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ARTICLE ORIGINAL Tumeurs cutanées évoluées (dépassées ?) de l’extrémité céphalique : réflexions chirurgicales Advanced skin tumors (incurables?) of the cephalic extremity: Surgical considerations F. Lauwers a,b , B. Chaput b, * ,c,d , F. Jalbert a , I. Garrido c,d , R. Lopez a,b a Service de chirurgie maxillofaciale et plastie de la face, CHU de Toulouse Purpan, place Baylac, 31059 Toulouse, France b Laboratoire d’anatomie, faculte ´ de me ´ decine de Toulouse Purpan, 133, route de Narbonne, 31062 Toulouse cedex, France c Service de chirurgie plastique, reconstructrice et des bru ˆle ´s, CHU de Toulouse Rangueil, avenue Jean-Poulhe `s, 31059 Toulouse, France d Service de chirurgie oncologique et plastique, institut Claudius-Regaud, 20-25, rue du Pont-Saint-Pierre, 31052 Toulouse cedex, France Rec¸u le 11 mars 2012 ; accepte´ le 18 mai 2012 MOTS CLÉS Tumeurs cutanées ; Extrémité céphalique ; Pluridisciplinarité ; Incurabilité Résumé Proposer une réflexion chirurgicale devant une évolutivité clinique requérant la pluridisciplinarité est forcément difficile. Néanmoins, au travers d’exemples cliniques ciblés, nous avons essayé de hiérarchiser notre démarche clinique et intellectuelle devant des tumeurs évoluées de l’extrémité céphalique. Dans ces cas, les décisions ne peuvent être que collégiales et le respect du patient et de ses choix restent essentiels. En définitive, nous aborderons cette problématique en discutant successivement du type histologique, de la question éthique au regard de la clinique, de l’opérabilité et des possibilités de reconstruction. # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Skin tumors; Cephalic extremity; Multidisciplinary; Incurability Summary Suggest a surgical thinking for a multidisciplinary problem is inevitably difficult. Nevertheless, through targeted clinical examples, we tried to prioritize our clinical and intellectual approach for advanced tumors of the cephalic extremity. In these cases, decisions can only be collegial, and respect for the patient and his choices remain essential. Ultimately, we would argue this problematic, discussing successively the histological type, ethical concern with regard to clinic, operability and reconstruction opportunities. # 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Annales de chirurgie plastique esthétique (2012) 57, 533541 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B. Chaput). Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com 0294-1260/$ see front matter # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2012.05.003

Tumeurs cutanées évoluées (dépassées ?) de l’extrémité céphalique : réflexions chirurgicales

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ARTICLE ORIGINAL

Tumeurs cutanées évoluées (dépassées ?) del’extrémité céphalique : réflexions chirurgicalesAdvanced skin tumors (incurables?) of the cephalic extremity:Surgical considerations

F. Lauwers a,b, B. Chaput b,*,c,d, F. Jalbert a, I. Garrido c,d, R. Lopez a,b

a Service de chirurgie maxillofaciale et plastie de la face, CHU de Toulouse Purpan, place Baylac, 31059 Toulouse, Franceb Laboratoire d’anatomie, faculte de medecine de Toulouse Purpan, 133, route de Narbonne, 31062 Toulouse cedex, Francec Service de chirurgie plastique, reconstructrice et des brules, CHU de Toulouse Rangueil, avenue Jean-Poulhes,31059 Toulouse, Franced Service de chirurgie oncologique et plastique, institut Claudius-Regaud, 20-25, rue du Pont-Saint-Pierre,31052 Toulouse cedex, France

Recu le 11 mars 2012 ; accepte le 18 mai 2012

MOTS CLÉSTumeurs cutanées ;Extrémité céphalique ;Pluridisciplinarité ;Incurabilité

Résumé Proposer une réflexion chirurgicale devant une évolutivité clinique requérant lapluridisciplinarité est forcément difficile. Néanmoins, au travers d’exemples cliniques ciblés,nous avons essayé de hiérarchiser notre démarche clinique et intellectuelle devant des tumeursévoluées de l’extrémité céphalique. Dans ces cas, les décisions ne peuvent être que collégialeset le respect du patient et de ses choix restent essentiels. En définitive, nous aborderons cetteproblématique en discutant successivement du type histologique, de la question éthique auregard de la clinique, de l’opérabilité et des possibilités de reconstruction.# 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSSkin tumors;Cephalic extremity;Multidisciplinary;Incurability

Summary Suggest a surgical thinking for a multidisciplinary problem is inevitably difficult.Nevertheless, through targeted clinical examples, we tried to prioritize our clinical andintellectual approach for advanced tumors of the cephalic extremity. In these cases, decisionscan only be collegial, and respect for the patient and his choices remain essential. Ultimately, wewould argue this problematic, discussing successively the histological type, ethical concern withregard to clinic, operability and reconstruction opportunities.# 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Annales de chirurgie plastique esthétique (2012) 57, 533—541

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (B. Chaput).

0294-1260/$ — see front matter # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droihttp://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2012.05.003

ts réservés.

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Introduction

La complexité anatomique de l’extrémité céphalique est unpropre défi technique en matière de chirurgie carcinolo-gique. Il est, en effet, difficile d’évaluer clairement l’exten-sion lésionnelle, souvent délicat de réaliser des exérèsesmonoblocs et, enfin, illusoire d’envisager une reconstructionà l’identique. Actuellement, dans un contexte carcinolo-gique, la greffe homologue ne trouve pas d’indication.Enfin, il faut tenir compte des impératifs de surveillanceet des traitements adjuvants, qu’il s’agisse de radiothérapieou de chimiothérapie.

En matière de tumeur cutanée, qu’il s’agisse d’ailleursd’une lésion bénigne ou d’une lésion maligne, il n’y a pas dedéfinition consensuelle de ce que peut être une lésion éten-due.

Pour les tumeurs malignes primitives de la peau ou de sesannexes, les classifications TNM, qui gardent un certaindegré de spécificité en fonction du type histologique etparfois de la localisation, classent T4 toute lésion qui infiltreles plans sous-cutanés, indépendamment de la taille et, parailleurs, ne tiennent souvent pas compte de multiples cri-tères pronostiques identifiés dans la littérature [1].

Dès lors, c’est l’expertise clinique du médecin ou duchirurgien qui voit le patient pour la première fois ou quile suit dans un contexte pathologique connu et qui va déter-miner par sa propre compétence ou sensibilité, le caractèreétendu de la lésion. Ainsi, peut-on imaginer qu’une lésionétendue soit une lésion qui dépasse une unité fonctionnelleou la capacité fonctionnelle de l’organe, une ou plusieursunités esthétiques, les compétences d’un seul spécialiste ?Parfois, il peut s’agir d’une lésion qui dépasse tout simple-ment l’entendement, sans que l’on puisse comprendre réel-lement la part du déni ou du laisser-aller, la part del’agressivité tumorale et la part d’un traitement incorrec-tement conduit.

Chaque situation clinique est unique, il n’existe aucuneligne guide (guideline) spécifique [2]. C’est pourquoi, la priseen charge doit être décidée dans le cadre d’une concertationpluridisciplinaire. Il nous semble, néanmoins, que cettediscussion reste éminemment chirurgicale et donc, qu’ausein de cette discussion l’avis du chirurgien prime.

Le type histologique

Le terme de tumeur évoluée sous-entend simplement que laface sociale ou la face communicante du malade estdéformée par un processus lésionnel, en l’occurrence decaractère malin. L’extrémité céphalique peut être atteintepar tous types de lésions, primitives ou secondaires, épithé-liales ou non épithéliales.

Il existe des situations quasiment spécifiques de l’extré-mité céphalique qui associent ce caractère invasif à la pro-blématique de défiguration. Le xeroderma pigmentosum enest l’exemple le plus dur [3]; le mélanome de Dubreuilh met,quant à lui, en balance le risque évolutif et une exérèse dontles séquelles ne sont pas toujours négligeables ; la maladiede Bowen, moins spécifique, peut également être citée.

À l’inverse, il existe des tumeurs qui affectent plusrarement la région céphalique. C’est le cas du dermatofi-brosarcome de Darier-Ferrand. Les sarcomes en général ont

habituellement une expression clinique en amont d’uneéventuelle atteinte des plans superficiels. Les métastasessecondaires des cancers viscéraux sont également rarementlocalisées aux plans superficiels de l’extrémité céphalique.

Bien sûr, les tumeurs épithéliales sont les plusfréquentes : il s’agit des carcinomes basocellulaires et descarcinomes spinocellulaires, l’association des deux typeslésionnels au sein d’un carcinome basosquameux n’est pasexclue. Les carcinomes basosquameux restent une entitéhistologique mal étudiée qui semble pourtant présenter unrisque évolutif métastatique plus spécifique [4]. Le conceptde « tumeur effroyable » en matière de carcinome basocel-lulaire est, néanmoins, une entité bien identifiée dans lalittérature [5]. La notion de retard de prise en charge ou deprise en charge inadaptée semble prévaloir sur celle d’unprofil histologique évolutif particulier [6].

Chacun de ces types histologiques a un profil évolutif etthérapeutique qui lui est propre. Les principaux éléments dela prise en charge ont d’ailleurs fait l’objet de la publicationde recommandations de pratiques cliniques pour leurs prisesen charge diagnostiques et thérapeutiques [7,8].

De la clinique à l’éthique

Le bilan carcinologique doit obligatoirement s’enquérir de lasituation locale, régionale et générale du patient. Dans cetype de lésions, les antécédents chirurgicaux sont assezfréquents et ne doivent pas modifier l’attitude clinique duchirurgien. Il est important de prendre en compte l’éven-tualité d’un envahissement ganglionnaire, notamment pourles lésions épidermoïdes et les mélanomes. La recherche demétastases à ce stade de l’évolution est, bien entendu, unprérequis indispensable. Quoi qu’il en soit, la mise enévidence d’une atteinte secondaire ne doit pas être unélément nécessairement bloquant concernant le contrôlelocal de la maladie.

Dans ce type de lésions, lorsque le patient se présente,l’amputation fonctionnelle est le plus souvent déjà acquisepour les lésions périorificielles et les éléments qui sontsouvent en avant sont, soit une situation psychologiqueparticulière, qui exprime souvent le déni de la maladie, soitles conséquences sociales de la défiguration. La douleur doitêtre également évaluée précisément.

La demande qui émane soit du patient, soit du thérapeutequi le suit dans le cadre de sa pathologie, tient pour l’essentielà la qualité de vie, voire à la qualité de fin de vie. Dès lors lachirurgie s’intègre à part entière dans une prise en chargepalliative, c’est en ce sens que l’expertise chirurgicale doit,dans un premier temps, faire raisonnablement abstractionselon nous, du pronostic de la maladie et du stade. Certainessituations récemment médiatisées ont réouvert le débat del’euthanasie dans ce cadre nosologique. Il est donc nécessaired’entendre cette demande et d’y répondre par une expertisecomplète de la situation locale qui permet, si cela est possible,d’exposer clairement le projet thérapeutique et sesconséquences fonctionnelles et morphologiques au patient.

L’opérabilité

En effet, il est généralement impossible de poser uneindication sur de simples arguments cliniques. Le bilan

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Figure 1 Patiente de 37 ans présentant un carcinome basocellulaire, avec ostéolyse massive de la scapula et de la clavicule. Il existedes métastases osseuses au niveau de la colonne cervicothoracique.

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complémentaire est donc extensif et décisionnel. L’imageriemorphologique sous toutes ses formes permet d’appréhen-der la réalité chirurgicale. L’examen tomodensitométriqueavec injection de produit de contraste explore de manièrepertinente l’extension osseuse, il appréhende clairement levolume tumoral et l’atteinte ganglionnaire. L’imagerie parrésonance magnétique est souvent indispensable pour préci-ser les données de la tomodensitométrie, notamment pourles lésions crâniofaciales. Ces deux modalités permettent,en outre, un bilan vasculaire complet et permettent d’appré-cier les rapports de la lésion avec les principaux axesartériels et veineux cervicofaciaux et intracrâniens. Le biland’extension à distance laisse une place importante à l’ima-gerie métabolique et fonctionnelle.

Les indications de scintigraphie osseuse et de tomoden-sitométrie par émission de positons doivent être proposéesen fonction des recommandations existantes pour chaquetype histologique.

La concertation pluridisciplinaire est fondamentalepuisque la décision chirurgicale peut n’avoir qu’un caractèrepalliatif dont l’objectif peut être simplement de restaurerune vie de relations. Dans ce cadre, la capacité du chirurgienà assurer le contrôle local de la maladie est probablement lepoint clé de la décision thérapeutique.

Dans ce type de concertations, il nous semble que ladiscussion doit aller au-delà du dossier médical et que lepatient ait pu être examiné par au moins deux médecinsprésents autour de la table.

Notons enfin que, dans ce type de lésions, une concerta-tion chirurgicale est également souvent pluridisciplinairepuisque ce type d’exérèse peut faire appel à différentsspécialistes, neurochirurgiens, otologistes, chirurgiens vas-culaires et bien sûr chirurgiens maxillofaciaux et plasticiens.L’avis de plusieurs spécialistes en chirurgie carcinologique etréparatrice est également souhaitable dans ce type de prisede décision où toutes les expériences sont utiles.

Si une option chirurgicale apparaît, elle doit être claire-ment scénarisée avant d’être proposée au patient.

Les malades que nous ne pouvons pas opérer

La contre-indication ou l’abstention chirurgicale (plutôtque la contre-indication vraie) doit donc être autant docu-mentée que l’indication chirurgicale. Les principales

contre-indications retenues sont, tout d’abord, le faitd’une maladie proprement inextirpable souvent associéeà un contexte polymétastatique.

Pour illustrer cette situation, nous proposons le casd’une patiente de 37 ans, qui consulte pour une ulcérationextrêmement étendue de la région scapulaire et latéro-cervicale gauche (Fig. 1). Le diagnostic histologique est enfaveur d’un carcinome basocellulaire, le bilan d’extensionfait état d’une ostéolyse massive de la scapula et de laclavicule, il existe des métastases osseuses au niveau de lacolonne cervicothoracique et une lésion secondaireintraorbitaire associée à une extension méningée. Aucunealternative chirurgicale ne ressort bien sûr de cette exper-tise clinique et para-clinique. La patiente est traitée pardeux lignes de chimiothérapie et décède dans un contexted’altération de l’état général huit mois après la primo-consultation.

D’autres situations particulières sont à prendre encompte et influent sur la décision chirurgicale. Il s’agitnotamment des patients polypathologiques qui intègrentun certain degré d’immuno-incompétence.

Nous pouvons illustrer cette situation par un autreexemple : un patient de 65 ans est vu au décours de sonhospitalisation dans le service d’hématologie pour une vasteulcération occupant la totalité de la région nucale (Fig. 2). Lediagnostic histologique est en faveur d’un carcinome baso-cellulaire. Le patient est hospitalisé pour une leucémielymphoïde chronique qui évolue vers un syndrome de Rich-ter. La transformation de sa leucémie en un lymphome dehaut grade est priorisée compte-tenu de sa responsabilitéindirecte sur l’évolution de la lésion cutanée. Une optionradiothérapique est prise pour contrôler la lésion cutanée.Le patient développe des métastases osseuses à partir de soncarcinome basocellulaire et décède quatre mois après sonhospitalisation.

Certaines localisations générant une amputation fonc-tionnelle incompatible avec une vie de relations sont égale-ment du domaine de la contre-indication. C’est le problèmeposé par les lésions centrofaciales dont le contrôle localnécessite théoriquement une exentération bilatérale(Fig. 3). Enfin, se pose le problème des patients très âgés[9], présentant à des degrés variables une défaillance poly-viscérale pour lesquels une chirurgie intégrant un risque vitaln’est pas responsable ou soulève parfois simplement leproblème éthique.

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Figure 2 Patient de 65 ans présentant un carcinome basocellulaire occupant la totalité de la région nucale. Le TDM cervicofacial encoupe axiale montre l’envahissement en profondeur de la tumeur. La présence de ganglion est expliquée par sa leucémie lymphoïdechronique.

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C’est dans ces situations dépassées que des alternativesthérapeutiques palliatives comme la radiothérapie externetrouvent tout leur intérêt.

Le problème des marges

Parce que le risque vital est exclu et que l’amputationfonctionnelle est acquise par le degré d’extension tumorale,le respect d’une marge de sécurité ne pose généralementque peu de problèmes (Fig. 4). En ce sens, certaines limitesadmises jusqu’à récemment ont été largement repoussées etil est possible d’envisager des résections crâniofacialescomplexes, voire crâniocérébrales pour des lésions affectantnotamment la partie antérieure du lobe frontal [10]. Ilsemble parfois plus simple de passer en marges saines surdes tumeurs étendues que sur des lésions de petites taillesjuxta-orificielles. C’est la difficulté de prise en charge de ceslésions qui est probablement à l’origine d’un risque de

Figure 3 Métastase centrofaciale d’un adénocarcinome à cell

récidive accru. En effet, en matière de carcinomes cutanés,le pronostic est étroitement lié à la qualité de la résection enl’absence de lésions secondaires.

Cela laisserait à penser que les carcinomes cutanés éten-dus, sans atteinte ganglionnaire ou métastatique, pourraientdans un statut R0 être de bon, voire d’excellent pronostic etdonc nécessiter d’aller plus loin dans la réflexion chirurgicale.À notre connaissance, il n’existe aucune statistique cohérenteprenant en compte l’étendue lésionnelle au sens où elle estprésentée dans cet article et le pronostic à long terme.

Cela est également lié à la difficulté d’un examen exhaus-tif et pertinent des marges d’exérèse dans la mesure où,notamment pour les exérèses crâniofaciales ou intéressantla région orbitaire, l’exérèse est rarement menée demanière monobloc. Cette situation ne permet pas à l’ana-tomopathologiste d’avoir une réponse tranchée sur laréalité des marges et laisse la part entière à la responsabilitédu chirurgien et à la qualité de l’exérèse d’un point de vue

ules claires du rein nécessitant une exentération bilatérale.

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Figure 4 Exentération droite dans le cadre d’un carcinome basocellulaire infiltrant.

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macroscopique. C’est là probablement qu’intervientl’importance de l’évaluation préopératoire à partir del’imagerie morphologique voire métabolique.

L’utilisation éventuelle d’un système de navigationchirurgicale pourrait avoir un intérêt (neuronavigation).Là-encore, si cet intérêt apparaît évident intuitivement, iln’y a pas à ce jour d’élément dans la littérature inter-nationale qui en fasse état avec un niveau de preuvesuffisant.

Il est néanmoins nécessaire de tenir compte des situationsoù la lésion met en défaut l’expérience du chirurgien quelle

Figure 5 Évolution d’un carcinome basocellulaire sclérodermiformcouverture à l’aide d’un lambeau de grand dorsal libre prélevé en

qu’elle soit et les méthodes d’imagerie macroscopique lesplus abouties.

C’est le cas notamment du carcinome basocellulairesclérodermiforme en matière de tumeurs épithéliales(Fig. 5) et c’est également le cas du mélanome et du derma-tofibrosarcome où c’est l’augmentation des marges de sécu-rité qui permet d’augmenter significativement la probabilitéd’une exérèse complète et d’un contrôle local de la maladie.Dans le cas du carcinome basocellulaire sclérodermiforme, ilpeut être légitime de réaliser une cartographie microscopiquepréopératoire afin d’assurer ce contrôle local.

e à l’origine d’une exentération droite. Nous avons réalisé unecontrolatéral.

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Le problème de la reconstruction

Il est évident que le problème de la reconstruction estlargement documenté dans la littérature française didac-tique [11] et la littérature internationale [12—14] et que lesmoyens de cette reconstruction sont bien évidemment fonc-tion de la localisation. Le débat réside bien entendu autourde la définition d’une tumeur étendue et si celle-ci doitprendre en compte les moyens de reconstruction, un casplus particulier étant posé par les exérèses à cheval surplusieurs unités anatomiques. Il est souvent nécessaired’adapter cette exérèse à l’unité esthétique (Fig. 6), voireà sa sous-unité. Cela nécessite parfois d’agrandir la perte desubstance et par ailleurs, il peut être nécessaire de multi-plier le nombre de procédés de reconstruction pour satisfaireà ce principe de reconstruction en unité esthétique.

Nous n’aborderons pas ici les principes de reconstruc-tion propres à chaque localisation. En revanche, il estévident que le terme de tumeur étendue de l’extrémitécéphalique s’associe facilement à des procédés de recon-struction utilisant soit les lambeaux libres, soit les épithè-ses faciales, voire enfin la conjonction des deuxtechniques. La maîtrise des transferts libres est l’un deséléments qui a probablement permis d’aller plus loin dansla prise en charge des tumeurs étendues de l’extrémitécéphalique [15]. Ces procédés sont non seulement plusadaptés à des exérèses larges, mais recommandés pour lesexérèses crâniofaciales qui peuvent comporter une ouver-ture dure-mérienne avec un risque de fuite de liquidecérébrospinal, des ouvertures sinusiennes réputées à l’ori-gine de complications septiques et enfin sont un moyenefficace de revascularisation locale sur les terrains irradiéset multiopérés. Les résections crâniofaciales ne sont paspour autant dénuées de complication et conservent unemortalité et une morbidité non négligeables [16,17]. Ilsemblerait que l’atteinte dure-mérienne et le type dereconstruction utilisé pour la réparation de l’étageantérieur de la base du crâne soient notamment les fac-teurs principaux à l’origine de cette mortalité et morbiditépériopératoires. Dans cette approche de la reconstructioncrâniofaciale par lambeau libre microanastomosé, il n’y apas de discussion sur la possibilité d’une reconstructiondifférée. Le temps de reconstruction est systématique-ment contemporain du temps d’exérèse. Cela nécessitedonc d’être particulièrement large sur les margesd’exérèse, dans la mesure où les procédés régulièrement

Figure 6 Carcinome épidermoïde de la lèvre inférieure. Nous avanatomique complète). La reconstruction s’est faite à l’aide d’untendon long palmaire. Notez sur la photo centrale, la phase de stasdistance, nous avons tatoué le vermillon (photo de droite).

choisis sont peu restrictifs quant au volume et à la surfacedisponible.

Les lambeaux de prédilection de cette reconstructionsont entre nos mains, soit le lambeau de serratus antérieurmusculaire, greffé dans un second temps. Ce type de lam-beau est adapté au comblement de perte de substance detaille modérée impliquant notamment la région orbitaire.Dès que le volume ou la surface dépasse les capacités de celambeau, nous optons pour le lambeau de grand dorsal libremicro-anastomosé, voire le lambeau de grand épiploon(Fig. 7). Ces deux lambeaux sont généralement grefféségalement dans un second temps.

Concernant l’utilisation du lambeau de grand dorsal dansles reconstructions crâniofaciales larges, nous utilisonsgénéralement le grand dorsal controlatéral à la lésionlorsque celle-ci est en position latérale pour pouvoir éven-tuellement bénéficier de ce même transfert pédiculé homo-latéral en cas d’échec. Cette situation d’échec doit toujoursêtre envisagée dans le planning thérapeutique et notammentdans les résections crâniofaciales où la couverture dure-mérienne est un impératif qui ne souffre habituellementd’aucun délai. Il est également important de noter que,parmi les moyens locaux permettant de couvrir ce type depertes de substance avec une grande sécurité, le lambeaufrontal à pédicule occipital est une option particulièrementintéressante (Fig. 8) [18].

En revanche, la reconstruction osseuse n’est que rare-ment associée à la reconstruction primaire. Cela est un pointde vue qui est défendu par différents éléments : les volumesosseux nécessaires ne sont pas toujours accessibles à destransferts osseux microanastomosés et sont le fait de greffeslibres non vascularisées, par ailleurs cette reconstruction estgénéralement complexe et rallonge significativement lestemps opératoires. Enfin, les nécessités de surveillance enl’absence d’analyse performante des marges d’exérèsedoivent laisser à notre sens une fenêtre d’observationsuffisamment longue. L’indication d’une radiothérapiepostopératoire peut également grever le résultat de ce typede reconstruction.

Nous abordons donc la reconstruction des exérèsescrâniofaciales larges en termes de couverture des structuresnobles et non pas en termes de restitution de la morphologie.La reconstruction de la paroi crânienne peut, cependant,être envisagée de manière secondaire, elle est actuellementlargement bénéficiaire des progrès réalisés en matière deprothèse sur mesure (Fig. 9).

ons dû réaliser une exérèse totale de la lèvre inférieure (unité lambeau libre antébrachial radial composite suspendu sur sone lymphatique qui rentre dans l’ordre en quelques semaines. À

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Figure 7 Craniectomie élargie avec exentération bilatérale dans le cadre d’un carcinome syringomateux évoluant depuis 50 ans.Couverture par un lambeau libre d’épiploon, greffé secondairement.

Figure 8 Réalisation d’un lambeau frontal à pédicule occipital chez un patient présentant un carcinome basocellulaire del’hémiface droite envahissant l’orbite.

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Figure 9 Reconstruction pariéto-occipitale suite à l’exérèse d’un carcinome basocellulaire. Prise en charge en deux temps.Initialement nous avons réalisé un lambeau de grand dorsal libre, puis à distance une prothèse sur mesure en Peek a permis dereconstruire le défect osseux.

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Conclusion

Les tumeurs étendues de la face appartiennent à un cadrenosologique tout à fait particulier. Chaque cas doit êtreexaminé de manière exhaustive sans parti pris. Les solutionsthérapeutiques découlent habituellement d’une analyseanatomique pertinente et d’une dynamique pluridiscipli-naire et multispécialisée. Quoi qu’il en soit, on ne peutpas être uniquement technicien dans l’approche de cesmalades et l’essentiel de la prise en charge s’attache àdes règles déontologiques simples dans lesquelles il estencore nécessaire de se méfier de trop d’espoir et d’empa-thie.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

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