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Gastroentérologie Clinique et Biologique (2010) 34, 98—99 LETTRE À LA RÉDACTION Tuberculose anopérinéale à propos de 40 cas Anoperineal tuberculosis 40 cases report La tuberculose reste un problème majeur de santé publique au Maroc. En 2007, 25 562 nouveaux cas ont été répertoriés (incidence de 87/100 000) avec 500 à 1000 décès [1]. Les localisations digestives représentent environ 1 % des cas de tuberculose extrapulmonaire. La localisation la plus fréquente est la région iléo-cæcale (85 %) alors que la locali- sation anopérinéale est rare. Nous avons étudié les dossiers de nos patients opérés pour une telle atteinte. Nous avons réalisé une étude rétrospective des 40 cas de fistules tuberculeuses traitées dans le service de chirur- gie générale de l’hôpital militaire Avicenne entre 1989 et 2008, ce qui représentait 2,7 % de nos fistules anales opé- rées et 1,2 % de nos interventions proctologiques. Il s’agissait de six femmes et 34 hommes. Leur âge moyen était de 32 ans (20—58). Le diagnostic de tuberculose a été évoqué devant les antécédents médicaux de tuberculose pulmonaire (n = 22), épididymaire (n = 2) et mammaire (n = 1). La tuber- culose anale était « primitive » chez les 15 autres patients. La présentation clinique était un abcès (n = 5), une fistule purulente unique (n = 30) ou des fistules multiples (n = 5). Les trajets étaient trans-sphinctériens (n = 29) ou extra- sphinctériens (n = 11). Le délai entre le début des symptômes et la première consultation variait d’un mois à dix ans. Dix-huit patients avaient déjà été opérés dans un autre centre hospitalier. L’intradermoréaction à la tuberculine, réalisée chez dix patients aux antécédents de tubercu- lose pulmonaire, s’est avérée positive dans six cas. Le bacille de Koch (BK) a été recherché devant l’aspect « spumeux » inhabituel du pus et mis en évidence à l’examen direct chez cinq patients. La PCR n’a pas été réalisée dans notre service. L’examen anatomopathologique a mis en évidence des follicules épithélioïdes et gigantocellu- laires au sein d’une nécrose caséeuse chez 37 patients. L’infection par le virus d’immuno-déficience humaine a été recherchée et était absente chez dix patients. Le traitement chirurgical a consisté en une mise à plat immé- diate (n = 11) ou une fistulotomie progressive par serrage élastique (n = 29). Le traitement médical était une qua- drithérapie antituberculeuse (streptomycine, rifampicine, pyrazinamide et isoniazide) pendant deux mois suivie d’une bithérapie (rifampicine et isoniazide) pendant sept mois. Quatre patients ont été perdus de vue. La cicatrisation a été obtenue chez les 36 autres au prix d’une incontinence anale persistante chez trois des dix patients qui avaient déjà été antérieurement opérés. Aucune récidive n’a été constatée durant le suivi médian de six ans (2—15). La tuberculose anopérinéale est une affection rare [2]. Elle survient surtout chez l’adulte jeune avec une nette pré- dominance masculine. Elle peut être primitive ou secondaire à une autre atteinte tuberculeuse, notamment pulmo- naire qu’il faut systématiquement rechercher [3]. Sur le plan physiopathologique, l’infestation du tube digestif peut s’effectuer soit par déglutition de l’expectoration conte- nant des BK, soit par diffusion hématogène. La région iléo-cæcale semble particulièrement exposée car elle est une zone de stase relative et riche en tissu lymphoïde [4]. L’atteinte anopérinéale se présente sous différentes formes. Les formes suppuratives représentent 80 % des cas alors que les formes ulcératives sont moins fréquentes [2,3]. Le diag- nostic positif peut être difficile et repose en général sur un faisceau d’arguments. L’intradermoréaction à la tuberculine est positive dans 25 à 95 % des cas [4,5]. L’examen direct est inconstamment positif ; dans notre série, il l’était dans 12 % des cas. La culture sur milieu spécifique permet d’affirmer le diagnostic mais le long délai du résultat (30 à 45 jours) est incompatible avec la nécessité d’un traitement rapide. Les techniques de PCR fournissent un résultat en 48 heures avec une sensibilité faible de 25 % mais une spécificité de 80 à 100 % [6]. L’histologie permet la mise en évidence des granulomes épithélioïdes et giganto-cellulaires ainsi que de la nécrose caséeuse pathognomonique. Cette nécrose était présente dans 92 % des cas de notre série, peut-être en rai- son de la forte endémie tuberculeuse de notre pays, mais des taux plus bas, proches de 50 %, ont été rapportés par d’autres [4,6]. Les deux diagnostics différentiels principaux sont la maladie de Crohn et le granulome à corps étran- ger [4,5]. Le traitement est médicochirurgical, associant une thérapie antituberculeuse, variable dans sa composi- tion et sa durée [4—6] et une fistulotomie dont les modalités dépendent de la hauteur et du nombre des trajets fistuleux. Il y a cependant un risque d’incontinence anale, notamment en cas de retard diagnostique qui expose à la récidive et à des chirurgies itératives. 0399-8320/$ – see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.gcb.2009.10.018

Tuberculose anopérinéale à propos de 40 cas

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La tuberculose reste un problème majeur de santéublique au Maroc. En 2007, 25 562 nouveaux cas ont étéépertoriés (incidence de 87/100 000) avec 500 à 1000 décès1]. Les localisations digestives représentent environ 1 % desas de tuberculose extrapulmonaire. La localisation la plusréquente est la région iléo-cæcale (85 %) alors que la locali-ation anopérinéale est rare. Nous avons étudié les dossierse nos patients opérés pour une telle atteinte.

Nous avons réalisé une étude rétrospective des 40 case fistules tuberculeuses traitées dans le service de chirur-ie générale de l’hôpital militaire Avicenne entre 1989 et008, ce qui représentait 2,7 % de nos fistules anales opé-ées et 1,2 % de nos interventions proctologiques. Il s’agissaite six femmes et 34 hommes. Leur âge moyen était de2 ans (20—58). Le diagnostic de tuberculose a été évoquéevant les antécédents médicaux de tuberculose pulmonairen = 22), épididymaire (n = 2) et mammaire (n = 1). La tuber-ulose anale était « primitive » chez les 15 autres patients.

La présentation clinique était un abcès (n = 5), une fistuleurulente unique (n = 30) ou des fistules multiples (n = 5).es trajets étaient trans-sphinctériens (n = 29) ou extra-phinctériens (n = 11). Le délai entre le début des symptômest la première consultation variait d’un mois à dix ans.ix-huit patients avaient déjà été opérés dans un autreentre hospitalier. L’intradermoréaction à la tuberculine,éalisée chez dix patients aux antécédents de tubercu-ose pulmonaire, s’est avérée positive dans six cas. Leacille de Koch (BK) a été recherché devant l’aspectspumeux » inhabituel du pus et mis en évidence à l’examenirect chez cinq patients. La PCR n’a pas été réaliséeans notre service. L’examen anatomopathologique a misn évidence des follicules épithélioïdes et gigantocellu-aires au sein d’une nécrose caséeuse chez 37 patients.’infection par le virus d’immuno-déficience humaine a

té recherchée et était absente chez dix patients. Leraitement chirurgical a consisté en une mise à plat immé-iate (n = 11) ou une fistulotomie progressive par serragelastique (n = 29). Le traitement médical était une qua-rithérapie antituberculeuse (streptomycine, rifampicine,

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yrazinamide et isoniazide) pendant deux mois suivie d’uneithérapie (rifampicine et isoniazide) pendant sept mois.uatre patients ont été perdus de vue. La cicatrisation a étébtenue chez les 36 autres au prix d’une incontinence analeersistante chez trois des dix patients qui avaient déjà éténtérieurement opérés. Aucune récidive n’a été constatéeurant le suivi médian de six ans (2—15).

La tuberculose anopérinéale est une affection rare [2].lle survient surtout chez l’adulte jeune avec une nette pré-ominance masculine. Elle peut être primitive ou secondaire

une autre atteinte tuberculeuse, notamment pulmo-aire qu’il faut systématiquement rechercher [3]. Sur lelan physiopathologique, l’infestation du tube digestif peut’effectuer soit par déglutition de l’expectoration conte-ant des BK, soit par diffusion hématogène. La régionléo-cæcale semble particulièrement exposée car elle estne zone de stase relative et riche en tissu lymphoïde [4].’atteinte anopérinéale se présente sous différentes formes.es formes suppuratives représentent 80 % des cas alors quees formes ulcératives sont moins fréquentes [2,3]. Le diag-ostic positif peut être difficile et repose en général sur unaisceau d’arguments. L’intradermoréaction à la tuberculinest positive dans 25 à 95 % des cas [4,5]. L’examen direct estnconstamment positif ; dans notre série, il l’était dans 12 %es cas. La culture sur milieu spécifique permet d’affirmere diagnostic mais le long délai du résultat (30 à 45 jours)st incompatible avec la nécessité d’un traitement rapide.es techniques de PCR fournissent un résultat en 48 heuresvec une sensibilité faible de 25 % mais une spécificité de0 à 100 % [6]. L’histologie permet la mise en évidence desranulomes épithélioïdes et giganto-cellulaires ainsi que dea nécrose caséeuse pathognomonique. Cette nécrose étaitrésente dans 92 % des cas de notre série, peut-être en rai-on de la forte endémie tuberculeuse de notre pays, maises taux plus bas, proches de 50 %, ont été rapportés par’autres [4,6]. Les deux diagnostics différentiels principauxont la maladie de Crohn et le granulome à corps étran-er [4,5]. Le traitement est médicochirurgical, associantne thérapie antituberculeuse, variable dans sa composi-

ion et sa durée [4—6] et une fistulotomie dont les modalitésépendent de la hauteur et du nombre des trajets fistuleux.l y a cependant un risque d’incontinence anale, notammentn cas de retard diagnostique qui expose à la récidive et àes chirurgies itératives.

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Tuberculose anopérinéale à propos de 40 cas

Conflits d’intérêts

Aucun.

Références

[1] Ottmani. Situation actuelle de la tuberculose au Maroc. Guidede la lutte anti-tuberculeuse. Santé en chiffre 1996.

[2] Mathew S. Anal tuberculosis: Report of a case and review ofliterature. Int J Surg 2008;6:36—9.

[3] Gupta PJ. A case of multiple (eight external openings) tuber-

cular anal fistulae. Case report. Eur Rev Med Pharmacol Sci2007;11:359—61.

[4] Fernández Rivero JM, Rocha Ramírez JL, Villanueva Sáenz E,Sierra Montenegro E, Rojas Illanes M. Anorectal tuberculosis.Case report. Rev Gastroenterol Mex 2007;72:40—2.

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5] Romelaer C, Abramowitz L. Anal abscess with a tuberculousorigin: Report of two cases and review of the literature. Gas-troenterol Clin Biol 2007;31:94—6.

6] Gupta PJ. Ano-perianal tuberculosis — solving a clinicaldilemma. Afr Health Sci 2005;5:345—7.

M. Moujahid ∗

M.T. TajdineA. Achour

I.M. JanatiService de chirurgie générale, hôpital militaire Avicenne,

Marrakech, Maroc

∗ Auteur correspondant. Résidence Ibnou Khaldoun, B40,rue Oued El Makhazine Harhoura, Temara, Maroc.

Adresse e-mail : [email protected] (M. Moujahid).

Disponible sur Internet le 31 decembre 2009