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© Masson, Paris, 2006. Gastroenterol Clin Biol 2006;30:469-470 469 Tumeur stromale du ligament rond hépatique À propos d’un cas CAS CLINIQUE Mathieu POILBLANC, Sophie COQUAZ, Katy WELSCHBILLIG, Jean-Pierre ARNAUD, Antoine HAMY Service de Chirurgie Générale, Viscérale et Endocrine, CHU Angers. RÉSUMÉ Nous rapportons l’observation d’un malade de 73 ans présentant une volumineuse tumeur abdominale sus-mésocolique responsable d’une insuffisance respiratoire et d’un syndrome de compression de la veine cave inférieure. L’intervention chirurgicale permit de réali- ser une exérèse complète de la lésion. La localisation anatomique et l’analyse histologique montrèrent qu’il s’agissait d’une tumeur stro- male développée à partir du ligament rond hépatique. SUMMARY Mathieu POILBLANC, Sophie COQUAZ, Katy WELSCHBILLIG, Jean-Pierre ARNAUD, Antoine HAMY This case report relates to a 73-year old man presenting a large susmesocolic abdominal tumor whose analysis demonstrated to be a stromal tumour of the ligamentum teres hepatis. edéfinies et caractérisées en 1998 par la découverte de la mutation c-kit [1], les tumeurs stromales digestives (gastro-intestinal stromal tumor ou GIST dans la littéra- ture anglo-saxonne) font actuellement l’objet de nombreuses publications. Décrites au niveau de nombreux organes de l’appareil digestif, aucun cas publié, à notre connaissance, dans la littérature ne fait état de tumeurs stromales développées aux dépens du ligament rond du foie. Observation Un homme de 73 ans était hospitalisé en cardiologie pour une décompensation d’une cardiopathie dilatée hypertensive et une altéra- tion de l’état général. Comme antécédents, on notait une surcharge pon- dérale avec un syndrome de Pickwick non appareillé et une fibrillation auriculaire. À l’admission, l’examen clinique retrouvait, hormis les signes d’insuffisance cardiaque, une volumineuse masse douloureuse de l’hypo- chondre droit se développant jusqu’en régions épigastrique et sous- ombilicale associée à un épanchement péritonéal. Il existait une circula- tion veineuse collatérale abdominale. Le tableau clinique ne comportait aucun signe d’insuffisance hépato-cellulaire. La dysfonction cardiaque a été rapidement contrôlée. Une ponction d’ascite permit de prélever 1,2 L de liquide séro-hémorragique. Les analyses biochimiques et anatomopathologiques conclurent à un épan- chement exsudatif (45 g/L de protéines) comportant de nombreux macrophages associés à une hyperplasie mésothéliale modérée sans atypie. Aucune cellule tumorale n’était individualisée. Les bilans hépatique et de coagulation étaient normaux. Le dosage de l’α-foetoprotéine était négatif. Il n’y avait pas de bloc β-γ sur l’électro- phorèse des protéines sériques. Les sérologies virales hépatiques étaient négatives. Une échographie abdomino-pelvienne retrouvait une volumineuse tumeur occupant une partie de l’étage sus-mésocolique hétérogène avec présence de quelques remaniements nécrotiques, paraissant développée aux dépens du lobe gauche hépatique. Il n’y avait pas de dilatation échographique des voies biliaires intrahépatiques. Une ponction échoguidée était en faveur d’une tumeur d’origine mésenchymateuse avec probable différentiation musculaire. La tomodensitométrie abdominale montrait une volumineuse tumeur de la région épigastrique et de l’hypochondre droit mesurée de 25 cm sur son plus grand axe sur 18 cm. Cette tumeur hétérogène et polylobée, développée dans la région sous-phrénique droite, marquait son empreinte sur le segment IV hépatique en écartant les lobes gauche et droit du foie (figure 1). La laparotomie confirmait les données du bilan morphologique pré- opératoire retrouvant une masse totalement indépendante du mésentère située au-dessus du foie le dépassant en avant et enclavée sous la cou- pole diaphragmatique droite. L’exérèse chirurgicale fut considérée macroscopiquement comme complète (tumeur enlevée en « mono-bloc » avec une hépatectomie atypique à cheval sur les secteurs III et IV empor- tant le centre phrénique droit et la face inférieure du péricarde). L’analyse anatomo-pathologique de la pièce d’exérèse, pesant 7 kilogrammes, concluait à une tumeur stromale maligne développée aux dépens du ligament rond hépatique. L’étude immunohistochimique montrait une positivité des marqueurs CD 117 ainsi que du MIB 1 (75 % de cellules positives),et une négativité du CD 34 et de la Protéine S100. Les différentes marges de résection étaient histologiquement saines (R0). Trois mois plus tard, le malade fut de nouveau hospitalisé pour une poussée d’insuffisance cardiaque globale résistant au traitement salidiu- rétique. Une tomodensitométrie montrait un épanchement pleural asso- cié à des nodules pulmonaires bilatéraux. À l’étage abdominal, on notait la présence d’une localisation secondaire hépatique (segment IV), associée à une carcinose péritonéale et un épanchement ascitique. Après concertation oncologique multidisciplinaire, un traitement par l’imatinib était débuté mais le décès survint dans les jours suivants son admission. Discussion Les tumeurs malignes du ligament rond sont rares, et, si quel- ques cas de léiomyosarcome, de cholangiocarcinome et de tumeurs épithéliales à cellules claires ont été rapportés, il n’y a pas de cas publié à notre connaissance de tumeur stromale développée aux dépens du ligament rond hépatique. Définies depuis 1998 par la découverte de la mutation du proto-oncogène c-kit (CD 117) [1], les tumeurs stromales gas- tro-intestinales (TSGI) peuvent se développer sur l’ensemble du tractus digestif [2]. Elles représentent moins de 1 % de l’ensem- ble des tumeurs digestives : la localisation gastrique, de loin la plus fréquente, représente environ 60 % des cas, suivie par les A case report of stromal tumor in the ligamentum teres hepatis (Gastroenterol Clin Biol 2006;30:469-470) Tirés à part : A. HAMY, Service de Chirurgie Générale, Viscérale et Endocrine, 4 rue Larrey, 49 933 CHU Angers Cedex 9. E-mail : [email protected] R

Tumeur stromale du ligament rond hépatique: À propos d’un cas

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© Masson, Paris, 2006. Gastroenterol Clin Biol 2006;30:469-470

469

Tumeur stromale du ligament rond hépatiqueÀ propos d’un casCAS

CLINIQUE

Mathieu POILBLANC, Sophie COQUAZ, Katy WELSCHBILLIG, Jean-Pierre ARNAUD, Antoine HAMY

Service de Chirurgie Générale, Viscérale et Endocrine, CHU Angers.

RÉSUMÉ

Nous rapportons l’observation d’un malade de 73 ans présentantune volumineuse tumeur abdominale sus-mésocolique responsabled’une insuffisance respiratoire et d’un syndrome de compression dela veine cave inférieure. L’intervention chirurgicale permit de réali-ser une exérèse complète de la lésion. La localisation anatomique etl’analyse histologique montrèrent qu’il s’agissait d’une tumeur stro-male développée à partir du ligament rond hépatique.

SUMMARY

Mathieu POILBLANC, Sophie COQUAZ, Katy WELSCHBILLIG, Jean-Pierre ARNAUD, Antoine HAMY

This case report relates to a 73-year old man presenting a largesusmesocolic abdominal tumor whose analysis demonstrated to bea stromal tumour of the ligamentum teres hepatis.

edéfinies et caractérisées en 1998 par la découvertede la mutation c-kit [1], les tumeurs stromales digestives(gastro-intestinal stromal tumor ou GIST dans la littéra-

ture anglo-saxonne) font actuellement l’objet de nombreusespublications. Décrites au niveau de nombreux organes del’appareil digestif, aucun cas publié, à notre connaissance, dansla littérature ne fait état de tumeurs stromales développées auxdépens du ligament rond du foie.

Observation

Un homme de 73 ans était hospitalisé en cardiologie pour unedécompensation d’une cardiopathie dilatée hypertensive et une altéra-tion de l’état général. Comme antécédents, on notait une surcharge pon-dérale avec un syndrome de Pickwick non appareillé et une fibrillationauriculaire.

À l’admission, l’examen clinique retrouvait, hormis les signesd’insuffisance cardiaque, une volumineuse masse douloureuse de l’hypo-chondre droit se développant jusqu’en régions épigastrique et sous-ombilicale associée à un épanchement péritonéal. Il existait une circula-tion veineuse collatérale abdominale. Le tableau clinique ne comportaitaucun signe d’insuffisance hépato-cellulaire.

La dysfonction cardiaque a été rapidement contrôlée. Une ponctiond’ascite permit de prélever 1,2 L de liquide séro-hémorragique. Lesanalyses biochimiques et anatomopathologiques conclurent à un épan-chement exsudatif (45 g/L de protéines) comportant de nombreuxmacrophages associés à une hyperplasie mésothéliale modérée sansatypie. Aucune cellule tumorale n’était individualisée.

Les bilans hépatique et de coagulation étaient normaux. Le dosagede l’α-foetoprotéine était négatif. Il n’y avait pas de bloc β-γ sur l’électro-phorèse des protéines sériques. Les sérologies virales hépatiques étaientnégatives.

Une échographie abdomino-pelvienne retrouvait une volumineusetumeur occupant une partie de l’étage sus-mésocolique hétérogène avecprésence de quelques remaniements nécrotiques, paraissant développéeaux dépens du lobe gauche hépatique. Il n’y avait pas de dilatationéchographique des voies biliaires intrahépatiques.

Une ponction échoguidée était en faveur d’une tumeur d’originemésenchymateuse avec probable différentiation musculaire.

La tomodensitométrie abdominale montrait une volumineuse tumeurde la région épigastrique et de l’hypochondre droit mesurée de 25 cmsur son plus grand axe sur 18 cm. Cette tumeur hétérogène et polylobée,développée dans la région sous-phrénique droite, marquait sonempreinte sur le segment IV hépatique en écartant les lobes gauche etdroit du foie (figure 1).

La laparotomie confirmait les données du bilan morphologique pré-opératoire retrouvant une masse totalement indépendante du mésentèresituée au-dessus du foie le dépassant en avant et enclavée sous la cou-pole diaphragmatique droite. L’exérèse chirurgicale fut considéréemacroscopiquement comme complète (tumeur enlevée en « mono-bloc »avec une hépatectomie atypique à cheval sur les secteurs III et IV empor-tant le centre phrénique droit et la face inférieure du péricarde).

L’analyse anatomo-pathologique de la pièce d’exérèse, pesant7 kilogrammes, concluait à une tumeur stromale maligne développéeaux dépens du ligament rond hépatique. L’étude immunohistochimiquemontrait une positivité des marqueurs CD 117 ainsi que du MIB 1 (75 %de cellules positives),et une négativité du CD 34 et de la Protéine S100.Les différentes marges de résection étaient histologiquement saines (R0).

Trois mois plus tard, le malade fut de nouveau hospitalisé pour unepoussée d’insuffisance cardiaque globale résistant au traitement salidiu-rétique. Une tomodensitométrie montrait un épanchement pleural asso-cié à des nodules pulmonaires bilatéraux. À l’étage abdominal, onnotait la présence d’une localisation secondaire hépatique (segment IV),associée à une carcinose péritonéale et un épanchement ascitique.Après concertation oncologique multidisciplinaire, un traitement parl’imatinib était débuté mais le décès survint dans les jours suivants sonadmission.

Discussion

Les tumeurs malignes du ligament rond sont rares, et, si quel-ques cas de léiomyosarcome, de cholangiocarcinome et detumeurs épithéliales à cellules claires ont été rapportés, il n’y apas de cas publié à notre connaissance de tumeur stromaledéveloppée aux dépens du ligament rond hépatique.

Définies depuis 1998 par la découverte de la mutation duproto-oncogène c-kit (CD 117) [1], les tumeurs stromales gas-tro-intestinales (TSGI) peuvent se développer sur l’ensemble dutractus digestif [2]. Elles représentent moins de 1 % de l’ensem-ble des tumeurs digestives : la localisation gastrique, de loin laplus fréquente, représente environ 60 % des cas, suivie par les

A case report of stromal tumor in the ligamentum teres hepatis

(Gastroenterol Clin Biol 2006;30:469-470)

Tirés à part : A. HAMY, Service de Chirurgie Générale, Viscérale et Endocrine, 4 rue Larrey, 49 933 CHU Angers Cedex 9.E-mail : [email protected]

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M. Poilblanc et al.

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localisations de l’intestin grêle (25 %), colique et rectale(< 10 %), œsophagienne (< 5 %), mésentérique (< 5 %) etappendiculaire (1 %) [2].

Classiquement, les TSGI surviennent plutôt vers 50-60 ansavec une légère prédominance masculine [3]. Il n’existe pas designe clinique spécifique d’une tumeur stromale et le diagnosticest souvent évoqué par la présence d’un syndrome de masseabdominale pour les volumineuses tumeurs. Dans la majeurepartie des cas, l’étude morphologique d’une tumeur stromaleretrouve une masse arrondie, bien limitée mais non encapsulée,paraissant développée aux dépens de la sous-muqueuse ets’étendant en dehors du tube digestif [3].

La survie globale à 5 ans des TSGI malignes est estimée à50 % et les rechutes, principalement locales, peuvent être aussimétastatiques, comme dans notre observation, au niveau hépa-tique, péritonéale et pulmonaire [2].

Définir avec précision la bénignité ou la malignité des TSGIest difficile et repose souvent sur l’association de facteurs clini-ques et anatomo-pathologiques [3]. Selon Fletcher et al. [4]dans notre observation, la tumeur est classée « à haut risque »du point de vue potentiel évolutif malin sur la taille de la tumeur(> 5 cm) et un index mitotique élevé (> 5/50 HPF) (tableau I).

Concernant l’attitude thérapeutique adoptée dans cetteobservation, les modalités d’utilisation de l’imatinib (STI 571)dans les TSGI restent à définir par des essais cliniques. La

séquence chirurgie première puis chimiothérapie adjuvante parl’inatimib (STI 571) est donc encore à l’étude [2]. Néanmoins,privilégier la chirurgie d’emblée en cas de tumeur résécable,comme dans notre observation, semble être une attitude actuel-lement acceptable [5]. L’utilisation de l’inatimib (STI 571) entraitement adjuvant n’a pas été formellement définie même sides études montrent des résultats satisfaisants [6]. En effet, lephénotype malin de la plupart des TSGI est l’activation dérégu-lée du récepteur membranaire KIT à activité tyrosine kinase:cette mutatation du gène c-kit entraîne une activité permanentede la protéine. L’utilisation initiale dans la leucémie myéloïdechronique de l’imatinib (STI 571) inhibiteur de l’oncoprotéine defusion tyrosine kinase BCR/ABL a été proposée dans la prise encharge des TSGI reposant sur les données moléculaires acquisessur ces tumeurs et bloquant ainsi cette activation dérégulée [7].

Outre le caractère original de la localisation anatomiquetumorale, cette observation pose le problème de la prise encharge multidisciplinaire des TSGI où l’avènement de thérapieciblée sur l’anomalie moléculaire causale représente une avan-cée importante [8].

RÉFÉRENCES

1. Hirota S, Isozaki K, Moriyama Y, Hashimoto K, Nishida T, Ishiguro S,et al. Gain-of-function mutations of c-kit in human gastrointestinalstromal tumors. Science 1998;279:577-80.

2. Ray-Coquard I, Le Cesne A, Michallet V, Boukovinas I, Ranchere D,Thiesse P, et al. Tumeurs stromales du tractus digestif : actualités2003. Bull Cancer 2003;90:69-76.

3. Balaton AJ, Coindre JM, Cvitkovic F. Tumeurs stromales digestives,mise au point. Gastroenterol Clin Biol 2001;25:473-82.

4. Fletcher CD, Berman JJ, Corless C, Gorstein F, Lasota J, Longley BJ,et al. Diagnosis of gastrointestinal stromal tumors: A consensus ap-proach. Hum Pathol 2002;33:459-65.

5. Cormier JN, Patel SR, Pisters PW. Gastrointestinal stromal tumors:rationale for surgical adjuvant trials with imatinib. Curr Oncol Rep2002;4:504-9.

6. Bumming P, Andersson J, Meis-Kindblom JM, Klingenstierna H,Engstrom K, Stierner U, et al. Neoadjuvant, adjuvant and palliativetreatment of gastrointestinal stromal tumours (GIST) with imatinib: acentre-based study of 17 patients. Br J Cancer 2003;89:460-4.

7. Eisenberg BL.Imatinib mesylate: a molecularly targeted therapy forgastrointestinal stromal tumors. Oncology (Williston Park) 2003;17:1615-20.

8. Kitamura Y, Hirota S, Nishida T. Gastrointestinal stromal tumors(GIST): a model for molecule-based diagnosis and treatment of solidtumors. Cancer Sci 2003;94:315-20.

Fig. 1 – Scanner abdominal montrant la volumineuse tumeur hétérogène au temps artériel marquant son empreinte sur le foie.Abdominal CT-scan showing the bulky heterogeneous tumor at arterial time effecting the liver.

a b

Tableau I. – Classification de critères de malignité et du risque évolutif desTSGI [4].Approach for defining the risk of aggressive malignancy inGISTs [4].

Taille Index mitotique

Très faible risque < 2 cm < 5/50 HPF

Faible risque 2-5 cm < 5/50 HPF

Risque intermédiaire < 5 cm 6-10/50 HPF

5-10 cm < 5/50 HPF

Risque élevé > 5 cm > 5 / 50 HPF

> 10 cm any mitotic rate

toute taille > 10 / 50 HPF

HPF : high-power field.