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CAS CLINIQUE Tumeur fibreuse solitaire maligne de la paroi abdominale chez un homme Malignant solitary fibrous tumor of the abdominal wall in a man A. Ouazzani a, * , P. Delrée b , N. De Saint Aubain c , M. Ceuterick a , W. Boudaka a a De ´ partement de chirurgie digestive, CHU de Charleroi, Charleroi, Belgique b Institut de pathologie et ge ´ne ´ tique, Gosselies, Belgique c De ´ partement d’anatomie pathologique, institut Jules-Bordet, Bruxelles, Belgique Rec¸u le 27 de´cembre 2007 ; accepte´ le 17 mars 2008 MOTS CLÉS Tumeur fibreuse solitaire ; Malignité ; Paroi abdominale ; Récepteurs hormonaux Résumé Nous rapportons le premier cas de tumeur fibreuse solitaire (TFS) maligne de la paroi abdominale chez un homme. L’étude immunohistochimique révèle des récepteurs CD34 et bcl-2 positifs. Étonnamment, les récepteurs estroprogestatifs sont focalement positifs. L’expression de ces récepteurs au niveau des tumeurs solitaires fibreuses est très peu rapportée dans la littérature. Les quelques séries disponibles actuellement identifient la positivité de ces récep- teurs comme un facteur de risque favorisant les récidives après exérèse chirurgicale. Six mois après l’exérèse de la lésion tumorale, aucune récidive n’est observée chez notre patient. # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Solitary fibrous tumor; Malignancy; Abdominal wall; Hormonal receptors Summary We report the first case of malignant solitary fibrous tumor of the abdominal wall in a man. Immunohistochemical staining for CD34 and bcl-2 were positive. Surprisingly, estrogen and progesterone receptors were focally positive. Expression of steroid hormone receptor in solitary fibrous tumor was rarely reported in the literature. In a few series, these receptors were identified as a risk factor of recurrences after surgical excision. Six months after complete surgical resection of the mass, our patient has been quite well without any evidence of recurrence. # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Annales de chirurgie plastique esthétique (2008) 53, 517520 * Auteur correspondant. Route de Gozée, 706, B.P. 91, 6110 Montigny-le-Tilleul, Belgique. Adresse e-mail : [email protected] (A. Ouazzani). Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/annpla 0294-1260/$ see front matter # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anplas.2008.03.003

Tumeur fibreuse solitaire maligne de la paroi abdominale chez un homme

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Page 1: Tumeur fibreuse solitaire maligne de la paroi abdominale chez un homme

Annales de chirurgie plastique esthétique (2008) 53, 517—520

CAS CLINIQUE

Tumeur fibreuse solitaire maligne de la paroiabdominale chez un homme

Malignant solitary fibrous tumor of the abdominalwall in a man

A. Ouazzani a,*, P. Delrée b, N. De Saint Aubain c,M. Ceuterick a, W. Boudaka a

Disponib le en l igne sur www.sc ienced i rect .com

journa l homepage: www.el sev ie r.com/locate/annpla

aDepartement de chirurgie digestive, CHU de Charleroi, Charleroi, Belgiqueb Institut de pathologie et genetique, Gosselies, BelgiquecDepartement d’anatomie pathologique, institut Jules-Bordet, Bruxelles, Belgique

Recu le 27 decembre 2007 ; accepte le 17 mars 2008

MOTS CLÉSTumeur fibreusesolitaire ;Malignité ;Paroi abdominale ;Récepteurs hormonaux

* Auteur correspondant. Route de GoAdresse e-mail : [email protected].

0294-1260/$ — see front matter # 20doi:10.1016/j.anplas.2008.03.003

Résumé Nous rapportons le premier cas de tumeur fibreuse solitaire (TFS) maligne de la paroiabdominale chez un homme. L’étude immunohistochimique révèle des récepteurs CD34 et bcl-2positifs. Étonnamment, les récepteurs estroprogestatifs sont focalement positifs. L’expressionde ces récepteurs au niveau des tumeurs solitaires fibreuses est très peu rapportée dans lalittérature. Les quelques séries disponibles actuellement identifient la positivité de ces récep-teurs comme un facteur de risque favorisant les récidives après exérèse chirurgicale. Six moisaprès l’exérèse de la lésion tumorale, aucune récidive n’est observée chez notre patient.# 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSSolitary fibrous tumor;Malignancy;Abdominal wall;Hormonal receptors

Summary We report the first case of malignant solitary fibrous tumor of the abdominal wall ina man. Immunohistochemical staining for CD34 and bcl-2 were positive. Surprisingly, estrogenand progesterone receptors were focally positive. Expression of steroid hormone receptor insolitary fibrous tumor was rarely reported in the literature. In a few series, these receptors wereidentified as a risk factor of recurrences after surgical excision. Six months after completesurgical resection of the mass, our patient has been quite well without any evidence ofrecurrence.# 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

zée, 706, B.P. 91, 6110 Montigny-le-Tilleul, Belgique.be (A. Ouazzani).

08 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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518 A. Ouazzani et al.

Introduction

Figure 2 Macroscopiquement, la masse est pseudoenca-psulée, lobulée et jaunâtre à la tranche de section.

Les tumeurs fibreuses solitaires (TFS) ont été décrites pour lapremière fois en 1931 par Klemperer et Rabin, au niveaupleural [1]. Plus récemment, de multiples sites extrathora-ciques ont été rapportés [2—5]. Leur faible agressivité cli-nique, leur caractère ubiquitaire et la capacité de simulerune multitude de néoplasies des tissus mous rendent lediagnostic de ces tumeurs mésenchymateuses difficile.

Nous rapportons une observation clinique concernant uneTFS maligne de la paroi abdominale. Nous discutons, parailleurs, le diagnostic, l’intérêt potentiel de l’étude del’expression des récepteurs aux stéroïdes dans les TFS etleur répercussion sur la prise en charge thérapeutique en sebasant sur les données récentes de la littérature.

Observation clinique

Un patient de 66 ans, sans antécédent notable, présentedepuis quelques semaines une tuméfaction indolore auniveau du flanc droit. La palpation abdominale révèle laprésence d’une masse ferme, indolore et mobile. Le restede l’examen physique est sans particularité. L’échographieabdominale localise cette tumeur entre le muscle grandoblique antérieurement et les muscles petit oblique et trans-verse de l’abdomen postérieurement. Cette lésionhypervascularisée, hétérogène, mesure 16 � 8 cm. Unetomodensitométrie abdominale montre une densité adi-peuse centrale hypervascularisée de type sarcomateux(Fig. 1). Devant une possible lésion tumorale maligne, uneexérèse chirurgicale complète est réalisée sous anesthésiegénérale. En peropératoire, la masse est bien délimitée.L’énucléation se fait aisément après ligature de multiplesvaisseaux parcourant sa surface. Les suites opératoiresfurent simples. L’analyse anatomopathologique de la piècemontre, macroscopiquement, une masse bien délimitée,ferme, lisse et lobulée. À la tranche de section, la lésionest jaunâtre (Fig. 2). Microscopiquement, la tumeurprésente une importante hétérogénéité cellulaire ; ony observe une alternance de plages de cellules fusiformesdisposées de manière aléatoire, de zones plus fibreuses, de

Figure 1 Tomodensitométrie abdominale montrant une massepariétale au niveau du flanc droit. Au sein de cette lésion, unnodule hypervascularisé est observé.

foyers myxoïdes et de vastes nappes d’adipocytes. La vas-cularisation, très abondante, est de type hémangiopéricy-taire avec présence de vaisseaux hyalinisés. Un noduleintralésionnel est caractérisé par des atypies nucléairesmarquées et une activité mitotique allant jusqu’à dix mito-ses par dix champs à l’objectif 40 (Fig. 3).

Les cellules fusiformes expriment diffusément le CD34 etle bcl-2. L’index de prolifération KI 67 (reconnu par l’anti-corps M1B1) est élevé, avec plus de 50 cellules marquées parchamp au grossissement 400 fois au niveau du nodule présen-tant des atypies nucléaires. Au niveau des plages atypiques,100 % des cellules tumorales sont marquées à l’oncogènep53. Les récepteurs œstroprogestatifs sont intensémentexprimés au niveau des zones hypercellularisées constituéesde cellules fusiformes (Fig. 4). Le diagnostic retenu est celuid’une TFS maligne de la paroi abdominale avec composanteadipeuse. Six mois après l’intervention, aucune récidiven’est diagnostiquée.

Figure 3 Coupe microscopique dans un nodule intralésionnelmontrant de multiples atypies nucléaires et une mitose (en bas àdroit) (� 100).

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Figure 4 Positivité des récepteurs aux estrogènes (a) et à laprogestérone (b) au niveau des zones de cellules fusiformeshypercellularisées (� 100).

Tumeur fibreuse solitaire maligne de la paroi abdominale

Discussion

Les TFS extrathoraciques représentent environ 0,6 % destumeurs des tissus mous et surviennent d’une manièreégale dans les deux sexes [2]. Anciennement connuessous les noms « mesothelioma fibreux bénin, fibrome pleuralou mesothelioma fibreux solitaire », ces lésions étaientconsidérées comme étant exclusivement pleurales. Actuel-lement, d’après plusieurs études histologiques et immuno-histochimiques, il paraît clair que ces tumeurs soientmésenchymateuses non mésothéliales d’origine (myo) fibro-blastique [6,7] et soient comparables à celles retrouvées enextrathoracique [8].

Le caractère ubiquitaire et indolent des TFS rend leurdiagnostic difficile et tardif. Cliniquement, la majorité desTFS extrathoraciques sont asymptomatiques. Après une lon-gue évolution, l’apparition d’une masse douloureuse reste leprincipal signe [2,4].

Les TFS de la paroi abdominale sont extrêmement rares.Elles sont décrites en sous-cutané [4] ou entre les musclespariétaux, comme observé chez notre patient. À notreconnaissance, neuf cas ont été rapportés dans la littérature

[3,5,8,9] dont seulement deux tumeurs malignes [3,8]. Biendélimitées et hypervascularisées, ces tumeurs peuventradiologiquement mimer toute lésion mésenchymateused’origine musculaire ou adipeuse. Le diagnostic final resteanatomopathologique.

Macroscopiquement, les TFS de la paroi abdominale sontpseudoencapsulées, de consistance ferme, jaunâtres à bron-zées et lobulées sur la tranche de section [3,4,8].

Microscopiquement, ces lésions sont entourées d’une finepseudocapsule fibreuse. La cellularité varie selon les endroitset ne respecte aucun arrangement architectural (organisationaléatoire). Classiquement, de multiples vaisseaux de typehémangiopéricytaire à paroi partiellement hyalinisée sontobservés. L’hypercellularité, le pléiomorphisme cellulaireet la présence d’une activité mitotique supérieure à quatremitoses par dix champs à l’objectif 40 définissent le caractèremalin des TFS [2,8]. Chez notre patient, jusqu’à dix mitosespar dix champs étaient visualisées à l’objectif 40. Des mitosespathologiques peuvent y être visualisées comme c’était le caschez notre patient [3,4,8].

Le diagnostic des TFS de la paroi abdominale reste diffi-cile. L’immunohistochimie est de grande utilité pour préci-ser cette entité clinique. Actuellement, le CD34, le O-13(CD99) ainsi que la protéine bcl-2 paraissent être les mar-queurs les plus caractéristiques de ces lésions [4,8]. Le tauxélevé de la protéine KI-67 et le marquage des cellulestumorales pour l’oncogène p53 confirment le caractèremalin des TFS [5].

Huang et al. rapportent une prédominance féminineconcernant la distribution des TFS de la paroi abdominale(huit femmes par un homme). Chez leurs deux patientesrapportées, les récepteurs aux œstrogènes sont focalementet intensément positifs alors que les récepteurs progestatifssont négatifs [9]. Actuellement, l’expression de ces récep-teurs au niveau des TFS est très peu discutée dans la lit-térature [10—12]. Une seule série (sept patients) de TFSextrathoraciques (méningées) rapporte une positivité de100 et 50 % pour les récepteurs progestatifs et œstrogéni-ques, respectivement [10].

Sur deux plus grandes séries de TFS pleurales (18 et 32patients), la positivité de ces deux récepteurs stéroïdiensfavoriserait la croissance tumorale et serait liée à un tauxplus élevé de récidive après exérèse chirurgicale [10,11].

À notre connaissance, nous rapportons le premier cas deTFS maligne de la paroi abdominale chez un homme, présen-tant une réaction focale positive pour les récepteurs œstro-progestatifs.

Il paraît clair que l’étude de l’expression des récepteurshormonaux des TFS extrathoraciques sur de grandes sériespermettra une meilleure compréhension de leurs comporte-ments physiopathologiques. L’introduction de molécules detype tamoxifène dans la prise en charge thérapeutiquepourra réduire le taux de récidive en cas d’hormonodépen-dance. En effet, Vallat-Decouvelaere et al. rapportent untaux de récidive locale ou à distance de 80 % en cas de TFSextrathoraciques malignes, pour un suivi moyen de 24 mois[8]. Aucun décès n’est, par ailleurs, dû à l’évolution de lapathologie tumorale.

La base de la prise en charge thérapeutique restel’exérèse chirurgicale. L’intérêt d’une radio et/ou chimio-thérapie reste à étudier. Un suivi à long terme est nécessairevu le risque de récidive.

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520 A. Ouazzani et al.

Conclusion

Nous rapportons le premier cas de TFS maligne de la paroiabdominale chez un homme, présentant une positivité focaledes récepteurs œstroprogestatifs.

Actuellement, certaines études suggèrent un effet hor-monodépendant des TFS, favorisant les récidives aprèsexérèse chirurgicale.

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