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44 pratique veille pharmaceutique Actualités pharmaceutiques n° 513 Février 2012 La survenue d’une hypokaliémie ou d’une hyperkaliémie est une situation clinique extrêmement fréquente, pouvant être responsable de troubles du rythme cardiaque grave. La part des médicaments dans la survenue de ces désordres ioniques est non négligeable. L e potassium (K+) est le principal cation des liquides intracellulaires où sa concentration varie de 100 à 150 mEq/L. Plus de 90 % du potassium de l’organisme sont situés dans le compar- timent intracellulaire, la majorité étant contenue dans le muscle. Le potassium est donc peu abondant dans le compar- timent extracellulaire, mais sa concentra- tion plasmatique est très finement régulée (entre 3,5 et 5 mmol/L). Sur le plan physiologique, les transferts de potassium sont régulés par l’état acido- basique, l’insuline, les catécholamines et l’aldostérone. La première cause de désordre du bilan potassique est iatrogène. Hyperkaliémie et médicaments L’hyperkaliémie se définit par une concen- tration plasmatique de potassium supé- rieure à 5 mmol/L. Elle peut mettre en jeu le pronostic vital. Manifestations cliniques de l’hyperkaliémie Les manifestations cardiaques Au niveau cardiaque, l’hyperkaliémie se manifeste par des modifications électro- cardiographiques (figure 1) : – une variation de l’onde T, pointue et symétrique ; – des anomalies de la conduction auri- culaire (diminution, puis disparition de l’onde P) et auriculo-ventriculaire (blocs sino-auriculaires et auriculo- ventriculaires) ; – des anomalies de la conduction intra- ventriculaire avec élargissement des complexes QRS ; – une tachycardie ventriculaire précé- dant la fibrillation ventriculaire et l’arrêt cardiaque. Il n’existe aucun parallélisme entre le taux de potassium et les manifestations électrocardiographiques. Les manifestations neurologiques L’hyperkaliémie peut générer divers symptômes neuromusculaires comme des paresthésies des extrémités et de la région péribuccale. Causes d’hyperkaliémie Une hyperkaliémie est due à un excès d’apport (rare), à un transfert exagéré du compartiment intracellulaire vers le compartiment extracellulaire et à une diminution de l’excrétion rénale en potassium. Médicaments engendrant un excès d’apport : les sels de potassium. Médicaments engendrant un transfert exagéré du compartiment intracellulaire vers le compartiment extracellulaire : – les βbloquants non sélectifs, surtout en cas d’insuffisance rénale associée ; – les digitaliques en cas de doses toxiques du fait de l’inhibition de la pompe Na-K- ATPase, qui conduit à une augmentation du potassium extracellulaire et à un effon- drement du potassium intracellulaire ; – les agonistes α-adrénergiques, qui limitent le passage intracellulaire du potassium. Médicaments engendrant une diminu- tion de l’excrétion rénale du potassium Certains médicaments déclenchent un syndrome d’hyporéninisme-hypoaldo- stéronisme : – les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) +++ ; – les antagonistes de l’angiotensine 2 (sartans) +++ ; – l’aliskiren (inhibiteur de la rénine) +++ ; – les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ++ ; – les immunodépresseurs (ciclosporine, tacro- limus, immunoglobulines antilymphocytes) ; – les héparines non fractionnées et les héparines de bas poids moléculaires ; – les époïétines. D’autres médicaments engendrent une résistance à l’action de l’aldostérone : – la spironolactone par un antagonisme compétitif ; – les diurétiques épargneurs de potassium (amiloride, triamtérène, épléronone), un progestatif (drospirénone), un antibactérien (triméthoprine) et un antiparasitaire (penta- midine), par un blocage du canal sodique épithélial. Facteurs de risque d’hyperkaliémie médicamenteuse Troubles du bilan potassique et médicament Figure 1 : Modifications électrocardiographiques dues à une hyperkaliémie. 4–5 6–7 B 8 C 9 10 E

Troubles du bilan potassique et médicament

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Page 1: Troubles du bilan potassique et médicament

44pratique

veille pharmaceutique

Actualités pharmaceutiques n° 513 Février 2012

La survenue d’une hypokaliémie

ou d’une hyperkaliémie est une

situation clinique extrêmement

fréquente, pouvant être

responsable de troubles

du rythme cardiaque grave.

La part des médicaments dans

la survenue de ces désordres

ioniques est non négligeable.

Le potassium (K+) est le principal cation des liquides intracellulaires où sa concentration varie de 100 à

150 mEq/L. Plus de 90 % du potassium de l’organisme sont situés dans le compar-ti ment intracellulaire, la majorité étant contenue dans le muscle. Le potassium est donc peu abondant dans le compar-timent extracellulaire, mais sa concentra-tion plasmatique est très finement régulée (entre 3,5 et 5 mmol/L).Sur le plan physiologique, les transferts de potassium sont régulés par l’état acido-basique, l’insuline, les catécholamines et l’aldostérone.La première cause de désordre du bilan potassique est iatrogène.

Hyperkaliémie et médicamentsL’hyperkaliémie se définit par une concen-tration plasmatique de potassium supé-rieure à 5 mmol/L. Elle peut mettre en jeu le pronostic vital.

Manifestations cliniques de l’hyperkaliémie Les manifestations cardiaques

Au niveau cardiaque, l’hyperkaliémie se manifeste par des modifications électro-cardiographiques (figure 1) :– une variation de l’onde T, pointue et symétrique ;– des anomalies de la conduction auri-culaire (diminution, puis disparition de l’onde P) et auriculo-ventriculaire (blocs sino-auriculaires et auriculo-ventriculaires) ;

– des anomalies de la conduction intra-ventriculaire avec élargissement des complexes QRS ;– une tachycardie ventriculaire précé-dant la fibrillation ventriculaire et l’arrêt cardiaque.Il n’existe aucun parallélisme entre le taux de potassium et les manifestations électrocardiographiques. Les manifestations neurologiques

L’hyperkaliémie peut générer divers symptômes neuromusculaires comme des paresthésies des extrémités et de la région péri buccale.

Causes d’hyperkaliémieUne hyperkaliémie est due à un excès d’apport (rare), à un transfert exagéré du compartiment intracellulaire vers le compar timent extracellulaire et à une diminution de l’excrétion rénale en potassium. Médicaments engendrant un excès

d’apport : les sels de potassium.

Médicaments engendrant un transfert exagéré du compartiment intracellulaire vers le compartiment extracellulaire :– les βbloquants non sélectifs, surtout en cas d’insuffisance rénale associée ;– les digitaliques en cas de doses toxiques du fait de l’inhibition de la pompe Na-K-ATPase, qui conduit à une augmentation du potassium extracellulaire et à un effon-drement du potassium intracellulaire ;– les agonistes α-adrénergiques, qui limitent le passage intracellulaire du potassium. Médicaments engendrant une diminu-

tion de l’excrétion rénale du potassium Certains médicaments déclenchent un syndrome d’hyporéninisme-hypoaldo-stéronisme :– les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) +++ ;– les antagonistes de l’angiotensine 2 (sartans) +++ ;– l’aliskiren (inhibiteur de la rénine) +++ ;– les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ++ ;– les immunodépresseurs (ciclosporine, tacro-limus, immunoglobulines antilymphocytes) ;– les héparines non fractionnées et les hépa rines de bas poids moléculaires ;– les époïétines.D’autres médicaments engendrent une résistance à l’action de l’aldostérone :– la spironolactone par un antagonisme compétitif ;– les diurétiques épargneurs de potassium (amiloride, triamtérène, épléronone), un progestatif (drospirénone), un antibactérien (triméthoprine) et un antiparasitaire (penta-midine), par un blocage du canal sodique épithélial.

Facteurs de risque

d’hyperkaliémie

médicamenteuse

Troubles du bilan potassique et médicament

Figure 1 : Modifications électrocardiographiques dues à une hyperkaliémie.

4–5

6–7B

8C

9

10E

Page 2: Troubles du bilan potassique et médicament

45 pratique

veille pharmaceutique

Actualités pharmaceutiques n° 513 Février 2012

Facteurs de risque

d’hypokaliémie

médicamenteuse

Conduite à tenir en cas d’hyperkaliémieEn cas d’hyperkaliémie, il est nécessaire :– d’évaluer les causes d’hyperkaliémie dues à un médicament hyperkaliémiant ;– d’informer le patient lors de la délivrance d’un médicament hyperkaliémiant ;– de surveiller la kaliémie, ainsi que la fonction rénale.

Hypokaliémie et médicamentsL’hypokaliémie se définit comme une concentration en potassium inférieure à 3,5 mmol/L. Tout comme l’hyperkaliémie, elle peut mettre en jeu, par son retentis-sement cardiaque, le pronostic vital.

Manifestations cliniques de l’hypokaliémie

Les manifestations cardiaquesL’hypokaliémie a pour conséquence une hausse de l’excitabilité cardiaque condui-sant à une augmentation de la période réfractaire révélée par l’électrocardiogramme (figure 2). Les manifestations musculaires

L’hypokaliémie se caractérise par l’appa-rition de crampes, de myalgies et par une faiblesse musculaire. Les manifestations digestives

Les signes digestifs de l’hypokaliémie se caractérisent par une constipation, voire un iléus paralytique.

Causes d’hypokaliémieUne hypokaliémie peut être due à une carence d’apport en potassium, un trans-fert exagéré du compartiment extracellu-laire vers le compartiment intracellulaire ou à un excès de perte.Les médicaments engendrent une hypo-kaliémie par trois mécanismes :– augmentation des pertes urinaires de potassium ;– accroissement des pertes digestives de potassium ;– entrée du potassium dans le milieu intra-cellulaire.

Médicaments engendrant une augmen ta tion des pertes urinaires de potassium :– les diurétiques de l’anse de Henlé et les diurétiques thiazidiques en raison d’une augmentation du débit tubulaire de sodium, d’une hypomagnésémie, de l’induction d’un hyperaldostéronisme par la déplétion volémique et d’une alcalose métabolique de contraction stimulant la kaliurèse ;

– l’amphotéricine B, la gentamicine et la polymixine B, qui engendrent une tubulo-pathie toxique.

Médicaments engendrant une augmen ta tion des pertes digestives de potassium : les laxatifs stimulants essentiellement. Médicament engendrant une entrée

du potassium dans les cellules :– les agents bêta-2 mimétiques (salbuta-mol, salmétérol…) ;– les inhibiteurs de phosphodiestérase (théophylline, caféine) ;– l’insuline ;– les corticoïdes. Tous les hypokaliémiants aggravent

les effets indésirables des médicaments, allongeant l’intervalle QT, donc le risque de survenue de torsade de pointes.

Conduite à tenir en cas d’hypokaliémieEn cas d’hypokaliémie, il est nécessaire :– d’évaluer les facteurs de risque d’hypo-kaliémie associée à un traitement hypo-kaliémiant et de proposer un autre traite-ment hypo kaliémiant ;– de surveiller la kaliémie pendant tout le traitement ;– de supplémenter en potassium si néces-saire. �

François Pillon

Docteur en pharmacie et en médecine,

Chef de clinique en pharmacologie clinique, Dijon (21)

[email protected]

Cas de comptoir

Pourquoi ?

Le réflexe du pharmacien

Figure 2 : Modifications électrocardiographiques dues à une hypokaliémie.

Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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