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Urgences 1997;XVI:251-253 0 Elsevier, Paris Fait clinique Troubles psychiatriques et tumeur &6brale A Delvaux, L Derue, A Daoudi, B Gillet Service d’accueil des urgences, Smur, CHG Auban-Meet, 137, rue de I’H6ppita/, 51200 gpernay, France RCsumf3 - Des troubles psychiatriques peuvent etre les se& symptomes d’une pathologie tumorale cerebrale. Malgre quelques elements d’orientation, il nest pas possible d’exclure ou de localiser une tumeur cerebrale par le seul examen de manifestations psychiatriques. Les medicaments psychotropes peuvent ameliorer les symptbmes psychiatriques d’origine tumorale. L’indication de la tomodensitometrie cerebrale ou de I’imagerie par resonance magnetique doit etre large. troubles psychiatriques I tumeur c&5brale Summary - Psychiatric disorders and brain tumor. Psychiatric disorders may be only symtoms of brain tumors. Despite elements ofpresumption, there is no clinical method of excluding or localizing a brain tumor by its psychiatric manifestations. Psychotropic drugs may imrove symtoms in the presence of tumor. The use of computed tomography brain scann or magnetic resonance imaging must be large. psychiatric disorders / brain tumor OBSERVATION Madame L, agee de 50 ans, est amenee par son mari a 3 h 00 du matin pour troubles du comportement. Les antecedents de la patiente se resument a un syndrome depressif tres mod&e, depuis quelques an&es, pour lequel elle recevait un traitement antidepresseur, exa- cerbe 6 semaines auparavant par le deck de sa mere. Depuis, le mari la decrit apathique, triste, malgre le traitement antidepresseur. La consultation aux ur- gences est motivee par une bradypsychie de plus en plus marquee. A son arrivee, la patiente est prostree, son attitude et son visage semblent refleter la tristesse. L’interroga- toire se revele difficile. Elle presente une d&orientation temporospatiale, fournit des reponses inadaptees aux questions et son discours angoisse est centre sursa mere decedee. L’examen clinique ne met en evidence aucun deficit sensitivomoteur. La pression arterielle est a 139/98 mmHg. Le pouls est regulier a 64/min, la tem- perature est a 36,2 “C, la glycemie capillaire est a 6,9 mmol/L. Le bilan biologique realise aux urgences est sans anomalies. Le diagnostic retenu est celui d’une crise d’angoisse aigue en contexte anxiodepressif majeur. Une voie veineuse peripherique, mise en place pour I’injection de Tranxene ( 26 mg, est immediatement suivie d’un vomissement. A 9 h 00, un coma reactif s’installe. Le scanneur cerebral sans injection de pro- duit de contraste retrouve un processus occupant I’he- misphere gauche, associant des zones hypodenses et isodenses. II existe une hyperdensite spontanee tradui- sant une hemorragie intratumorale. Apres injection, il existe une prise de contraste en anneau peripherique de la masse qui est elle-meme rehaussee de facon heterogene. L’cedeme perilesionnel est a I’origine d’un effet de masse sur la come temporale gauche et le ventricule lateral gauche, qui s’engage sous la faux du cerveau, refoulant vers la droite le troisieme ventricule lateral droit. La patiente est alors intubee, ventilee et son transfer-t en reanimation est organise. Pendant le transfer?, une mydriase gauche reactive s’installe, le score de Glasgow est evalue a 4. Du mannitol20 % est alors perfuse a raison de 100 mU4 h. L’evolution sera rapidement defavorable. Un Qtat de mal epileptique s’installe en quelques heures et le de- ces survient a 6 h 00 le lendemain. II n’y a pas eu d’autopsie. DISCUSSION Les troubles de I’attention, les modifications de I’activite psychomotrice, la d&orientation auraient

Troubles psychiatriques et tumeur cérébrale

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Page 1: Troubles psychiatriques et tumeur cérébrale

Urgences 1997;XVI:251-253 0 Elsevier, Paris

Fait clinique

Troubles psychiatriques et tumeur &6brale

A Delvaux, L Derue, A Daoudi, B Gillet

Service d’accueil des urgences, Smur, CHG Auban-Meet, 137, rue de I’H6ppita/, 51200 gpernay, France

RCsumf3 - Des troubles psychiatriques peuvent etre les se& symptomes d’une pathologie tumorale cerebrale. Malgre quelques elements d’orientation, il nest pas possible d’exclure ou de localiser une tumeur cerebrale par le seul examen de manifestations psychiatriques. Les medicaments psychotropes peuvent ameliorer les symptbmes psychiatriques d’origine tumorale. L’indication de la tomodensitometrie cerebrale ou de I’imagerie par resonance magnetique doit etre large.

troubles psychiatriques I tumeur c&5brale

Summary - Psychiatric disorders and brain tumor. Psychiatric disorders may be only symtoms of brain tumors. Despite elements ofpresumption, there is no clinical method of excluding or localizing a brain tumor by its psychiatric manifestations. Psychotropic drugs may imrove symtoms in the presence of tumor. The use of computed tomography brain scann or magnetic resonance imaging must be large.

psychiatric disorders / brain tumor

OBSERVATION

Madame L, agee de 50 ans, est amenee par son mari a 3 h 00 du matin pour troubles du comportement. Les antecedents de la patiente se resument a un syndrome depressif tres mod&e, depuis quelques an&es, pour lequel elle recevait un traitement antidepresseur, exa- cerbe 6 semaines auparavant par le deck de sa mere. Depuis, le mari la decrit apathique, triste, malgre le traitement antidepresseur. La consultation aux ur- gences est motivee par une bradypsychie de plus en plus marquee.

A son arrivee, la patiente est prostree, son attitude et son visage semblent refleter la tristesse. L’interroga- toire se revele difficile. Elle presente une d&orientation temporospatiale, fournit des reponses inadaptees aux questions et son discours angoisse est centre sursa mere decedee.

L’examen clinique ne met en evidence aucun deficit sensitivomoteur. La pression arterielle est a 139/98 mmHg. Le pouls est regulier a 64/min, la tem- perature est a 36,2 “C, la glycemie capillaire est a 6,9 mmol/L. Le bilan biologique realise aux urgences est sans anomalies.

Le diagnostic retenu est celui d’une crise d’angoisse aigue en contexte anxiodepressif majeur.

Une voie veineuse peripherique, mise en place pour

I’injection de Tranxene ( 26 mg, est immediatement suivie d’un vomissement. A 9 h 00, un coma reactif s’installe. Le scanneur cerebral sans injection de pro- duit de contraste retrouve un processus occupant I’he- misphere gauche, associant des zones hypodenses et isodenses. II existe une hyperdensite spontanee tradui- sant une hemorragie intratumorale. Apres injection, il existe une prise de contraste en anneau peripherique de la masse qui est elle-meme rehaussee de facon heterogene. L’cedeme perilesionnel est a I’origine d’un effet de masse sur la come temporale gauche et le ventricule lateral gauche, qui s’engage sous la faux du cerveau, refoulant vers la droite le troisieme ventricule lateral droit. La patiente est alors intubee, ventilee et son transfer-t en reanimation est organise. Pendant le transfer?, une mydriase gauche reactive s’installe, le score de Glasgow est evalue a 4. Du mannitol20 % est alors perfuse a raison de 100 mU4 h.

L’evolution sera rapidement defavorable. Un Qtat de mal epileptique s’installe en quelques heures et le de- ces survient a 6 h 00 le lendemain. II n’y a pas eu d’autopsie.

DISCUSSION

Les troubles de I’attention, les modifications de I’activite psychomotrice, la d&orientation auraient

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dO faire poser le diagnostic de confusion. Cepen- dant, I’absence d’antecedent non psychiatrique, de signe clinique objectif, d’anomalie biologique, de signe de gravite n’orientait pas vers une patho- logie organique. La tomodensitometrie cerebrale n’etait qu’un examen de seconde initiation en I’absence de signe de focalisation [3]. A noter, toutefois, I’episode de vomissement attribue peut- etre rapidement a une reaction vagale, apres la pose de la voie veineuse. II n’existait aucun ele- ment pouvant prejuger d’une evolution aussi rapi- dement pejorative. L’etiologie psychiatrique a ete hativement evoquee devant le contexte depressif (de&s recent de sa mere) et les antecedents psychiatriques connus. II s’agissait en fait d’une pathologie tumorale, et d’apres scanographie, on peut evoquer un astrocytome de grade IV [15].

L’association de troubles psychiatriques avec une pathologie tumorale cerebrale est bien connue. L’apparition de signes psychotiques, a- pres I’age de 40 ans, doit faire rechercher une tumeur cerebrale 141.

La frequence de leur association est loin d’etre negligeable. En 1962, Remington, dans une etude retrospective sur 30 ans, retrouvait 34 patients (0,2 %), qui, admis dans une unite specialisee pour la prise en charge des troubles psychiatri- ques aigus, presentaient une pathologie tumorale cerebrale.

Le diagnostic n’etait connu a I’entree que pour dix d’entre eux. Pour les autres, le diagnostic n’a ete porte qu’a I’apparition de signes neurologi- ques apres une latence plus ou moins longue [9]. Apres avoir pratique les autopsies systematiques, Benson retrouvait une tumeur cerebrale chez 1,5 a 4 % de patients de&d& en milieu psychiatri- que. II est toutefois impossible par cette etude d’affirmer que la tumeur etait preexistante a I’ad- mission [l]. Suite aux etudes d’Anderson et Cole sur les necropsies [4], la frequence de 3 % des personnes institutionnalisees en milieu psychiatrique, ayant une tumeur intracranienne, est retenue.

II apparait done que pour certaines tumeurs, les signes neurologiques sont discrets, voire absents, les troubles psychiatriques demeurant au premier plan. Ces tumeurs sont generalement dans des zones (( muettes >) (le lobe occipital, le corps cal- leux et les ventricules) et peuvent croitre sans produire immediatement des signes de localisa- tion [6].

De plus, les signes neurologiques classiques peuvent etre minimes ou absents meme en cas de tumeur etendue en raison de leur lente evolu- tivite [4]. Par contre, il est impossible de predire ni le delai d’apparition des signes neurologiques, ni la rapidite d’evolution de I’affection tumorale une fois celle-ci installee. Ceux-ci dependent essen- tiellement de la nature histologique de la lesion cerebrale.

De nombreuses etudes cherchent une correla-

tion entre les troubles psychiatriques et leur loca- lisation. Celle-ci est difficile a etablir du fait du caractere volontiers mal limite d’une lesion infil- trante - comme les gliomes et glioblastomes - et de la frequence de I’hypertension intracranienne [4]. Pour certains, les tumeurs a expression psy- chiatrique seraient plus frequemment associees a des lesions frontales et temporolimbiques qu’a des tumeurs par&ales et occipales. D’ailleurs, il est etabli que les lobes frontaux sont les lobes les plus importants et les plus r&cents phylogeneti- quement du cerveau humain dans I’organisation et I’integration du compot-tement. De meme, les tumeurs temporolimbiques tendraient a causer des psychoses en raison de I’interruption des structures du systeme limbique, comprenant les composants du circuit de Papez [4, 81. L’acces maniaque est un trouble de I’humeur et de I’affect associe a des lesions du lobe temporal, souvent localisees a droite [4]. Smirnov avait note une correlation entre la localisation temporale des tu- meurs et I’apparition d’un syndrome depressif [ll]. Pour Flor Henry, les psychoses affectives seraient plus frequentes dans les localisations hemispheriques droites, les psychoses <c schi- zo’ides >) dans les localisations gauches [5].

Mais pour d’autres auteurs, aucune correlation entre troubles psychiatriques et localisation n’est possible [2].

Quant a la reponse au traitement d’un trouble psychiatrique, elle n’est pas un argument d’inor- ganicite. En effet, la psychose maniacodepressive d’etiologie tumorale repond au lithium [7, 131. Vas- sallo decrit le cas dune schizophrenic repondant bien au traitement antipsychotique alors qu’il exis- tait un astrocytome frontal [14]. Binder rapporte une paranoia controlee par I’haloperidol avant la decouverte d’un meningiome occipital bilateral. Apt-es intervention chirurgicale, ces deux patients n’ont plus presente de desordre psychiatrique [2].

A I’inverse, une reponse inappropriee B un trai- tement bien conduit est un element qui doit faire evoquer une pathologie tumorale [4].

CONCLUSION

II apparait difficile d’ecatter une etiologie organi- que en presence d’un trouble psychiatrique sur le simple examen clinique, aussi attentif soit-il, ou sur une reponse therapeutique favorable aux psy- chotropes.

II serait peut-etre opportun de realiser une to- modensitometrie cerebrale ou un examen par re- sonance magnetique devant toute manifestation psychiatrique aigue ou changement de comporte- ment apparus apres 40 ans, a fortiori si le patient n’a aucun antecedent personnel ou familial. De meme, cette attitude semble licite en cas de re- ponse inadaptee a un traitement bien conduit. Cela permettrait une prise en charge neurochirur-

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gicale pr&ise, avant I’apparition de signes neuro- logiques.

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