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Cas clinique
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��������Ulceration neurotrophique apresthermocoagulation du ganglion de Gasser
Neurotrophic ulceration following thermocoagulation of theGasserian ganglion
M. Lamoureuxa, P. Bonnota,*, A.-R. Schmidt-Guerreb, P. Humbertb, M.-P. Algrosc,C. Meyera
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Recu le :15 avril 2010Accepte le :8 janvier 2011Disponible en ligne28 septembre 2011
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a Service de chirurgie maxillo-faciale et de stomatologie, hopital Jean-Minjoz, centrehospitalier universitaire, boulevard Fleming, 25030 Besancon cedex, Franceb Service de dermatologie, hopital Saint-Jacques, centre hospitalier universitaire, 2, placeSaint-Jacques, 25030 Besancon cedex, Francec Service d’anatomopathologie, hopital Jean-Minjoz, centre hospitalier universitaire,boulevard Fleming, 25030 Besancon cedex, France
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
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SummaryIntroduction. Neurotrophic ulceration (NTU) in the trigeminal
nerve sensitive area is rare. It may be caused by a lesion anywhere
on the trigeminal nerve’s trajectory. The diagnosis is usually clinical,
but other diagnoses, particularly neoplastic, must be ruled out first.
The physiopathology and treatment of NTU remain controversial. We
report a severe case of NTU and describe the main features of this
poorly documented disease.
Observation. A 67-year-old female patient consulted in the der-
matology department for a progressive ulceration of the nose ala and
the right upper lip, having developed over the two previous years. She
had undergone two thermocoagulations of the right Gasserian gan-
glion for facial neuralgia 3 years before. The diagnosis of NTU,
initially ruled out because of biopsies suggesting verrucous carci-
noma, was finally retained because of the clinical presentation and
anamnesis. Treatment consisted in surgical excision and primary
reconstruction using a forehead flap. The diagnosis was confirmed
after histopathological examination of the surgical specimen. A
recurrence was noted 2 years postoperatively, then the patient
was lost to follow-up.
Discussion. The physiopathology of NTUs is badly documented.
The cutaneous ulcerations look like facial neoplasms but the
clinical findings (unilateral and paranasal location ; lesion of
the trigeminal nerve ; local trauma ; psychological instability)
suggest neurotrophic ulceration. The histopathological examina-
tion, sometimes difficult, reveals non-specific chronic inflamma-
tory ulceration. There is no consensus on treatment. The
ResumeIntroduction. L’ulceration neurotrophique (UNT) dans le territoire
cutane du nerf trijumeau est rare. Elle est provoquee par une lesion
de ce nerf a un niveau quelconque de son trajet. Le diagnostic est
essentiellement clinique, mais necessite d’eliminer d’autres diag-
nostics, notamment neoplasiques. La physiopathologie et le traite-
ment restent controverses. Nous rapportons un cas d’UNT severe et
rappelons les caracteristiques de cette pathologie mal connue.
Observation. Une femme de 67 ans s’est presentee au service de
dermatologie pour une ulceration progressive de l’aile nasale et de
l’hemi-levre superieure droite evoluant depuis deux ans. Son gan-
glion de Gasser droit avait ete thermocoagule a deux reprises pour
une nevralgie faciale trois ans auparavant. Le diagnostic d’UNT,
initialement recuse en raison de biopsies evocatrices d’un carcinome
verruqueux, a finalement ete fortement suspecte devant l’aspect
clinique et l’anamnese. Le traitement a associe une exerese chirur-
gicale et une reconstruction primaire par un lambeau frontal. Le
diagnostic a ete confirme par l’examen histologique definitif de la
piece operatoire. La lesion a recidive deux ans apres la chirurgie,
puis la patiente a ete perdue de vue.
Discussion. La physiopathologie de l’UNT est mal connue. Clini-
quement, les lesions cutanees ressemblent aux atteintes neoplasi-
ques de la face, mais le contexte clinique (localisation perinasale
unilaterale, notion de lesion du nerf trijumeau ou de traumatisme
local, terrain psychologique fragilise) est generalement evocateur.
L’examen anatomopathologique, parfois difficile, revele une ulcera-
tion chronique d’allure inflammatoire non specifique. Il n’existe
* Auteur correspondant.e-mail : [email protected] (P. Bonnot).
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0035-1768/$ - see front matter � 2011 Publie par Elsevier Masson SAS.10.1016/j.stomax.2011.01.012 Rev Stomatol Chir Maxillofac 2011;112:372-378
Ulceration neurotrophique apres thermocoagulation du ganglion de Gasser
psychological profile may be a risk factor for recurrences and must
be taken into account.
� 2011 Published by Elsevier Masson SAS.
Keywords: Iatrogenic disease, Trigeminal ganglion, Facial neuralgia,Trigeminal nerve, Trigeminal nerve disease
aucun consensus sur le traitement. Le terrain psychologique est
souvent a l’origine des recidives et doit etre pris en compte.
� 2011 Publie par Elsevier Masson SAS.
Mots cles : Maladie iatrogenique, Ganglion trigemine, Nevralgiefaciale, Nerf trigemine, Neuropathie trigeminale
Introduction
L’ulceration neurotrophique (UNT) dans le territoire cutane dunerf trijumeau, decrite par Wallenberg en 1901 [1], est uneaffection rare. Une centaine de cas ont ete rapportes [2]. Elleest provoquee par l’atteinte de l’une des portions de lacinquieme paire cranienne. Elle se manifeste par une ulcera-tion cutanee lentement progressive dans le territoire cutane
Figure 1. Perte de substance de l’aile narinaire droite apres deux ans d’evolut
du nerf lese. Elle peut aboutir a des mutilations severes. Lediagnostic est essentiellement clinique, reposant sur l’anam-nese (antecedent de lesion du nerf trijumeau, notion detraumatisme cutane initial souvent minime, terrain psycho-logique fragile) et sur les caracteristiques de l’ulceration(aspect pseudo-carcinomateux, strictement limitee au terri-toire sensitif cutane du nerf, evolution sur une zone hypoes-thesique). L’analyse anatomopathologique est indispensablepour eliminer une affection neoplasique, infectieuse ou vas-
ion progressive et indolore (a, b).
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Figure 2. IRM cerebrale montrant une atrophie sequellaire de thermocoagulation du nerf trijumeau droit (a, b).
Figure 3. Coupe histologique des premieres biopsies montrant uneulceration chronique avec une proliferation epidermique et une intensereaction inflammatoire (infiltrat plasmocytaire) intradermique.
culaire. L’etiopathogenie exacte et le traitement sont discu-tes, le risque principal etant la recidive. Nous rapportons uncas d’UNT severe pour en rappeler les caracteristiques.
Observation
Mme V., 67 ans, a consulte en dermatologie pour une pertede substance de l’aile nasale droite evoluant depuis deux ans(fig. 1). Ses antecedents comprenaient une cecite droite liee aun decollement de retine, une surdite, un eczema generaliseet une nevralgie faciale droite traitee par thermocoagulationdu ganglion de Gasser droit a deux reprises trois ans avantl’apparition de l’ulceration. Cette patiente non fumeuse nesuivait aucun traitement, elle etait psychologiquementfragile et instable. Une petite lesion de grattage du nezetait a l’origine de l’ulceration. L’anesthesie etait completesur le territoire sensitif du nerf trijumeau droit. L’examenophtalmologique retrouvait une taie corneenne a droite. Il n’yavait pas d’adenopathie locoregionale. A l’IRM, une dilatationbilaterale de la citerne des ganglions de Gasser etait associeea une atrophie tres nette du nerf trijumeau droit (fig. 2). Lespremieres biopsies de l’ulceration diagnostiquaient une ulce-ration chronique avec une reaction inflammatoire intense nonspecifique (fig. 3).Sur ces arguments, le diagnostic d’UNT associee a une keratiteneurotrophique a ete retenu. La patiente, adressee dans leservice de chirurgie maxillo-faciale, niait le caractere invali-dant des lesions et a refuse toute prise en charge. Elle n’a eterevue qu’un an plus tard a cause de l’aggravation progressivedes lesions (fig. 4). L’ulceration amputait l’hemi-nez et unepartie de la levre superieure droite.
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De nouvelles biopsies evoquaient une hyperplasie pseudo-epitheliomateuse reactionnelle, sans pour autant ecarter for-mellement des foyers de carcinome epidermoıde verruqueux(fig. 5)., L’exerese de la lesion a ete carcinologique (marges a5 mm) compte tenu de cette incertitude (fig. 6). Les berges
Ulceration neurotrophique apres thermocoagulation du ganglion de Gasser
Figure 4. Evolution a un an : perte de substance nasolabiale droite (a, b).
etant saines a l’examen anatomopathologique extemporane,la reconstruction a ete effectuee dans le meme tempsoperatoire : lambeau frontal homolateral associee a unegreffe cartilagineuse de conque sur l’aile nasale. La pertede substance labiale a ete fermee par simple rapprochementdes berges. La keratite n’a fait l’objet d’aucun traitement enraison de l’anciennete de la cecite.
Figure 5. Coupe histologique des secondes biopsies : proliferationepidermique pseudo-epitheliomateuse.
L’examen anatomopathologique definitif concluait a uneulceration chronique inflammatoire non specifique (fig. 7)sans trace de malignite, confirmant le diagnostic cliniqued’UNT.Le lambeau frontal a ete sevre au bout de 15 jours. Il a eterecommande a la patiente d’eviter les microtraumatismesrepetes. Aucune recidive n’a ete notee la premiere anneepostoperatoire et la patiente etait satisfaite du resultatcosmetique (fig. 8). Elle n’a pas ete suivie psychologiquement.Vingt-deux mois apres l’intervention, l’aile nasale droite etaitde nouveau ulceree a cause d’une reprise des tics de grattage(fig. 9). La patiente a ensuite ete perdue de vue.
Discussion
L’UNT dans le territoire cutane du nerf trijumeau (ou neuro-pathie du nerf trijumeau) a ete decrite initialement sous laforme d’une ulceration faciale pseudocarcinomateuse tou-chant preferentiellement l’aile nasale et survenant apresune lesion de la cinquieme paire cranienne homolaterale [1].Cette pathologie est peu frequente. Les grandes series sontrares, la plus importante publiee en 1982 rapporte 63 cas [3].L’age moyen de survenue est de 57 ans (14 mois a 94 ans) [4],avec une predominance feminine (2,2 femmes pour unhomme).Les etiologies rapportees sont nombreuses. Toute atteintedu cinquieme nerf cranien, quelles que soient la cause et lalocalisation sur le trajet nerveux, est susceptible d’induireune UNT. Les etiologies citees sont : les insuffisances verte-
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Figure 6. Exerese carcinologique (a, b) et reconstruction par lambeau frontal homolateral (c, d).
bro-basilaires (type syndrome de Wallenberg), les neurino-mes et les traumatismes du nerf trijumeau, la syringobulbie,les meningiomes de l’angle pontocerebelleux [5] et lescauses iatrogenes (thermocoagulation du ganglion de Gas-ser et chirurgie du nerf trijumeau) [4–6], comme dans notrecas.
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Le delai moyen entre la lesion nerveuse et l’apparition dessignes cutanes varie de quelques semaines a un an, il peutatteindre 23 ans [6]. Dans notre cas, il etait de trois ans.L’ulceration touche le plus souvent l’aile nasale, elle peuts’etendre a l’hemi-levre superieure et la joue. Des atteintesdu scalp, de l’oreille externe et du palais ont ete rapportees[2,3]. La pointe du nez est le plus souvent epargnee en raisonde son innervation par une branche ethmoıdale du nerf
Ulceration neurotrophique apres thermocoagulation du ganglion de Gasser
Figure 7. Histologie definitive confirmant une ulceration chronique non specifique avec une intense reaction inflammatoire (a, b).
Figure 8. Meme patiente, resultat a un an postoperatoire, absence de recidive (a, b).
ophtalmique. L’ulceration est habituellement indolore, abords nets, parfois crouteux.La frequence de cette complication est qualifiee de « faible »[6], mais Weintraub rapporte 46 % d’UNT apres exeresechirurgicale du nerf et 29 % apres alcoolisation du ganglionde Gasser.L’histologie montre une ulceration chronique non specifiqueassociee a un intense infiltrat inflammatoire. Elle doit s’effor-cer d’eliminer les lesions neoplasiques (carcinomes basocel-lulaires et epidermoıdes), certaines formes de lymphomes T,les lesions infectieuses (herpes ou zona, syphilis, lepre,infection a mycobacteries, leishmanioses) et les vascularites(maladie de Wegener, maladie de Horton). Les biopsies sont
parfois trompeuses comme dans notre observation. Le diag-nostic de pathomimie doit rester un diagnostic d’exclusion.La physiopathologie de l’UNT est mal connue, l’hypotheseprincipale etant une initiation de la lesion soit par des micro-traumatismes cutanes survenant sur une zone hypoesthe-sique, soit par des manipulations traumatiques repetees enraison de l’existence de paresthesies (sensation de brulure, depicotement, de demangeaison). Un cercle vicieux combinanttraumatisme–surinfection–prurit–grattage pourrait expliquerla chronicite et l’aggravation progressive de l’ulcere [7]. Cetteaggravation peut aussi s’expliquer par l’interruption, lorsd’une lesion du ganglion trigemine, des fibres sympathiquesprovenant du plexus carotidien [2]. L’interruption de ces fibres
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Figure 9. Meme patiente, recidive a 22 mois postoperatoire (a, b).
serait responsable d’un retard de cicatrisation et de l’appari-tion de troubles trophiques surajoutes [2].Le traitement des UNT est difficile et comporte differentsvolets. La suppression des microtraumatismes locaux doitetre obtenue [5]. Ces traumatismes surviennent frequem-ment chez des patients psychologiquement fragiles quiauto-entretiennent leurs lesions [2]. Un accompagnementpsychologique ou psychiatrique peut etre indique [4,5]. Desantibiotiques locaux et des soins locaux a base de vitamineB3 peuvent etre proposes en premiere intention. La prise oralede neuroleptiques (pimozide), de benzodiazepines (carbama-zepine, diazepam) ou d’antidepresseurs imipraminiques (ami-triptyline) permettrait de diminuer les paresthesies [8]. Dessympathectomies cervicales et des stimulations nerveusestranscutanees ont ete preconisees avec des resultats mitiges[2,4,5]. A un stade plus avance et chez des sujets en bon etatgeneral, des reconstructions chirurgicales par greffe de peauou lambeaux locaux ou locoregionaux (nasaux, naso-geniensou frontaux) sont possibles [7]. Les lambeaux controlaterauxsensibles donnent de meilleurs resultats [9,10]. La mise enplace d’epitheses est une alternative chez les patients ages et/ou avec des troubles psychiques ; elles corrigent le prejudiceesthetique a moindre risque tout en empechant les manipu-lations repetees [10].
Declaration d’interets
Les auteurs declarent ne pas avoir de conflits d’interets enrelation avec cet article.
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