’amnésie transitoire aiguë doi-vent être systématiquement recherchées.

Accident vasculaire cérébralIl peut s’agir, soit d’un infarctus dans le territoirede l’artère cérébrale postérieure uni- ou bilatérale(lésions temporales internes et/ou thalamiques)ou de l’artère choroïdienne antérieure, soit d’uninfarctus dans le territoire des artères cérébralesantérieures (lésions bicingulaires), soit d’un héma-tome postérieur (occipital). Dans ce contexte,l’amnésie n’est pas isolée et peut s’accompagner,selon le territoire atteint, d’une hémianopsie,d’un déficit sensitif controlatéral, d’une agnosievisuelle et/ou d’une cécité corticale. Le syndromeamnésique peut être dissocié : atteinte verbaleprédominante en cas de lésion gauche et atteintevisuospatiale prédominante en cas de lésiondroite. Les troubles amnésiques par lésion unilaté-rale ont en général de bien meilleurs pronostics derécupération que ceux par lésions bilatérales.Parmi les autres causes vasculaires d’amnésie tran-sitoire, on note les thromboses veineuses cérébra-les qui représentent une cause cependant rare, lesamnésies survenues au décours d’un arrêtcardiaque avec nécrose laminaire corticale et leshémorragies méningées, imposant la réalisationd’un scanner cérébral et parfois une ponction lom-baire.

ÉpilepsieLe syndrome confusionnel postcritique avec amné-sie lacunaire est facilement identifiable. Le dia-

gnostic d’épilepsie partielle temporale est plus dif-ficile. Le déficit mnésique est de durée brève,habituellement de quelques minutes et récurrent.Ainsi, si l’ictus amnésique est atypique par sa briè-veté et son caractère récidivant, il est nécessairede prévoir un enregistrement électroencéphalogra-phique continu des 24 heures. La présence d’ano-malies paroxystiques normalement absentes dansl’ictus amnésique classique permet de poser lediagnostic. On estime qu’environ 7 % des ictusamnésiques évolueront vers une épilepsie partielle.

Traumatismes crâniensUn ictus amnésique peut apparaître au décoursd’un traumatisme crânien même léger. Le contexteporte le diagnostic.

Processus expansifs focauxExceptionnellement un ictus amnésique peut révé-ler un processus expansif tumoral ou infectieux deslobes temporaux ou des thalamus. Le plus souventcependant, le tableau clinique est progressif etn’est pas spontanément régressif.

IntoxicationsUne intoxication médicamenteuse aux benzodiazé-pines ou à l’alcool peut être responsable de troubleamnésique d’apparition subaiguë.

Amnésie psychogène hystériqueL’amnésie est souvent atypique car touchant l’en-semble de la sphère biographique du sujet et sonidentité, ce qui ne se voit pas dans l’ictus amnési-que bénin.L’ensemble de ces diagnostics différentiels de

l’ictus amnésique impose en pratique de faire unscanner cérébral (associé ou non à une ponctionlombaire) en urgence, pour éliminer une autrecause.

Troubles amnésiques d’installation aiguëou subaiguë non régressifs

Syndrome de KorsakoffLe syndrome de Korsakoff, complication d’uneencéphalopathie de Gayet-Wernicke, se caracté-rise par une amnésie antérograde isolée et massivese manifestant par un oubli à mesure touchant lamémoire explicite. La mémoire rétrograde desfaits anciens est, en règle générale, bien préser-vée. Lorsqu’elle est atteinte, le gradient temporelest net. Le tableau clinique associe une anosogno-sie, une désorientation temporospatiale, des faus-ses reconnaissances et une tendance à des confa-bulations (fabulations compensatrices et noncritiquées en réponse aux questions posées). Le

329Troubles cognitifs aigus

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syndrome de Korsakoff est précédé par un tableaud’encéphalopathie de Gayet-Wernicke qui se ma-nifeste par une atteinte neuropsychologique dansenviron 80 % des cas avec désorientation, indiffé-rence, inattention, agitation, stupeur ou coma,associés à des signes neurologiques : ataxie (23 %),anomalies oculomotrices (29 %), polyneuropathies(11 %).8 L’encéphalopathie de Gayet-Wernicke, quisurvient le plus souvent chez un sujet alcoolique etdénutri, est liée à une carence subaiguë en vita-mine B1. Le traitement repose sur des perfusions dethiamine et la réhydratation. On associe toujoursde la vitamine PP (pseudopellagreuse), la compo-sante hypertonique oppositionnelle souvent asso-ciée au tableau clinique étant une manifestationd’une carence en vitamine PP. Le syndrome deKorsakoff une fois installé est malheureusementdéfinitif. Il signe la destruction du circuit de Papez.Les corps mamillaires sont atrophiés. On observesur l’imagerie par résonance magnétique (IRM), enséquence pondérée en T2, un hypersignal des corpsmamillaires.

Accident vasculaire cérébralCf. supra.

Encéphalite infectieuse

Tableau cliniqueLe tableau clinique associe un syndrome fébrile,des céphalées, des troubles de la conscience(confusion, somnolence, torpeur) et des troublesneuropsychologiques : trouble du langage, amnésie(antérograde) et troubles du comportement. Letableau clinique dépend du siège du processus lé-sionnel et peut s’accompagner de signes neurologi-ques focaux. Les crises comitiales partielles ougénéralisées sont fréquentes.

Méningoencéphalite herpétiqueLa méningoencéphalite herpétique est la seuleencéphalite virale pour laquelle un traitement estdisponible. De la rapidité d’introduction du traite-ment dépend le pronostic évolutif qui est dramati-que sans traitement (décès ou séquelles majeu-res). Le tableau clinique typique associe descéphalées, de la fièvre et des signes neurologiquesde localisation temporale : confusion/désorien-tation, troubles du langage et de la mémoire,troubles du comportement et convulsions. Ces si-gnes peuvent apparaître à des degrés variables. Letableau peut évoluer vers un coma. Certaines pré-sentations cliniques sont trompeuses, en particu-lier lors d’une présentation purement neuropsy-chologique avec trouble de la mémoire et dulangage ou d’allure psychiatrique sans fièvre. Le

patient peut en effet être totalement apyrétique(8 % des cas) et sans signe neurologique.9 Il n’estpas rare que les patients soient alors adressés àtort en psychiatrie. Aucun tableau n’est pathogno-monique de méningoencéphalite herpétique. Seulsles examens complémentaires apportent la preuvediagnostique. Ils reposent avant tout sur l’étude duliquide céphalorachidien (LCR) qui montre un li-quide clair, hypertendu, avec pléiocytose à prédo-minance lymphocytaire, hyperprotéinorachie mo-dérée, glycorachie normale. Une imageriecérébrale doit être réalisée en urgence mais nedoit pas retarder le début du traitement. Ellemontre un hypersignal en T2 dans les régions tem-porales bilatérales respectant la région insulaire etsouvent déjà un effet de masse lié à l’ischémie. Lapolymerase chain reaction (PCR) met en évidencel’acide désoxyribonucléique (ADN) du virus dans leLCR et affirme le diagnostic. C’est le premier test àse positiver. Une recherche des anticorps anti-herpes simplex virus (HSV) dans le LCR peut êtreintéressante si la PCR n’a pas été réalisée initiale-ment. L’augmentation d’interféron dans le LCRévoque une atteinte virale mais n’est pas spécifi-que du virus herpétique. Une imagerie normalen’élimine pas le diagnostic. Les encéphalites vira-les et bactériennes s’accompagnent d’anomaliesélectriques en EEG à la phase aiguë. Au cours del’encéphalite herpétique, il apparaît précocementdes complexes périodiques (à périodicité courtevariant entre 2 et 4 s), localisés à l’une des régionstemporales ou les deux avec une dégradation dutracé de fond. Ces anomalies sont mêlées à desondes delta. L’encéphalite herpétique représente10 % des encéphalites virales.

Trouble du langage d’apparition aiguë

Examen clinique aux urgences

L’examen clinique au lit du malade permet l’ana-lyse et la classification sémiologique qui orienteravers le mécanisme étiologique.

Examen des troubles de la paroleLe discours spontané et la répétition de phrasesphonétiquement difficiles (« spectacle exception-nel - j’habite 33 rue Ledru-Rollin ») comportent desparaphasies phonétiques et une dysarthrie.L’apraxie bucco-linguo-faciale est évaluée par laréalisation d’ordres simples tels que tirer la langue,gonfler les joues, siffler, ou d’ordres séquentiels(tirer puis claquer la langue puis gonfler les joues).On recherche également des troubles de la coordi-nation pneumoarticulatoire et une dysprosodie(trouble du timbre de la voix).

330 M. Sarazin, P. Amarenco

Page 7: Troubles Cognitifs Aigus. Aphasie Amnesie Apraxie Comportement Urgence

Examen des troubles du langageL’examen des troubles du langage est stéréotypé etpeut se faire rapidement et efficacement au lit dupatient. Il comporte plusieurs étapes :

• étude du langage spontané et en réponse àquelques questions simples ;

• étude de la dénomination d’objets ou d’imageset de la production du langage complexe par laconstruction de phrases à partir de deux outrois mots imposés ;

• étude de la répétition de mots et de phrases ;• étude de la compréhension sur consignes oralessimples (« montrez-moi la fenêtre ; levez lamain gauche ») et sur consignes complexes(« fermez les yeux et tirez la langue ; mettez lamain gauche sur votre épaule droite ») ;

• étude de la fluence verbale (« citez le maxi-mum de mots d’animaux en 1 minute »). L’ana-lyse du langage oral doit systématiquementêtre complétée par une étude du langage écrit(lecture et écriture sur le même modèle quepour le langage oral).Il est important de noter précisément les répon-

ses du patient, comme référence évolutive.

Étiologies des aphasies d’installation aiguë

Accidents vasculaires cérébrauxIls représentent la cause la plus fréquente desaphasies brutales chez les adultes de plus de45 ans.11 Le tableau le plus typique est celui del’aphasie de Broca secondaire à un accident isché-mique sylvien gauche (artère cérébrale moyenne).Les accidents hémorragiques sont responsables detableau clinique souvent plus atypique en raison deleur siège sous-corticaux et d’un possible effet demasse initial.

Aphasie de Broca par infarctusde l’artère cérébrale moyenneElle se caractérise avant tout par une réduction dela production quantitative et qualitative du lan-gage, s’accompagnant d’une apraxie bucco-linguo-faciale et d’un déficit moteur brachiofacial droit.Au stade initial aigu, le patient peut être mutiqueou n’être capable de fournir que des stéréotypiesverbales (« nan-nan »). Le patient est conscient deses difficultés. Dans les formes moins sévères, unmanque de mot et une anomie prédominent le

Terminologie

Les troubles acquis de la parole renvoient à un trouble de la réalisation motrice de l’articulation dulangage par dysfonctionnement de l’appareil buccophonatoire, sans atteinte du code linguistique.Les aphasies correspondent aux troubles linguistiques proprement dits.Les troubles supralinguistiques du discours correspondent à une altération du fonctionnement du

langage sans atteinte linguistique10

Termes sémiologiques permettant la description d’un trouble du langage.Anomie : défauts de production de mots (manque de mot).Déformations linguistiques, sont désignées par le terme de paraphasie :• paraphasies phonétiques : atteinte articulatoire (réalisation motrice finale) du langage aboutissantà la substitution de phonèmes par des phonèmes proches (« ba » par « pa ») ;

• paraphasies phonémiques : transformation d’un mot par élision, adjonction, déplacement de sesphonèmes constitutifs (élision : « lon » pour « lion » ; adjonction : « trambour » pour « tambour » ;antéposition et élision « hérélicotère » pour « hélicoptère ») ;

• paraphasies verbales : remplacement d’un mot par un autre mot sans rapport de sens avec le motcible (« carte » pour « arbre ») ;

• paraphasies sémantiques : remplacement d’un mot par un autre mot appartenant au même champsémantique ou ayant un sens commun (« verre » ou « soucoupe » pour « tasse »).Néologisme : déviation linguistique aboutissant à la production d’un « faux mot », utilisé comme un

mot, bien qu’il n’ait aucun sens (« tanpularte » pour « couverture »).Perturbations syntaxiques : regroupent l’agrammatisme et la dyssyntaxie (absence ou réduction de

l’emploi des termes grammaticaux).Jargon : production langagière incompréhensible en raison de la richesse des néologismes, parapha-

sies et dyssyntaxies.Paragraphies graphiques, graphémiques, sémantiques, verbales : troubles du langage écrit.Troubles du débit du langage : différencient les aphasies non fluentes avec réduction de la

production des aphasies fluentes où le débit est normal, voire exagéré (logorrhée). Le prototype del’aphasie non fluente est l’aphasie antérieure de Broca, le prototype de l’aphasie fluente est l’aphasiepostérieure de Wernicke.

331Troubles cognitifs aigus

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tableau clinique dans le langage spontané et dansles épreuves de dénomination. On note égalementun agrammatisme avec un appauvrissement deséléments syntaxiques. Le langage reste cependantinformatif. Les paraphasies phonémiques, verbaleset sémantiques sont nombreuses. Une dissociationautomaticovolontaire est classique, le patientétant capable de s’exprimer dans un contexte auto-matique (réponses stéréotypées, contexte émo-tionnel) alors que, sur commande, sa productionverbale devient impossible ou est très limitée. Lacompréhension, bien que nettement moins pertur-bée, n’est toutefois que rarement totalement intè-gre. On peut ainsi constater des troubles de com-préhension pour les phrases complexes. Lestroubles de la lecture et de l’écriture sontcongruents à ceux du langage oral.La région infarcie se situe typiquement dans la

région de Broca : opercule frontal, partie posté-rieure de F2 (seconde circonvolution frontale) et deF3 (troisième circonvolution frontale).12

Autres tableaux cliniquesLes autres tableaux cliniques de troubles du lan-gage d’apparition aiguë secondaires à un accidentvasculaire cérébral sont décrits et résumés dans leTableau 3.13

Autres causesLes traumatismes crâniens sont facilement évoquéspar le contexte de survenue. Les étiologies infec-tieuses entraînent des troubles du langage rare-ment isolés s’intégrant à un tableau d’encéphaliteinfectieuse avec épilepsie. Le raisonnement est lemême que pour celui décrit dans le paragrapherelatif aux troubles de la mémoire.

Apraxie, agnosie, héminégligenced’apparition aiguë

Examen clinique aux urgences

L’examen des praxies gestuelles se fait par la réa-lisation de gestes uni- et bimanuels : imitation degestes sans signification (faire un anneau avec lepouce et l’index, poser le dos de la main sur la jouecontrolatérale par exemple), mime de gestes sym-boliques (salut militaire, signe de croix), mime del’utilisation d’objet (mimer l’utilisation d’un mar-teau), utilisation d’objet (comme des ciseaux).L’apraxie constructive se met en évidence par laréalisation de dessins en trois dimensions (commeun cube ; une maison) sur demande verbale etéventuellement sur copie.

L’examen des gnosies visuelles se fait après véri-fication de l’acuité visuelle. Le patient doit dénom-mer des images ou objets qui lui sont présentésvisuellement, les décrire, préciser leur usage, lesclasser (par exemple un stylo, un trombone, lecapuchon du stylo). L’objet est ensuite présentédans une autre modalité, par exemple par entréetactile (par la saisie), ce qui permet, en cas d’agno-sie visuelle et en l’absence de trouble sensitif, unereconnaissance correcte. La simultagnosie est re-cherchée en présentant au patient un dessin detrois figures superposées (par exemple une banane,une pomme et une poire).

L’héminégligence spatiale est recherchée facile-ment et rapidement par la réalisation de dessins (lapartie gauche de la figure n’est pas dessinée), parle barrage de lignes (des lignes horizontales sontdessinées sur une feuille de longueur différente, ondemande au patient de barrer le milieu de chaquetrait) et le barrage de signes (des ronds et carrés depetites tailles sont répartis sur une feuille, on de-mande au patient de barrer les ronds) qui montre-ront un « oubli » de l’hémiespace gauche de lafeuille. On peut aussi demander au patient de sereprésenter mentalement une place connue de laville et de la décrire en s’imaginant en face d’unmonument précis (il ne décrit que l’hémiespacedroit). Enfin, l’inspection simple du patient montreun regard tourné vers la droite, une tendance spon-tanée à ne s’adresser que vers son côté droit. Onpeut d’emblée noter que pour favoriser une réédu-cation précoce, il vaut mieux se placer sur la gau-che du patient et, dans les chambres à deux lits,placer le voisin de chambre sur la gauche du lit dupatient.

Causes

Les accidents vasculaires cérébraux sont responsa-bles des déficits les plus nets et les plus purs.15 LeTableau 4 en résume les principaux tableaux clini-ques.

Les traumatismes crâniens peuvent entraîner undéficit dans les domaines évoqués mais rarementisolé.

Tout processus expansif tumoral ou infectieux(abcès) peut occasionner un syndrome focal céré-bral avec déficit neuropsychologique dépendant desa localisation, mais le mode d’installation est pro-gressif.

Les encéphalites infectieuses ou métaboliquessont rarement responsables de ce type de déficitneuropsychologique.

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Tableau 3 Description clinique des aphasies secondaires à un accident vasculaire cérébral.

Aphasie Compréhension orale Répétition Dénomination Anosognosie TerritoireAphasie de Broca Non fluente Préservée

(relativement)Altérée Perturbée

AnomieManque de motFacilité par l’ébaucheorale

Non ACM (région corticale préro-landique et sous-corticale)Stéréotypies

Paraphasies

Agrammatisme

Aphasie de Wernicke Langage fluent Troubles majeursde la compréhension

Altérée Perturbée (jargon) Oui ACM (partie postérieure de T1et lobule pariétal inférieur)Logorrhée

Jargon phonémiqueavec paraphasies variéesLangage peu informatif

Aphasie globale Non fluente Perturbation majeure Altérée Altérée Oui ACM complète ou associationACM superficielle et profondeMutisme

Stéréotypie, paraphasiesvariées

Aphasie de conduction Fluente Préservée(fonction de la longueurde l’information)

Perturbée(conduites d’approchespour se corriger)

Perturbée(conduites d’approche)

Non ACM : faisceau arqué et gyrussupramarginal, gyrus insu-laire postérieur, SB adja-cente

Paraphasies phonémiques

Transcorticale motrice Non fluente Préservée Préservée Perturbée mais avecefficacité des aideset des stimulations

Non ACA (région antérieure ousupérieure à l’aire de Broca,AMS, APM, SB sous-corticalefrontale

Lenteur, pauses,mais très sensibleaux stimulations

Transcorticalesensorielle

Fluente Perturbée Préservée(effet de longueur)

Perturbée Oui ACM (région périsylviennepostérieure, gyrus angulaire,régions temporales posté-rieures et inférieures, SB pé-rithalamique)

Paraphasies variéesécholalie

Alexie + agraphie Écriture perturbée avec perte du graphisme, paragraphies + troubles sévères de la lecture. Langage oralrelativement préservé avec un manque de mot modéré en dénomination

Non

Alexie puresans agraphie

Trouble isolé de la lecture Non ACP gauche (gyrus lingual)Anomie des couleurs souvent associée+ HLH droite

Anarthrie pure Trouble articulatoire isolé de la parole Non ACM (pied de F3)Agraphie pure Trouble isolé de l’écriture Non ACM (pied de F2)

ACM : artère cérébrale moyenne ; ACA : artère cérébrale antérieure ; ACP : artère cérébrale postérieure ; SB : substance blanche ; AMS : aire motrice supplémentaire ; APM : aireprémotrice ; HLH : hémianopsie latérale homonyme.

333Troubles

cognitifsaigus

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Troubles du comportement et troublesémotionnels d’origine neurologiqued’apparition aiguë

Terminologie

Nous n’abordons ici que les principaux tableauxcliniques neurologiques se manifestant par un trou-ble du comportement et de la personnalité d’instal-lation aiguë ou subaiguë. Ils peuvent être le refletd’une lésion directe des lobes frontaux, d’un dys-fonctionnement des circuits fronto-sous-corticaux(circuits striato-thalamo-corticaux) par atteintedes noyaux gris centraux, d’un processus lésionnelaffectant le système limbique (plus précisément lesystème limbique basolatéral axé sur les noyauxamygdaliens, qui implique également les structureshippocampiques, le cortex préfrontal orbitofrontal,le gyrus cingulaire antérieur, les noyaux thalami-ques antérieurs), d’une lésion de l’hypothalamus et

des connexions hypothalamoamygdaliennes.16 En-fin, il semble que l’hémisphère droit joue un rôleplus marqué que le gauche dans la compréhensionet l’expression des émotions.

Examen clinique

L’examen clinique repose sur l’entretien du patientet de son entourage. On recherche une modifica-tion récente du comportement et des réactionsémotionnelles, comme une apathie, une inertie,une désinhibition, des réactions sociales inappro-priées, un émoussement affectif avec indifférenceou une hyperémotivité et impulsivité. Les proposdoivent être notés dans l’observation. Enfin, onévalue systématiquement dans ce cadre les fonc-tions exécutives (ou fonctions frontales) par unesérie de tests simples et rapides :

• fluence verbale catégorielle : dénommer lemaximum de mots d’animaux en 1 minute (éva-lue la flexibilité mentale) ;

Terminologie

Apraxie : il s’agit d’un trouble de l’action et de la commande du geste, qui ne peut s’expliquer ni parune atteinte motrice, ni par une atteinte sensorielle, ni par un trouble de la compréhension.14

L’apraxie idéomotrice est la plus fréquente. Elle se définit par une incapacité à imiter des posturesmanuelles arbitraires réalisées par l’examinateur ou à réaliser des gestes symboliques (comme faire lesalut militaire) ou encore à mimer des utilisations d’objets usuels (mimer l’utilisation d’un marteau).On observe souvent une dissociation automaticovolontaire (le geste est bien réalisé de manièreautomatique dans son contexte naturel, alors que le patient ne peut le faire sur commande del’examinateur). Les lésions siègent le plus souvent dans la région pariétale gauche.L’apraxie idéatoire se définit par une incapacité à utiliser réellement des objets familiers (comme

allumer une allumette, mettre une lettre dans une enveloppe). Elle est la conséquence de lésionspariétales gauches ou, le plus souvent, bilatérales.L’apraxie constructive correspond à un trouble de la réalisation de dessins en deux ou trois

dimensions, le plus fréquemment secondaire à des lésions pariétales droites.L’apraxie de l’habillage correspond à un trouble spécifique de l’habillage. Les lésions responsables

siègent habituellement dans l’hémisphère droit.Agnosie visuelle : l’agnosie visuelle correspond à un trouble de la reconnaissance d’une information

visuelle par atteinte des aires visuelles associatives. Le patient ne peut dénommer un objet présentévisuellement alors que leur dénomination par une autre entrée sensorielle tactile, auditive ou olfactiveest possible. Certaines agnosies visuelles sont spécifiques : l’agnosie des couleurs se définit parl’incapacité à discriminer les couleurs ou à attribuer une couleur à un objet et s’observe après infarctusde l’artère cérébrale postérieure gauche.La prosopagnosie se définit par l’incapacité à reconnaître des visages alors que l’identification de la

personne est possible par la voix ou la démarche par exemple. La prosopagnosie est secondaire à deslésions temporo-occipitales droites ou bilatérales.Héminégligence : l’héminégligence spatiale se voit après lésion hémisphérique droite, principale-

ment après un infarctus de l’artère cérébrale moyenne droite. Le patient se comporte comme si lamoitié gauche de l’espace n’existait pas. Il n’écrit que sur la moitié droite de la page, ne désigne queles personnes présentes dans sa chambre dans l’hémichamp droit par exemple. L’héminégligence esttoujours accompagnée d’une anosognosie. Le syndrome d’Anton-Babinski associe une héminégligencespatiale, une anosognosie, une hémiasomatognosie (le patient considère que la moitié gauche hémi-plégique ne lui appartient pas, allant jusqu’à expliquer que son propre bras paralysé qui lui est présentéest celui du médecin), et une anosodiaphorie (indifférence à son état).

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• test des similitudes : « qu’y a-t-il de communentre une tulipe et une marguerite, entre unecravate et une chemise, entre une banane etune orange » (conceptualisation) ;

• séquences gestuelles de Luria : répétitiond’une séquence gestuelle (paume sur la tablepuis poing sur la table puis tranche de la mainposée sur la table) réalisée par l’examinateur ;

• dessin d’une frise graphique consistant en untriangle et un carré dessinés alternativement,et que le patient doit poursuivre sur la largeurde la page.On peut observer une réduction de la fluence

verbale, un défaut de conceptualisation avec défi-nition par la forme ou par l’usage des mots proposésdans le test des similitudes, des persévérationsgestuelles ou graphiques dans les tests gestuelles etgraphiques séquentiels.

Causes

Troubles du comportement associésou non à des signes neurologiquesLes méningoencéphalites virales ou métaboliques,les accidents vasculaires cérébraux sous-corticaux

(thalamus, noyau caudé) ou hémisphériques droits etles traumatismes crâniens représentent les causesles plus fréquentes. L’imagerie cérébrale et l’étudedu LCR apportent la confirmation diagnostique.Les intoxications (médicamenteuse, drogues, al-

cool) doivent être recherchées au moindre doute,surtout quand un syndrome confusionnel est associé.Une hémorragie méningée doit être évoquée, sur-

tout lorsque le tableau clinique associe des cépha-lées et impose la réalisation d’un scanner cérébralparfois accompagné d’une ponction lombaire.Une encéphalopathie, quelle que soit sa nature,

peut entraîner des troubles du comportement, maisle plus souvent associés à un syndrome confusionnel.Si l’état de mal épileptique généralisé ne pose

pas de problème diagnostique, les états de malpartiel non convulsifs peuvent être trompeurs. Ilsse présentent le plus souvent comme des syndro-mes confusionnels avec troubles du comportementet fluctuation de l’état de vigilance.17 La présenced’automatismes ou de signes moteurs (clonies desextrémités, du menton ou de la commissure la-biale ; déviation de la tête et des yeux) est évoca-trice mais inconstante. Parfois, le tableau clinique

Tableau 4 Sémiologie simplifiée des troubles cognitifs d’origine vasculaire.

Symptômesneuropsychologiques

Caractéristiques principales Principaux signes associés Siège lésionnel

Apraxie idéomotrice Réalisation de gestes symboliquesou mimés altérée

Souvent associés à une apha-sie de Broca ou de Wernicke

ACM (artère pré- ou rétrorolandi-que)

Apraxie constructive Dessins de cube en trois dimen-sions altérés améliorés sur copie

Souvent associés à une apraxieidéomotrice et une aphasie

ACM gauche (artère rétrorolandi-que pariétale)

Syndrome de Gerstmann Association d’une anomie digi-tale, indistinction droite gauche,acalculie et agraphie

Aphasie possible Lésion pariétale postérieure gau-che (ACM gauche)

Héminégligence gauche Négligence de l’espace gauche HP gauche ACM droiteHémiasomatognosie associéeanosognosie

Négligence motriceHLH gauche

Syndrome frontal Aphasie transcorticale motrice(réduction spontanée du langage)

Déficit fémoral ACA (lobes frontaux)

Modification du comportement,syndrome dysexécutif

Agnosie visuelle Incapacité à reconnaître un objet(en le nommant, en le mimant, enle classant)

HLH ACP gauche

Prosopagnosie : troubles de la re-connaissance des visages si lésiondroite (ACP droite)

ACP droite (cortex associatif occipi-totemporal inféro-interne)

Cécité corticale Cécité corticale Conservation du réflexephotomoteur

ACP bilatérale

Syndrome de Balint Ataxie optique (impossibilité depointer ou d’attraper une ciblesous contrôle visuel) + apraxieoptique (trouble de l’orientationdu regard) + simultagnosie (inca-pacité à analyser un tout alorsque les détails sont identifiés)

ACP bilatérale ou jonction ACM etACP

(régions pariéto-occipitales)

ACM : artère cérébrale moyenne ; ACA : artère cérébrale antérieure ; ACP : artère cérébrale postérieure ; HLH : hémianopsielatérale homonyme ; HP : hémiplégie.

335Troubles cognitifs aigus

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se résume aux troubles du comportement, surtoutchez les personnes âgées. L’EEG est indispensableau diagnostic.

Troubles du comportement isolésLes causes les plus fréquentes sont psychiatriques :état maniaque, attaques de panique, bouffée déli-rante, psychoses chroniques, toxicomanie ou syn-drome de sevrage. Ce sont aussi les désordres mé-taboliques : hypoglycémie, troubles endocriniens(dysthyroïdie, hypercorticisme, phéochomocy-tome) ; une encéphalite infectieuse.

Troubles du comportement dans le cadred’une démenceLe syndrome démentiel associe une amnésie à aumoins un des signes suivants : aphasie, apraxie,agnosie, troubles des fonctions exécutives, et en-traînant un retentissement sur la vie quotidienne.Les troubles psychologiques et/ou du comporte-ment sont fréquents dans la maladie d’Alzheimer,survenant chez 70 % des patients au cours de l’évo-lution de l’affection.18 Il peut s’agir de troublesproductifs du comportement : désinhibition com-portementale, agressivité verbale ou physique, agi-tation motrice, impulsivité, errance ; ou aucontraire l’apparition d’une indifférence, d’uneapathie, d’un retrait social. Ce sont le plus souventles comportements perturbateurs qui peuvent mo-tiver des hospitalisations dans les services d’ur-gence. Il est important de façon systématique derechercher un facteur déclenchant somatique ouiatrogène.

Syndrome de Klüver-BucyLe syndrome de Klüver-Bucy associe des troubles ducomportement alimentaire (hyperphagie, glouton-nerie, hyperoralité), une désinhibition sexuelle etune indifférence affective qui s’accompagnent detroubles cognitifs : amnésie et agnosie visuelle. Ilest la conséquence de lésions bitemporales mésia-les bilatérales le plus souvent : traumatisme crâ-nien, chirurgie, encéphalite herpétique, certainesdémences.19

Conclusion

Les manifestations les plus habituelles des troublescognitifs d’apparition brutale se caractérisent prin-cipalement par des troubles de la mémoire et delangage. Un scanner cérébral doit être réalisé enurgence, parfois suivi d’une ponction lombaire. Lesmécanismes étiologiques sont nombreux. Les cau-

ses les plus fréquentes de déficit cognitif sont re-présentées par les accidents vasculaires cérébraux.La méningoencéphalite herpétique impose la miseen route d’un traitement en urgence.

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