3
PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE troubles psychiatriques et dpilepsie I. JAMBAQUE Les troubles psychiatriques sont estimds deux ~ trois fois plus fr(~quentschez I'en- fant dpileptique que dans la population g6n(~rale, L ES enfants ~pileptiques pr&entent notam- ment plus souvent des troubles du com- portement que leurs fr~res et sceurs non ~pileptiques et que les enfants ayant d'autres maladies chroniques. La litt&ature associe classi- quement troubles de l'humeur, impulsivit~, col~- reset agresslvlte ~ 1 epllepsle chez l'enfant, toute- fois le concept de mentalitd dpileptique est depuis longtemps d~pass& I1 existe, en effet, une certaine h&&og~n~it~ de la symptomatologie psychiatri- que qui peut inclure des troubles de nature hyper- kin&ique ou psychotique mais ~galement des pro- blames psychopathologiques plus g~n&aux. Si la majorit~ des &udes sugg~re un risque notable de survenue de troubles psychiatriques dans le con- texte de l'~pilepsie, les diff&ents facteurs contri- necessltent tout d'abord d'&re buant ~ ce risque ' " pris en compte. I. JAMBAQUI~, neuropsychologue, hOpital Saint-Vincent- de-Paul, Paris, service de neurop~diatrie, Inserm U 29 Journal de PCDIATRIE et de PUCRICULTURE n ~ 3-1991 les diff rents facteurs associ6s & la survenue des troubles psychiatriques Certains auteurs ont rapport~ une influence du sexe sur le type de trouble du comportement. Les garcons seraient ainsi davantage concern& par les troubles psychiatriques et auraient plus souvent un comportement antisocial et agressif tandis que les troubles n&rotiques Seraient plus frequents chez les filles. Toutefois, la variabilit~ des troubles psychiatriques refl~te &vantage, ~ notre avis, le fait que les enfants ~pileptiques ne constituent pas un groupe homog~ne puisque diff&entS types dYpi- lepsie peuvent &re distingu&. Ainsi, l'&olution psychotique est un risqt/e important dans certains syndromes ~piteptiques et, en particulier, le pro- nostic psychique au d&Ours du syndrome de West inclut un fort pourcentage d'autisme (ou plut6t de syndromes autistiques). De fa~on grin&ale, la survenue des troubles du comportement semble favorlsee par la peno&clte de .... de meme . . . . . . . 1 epllepsxe, ^ que la fr~quence des crises joue sans doute un r61e important Le caract~re focal de l'4pilepsie peut 4galement influencer le profil comportemen- talet lYpilepsie temporale s'av~re la plus suscepti- ble de s'associer ~ des troubles psychiatriques notam- ment de type psychotique. Par ailleurs, il faut Comit6 de lecture Article re,cu le 7/12/90. Accept~ le 15/01/91. 165

Troubles psychiatriques et épilepsie

  • Upload
    i

  • View
    220

  • Download
    2

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Troubles psychiatriques et épilepsie

PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE

t roub les p s y c h i a t r i q u e s et dpi lepsie I. J A M B A Q U E

Les troubles psychiatriques sont estimds deux ~ trois fois plus fr(~quents chez I'en- fant dpileptique que dans la population g6n(~rale,

L ES enfants ~pileptiques pr&entent notam- ment plus souvent des troubles du com- portement que leurs fr~res et sceurs non ~pileptiques et que les enfants ayant d'autres

maladies chroniques. La litt&ature associe classi- quement troubles de l'humeur, impulsivit~, col~- reset agresslvlte ~ 1 epllepsle chez l'enfant, toute- fois le concept de mentalitd dpileptique est depuis longtemps d~pass& I1 existe, en effet, une certaine h&&og~n~it~ de la symptomatologie psychiatri- que qui peut inclure des troubles de nature hyper- kin&ique ou psychotique mais ~galement des pro- blames psychopathologiques plus g~n&aux. Si la majorit~ des &udes sugg~re un risque notable de survenue de troubles psychiatriques dans le con- texte de l'~pilepsie, les diff&ents facteurs contri-

necessltent tout d'abord d'&re buant ~ ce risque ' " pris en compte.

I. JAMBAQUI~, neuropsychologue, hOpital Saint-Vincent- de-Paul, Paris, service de neurop~diatrie, Inserm U 29�9

Journal de PCDIATRIE et de PUCRICULTURE n ~ 3-1991

les diff rents f a c t e u r s a s s o c i 6 s & la s u r v e n u e d e s t r o u b l e s p s y c h i a t r i q u e s

Certains auteurs ont rapport~ une influence du sexe sur le type de trouble du comportement. Les garcons seraient ainsi davantage concern& par les troubles psychiatriques et auraient plus souvent un comportement antisocial et agressif tandis que les troubles n&rotiques Seraient plus frequents chez les filles. Toutefois, la variabilit~ des troubles psychiatriques refl~te &vantage, ~ notre avis, le fait que les enfants ~pileptiques ne constituent pas un groupe homog~ne puisque diff&entS types dYpi- lepsie peuvent &re distingu&. Ainsi, l '&olution psychotique est un risqt/e important dans certains syndromes ~piteptiques et, en particulier, le pro- nostic psychique au d&Ours du syndrome de West inclut un fort pourcentage d'autisme (ou plut6t de syndromes autistiques). De fa~on grin&ale, la survenue des troubles du comportement semble favorlsee par la peno&clte de . . . . de meme . . . . . . . 1 epllepsxe, ^ que la fr~quence des crises joue sans doute un r61e important�9 Le caract~re focal de l'4pilepsie peut 4galement influencer le profil comportemen- talet lYpilepsie temporale s'av~re la plus suscepti- ble de s'associer ~ des troubles psychiatriques notam- ment de type psychotique. Par ailleurs, il faut

Comit6 de lecture Art ic le re,cu le 7 /12/90. Accept~ le 15/01/91.

165

Page 2: Troubles psychiatriques et épilepsie

PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE

souligner les effets comportementaux de certains mddicaments anti-@ileptiques. En particulier, le phdnobarbital provoque un syndrome hyperking tique chez de nombreux enfants et contribue dga- lement ~ la survenue de syndromes d@ressifs. Enfin, l 'environnement du jeune dpileptique peut, bien entendu, favoriser l'dmergence des troubles psychia- triques mais ces derniers s'av~rent toutefois d'au- rant plus sdv~res que le QI est bas. I1 nous paralt donc important de distinguer les troubles psychia- triques dont la gen~se est probablement d'ordre psychopathologique et ceux ~. possible valeur de d&ordres neuropsychologiques.

rant cette maladie consid&& comme honteuse ne facilite pas la communication avec l'entourage et les parents eux-m~mes ont besoin d'&re suffisam- ment inform& et guid&. Une aide pr&oce peut permettre de limiter les difficult& psychologiques secondaires et de prdvenir une d&&ioration de la dynamique familiale. L'association fr4quente de l'@ilepsie et des difficult& dans le d&eloppement social soulignent l'int&& d'analyser l'intrication des diff&ents dl~ments entrant en jeu dans cette situation particuli~re et d'&ablir un projet th&a- peutique global avec la famille.

t roub les p s y c h i a t r i q u e s & va leur d ' o r g a n i s a t i o n s p s y c h o p a t h o l o g i q u e s

t roub les psych ia t r iques & va leur de d sordres n e u r o p s y c h o l o g i q u e s

L'enfant @ileptique manque souvent de confiance en lui et se montre tr~s d@endant sur le plan affectif. Ceci peut s'associer k des difficult4s d'adap- ration sociale et ~ une certaine intol&ance ~i la frustration avec des r&ctions agressives ou d@res- sires. I1 pr&ente parfois 4galement des troubles n&rotiques, notamment des manifestations hyst& riques (pseudo-crises, par exemple) ou des troubles

lus importants de la personnalit& Les difficult& P . o ~ ! �9

psychologNues et relatlonnelles de 1 enfant epflep- tique ne peuvent &re comprises sans faire rdf& fence ~ son v&u. La survenue des crises inclut, en effet, des perturbations dans ses dprouv6s cor- porels et dans sa communication avec le monde exteneur. L epflepsm represente ainsi une atteinte narcissique importante et les attitudes parentales

' " determmantes du vont necessalrement &re ' " com- ment l'enfant @ileptique va parvenir ~ ~ vivre avec ,~ son @ilepsie. Toutefois, il est bien &ident que l'impact de la maladie &ant sensible sur l'en- rant mais dgalement sur ses proches, l'effet stres- sant de l'@ilepsie est ressenti par l'ensemble de la cetlule famiiiale. En particulier, lorsque la mala- die survient d~s la premiere ann& de vie, la rela- tion maternelle elle-m~me risque d'&re perturb& par les difficult& ~i maintenir une interaction m~re- enfant satisfaisante et harmonieuse.

Par ailleurs, la blessure narcissique est d'autant plus forte qu'il s'agit d'une maladie dont l'image sociale est tr~s ndgative. Dans notre culture, l'@i-

�9 , p

leptique a longtemps ete' " constdere comme un ,~ mau- dit ,, et reste un inadapt~ potentiet, la personne souffrant d'@ilepsie se trouve donc confront&

un v&itable probl~me d'identitd. Le non-dit entou- 166

La symptomatologie psychiatrique dans l'@ilepsie a depuis longtemps suscit4 l'int&& ; toutefois, il faut savoir que les enfants 6pileptis pr6sentant des troubles du comportement sont aussi ~ risque de troubles cognitifs ou m4me de d&&ioration intellectuelle. I1 existe, en effet, un lien entre les d4ficits cognitifs et certains comportements, les troubles psychiatriques &ant d'ailleurs plus fre- quents chez les enfants avec difficult& d'apprentis- sage. Ainsi, l '&idence sugg6re qu'un ddficit neu- ropsychologique est fr4quemment associ6 au pro- bl6me psychiatrique et que, dans certains cas, il peut m~me &re ~ la base du trouble. De plus, les modifications comportementales souvent rap- port&s au d4but de l'@ilepsie, de m~me que la normalisation possible du comportement de fa9on concomitante ~t la cddation des crises, ~ l'amdliora- tion de I'EEG et du ddbit sanguin c&dbral rdgio- nal par la m&hode du SPECT (tomographie par 4mission de photo unique) permettent d'envisager une probable relation causale pr&e ~ discussion, car @ileptog~ne. Au maximum, les d~ficits cogni- tifs et comportementaux sont m~me parfois la symptomatologie r~v~latrice ou dominante d'une @ilepsie infantile.

Chez le nourrisson, un comportement autistique peut ainsi &re la premi~re expression du syndrome de West. Une ddgradation du contact visuel et du babillage, la perte du sourire, l'indiff&ence l'entourage accompagnent, en effet, g~n&alement cette @ilepsie jusqu'~, r&liser un &at autistique. Celui-ci peut ~tre transitoire en rda~ion avec les distorsions perceptives et le d~faut de vigilance qui refl~tent l'effet de l 'hypsarythmie sur un cer-

Journal de PEDIATRIE et de PUI~RICULTURE n ~ 3-1991

Page 3: Troubles psychiatriques et épilepsie

veau en cours de maturation. L'~tat autistique peut ~galement persister au d~cours du syndrome de West et dans ce cas s'associe fi de larges zones d'hypod~bit frontales et post~rieures au SPECT. Dans les ~pilepsies focales, certaines modifications comportementales peuvent ~galement accompagner la survenue des crises et de nombreux auteurs ont, par exemple, soulign~ l'association entre l'~pi- lepsie temporale et la psychose ou les troubles de l'humeur. Le si~ge temporal du foyer EEG semble, en effet, entra~ner une vuln~rabilit~ psycho- affective puisqu'il s'agit d'une r~gion hautement concern~e par le systeme' limbique, connu pour son r&le dans les ~motions et ~galement les proces-

p �9 ~ ! - . sus mneszques. L amehoranon comportementale g~n~ralement rapportde apr~s lobectomie tend ~l confirmer le retentissement n~gatif d 'un dysfonc- tionnement chronique des structures temporales. Les ~pilepsies partielles du lobe frontal compor- tent aussi un risque de d~t~rioration comporte- mentale et ceci d~s le d~but de la maladie. Dans ce cas, on observe souvent une hyperkin~sie majeure et des troubles des conduites instinctives (bouli- mie, ddsinhibition) qui peuvent amener au dia- gnostic de ,, manie aigu~ ~, ~t d~faut de r~f~rence neuropsychologique. Ceci montre encore une fois l'int~r~t d'analyser conjointement les fonctions cognitives et la symptomatologie comportemen- tale. En effet, si les enfants avec ~pilepsies frontales o u temporales peuvent manifester des troubles psychiatriques, ils prdsentent de mani~re encore plus frdquente des troubles cognitifs. I1 est ainsi permis de s'interroger, par exemple, sur le lien ~ventuel entre leurs troubles de m~moire et leurs bizarreries comportementales. De mime, dans le syndrome de pointes ondes continues du sommeil, des troubles du langage et de la m~moire sont en r~gle associ~s ~l un trouble attentionnel et ~t une d~sorientation temporelle rdalisant au maxi- mum un dtat psychotique. I1 faut donc retenir que la survenue d'une modification de la personna- lit~ sp~cifique d'un syndrome ~pileptique ou de l'existence d'un foyer ~pileptog~ne repr~sente, sans doute, un module pour l%tude de la pathologie mentale.

En conclusion, les troubles psychiatriques obser- ves dans les ~pilepsies infantiles sont d'une grande vari~t~ s~miologique et ne sont pas r~ductibles

un module de personnalitd ,, d'enfant ~pilepti- que ~,. L'attitude parentale et l 'environnement social sont des facteurs qui contribuent de mani~re ~vi- dente ~ la gen~se de certaines rdactions comporte- mentales et difficult~s relationnelles. Mais les trou- bles du comportement sont dgalement parfois ~troi- tement li~s ~l des d~ficits cognitifs et peuvent refld- ter l'impact d'une activitd dpileptog~ne sur les struc- tures c~r~brales. Ainsi, l'approche neuropsycholo- gique s'av~re devoir jouer un r61e important dans J o u r n a l de P I~D IATRIE e t d e P U I ~ R I C U L T U R E n ~ 3 -19 ' 91

PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE

l'analyse des troubles du comportement et de la communication assocles fi l epllepsle chez l'enfant. De mime, cette approche devrait permettre une prise en charge psycho-~ducative plus complete du jeune ~pileptique. []

Exemples de troubles du comportement dans diff6rents types d'dpilepsie

Comportement autistique Syndrome de West

Hyperkin~sie/D6sorientation spatio- Pointes ondes continues temporelle/Etat psychotique du s0mmeil

Hyperkin~sie/Agressivit6/Troubles Epilepsie temporale de I'humeur/Psychose

Hyperkin~sie/Labilit~ ~motionnelle/ Epilepsie frontale Troubles des conduites instinctives

Passivit~/D~pendance affective Epilepsies g~n~ralis~es idiopathiques

B i b l i o g r a p h i e

DAVIDSON S., FALCONER M. (1975) . -- Outcome of surgery in 40 children with temporal lobe epilepsy. The Lancet , 1 2 6 0 - 1 2 6 3 .

GESCHWlND N. (1979) . -- Behavioural changes in temporal lobe epilepsy. Psycho log ica l Medic ine, 9 : 2 1 7 - 2 1 9 .

HOARE. (1984) . -- Does illness foster dependency ? A study of epileptic and diabetic children. Dev. Med. Chi ld Neu to t . , 2 6 : 20 -24 .

JAMBAQUI~ I., DULAC O. (1989) . -- Approche neu- ropsychologique des ~pilepsies chez I'enfant. Epi- lepsies, 1 : 80 -85 .

JAMBAQUI~ ]., DULAC O. (1989) . -- Syndrome frontal r~versible et ~pilepsie chez un enfant de 8 ans. Arch Fr P~diatr ie, 4 6 : 5 2 5 - 5 2 9 .

PRITCHARD P.B., LOMBROSCO c.m. , MC INTYRE M. (1980) . -- Psychological complication of temporal lobe epilepsy. Neuro logy , 3 0 : 2 2 7 - 2 5 1 .

RIIKONEN R., AMNELL GI (1981) . -- Psychiatric disor- ders in children with earlier infantile spaTs. Dev. Med. Chi ld. Neurol . , 2 3 : 7 4 7 - 7 6 0 .

STORES G. (1978) . -- School children with epilepsy at risk for learning and behavior problems. Dev. Med. Chi ld. Neurol . , 2 0 : 5 0 2 - 5 0 8 .

TAFT L.T., COHEN H.J. (1971) . -- Hypsarythmia and infantile autism : a clinical report. J. Au t i sm Child Schizo. , 1 : 3 2 7 - 3 3 6 .

WILLEMS G. (1989) . Learning disabilities and neu- ropsycho log ica l problems in epileptic children. ANAE, 1 : 34 -38 .

167