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1 Université Panthéon-Sorbonne Paris I Master recherche de droit public économique Directeur : Monsieur le professeur Gérard Marcou. Un cas particulier de rétroactivité in mitius : délit de favoritisme et droit des marchés publics. Mémoire sous la direction de Monsieur le professeur Roland Vandermeeren. Elise Mignard Année universitaire 2005-2006

Un cas particulier de rétroactivité in mitius : délit de ...€¦ · Un cas particulier de rétroactivité in mitius : délit de ... 12 Le droit pénal des marchés publics, Hélène

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Université Panthéon-Sorbonne Paris I

Master recherche de droit public économiqueDirecteur : Monsieur le professeur Gérard Marcou.

Un cas particulier de rétroactivité in mitius : délit de favoritisme et droit des marchés publics.

Mémoire sous la direction de Monsieur le professeur Roland Vandermeeren.

Elise Mignard Année universitaire 2005-2006

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Sommaire :

Tableau des abréviations ……………………………………………………………….4

Introduction ……………………………………………………………………………….6

Partie I – Rétroactivité in mitius et dispositions juridiques pénalement sanctionnée …………………………………………………………..12

Titre I - Les dispositions juridiques sanctionnées pénalement : positions doctrinales et jurisprudence ……………………………………...12

Chapitre I - La doctrine générale portant sur les dispositions juridiques pénalement sanctionnées ..................................................................................................13

Chapitre II - Le refus par la jurisprudence d’appliquer la rétroactivité in mitius aux dispositions économiques pénalement sanctionnées....……………………….22

Titre II - Les dispositions du Code des marchés publics sanctionnées pénalement : étude d’une évolution .……………………..33

Chapitre I - Les dispositions réglementaires plus douces du Code de 1964 au Code de 2001………………………………………………………………………………33

Chapitre II - Les dispositions réglementaires plus douces du Code de 2001 au nouveau Code des marchés publics de 2006…………………………………………42

Partie II - Rétroactivité in mitius et délit de favoritisme ……….…..50

Titre I - Le refus par la jurisprudence d’appliquer la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme …………………………………….………...50

Chapitre I - Une position jurisprudentielle traditionnelle …………………………51

Chapitre II - Une position jurisprudentielle critiquable : l’analyse de l’article 432-14 du Code pénal.………………………………………………………….………..62

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Titre II - Un nouveau fondement au refus d’appliquer la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme …………………………..76

Chapitre I- L’applicabilité de la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme …………………………………………………………………..76

Chapitre II : La viabilité de ce fondement face aux évolutions du Code des marchés publics…………………………………………………………………………...84

Conclusion ..........................................................................................................................90

Bibliographie .....................................................................................................................91

Table des matières ...........................................................................................................97

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Tableau des abréviations :

AN : Assemblée Nationale.

AJDA : L’Actualité juridique. Droit administratif.aff. : affaire.

art. : article.BOAMP : Bulletin officiel des annonces des marchés publics.

BJCP : Bulletin juridique des contrats publics.Bull. crim. : Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation.

CA : Cour d’appel.CC : Conseil constitutionnel.

CEcf

: Conseil d’Etat.: confère.

CGCT : Code général des collectivités territoriales.CJCE : Cour de justice des Communautés européennes.

CMP : Code des marchés publics.Comm. : Commentaire.

CP : Code pénal.Crim. : Chambre criminelle.

CSA : Conseil supérieur de l’audiovisuel.D. : Recueil Dalloz.

D.C : Recueil critique de jurisprudence et de législation Dalloz (années 1941 à 1944).

Dr.pénal : Droit pénal.et svtes. : et suivantes.

GAJA : Grands arrêts de la jurisprudence administrative.Gaz. Pal. : Gazettes du Palais.

infra : Ci-dessous

JCP E : Semaine juridique, édition Entreprises et Affaires.

JCP G : Semaine juridique, édition Générale.JO : Journal officiel.

JOUE : Journal officiel de l’Union européenne.MAPA : marchés à procédure adaptée.

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MIEM : Mission interministérielle d’enquête sur les marchés publics.

n° : numéro.op. cit. : ouvrage (opus) cité.

Rec. CJCE : Recueil des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes.RFDA : Revue française de droit administratif.

RSC : Revue de sciences criminelles et de droit comparéS. : Recueil Sirey.

supra : Ci-dessusTGI : Tribunal de grande instance.

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Introduction

Le délit d’octroi d’un avantage injustifié, plus communément appelé délit de favoritisme,

est prévu par l’article 432-14 du Code pénal, comme « le fait par une personne dépositaire de

l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif ou

exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l’Etat, des collectivités

territoriales, des établissements publics, des sociétés d’économie mixte locales ou par toute

personne agissant pour le compte de l’une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de

procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou

réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les

marchés publics et les délégations de service public ». Ce délit est réprimé de deux ans

d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende1.

L’incrimination est relativement récente, puisque la loi n° 91-3 du 3 janvier 19912

relative à la transparence et à la régularité des procédures de marchés est à l’origine de ce délit.

Cette loi symbolise le mouvement de pénalisation de l’action administrative vers la fin des

années 1980, qui résultait notamment d’une période d’éclosion des « affaires » et autres

scandales liant politique et finance3. D’où cette volonté des pouvoirs publics de combattre

certains comportements délinquants au sein de la fonction publique afin d’éviter une rupture

entre les citoyens et celle-ci. Les conséquences de comportements illicites n’étaient sans doute

pas assez dissuasives, puisque pour exemple, la violation des dispositions du Code des marchés

publics et des règles relatives à l’attribution des marchés était sanctionnée uniquement par la

nullité de l’acte passé irrégulièrement.

Est-ce à dire que le droit pénal ignorait totalement les marchés publics ? Sûrement pas :

« si l’ancien Code pénal encadrait le secteur des marchés publics avec les délits de corruption, de

1 Des peines complémentaires prévues à l’article 432-17 CP peuvent également être prononcées par les juridictions pénales. On citera l’interdiction des droits civil, civique et de famille suivant les modalités prévues par l’article 131-26 CP ; l’interdiction suivant les modalités prévues à l’article 131-27 CP, d’exercer une fonction publique ou d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice de laquelle l’infraction a été commise ; dans les cas prévus à l’article 432-7 CP, l’affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues à l’article 131-35 CP. 2 JO n°4 du 5 janvier 1991, p 336. 3 Citons par exemple les affaires dites Urba-Gracco (Crim. 16 décembre 1997, Revue des sociétés 1998, p 402) et Carignon (Crim. 27 octobre 1997, JCP G 1998, I, 10017) qui débutèrent à la fin des années 1980.

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trafic d’influences et d’ingérence, il n’y avait, cependant, aucune répression significative de

certaines pratiques illicites […]. Pour répondre à la faiblesse du dispositif de protection des

marchés et à ces difficultés à réprimer pénalement les comportements volontairement

malhonnêtes, le législateur a organisé une véritable pénalisation du droit des marchés publics en

optant pour une actualisation des délits existants et pour la création d’une nouvelle infraction

spécifique, le délit d’octroi d’avantage injustifié »4. A l’origine le délit de favoritisme ne visait

donc que les marchés publics, mais le souci de lutter contre les comportements illicites en

matière de commande publique a conduit le législateur à l’étendre aux délégations de service

public5.

De la longue définition de l’article 432-14 du Code pénal, il nous faudra retenir que l’acte

incriminé doit être « contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de

garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics ».

Le Code pénal ne se suffit donc pas à lui-même pour définir dans son entier le délit de

favoritisme, puisqu’il renvoie à d’autres dispositions « législatives ou réglementaires ».

Cependant, celles-ci doivent avoir un but bien précis : « garantir l’accès et l’égalité des candidats

dans les marchés publics ».

Les dispositions réglementaires sont celles qui nous intéresseront le plus puisque le

« Code des marchés publics » (CMP) a une origine décrétale. Celui-ci est né de deux décrets

codifiant une réglementation ancienne, dont les premiers textes remontent à la monarchie de

Juillet : l’un du 17 juillet 1964 instituant ses livres I et II (dispositions générales et dispositions

applicables aux marchés de l’Etat et de ses établissements publics autres qu’industriels et

commerciaux) ; l’autre du 28 novembre 1966 instituant ses livres III et IV (consacrés

respectivement aux marchés locaux et à la coordination des commandes publiques).

Le Code des marchés publics a depuis lors fait l’objet de deux grandes réformes

successives : la première avec l’adoption du décret n° 2001-210 du 7 mars 20016 ; la seconde

avec l’adoption du décret n° 2004-15 du 7 janvier 20047. Très récemment encore, le décret n°

4 La pénalisation du droit des marchés publics, Catherine Prebissy-Schnall, thèse pour le doctorat, LGDJ, Bibliothèque de droit public, 2002.5 Loi « anti-corruption » n° 93-122 du 29 janvier 1993, JO n° 35 du 30 janvier 1993.6 JO, 8 mars 2001.7 JO, 8 janvier 2004.

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2006-975 du 1er août 20068 a abouti à la publication d’un nouveau Code des marchés publics qui

entrera en vigueur le 1er septembre 2006.

En dépit de sa dénomination, le Code des marchés publics ne couvre pas tout le droit des

marchés publics. Celui-ci puise en effet dans bien d’autres sources : constitutionnelle9,

communautaire10, jurisprudentielle ainsi que dans les clauses contractuelles issues des cahiers

des charges.

Concernant les sources législatives et selon l’annexe à la circulaire du ministère de la

justice sur la politique criminelle en matière de marchés publics du 14 février 199611, les

dispositions devant être respectées en matière de marchés publics sont celles ayant soumis, au

cours des années récentes, des établissements ou des commandes publiques non directement

soumis au Code des marchés publics, aux principes de concurrence et de publicité établis par ce

dernier. Sont concernées la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage

public et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, la loi n° 91-3 du 3 janvier 1991 relative

à la transparence et à la régularité des procédures de marché et soumettant la passation de

certains contrats à des règles de publicité de mise en concurrence, la loi n° 92-1282 du 11

décembre 1992 relative aux procédures de passation de certains contrats dans les secteurs de

l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications ; la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993

relative à la prévention de la corruption, à la transparence de la vie économique et des procédures

publiques, la loi n° 95-127 du 8 février 1995 relative aux marchés publics et aux conventions de

délégations de service public.

Deux lois adoptées après la circulaire précitée peuvent être ajoutées à cette liste12 : les

lois n° 97-50 du 22 janvier 1997 complétant la loi du 3 janvier 1991 et n° 2001-1168 du 12

décembre 2001 dite loi MURCEF.

8 JO, 4 août 2006, p 11627.9 On assiste depuis quelques années à une « constitutionnalisation » des marchés publics, puisque le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la conformité de nouvelles formes de marchés publics - les contrats de partenariat public-privé par exemple – à certains principes de valeur constitutionnelle. A l’occasion du vote de la loi du 2 juillet 2003 habilitant le gouvernement à simplifier le droit, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 26 juin 2003, donne valeur constitutionnelle aux principes « d’égalité devant la commande publique, de protection des propriétés publiques, et de bon usage des deniers publics ».10 Il semble qu’une directive encore non transposée ne puisse pas faire partie des dispositions « législatives » visées à l’article 432-14 CP, puisque la Cour de justice des communautés européennes décide qu’une telle directive ne peut avoir pour effet de déterminer ou d’aggraver la responsabilité pénale de ceux qui agissent en infraction à ses dispositions (CJCE, 11 juin 1987, Pretore di Salo, Rec. CJCE, p.2545).11 Circulaire du 14 février 1996 (NOR : JUSD9630011C), Moniteur des travaux publics, 15 mars 1996, cahier spécial n° 4816 bis, p 317 et svtes.12 Le droit pénal des marchés publics, Hélène Descout et Walter Salamand, 2004, éditions de « La lettre du cadre territorial », collection « dossier d’experts ».

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Le Code des marchés publics n’en constitue pas moins un élément majeur du droit des

marchés publics, son noyau dur en quelque sorte.

Depuis l’origine, la réglementation des marchés se trouve, en effet, dominée par un

principe fondamental : celui de la mise en concurrence, qui se traduit par le respect « des

principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de

transparence des procédures » (article 1er alinéa 2 du CMP). Il s’agit de la caractéristique

essentielle des marchés publics mais aussi de leur originalité principale par rapport aux autres

contrats de l’administration (excepté les délégations de service public également soumises à

l’article 432-14 CP). Le principe de mise en concurrence constitue l’aspect le plus sensible du

régime des marchés publics, puisque son respect constitue un impératif catégorique depuis que

les contrôles administratif, financier et juridictionnel sont plus étroits et que le souci de

transparence et de lutte contre la corruption est passé au premier plan des préoccupations des

pouvoirs publics dès 1991.

Le Code des marchés publics est avant tout un code de mise en concurrence comme le

droit des marchés publics est avant tout un droit de mise en concurrence. L’essentiel des

dispositions du Code des marchés publics est en fait consacré à l’organisation de la concurrence

dans les marchés publics (conditions d’accès exigées des candidats, procédures de passation…).

Le Code des marchés publics constitue donc le support d’une réglementation qui devra être

respectée sans quoi le délit de favoritisme sera susceptible d’être caractérisé, puisque cette

réglementation a précisément pour but de « garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats

dans les marchés publics » (art. 432-14 CP).

Le non respect des règles posées dans le CMP peut donc constituer « l’acte contraire aux

dispositions réglementaires » mentionné à l’article 432-14 CP.

Cependant l’adoption récente de décrets modifiant en profondeur le CMP pose un

problème proche de la théorie générale du droit pénal. En effet, si l’article 432-14 du CP renvoie

à des « dispositions législatives ou réglementaires » contenues dans des textes de droit public, le

délit de favoritisme est une infraction obéissant par conséquent aux règles générales du droit

pénal : parmi ces dernières, la rétroactivité in mitius.

La rétroactivité in mitius déroge à la règle de la non-rétroactivité de la loi pénale plus

sévère. En effet, selon l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « nul ne

peut être puni qu’en vertu d’une loi pénale établie et promulguée antérieurement au délit »,

principe retranscris par l’article 112-1 alinéa 1 du Code pénal : « sont seuls punissables les faits

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constitutifs d’une infraction à la date à laquelle ils ont été commis ». Ce principe de non-

rétroactivité de la loi pénale est le prolongement nécessaire du principe de légalité : chacun doit

pouvoir être averti des conséquences de sa conduite. Est acquis le droit pour tout homme d’être

puni selon la loi qu’il connaît et non pas selon une autre qu’il ignore. Le Conseil constitutionnel

a eu l’occasion d’affirmer à maintes reprises la valeur constitutionnelle du principe de non-

rétroactivité de la loi pénale (n° 82-155 DC du 30 décembre ; n° 86-215 DC du 3 septembre

1986; n° 93-325 DC du 13 août 1993).

En revanche, ce principe perd sa raison d’être lorsque la loi nouvelle adoucit la

répression, puisqu’en ce cas, une application rétroactive ne menace nullement la liberté

individuelle. Au contraire, elle bénéficie à la personne poursuivie. Sur le plan de l’intérêt social,

l’adoucissement de la répression n’est pas préjudiciable au maintien de l’ordre puisque le

législateur a décidé que la répression ancienne était trop sévère, et par conséquent mal adaptée.

La société n’a donc plus d’intérêt à appliquer la disposition ancienne devenue inutile.

Bien que l’ancien Code pénal fût muet sur ce point, la Cour de Cassation dégagea dès le

début du XIXème siècle le principe de l’application rétroactive de la loi pénale plus douce (dit

encore principe de rétroactivité in mitius ou principe de l’application immédiate de la loi pénale

plus douce). Ainsi, elle affirma dans un arrêt rendu le 1er octobre 1813 (S., 14, I, 16) : « Lorsque

dans l’intervalle d’un délit au jugement, il a existé une loi pénale plus douce que celle qui

existait soit à l’époque du délit, soit à l’époque du jugement, c’est cette loi plus douce qui a dû

être appliquée ». Par la suite, la jurisprudence conféra valeur permanente à ce principe. Le

Conseil constitutionnel lui a reconnu valeur constitutionnelle dans ces décisions des 19 et 20

janvier 1981 relative à la loi « Sécurité-liberté »13. Celui-ci s’est encore une fois fondé sur

l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel « la

loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Le Conseil a en effet

considéré que « le fait de ne pas appliquer aux infractions commises sous l’empire de la loi

ancienne la loi pénale nouvelle, plus douce, revient à permettre au juge de prononcer les peines

prévues par la loi ancienne et qui, selon l’appréciation même du législateur, ne sont plus

nécessaires ».

Finalement, comblant les lacunes du Code pénal de 1810, l’article 112-1 alinéa 3 du

nouveau Code pénal consacre expressément le principe de rétroactivité in mitius : « Toutefois,

les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et

13 DC n° 80-127, Revue du Conseil constitutionnel 1981, p 15 ; les Grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 13ème édition, 2005.

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n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont

moins sévères que les dispositions anciennes ».

Les modifications successives du Code des marchés publics par voie de décret ont

certaines répercussions en terme de droit pénal. Plus particulièrement est concernée l’application

du principe de la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme. Maître de Castelneau remarque

que « les dispositions législatives et réglementaires sont mouvantes et donnent un caractère

intrinsèquement évolutif au délit de favoritisme »14. Or plusieurs dispositions nouvelles du CMP

peuvent être considérées comme plus « douces » pour l’acheteur public. S’est donc posée la

question de savoir si l’adoption de dispositions réglementaires moins contraignantes pour la

personne responsable du marché empêcherait une condamnation pour délit de favoritisme dans

une affaire pendante devant les tribunaux et non encore définitivement jugée. Avec cette

particularité que n’est pas concerné directement l’article 432-14 du Code pénal incriminant le

délit de favoritisme, mais les dispositions de nature réglementaire du CMP.

La structure de l’article 432-14 CP est particulière puisque celui-ci renvoie à des

dispositions réglementaires dont le non respect est pénalement sanctionné et dont la modification

est susceptible d’entraîner l’application de la rétroactivité in mitius dans l’hypothèse où la

disposition nouvelle est plus douce.

La question de l’application de la rétroactivité in mitius aux dispositions réglementaires

précitées est premièrement à rapprocher de l’application de la rétroactivité in mitius aux

dispositions juridiques pénalement sanctionnées. Parmi celles-ci, la jurisprudence isole les

dispositions de nature économique et leur applique un régime juridique particulier, ce qu’il nous

faudra étudier dans une première partie.

La relation avec les dispositions réglementaires auxquelles renvoie l’article 432-14 CP est

alors perceptible, puisque la jurisprudence leur applique très clairement le régime juridique

réservé aux dispositions de nature économique. L’étude détaillée de la rétroactivité in mitius

appliquée au délit de favoritisme fera alors l’objet d’une deuxième partie.

14 Le nouveau droit des marchés publics, sous la direction de François Lichère, édition Hermès, collection « bibliothèque de droit », 2004.

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12

Partie I – Rétroactivité in mitius et dispositions juridiques pénalement sanctionnées.

Doctrine et jurisprudence se sont prononcées sur la question de l’application de la

rétroactivité in mitius aux dispositions juridiques pénalement sanctionnées (Titre I). Parmi ces

dispositions, il convient d’étudier en détail les dispositions réglementaires du Code des marchés

publics auxquelles renvoie l’article 432-14 du Code pénal. Il est nécessaire de démontrer leur

évolution dans un sens plus doux pour l’acheteur public afin de pouvoir appliquer la rétroactivité

in mitius (Titre II).

Titre I - Les dispositions juridiques sanctionnées pénalement : positions doctrinales et jurisprudence.

La législation pénale économique présente souvent – elle n’est pas la seule cependant - la

particularité de se dédoubler en dispositions pénales qui sanctionnent la violation de dispositions

à caractère économique. La doctrine s’est interrogée de nombreuses fois sur la qualification

juridique de dispositions juridiques pénalement sanctionnées ainsi que sur leur régime juridique,

notamment en terme d’application de loi dans le temps (Chapitre I). Les juridictions, quant à

elles, refusent d’appliquer la rétroactivité in mitius aux dispositions économiques pénalement

sanctionnées (Chapitre II).

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Chapitre I - La doctrine générale portant sur les dispositions juridiques pénalement sanctionnées.

La doctrine s’est prononcée sur le régime applicable aux dispositions économiques dont

la violation est réprimée pénalement par des textes d’incrimination : la nature juridique de ces

dispositions (§1), ainsi que leur contenu matériel (§2) ont fait l’objet de nombreuses

controverses.

§1- Une nature juridique difficile à déterminer.

La problématique concernant les dispositions économiques pénalement sanctionnées est

d’abord générale puisqu’elle ne concerne pas seulement ce type de dispositions : il s’agit en effet

d’un problème structurel lié à un montage juridique quelque peu particulier (A). La question de

savoir si ces dispositions sont des normes pénales ou non a été difficilement résolue par la

doctrine (B).

A- Une problématique liée à la structure de certaines dispositions juridiques.

« Il est une catégorie de lois dont la promulgation, à la différence de celle des lois

d’incrimination ordinaires, soulève des problèmes infiniment plus complexes et plus

controversés. Ces lois, qui ne sont pas des lois pénales, mais bien des lois quelconques,

modifient cependant d’une manière directe, par leur promulgation, les conditions d’incrimination

de certaines infractions […] », affirme André Vitu15. Et d’ajouter : « On sait en effet que le droit

pénal, par bien des côtés, n’est pas une science autonome. Chargé d’assurer la protection des

individus et des biens, il peut faire appel pour cette protection, soit à des notions purement

pénales (c’est le cas par exemple des dispositions protectrices de la vie et de l’honneur des

individus), soit à des notions définies et organisées en dehors de lui, pour les assortir d’une

protection pénale : la propriété, le mariage, la monnaie font ainsi l’objet d’autres sciences, le

15 Des conflits de lois dans le temps en droit pénal, thèse pour le doctorat, André Vitu, 1945, p 122 et svtes.

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droit civil ou l’économie politique, auxquelles le droit pénal prête son appui en créant les

infractions de vol, de bigamie et de faux-monnayage ».

M. Vitu donne sur ce point quelques exemples peu vraisemblables mais dont la validité

juridique n’est pas contestable : « Si par exemple, une loi venait supprimer la propriété privée, le

vol, appropriation frauduleuse de la chose d’autrui, cesserait d’être une infraction. Si de même,

dans un pays reconnaissant la validité des mariages religieux, une loi déniait toute valeur civile

au mariage religieux, la bigamie résultant de deux unions religieuses existant cumulativement ne

serait plus punissable. Si pareillement une loi démonétise les pièces d’or, la contrefaçon de cette

monnaie s’avère impossible ».

C’est précisément l’hypothèse du délit de favoritisme, puisque le texte d’incrimination

(article 432-14 CP) renvoie à des dispositions non pénales par nature : des « dispositions

législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des

candidats dans les marchés publics ». A priori, rien ne laisse penser que de telles dispositions

puissent avoir une implication pénale. Pourtant comme l’article 432-14 CP incrimine la violation

de ces dispositions, leur modification entraîne nécessairement une modification du champ

d’application du délit de favoritisme.

Le professeur Vitu s’interroge ainsi sur le fait de savoir si la modification d’une

disposition juridique pénalement sanctionnée n’aurait pas « une répercussion d’ordre

intertemporal sur les infractions déjà commises et non encore jugées ». Faut-il prendre en compte

les seules modifications propres au texte pénal ou également tenir compte des changements

touchant ce type de disposition? Le droit transitoire doit-il s’appliquer sans distinction à toute loi

ayant une incidence sur la définition ou le champ d’application de l’incrimination ?

De même, les règles particulières d’application de loi dans le temps en droit pénal, telle

la rétroactivité in mitius, doivent-elles également s’appliquer à ce type de disposition? Cette

question se pose s’agissant du délit de favoritisme, incrimination pénale : lorsque les dispositions

législatives ou réglementaires auxquelles renvoie l’article 432-14 CP sont modifiées dans un

sens plus doux, la règle de la rétroactivité in mitius est-elle applicable aux personnes ayant violé

les dispositions antérieurement en vigueur, et non jugées définitivement au moment de l’entrée

en vigueur des nouvelles dispositions ?

Les positions doctrinales sur ce point sont nombreuses et dépendent finalement de la

nature juridique attribuée à ces dispositions particulières.

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15

B- Une dualité de nature entre norme pénale et norme extra-pénale.

A l’origine, deux écoles de la doctrine allemande se sont prononcées sur ce sujet. Une

partie de la littérature juridique allemande est la source de « l’élément injuste », théorie

germanique de « l’Unrecht » énoncée en 1872 par Binding (Die Normen und ihre

Ubertretung)16. Cette théorie est née d’une définition restrictive de la norme pénale, qui selon

l’auteur allemand doit seulement s’entendre de celle qui énonce une peine. La norme pénale ainsi

définie a pour fonction de sanctionner une autre norme, de caractère extra-pénal, qui établit pour

les citoyens une obligation ou une interdiction de façon à leur imposer le respect d’un intérêt

légalement protégé.

Au contraire, Ms. Abegg (Neues Archiv des Criminalrechtes, XIII, 1833) et von Liszt

rejetaient cette distinction entre normes pénale et extra-pénale, considérant que la notion extra-

pénale fait partie intégrante de la loi qui la protège. En France, une partie de la doctrine adoptait

également ce point de vue. Ainsi pour M. Grouber, « le seul système juridique est celui qui

rejette toute distinction entre les lois extra-pénales et les lois pénales »17. Comme en Allemagne,

la doctrine française présentait également un courant inverse, qui tenait pour vraie la distinction

entre norme pénale et norme extra-pénale, et surtout déduisait de cette différence de nature, une

différence de régime juridique.

Selon M. Roubier, auteur français, « le bon sens fait reconnaître de manière infaillible les

dispositions qui ont le caractère de la loi pénale »18. Il donne ainsi quelques exemples :

- une législation ne distinguant pas majorité civile et majorité pénale punit certains délits

commis contre des mineurs. Une loi nouvelle vient abaisser l’âge de la majorité civile de vingt et

un à vingt ans; c’est comme si la loi nouvelle avait été incorporée dans la loi pénale, pour donner

une nouvelle définition de la minorité : une disposition de ce genre eût été à sa place dans la loi

pénale. Donc les délits commis contre un mineur de plus de vingt ans sous la loi précédente, ne

pourront plus être poursuivis et jugés sous ce chef depuis la loi nouvelle, conclut M. Roubier.

- en revanche, une loi nouvelle économique qui démonétise dans un pays les pièces

d’argent ne peut se voir attribuer un caractère pénal. Certes, la contrefaçon de ces pièces ne

constituera plus dans l’avenir le crime de fausse monnaie, mais les contrefaçons antérieurement

commises pourront encore être poursuivies. En effet, ce n’est pas, d’après l’auteur, à la loi pénale

16 « L’histoire des éléments de l’infraction », J-H. Robert, RSC, 1977, p 277.17 Du conflit des lois d’incrimination et de pénalité dans les temps, Grouber, thèse Paris, 1915.18 Les conflits des lois dans le temps, Paul Roubier, 1933, p 588, Tome II.

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16

de définir le terme et la notion de monnaie ; la loi pénale n’intervient que lorsqu’il s’agit de

définir les infractions au droit de l’Etat de frapper la monnaie. La situation est identique pour une

loi qui punit la corruption de fonctionnaire. Si entre le délit et le jugement, une disposition

intervient et fait perdre à l’inculpé son statut de fonctionnaire, l’infraction pourra toujours être

sanctionnée.

Pourtant la détermination du caractère pénal ou non d’une loi n’est pas si simple à établir.

L’analyse conduite par M. Roubier fait ainsi l’objet d’une critique par M. Szereszewski : « Si

nous étions partisan de cette théorie, nous aurions considéré, contrairement à l’opinion de M.

Roubier, que les arrêtés de taxation sont bien des dispositions pénales, puisque, tandis que le

mariage ou le statut des fonctionnaires ont une raison d’être en droit civil ou en droit

administratif indépendamment des dispositions pénales sanctionnant la bigamie ou la corruption

de fonctionnaires, la seule raison d’être des arrêtés de taxation est de servir d’élément constitutif

au délit de hausse illicite »19.

Cette opinion est contestable à notre sens : s’agissant des arrêtés de taxation, nous nous

rallions à la position de M. Roubier pour qui la fixation des prix dans les arrêtés est l’œuvre non

de la législation pénale, mais de la législation économique : « lorsque le législateur entreprend de

fixer des prix maxima et de les sanctionner par des peines, il est clair qu’il n’y a à considérer

comme faisant partie du droit pénal que la disposition qui sanctionne le fait de dépasser les prix

fixés »20.

Les arrêtés de taxation font partie de la législation économique consécutive à la première

guerre mondiale. Celle-ci tendait à la protection du public et des consommateurs contre les

détenteurs de denrées ou de marchandises, ou encore à la protection des locataires contre les

propriétaires de maisons d’habitation. Cette protection était recherchée par divers moyens, dont

l’un fréquemment employé était la taxation. Celle-ci avait pour objet de créer un prix minimum,

différent de celui qui serait résulté de la loi de l’offre et de la demande, laquelle fonctionnait mal

dans des circonstances économiques difficiles. Ce maximum était néanmoins sujet à variations,

pour ne pas trop s’éloigner des réalités économiques, et il en résultait que les textes de ce genre

était constamment remaniés. Il est donc certain que ces arrêtés de taxation avaient un objet

clairement économique.

19 « Le principe de la rétroactivité de la lex mitior et les infractions à la législation économique en droit pénal français », E.Szereszewski, Revue pénale suisse, 1948, p 308 et svtes.20 Paul Roubier, op. cit. 1933.

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17

Faut-il cependant appliquer un régime juridique différent aux dispositions pénales et aux

dispositions non pénales par nature ? Selon M. Roubier, les règles du droit pénal transitoire

s’appliquent aux lois pénales seules. Selon nous, même si la distinction entre ces deux types de

norme peut se justifier juridiquement, il est incontestable que la modification d’une norme extra-

pénale aura des implications en droit pénal. Aussi la différence de régime prônée par une partie

de la doctrine n’est pas à notre sens une solution satisfaisante, car cela revient à nier l’impact

d’une modification de la norme extra-pénale sur le champ d’application de la norme pénale.

La réponse donnée par la doctrine sur la nature de ces normes non pénales par nature

mais dont la violation est réprimée pénalement n’est donc pas unanime. Certains auteurs se sont

également référés au contenu de ces dispositions afin de leur déterminer un régime juridique

applicable.

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18

§2- Un contenu difficile à établir.

Un des problèmes qui doit être soulevé porte sur le caractère « plus doux » de la norme

extra-pénale (A). Il convient ensuite de s’interroger sur le but poursuivi par le législateur lors de

l’édiction de la norme extra-pénale, puisque la volonté législative influe nécessairement sur la

signification de cette dernière (B).

A- Le problème posé par le caractère plus doux de la norme extra-pénale.

Une partie de la doctrine allemande a contesté le principe selon lequel les normes extra-

pénales pouvaient être assimilées aux normes pénales et se voir appliquer les principes du droit

pénal transitoire, telle la rétroactivité in mitius. La volonté du législateur d’édicter une

disposition pénale plus douce et de ne plus appliquer la disposition plus sévère est à l’origine de

l’application du principe de la rétroactivité in mitius. Aussi faut-il être certain du caractère plus

doux de la nouvelle disposition pour appliquer le principe de la rétroactivité in mitius.

Comme le rapporte M. Roubier, « les adversaires21 de cette solution ont immédiatement

mis en valeur l’argument suivant : comment la loi qui définit les formes de la célébration du

mariage pourrait-elle être regardée, au point de vue pénal, comme plus douce ou plus sévère ?

Cette question ne semble avoir aucun sens, car la loi dont il s’agit ne visant aucun but pénal, elle

peut être envisagée abstraction faite de toute question de droit pénal ; la règle de la compétence

de la loi plus douce ne paraît pas faite pour des lois de ce genre ».

De même, d’après le professeur Vitu, certains ont avancé que « la distinction des lois plus

ou moins sévères n’intéresse que le droit pénal et qu’il était absurde de se demander si la loi qui

refuse le cours légal à telle ou telle monnaie est plus douce que la législation précédente, ou

non »22. Et d’ajouter : « cette critique a cependant été repoussée, parce que n’étant en réalité

qu’un pur sophisme. Qui parle donc de comparer la sévérité de deux lois civiles, ou de deux lois

monétaires ? Il ne s’agit que d’appliquer une loi pénale à une espèce donnée, en tenant compte

successivement des dispositions respectives de chacune des deux lois extra-pénales : on choisira

la peine la plus douce qui résultera de cette application successive».

21 En l’occurrence Ms. Olshausen, Commentar zum Stragesetzbuch fur das deutsche Reich et Goehrs, Das mildeste Gestz im Sinn des§2, abs. 2, Reichsstrafgesetzbuchs, thèse Strasbourg, 1897, p 28 et svtes..22 André Vitu, op. cit. 1945.

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19

En effet, la rétroactivité in mitius étant un principe de droit pénal, son application ne peut

être envisagée qu’en rapport avec un texte d’incrimination. Dans les hypothèses étudiées, le texte

d’incrimination renvoie lui-même à des dispositions juridiques, n’ayant pas un caractère pénal

par nature. D’où cette application de la loi pénale en « tenant compte » des dispositions

juridiques non pénales, qui nécessairement vont avoir un impact sur la définition ou le champ

d’application de l’incrimination. En revanche et contrairement au professeur Vitu, nous ne

pensons pas qu’il faille décider ou non l’application de la rétroactivité in mitius en fonction de la

peine. Celle-ci peut en effet ne pas changer et c’est plus souvent le champ d’application de

l’incrimination qui va varier de façon plus ou moins large.

C’est en ce sens que se prononçait l’auteur allemand Metzger23 pour qui il n’y a de loi

plus douce que si, par rapport à l’infraction commise par l’auteur, les obligations juridiques

elles-mêmes, ou encore les conséquences juridiques de la violation de ces obligations, sont plus

douces. La norme extra-pénale ne peut donc être dissociée de la norme pénale, cette dernière

renvoyant expressément à la première.

Pour déterminer si le régime juridique de la norme extra-pénale et la norme pénale devait

être identique, certains auteurs ont préconisé de se référer à la volonté du législateur.

B- Le but poursuivi par le législateur lors de l’édiction de la norme extra-

pénale.

La doctrine allemande est encore à l’origine de la théorie, dite « Motiventheorie »,

exposée par Binding24 et adoptée par la suite par la jurisprudence allemande. Le juge français

Vienne a d’ailleurs dégagé une distinction entre « dispositions-moyens » et «dispositions-buts »,

largement inspirée de cette théorie allemande25.

Selon cette théorie, l’application ou la non-application de la règle de la rétroactivité in

mitius des lois pénales plus douces est subordonnée aux motifs qui ont guidé le législateur. Deux

situations sont envisageables :

23 Die zeitliche Herrschaft der Stragesetzte, in Zeitschrift fur die gesamte Strafreschtwissenschaft, 1921, p 378.24 Handbuch des Strafrechts, I, 1885, p 257.25 « Le principe de la rétroactivité de la loi pénale plus douce doit-il être considéré comme absolu ? », JCP G, 1974, I, 618, Roger Vienne.

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- soit le législateur a voulu changer la loi parce qu’il la considérait comme mauvaise. Il y

a transposition d’un impératif moral en droit pénal et changement de politique criminelle : le

juge Vienne parle ici de « dispositions-buts ».

- soit le législateur a simplement souhaité procéder à une adaptation de la loi, parce que

des modifications économiques le nécessitaient. Cette modification législative est purement

circonstancielle, prise sous la pression de nécessités contingentes. Il ne s’agit pas là d’un

changement dans la politique criminelle du législateur, mais d’une simple adaptation de la loi

aux circonstances économiques. Le juge Vienne emploie alors le terme de « dispositions-

moyens »26.

Dans le premier cas, le principe de la rétroactivité in mitius s’applique à la disposition

nouvelle plus douce, mais dans la seconde hypothèse, l’application de la loi plus douce ne trouve

pas de justification. En effet, il s’agit dans ce cas d’une adaptation de la réglementation aux

circonstances du moment et le but de la loi restant finalement inchangé, la survie de la loi

ancienne pour des faits commis antérieurement s’impose alors. A cela faut-il ajouter que les

arguments habituellement invoqués (humanité, défaut d’intérêt de la peine) perdent beaucoup de

leur valeur pour l’application immédiate d’une « disposition-moyen ».

Certains auteurs se sont cependant montrés critiques à l’égard de cette recherche de

l’intention du législateur.

Selon le juge Béraud, « il n’y a rien qui, dans le domaine du droit, puisse être considéré

comme absolu ou même permanent […]. Le mal moral est extrêmement variable (« ici on permet

et on honore l’infanticide, la prostitution et le vol ; là on les rejette avec horreur »27). En réalité,

toutes les lois sont contingentes et transitoires ; toutes sont inspirées par des préoccupations de

techniques juridiques ou politiques juridiques lato sensu. Dans tous les cas, il y aurait donc lieu

d’admettre une exception au principe de rétroactivité in mitius, réduit alors à une coquille

vide »28. Dès lors, la distinction entre disposition-but et disposition-moyen est difficile à faire…

Selon M. Vitu, l’intention du législateur est souvent difficile à établir : « s’il est possible,

lorsque l’on dispose de travaux législatifs précis et détaillés, de savoir ce qu’a voulu le

législateur, il arrive souvent qu’on ne puisse rien trouver dans les rapports et projets qui soient

susceptibles de fournir un renseignement ; les lois promulguées de 1940 à 1944 ont fourni un

26 En utilisant une terminologie juridique quelque peu différente, le professeur Levasseur oppose aux normes structurelles qui résultent d’un changement dans les conceptions fondamentales de la politique criminelle, les normes techniques qui résultent d’une accommodation de la loi aux circonstances du moment (« Opinions hétérodoxes sur les conflits de lois répressives dans le temps », Georges Levasseur, Mélanges Constant, 1971, p 204).27 Des principes sociologiques de la criminologie, De la Grasserie, 1901, p 22.28 « La non-rétroactivité des lois nouvelles plus douces ? », R. Béraud, RSC, 1949, p 7.

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21

exemple de ces mesures législatives publiées sans détails explicatifs. A supposer même que les

travaux préparatoires aient fait mention de cette volonté du législateur, leur valeur est assez

faible pour qu’on puisse en tirer les éléments d’un critère scientifique sûr pour admettre ou

rejeter l’action immédiate des lois nouvelles »29.

Dans le même ordre d’idée, M. Szereszewski soutient que l’intention du législateur est

trop souvent incertaine particulièrement en matière économique : « ainsi une majorité

parlementaire votant l’abrogation de la législation économique, se composera certainement aussi

bien de ceux qui verront dans cette abrogation la disparition d’une réglementation néfaste et

ceux, qui tout en estimant qu’elle a rendu les plus grands services dans le passé, la jugeront

inutile pour l’avenir. Dans une matière aussi controversée que la réglementation économique, les

conditions permettant d’attribuer une intention bien déterminée à la volonté collective créant ou

abrogeant une loi, feront presque toujours défaut »30. Dans l’hypothèse émise par cet auteur, une

même loi nouvelle est considérée par certains parlementaires comme une disposition-but, et

comme une disposition-moyen pour d’autres. D’où la difficulté encore d’appliquer avec certitude

cette théorie.

Si la doctrine n’est pas unanime sur l’application de la rétroactivité in mitius aux

dispositions juridiques pénalement sanctionnées, la jurisprudence adopte en revanche une

position claire quand est concernée la matière économique.

29 André Vitu, op. cit. 1945.30 E.Szereszewski, op. cit. 1948.

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Chapitre II - Le refus par la jurisprudence d’appliquer la rétroactivité in mitius aux dispositions économiques pénalement sanctionnées.

Après une période d’hésitation concernant l’application de la rétroactivité in mitius aux

dispositions économiques pénalement sanctionnées (§1), la jurisprudence au milieu du XXème

s’est définitivement stabilisée, refusant l’application de la rétroactivité in mitius au délit de

favoritisme (§2).

§1 – Les hésitations de la jurisprudence jusqu’au milieu du XXème siècle.

Confrontée à la question de l’application ou non de la rétroactivité in mitius aux

dispositions économiques pénalement sanctionnées, la jurisprudence a eu tendance à osciller

entre ces deux solutions (B). Ce manque de stabilité trouve avant tout sa source dans la

particularité de la législation économique, à savoir son extrême mouvance (A).

A- La législation pénale économique : une législation changeante.

Dans une chronique31, publiée en 1947, le juge Vienne affirmait : « le principe de

rétroactivité de la loi pénale plus douce, bien qu’il ne fût consacré comme principe général par

aucune loi, était jusqu’à ces dernières années admis dans sa forme la plus absolue par une

jurisprudence et une doctrine unanimes […]. Général dans son application, quel que fût l’objet

de la loi nouvelle, le principe l’était aussi quelle que fût la nature de la loi ancienne adoucie ou

abrogée ». Ainsi avançait-il que la rétroactivité de la loi pénale plus douce était appliquée à

toute loi : permanente, temporaire (édictée pour un temps donné) ou encore considérée par ses

auteurs comme une loi de circonstance, c'est-à-dire ayant pour but de réglementer une situation

passagère, qui par nature provisoire, est amenée à être modifiée. Et de citer les nombreux arrêts

31 Roger Vienne, op. cit. 1947.

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abondant en la matière : pour les lois de circonstance (Crim. 23 juillet 192032, bull. crim. n°337;

Crim. 21 novembre 191933, bull. crim. n°245) comme pour les lois temporaires (Crim. 24

septembre 1868, S. 1869.I.389 ; Crim. 17 novembre 1922, S. 1924.I.377).

Il convient de noter qu’une application de la rétroactivité in mitius de façon la plus

absolue, telle que l’avance l’auteur, n’est pas exacte. Dès le début du XXème siècle, certains

arrêts portant sur la réglementation économique rejettent fermement l’application de la

rétroactivité in mitius.

Ainsi les arrêts rendus le 22 décembre 1916 (Bull. crim n°290 et 291) affirment

respectivement : « un arrêté, qui modifie le prix maximum de la farine à partir d’une date

déterminée n’a pas pour effet de rapporter l’arrêté antérieur, qui conserve sa force exécutoire

pour toute la période pendant laquelle celui-ci est déclaré applicable » et « les arrêtés par

lesquels un préfet fixe le prix de vente de la farine, en vertu de l’article 8 de la loi du 16 octobre

191534 et de l’article 1er du décret du même jour, ne disposent que pour les périodes pour

lesquelles ces arrêtés sont pris, ils ne portent pas par eux-mêmes, pour les périodes antérieures,

abrogation des dispositions des arrêtés précédents ».

La jurisprudence n’était donc pas totalement fixée sur ce point, du moins avait-elle

changé de position au cours du début du XXème siècle, refusant d’abord l’application de la

rétroactivité in mitius, l’acceptant ensuite.

Finalement à partir de la Seconde Guerre Mondiale, la jurisprudence s’oriente de nouveau

vers un refus d’appliquer le principe de la rétroactivité in mitius (Crim. 15 janvier 1944, D.C.

1944.116 ; Crim. 19 octobre 1944, JCP. 1944. II. 115 ; Crim. 11 mai 1948, JCP. 1948. II. 4434 ;

Crim. 13 juillet 1949, JCP. 1949. II. 5229).

C’est principalement une raison de politique répressive qui est à l’origine de cette

jurisprudence. Le juge Vienne précisait ainsi : « l’application d’un principe aussi indiscuté et

aussi solidement fondé » va être remise en cause, en raison de l’objet particulier de certaine

32 Crim. 23 juillet 1920 : à la date du jugement rendu (Cour d’appel d’Amiens, le 21 mars 1920) et attaqué, un décret du 22 avril 1919 était intervenu, rendant totalement libre la vente du son. A l’époque des poursuites, l’infraction de vente du son au-dessus de la taxe fixée par de précédents décrets ne pouvait plus être retenue à la charge du prévenu. 33 Crim. 21 novembre 1919 : « lorsqu’un décret portant taxation du prix d’une denrée a été abrogé antérieurement à la comparution du prévenu devant la juridiction correctionnelle, la condamnation qui a été prononcée pour infraction à ce décret manque de base légale, et l’arrêt doit être cassé sans renvoi ». 34 JO du 17 octobre 1915. Art. 8 : « à partir de la promulgation de la présente loi, et pendant la durée de la guerre, des décrets rendus sur la proposition du ministre du commerce, de l’industrie, des postes et des télégraphes, peuvent fixer le prix des farines. Des décrets rendus dans la même forme peuvent déléguer ce pouvoir aux préfets. En cas d’infraction aux dispositions du présent article, le tribunal pourra, en plus des peines inscrites aux articles 479, 480 et 482 du CP […] ».

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législation : « si les inconvénients d’une application générale et absolue du principe de la

rétroactivité in mitius de la loi pénale plus douce sont communs à toutes les mesures pénales

exceptionnelles, il est pourtant un domaine où ils se montrent avec toute leur force et dans toute

leur évidence : ce domaine est celui de la réglementation économique ».

En effet, la réglementation économique est une législation extrêmement mouvante et

changeante. La chambre criminelle dans ses arrêts rendus le 22 décembre 1916 expliquait déjà

que la modification des décrets de taxation était « nécessitée par des considérations économiques

essentiellement variables » (Bull. crim. n°290) ou prise « sous l’influence de nécessités

économiques incessamment variables » (Bull. crim. n°291). Les dispositions pénales qui

assortissent la réglementation économique sont, par essence, instables car cette réglementation

doit être en permanence adaptée à l’évolution de la conjoncture, aux contraintes juridiques

internationales et aux politiques suivies par les gouvernements successifs35.

Le professeur Jeantet affirmait que « la stabilité est une qualité de la loi pénale comme de

toute loi »36. Mais il précise également « qu’en matière de prix, trente-cinq lois se sont succédées

du 19 août 1936 au 21 octobre 1940, et depuis, six lois déjà sont venues retoucher l’œuvre de

« codification » du législateur […]. Il est toutefois un domaine dans lequel la mobilité était

inévitable, c’est celui de la taxation des prix eux-mêmes. Des modifications sont nécessaires en

raison des fluctuations économiques, que le dirigisme entend canaliser et non arrêter. Certaines

fluctuations, celles concernant les produits saisonniers notamment, sont très rapides […] ».

Cette mobilité de la loi pénale n’a pas été sans poser de problème en terme de répression

pénale.

35 Droit pénal général, Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec, Economica, 12ème édition, 2005, p 303.36 Le Code des prix et les principes fondamentaux du droit pénal classique, Fernand-Charles Jeantet, éditions Domat-Montchrestien, 1943.

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B- Une position jurisprudentielle entre application de la rétroactivité in

mitius et volonté de sévérité.

La volonté de lutter contre l’impunité de certains délinquants a conduit les juridictions à

ne plus appliquer le principe de la rétroactivité in mitius en cette matière économique. Quoi de

plus simple pour un délinquant d’user des artifices de la procédure judiciaire pour retarder le plus

possible le prononcé d’un jugement définitif, afin de profiter, le cas échéant, d’une suppression

ou d’un adoucissement de la législation ? Les professeurs Desportes et Le Gunehec affirment

ainsi que si le principe de la rétroactivité in mitius était appliqué en la matière de manière

rigoureuse, l’effet dissuasif des sanctions pénales serait largement entamé.

Certains tribunaux faisaient d’ailleurs explicitement référence à cette impunité pour

justifier leur décision. Pour exemple, un arrêt du Tribunal Correctionnel de la Seine (12ème

chambre économique) du 5 novembre 194637 affirme « qu’il serait immoral de ne pas

sanctionner les agissements des spéculateurs ou autres trafiquants du marché noir sous prétexte

que la poursuite n’a pas été diligentée pour quelque cause que ce soit, avec assez de

célérité. Attendu que décider autrement inciterait les prévenus, rarement pressés de comparaître

devant le tribunal, à user d’artifices, moyens de procédures ou voies de recours, pour empêcher

une décision d’acquérir l’autorité de la chose jugée ».

Mais la réaction des tribunaux a parfois été plus mitigée : un premier mouvement

jurisprudentiel consacrait avec force le principe de la rétroactivité in mitius concernant les

législations économiques, mais par le biais de techniques juridiques, les tribunaux condamnaient

tout de même les personnes dans les cas d’espèce qui lui étaient soumis.

Ce procédé consistait à garder le délinquant dans les liens de la prévention en relevant

contre lui non pas l’incrimination abrogée, mais une inculpation toujours en vigueur38. Le juge

Vienne affirme sur ce point : « Nous ne contesterons ni la légitimité ni l’utilité d’un tel procédé

37 Gaz.Pal. 3 décembre 1946, jurisprudence p 226 et doctrine p 74 ; D. 1947. I. 168. 38 Le juge Vienne cite pour exemple deux arrêts de jurisprudence :

- Crim. 23 juillet 1920 (Bull. crim. n°337) : « lorsqu’une poursuite a été exercée sous prévention d’infraction à un décret de taxation et que les faits visés par la citation et relevés par l’arrêt renfermant aussi les éléments du délit de spéculation illicite, la condamnation prononcée pour vente au-dessus de la taxe doit être maintenue, bien que le décret ait été abrogé, si la peine prononcée est justifiée par les textes qui répriment le délit de spéculation illicite ».

- Tribunal de Lille, 29 mai 1946 : décide que, si le délit de hausse illicite sur les alcools ne pouvait plus entraîner condamnation depuis les arrêtés du 2 janvier 1946 rétablissant la liberté des échanges de ces marchandises, la disposition réprimant les manœuvres frauduleuses, constitutives du délit de « marché noir », restait toujours en vigueur et pouvait donc être appliquée au délinquant qui avait fait usage de soultes occultes.

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dans une hypothèse donnée. Sur le plan juridique et à condition de ne point donner aux textes

une extension indue, il est parfaitement légitime lorsqu’un fait est susceptible de plusieurs

inculpations de les retenir toutes ensemble et s’il se trouve que l’une d’entre elles, n’est plus

applicable à un moment donné, de ne retenir que celles dont l’application est encore possible

[…]. Le seul reproche que nous lui feront est de ne résoudre la difficulté que dans une hypothèse

donnée, alors que le problème se pose sur un plan beaucoup plus général ». C’est une opinion

que nous partageons, car dans le cas où les éléments constitutifs de l’infraction correspondraient

à la seule incrimination abrogée, il n’existe alors aucune possibilité de « contourner »

l’application de la rétroactivité in mitius.

L’inconvénient de ce procédé juridique explique sans doute que la jurisprudence ait

finalement adopté une position plus radicale, son argumentation portant alors sur la nature des

textes de réglementation économique. Dans sa chronique de 1947, le juge Vienne affirmait : « on

sait, que pour des raisons pratiques, ce n’est pas le législateur lui-même qui détermine les prix

des marchandises réglementées ». Quelques années auparavant, le professeur Jeantet expliquait :

« certaines fluctuations […] sont très rapides. Aussi le législateur s’en remet-il à des textes

réglementaires le soin de fixer ces taxes. Il n’y a rien là que de très régulier, dès lors que ces

textes répondent aux conditions générales de validité applicables en la matière : il s’agit de textes

réglementaires qui conditionnent l’application des sanctions pénales. Mais la question se posera

de savoir si ces textes s’intègrent dans la loi pénale ou s’ils en restent distincts ». Le professeur

Jeantet faisait référence au débat doctrinal opposant depuis longtemps les auteurs sur la nature

des règlements économiques39.

Un courant jurisprudentiel s’appuya en effet sur la nature particulière des règlements

économiques dont le non respect était pénalement sanctionné : seules les mesures législatives

définissant les délits et déterminant les peines rentreraient dans le domaine pénal et seraient donc

susceptibles de se voir appliquer le principe de la rétroactivité in mitius. Au contraire, les arrêtés,

pris en exécution de ces lois, fixant, modifiant ou supprimant une taxation auraient un caractère

extra-pénal et seraient de purs actes administratifs n’entraînant pas application de la rétroactivité

in mitius. Les arrêts consacrant ce point de vue sont abondants dans les années 1941, 1942, 1943

et correspondent à cette nouvelle ère jurisprudentielle qui refuse désormais l’application

immédiate des dispositions réglementaires plus douces : Cour de Riom du 2 octobre 1941, Cour

de Rennes des 16 novembre 1942 et 21 juillet 1943. Le Tribunal correctionnel de la Seine le 5

novembre 1946 précisait ainsi : « Si la loi pénale rétroagit lorsqu’elle édicte des pénalités plus

39 Cf supra §1 p 13.

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douces ou lorsqu’elle enlève à un fait tout caractère délictueux, les arrêtés modifiant ou

supprimant une taxation de prix, ayant un caractère extrapénal en ce qu’ils n’édictent aucune

peine et ne créent aucune incrimination, demeurent étrangers au principe de la rétroactivité des

lois plus douces ».

Le droit positif en la matière adopte désormais une position constante caractérisée par

l’utilisation d’une formule récurrente.

§2 - La position constante de la jurisprudence actuelle.

La jurisprudence actuelle adopte une solution claire, aussi bien pour les lois et les

dispositions réglementaires (A), que pour les règlements communautaires, dont le régime

juridique s’apparente à celui de la loi (B).

A- Un régime juridique différent pour les lois et les dispositions

réglementaires.

La jurisprudence de la seconde moitié du XXème est marquée par l’arrêt Von Saldern

rendu le 10 novembre 1970 (Bull. crim. n°293, D.1971, p 509). Celui-ci fixe, par un attendu de

principe : « il est de principe que les textes réglementaires en matière économique ou fiscale ne

rétroagissent à moins de dispositions contraires formellement exprimées », une jurisprudence

désormais constante en matière de réglementation économique (Crim. 23 novembre 1973, bull.

crim. n°435 ; Crim. 19 janvier 1981 ; Crim. 1er juin 1981, Ouvry, bull. crim. n°179). Le juge

pénal, tout en partant de la règle suivant laquelle les textes réglementaires en matière

économique ou fiscale ne rétroagissent pas, admet une exception : lorsque la rétroactivité a été

formellement exprimée. Ce faisant, il fait preuve d’une plus grande compréhension que le juge

administratif qui continue de réserver la rétroactivité des actes réglementaires à des hypothèses

limitées (CE, ass. 25 juin 1948, Sté du journal « l’Aurore », GAJA 2001, p 400).

L’article 9, alinéa 2, de l’avant-projet de Code pénal de 1978 avait d’ailleurs consacré

cette jurisprudence de la chambre criminelle en prévoyant que « l’infraction à une disposition

légale ou réglementaire déclarée applicable ou applicable par nature pendant un temps limité, est

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28

jugée, et l’exécution des sanctions prononcées se poursuit, selon la disposition en vigueur lors de

sa commission ». Cet article ne fut maintenu ni dans l’avant projet de Code pénal de 1983, ni

dans la version finale du Code pénal de 1992, la décision du Conseil constitutionnel (n° 80-127

DC des 19 et 20 janvier 1981) ayant, entre temps, affirmé la valeur constitutionnelle de la

rétroactivité in mitius. Cependant, la circulaire d’application du Code pénal du 14 mai 199340

prévoyait que « contrairement à l’avant-projet de 1978, le nouveau Code pénal ne règle pas

expressément le cas des textes temporaires et celui des règlements économiques, fiscaux ou

douaniers. Les solutions dégagées par la jurisprudence dans ces hypothèses particulières

conservent bien entendu toute leur valeur ». La jurisprudence von Saldern conserve donc toute sa

valeur.

L’arrêt Nouvel (Crim. 16 février 1987, D. 1988, p 39) marque une nouvelle étape dans la

jurisprudence de la chambre criminelle concernant la réglementation économique : celle-ci ne

fait plus désormais de distinction pour appliquer la rétroactivité in mitius, selon la nature des

infractions visées, économiques, douanières, fiscales ou de droit commun, dès lors que

l’adoucissement résulte d’une loi au sens technique du terme. La jurisprudence postérieure est

tout à fait claire sur ce point41. Parallèlement, le régime spécifique issu de l’arrêt von Saldern et

réservé aux règlements est toujours appliqué (arrêt Brégent, Crim, 12 novembre 1986, D. 1988, p

39).

La jurisprudence ultérieure est marquée par quelques hésitations et confusions. A propos

de la libéralisation de la détention d’or, la chambre criminelle semble abandonner toute

spécificité dans l’application de la rétroactivité in mitius aux règlements économiques (Crim. 25

janvier 1988, bull. crim. n°33 ; JCP G 1989, II, 21174 ; Crim. 10 octobre 1988, bull. crim. n°

335). Mais les arrêts rendus à propos de l’abrogation du contrôle des changes (Crim. 23 janvier

1989, bull. crim. n° 24 : « en l’absence de toute abrogation de la loi du 26 décembre 1966 sur les

relations financières avec l’étranger, support légal des incriminations qu’elle édicte, les textes

réglementaires et les circulaires pris pour son application n’ont pas d’effet rétroactif »), et surtout

la décision Delfolie (Crim. 7 juin 1990, bull. crim. n°232 ; D. 1990, p 584 ; Gaz.Pal. 1990, 2, p

40 Circulaire du 14 mai 1993 portant « commentaires des dispositions législatives du Code pénal », Code pénal, Litec, 2002, p 403.41 En matière de revente à perte (Crim. 23 janvier 1997 : Bull. crim. n° 36) ; en cas d’infraction aux règles de facturation (Crim. 5 mai 1997 : Gaz.Pal. 26-27 septembre 1997, p 31) ; en matière de réglementation des soldes (Crim. 18 juin 1997 : D. affaires 1997, p 956) et des ventes à domicile (Crim, 30 novembre 1994 : Bull. crim. n°391) ; en matière de droit des marques (Crim. 16 juin 1993 : Bull. crim. n° 216 ; RSC 1994, p 320) ; en matière de monopole des pompes funèbres (Crim. 22 janvier 1997 : Bull. crim. n°27).

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29

495), refusent d’appliquer rétroactivement l’abrogation de textes réglementaires dès lors que la

disposition législative, support de l’incrimination, n’était pas elle-même abrogée.

Une précision importante est donc apportée par la jurisprudence, car elle met pour la

première fois en relation l’abrogation du texte réglementaire avec l’abrogation de la disposition

législative elle-même. Autrement dit, l’abrogation d’une disposition réglementaire ne peut

prétendre avoir un effet rétroactif que dans la seule hypothèse où la loi, support de

l’incrimination (et en application de laquelle la disposition réglementaire est adoptée) est elle-

même abrogée. A contrario, faut-il comprendre que l’abrogation de la disposition réglementaire

sans modification aucune de la loi pénale, ne peut entraîner l’application du principe de la

rétroactivité in mitius.

Pourtant les juridictions du fond ne paraissent pas convaincues de la position de la

chambre criminelle, puisque de nombreuses décisions de cours d’appel ont considéré que

l’application immédiate doit aujourd’hui s’appliquer à tout texte réglementaire sans distinction.

Les premiers arrêts de contestation sont ceux de la neuvième chambre de la Cour d’appel

de Paris le 13 juillet 1990 (trois rendus le même jour)42. Prenant le contre-pied de l’arrêt Delfolie

rendu un mois plus tôt, la Cour d’appel de Paris énonce : « la réglementation [abrogée et sur

laquelle se fonde la poursuite] définissait en fait les éléments constitutifs de l’infraction qu’elle

prévoyait en détaillant notamment les interdictions, obligations et conditions relatives aux

opérations financières avec l’étranger […] dès lors […] ladite réglementation, support nécessaire

des incriminations, […] au regard du principe de la rétroactivité in mitius et de l’application du

traité du 19 décembre 1966 – relatif aux droits civils et politiques - est équipollente par sa portée

à une disposition législative ».

De nombreuses juridictions de province ont suivi la position de la Cour d’appel de Paris :

ainsi, le Tribunal correctionnel de Strasbourg, le 19 octobre 199043, considère que l’abrogation

de la réglementation rend sans fondement l’action pénale et l’action fiscale, mais surtout, ajoute

que la construction de la Cour de cassation (qui institue un double régime selon que l’abrogation

concerne une loi ou un règlement) est « artificielle ».

Les Cours d’appel de Reims (7 décembre 1990, Gaz. Pal. 20-21 mars 1991) et de

Toulouse (7 février 1991, Gaz. Pal. 5-7 mai 1991) ont également suivi la position de la Cour

d’appel de Paris en matière d’abrogation du contrôle des changes.

42 Gaz. Pal. 17-18 octobre 1990 : « Contrôle des changes : la Cour d’appel de Paris tourne la page », Jean-PierreMarchi et Jean Pannier.43 Gaz. Pal. 15 janvier 1991, jurisprudence p 53.

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30

En outre une série de cinq arrêts rendus par la neuvième chambre de la Cour d’appel de

Paris le 5 décembre 199044 fixe le point de contestation des juridictions du fond : « Constitue une

disposition réputée plus douce et, par suite, d’application immédiate un texte réglementaire

abrogeant celui servant de base aux faits poursuivis […], et ne comportant plus aucune

incrimination de ceux-ci. Considérant que l’abrogation de la réglementation qui constituait le

support nécessaire de l’incrimination des faits poursuivis […] retire à ces faits leur caractère

punissable tant en ce qui concerne l’action publique que l’action tendant à l’application des

sanctions fiscales ».

Selon Ms Pradel et Varinard, « cette résistance des juridictions du fond paraît avoir

conduit la chambre criminelle à de nouvelles concessions à la règle de la rétroactivité in

mitius »45. Sans doute cette contestation a-t-elle également conduit la chambre criminelle à

adopter une position différente concernant les réglements d’origine communautaire.

B- Un régime juridique similaire pour les lois et les règlements

communautaires.

Au début des années quatre-vingt dix, la Cour de cassation nuance sa position à propos de

textes d’origine communautaire.

Antérieurement, elle assimilait les règlements d’origine communautaire aux règlements

internes. La chambre criminelle affirme ainsi dans un arrêt du 23 novembre 1973 (Bull. crim. n°

435) « qu’il est de principe que les textes réglementaires en matière économique ou fiscale ne

rétroagissent pas à moins de dispositions contraires formellement exprimées. Les règlements pris

par la Communauté économique n’échappent pas au principe de non rétroactivité ».

Dans deux arrêts, la chambre criminelle a assimilé à une loi plus douce, l’adhésion de

nouveaux pays à la Communauté européenne, qui fait disparaître les infractions pénales

supposant qu’ils soient considérés comme des Etats tiers (Crim. 8 mars 1993 pour l’Espagne :

44 Gaz. Pal. 13-14 mars 1991, jurisprudence p 147 ; Gaz. Pal. 14 mars 1991 : « Contrôle des changes : la Cour d’appel de Paris persiste et signe », Jean-Pierre Marchi et Jean Pannier.45 Ainsi dans plusieurs arrêts rendus en matière d’infractions à la législation sur les avoirs à l’étranger, la Cour a affirmé un principe général aux termes duquel : « les dispositions des lois ou règlements, même non expressément abrogées, cessent d’être applicables dans la mesure où elles sont inconciliables avec celle d’une loi nouvelle » (Crim. 21 mai 1992, bull. crim. n° 203, JCP 1993.II.21985 ; Crim. 22 juin 1992, bull. crim. n° 247, JCP.IV.2806 ; Crim. 12 juin 1995, bull. crim. n° 213).

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31

bull. crim. n° 102 ; JCP, 1994, II.22223 et Crim. 22 janvier 1997 pour le Portugal : Dr. Pénal,

1997, comm. n° 66).

Cette jurisprudence est réitérée par un arrêt du 12 décembre 1996 (Bull. crim. n° 466 ;

Dr. Pénal, 1997, comm. n° 80), avec une précision supplémentaire. En l’espèce, le texte législatif

d’incrimination n’avait pas changé (Code des douanes), mais les règlements communautaires

délimitant les pays concernés par ces textes avaient été modifiés dans un sens plus libéral,

puisque les échanges entre l’Union européenne et le Japon sont « décontingentés ». Cette

libéralisation s’était produite après le déclenchement de poursuites visant un importateur qui

avait tenté d’échapper au contingentement en maquillant l’origine des marchandises.

L’administration des douanes soutenait, en application des jurisprudences Delfolie et Brégent,

que l’abrogation du règlement, laissant subsister le support légal de l’incrimination, ne

paralyserait pas les poursuites. Or, la Cour de Cassation répond fermement qu’il ne saurait être

question de soumettre au même régime un règlement communautaire et un règlement interne. Le

professeur Dekeuwer approuve cette décision car d’après lui, « le règlement communautaire

ayant une valeur supra-législative, il n’est pas possible de considérer qu’il met en œuvre une loi

pénale interne. C’est au contraire la loi française qui se trouve modelée, voire implicitement

abrogée par les règlements communautaires. L’arrêt du 12 décembre 1996 met donc

explicitement fin à une véritable méconnaissance de la hiérarchie des normes »46. Cependant

cette jurisprudence laisse subsister un doute : d’après le professeur Dekeuwer, « reste la question

des règlements internes ». En effet, en affirmant que le règlement communautaire n’est pas

assujetti au même régime que le règlement interne, la Cour laisse évidemment supposer qu’un

règlement interne rendu dans les mêmes circonstances n’aurait pas bénéficié de la rétroactivité in

mitius.

Dans un arrêt du 29 mars 2000 (bull. crim. n° 147), la chambre criminelle a étendu sa

solution concernant les règlements communautaires aux dispositions plus favorables résultant de

la « décision d’un organe crée par une convention conclue entre la Communauté européenne et

un Etat tiers », assimilant une telle décision à une loi pour l’application du principe de

rétroactivité in mitius.

La question posée par le professeur Dekeuwer reste donc partiellement sans réponse,

puisque la chambre criminelle n’a pas eu depuis, l’occasion de se prononcer sur la question de la

46 « La rétroactivité in mitius en droit pénal : un principe encore et toujours contesté », Alain Dekeuwer, JCP G, 1997.4065.

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rétroactivité in mitius des règlements économiques, sauf en matière de marchés publics, ce qui

nous intéresse particulièrement. L’étude menée dans la Partie II sera donc l’occasion de vérifier

que la jurisprudence adopte toujours la même solution en la matière.

Auparavant, il convient de s’intéresser aux dispositions réglementaires sanctionnées

pénalement au titre du délit de favoritisme, les modifications du Code des marchés publics dans

un sens plus doux pour l’acheteur public étant un préalable nécessaire à l’application de la

rétroactivité in mitius.

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Titre II - Les dispositions du Code des marchés publics sanctionnées pénalement : étude d’une évolution.

Les modifications de la législation des marchés publics se sont succédées depuis le

premier Code de 1964 et les différentes réformes se sont parfois traduites par l’adoption de

dispositions moins contraignantes pour l’acheteur public. L’étude détaillée des dispositions

réglementaires sanctionnées au titre de l’article 432-14 CP va se faire de façon chronologique

afin de mieux comprendre dans quelle mesure celles-ci peuvent être considérées comme plus

douces. Il s’agit d’étudier premièrement l’évolution du Code des marchés publics de 1964

jusqu’à la réforme de 2001 (Chapitre I), puis de 2001 jusqu’à la version la plus récente du Code

en 2006 (Chapitre II).

Chapitre I - Les dispositions réglementaires plus douces du Code de 1964 au Code de 2001.

Il convient de déterminer quelles dispositions du Code des marchés publics pourraient

potentiellement être considérées comme plus douces (§1), puis d’étudier en quoi le relèvement

des seuils lors de l’entrée en vigueur du Code de 2001 constitue justement une mesure plus

douce (§2).

§1- La détermination des dispositions réglementaires plus douces.

La détermination des dispositions réglementaires plus douces nécessite deux étapes

préalables : il faut premièrement connaître les dispositions susceptibles de constituer des mesures

plus douces pour la personne responsable du marché (A) et étudier ensuite les dispositions de

l’ancien Code des marchés publics de 1964 afin de comprendre en quoi les réformes suivantes

ont constitué un adoucissement (B).

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A- Les dispositions réglementaires plus douces : essai de théorisation.

L’article incriminant le délit de favoritisme obéit au schéma des dispositions pénales

économiques décrites dans le Titre I. Il renvoie aux « dispositions législatives ou réglementaires

ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics

et les délégations de service public ». Comme il a été mentionné dans l’introduction, la plupart

des règles ayant pour but de garantir cette liberté d’accès et d’égalité entre les candidats se

trouve dans le Code des marchés publics.

Parmi celles-ci, nombreuses sont celles qui ne peuvent être concernées par un

« assouplissement ». Quelque soient les modifications apportées au Code des marchés publics, le

traitement inégalitaire d’une offre par rapport aux offres concurrentes (Crim. 23 mai 2002,

pourvoi n° 01-85715), la divulgation d’informations privilégiées à une entreprise (Crim. 10 mars

2004, pourvoi n° 02-85285), la remise préférentielle à certains candidats de documents utiles à

l’élaboration de l’offre (Crim, 12 juin 2003, pourvoi n° 02-81122), la définition des besoins en

faveur d’une entreprise particulière (Crim. 30 juin 200447, pourvoi n° 03-86287)… seront

toujours constitutifs d’actes contraires aux dispositions réglementaires ayant pour objet de

garantir l’accès et l’égalité des candidats.

En revanche lorsque certaines dispositions modifiées, il est possible de dire qu’elles ont

un effet plus doux pour les personnes responsables du marché. L’observation de la jurisprudence

est utile dans cette recherche. La chambre criminelle a souvent eu l’occasion de condamner

l’acheteur public pour délit de favoritisme en raison d’un fractionnement artificiel d’un marché

(Crim. 13 décembre 2000, bull. crim. n° 374 ; Crim. 7 avril 2004, pourvoi n° 03-85698 ; Crim.

11 décembre 2002, pourvoi n° 02-80699 ; Crim. 28 janvier 2004, bull. crim. n° 23). Cette

pratique, appelée également « saucissonnage » du marché, consiste à diviser le marché en

plusieurs commandes afin de faire descendre les seuils pécuniaires et éviter les procédures

lourdes de mises en concurrence imposées par le Code des marchés publics. Cela donne

l’impression de respecter les seuils des procédures de passation, alors que le but de la personne

publique est d’échapper à la procédure de passation à laquelle il devrait se soumettre. De même,

l’absence de mise en concurrence alors que selon le montant du marché, celle-ci était obligatoire

(Crim. 20 novembre 2002) ou la diminution frauduleuse du montant d’un marché pour se trouver

47 Il s’agit par exemple d’établir les documents de consultation, et notamment les clauses techniques, « sur-mesure » pour l’entreprise qu’on entend favoriser. En l’espèce, la Cour a jugé que l’insertion dans un cahier des charges de clauses techniques particulières ne pouvant être satisfaites que par une seule entreprise constitue un avantage injustifié pour cette dernière, rompant l’égalité avec les autres entreprises.

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sous les seuils de mise en concurrence (Crim. 7 mai 2002, pourvoi n° 01-86337) sont

sanctionnées au titre du délit de favoritisme.

Cette analyse jurisprudentielle permet de considérer comme mesures plus douces pour

l’acheteur public des dispositions nouvelles modifiant les seuils de passation des procédures

imposés par le Code des marchés publics. Ces seuils de passation des procédures peuvent en

effet varier tel un curseur sur l’échelle de montant des marchés publics et leur relèvement

notamment, est susceptible de constituer une mesure plus douce. Tel est le cas lorsqu’une

personne n’a pas respecté, au vu du montant du marché, la procédure de passation imposée par le

CMP, tandis qu’un relèvement des seuils rend désormais cette procédure obligatoire mais pour

un marché d’un montant supérieur.

Ce genre d’hypothèse se rencontre fréquemment suite aux réformes successives du Code

des marchés publics. Qu’il s’agisse du relèvement des seuils de procédure de passation (seuil à

partir duquel le Code impose l’utilisation d’une procédure particulière qui imprime une

« identité » au marché public : marché passé sans formalité préalable, marché passé selon la

procédure de mise en concurrence simplifiée, marché passé sous appel d’offres…) ou du

relèvement des seuils de publicité, il est possible de « découvrir » des mesures plus douces pour

l’acheteur public tout au long de l’évolution du CMP.

Cela nécessite cependant d’établir un « point de départ » à cette évolution : les

dispositions du Code des marchés publics de 1964.

B- Les dispositions réglementaires de 1964 : point de départ de l’évolution du

CMP.

Sous l’empire du Code des marchés publics de 1964 et selon l’article 83, les marchés sont

passés « soit sur adjudication, soit sur appel d’offres, soit dans les conditions prévues aux articles

103 et 104, à la suite d’une procédure négociée ». Jusqu’en 1956, pour les marchés de l’Etat et

1976 pour les marchés passés par les collectivités territoriales, la procédure d’adjudication est la

seule procédure de droit commun. A partir de ces dates, le même statut est attribué à l’appel

d’offre.

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L’adjudication est comme l’appel d’offres, une procédure formaliste de mise en

concurrence. Elle s’en distingue cependant par l’attribution automatique du marché à l’entreprise

la moins disante, c'est-à-dire celle qui présente l’offre la plus basse.

La rédaction de l’article 83 ne donne cependant qu’une vision partielle et réductrice des

différents marchés prévus par le Code des marchés publics de l’époque. Il ne mentionne pas la

procédure d’exception réservée aux commandes de faible montant, qui dispense les collectivités

locales (article 321) et l’Etat (article 123) de conclure des marchés. Il s’agit des « achats sur

facture » et « travaux sur mémoire » dont le montant est inférieur à 300 000 francs, et pour

lesquels l’Etat ou la collectivité locale peut conclure une commande sans marché écrit,

échappant ainsi aux dispositions régissant les procédures de passation des marchés. Un premier

relèvement de ce seuil est intervenu par décret n° 90-553 du 3 juillet 1990 puisque jusqu’alors, le

seuil limite de passation des « achats sur facture » et « travaux sur mémoire » était de 180 000

francs.

Concernant la procédure négociée, l’article 103 du CMP disposait que : « la procédure est

dite négociée lorsque la personne responsable du marché engage librement les discussions qui lui

paraissent utiles avec les candidats de son choix et attribue le marché au candidat qu’elle a

retenu. Il ne peut être passé de marchés négociés que dans les cas limitativement énumérés à

l’article 104 ». Ceux-ci pouvaient être passés en la forme négociée : précédés d’une mise en

concurrence (article 104-I) ou bien sans mise en concurrence préalable (article 104-II). Parmi les

marchés négociés précédés d’une mise en concurrence, il était possible de distinguer les marchés

passés selon cette procédure sans limitation de montant et les marchés dont la valeur n’excédait

pas 700 000 francs.

S’agissant de ces marchés, un relèvement du seuil de passation est également à noter.

Outre, qu’un décret en date du 15 décembre 1992 avait étendu à l’Etat la possibilité, jusque là

réservée aux collectivités locales, de passer des marchés négociés, il avait également porté le

seuil de passation de ces marchés de 350 000 à 700 000 francs. La réforme du CMP en 2001

offre cependant des exemples de relèvement de seuils de plus grande ampleur, qui ont été

l’occasion de porter devant les tribunaux la question de l’application de la rétroactivité in mitius

au délit de favoritisme.

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§2- Le relèvement des seuils opérés par le Code de 2001.

Le relèvement des seuils concerne non seulement le seuil de passation des marchés (A)

mais également le seuil de publication des marchés (B).

A- Le relèvement des seuils de passation des marchés.

Les relèvements des seuils des procédures de passation lors de la réforme de 2001 sont

très importants et bouleversent les conditions de passation des marchés, particulièrement ceux

« passés sans formalités préalables ». La dernière phrase de l’article 26 dispose désormais : « les

marchés peuvent aussi être passés sans formalités préalables dans les cas prévus aux articles 28 à

3148 ». De tels marchés ne sont soumis à aucune formalité, c'est-à-dire à aucune procédure

imposée par le Code de publicité et mise en concurrence. Le dictionnaire Larousse définit

d’ailleurs le terme de « formalité » par une « opération obligatoire pour la validité de certains

actes juridiques ». En l’espèce, la validité des marchés sans formalités préalables ne dépend donc

pas d’obligations qui s’imposent lors de leur passation.

L’article 28 opère un relèvement des seuils, puisque désormais, les marchés publics

peuvent être passés sans formalités préalables lorsque le seuil de 90 000 euros n’est pas dépassé.

Le plafond – porté de 300 000 francs à 90 000 euros (environ 706 000 francs) – est plus que

doublé pour les marchés pouvant être passés sans publicité, ni mise en concurrence, comme

l’étaient les anciens travaux sur mémoire et achats sur facture. C’est à cette occasion de

relèvement des seuils pour les marchés passés sans formalités préalables que la question de

l’application de la rétroactivité in mitius s’est pour la première fois posée en jurisprudence49.

Ce relèvement des seuils constitue une mesure plus douce, ce qui est relativement simple

à établir : soit un marché passé sans publicité et mise en concurrence avant la réforme de 2001,

tandis que son montant dépasse 300 000 francs (tout en étant inférieur au nouveau seuil de

90 000 euros) ; la personne responsable du marché non encore jugée définitivement après

l’entrée en vigueur des nouvelles mesures, peut soutenir que le nouveau seuil ne lui aurait

48 L’article 31 est une nouveauté en 2001. Inchangé en 2004, il concerne les marchés dits « artistiques » : « les conditions dans lesquelles sont passées les marchés ayant pour objet des réalisations exécutées en application de dispositions législatives ou réglementaires relatives à l’obligation de décoration des constructions publiques sont précisées par décret ». L’article 30 énumère certains marchés ayant une certaine dimension sociale : services juridiques, services sociaux et sanitaires, services récréatifs, culturels, sportifs, d’éducation. 49 Cf infra §1, p 51.

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imposé aucune procédure (contrairement à la procédure de marché négocié pour un marché

compris entre 300 000 et 700 000 francs ou la procédure d’appel d’offre pour un marché compris

entre 700 000 francs et 90 000 euros) et que le nouvel article 28 constitue par conséquent une

disposition plus douce50.

Conséquemment à ce relèvement du seuil de passation des marchés sans formalités

préalables, les autres seuils de passation des marchés publics ont été relevés :

- les anciens marchés négociés, dont le montant devait être inférieur à 700 000 francs, ont

été remplacés par les marchés passés selon la « procédure de mise en concurrence simplifiée ».

Dans ce cas encore, le relèvement du seuil est considérable puisque ces marchés peuvent être

passés selon la procédure simplifiée jusqu’à 130 000 euros pour l’Etat et 200 000 euros pour les

collectivités territoriales. S’agit-il cependant d’un relèvement de seuil pouvant être considéré

comme une mesure plus douce ? La situation est plus complexe ici, car le relèvement du seuil

n’entraîne pas l’application d’une procédure sans formalités préalables, nécessairement plus

légère que n’importe quelle autre procédure. Le relèvement du seuil concerne la procédure de

mise en concurrence simplifiée, qu’il s’agit alors de comparer avec la procédure d’appel d’offre

obligatoire au-delà de 700 000 francs sous l’empire du Code de 1964.

En fait de « procédure simplifiée », cette nouvelle procédure est plutôt compliquée et

n’est finalement pas beaucoup plus simple que la procédure d’appel d’offres. Bien que des

négociations puissent être engagées avec les différents candidats retenus, ce qui n’est pas

possible pour l’appel d’offres, la nouvelle procédure de mise en concurrence simplifiée exige

toujours le recours à la commission d’appel d’offres51. Le caractère plus simple de la procédure

de mise en concurrence simplifiée réside dans le respect du délai entre l’appel public à la

concurrence et la réception des offres des candidats. S’agissant de l’appel d’offres, le Code de

1964 disposait que ce délai devait être au moins de trente-six jours pour un appel d’offres ouvert

et de vingt et un jours pour les appels d’offres restreint. La procédure de mise en concurrence

simplifiée prévoit un délai obligatoire de seulement vingt jours (article 57 du Code de 2001).

50 Par comparaison, l’article 26 renvoie à l’article 29 comme marché passé sans formalité préalable. La nouvelle rédaction de cet article constitue en revanche une mesure plus sévère. Il dispose « qu’en deçà du seuil de 130 000 euros pour l’Etat et de 200 000 euros pour les collectivités locales, les marchés publics peuvent être passés sans formalités préalables pour les achats […] de denrées alimentaires périssables sur les foires ou marchés ou lieux deproduction ». Dans l’ancien Code des marchés publics (article 178-ter), ces marchés pouvaient être passés sans limitation de montant. Le plafonnement de cette mesure spécifique au seuil de l’appel d’offres pour les denrées alimentaires périssables est nouveau et constitue désormais une contrainte pour la personne responsable du marché qui sera obligée de recourir à l’appel d’offres au-delà des seuils prévus. 51 L’article 57 du Code de 2001 dispose que pour les marchés de l’Etat, la commission d’appel d’offres donne un avis à la personne responsable du marché et que s’agissant des marchés des collectivités territoriales, celle-ci attribue le marché.

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39

Aussi dans l’hypothèse où une personne publique aurait passé un appel d’offres sans respecter le

délai de trente-six jours (ou de vingt et un jours), il lui serait possible d’invoquer le nouveau

délai de la mise en concurrence simplifiée sous réserve qu’il ait tout de même respecté le délai de

vingt jours. Il est donc possible de qualifier également cette disposition nouvelle de plus douce.

- s’agissant des marchés passés selon la procédure de l’appel d’offre, les seuils subissent

également un relèvement. Cette procédure devient obligatoire à partir de 130 000 euros pour les

marchés passés par l’Etat et 200 000 euros pour les marchés passés par les collectivités

territoriales alors qu’elle l’était auparavant à partir de 700 000 francs, plafond des marchés

négociés.

Outre le relèvement des seuils de passation des marchés publics, le relèvement des seuils

peut aussi concerner les conditions particulières de publicité imposées par le Code des marchés

publics, à savoir la publication.

B- Le relèvement des seuils de publication.

Jusqu’à la réforme de 2001, la publicité nécessite dans tous les cas une publication selon

les dispositions du Code des marchés publics.

L’article 40 qui règle les conditions de publicité et auquel les articles 57, 58 et 61

renvoient respectivement pour la mise en concurrence simplifiée et pour l’appel d’offres (ouvert

et restreint)52, dispose que : « les marchés publics sont précédés d’un avis d’appel public à la

concurrence sous réserve des exceptions prévues pour les marchés sans formalités préalables et

pour les marchés négociés passés sans publicité préalable […]. Les avis d’appel public à la

concurrence sont insérés dans le Bulletin officiel des annonces des marchés publics ou dans une

publication habilitée à recevoir des annonces légales ». Aussi à partir de 90 000 euros, la

publicité est assurée par une publication dans un journal. L’article 40 ajoute « qu’au-delà du

seuil de 130 000 euros pour les marchés de l’Etat et de 200 000 euros pour les marchés des

collectivités territoriales, l’avis est obligatoirement publié au Bulletin officiel des annonces des

marchés publics ». En d’autres termes, lorsque le seuil atteint impose qu’il soit recouru à la

procédure de l’appel d’offres, la publication dans le BOAMP devient obligatoire.

Enfin précise l’article 40 : « au-delà du seuil de 130 000 euros pour les marchés de

fournitures et de services de l’Etat, de 200 000 euros pour les mêmes marchés des collectivités

52 La rédaction est identique pour les articles 57,58 et 61 : « Il est procédé à l’envoi d’un avis d’appel public à la concurrence dans les conditions prévues à l’article 40 ».

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40

territoriales et de 5 000 000 euros pour les marchés de travaux, l’avis est en outre publié au

Journal officiel des Communautés européennes ».

Par rapport à l’ancien Code des marchés publics, l’augmentation des seuils de passation

des marchés publics a entraîné conséquemment une augmentation du seuil de publication,

puisque ces seuils sont identiques. Le montant de 90 000 euros correspond au seuil transitoire

entre marché passé sans formalités préalables et marché passé selon la procédure simplifiée,

mais aussi au seuil de publication d’un avis d’appel à la concurrence, ce que l’on déduit de

l’article 40.

Le relèvement du seuil de publication est notable. Sous l’empire du Code de 1964,

l’article 38 disposait « que les marchés publics sont précédés d’un avis d’appel public à la

concurrence sous réserve des exceptions prévues à l’article 104 [c'est-à-dire les marchés

négociés sans mise en concurrence préalable] », mais aussi que « les avis d’appel public à la

concurrence sont insérés dans le Bulletin officiel des annonces des marchés publics ou dans une

publication habilitée à recevoir des annonces légales ». L’article 38 aurait dû également

mentionner comme exception à la publication d’un avis d’appel public à la concurrence, les

articles 123 et 321 concernant les achats sur facture et travaux sur mémoire.

La formule « les avis d’appel public à la concurrence sont insérés dans le Bulletin

officiel des annonces des marchés publics ou dans une publication habilitée à recevoir des

annonces légales » est reprise dans son entier par le Code de 2001. La publication qui était donc

obligatoire à partir de 300 000 francs, seuil à partir duquel les achats sur facture ou travaux sur

mémoire étaient interdits, le devient à partir de 90 000 euros.

De même, le seuil à partir duquel la publication devient obligatoire au BOAMP est

relevé. L’article 38 de l’ancien Code des marchés publics mentionnait : « lorsque le montant

estimé du marché est supérieur à un seuil fixé par un arrêté du ministre chargé de l’économie et

des finances, l’avis relatif à ce marché est publié dans le Bulletin officiel des annonces des

marchés publics ». Le montant à retenir jusqu’à la réforme du Code en 2001 est celui de 900 000

francs, fixé par l’arrêté du 9 février 1994 relatif aux seuils de publicité des marchés publics.

Selon l’article 40 du Code de 2001, ce seuil est de 130 000 euros pour les marchés de l’Etat et

200 000 euros pour les marchés des collectivités territoriales.

Ce relèvement des seuils est susceptible de constituer une mesure plus douce pour la

personne responsable du marché qui ne s’est pas conformée aux règles de publicité. En effet, si

un marché est passé sous l’empire de l’ancien Code au dessus du seuil de 300 000 francs sans

qu’un avis d’appel public à la concurrence n’ait été publié, la personne responsable du marché

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41

qui n’a pas été définitivement jugée avant l’entrée en vigueur du Code de 2001, pourra avancer

que le seuil de publication qui lui est désormais imposé est de 90 000 francs.

Ce raisonnement est également valable pour le seuil de publication obligatoire au

BOAMP : soit un marché passé sous l’empire de l’ancien Code au dessus du seuil de 900 000

francs sans que l’avis d’appel public ait été publié au BOAMP. Si la personne responsable du

marché n’a pas été définitivement jugée avant l’entrée en vigueur du Code de 2001, elle peut

invoquer cette mesure plus douce : le nouveau code impose en effet une publication au BOAMP

à partir du seuil de 130 000 euros ou 200 000 euros, selon que le marché est passé par l’Etat ou

une collectivité territoriale.

Suite à la publication du Code des marchés publics en 2001, deux nouvelles réformes ont

donné successivement naissance au Code des marchés publics de 2004, puis au nouveau Code

des marchés publics de 2006. Ces modifications législatives ont été de nouveau l’occasion de

« découvrir » des dispositions réglementaires plus douces.

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42

Chapitre II - Les dispositions réglementaires plus douces du Code de 2001 au nouveau Code des marchés publics de 2006.

De 2001 à 2006, deux étapes principales doivent être distinguées : l’adoption du Code des

marchés publics en 2004 (§1) puis le renouvellement constant des différents seuils jusqu’à

l’adoption du Code des marchés publics dans sa dernière version de 2006 (§2).

§1- Le relèvement des seuils dans le Code de 2004.

Comme pour le Code de 2001, le relèvement des seuils concerne le seuil de passation des

marchés (A), ainsi que le seuil de publication des marchés (B).

A- Le relèvement des seuils de passation des marchés.

A l’instar du décret du 7 mars 2001, le décret du 7 janvier 2004 procède à un relèvement

des seuils de passation des marchés. Certains s’étaient d’ailleurs prononcés sur les conséquences

d’un tel relèvement des seuils en terme pénal, soulignant l’amnistie dissimulée que pourrait a

priori constituer ce point de la réforme53. « Les instructions aboutiraient à des non-lieux, les

instances correctionnelles à des relaxes », selon Maître de Castelneau. Il est en effet possible de

déceler suite à cette réforme plusieurs mesures plus douces pour les acteurs de la commande

publique.

Selon l’article 28 dans sa rédaction issue du décret du 7 janvier 2004, « les marchés

passés selon la procédure adaptée sont des marchés passés selon des modalités de publicités et de

mise en concurrence déterminées par la personne responsable du marché en fonction de leur

objet et de leurs caractéristiques […]. Ils constituent les « marchés passés sans formalités

préalables » mentionnés aux articles 9, 10 et 11 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre

2001[…] ». L’article 28 modifié en disposant que les MAPA « constituent les marchés passés

sans formalités préalables », aurait tendance à tromper le lecteur non averti sur la législation des

marchés publics. La formule employée semble signifier que ces nouveaux marchés se substituent

aux anciens marchés passés sans formalités préalables. Or, la terminologie est trompeuse : en fait

53 Maître Antoine Alonso Garcia et Maître Amélie Mailliard, Nouveau Code des marchés publics : le risque d’amnistie, les Echos, Jeudi 10 juillet 2003, p 47.

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de « constituer » les marchés passés sans formalités préalables, les MAPA prennent seulement

leur place en terme de montant.

Comment en effet considérer que les MAPA sont des marchés sans formalités préalables

puisqu’ils doivent être passés « selon des modalités de publicité et de mise en concurrence

déterminées par la personne responsable du marché » ? Une lecture correcte du nouvel article 28

indique pourtant qu’il ne s’agit pas d’une maladresse rédactionnelle. Selon Maître Jean-Marc

Peyrical, « ces marchés sont appelés « sans formalités préalables », mais uniquement pour les

faire entrer dans la catégorie des marchés non soumis à l’obligation de transmission au préfet en

vertu de la loi du 11 décembre 2001 »54. Il s’agit donc là d’une simple commodité pour le

législateur, mais qualifier les MAPA de « marchés sans formalités préalables » n’est pas exact.

Afin d’éviter toute ambiguïté, le décret 2004-1298 du 26 novembre 2004 a d’ailleurs supprimé

cette phrase de l’article 28 assimilant les MAPA aux anciens marchés sans formalités préalables.

Pour les marchés de fournitures et de services, les seuils en dessous desquels la procédure

adaptée est possible sont de 150 000 euros pour l’Etat et de 230 000 euros pour les collectivités

territoriales. Pour les marchés de travaux de l’Etat ou des collectivités territoriales, le seuil en

dessous duquel la procédure adaptée est possible est de 230 000 euros. En outre, pour les

marchés passés par les opérateurs de réseaux, qu’il s’agisse de marchés de travaux, de services

ou de fournitures, la procédure adaptée est possible jusqu’à 400 000 euros.

Les nouveaux marchés passés selon la procédure adaptée, dit MAPA, remplacent à la fois

les marchés passés sans formalités préalables, mais aussi, bien que l’article 28 dans sa nouvelle

rédaction ne le mentionne pas, les marchés passés selon la procédure de mise en concurrence

simplifiée (qui s’intercalaient entre le plafond des marchés sans formalités préalables- 90 000

euros- et le seuil de l’appel d’offres obligatoire- 200 000 euros-). Il convient de noter que le seuil

de passation de la mise en concurrence simplifiée ne fait pas, comme la logique l’aurait voulu,

l’objet d’un relèvement, mais que cette procédure disparaît totalement (l’ancien article 32 du

Code de 2001 étant abrogé par le décret du 7 janvier 2004).

Le relèvement des seuils par rapport aux anciens marchés passés sans formalités

préalables est considérable puisqu’il passe de 90 000 euros à 150 000 euros pour les marchés de

fournitures et services de l’Etat, voire 230 000 euros pour les marchés de travaux de l’Etat et les

marchés de fournitures, services et travaux des collectivités territoriales. Le relèvement des

54 Jean-Marc Peyrical, « Les marchés sans formalités préalables », in Le nouveau droit des marchés publics, sous la direction de François Lichère, édition Hermès, collection « bibliothèque de droit », 2004.

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seuils concernant la procédure de mise en concurrence simplifiée est de moins grande ampleur,

mais tout de même notable : pour l’Etat, de 130 000 euros à 150 000 pour un marché de

fournitures ou services ou 230 000 euros pour un marché de travaux ; pour les collectivités

territoriales, de 200 000 à 230 000 euros aussi bien pour les marchés de travaux, fournitures ou

services.

La procédure adaptée se révèle beaucoup plus simple que les anciens marchés passés

selon la procédure simplifiée, ce qui en fait une mesure plus douce pour la personne responsable

du marché. Selon l’article 28 dans sa nouvelle rédaction issue du décret du 7 janvier 2004, « ces

marchés sont soumis aux seules règles prévues par le titre I, le titre II à l’exception du chapitre

V, le II de l’article 40 et l’article 79 du présent titre ainsi que les titres IV à VI ». En d’autres

termes, les marchés MAPA sont soumis aux principes fondamentaux des marchés publics, aux

dispositions générales du Code à l’exception du chapitre consacré aux documents constitutifs du

marché, aux titres consacrés à « l’exécution des marchés », aux « dispositions relatives au

contrôle », aux « dispositions diverses ». Le titre III, traitant de la passation des marchés, ne

concerne donc pas les marchés passés selon la procédure adaptée, ce qui signifie que la

procédure reste à la discrétion complète de la personne responsable du marché.

Nécessairement cette procédure est moins contraignante que les anciennes procédures de

mise en concurrence simplifiée et d’appel d’offres pour la personne publique. Aussi, un marché

passé au-dessus 90 000, 130 000 euros ou 200 000 euros (respectivement pour l’Etat et une

collectivité territoriale) qui aurait dû être soumis à la procédure de mise en concurrence

simplifiée ou de l’appel d’offres, entre dans le champ des MAPA, procédure plus simple, que la

personne publique poursuivie pour délit de favoritisme pourrait invoquer comme mesure plus

douce. Celle-ci se doit d’assurer une publicité et une mise en concurrence effective, mais aucune

autre formalité n’est obligatoire. Pour un marché passé sous l’empire du Code de 2001 et dont le

montant imposait une mise en concurrence simplifiée ou un appel d’offres, la méconnaissance

d’une règle de passation pourrait bénéficier de la rétroactivité in mitius, puisque la nouvelle

procédure MAPA pour un même montant n’impose pas cette règle de passation (prenons pour

exemple les négociations imposées par l’ancien article 32 du Code pour la mise en concurrence

simplifiée).

Le relèvement des seuils concerne également la publication de l’appel public à

concurrence.

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45

B- Le relèvement des seuils de publication.

Le Code de 2004 ne permet plus d’établir l’équation selon laquelle publicité correspond à

publication. Le relèvement des seuils de publication a bouleversé l’équilibre antérieur. Certains

auteurs ont même parlé de « découplage » entre seuil et publicité, car dans les anciennes versions

du Code, le dépassement d’un seuil entraînait l’obligation pour l’acheteur de publier un avis

d’appel à la concurrence. Mais depuis le Code de 2004, le seuil au-dessus duquel une publication

est imposée, 90 000 euros, ne correspond plus à aucun seuil de procédure de passation.

Sous l’empire du Code de 2001, le seuil de 90 000 euros imposait une publication dans

un journal d’annonces légales ou au BOAMP et la même règle s’applique après la réforme de

2004. L’article 40 nouveau dispose en effet : « pour les marchés de fournitures et de services

d’un montant compris entre 90 000 euros et 150 000 euros pour l’Etat et 230 000 euros pour les

collectivités territoriales, la personne publique est tenue de publier un avis d’appel public à la

concurrence soit dans le BOAMP, soit dans un journal d’annonces légales ». S’agissant des

marchés de travaux, la démarche est identique pour les marchés compris entre 90 000 et

5 900 000 d’euros. Or le seuil de 90 000 euros n’est plus un seuil de procédure de passation: en

dessous de 90 000 euros, les marchés sont passés selon la procédure adaptée qui requiert tout de

même de la personne responsable du marché une publicité selon les termes de l’article 28. C’est

la raison pour laquelle l’article 40-II du Code dispose pour les marchés inférieurs à 90 000 euros

: « la personne publique choisit librement les modalités de publicité adaptées au montant et à la

nature des travaux, des fournitures ou des services en cause ».

Concernant la publication obligatoire au BOAMP, il convient de noter un net relèvement

des seuils. Celle-ci était obligatoire à partir de 130 000 euros pour les marchés de l’Etat et

200 000 euros pour les marchés des collectivités territoriales. Au-delà des ces seuils pour les

marchés de fournitures et de services et au-delà de 5 000 000 euros pour les marchés de travaux,

l’avis devait en outre être publié au Journal officiel des Communautés européennes. Suite à la

réforme de 2004, l’article 40 du Code des marchés publics dispose : « pour les marchés de

fournitures et de services d’un montant supérieur à 150 000 euros pour l’Etat et 230 000 euros

pour les collectivités territoriales, et pour les marchés de travaux d’un montant supérieur à

5 900 000 euros, la personne publique est tenue de publier un avis d’appel public à la

concurrence dans le BOAMP et au Journal officiel de l’Union européenne ». Ce relèvement des

seuils peut s’analyser comme une mesure plus douce en faveur de l’acheteur public qui ne se

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46

serait pas conformé à la publication obligatoire au BOAMP sous l’empire du Code de 2001 pour

un marché compris nécessairement entre 130 000 et 150 000 euros, 200 000 et 230 000 euros ou

bien encore 5 000 000 et 5 900 000 euros.

Depuis la réforme de 2004, plusieurs modifications législatives opèrent un

renouvellement constant des seuils de passation des marchés.

§2- Le renouvellement constant des seuils depuis le Code de 2004.

Très peu de temps après l’adoption du Code des marchés publics de 2004, ce dernier a été

de nouveau modifié. Les seuils de passation des marchés ont été révisés, d’abord par un décret

du 26 novembre 2004 (A), puis par un décret du 30 décembre 2005 jusqu’à l’adoption du

nouveau Code des marchés publics par décret du 1er août 2006 (B). Ces modifications se sont

traduites par des dispositions plus douces pour l’acheteur public, mais également - ce qui est

nouveau - par des dispositions pouvant au contraire être considérées comme plus sévères.

A- L’adoption du décret du 26 novembre 2004, comme mesure plus douce.

Peu après la réforme issue du décret du 7 janvier 2004, le décret n° 2004-1298 du 26

novembre 200455 a modifié l’article 28 du Code des marchés publics, ajoutant un troisième

alinéa: « Toutefois, les marchés de travaux, fournitures et de services d’un montant inférieur à

4 000 euros peuvent être passés sans publicité ni mise en concurrence préalables».

Conséquemment, l’article 40 est ainsi rédigé :

« I- En dehors des exceptions prévues au troisième alinéa du I de l’article 28, à l’article

30 et aux II et III de l’article 35, tout marché d’un montant égal ou supérieur à 4 000 euros, doit

être précédé d’une publicité suffisante permettant une mise en concurrence effective, dans les

conditions ci-après définies.

II- Pour les marchés de fournitures, services et travaux d’un montant compris entre 4 000

et 90 000 euros, le pouvoir adjudicateur choisit librement les modalités de publicité adaptées en

55 JO, 30 novembre 2004, p 20310.

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fonction des caractéristiques du marché, notamment au montant et à la nature des travaux,

fournitures ou services en cause ».

Entre 0 et 4 000 euros, les marchés peuvent désormais être passés sans publicité, ni mise

en concurrence. Interviewé le 2 décembre 2004, Jérôme Grand d’Esnon, l’actuel directeur des

affaires juridiques du ministère de l’Economie et des Finances, affirmait : « la publicité et la

mise en concurrence ne sont pas obligatoirement nécessaires pour les besoins d’un petit montant

car l’on se trouve en effet dans le jargon européen de minimis, c'est-à-dire dans le cas de

montants insignifiants qui ne relèvent pas de la compétence européenne »56. Certains auteurs ont

émis des doutes sur la compatibilité de cette mesure avec le droit communautaire : « en adoptant

une telle disposition, la France avait manifestement manqué à ses obligations communautaires,

en violant le principe du « degré de publicité adéquat » applicable dès le premier euro, selon le

Traité UE et la jurisprudence CJCE (arrêt Bent Mousten Vestergaard du 3 décembre 2001, aff.

C-59/00 : BJCP n°24, septembre 2002) »57.

Pourtant la soustraction à toute obligation de publicité et de mise en concurrence pour les

marchés inférieurs à 4 000 euros a été maintenue dans le nouveau Code des marchés publics de

2006. Légèrement modifié, l’article 28 prévoit toujours : « le pouvoir adjudicateur peut décider

que le marché sera passé sans publicité ni mise en concurrence préalables si les circonstances le

justifient, ou si son montant estimé est inférieur à 4 000 euros […] ».

Concernant la question de la rétroactivité in mitius, cette nouvelle disposition est

intéressante, car elle peut être qualifiée de plus douce. Elle l’est d’autant plus qu’il ne s’agit pas

d’un relèvement de seuil, comme toutes les hypothèses déjà rencontrées, mais au contraire d’un

abaissement de seuil. Jusqu’au décret du 26 novembre 2004, pour les marchés inférieurs à

90 000 euros, « la personne publique choisit librement les modalités de publicité adaptées au

montant et à la nature des travaux, des fournitures ou des services en cause » (article 40-II CMP).

Désormais, pour les marchés inférieurs à 4 000 euros, aucune publicité n’est requise, ce qui est

nécessairement moins contraignant pour la personne publique. Celle-ci pourrait invoquer le

décret du 26 novembre 2004 comme une mesure plus douce à son encontre, dans l’hypothèse où

ayant passé un marché de moins de 4 000 euros sans se conformer à l’obligation de publicité de

56 Interview réalisée par achatpublic.com57 « Bilan de la jurisprudence de la Cour de cassation sur le délit de favoritisme depuis sa création », Jérome Michon, Petites affiches, 2 juin 2005, n° 109, p 4 et svtes. Voir également sur ce point les remarques de M. Dreyfus : « Marchés à procédure adaptée et délit de favoritisme. A propos de la circulaire du 22 février 2005 », JCP Administration et collectivités territoriales, mai 2005, p 757 et svtes.

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l’article 40-II, elle n’est pas définitivement jugée pour délit de favoritisme avant l’adoption de

cette disposition nouvelle.

En revanche, les autres modifications du Code de 2004 n’ont pas le même effet positif

pour l’acheteur public.

B- L’adoption du décret du 30 décembre 2005, comme mesure plus sévère.

Le décret n° 2005-1737 du 30 décembre 2005, entré en vigueur le 1er janvier 2006 a

modifié certains seuils de passation des marchés, mais dans un sens que l’on pourrait qualifier de

plus sévère pour la personne publique.

Les seuils de passation concernés sont ceux délimitant la procédure adaptée et la

procédure d’appel d’offres. Il convient de rappeler qu’en vertu de l’article 28 du CMP de 2004 :

« Pour les marchés de fournitures et de services, les seuils en dessous desquels la procédure

adaptée est possible sont de 150 000 euros pour l’Etat et de 230 000 euros pour les collectivités

territoriales. Pour les marchés de travaux de l’Etat ou des collectivités territoriales, le seuil en

dessous duquel la procédure adaptée est possible est de 230 000 euros».

Le 19 décembre 2005, la Commission européenne a adopté le règlement58 n° 2083/2005

modifiant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil en ce

qui concerne leurs seuils d’application en matière de procédures de passation des marchés. Les

seuils désormais adoptés étaient respectivement de 137 000 euros et 211 000 euros. En France,

un avant-projet de décret du 29 novembre 2005 portant code des marchés publics avait d’ailleurs

entrepris la transposition exacte de ces seuils.

Finalement, le décret du 30 décembre 2005 a repris ces nouveaux seuils communautaires

mais les a arrondis pour en faciliter l’application. Inchangés, ces seuils réapparaissent dans

l’article 26 du nouveau Code des marchés publics de 2006 : « Les marchés […] peuvent être

passés selon une procédure adaptée, dans les conditions définies par l’article 28, lorsque le

montant estimé du besoin est inférieur aux seuils suivants : 1° 135 000 euros pour les fournitures

et les services de l’Etat ; 2° 210 000 euros pour les fournitures et les services des collectivités

territoriales […] ; 5° 210 000 euros pour les travaux ».

58 JOUE n° L 333 du 20 décembre 2005, p 28.

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Il y a donc abaissement des seuils de passation des MAPA, ce qui ne peut, en aucun cas,

profiter à la personne publique. Posons comme hypothèse un marché d’un montant compris entre

135 000 et 150 000 euros ou entre 210 000 et 230 000 euros, passé sans que la procédure adaptée

ne soit respectée : si la personne responsable n’a pas été jugée définitivement avant l’adoption du

décret du 30 décembre 2005, il lui sera de toute façon inutile d’invoquer l’adoption de cette

disposition qui impose à partir de 135 000 (ou 211 000) euros la procédure d’appel d’offres.

La même réflexion doit être menée à propos des seuils de publication des marchés,

modifiés conséquemment par le décret du 30 décembre 2005. Antérieurement, pour les marchés

de fournitures et de services d’un montant compris entre 90 000 et 150 000 euros ou 230 000

euros pour les collectivités territoriales, la personne publique était tenue de publier un avis

d’appel à la concurrence soit dans le BOAMP, soit dans un journal habilité à recevoir des

annonces légales. Concernant les marchés de travaux compris entre 90 000 et 5 900 000 euros, la

même obligation était faite à la personne publique. En outre, la publication obligatoire au

BOAMP l’était pour les marchés de fournitures et de services au-delà de 150 000 euros pour

l’Etat et 230 000 euros pour les collectivités territoriales, et au-delà de 5 900 000 euros pour les

marchés de travaux.

Les obligations de publication restent inchangées dans le décret du 30 décembre 2005,

tandis que les seuils sont modifiés : le montant de 135 000 euros remplace celui de 150 000

euros ; le montant de 210 000 euros remplace celui de 230 000 euros et le montant de 5 270 000

euros remplace celui de 5 900 000 euros. Là encore, l’abaissement des seuils ne peut constituer

une mesure plus douce : ceci a au contraire pour conséquence de toujours imposer une

publication.

Les dispositions réglementaires du Code des marchés publics sont donc génératrices

d’obligations et sanctionnées pénalement au titre du délit de favoritisme. Comme nous l’avons

montré, ces dispositions ont fait l’objet de modifications, susceptibles de les rendre (à

l’exception du décret du 30 décembre 2005) plus douces pour la personne publique. Il s’agit à

présent d’étudier en détail l’application de la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme.

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50

Partie II - Rétroactivité in mitius et délit de favoritisme.

Il convient de constater que la chambre criminelle refuse d’appliquer la rétroactivité in

mitius au délit de favoritisme (Titre I). Cependant la question de l’application de la rétroactivité

in mitius au délit de favoritisme doit également être envisagée en terme « d’applicabilité ». En

effet, la rétroactivité in mitius étant subordonnée à l’existence de dispositions plus douces, elle

perd sa « raison d’être » si ces dernières font défaut (Titre II).

Titre I - Le refus par la jurisprudence d’appliquer la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme.

La chambre criminelle refuse l’application de la rétroactivité in mitius au délit de

favoritisme : il s’agit d’une position déjà ancienne et constante (Chapitre I), qui reste cependant

critiquable, au regard de la structure de l’article 432-14 CP (Chapitre II).

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51

Chapitre I - Une position jurisprudentielle traditionnelle.

La question posée par le professeur Dekeuwer59 trouve réponse dans la jurisprudence

récente rendue en matière de délit de favoritisme. Elle reste en effet identique à la décision

Delfolie : celle-ci « n’innove pas mais procède à une simple transposition des solutions dégagées

en matière de réglementation économique à la répression du délit de favoritisme », comme

l’affirme Olivier Cahn60 (§1). La position de la chambre criminelle demeure cependant isolée

parmi les instances qui ont également autorité pour se prononcer sur une telle question (§2).

§1- Une jurisprudence constante de la chambre criminelle.

Malgré l’hostilité marquée des juridictions du fond (A), la chambre criminelle a toujours

maintenu une position constante, refusant d’appliquer au délit de favoritisme la rétroactivité in

mitius (B).

A- Les tentatives des juridictions du fond d’appliquer la rétroactivité in mitius au

délit de favoritisme.

L’adoption d’un nouveau Code des marchés publics par décret du 7 mars 2001 a été

l’occasion pour la chambre criminelle de se prononcer sur l’application de la rétroactivité in

mitius à l’article 432-14 CP.

La question de droit à laquelle il lui a fallu répondre était la suivante : « le relèvement du

seuil des marchés sans formalités préalables dans le nouveau Code des marchés publics est-il

immédiatement applicable aux instances au cours ? »61. La réponse apportée le 8 novembre 2001

par la neuvième chambre B de la Cour d’appel de Paris – celle là même qui avait contesté en

1990 la position de la chambre criminelle sur la rétroactivité in mitius en matière d’infractions de

59 Cf supra B p 30.60 « Délit de favoritisme et marchés publics : pour en finir avec l’exception à la rétroactivité in mitius », Olivier Kahn, Contrats et marchés publics, décembre 2005, p 5 et svtes.61 Cf la chronique intitulée de cette façon : « Le relèvement du seuil des marchés sans formalités préalables dans le nouveau Code des marchés publics est-il immédiatement applicable aux instances au cours ? », Thierry Dal Farra, BJCP, novembre 2002, p 487.

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change - a été positive : elle jugea que le nouveau seuil de 90 000 euros (environ 706 000 F), en

deçà duquel les marchés peuvent être conclus sans formalités préalables, est applicable aux

affaires pénales en cours. La personne ayant conclu un marché supérieur au seuil de 300 000 F

alors en vigueur mais inférieur au seuil de 90 000 euros fixé postérieurement par le nouveau

Code des marchés publics a donc été relaxée.

Cette décision n’a pas été isolée et comme une vingtaine d’années auparavant, les

juridictions du fond ont marqué une réticence certaine à suivre la position de la chambre

criminelle.

Ainsi le 9 juillet 2003, la Cour d’appel de Bastia a infirmé le jugement ayant déclaré les

prévenus coupables de favoritisme et recel de ce délit : après avoir relevé que l'article 28 du

nouveau Code des marchés publics, résultant du décret du 7 mars 2001, a porté à 90 000 euros le

seuil en dessous duquel la mise en concurrence n'est pas obligatoire, la Cour d’appel énonce que

le marché litigieux étant d'un montant inférieur à ce nouveau seuil les infractions ne sont plus

pénalement punissables.

De même, suite à la condamnation du chef de délit de favoritisme prononcée à leur

encontre par le tribunal correctionnel de Strasbourg le 5 février 2002, les prévenus ont interjeté

appel. Par un arrêt en date du 24 juin 2003, la chambre des appels correctionnels de la Cour

d’appel de Colmar a infirmé partiellement le jugement et relaxé les prévenus, motifs pris que :

« l’intervention du décret n° 2001-210 du 7 mars 2001 modifiant le Code des marchés publics,

entré en vigueur le 8 septembre 2001, permet de retenir que les marchés publics peuvent, pour

l’avenir, être passés sans formalités préalables lorsque le seuil de 90 000 euros n’est pas

dépassé ; que cette modification essentielle supprime l’exigence, pour les marchés passés en

dessous du seuil, de respecter les règles de mise en concurrence des candidats aux marchés

publics de l’appel d’offres ; qu’en l’espèce, les dispositions nouvelles s’appliquent

indiscutablement au prévenu, s’agissant d’une disposition pénalement sanctionnée plus douce et

d’une instruction non définitivement jugée ; qu’ainsi on ne peut reprocher à X… d’acte contraire

aux dispositions de l’article 432-14 CP ».

La Cour d’appel de Colmar a réitéré son jugement, dans un arrêt du 29 octobre 2004

puisque pour confirmer la relaxe des prévenus, elle énonça que « l’élément légal de l’infraction a

disparu du fait de l’intervention de nouveaux règlements ayant élevé le seuil au-delà duquel la

mise en concurrence est obligatoire ».

Selon Maître Thierry Dal Farra (entretien du 7 février 2006, cabinet UGGC associés), la

résistance des juridictions du fond est moindre aujourd’hui, ces dernières étant plus

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« disciplinées ». La chambre criminelle s’est en effet toujours tenue à une position inchangée,

qui a sans doute découragé les velléités des juridictions à vouloir appliquer au délit de

favoritisme la rétroactivité in mitius.

B- La réponse ferme de la chambre criminelle.

Les arrêts précités des Cours d’appel de Colmar (24 juin 2003) et de Bastia (9 juillet

2003) ont été cassés respectivement par deux décisions du 7 avril 2004 (Bull. crim. n°93 et bull.

crim. n°92). La chambre criminelle a repris à l’identique sa solution adoptée dans un arrêt du 28

janvier 2004 (Bull. crim. n°23 ; JCP G, 2004.II.10084, p 964 ; JCP E, juin 2004, p 1057) : « dans

le cadre d’une action pour recel d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les

marchés publics, la Cour d’appel a écarté à bon droit l’application de l’article 28 du décret du 7

mars 2001, ayant relevé le seuil au-delà duquel la procédure d’appel d’offres est obligatoire, dès

lors, d’une part que les faits ont été commis antérieurement à l’entrée en vigueur de ce texte, et

d’autre part, que les dispositions législatives, support légal de l’incrimination, n’ont pas été

modifiés ».

Le fondement juridique retenu par la chambre criminelle pour ne pas appliquer la

rétroactivité in mitius en matière de délit de favoritisme est identique à celui sur lequel elle se

base en matière de réglementation économique : seule une modification des dispositions

législatives, élément légal de l’incrimination, peut entraîner l’application de la rétroactivité in

mitius.

Les cours d’appel dont les arrêts ont été cassés et la chambre criminelle ne partagent pas

sur ce point la même conception de l’élément légal de l’infraction.

Dans son arrêt du 8 novembre 2001, la Cour d’appel de Paris a justifié sa décision

ainsi : « la modification réglementaire qui vient d’être évoquée ne permet plus d’imputer à X…et

Y… un acte contraire aux dispositions réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté

d’accès ou l’égalité des candidats sur les marchés publics, tel que prévu à l’article 432-14 CP ;

considérant qu’il convient dans ses conditions, l’élément légal des poursuites faisant ainsi défaut,

de renvoyer les deux prévenus des fins de la poursuites ». Comme le souligne M. Dal Farra62,

« la Cour considère que les règles de la commande publique sont indivisibles de la définition du

62 Thierry Dal Farra, op. cit. novembre 2002.

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délit de favoritisme lui-même et constitue à ce titre l’élément légal de l’infraction ». La chambre

criminelle, au contraire, considère que le seul support légal du délit d’octroi d’avantages

injustifiés est l’article 432-14 CP lui-même : sa conception de l’élément légal du délit de

favoritisme est stricte et repose sur une analyse purement formelle des éléments de

l’incrimination.

La Cour de Cassation fait également référence au caractère non rétroactif du texte

réglementaire, en approuvant les juridictions d’appel qui s’appuient sur ce motif : « le prévenu

ne saurait se prévaloir de l’application à son cas des dispositions de l’article 28 du décret du 7

mars 2001 […] s’agissant d’un texte réglementaire n’ayant pas prévu d’effet rétroactif » (Crim.

28 janvier 2004).

L’arrêt rendu par la chambre criminelle le 26 janvier 2005 (n° pourvoi 04-82542 ;

Contrats et marchés publics, juillet-août 2005, p 9) approuve ainsi la Cour d’appel de Grenoble

(CA. 20 février 2004) d’avoir rejeté l’application rétroactive du décret du 7 mars 2001 « aux

motifs que ne peut être invoquée, pour établir l’inexistence de l’élément légal, l’application de la

rétroactivité in mitius […] ; qu’en effet, selon la jurisprudence constante, une telle rétroactivité,

n’est pas, à défaut de règle contraire expresse, applicable aux dispositions de circonstances, telles

que les règlements en matière économique ou fiscale, dès lors que le nouveau texte n’a pas pour

effet de retirer aux faits poursuivis leur caractère punissable; que tel est le cas en l’espèce dès

lors que le nouveau règlement allégué ne prévoit pas expressément le jeu de la rétroactivité in

mitius et que le fait que le seuil de 300 000 francs ait été porté à 90 000 euros n’a pas eu pour

effet de retirer aux faits poursuivis leur nature délictuelle».

Outre cet arrêt du 26 janvier 2005, la chambre criminelle a renouvelé plusieurs fois sa

position par une formule identique à celle du 7 avril 2004 (Crim. 30 juin 2004) ou par des

formules voisines, ayant la même signification (Crim. 19 mai 2004, bull.crim n° 131 : « attendu

que le demandeur ne saurait se prévaloir de l’application rétroactive de l’article 28 du nouveau

Code des marchés publics résultant du décret du 7 janvier 2004, modifiant les conditions de

passation des marchés, dès lors que la disposition législative, support légal de l’incrimination, est

demeurée inchangée » ; Crim. 1er juin 2005, non publié au bulletin : « mais attendu qu’en

prononçant ainsi, alors que l’article 432-14 du Code pénal, support légal de l’incrimination,

demeure en vigueur, la Cour d’appel a méconnu les textes susvisés »).

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Par cette solution constante, la chambre criminelle se conforme à la doctrine

administrative générale (circulaire du 14 mai 1993 précitée63) et particulièrement à une circulaire

envoyée par le Garde des Sceaux aux parquets en date du 4 mars 200264, concernant l’adoption

du nouveau Code des marchés publics du 7 mars 2001:

« b- l’absence de problème de droit transitoire.

Il ressort de ce qui précède, qu’en toute hypothèse, l’entrée en vigueur du nouveau Code

des marchés publics n’aura aucune incidence sur la survie juridique de la disposition législative

ou réglementaire du Code des marchés publics à laquelle les faits de favoritisme commis

antérieurement à l’entrée en vigueur de ce dernier porte atteinte.

Dès lors, et sous réserve de l’appréciation souveraine des juridictions du fond, sous le

contrôle de la Cour de Cassation, il semble que l’entrée en vigueur du nouveau Code des

marchés publics n’aura aucune conséquence sur les poursuites susceptibles d’être engagées pour

des faits de favoritisme commis antérieurement à cette entrée en vigueur, notamment dans des

cas où des formalités protectrices de l’égalité des candidats exigées par l’ancien Code des

marchés publics ne seraient plus exigées par le nouveau (hypothèse par exemple d’un marché

conclu sans formalités et compris entre 300 000F et 90 000 euros).

En effet, dès lors que l’infraction de favoritisme n’a pas été modifiée, la survie transitoire

des dispositions de l’ancien Code des marchés publics pour les marchés engagés antérieurement

à l’entrée en vigueur du nouveau code, ne fait naître aucune discontinuité de la norme pénale ».

En outre, une circulaire du 22 février 200565 rappelle que l’entrée en vigueur d’un

nouveau code aux seuils plus élevés que les précédents n’entraîne nullement l’application

rétroactive des nouveaux : « des décisions de classement sans suite ou des réquisitions de non

lieu ne sauraient donc être motivées par une application erronée du principe de rétroactivité in

mitius ». Précédemment, lors d’une séance de question au gouvernement, le Ministre de la

Justice avait affirmé clairement que « l’entrée en vigueur de la réforme du Code des marchés

63 « Contrairement à l’avant-projet de 1978, le nouveau Code pénal ne règle pas expressément le cas des textes temporaires et celui des règlements économiques, fiscaux ou douaniers. Les solutions dégagées par la jurisprudence dans ces hypothèses particulières conservent bien entendu toute leur valeur ». 64 Circulaire du 4 mars 2002, CRIM. 02.03.G3.04.03.02 – NOR : JUSD0230050C ; « Réforme du Code des marchés publics et effets d’amnistie », l’Actualité de la Commande et des Contrats publics, juin 2002, p 28 ; « Délit de favoritisme : survivance de l’ancien Code des marchés publics au nom de la continuité de la norme pénale », AJDA, 26 avril 2004, p 885.65 Circulaire CRIM.05-3/G3, p 10 ; JCP édition Administration et collectivités territoriales, mai 2005, p 757.

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publics ne saurait avoir pour effet de créer une amnistie de fait de nombreux délits de

favoritisme »66.

Pourtant cette « conformité » aux circulaires administratives ne saurait emporter une

adhésion totale à cette jurisprudence de la chambre criminelle, d’autant que si les circulaires

constituent une source d’inspiration pour le juge pénal (exprimant la doctrine officielle de

l’administration), une décision fondée sur un tel texte n’est pas à l’abri de toute censure (Cour

d’appel de Rouen, 5 mars 1969 et Paris, 30 octobre 1968, Gaz. Pal. 1969, 2, 242 ; Crim, 5 janvier

1988, bull. crim. n° 5 67).

Les oppositions à la jurisprudence de la chambre criminelle sont par ailleurs réellement

nombreuses.

66 Ministre de la Justice, QE n° 25220, JO Assemblée nationale, 17 août 2004, p 6484. 67 La chambre criminelle avait jugé qu’une cour d’appel […] ayant relaxé un prévenu sur le fondement d’une circulaire, contraire aux prescriptions d’un décret, devait être cassé.

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§2- Une jurisprudence face à certaines oppositions.

Si le refus d’appliquer la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme trouve un large

appui auprès de l’Administration, il n’en est pas de même auprès d’autres instances

administratives (A). De même, la position de la chambre criminelle est extrêmement isolée aussi

bien sur le plan jurisprudentiel que législatif (B).

A- Une jurisprudence à contre courant de la position de la MIEM.

La MIEM68 pourtant réputée pour ne pas faire preuve de complaisance vis-à-vis des

auteurs du délit de favoritisme, préconisait, dans son rapport de 200169, l’application de la

rétroactivité in mitius en cette matière.

Il ressortait de son rapport de 2001, que certains faits découverts n’avaient pas été

poursuivis au motif que la réglementation avait changé depuis.

Dans une première affaire, un établissement s’était livré à des opérations illégales de

fractionnement de marchés, le total des opérations dépassant le seuil des 300 000 F prévu par

l’article 321 du Code des marchés publics. La MIEM précise que « le nouveau Code des marchés

publics a prévu une augmentation des seuils permettant jusqu’à 90 000 euros de passer des

marchés sans formalités préalables, mais cette disposition qui a pour effet de diminuer les

exigences de l’article 432-14 CP et qui aurait permis […], d’appliquer le principes de la

rétroactivité des lois pénales plus douces est dans notre espèce sans effet, les prestations

irrégulièrement conclues se trouvant très largement au-dessus de ce nouveau seuil » (rapport

2001 ; cas pratique n°3 : achats sur simples factures).

68 Mission interministérielle d’enquête sur les marchés publics (et les délégations de service public) créée par la loi du 3 janvier 1991 est compétent pour « procéder à des enquêtes portant sur les conditions de régularité et d’impartialité dans lesquelles sont préparés, passés et exécutés les marchés et les conventions de délégation de service public de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics… ».

Sur le plan fonctionnel la MIEM ne peut pas, en principe s’autosaisir. Les enquêtes sont diligentées par le Premier ministre, le Ministre de l’économie et des finances, chaque ministre pour son département, les établissements publics et les SEM placés sous son autorité, la Cour des comptes, les préfets pour les marchés passés par les collectivités territoriales, les établissements publics et SEM locaux.

Les enquêtes de la MIEM donnent lieu à l’établissement de rapports et compte rendus d’audition qui sont transmis à l’autorité qui a diligenté l’enquête. La mission peut également transmettre son rapport au procureur, sur le fondement des dispositions de l’article 40-2 CPP, qui oblige tout fonctionnaire à signaler au Parquet les crimes et délits dont il a connaissance.

La MIEM établit chaque année un rapport dans lequel elle dresse le bilan de son action et propose les mesures propres à remédier ou à atténuer les manquements les plus graves aux règles applicables aux marchés publics.69 Rapport publié sur le site internet de la MIEM (http:www.finances.gouv.fr/mission_marches).

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Dans une seconde affaire, la MIEM précise : « les seuils permettant de déterminer la

procédure applicable et la publicité du projet de marché à effectuer, sont appréciés, selon le

montant estimé de l’opération, quand bien même celle-ci s’exécuterait en plusieurs marchés

successifs. En l’espèce, la maîtrise d’œuvre de l’opération étant estimé à 1,1 MF, une publicité

au BOAMP s’imposait même si le marché, ne représentant qu’une partie de l’opération, était

inférieure à 900 000F. Ce manquement est constitutif du délit de favoritisme. Toutefois, l’article

40-II du Code des marchés publics applicable pour les marchés lancés à compter du 9 septembre

2001 qui prévoit pour les collectivités territoriales que la publication au BOAMP n’est

obligatoire que pour les marchés dont le montant est supérieur à 200 000 euros, ne permettait pas

que soient sanctionnés pénalement les marchés irrégulièrement conclus avant son entrée en

vigueur, en vertu de la rétroactivité des lois pénales plus douces » (rapport 2001 ; cas pratique

n°4 : détermination des seuils- personnalités compétentes).

La jurisprudence de la chambre criminelle se trouve également en opposition avec son

environnement jurisprudentiel et législatif.

B- Une position à contre courant de son environnement jurisprudentiel et législatif.

Suite à la décision du Conseil constitutionnel conférant valeur constitutionnelle au

principe de la rétroactivité in mitius (DC, 19 et 20 janvier 1981), plusieurs commentateurs ont

souligné que le législateur devait tirer certaines conséquences et écarter l’application des

dispositions réglementaires qui dérogeraient au principe de la rétroactivité de la loi pénale plus

douce. Ainsi, le juge aurait-il dû - comme le lui permet l’article 111-5 du Code pénal70 qui a

consacré la jurisprudence Avranches et Desmarets du Tribunal des conflits du 5 juillet 1951 –

refuser l’application d’une disposition réglementaire qui écarte expressément la rétroactivité in

mitius. Ms. J.Pradel et A.Varinard ont souligné que « l’on doit d’abord remarquer que si un texte

réglementaire pris sur la base de l’article 37 de la Constitution prévoyait qu’il ne s’appliquera

pas aux affaires en cours, il devrait être écarté si le prévenu invoque son inconstitutionnalité.

Peut-on dès lors admettre que le juge institue de sa propre autorité une exception à une règle

70 Article 111-5 CP : « Les juridictions pénales sont compétentes pour interprêter les actes administratifs réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ».

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ayant valeur constitutionnelle ? […]. En restreignant le domaine de l’exception aux seuls textes

réglementaires économiques, la solution devenait-elle constitutionnellement acceptable ? »71.

Hasard du calendrier sans doute, la chambre criminelle a rendu un arrêt le 19 janvier

198172 (Bull. crim. n°25), dans la droite ligne de l’arrêt Von Saldern de 1970, affirmant : « à

moins de dispositions contraires formellement exprimées, les textes réglementaires de caractère

fiscal n’ont pas d’effet rétroactif et ne disposent que pour l’avenir ». Elle ne tira pas pour autant

les leçons de la jurisprudence constitutionnelle, puisqu’elle confirma sa position dans un arrêt du

1er juin 1981, Ouvry (Bull. crim. n°179). Une majorité de la doctrine conteste la réserve émise

par la chambre criminelle concernant la rétroactivité in mitius des réglements de nature

économique, arguant que le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce est un principe

général à lui seul qui ne devrait recevoir aucune dérogation.

C’est le législateur qui s’est finalement conformé à la jurisprudence du Conseil

constitutionnel, puisque l’avant-projet de Code pénal de 1978 approuvant la position de la

chambre criminelle73 a été abandonné et que l’article 112-1 alinéa 3 du nouveau Code pénal

consacre désormais le principe de rétroactivité in mitius. Certains auteurs ont justement souligné

que l’emploi par le législateur du terme général « dispositions nouvelles » impliquait

nécessairement que les règlements entrent dans le champ d’application de cet article. D’autant

que les articles 112-2, 112-3 et 112-4 du Code pénal emploient expressément le terme de

« lois », le législateur ayant volontairement souhaité limiter leur champ d’application.

Le refus par la chambre criminelle d’appliquer la rétroactivité in mitius au délit de

favoritisme se trouve actuellement en opposition avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel

et le nouveau Code pénal, mais également avec les règles du droit international.

En effet, le principe de rétroactivité in mitius a été largement consacré en droit

international. L’article 15-1 du Pacte des Nations Unies du 19 décembre 1966 (dit « Pacte de

New-York ») relatif aux droits civils et politiques dispose : « Si, postérieurement à cette

infraction, la loi prévoit l’application d’une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier ».

Ce texte intégré à l’ordre juridique français le 4 février 1981 lie alors le juge répressif

conformément aux dispositions de l’article 55 de la Constitution74. A ce titre, M. Huet75 soutient

71 Les grands arrêts du droit criminel, Jean Pradel et André Varinard, tome I « Les sources du droit pénal; l’Infraction », Dalloz, 2ème édition, 1997.72 Nous faisons référence à la décision rendue le même jour par le Conseil constitutionnel.73 Cf supra A p 2774 « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».

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une interprétation extensive de l’article 15-1 du Pacte de New-York, afin d’embrasser en son

intégralité le principe de la rétroactivité in mitius en droit français. Le terme de « loi » doit

s’entendre également des règlements, et la rétroactivité in mitius doit également être étendue à

l’hypothèse où une loi abroge une incrimination, puisque toute peine est ainsi supprimée. En

outre, l’article 15-1 ne faisant aucune distinction concernant l’objet de la loi, il doit être appliqué

même si le texte nouveau plus doux concerne une infraction économique, fiscale ou douanière.

M. Huet avait conclut : « les tribunaux répressifs français doivent reconnaître la primauté

internationale du principe de l’application immédiate d’une loi nouvelle plus douce quelle que

soit l’infraction visée par cette loi, s’agirait-il d’une infraction économique, puisque l’article 15-

1 du Pacte international ne fait à cet égard aucune distinction »76.

Nous considérons pour notre part que doivent également être soumises au principe de la

rétroactivité in mitius les dispositions qui rendent une incrimination plus douce en modifiant

certains éléments constitutifs de l’infraction. De fait, une telle loi ne rend pas la « peine plus

légère » comme le mentionne l’article 15-1 du Pacte international, mais sera encourue bien

moins souvent puisque le champ d’application de l’incrimination est réduit. C’est précisément le

cas des dispositions réglementaires du Code des marchés publics considérées comme plus

douces, qui impliquent souvent une réduction du champ d’application du délit de favoritisme,

comme nous l’avons montré dans la première partie de cet exposé.

La Cour européenne des droits de l’homme a également eu l’occasion de se prononcer sur

la rétroactivité in mitius, le texte de la Convention européenne des droits de l’homme ne

consacrant pas expressément ce principe. Dans un premier arrêt G. contre France, rendu le 27

septembre 1995, la Cour « constate que les faits reprochés au requérant tombent sous le coup de

la loi nouvelle. Partant du principe de l’application de la loi plus douce tant pour l’incrimination

que pour la répression, les juridictions nationales ont appliqué dans le domaine de la répression

l’article 333 du nouveau code pénal, qui correctionnalise l’infraction, autrefois de nature

criminelle. Son application, certes rétroactive, a donc été favorable au requérant. En conclusion,

il n’y a pas eu violation de l’article 7§1 ». Dans un autre arrêt Coëme et autres contre Belgique

du 22 juin 2000, la Cour a constaté que l’application rétroactive d’une loi pénale plus douce avait

été favorable au requérant et qu’elle était à ce titre conforme à la Convention.

75 « La rétroactivité in mitius des textes réglementaires en matière économique (dissonances sur une question simple) », André Huet, JCP G 1989.I.3378.76 « Une méconnaissance du droit international (à propos de la rétroactivité in mitius) », André Huet, JCP G 1987.I.3293.

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La jurisprudence communautaire s’est montrée plus explicite encore. La Cour de Justice

des Communautés européennes a intégré le principe de l’application immédiate de la loi plus

douce au rang des principes généraux du droit communautaire en le formulant en des termes

proches de ceux de l’article 15 du Pacte international : « le principe de l’application rétroactive

de la peine plus légère fait partie des principes généraux du droit communautaire que le juge

national doit respecter lorsqu’il applique le droit national adopté pour mettre en œuvre le droit

communautaire » (CJCE, 3 mai 2005, Berlusconi et autres, Gaz.Pal. 20-21 mai 2005).

La jurisprudence de la chambre criminelle n’est donc pas exempte de critiques. Elle l’est

d’autant plus que le raisonnement juridique suivi par la Cour est lui-même contestable.

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Chapitre II - Une position jurisprudentielle critiquable : l’analyse de l’article 432-14 du Code pénal.

Une analyse renouvelée de l’article 432-14 du Code pénal permet en plusieurs points de

remettre en cause le raisonnement de la chambre criminelle. Il conviendra premièrement

d’analyser le contexte qui entoure l’article 432-14 du CP (§1), puis de s’attacher à la structure de

cet article. Cette dernière permet de considérer que les « dispositions législatives et

réglementaires » font partie intégrante de l’élément légal de l’incrimination (§2).

§ 1- Le contexte particulier de l’article 432-14 CP.

Le contexte de l’article 432-14 CP s’entend aussi bien des raisons qui ont concouru à sa

rédaction (A), que de la jurisprudence abondante concernant cette infraction (B).

A- La raison d’être du délit de favoritisme.

L’emplacement de l’article 432-14 dans le corps du Code pénal est révélateur de

l’objectif de moralisation de la commande publique par le législateur de l’époque. Le délit de

favoritisme est intégré au Livre quatrième du Code pénal, intitulé « Des crimes et des délits

contre la Nation, l’Etat et la paix publique », en son Titre troisième relatif aux « atteintes à

l’autorité de l’Etat », Chapitre II, intitulé « atteintes à l’Administration publique commises par

des personnes exerçant une fonction publique », et enfin section III consacrée aux

« manquements au devoir de probité ». Au sein de cette section, sous le paragraphe quatrième

« des atteintes à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les

délégations de service public » se trouve l’article 432-14 CP. Prennent place dans cette section

auprès du délit de favoritisme, les infractions de concussion (article 432-10 CP), de corruption

passive et de trafic d’influence commises par des personnes exerçant une fonction publique

(article 432-11 CP), de la prise illégale d’intérêts (article 432-12 CP), de la soustraction et du

détournement de biens (article 432-15 CP).

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Toutes ces incriminations ont pour point commun de réprimer les comportements des

personnes publiques qui vont à l’encontre de ce que la société est en droit d’attendre des

membres de sa fonction publique, à savoir des personnes honnêtes, intègres, respectueuses des

règles de droit. Dès lors est-il possible de soutenir raisonnablement que le délit de favoritisme

ainsi que les « dispositions législatives et réglementaires » auxquelles il renvoie sont des textes

de nature « économique » ? Comme le soutien Olivier Cahn, dont nous partageons le point de

vue, « le caractère économique des décrets qui participent à la définition de l’incrimination n’est

qu’accessoire au regard du souci du législateur de préserver l’intégrité morale de l’action de

l’Administration »77.

Est-il juridiquement juste que la chambre criminelle approuve la référence des

juridictions du fond « aux dispositions de circonstances, telles que les réglements en matière

économique ou fiscale » (Crim, 26 janvier 2005, n° pourvoi 04-82542 ; Contrats et marchés

publics, juillet-août 2005, p 9), lorsqu’ est concerné le Code des marchés publics? La

jurisprudence particulière sur les règlements de nature économique (arrêt Von Saldern, 10

novembre 1970) est-elle applicable par analogie aux « dispositions réglementaires et

législatives » de l’article 432-14 CP, et par hypothèse de nature économique ? Rien n’est moins

sûr…

Le professeur Puech soulignait la difficulté de cerner la notion « économique » lorsque

« la réglementation économique se cache sous des aspects moraux »78. L’objectif de moralisation

de la commande publique voulu par le législateur peut s’analyser de la sorte, mais derrière cet

aspect de moralité se cache t-il réellement une réglementation économique, en d’autres termes,

les « dispositions législatives et réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et

l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public » peuvent-

elles s’analyser comme des dispositions de nature économique ?

Les chambres réunies de la Cour de cassation avaient déjà suggéré une définition de la

matière économique en visant « la production, la répartition, la consommation des biens et

l’utilisation des services » (Ch. réunies, 1er août 1949, D.1949.390, Gaz.Pal. 1949.2.166, JCP

1949.II.5033). Il semble qu’il y ait une conception extensive qui englobe les règles liées à l’ordre

public de direction et à l’ordre public de protection et une conception restrictive qui considère

que ce droit est d’essence dirigiste et doit donc être limité aux règles tendant à assurer la

politique économique de l’Etat. Le professeur Pradel limite quant à lui ce droit à celui « du

77 Olivier Kahn, op. cit. décembre 2005.78 Droit pénal général, Marc Puech, Litec, 1988, p 125.

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marché et des échanges économiques »79, définition approuvée par le professeur Renucci80. Au

vu de ces tentatives de définition, il est difficile de soutenir que les dispositions réglementaires

du Code des marchés publics ont une nature économique. Le fait que les seuils de passation des

marchés publics soient chiffrés en euros ne suffit pas à caractériser le caractère économique des

dispositions du CMP.

En outre, un arrêt de la chambre criminelle concernant le délit de concussion permet de

douter de la nature économique des dispositions réglementaires et législatives auxquelles renvoie

l’article 432-14 CP. L’article 432-10 CP, incriminant ce délit, se trouve également dans la

section consacrée aux « manquements au devoir de probité ». Le second alinéa dispose : « est

puni des mêmes peines le fait, par les personnes, d’accorder sous une forme quelconque et pour

quelque motif que ce soit une exonération ou une franchise des droits, contributions, impôts ou

taxes publics en violation des textes légaux ou réglementaires ». Comme l’article 432-14 CP, ce

texte renvoie à des dispositions législatives ou réglementaires, dont la violation est pénalement

sanctionnée.

La chambre criminelle le 19 mai 199981 a considéré « qu’il ne saurait être reproché à la

cour d’appel d’avoir déclaré un maire coupable de concussion dès lors qu’elle relève […] que ce

dernier a laissé son fils exposer à la vente des véhicules sur la place située devant son garage en

le dispensant sciemment du paiement de la redevance d’occupation du domaine prévue par

l’article L. 2331-4 CGCT ». L’article L. 2331-4 CGCT se trouve dans une section du Code

général des collectivités territoriales consacrée aux « recettes de la section de

fonctionnement »82. Il concerne par conséquent le domaine de la fiscalité des collectivités

publiques.

De ce constat, deux raisonnements sont possibles. Ils nous conduiront cependant à

adopter une conclusion identique concernant l’application de la rétroactivité in mitius au délit de

favoritisme.

Premièrement, l’on peut considérer que la nature fiscale de l’article L. 2331-4 CGCT ou

d’une autre disposition à laquelle renvoie l’article 432-10 al. 2 CP est évidente, ce qui n’est pas

79 Le droit pénal économique, Jean Pradel, Mémento Dalloz, 2ème édition, 1990, p 4. 80 Le droit pénal économique, Jean-François Renucci, édition Masson Armand Colin, 1995, p 7.81 Crim, 19 mai 1999, bull. crim. n° 100 ; Dr. pénal 1999. 139, note Véron.82 Article L. 2331-4 CGCT : « Les recettes non fiscales de la section de fonctionnement peuvent comprendre : […] 6º Le produit des taxes de pavage et de trottoirs ; […]

8º Le produit des permis de stationnement et de location sur la voie publique, sur les rivières, ports et quais fluviaux et autres lieux publics ; […]

10º Le produit des droits de voirie et autres droits légalement établis ».

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le cas des dispositions du Code des marchés publics. Cela justifierait une différence de traitement

entre les deux articles du Code pénal, la rétroactivité in mitius s’appliquant à l’article 432-14 CP,

mais non à l’article 432-10 al. 2 CP (dans l’hypothèse par exemple où une modification

législative ou réglementaire vient à supprimer une redevance, taxation… alors qu’antérieurement

une personne publique, non encore définitivement jugée, s’est rendue coupable du délit de

concussion en accordant une exonération ou franchise injustifiée au paiement de cette redevance

ou taxe).

La différence de nature soulignée entre les dispositions auxquelles renvoient

respectivement les articles 432-10 et 432-14 CP remet donc en cause la jurisprudence de la

chambre criminelle concernant la rétroactivité in mitius en matière de délit de favoritisme.

Mais en quelque sorte, ce raisonnement cautionne dans un autre sens la jurisprudence

Von Saldern de la Cour de cassation (refus d’appliquer la rétroactivité in mitius en présence de

dispositions législatives ou réglementaires ayant un caractère économique ou fiscal), ce qui est

très contestable au regard de la jurisprudence constitutionnelle et du droit international (cf Supra,

Chapitre I, §2-B).

C’est la raison pour laquelle, nous lui préférons la deuxième interprétation comparative

des articles 432-10 et 432-14 CP. Concernant le délit de favoritisme, nous considérons, à l’instar

de M. Cahn que « le caractère économique des décrets qui participent à la définition de

l’incrimination n’est qu’accessoire au regard du souci du législateur de préserver l’intégrité

morale de l’action de l’Administration ». S’agissant du délit de concussion, le raisonnement est

identique : le caractère fiscal des dispositions auxquelles renvoie le Code général des

collectivités territoriales est bien accessoire par rapport à l’objectif de moralisation de la fonction

publique. En ce cas, cet objectif étant commun à tous les délits énumérés dans la section III

précitée, les dispositions « litigieuses » ne peuvent pas véritablement être regardées comme

ayant par nature une nature économique ou fiscale : le principe de la rétroactivité in mitius leur

serait donc applicable.

Une première étude de l’article 432-14 CP rend contestable la position de la chambre

criminelle, d’autant que celle-ci produit une jurisprudence d’ensemble sur le délit de favoritisme

parfois incohérente.

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B- L’incohérence manifeste de la jurisprudence concernant le délit de favoritisme.

La chambre criminelle refuse d’appliquer le principe de la rétroactivité in mitius à

l’article 432-14 CP sous prétexte que le support légal de l’incrimination reste inchangé. C’est là

donner bien peu d’importance aux « dispositions législatives ou réglementaires » de l’article

432-14 CP, tandis que la chambre criminelle se contente généralement de la violation d’une telle

disposition pour caractériser le délit de favoritisme. La construction jurisprudentielle de la Cour

de cassation est relativement incohérente lorsqu’ on compare sa position sur la rétroactivité in

mitius des dispositions législatives ou réglementaires et sa jurisprudence afférente à la

consommation des autres éléments constitutifs délit de favoritisme.

Aux termes de l’article 432-14 CP, quatre éléments sont nécessaires pour que soit

constitué le délit de favoritisme : la qualité de l’auteur, l’octroi d’un avantage injustifié, un acte

contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté

d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics [et les délégations de service public]

et enfin l’élément intentionnel. L’examen de la jurisprudence de la chambre criminelle en

matière de délit de favoritisme montre pourtant que la caractérisation de certains de ces éléments

sacrifie souvent à un but de politique répressive. Maître Thierry Dal Farra parle d’ailleurs

« d’acception répressive des éléments constitutifs du délit »83.

Deux constats principaux peuvent être faits en ce sens.

Le premier concerne l’octroi d’un avantage injustifié. La question s’est posée de savoir si

« l’octroi d’un avantage injustifié » constituait une condition autonome de l’existence de l’acte

contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté

d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics. La rédaction de l’article 432-14 CP a

priori ne pouvait prêter à confusion : « est puni […] le fait […] de procurer ou de tenter de

procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions… ».

La précision avec laquelle le législateur édicte certaines incriminations est parfois

surprenante, mais il s’agit bien souvent de se conformer à l’obligation de « légalité des délits et

des peines » qui commande une lisibilité et une prévisibilité de l’infraction pour le justiciable.

L’article 432-14 CP énonce parmi les éléments constitutifs du délit de favoritisme – entre autres

- un résultat (procurer à autrui un avantage injustifié, la tentative étant également incriminée) et

83 « Renforcements du risque pénal : dix ans de jurisprudence », Thierry Dal Farra, l’Actualité de la commande et des contrats publics, mars 2006, p 40 et svtes.

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un moyen de parvenir à ce résultat (un acte contraire aux dispositions…). De nombreuses

incriminations en droit pénal sont édictées sur un « modèle » de ce genre84. La stricte application

de la loi par le juge – lorsque le texte ne pose pas de problème d’interprétation, et c’est le cas ici

à notre sens - implique que celui-ci caractérise tous les éléments constitutifs du délit.

En ce cas, il nous paraîtrait logique de considérer que l’octroi d’un avantage injustifié est

bien une condition autonome de l’acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires85.

La position adoptée un temps par la chambre criminelle était ambiguë sur ce point. Le 2 avril

1998 (pourvoi n° 97-84-191), elle a cassé un arrêt de relaxe d’une cour d’appel pour absence

d’avantage injustifié et d’élément intentionnel, alors même que les dispositions organisant les

procédures de publicité et de mise en concurrence avaient été méconnues. Seulement la chambre

criminelle précisait que la cour d’appel ne pouvait ainsi juger « sans se contredire ou mieux

s’expliquer ». A contrario, cela pouvait signifier qu’une explication des juridictions du fond

pouvait autoriser une relaxe pour défaut d’octroi d’avantage injustifié en présence d’une

violation des règles garantissant l’égalité et la liberté d’accès aux marchés publics86.

Plusieurs décisions successives ont montré par la suite que la chambre criminelle avait

définitivement fixé sa solution sur le sujet, considérant que la condition de l’octroi d’un avantage

injustifié était considérée comme remplie s’il y avait eu violation, en connaissance de cause,

d’une disposition législative ou réglementaire ayant pour but de garantir égalité et liberté d’accès

aux candidats (Crim. 12 novembre 1998, pourvoi n° 97-85-333 ; Crim. 11 décembre 2002,

pourvoi n° 2002-18-102 ; Crim. 14 janvier 2004, BJCP 2004, n° 34, p 184, arrêt dans lequel

l’existence de l’octroi d’un avantage injustifié n’est même plus vérifiée).

En adoptant cette position, Olivier Cahn précise que « la chambre criminelle se contentait

de se conformer à la volonté exprimée par le législateur au cours des débats parlementaires »87.

A la tribune de l’Assemblée Nationale, le Ministre de l’économie, des finances et du budget de

84 Nous citerons pour illustrer notre propos quelques incriminations du Code pénal, deux exemples parmi tant d’autres :

- l’escroquerie (art. 313-1 CP) est caractérisée par un résultat (tromperie d’une personne qui remet à l’escroc, biens, fonds ou valeur), un moyen employé par l’escroc (« l’usage d’un faux nom, d’une fausse qualité, l’abus d’une qualité vraie ou l’emploi de manœuvres frauduleuses »).

- la provocation à l’abandon d’enfant (art. 227-12 CP) est caractérisée par un résultat (« provoquer un parent à abandonner son enfant »), cette provocation étant réalisée par le biais de différents moyens ou dans un but précis (« soit dans un but lucratif soit par don, promesse, menace ou abus d’autorité »).

85 Certaines juridictions de première instance, comme le remarque Maître Dal Farra (« Un aspect du risque pénal dans la passation de la commande publique : le délit de favoritisme », Gaz.Pal. 9-10 février 2000), adoptaient le point de vue contraire considérant que « l’avantage injustifié se caractérise par la rupture d’égalité entre les candidats, … cette rupture est suffisante en elle-même pour constituer le délit, dès lors qu’elle a été procurée en connaissance de cause » (TGI d’Orléans, 15 juin 1996 et dans le même sens, TGI de Strasbourg, 19 janvier 1996).86 Thierry Dal Farra, op. cit. mars 2006.87 Olivier Kahn, op. cit. décembre 2005.

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l’époque, M. Pierre Bérégovoy, peu avant l’adoption de la loi du 3 janvier 1991, s’était exprimé

ainsi : « cet avantage injustifié peut consister, par exemple, à attribuer un marché à un

fournisseur sans que les règles de publicité ou de mise en concurrence prévues par le Codes des

marchés publics en matière d’appel d’offres ou de marché négocié – ou d’autres textes législatifs

et réglementaires dans ce domaine – aient été observées, ou à attribuer le marché dans des

conditions telles que le principe de l’égalité des candidats est manifestement violé »88.

Le second constat concerne l’élément intentionnel. M. Dal Farra remarque que « le même

mouvement jurisprudentiel, et parfois les mêmes décisions, affecte la condition tenant à

l’intention coupable ».

La jurisprudence a fortement tendance à considérer le délit de favoritisme comme un

« délit matériel » où la seule violation de la réglementation en connaissance de cause constitue

l’élément moral de l’infraction. Théoriquement, l’élément intentionnel devrait s’apprécier par

référence à la volonté de méconnaître le principe d’égalité, mais le juge répressif n’opère pas

finalement un contrôle très poussé de ce caractère intentionnel. Cette intention est donc

constituée lorsque les textes ont été violés en connaissance de cause et selon la jurisprudence, la

connaissance de cause pour un professionnel est acquise par la connaissance qu’il est réputé

avoir des règles applicables à son activité (Crim. 24 mai 1994, bull. crim. n° 203 ; Crim. 14

janvier 2004, n° 03-83396 ; TGI de Draguignan, 13 janvier 2005, n° 2005/98, non publié).

La chambre criminelle a donc tendance à considérer, sauf exception, que l’élu, de par ses

fonctions, a une connaissance suffisante du Code des marchés publics. Selon la magistrate

Hélène Descout et Maître Walter Salamand, « il conviendrait pourtant de tenir d’avantage

compte de la complexité de la matière, de son instabilité chronique et parfois même de son

incohérence. La jurisprudence ne semble laisser que peu de place à l’incompétence des décideurs

locaux »89. La Cour de cassation se montre en effet très intransigeante.

Dans un arrêt rendu le 24 octobre 2001 (pourvoi n° 01-81039), un maire avait été

condamné par une cour d’appel pour délit de favoritisme aux motifs que le prévenu ne pouvait se

retrancher derrière son incompétence (« qu’en effet, maire depuis dix-huit ans, il a passé

plusieurs marchés publics et une expérience certaine ne peut lui être déniée »). La chambre

criminelle avait rejeté le pourvoi de l’élu, répondant que « les juges ayant relevé que

88 JO AN, 26 novembre 1990, p 6012.89 Le droit pénal des marchés publics, Hélène Descout et Walter Salamand, 2004, édition de « La lettre du cadre territorial », collection « dossier d’experts », p 43.

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l’incompétence du prévenu n’était nullement exclusive de sa mauvaise foi dans la gestion des

deniers publics, leur décision était justifiée ». A contrario fallait-il comprendre que si la

mauvaise foi de l’élu n’avait pas été caractérisée, son incompétence aurait suffit à le relaxer,

faute d’élément intentionnel ? La position de la chambre criminelle dans des arrêts plus récents

semble apporter une réponse négative : le 15 décembre 2004 (pourvoi n° 03-83474), elle a jugé

qu’un prévenu, compte tenu « de sa qualité de président de commission d’appel d’offres, de son

ancienneté et de sa parfaite connaissance des dossiers», avait nécessairement participé à

l’infraction90.

Les contradictions dans les décisions du juge répressif sont donc patentes dès lors que, si

le non-respect des prescriptions réglementaires du Code des marchés publics suffit à consommer

les éléments constitutifs du délit, ces mêmes dispositions ne sont pas pour autant considérer

comme participant au support légal de l’incrimination lorsque se pose le problème de

l’application de la rétroactivité in mitius.

Un regard d’ensemble porté sur le délit de favoritisme tend à montrer que la

jurisprudence de la chambre criminelle est plus que contestable, ce que l’analyse de la structure

de l’article 432-14 CP va également confirmer.

90 Pour d’autres exemples en ce sens :- Crim. 5 mai 2004, pourvoi n° 03-85503 : « la qualité du prévenu, avocat et personnalité titulaire de plusieurs mandats électifs, sont autant d’éléments qui caractérisent l’élément intentionnel du délit de favoritisme ».- Crim. 26 janvier 2005, pourvoi n° 04-84805 : la Cour considère ainsi qu’un maire élu de longue date et fort

d’une certaine expérience en matière de passation des marchés publics, n’a pu ignorer qu’il commettait un manquement à la législation.

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§2 – L’analyse structurelle de l’article 432-14 CP, nouvelle acception de l’élément légal du délit de favoritisme.

En considérant que les « dispositions législatives ou réglementaires » auxquelles renvoie

l’article 432-14 CP font bien partie de l’élément légal de l’infraction de délit de favoritisme (A),

il est possible de conclure à une « inconstitutionnalité rédactionnelle » de l’article 432-14 CP

(B).

A- « Les dispositions législatives ou réglementaires », élément légal de

l’infraction.

La position de la chambre criminelle, déjà longuement exposée a fait l’objet

d’étonnement de la part de certains auteurs (« pourtant, le texte renvoyant expréssement aux

dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantit la liberté d’accès et

l’égalité des candidats, on pouvait légitimement penser que celles-ci participaient de

l’incrimination »91. Plus précisément, faudrait-il dire que ces dispositions « participent

de l’élément légal de l’incrimination », car il est certain qu’elles définissent par leur contenu les

obligations dont la violation constitue la matérialité de l’infraction.

Selon la chambre criminelle, le support légal de l’incrimination demeurant inchangé, la

rétroactivité in mitius ne peut s’appliquer à une disposition réglementaire plus douce du Code

des marchés publics. A ce titre, nous commettons sans doute une erreur juridique en affirmant

que « la Cour de cassation refuse d’appliquer la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme » :

il est en effet certain que si l’article 432-14 CP était modifié, les juges appliqueraient sans

hésitation ce principe et le problème est uniquement posé lorsque sont en cause les dispositions

législatives ou réglementaires auxquelles renvoie ce même article.

La position de la chambre criminelle s’explique par sa conception extrêmement stricte de

l’élément légal de l’infraction. Selon nous, l’élément légal de l’infraction s’entend du texte

d’incrimination, qui définit l’infraction. Cette conception simple de l’élément légal est celle

d’une partie de la doctrine pour qui « l’élément constituant est aussi nécessaire que ceux,

91 « Délit de favoritisme : le nouveau Code des marchés publics ne sera pas une loi d’amnistie », Florian Linditch, JCP G, 19 mai 2004, p 964 et JCP Entreprises et Affaires, 26 juin 2004, p 1057.

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constitutifs, qu’il définit »92 et ceci permet de considérer encore une fois la jurisprudence de la

chambre criminelle de façon critique.

Ainsi pourquoi « les dispositions législatives ou réglementaires » ne pourraient-elles pas

être considérées comme support légal de l’incrimination ? La chambre criminelle considère que

le seul « support légal de l’incrimination » est l’article 432-14 CP, mais elle ne s’en explique pas.

Elle établit implicitement une hiérarchie entre l’article 432-14 CP et les dispositions auxquelles il

renvoie, mais ceci est peu satisfaisant.

Emettons une hypothèse :

- soit un article quelconque d’une loi pénale ainsi rédigé : « le délit d’octroi injustifié

consiste pour une personne publique à procurer ou tenter de procurer à autrui un avantage

injustifié dans les conditions posées par l’article 432-14 CP ». Voici un article de loi qui

nécessite un renvoi nécessaire à l’article du Code pénal puisque ce texte d’incrimination ne

définit pas suffisamment les éléments constitutifs (matériel et moral) de l’infraction. Faut-il pour

autant considérer que l’article 432-14 CP ne fait pas partie de l’élément légal de l’infraction ? A

suivre le raisonnement de la chambre criminelle, la réponse à donner serait négative ce qui peut

surprendre…

Devrait donc être considéré comme texte d’incrimination tout texte de loi – ou texte

réglementaire- qui définit les éléments constitutifs de l’infraction et logiquement, les dispositions

auxquelles renvoie l’article 432-14 CP devraient se voir appliquer la rétroactivité in mitius.

Le raisonnement de Mme Detragiache-Troper à propos des prescriptions de nature

réglementaire correctionnellement sanctionnées93 peut appuyer cette position. L’auteur se posait

la question de savoir si la modification de ce type de prescriptions réglementaires relevait de la

compétence législative ou réglementaire94. Le schéma exposé ne correspond pas tout à fait à

celui de l’article 432-14 CP, en l’absence d’un mécanisme de renvoi d’un texte de loi à des

dispositions réglementaires.

92 Droit pénal général, Philippe Conte et Patrick Maistre de Chambon, Armand Colin, 7ème édition, 2004, p 129. A ce titre, Ms Conte et Maistre de Chambon relèvent « qu’il est devenu à la mode ces dernières années de gloser sur cet élément de l’infraction, qui serait en réalité inexistant : ce qui décrit ne doit pas être mis sur le même plan que ce qui est décrit ; le texte précise les éléments de l’infraction (élément matériel et élément moral), il n’est pas lui-même un élément. Ce à quoi les auteurs répondent qu’il s’agit là d’une « querelle parfaitement stérile […], qu’une infraction est inconcevable sans un texte d’incrimination ». 93 « Les prescriptions de nature réglementaire correctionnellement sanctionnées », Denise Detragiache-Troper, AJDA, 1978, p 411 et svtes.94 La compétence est-elle déterminée par le domaine, réglementaire par définition ou est-elle législative, domaine des peines correctionnelles prévues pour sanctionner la violation des prescriptions ?

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Mais il est possible d’appliquer le raisonnement tenu par l’auteur à l’hypothèse qui nous

intéresse. Selon le professeur Detragiache-Troper, la doctrine a constamment confondu

« dispositions pénales » stricto sensu (incrimination et peines) et normes juridiques pénalement

sanctionnées, c'est-à-dire l’obligation dont l’infraction est la violation. Les dispositions pénales

stricto sensu correspondraient donc à l’article 432-14 CP et les obligations dont la violation est

pénalement sanctionnée au contenu édicté par les « dispositions législatives ou réglementaires ».

L’auteur trouve la résolution de ce problème dans le caractère divisible ou non des

dispositions pénales stricto sensu et des obligations dont la violation est pénalement sanctionnée.

Le critère de l’indivisibilité réside selon Mme Detragiache-Troper dans l’indétermination

relative de l’obligation.

Si l’obligation est relativement indéterminée, vague, imprécise, il pourra le cas échéant y

avoir des ajouts qui précisent celle-ci sans pour autant porter atteinte à la substance même de

l’obligation, sans en changer sa nature. Il y a alors divisibilité entre norme relative à l’obligation

et norme pénale.

Au contraire, s’il y a détermination absolue de l’obligation, il y a indivisibilité entre

norme relative à l’obligation et norme pénale, puisque la moindre remise en cause de la

définition de celle-ci, entraîne une modification de l’incrimination et donc du champ

d’application des peines.

L’auteur expose ensuite quelles sont les causes d’indétermination de l’obligation : « si les

éléments essentiels de la définition de l’obligation sont imprécis (indétermination du sujet de

l’obligation, de la portée de l’obligation, de l’objet de l’obligation) ou si des éléments

simplement accessoires sont en cause, l’obligation est relativement indéterminée ». En revanche,

« si les éléments fondamentaux de sa définition sont définis avec précision », l’obligation est

correctement déterminée.

Maître Dal Farra affirme : « on peut sans doute hésiter sur le degré de divisibilité entre

l’obligation de comportement (définie par le pouvoir réglementaire en matière de marchés

publics) et l’incrimination (octroi d’avantage injustifié par violation des dispositions

réglementaires garantissant l’égalité d’accès des candidats, art. 432-14 CP) »95. L’hésitation est

en effet possible, mais nous tendons à dire que « les dispositions législatives ou réglementaires »

et l’article 432-14 CP sont indivisibles. En effet, le contenu des obligations issues de ces

dispositions est très précis, qu’il s’agisse des règles de passation des marchés publics, des

procédures applicables après détermination des seuils, ou encore des règles de publication… La

95 « Le risque de favoritisme : quelle perspective après la réforme de la commande publique ? », Thierry Dal Farra, BJCP, mars 2002, p 91 et svtes.

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moindre modification d’une de ces obligations, tel un seuil de passation entraîne par ricochet une

modification du champ d’application du délit de favoritisme. Cette indivisibilité entre l’article

432-14 CP et les dispositions du Code des marchés publics plaide donc pour une intégration de

ces dernières au support légal de l’incrimination et pour que leur soit donc appliquée la

rétroactivité in mitius.

La circulaire du 22 février 200596 est d’ailleurs conforme à notre interprétation de

l’article 432-14 CP. Elle affirme concernant les MAPA que « la violation par l’acheteur public

des règles qu’il se serait fixé ne saurait en elle-même être constitutive de favoritisme, l’article

432-14 CP ne visant que la violation de dispositions législatives et réglementaires ». Les

obligations issues des règlements MAPA sont nécessairement moins précises que celles

directement issues du Code des marchés publics, puisque « les modalités de publicité et de mise

en concurrence sont déterminées par la personne responsable du marché ». Or, la détermination

de ces modalités par les praticiens ne pourra être exempte de défaut et l’on peut supposer que les

obligations ne seront pas déterminées précisément dans tous leurs éléments.

Il y aurait donc une certaine divisibilité entre l’article 432-14 CP et les obligations posées

par la personne responsable du marché, empêchant de considérer celles-ci comme élément

constitutif du délit de favoritisme. Or, la circulaire indique bien que la violation par l’acheteur

public des règles qu’il s’est fixé ne peut être constitutive de ce délit.

La jurisprudence constante de la chambre criminelle excluant du support légal de

l’incrimination les dispositions législatives ou réglementaires est donc peu justifiée. Du fait de

cette indivisibilité entre ces dispositions et l’article 432-14 CP, il est possible de relever une

inconstitutionnalité lors de la création par le législateur du délit de favoritisme.

96 Circulaire CRIM.05-3/G3, p 10 ; JCP édition Administration et collectivités territoriales, mai 2005, p 757.

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B- L’inconstitutionnalité « rédactionnelle » de l’article 432-14 CP.

Le degré de divisibilité entre les dispositions du Code des marchés publics et l’article

432-14 CP ayant été démontré, il est possible d’affirmer à l’instar de Maître Dal Farra que « ce

renvoi à la compétence réglementaire pour la détermination du contenu des obligations

pénalement sanctionnées aurait été constitutionnellement censuré pour incompétence négative du

législateur »97. Comme le précise Mme Galletti, « ce sont autant d’attitudes constitutives

d’incompétence négative du législateur qui sont mises en lumière et sanctionnées [par le Conseil

constitutionnel] : le fait d’avoir renvoyé à des organes divers [dans l’hypothèse du délit de

favoritisme au pouvoir réglementaire] l’édiction de règles qu’il est de l’obligation du Parlement

d’édicter, l’inscription imprécise ou insuffisante de règles dans le texte de loi… »98.

Ainsi, non seulement la détermination des obligations dont la violation est pénalement

sanctionnée aurait dû être le fait du législateur, mais le texte de l’article 432-14 CP ne satisfait

pas au principe de légalité des délits et des peines. Le Conseil constitutionnel juge constamment

qu’il « résulte de l’article 34 de la Constitution ainsi que du principe de légalité des délits et des

peines posé par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la nécessité

pour le législateur de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale, de définir les

crimes et les délits en des termes suffisamment clairs et précis pour permettre […] d’exclure

l’arbitraire » (DC des 19 et 20 janvier 1981 ; DC des 10 et 11 octobre 1984 ; DC du 18 janvier

1985).

La rédaction de l’article 432-14 CP fait donc preuve d’imprécision au regard du principe

de légalité des délits et des peines. Il est vrai que si le contenu des dispositions réglementaires est

suffisamment précis, comme nous l’avons montré, le seul renvoi à ces dispositions dans la lettre

même du Code pénal est par contre trop vague et imprécis.

Le principe de légalité des délits et des peines n’est donc pas respecté et par voie de

conséquence, l’obligation pour le législateur d’édicter des incriminations qui puissent être

97 Thierry Dal Farra, op. cit. mars 2002.98 « Existe-t-il une obligation de bien légiférer ? Propos sur l’incompétence négative du législateur dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Florence Galletti, Revue française de droit constitutionnel, avril 2004, n° 58, p 387 et svtes.

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connues par avance du citoyen, ne l’est pas non plus. Le législateur se doit d’édicter des

incriminations prévisibles, et il est simple de saisir l’importance d’une telle prévisibilité de la loi

en matière pénale, puisque les enjeux découlant de la commission d’une infraction sont

importants.

Comparaison de l’article 432-14 CP peut être faite avec l’article 19 de loi n° 89-25 du 17

janvier 1989, qui octroie un pouvoir de sanction au Conseil supérieur de l’audiovisuel lorsque les

titulaires d’autorisation pour l’exploitation d’un service de communication audiovisuelle ne

respectent pas « les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires

et par les principes définis à l’article 1er de la présente loi ». Une telle dévolution est imprécise au

même titre que « les dispositions législatives ou réglementaires » de l’article 432-14 CP. Aussi,

le législateur a-t-il prévu que l’autorité administrative doit mettre en demeure le titulaire de

l’autorisation de respecter ses obligations avant de la sanctionner. Cette obligation vise

essentiellement, en contraignant le CSA à indiquer quelle est l’obligation violée, à donner pleine

efficacité au principe de légalité des délits et des peines99. Cette mise en demeure a en fait pour

origine la décision du Conseil constitutionnel qui a eu à se prononcer sur la constitutionnalité de

la loi du 17 janvier 1989 par une décision du même jour (DC n° 88-248). Celui-ci s’était fondé

sur l’article 8 de la DDHC100.

Cette constatation signifie que d’avantage de précautions sont prises lors du prononcé

d’une sanction fiscale par le CSA, que lors d’une sanction pénale pour délit de favoritisme, ce

qui peut susciter sur ce point quelques interrogations sur la cohérence de notre législation…

La relation entre rétroactivité in mitius et délit de favoritisme doit à présent être

envisagée sous un autre angle, celui de l’applicabilité de ce principe à l’article 432-14 CP.

99 Droit de la sanction non pénale, Michel Degoffe, Economica, 2000, p 74.100 Voir les conclusions de Patrick Frydman sous CE, 11 mars 1994, SA la Cinq, RFDA, 1994, p 429.

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Titre II - Un nouveau fondement au refus d’appliquer la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme.

Il a été démontré dans les développements précédents que la jurisprudence de la chambre

criminelle est largement critiquable, parce qu’elle repose sur des fondements eux-mêmes

contestables juridiquement. Une analyse renouvelée des réformes successives du Code des

marchés publics permet d’établir un nouveau fondement au refus par la jurisprudence

d’appliquer la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme. Celui-ci se pose en terme

d’applicabilité de la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme (Chapitre I). Cependant, il est

possible d’émettre des doutes sur l’entière « viabilité » de ce nouveau fondement (Chapitre II).

Chapitre I - L’applicabilité de la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme.

Ce fondement trouve son origine dans la théorie du droit pénal (§1). L’application de ce

dernier au délit de favoritisme est cependant subordonné à l’interprétation de l’article 1er du

Code des marchés publics (§2).

§1 – Un nouveau fondement issu de la théorie du droit pénal.

Cette théorie s’applique lorsque coexistent dans un texte de droit pénal, des dispositions à

la fois plus douces et plus sévères (A). Concernant les dispositions du Code des marchés publics,

c’est l’article 1er qui constitue l’instrument de ce nouveau fondement (B).

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A- La coexistence dans un texte pénal de dispositions plus douces et plus sévères.

Il coexiste parfois dans un même texte de loi – appelé « loi complexe » - des dispositions

à la fois plus douces et plus sévères. Mais il est souvent difficile de les mettre en lumière et de

comparer ensuite leur «importance » respective.

Selon le professeur Rassat, « la solution de principe est évidente : il faut faire une

distinction entre les dispositions de la loi nouvelle afin d’appliquer immédiatement les

dispositions plus favorables et de différer l’application des dispositions plus sévères »101. Ainsi la

loi du 3 mars 1943 relative au délit de souteneur a été appliquée immédiatement dans la mesure

où elle rétrécissait l’incrimination et différée dans la mesure où elle aggravait la peine (Crim, 20

mai 1947, Gaz.Pal. 1947.2.27). De même, en matière de pénalités, la loi du 26 mars 1891 qui

organisait le sursis simple tout en créant un nouveau cas de récidive a été appliqué

immédiatement pour la première de ces dispositions et différée pour la seconde (Crim, 6 et 21

avril 1891, S.1891.2.133 et 152). La chambre criminelle a également appliqué immédiatement

les dispositions de l’ordonnance du 23 décembre 1958 qui correctionnalisaient le crime de

banqueroute commis par des agents de change, tout en écartant l’application immédiate des

dispositions plus sévères de cette ordonnance incriminant la complicité de banqueroute (Crim, 13

mai 1965, Gaz.Pal. 1965, 2, 166 ; RSC, 1966, p 341).

Pourtant certaines décisions ont estimé ne pas pouvoir faire application de cette méthode

parce que les dispositions de la loi nouvelle étaient indivisibles. Un arrêt de la chambre

criminelle du 10 mai 1961 (bull.crim n° 248 ; RSC, 1962, p 92) affirmait ainsi : « le système

pénal instauré par l’ordonnance du 4 juin 1960 […] forme un tout dont les éléments sont

inséparables et qui, considéré dans son ensemble, est favorable à l’accusé ». Aussi, tel le système

des vases communicants, le législateur n’a atténué le régime pénal sur un point particulier que

parce qu’il l’aggravait sur un autre.

La doctrine retient deux méthodes pour « imprimer » à un ensemble de dispositions un

caractère plus doux ou plus sévère.

La juridiction répressive peut rechercher premièrement quelle est la disposition

« principale » du texte, c'est-à-dire celle qui renforcera sa sévérité ou celle qui l’atténuera. Deux

critiques peuvent cependant être avancées : il est souvent difficile de déterminer quelle est la

disposition principale d’un texte et une mauvaise appréciation peut conduire à un dévoiement du

101 Droit pénal général, Michèle-Laure Rassat, Ellipses, collection « Cours magistral », 2004.

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véritable sens de la loi. Si l’appréciation d’une disposition « principale » plus douce est

mauvaise, cela peut conduire à faire une application rétroactive d’une loi plus sévère.

Inversement, l’appréciation inexacte d’une disposition « principale » plus sévère conduit à une

application non rétroactive d’une loi pourtant plus douce.

La seconde méthode, moins périlleuse, consiste à faire une appréciation globale du texte

et par conséquent à déterminer la « tendance dominante, plus douce ou plus sévère, du texte

concerné »102.

Cependant, selon le professeur Puech, « la question des conflits dans le temps des lois

pénales complexes n’a pas encore trouvé son principe de solution »103. En effet, le critère de

divisibilité ou d’indivisibilité des dispositions pénales reste encore très incertain et aucune

solution stricte n’a jamais été apportée sur ce point. Au contraire, « l’étude des décisions rendues

fait apparaître leur très grand empirisme, des considérations d’opportunité se mêlant souvent à

l’appréciation des juges »104. Concernant le nouveau Code pénal de 1994, cette question a posé

problème. Le Garde des Sceaux avait déclaré dans un premier temps devant l’Assemblée

Nationale à propos des nouvelles dispositions : « le nouveau Code pénal n’est en réalité ni plus

doux, ni plus sévère que le code actuel. Il constitue un ensemble indivisible dans lequel se

mêlent des dispositions plus douces et plus sévères »105. Mais cette affirmation avait été

démentie par la circulaire élaborée par la suite, qui avait nettement distingué dispositions plus

douces et dispositions plus sévères.

En réalité, une étude au cas par cas est nécessaire et c’est ce qu’il convient de réaliser

pour le Code des marchés publics.

102 Droit pénal général, Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec, Economica, 12ème édition, 2005, p 316.103 Les grands arrêts de la jurisprudence criminelle, Marc Puech, 1976, éditions Cujas.104 Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec, op. cit. 2005, p 317.105 JO AN, 3 juillet 1992, p 3147.

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B- L’article 1er du CMP : instrument de ce nouveau fondement.

En appliquant aux dispositions du CMP la méthode précédemment décrite d’approche

globale du texte, il serait possible d’aboutir à la solution actuelle de la chambre criminelle en

matière de délit de favoritisme. Le raisonnement juridique serait cependant totalement différent :

les dispositions nouvelles ne seraient pas rétroactives de part le refus des juges d’appliquer le

principe de la rétroactivité in mitius, mais parce que ce problème de rétroactivité in mitius ne se

poserait pas.

Il faut pour se faire considérer que les nouvelles dispositions du Code des marchés

publics ne peuvent recevoir une application rétroactive simplement parce qu’elles sont

empreintes d’un caractère plus sévère que les dispositions antérieures. C’est bien le préalable

nécessaire à l’application de la rétroactivité in mitius, à savoir l’existence de dispositions plus

douces, qui ferait défaut. Il nous faut donc appliquer la méthode « d’approche globale » aux

dispositions réglementaires du Code des marchés publics.

L’article 1er alinéa 2 du Code des marchés publics, disposition issue du décret du 7 mars

2001 permet d’analyser sous un angle nouveau l’ensemble des dispositions du Code des marchés

publics. Celui-ci dispose que « les marchés publics respectent les principes de liberté d’accès à la

commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ».

Cependant, cet article n’est susceptible d’imprimer un caractère globalement plus sévère aux

dispositions réglementaires auxquelles renvoie l’article 432-14 CP que s’il y a là un ensemble de

dispositions indivisibles.

Afin de déterminer si les dispositions réglementaires de l’article 432-14 CP et l’article 1er

du Code des marchés publics sont indivisibles, il convient de procéder à une analyse de ces

textes et du lien rationnel existant entre les diverses dispositions en présence.

Les dispositions réglementaires concernées ont « pour objet de garantir la liberté d’accès

et l’égalité des candidats dans les marchés publics » tandis que l’article 1er porte sur le respect,

entre autres, des principes de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement

des candidats. L’objet de ces dispositions est donc identique, ce qui conduit à affirmer qu’il y a

indivisibilité.

Il convient ensuite d’établir que l’article 1er du Code des marchés publics, disposition

plus sévère, est la contrepartie des dispositions plus douces adoptées par le législateur. Cette

démonstration nécessite d’interpréter l’article 1er du Code des marchés publics.

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§2- L’article 1er du CMP : disposition de caractère plus sévère.

La signification de l’article 1er du CMP a fait l’objet de nombreuses interprétations,

sources d’incertitudes sur sa véritable portée juridique (A). Finalement, il est possible d’utiliser

cet article comme obstacle à l’application de la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme (B).

A- Les débats doctrinaux portant sur l’article 1er du CMP.

L’article 1er alinéa 2 du Code des marchés publics, dans sa rédaction issue du décret du 7

mars 2001 dispose : « les marchés publics respectent les principes de liberté d’accès à la

commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ».

S’est posée la question de savoir si cet article introduisait un principe général du droit sans autre

portée ou s’il pouvait constituer une disposition réglementaire à laquelle renvoie l’article 432-14

CP.

Pour une partie de la doctrine, l’article 1er du Code des marchés publics a constitué une

véritable innovation dans le droit des marchés publics en consacrant un principe de portée

générale non dépourvu d’efficacité juridique. M. Gérard Pancrazi106 remarque ainsi « qu’à

l’origine, le Code des marchés publics était pour l’essentiel une compilation de dispositions

particulières de forme et de procédures, ayant pour objet de réglementer les conditions dans

lesquelles les personnes publiques pouvaient passer des marchés »107. Puis l’article 26 du décret

n° 92-1310 du 15 décembre 1992 a introduit l’article 47 dans l’ancien code, ajoutant ainsi aux

autres règles du code, deux règles de fond : « les entrepreneurs ou fournisseurs peuvent

librement se porter candidats aux marchés publics » et « ils bénéficient d’une égalité de

traitement dans l’examen de leurs candidatures ou de leurs offres ».

Selon le même auteur, « le nouveau code consacre et complète ce mécanisme. Il a

maintenu les règles contenues à l’article 47, en les étendant et en généralisant leur portée ». M.

Pancrazi en conclut que « le nouveau code soumet donc l’ensemble des achats, y compris ceux

sur simples factures, désormais appelés marchés sans formalités préalables, aux règles de fond

mentionnées à l’article 1er du nouveau code ». Or ces règles qui tendent au respect des principes

de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats ont le même

106 Chef de la MIEM depuis mars 1993.107 « Le délit de favoritisme et le nouveau Code des marchés publics », Gérard Pancrazi, Contrats et marchés publics, mai 2001, p 5 ; Gaz.Pal. 19/20 septembre 2001, p 1402 et svtes.

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objet que les dispositions réglementaires auxquelles renvoie l’article 432-14 CP. La violation des

règles établies par l’article 1er du CMP est donc susceptible de tomber sous le qualification de

délit de favoritisme. M. Pancrazi affirme ainsi : «si on se réfère à l’instruction ministérielle pour

application du nouveau code, datée du 28 août 2001108, on peut voir que des manquements à

l’article 1er sont susceptibles de relever du délit d’octroi d’avantage injustifié, sanctionné par

l’article 432-14 CP »109.

La circulaire du ministère de la justice en date du 4 mars 2002110 confirme d’ailleurs cette

position : « Le délit de favoritisme pourra être constitué à l’occasion de marché sans formalités

préalables. En effet […], l’une des innovations du nouveau code des marchés publics est de

définir des règles de portée générale, applicables à tous les marchés publics y compris les

marchés sans formalités préalables […]. Dès lors la violation de telle ou telle règle de fond à

l’occasion de la passation d’un marché sans formalités préalables pourra, sous réserve de la

jurisprudence, être poursuivie du chef de délit de favoritisme ».

Le Conseil d’Etat dans un avis du 29 juillet 2002, Société MAJ Blanchisserie de

Pantin111, allait également en ce sens : « les principes généraux de liberté d’accès à la commande

publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures inscrits à

l’article 1er du Code sont applicables à tous les marchés publics y compris les marchés sans

formalités préalables ».

De nombreux auteurs ont désapprouvé cette lecture de l’article 1er du CMP, refusant

d’attribuer à cet article l’importance que « la doctrine la plus officielle »112 voulait bien lui

prêter. Certains ont même tenu des propos virulents, déplorant la position du chef de la MIEM :

« alors même que la loi Fauchon du 10 juillet 2000 est venue préciser la définition des délits non

intentionnels, afin notamment de limiter la responsabilité des décideurs publics qui

commençaient à être poursuivis pour le moindre accident, voilà que des « principes »

viendraient fonder la répression du délit de favoritisme ! Il n’y a guère que dans les périodes

révolutionnaires ou sous des régimes globalement peu recommandables qu’une telle conception

108 JO, 8 septembre 2001, annexe au n° 208 ; le Moniteur des travaux publics, 7 septembre 2001, cahier spécial détaché.109 « Risque pénal dans les marchés publics – Les marchés sans formalités préalables ne sont pas sans droit », Gérard Pancrazi, le Moniteur des travaux publics, 3 mai 2002, p 70 et svtes.110 CRIM. 02.03.G3.04.03.02 – NOR : JUSD0230050C111 Recueil Lebon, p 297 ; AJDA 2002, p 755. 112 Selon l’expression de Régis de Castelneau, « Le nouveau code des marchés publics et le délit de favoritisme », inLe nouveau droit des marchés publics, sous la direction de François Lichère, édition Hermès, collection « bibliothèque de droit », 2004.

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du droit pénal a pu prospérer. Heureusement, des voix encore rares se sont élevées contre cette

interprétation qui fait peu de cas du principe de légalité des délits et des peines »113.

Parmi eux, Régis de Castelneau et Thierry Dal Farra. Pour ce dernier, la simple

affirmation des principes de liberté et d’égalité – c’est le terme « respecter » qui est employé

dans l’article 1er - ne peut être juridiquement assimilée à une disposition ayant pour but de

« garantir » la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics comme le

dispose l’article 432-14 CP114. « Bien entendu, l’affirmation expresse du principe est une

condition sans doute utile à sa garantie, mais elle n’est ni expressément nécessaire ni surtout

suffisante », affirme t-il115. Maître de Castelneau partage ce point de vue qu’il justifie par « le

principe d’interprétation stricte de la loi pénale […] qui s’impose au juge ». Il s’ensuit donc,

affirme t-il116, que les dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la

liberté d’accès et l’égalité de traitement dans les marchés publics visées par l’article 432-14 CP,

ne sauraient se confondre avec celles qui ne font qu’affirmer ces principes.

Il faut remarquer que la position des autorités publiques n’a pas toujours été constante sur

ce point. Lors d’une question orale au ministre des finances et de l’industrie117, Mme Parly,

secrétaire d’Etat au Budget faisait sienne la thèse selon laquelle l’article 1er du CMP ne

s’applique pas aux marchés sans formalités préalables. La question posée par M. Jean-Louis

Bianco était la suivante : « Doit-on considérer que les dispositions de l’article 1er du nouveau

Code des marchés publics font obligation à l’acheteur public, pour les achats effectués dans le

cadre des articles 28, 30 et 35-III, d’organiser lui-même une procédure de mise en concurrence

systématique selon les modalités de son choix, alors que le Code n’en prévoit pas ? ». Ce à quoi

avait répondu la secrétaire d’Etat : « Il ne saurait exister d’obligation sans texte. Par conséquent,

un acheteur en situation de passer un marché sans formalités préalables n’a pas l’obligation

d’organiser une procédure systématique de mise en concurrence […] ».

Elle semblait bien alors considérer que l’article 1er n’était pas porteur d’une obligation de

mise en concurrence pour la personne responsable du marché public. Par conséquent, le non

respect éventuel des dispositions de l’article 1er ne pourrait tomber sous le coup de

l’incrimination de délit de favoritisme.

113 « Délégation de service public et droit pénal », Philippe Delelis, Contrats et marchés publics, mai 2003, p 33.114 « Délit de favoritisme et nouveau code des marchés publics : l’insécurité pénale de l’acheteur public », Thierry Dal Farra, BJCP, juin 2004, p 178 et svtes.115 « Le risque de favoritisme : quelle perspective après la réforme de la commande publique ? », Thierry Dal Farra, BJCP, mars 2002, p 91 et svtes.116 Régis de Castelneau, op. cit. 2004.117 JO AN, 23 janvier 2002, p 743-744.

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Mais la circulaire précitée en date du 4 mars 2002 a définitivement fixé la position

gouvernementale consacrant l’article 1er comme source d’obligations à part entière lors de la

passation des marchés publics, ce qui a nécessairement des conséquences sur l’application de la

rétroactivité in mitius.

B- L’article 1er du CMP : obstacle à l’application de la rétroactivité in mitius au

délit de favoritisme.

Nous avons déjà remarqué que la MIEM préconise l’application de la rétroactivité in

mitius en matière de délit de favoritisme. Pourtant celle-ci a émis une réserve qu’il convient de

noter puisqu’elle concerne directement l’hypothèse où la rétroactivité in mitius ne peut être

appliquée en raison de l’article 1er du Code des marchés publics. Dans le cas pratique n°3 de son

rapport de 2001, elle précise en effet : « il convient de remarquer que le nouveau Code des

marchés publics entré en vigueur le 1er septembre 2001 a prévu une augmentation des seuils

permettant jusqu’à 90 000 euros de passer des marchés sans formalités préalables, mais cette

disposition qui a pour effet de diminuer les exigences de l’article 432-14 CP et qui aurait permis

sous réserve de l’article 1er du nouveau code, d’appliquer le principes de la rétroactivité des lois

pénales plus douces […]».

L’institution ne s’expliquait pas plus sur l’émission de cette réserve en rapport avec

l’article 1er du Code des marchés publics, en revanche le rapport de 2002 est beaucoup plus

exhaustif.

A la suite du cas pratique n°12, il est fait état de « mentions sur les conséquences de

l’entrée en vigueur du nouveau code des marchés publics ». La MIEM affirme : « Il convient

d’examiner la situation qui résulte de l’entrée en vigueur du nouveau code des marchés publics

depuis le décret du 7 mars 2001. En vertu du principe de la rétroactivité des lois pénales plus

douces, le délit de l’article 432-14 CP […] ne pourrait pas s’appliquer si à la date de jugement de

l’affaire, les règles non respectées constitutives du délit, n’étaient plus en vigueur dans le

nouveau code […]. Le nouveau code ne prévoit plus en dessous du premier seuil, l’obligation

d’une mise en compétition. La sévérité d’une réglementation nouvelle par rapport à la

précédente, doit cependant être appréciée dans sa globalité. Il doit pour cela être tenu compte de

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ce que l’article 1er du nouveau code des marchés publics pose une règle de portée générale

applicable à tous les marchés et donc aux marchés de maîtrise d’œuvre […]. Il ne semble donc

pas que les dispositions du nouveau code soient sur ce point plus douces que les anciennes. Elles

n’ont donc pas lieu de devoir être prises en compte pour l’application du délit de l’article 432-14

CP ».

La MIEM n’aurait pas pu être plus claire : elle fait clairement référence à la méthode de

« l’appréciation globale », considérant que l’article 1er du CMP imprime un caractère plus sévère

à l’ensemble des dispositions ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des

candidats dans les marchés publics.

Cependant, il n’est pas certain que ce nouveau fondement au refus de la jurisprudence

d’appliquer la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme soit totalement « viable ».

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Chapitre II : La viabilité de ce fondement face aux évolutions du Code des marchés publics.

Le fondement qui repose sur l’applicabilité de la rétroactivité in mitius au délit de

favoritisme est largement renforcé par l’adoption du Code des marchés publics de 2004, puisque

celui-ci permet d’affirmer avec plus de certitudes le caractère plus sévère de l’article 1er du CMP

(§1). En revanche, l’évolution ultérieure du Code des marchés publics met à mal ce nouveau

fondement (§2).

§1- Un fondement renforcé par l’adoption du Code des marchés publics de 2004.

Ce fondement est renforcé par la modification de l’article 1er alinéa 2 du Code des

marchés publics lors de la réforme de 2004 (A) ainsi que par les nouvelles garanties procédurales

assurant le respect des principes posés à l’article 1er (B).

A- La modification de l’article 1er alinéa 2 par le Code de 2004.

Le Code des marchés publics de 2004 opère une modification de l’article 1er alinéa 2,

rédigé ainsi : « quel que soit leur montant, les marchés publics respectent les principes de liberté

d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des

procédures ». La portée de l’article 1er n’en est que renforcée, puisque que les principes de liberté

et d’égalité doivent être respectés lors de la passation de tout marché, si faible soit son montant.

Sur le fond, la critique émise en 2001 selon laquelle l’article 1er du Code des marchés

publics ne pourrait créer d’obligations dont la violation constituerait le délit de favoritisme,

aurait pu cependant être réitérée. En effet, le terme « respecter » est toujours employé, alors que

l’article 432-14 CP sanctionne la violation des dispositions législatives ou réglementaires ayant

pour objet de « garantir » la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics.

Or il n’en a rien été. Maître Dal Farra s’en explique en ces termes : « Affirmer n’est pas

garantir, avions-nous observé, à propos du régime juridique des marchés dits sans formalités

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préalables du précédent Code. Dans la mesure où il existait précisément des marchés dépourvus

de formalités, il fallait en déduire qu’aucune garantie de respect du principe n’était prévue en

deçà du seuil de 90 000 euros et que, par voie de conséquence, il n’y avait pas matière à délit de

favoritisme. Un tel raisonnement n’est plus possible aujourd’hui »118.

En effet, la dernière phrase de l’article 1er alinéa 2 dispose que « ces obligations [de

respecter les principes susmentionnés] sont mises en œuvre conformément aux règles fixées par

le présent code ». Le décret de 2004 a, pour se faire, opéré certaines modifications du Code des

marchés publics qui permettent de donner une signification nouvelle à l’article 1er.

B- Les garanties procédurales assurant le respect des principes posés par

l’article 1er.

Lors de la réforme du Code des marchés publics en 2004, la réaffirmation des principes

énoncés à l’article 1er s’est accompagnée de l’instauration d’une série de garanties procédurales

destinées à assurer l’effectivité de ces principes pour tous les marchés, dès le « premier euro

dépensé » (selon l’expression employée par de nombreux commentateurs). L’effectivité

juridique des principes énoncés à l’article 1er du Code des marchés publics a des répercussions

inévitables sur le champ d’application du délit de favoritisme : « l’existence même de ces

garanties a nécessairement pour effet de rendre, ipso jure, l’acheteur public éligible à l’infraction

de favoritisme pour tous les marchés, dès lors justement qu’ils sont couverts par une

garantie »119, selon Thierry Dal Farra.

Ces garanties procédurales résident principalement dans la rédaction nouvelle de l’article

40 qui organise la publicité dans les marchés publics : « I- En dehors des cas prévus à l’article 30

et aux II et III de l’article 35, tout marché doit être précédé d’une publicité suffisante permettant

une mise en concurrence effective dans les conditions définies ci-après ».

Il convient de noter que l’article 30 renvoie à des marchés de service d’une nature

particulière puisque non compris dans l’article 29 du Code des marchés publics, qui dresse une

liste des marchés de service, soumis en ce qui concerne leur passation, aux règles prévues par le

118 « Délit de favoritisme et nouveau code des marchés publics : l’insécurité pénale de l’acheteur public », Thierry Dal Farra, BJCP, juin 2004, p 178 et svtes.119 Thierry Dal Farra, op. cit. juin 2004.

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Code des marchés publics. L’article 30 constitue donc une dérogation à l’article 29, justifiée par

la nature des services.

L’article 35, en ses deuxièmement et troisièmement, renvoie aux marchés négociés,

passés respectivement sans publicité préalable mais avec mise en concurrence et sans publicité

préalable et sans mise en concurrence. Ces marchés vont bénéficier d’une procédure négociée en

raison de leur nature particulière : urgence impérieuse, marchés complémentaires, marchés de

service attribués à un ou plusieurs lauréats d’un concours, marchés ne pouvant être confiés qu’à

un prestataire déterminé pour des raisons techniques, artistiques…

L’article 40-II dispose : « pour les marchés d’un montant inférieur à 90 000 euros, la

personne publique choisit librement les modalités de publicité adaptées au montant et à la nature

des travaux, fournitures ou services en cause ». Au-delà de ces montants, une obligation de

publication est faite.

Les seules dérogations à l’obligation d’effectuer une publicité, voire une publication

d’un appel public à la concurrence ne sont donc justifiées que par la nature particulière de

certains marchés. Autrement, tous les marchés quel que soit leur montant sont soumis soit à

publicité, soit à publication au-delà de 90 000 euros.

Aussi le Code des marchés publics de 2004, même s’il relève accessoirement les seuils

imposant le recours à la procédure adaptée, peut être considéré comme un texte plus sévère.

L’article 1er étant une source d’obligations à part entière fait du Code des marchés publics une

norme dans l’ensemble plus sévère, empêchant son application rétroactive.

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§2- Un fondement mis à mal par le décret du 26 novembre 2004.

Le décret du 26 novembre 2004, à l’origine des marchés de moins de 4 000 euros, a crée

une incertitude sur la portée de l’article 1er du CMP (A), ce qui a des conséquences sur

l’applicabilité de la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme (B).

A- Les marchés de moins de 4 000 euros, source d’incertitudes sur la portée de l’article 1er du CMP.

La portée de l’article 1er du CMP est plus incertaine depuis l’apparition des marchés de

moins de 4 000 euros. Le décret du 26 novembre 2004 a modifié l’article 28-I, introduisant un

troisième alinéa : « Toutefois, les marchés de travaux, de fournitures et de services d’un montant

inférieur à 4000 euros peuvent être passés sans publicité, ni mise en concurrence préalables ».

Désormais un marché qui ne rentre pas dans la catégorie des marchés négociés ou des marchés

prévus à l’article 30 du CMP peut tout de même être passé sans publicité ni mise en concurrence

en raison de son seul montant, inférieur à 4 000 euros.

Cette dérogation à la publicité et à la mise en concurrence entre en contradiction avec

l’article 1er du CMP qui affirme : « quel que soit leur montant, les marchés publics respectent les

principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de

transparence des procédures ». Pour résoudre cette contradiction, il faudrait alors considérer que

le respect de ces principes ne revient pas à exiger une publicité ou une mise en concurrence

préalables.

La portée des principes affirmés à l’article 1er du CMP serait donc moindre. Une

instruction du 28 août 2001 du ministère de l’économie et des finances affirmait ainsi : « même

si le code ne soumet pas les achats d’un montant inférieur à 90 000 euros à des procédures

formalisées d’achat, cela ne fait pas obstacle à ce que l’acheteur public s’entoure de plusieurs

avis lui permettant de s’assurer d’une bonne gestion des deniers publics. On pourrait envisager

également que les principes d’égalité et de libre accès soient envisagés à travers le respect du

principe de non discrimination. Le principe d’égalité peut encore se traduire par un choix objectif

de l’acheteur mais toujours en dehors de procédures formalisées de publicité ou de mise en

concurrence : choix de la meilleure proposition en fonction des besoins de la personne publique

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(prix, qualité, caractère exclusif de la prestation proposée) ». Si l’on retient cette interprétation de

l’article 1er, qui efface toute contradiction avec la création des marchés de moins de 4 000 euros,

sa portée s’en trouve largement affaiblie : ceci n’est pas sans conséquence sur la question de

l’applicabilité de la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme.

B- Les conséquences sur l’applicabilité de la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme.

Dans l’hypothèse où il est désormais difficile de prêter à l’article 1er du CMP la portée

que l’on pouvait lui attribuer avant l’adoption du décret du 26 novembre 2004, le fragile

équilibre atteint après la réforme du Code des marchés publics en 2004 est rompu. La non-

applicabilité de la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme est remise en cause, puisque la

portée de l’article 1er étant réduite, celui-ci peut difficilement imprimer à l’ensemble des

dispositions réglementaires auxquelles renvoie l’article 432-14 CP, un caractère plus sévère.

Dès lors les dispositions du Code des marchés dont on peut dire qu’elles sont plus douces

pour l’acheteur public seront de nouveau l’instrument d’une possible application de la

rétroactivité in mitius au délit de favoritisme.

Actuellement, le refus de la jurisprudence d’appliquer la rétroactivité in mitius au délit de

favoritisme peut difficilement trouver son fondement dans l’article 1er du CMP. En effet, les

marchés de moins de 4 000 euros n’ont pas disparu du Code des marchés publics de 2006 (article

28) et l’efficacité juridique de l’article 1er en tant que disposition imprimant un caractère plus

sévère au Code des marchés publics est toujours remise en cause.

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Conclusion :

Le délit d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics

fournit un intéressant terrain d’analyse, dans la mesure où s’y concentrent tous les termes du

débat relatif à la mise en œuvre des « normes pénales réglementaires plus douces »120. Ainsi, la

question de l’application de la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme s’est posée en

jurisprudence après la première grande réforme du Code des marchés publics en 2001, donc

assez tardivement. Les réformes du Code qui se sont, par la suite, succédées, ont modifié

certaines dispositions dans un sens plus doux à l’égard de l’acheteur public. Cette question est

donc à la fois récente et toujours de grande actualité.

Elle a cependant été l’occasion pour la chambre criminelle d’étendre au délit de

favoritisme sa jurisprudence très ancienne relative à l’exception à l’application de la rétroactivité

in mitius en matière de règlements économiques. Contestable au regard des corollaires de la

légalité criminelle, cette jurisprudence l’est a fortiori lorsqu’elle est appliquée au délit de l’article

432-14 CP, car il est bien difficile de considérer les dispositions réglementaires du Code des

marchés publics comme réglementation économique.

Les décrets des 7 mars 2001 et 7 janvier 2004, portant réforme du Code des marchés

publics, ont offert à la chambre criminelle l’occasion de modifier sa jurisprudence pour satisfaire

aux exigences de la légalité tout en préservant l’efficacité répressive. La Cour de cassation aurait

pu envisager un autre fondement pour refuser d’appliquer la rétroactivité in mitius : la méthode

« de l’appréciation globale ». Depuis, de nouvelles modifications du Code ont nettement réduit

l’efficacité juridique d’un tel fondement.

La solution constante de la chambre criminelle préserve donc la répression pénale sans se

préoccuper du respect des principes nationaux et internationaux de légalité, ce qui peut satisfaire

à certains objectifs de politique criminelle, mais ne peut trouver de justifications en droit.

120 Olivier Kahn, op. cit. décembre 2005.

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Bibliographie :

Ouvrages et codes :

En droit pénal :

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Droit pénal général, Philippe Conte et Patrick Maistre de Chambon, Armand Colin, 7ème édition, 2004.

Droit pénal général, Michèle-Laure Rassat, Ellipses, collection « Cours magistral », 2004.

Juris-classeur Pénal Code, fascicule 10, Haritini Matsopoulou, 4 juillet 2004.

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Droit de la sanction non pénale, Michel Degoffe, Economica, 2000.

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En droit des marchés publics :

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Articles de doctrine et chroniques jurisprudentielles :

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« Délit de favoritisme : survivance de l’ancien Code des marchés publics au nom de la continuité de la norme pénale », Jean-David Dreyfus, AJDA, 26 avril 2004, p 885.

« Existe-t-il une obligation de bien légiférer ? Propos sur l’incompétence négative du législateur dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Florence Galletti, Revue française de droit constitutionnel, avril 2004, n° 58, p 387 et svtes.

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« Le relèvement du seuil des marchés sans formalités préalables dans le nouveau Code des marchés publics est-il immédiatement applicable aux instances pénales en cours ? », Thierry Dal Farra, BJCP, novembre 2002, p 487 et svtes.

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« Le principe de la rétroactivité de la lex mitior et les infractions à la législation économique en droit pénal français », E.Szereszewski, Revue pénale suisse, 1948, p308 et svtes.

Sites internet :

achatpublic.comLégifrance.du Ministère de l’Economie et des Finances.de la Mission interministérielle d’enquête sur les marchés publics(rapport publié sur cette page : http:www.finances.gouv.fr/mission_marches).

Entretien :

Maître Thierry Dal Farra, cabinet UGGC associés, 7 février 2006.

Revues et documents juridiques consultés :

l’Actualité juridique. Droit administratifl’Actualité de la commande et des contrats publicsBanque de données informatisées Juris-DataBulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambre criminelleBulletin juridique des contrats publicsContrats et marchés publicsDroit pénal, éditions du Juris-Classeurla Gazette des communesGazette du PalaisJuris-Classeur Contrats et marchés publicsJuris-Classeur Pénal CodeJuris-classeur Périodique (Semaine juridique ou JCP G)JCP Administration et collectivités territorialesJCP Entreprises et affaires

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Journal officiel de la RépubliqueJournal officiel de l’Union européennele Moniteur des travaux publicsPetites affichesRecueil DallozRecueil critique de jurisprudence et de législation Dalloz (années 1941 à 1944)Recueil SireyRépertoire pénal DallozRevue de la concurrence et de la consommationRevue de droit immobilierRevue française de droit administratifRevue française de droit constitutionnelRevue pénale suisseRevue de sciences criminelles et de droit comparéRevue des sociétés

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Table des matières :

Partie I – Rétroactivité in mitius et dispositions juridiques pénalement sanctionnée ………………………………………..………………..…...12

Titre I - Les dispositions juridiques sanctionnées pénalement : positions doctrinales et jurisprudence ………………………………………....12

Chapitre I - La doctrine générale portant sur les dispositions juridiques pénalement sanctionnées ..............................................................................................................................13§1- Une nature juridique difficile à déterminer ………………………………..…...…...13

A- Une problématique liée à la structure de certaines dispositions juridiques .…....13B- Une dualité de nature entre norme pénale et norme extra-pénale.…………....…..15

§2- Un contenu difficile à établir.…………………………………………..…………......18

A- Le problème posé par le caractère plus doux de la norme extra-pénale .…….…18B- Le but poursuivi par le législateur lors de l’édiction de la norme extra-pénale…………………………………………………….…………………………..……....…19

Chapitre II- Le refus par la jurisprudence d’appliquer la rétroactivité in mitius aux dispositions économiques pénalement sanctionnées ......................................................22§1 – Les hésitations de la jurisprudence jusqu’au milieu du XXème siècle ….........22

A- La législation pénale économique : une législation changeante .…………..….....22

B- Une position jurisprudentielle entre application de la rétroactivité in mitius et volonté de sévérité ……………………………………………………………….…...…..….25

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§2 - La position constante de la jurisprudence actuelle .………….…….……...……...27

A- Un régime juridique différent pour les lois et les dispositions réglementaires …………………………………………….……....….…..27

B- Un régime juridique similaire pour les lois et les règlements communautaires………………………………………………………………...….……….. 30

Titre II - Les dispositions du Code des marchés publics sanctionnées pénalement : étude d’une évolution .…………….................................……..…..33

Chapitre I - Les dispositions réglementaires plus douces du Code de 1964 au Code de 2001…………………………………………………………………………..............…..…33§1- La détermination des dispositions réglementaires plus douces……………....…33

A- Les dispositions réglementaires plus douces : essai de théorisation………….....34B- Les dispositions réglementaires de 1964 : point de départ de l’évolution du CMP……………………………………………………………………………………....….…35

§2- Le relèvement des seuils opérés par le Code de 2001………….…………....……37A- Le relèvement des seuils de passation des marchés…………….………….…...….37B- Le relèvement des seuils de publication…………………………….……...…….…..39

Chapitre II - Les dispositions réglementaires plus douces du Code de 2001 au nouveau Code des marchés publics de 2006.……………………….………………....…42§1- Le relèvement des seuils dans le Code de 2004……………………………....……42

A- Le relèvement des seuils de passation des marchés…………………………...…...42B- Le relèvement des seuils de publication………………………………………...…....45

§2- Le renouvellement constant des seuils depuis le Code de 2004………..…....….46

A- L’adoption du décret du 26 novembre 2004, comme mesure plus douce............46B- L’adoption du décret du 30 décembre 2005, comme mesure plus sévère............48

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Partie II - Rétroactivité in mitius et délit de favoritisme …….…......…..50

Titre I - Le refus par la jurisprudence d’appliquer la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme …………………………………...….…….........…...50

Chapitre I - Une position jurisprudentielle traditionnelle .……………………....….…51

§1- Une jurisprudence constante de la chambre criminelle ……………………......…51

A- Les tentatives des juridictions du fond d’appliquer la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme……………………………………….………………………….....….…51B- La réponse ferme de la chambre criminelle …………………………………....…...53

§2- Une jurisprudence face à certaines oppositions.……………………….……….…..57A- Une jurisprudence à contre courant de la position de la MIEM ………...….....…57B- Une position à contre courant de son environnement jurisprudentiel et législatif.

Chapitre II - Une position jurisprudentielle critiquable : l’analyse de l’article 432-14 du Code pénal.………………………………………….........….……………….………..62

§ 1- Le contexte particulier de l’article 432-14 CP …………….………...…….……....62

A- La raison d’être du délit de favoritisme ……………...………………….….......……62

B- L’incohérence manifeste de la jurisprudence concernant le délit de favoritisme…………………………………………………………………………….……….66

§2 – L’analyse structurelle de l’article 432-14 CP, nouvelle acception de l’élément légal du délit de favoritisme………………………………………………………..…..…..70

A- « Les dispositions législatives ou réglementaires », élément légal de l’infraction..................................................................................................................................70

B- L’inconstitutionnalité « rédactionnelle » de l’article 432-14 CP............................74

Titre II- Un nouveau fondement au refus d’appliquer la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme ……………………….……..76

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Chapitre I - L’applicabilité de la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme …………………………………………………………..…....……..76§1 – Un nouveau fondement issu de la théorie du droit pénal….…..………...….…....76

A- La coexistence dans un texte pénal de dispositions plus douces et plus sévères…………………………………………………………………………………...….….77B- L’article 1er du CMP : instrument de ce nouveau fondement………………...…...79

§2- L’article 1er du CMP : disposition de caractère plus sévère……….………....…...80A- Les débats doctrinaux portant sur l’article 1er du CMP………………….…....……80

B- L’article 1er du CMP : obstacle à l’application de la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme……………………………………………….…………………………..83

Chapitre II : La viabilité de ce fondement face aux évolutions du Code des marchés publics…………………………………………………..……………………....................…...85§1- Un fondement renforcé par l’adoption du Code des marchés publics de 2004……………………………………………………………….…………………....……85

A- La modification de l’article 1er alinéa 2 par le Code de 2004………………....….85

B- Les garanties procédurales assurant le respect des principes posés par l’article 1er……………………………………………………………………………………….….…....86

§2- Un fondement mis à mal par le décret du 26 novembre 2004...............................88

A- Les marchés de moins de 4 000 euros, source d’incertitudes sur la portée de l’article 1er du CMP..................................................................................................................88

B- Les conséquences sur l’applicabilité de la rétroactivité in mitius au délit de favoritisme. ................................................................................................................................89

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