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Immuno-analyse et biologie spécialisée (2010) 25, 284—289 CAS CLINIQUE Un « effet-pointe » troublant sur l’hCG dosé au cours de la chimiothérapie de rattrapage d’une tumeur trophoblastique chez une jeune femme A disturbing ‘‘hCG surge’’ in a young woman with gestational trophoblastic tumor during second-line chemotherapy N. Eche , J.-P. Basuyau, J.-M. Riedinger, F. Thuillier 1 , et les membres du groupe « Marqueurs tumoraux » du CNBH 2 Laboratoire de biologie médicale, CLCC Claudius-Regaud, 20—24, rue du Pont-Saint-Pierre, 31052 Toulouse cedex, France Rec ¸u le 15 avril 2010 ; accepté le 8 mai 2010 Disponible sur Internet le 28 septembre 2010 KEYWORDS hCG; Gestational trophoblastic tumor; Surge Summary The clinical case reports about hCG surge observed during the third cure of the second-line chemotherapy in a woman with a gestational trophoblastic tumor. The use of a software for the kinetic of tumor markers allowed to discard a resistance to the treatment. A serum tumor marker surge at the start of chemotherapy is observed in 20 % of the patients. Its prognostic significance is controversial. The identification of hCG surge is needed to avoid unnecessary change of chemotherapy. © 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. MOTS CLÉS hCG ; Tumeur trophoblastique gestationnelle ; Effet-pointe Résumé Le cas clinique rapporte la découverte d’un effet-pointe de l’hCG survenant au cours de la troisième cure d’une chimiothérapie de rattrapage chez une femme porteuse d’une tumeur trophoblastique gestationnelle. L’utilisation d’un logiciel de cinétique a per- mis d’écarter l’hypothèse d’une résistance au traitement. La survenue d’un effet-pointe dans la cinétique des marqueurs tumoraux au décours de la première cure de chimiothérapie est décrite chez environ 20 % des patients. Sa valeur pronostique est controversée. Il est nécessaire de reconnaître un effet-pointe pour éviter un changement inapproprié de traitement. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (N. Eche). 1 Coordonateur. 2 Groupe « Marqueurs tumoraux » du CNBH : M. Bernard, J.-L. Boehrer, C. Braidy, M.-P. Coulhon, Y. Fulla, G. Glikmanas, D. Guenet, A.-M. Hanser, M. Laplace, V. Macchi, O. Michotey, C. Poupon, N. Queyrel, S. Salingue-Canonne, L.-M. Xhurdebise. 0923-2532/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.immbio.2010.07.002

Un « effet-pointe » troublant sur l’hCG dosé au cours de la chimiothérapie de rattrapage d’une tumeur trophoblastique chez une jeune femme

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rophoblastic tumor during second-line chemotherapy

. Eche ∗, J.-P. Basuyau, J.-M. Riedinger, F. Thuillier1, et les membres duroupe « Marqueurs tumoraux » du CNBH2

aboratoire de biologie médicale, CLCC Claudius-Regaud, 20—24, rue du Pont-Saint-Pierre, 31052 Toulouse cedex, France

ecu le 15 avril 2010 ; accepté le 8 mai 2010isponible sur Internet le 28 septembre 2010

KEYWORDShCG;Gestationaltrophoblastic tumor;Surge

Summary The clinical case reports about hCG surge observed during the third cure of thesecond-line chemotherapy in a woman with a gestational trophoblastic tumor. The use of asoftware for the kinetic of tumor markers allowed to discard a resistance to the treatment.A serum tumor marker surge at the start of chemotherapy is observed in 20 % of the patients.Its prognostic significance is controversial. The identification of hCG surge is needed to avoidunnecessary change of chemotherapy.© 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Résumé Le cas clinique rapporte la découverte d’un effet-pointe de l’hCG survenant aucours de la troisième cure d’une chimiothérapie de rattrapage chez une femme porteuse

MOTS CLÉS

hCG ;Tumeurtrophoblastiquegestationnelle ;Effet-pointe

d’une tumeur trophoblastique gestationnelle. L’utilisation d’un logiciel de cinétique a per-mis d’écarter l’hypothèse d’une résistance au traitement. La survenue d’un effet-pointe dansla cinétique des marqueurs tumoraux au décours de la première cure de chimiothérapie estdécrite chez environ 20 % des pa nts. Sa valeur pronostique est controversée. Il est nécessairede reconnaître un effet-pointe p© 2010 Elsevier Masson SAS. Tou

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (N. Eche).

1 Coordonateur.2 Groupe « Marqueurs tumoraux » du CNBH : M. Bernard, J.-L. Boehrer,.-M. Hanser, M. Laplace, V. Macchi, O. Michotey, C. Poupon, N. Queyrel,

923-2532/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits roi:10.1016/j.immbio.2010.07.002

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C. Braidy, M.-P. Coulhon, Y. Fulla, G. Glikmanas, D. Guenet,S. Salingue-Canonne, L.-M. Xhurdebise.

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eur trophoblastique 285

Figure 1 Cinétique de l’hCG pendant le traitement initialpar méthotrexate, puis selon le protocole EMA-CO. Le graphemontre l’ensemble des résultats.La décroissance de l’hCG stagne lors des trois dernières curesde méthotrexate, ce qui conduit à remplacer le traitement parune chimiothérapie agressive. Pendant les deux premières curesd’EMA-CO, la décroissance de l’hCG est lente avec des demi-vies de 35 jours, puis 7,5 jours et 6,6 jours. Au huitième jourde la troisième cure, une augmentation de l’hCG d’amplituderelative 137 % est observée, faisant craindre une résistance autraitement. Mais la fugacité de l’augmentation, aussitôt suiviepar une diminution rapide du marqueur, correspond à un pro-fil caractéristique d’un effet-pointe. Un effet-pointe est aussioof

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Effet-pointe d’hCG au cours de la chimiothérapie d’une tum

Introduction

La survenue d’un « effet-pointe » lors du traitement parchimiothérapie de patients métastatiques est un phéno-mène observé dans environ 20 % des cinétiques de marqueur.Cet effet, habituellement observé après l’initiation dela première cure de traitement, peut être sourced’interprétations erronées dans le sens d’une résistanceau traitement. Des effets-pointe ont été également décritsaprès chirurgie ou radiothérapie. Le cas présenté ici relatela survenue d’effets-pointe successifs lors d’une chimiothé-rapie de rattrapage chez une jeune femme porteuse d’unetumeur maligne du placenta. Cette observation permet dedéfinir la traduction graphique de l’effet-pointe et de pré-ciser en quoi elle diffère d’une résistance au traitement.

Observation clinique

Mme D. est une jeune femme de 30 ans. En juillet 2008,après deux mois d’interruption des règles, une grossessemolaire est diagnostiquée. Fin juillet, un premier curetagepermet le diagnostic anatomopathologique de triploïdie.Il n’y a pas de surveillance ultérieure par dosages del’hormone chorionique gonadotrope (hCG) mais la patienterapporte une sensation de tension mammaire un peu dou-loureuse. Elle consulte à nouveau fin août, la concentrationsérique de l’hCG est 180 000 IU/L et l’échographie meten évidence une formation intra-utérine. Un second cure-tage est pratiqué début septembre 2008 avec le diagnosticanatomopathologique de môle invasive. Le scanner thoraco-abdominopelvien est normal. En l’absence de facteur demauvais pronostic, un traitement de première intention,par méthotrexate à raison de deux injections par semaineavec monitorage hebdomadaire de l’hCG, est proposé à lapatiente.

La première injection de méthotrexate est effectuéele 25 septembre 2008. La concentration sérique préthéra-peutique de l’hCG est 385 000 IU/L. Le marqueur diminuejusqu’à la survenue d’un plateau aux troisième et qua-trième semaines de traitement traduisant une résistance quiconduit à remplacer le méthotrexate par une polychimiothé-rapie selon le protocole EMA-CO. Dans ce protocole, chaquecure se compose de deux cycles thérapeutiques : un cycleEMA, contenant étoposide, méthotrexate, levofolinate etactinomycine D, et un cycle CO, administré huit jours après,contenant cyclophosphamide et vincristine (Oncovin). Lescures sont répétées tous les 15 jours. Les dosages de l’hCGsont effectués toutes les semaines, avant chaque cycle detraitement.

Au jour de l’administration de la première cure d’EMA-CO, la concentration sérique de l’hCG est 163 500 IU/L. Ladécroissance de l’hCG est nette jusqu’à l’observation d’uneremontée du marqueur à 25 000 IU/L lors d’un dosage inter-médiaire entre la troisième et la quatrième cure (Fig. 1).La patiente, déjà rendue anxieuse par l’efficacité modé-rée du premier traitement, est extrêmement inquiète. Le

clinicien sollicite l’avis « éclairé » du biologiste qui, aprèsexamen de la cinétique du marqueur, suggère l’existenced’un effet-pointe, bien que cet effet soit observé après plu-sieurs cycles de chimiothérapie. Le protocole de traitementEMA-CO est mené à son terme. L’évolution des concentra-

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bservé lors de la quatrième cure de traitement. Les demi-viesbservées après les effets-pointe, 2,6 jours et 2,8 jours, sont enaveur d’une bonne réponse au traitement.

ions d’hCG confirme la survenue d’un effet-pointe à chaqueure de traitement.

La rémission biologique, définie par une concentrationérique d’hCG inférieure ou égale à 5 UI/L, est obtenue à’avant-dernière cure. La patiente est toujours en rémissionla date des dernières nouvelles, soit six mois après l’arrêtu traitement.

ogiciel de rendu en cinétique

e logiciel Cinetic System® (Gentiane Informatique sarl, 17,hemin Prébois, 38660 Saint-Hilaire-du-Touvet) qui équipe

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Figure 2 Cinétique de l’hCG pendant le traitement selon leprotocole EMA-CO, jusqu’à la cinquième cure. Les résultats auhuitième jour de la troisième et de la quatrième cures sont sup-primés.Sur ce graphe, les résultats intermédiaires des troisième et qua-trième cures sont masqués et les demi-vies sont recalculéespour toute la durée des cures 3 et 4. Il apparaît alors que lademi-vie de l’hCG lors de la deuxième cure (6,6 jours) est dumême ordre que celles des troisième et quatrième cures (6,2 et6,6 jours). L’allongement apparent de la demi-vie au cours dela deuxième cure n’est pas le signe d’une résistance au traite-ment mais résulte d’un effet-pointe qui n’avait pas été mis enévidence par défaut de dosage hebdomadaire du marqueur. Unel

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Ltumeurs rares, liées à une anomalie de la fécondation. Lesformes bénignes sont représentées par la môle complète, ou

ffet-pointe de faible intensité est vraisemblablement présentors de la première cure.

e laboratoire permet un rendu en cinétique des résultatse marqueurs tumoraux. Parmi ses fonctionnalités figurente calcul automatique et l’inscription sur le graphe de laemi-vie et/ou du temps de doublement instantanés (entreeux résultats consécutifs) ainsi que le tracé d’une droitee tendance (entre plusieurs résultats successifs en crois-ance ou décroissance exponentielle avec une corrélationupérieure à 0,90). Il est également possible de ne pas fairepparaître des résultats sur le graphe. Ce sont ces fonction-

alités qui ont permis au biologiste d’affirmer qu’il s’agissait’un effet-pointe et non de l’apparition d’une résistanceardive au traitement (Fig. 1 et 2).

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N. Eche et al.

ésultats

endant près d’un mois, soit du 27 octobre au 1er décembre008, la cinétique d’évolution de l’hCG est très inquiétante.n effet, la décroissance de l’hCG au cours des deux pre-ières cures d’EMA-CO, est lente avec des demi-vies très

llongées, d’abord 35 jours, puis 7,5 jours et enfin 6,6 jours.ne remontée de l’hCG est même observée au début de

a troisième cure. À première vue, ce profil évolutif est laignature d’une résistance au traitement. En analyse ciné-ique en effet, l’allongement de la demi-vie initiale soushimiothérapie traduit une inefficacité thérapeutique glo-ale [1] et l’échappement thérapeutique correspond à uneugmentation continue de la concentration du marqueur1,2].

Mais une analyse fine de la cinétique d’évolution de’hCG observée au cours de la troisième cure de chimio-hérapie montre le caractère fugace de l’augmentation duarqueur qui est aussitôt suivie par une diminution rapide.

a cinétique au cours du troisième cycle devient alorsaractéristique d’un effet-pointe avec une augmentationu marqueur (amplitude relative 137 %) dans la premièreemaine du traitement, suivie de sa diminution à demi-vieourte (2,6 jours). Le même phénomène est observé au course la quatrième cure (amplitude relative de l’augmentationnitiale 118 %, demi-vie de la décroissance 2,8 jours), ce quionstitue une observation tardive pour un effet-pointe.

Rétrospectivement, la construction de deux graphes avecalcul des demi-vies, l’un montrant l’ensemble des résul-ats (Fig. 1), l’autre sur lequel les résultats intermédiairesont masqués (Fig. 2), montre que, si l’on ne prend pasn compte la concentration d’hCG mesurée une semaineprès l’initiation des cures 3 et 4, la demi-vie apparenteu marqueur lors de la deuxième cure (6,6 jours) est duême ordre que celle des troisième et quatrième cures

6,2 et 6,6 jours). L’allongement apparent de la demi-vie auours de la deuxième cure résulte donc très probablemente la survenue d’un effet-pointe qui n’avait pas été misn évidence par défaut de dosage hebdomadaire du mar-ueur. Pour évaluer l’efficacité du traitement, les demi-viesprendre en considération sont celles qui sont calculées

près l’effet-pointe [1], soit dans notre cas, 2,6 jours et,8 jours. Ces valeurs de demi-vies plaident plutôt en faveur’une bonne réponse au traitement [1,2]. L’effet-pointetait vraisemblablement présent lors de chaque cycle de laremière cure.

Ce cas montre que la survenue d’un effet-pointe a unmpact majeur sur la valeur de la demi-vie calculée et quee respect du calendrier de dosage est essentiel à une inter-rétation correcte de la cinétique.

iscussion

umeurs trophoblastiques gestationnelles

es tumeurs trophoblastiques gestationnelles sont des

ôle hydatiforme, et la môle partielle. Les formes malignese la maladie sont représentées par la môle invasive,umeur qui s’enchâsse dans le myomètre avec dissémination

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Effet-pointe d’hCG au cours de la chimiothérapie d’une tum

extra-utérine dans 15 % des cas et le carcinome trophoblas-tique gestationnel ou choriocarcinome, tumeur hautementmaligne, en général métastatique au moment du diagnos-tic. Une môle hydatiforme évolue en môle invasive dans15 % des cas. Ces maladies ont pour dénominateur communune hypersécrétion de l’hCG et une grande sensibilité à lachimiothérapie.

Le diagnostic est évoqué devant des symptômesgynécologiques (métrorragies, gros utérus), l’échographiemontrant l’absence de l’embryon et diverses anomalies de lacavité utérine. Le diagnostic histologique est fait sur le pro-duit d’aspiration endo-utérine. Dans un certain nombre decas, seule l’élévation persistante de l’hCG [3] après un évé-nement obstétrical ou un curetage fait le diagnostic. Il s’agitd’une des situations exceptionnelles en cancérologie où untraitement par chimiothérapie sera institué, sans preuve his-tologique, sur le seul constat d’une cinétique anormale d’unmarqueur tumoral.

Le choix du traitement initial dépend du degréd’extension de la maladie. En cas de maladie sans facteurpronostique péjoratif, une monochimiothérapie par métho-trexate est indiquée. En cas de maladie susceptible derésistance au méthotrexate, une polychimiothérapie selonle protocole EMA-CO, plus agressive et plus toxique, estindiquée d’emblée.

Le dosage de l’hCG est hebdomadaire pendant la duréede la chimiothérapie. Un rendu graphique des résultats encoordonnées semi-logarithmiques est recommandé par leCentre de référence des maladies trophoblastiques (Hôtel-Dieu, 31, quai Jules-Courmont, 69288 Lyon cedex 02 — site :http://www.mole-chorio.com). La résistance au métho-trexate se traduit par l’arrêt de la décroissance de l’hCGobservé sur une période de 15 jours ou par la remontéedes concentrations sériques du marqueur. Elle impose unchangement de traitement avec recours à une polychimio-thérapie de type EMA-CO. En cas de maladie persistante avecce protocole, une thérapeutique de rattrapage est encorepossible.

La surveillance après traitement est clinique, échogra-phique et biologique. L’hCG doit être mesurée dans le sérumchaque semaine pendant les deux mois qui suivent la rémis-sion, puis tous les 15 jours les deux mois suivants, et tous lesmois jusqu’à 12 mois en cas de tumeur de bon pronostic ou18 mois en cas de tumeur de mauvais pronostic.

La survie globale est de 90 %. Les grossesses sont possiblesaprès confirmation de la guérison.

Effet-pointe sous chimiothérapie

L’effet-pointe observé lors d’un traitement par chimiothé-rapie correspond à la libération de marqueur dans le sangsous l’effet d’une destruction tumorale importante.

Il a été caractérisé en 1982 par Vogelzang et al. [4]chez 37 patients atteints de cancer du testicule et trai-tés par chimiothérapie à base de cisplatine. Les auteursobservent un accroissement fugace de la concentration

sérique de l’alphafœtoprotéine (AFP) entre les deuxième etneuvième jours (médiane : cinquième jour) après l’initiationdu traitement et un accroissement de l’hCG vers le cin-quième jour après le début du traitement. L’importance del’accroissement varie entre 22 et 219 % (médiane : 57,5 %) de

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trophoblastique 287

a valeur initiale de l’AFP et 27 à 600 % (médiane : 181 %) dea valeur initiale de l’hCG. Dans les cancers du testicule, laréquence de survenue de l’effet-pointe est variable selones séries étudiées, de 29 à 63 % pour l’AFP [4—6] et de 25 à0 % pour l’hCG [4—7]. Il est corrélé à la présence de grosolumes tumoraux métastatiques.

Un effet-pointe a été décrit très tôt dans l’utilisation de’énolase spécifique neuronale [8,9] comme marqueur desancers pulmonaires à petites cellules. Il se manifeste trèsrécocement, dans les trois premiers jours après la chimio-hérapie.

Un effet-pointe pour l’antigène carcinoembryonnaireACE) et le CA 15-3 est décrit dans les cancers du seinétastatiques. Il concerne 20 à 30 % des patients [10,11] et

urvient dans les 15 jours environ après la mise en route dea chimiothérapie [12,13].

Depuis quelques années, le recours à la chimiothérapieans un nombre croissant de pathologies cancéreuses méta-tatiques s’accompagne de descriptions d’effet-pointe poures marqueurs concernés.

En 2003, un effet-pointe pour l’ACE est décrit poura première fois chez 15 % des patients atteints d’unancer colorectal métastatique traités par oxaliplatine5fluoro-uracile — acide folinique [14]. L’auteur propose

ne définition de l’effet-pointe basée sur une augmenta-ion de la concentration sérique du marqueur, au-delà de0 % de la valeur basale mesurée 15 jours avant le débute la chimiothérapie, suivie d’une diminution jusqu’à unaux inférieur de 20 % à la ligne de base. Ce phénomènest également décrit [15,16] chez des patients traités parhimiothérapie à base d’irinotécan. L’effet-pointe de l’ACEurvient tardivement (médiane : quatre semaines) et peute prolonger jusqu’à 11 semaines [15].

Le recours à la chimiothérapie par docétaxel est devenun standard thérapeutique dans les cancers de la prostateésistants au traitement hormonal. L’incidence d’effets-ointe de l’antigène spécifique de prostate (PSA) eststimée entre 7,3 et 20 % [16,17]. Un effet-pointe peutgalement être observé en deuxième ligne de chimiothé-apie [18]. L’augmentation du PSA peut atteindre jusqu’àuatre fois la valeur préthérapeutique et l’effet-pointeurer jusqu’à huit semaines avant que le marqueur neommence à diminuer [17,18].

Malgré la sensibilité des tumeurs trophoblastiques ges-ationnelles à la chimiothérapie et les recommandationsoncernant la fréquence des dosages de l’hCG, aucunetude ne s’était intéressée à l’effet-pointe au cours deette pathologie jusqu’à un travail récent qui en men-ionne la survenue chez 6,5 % patientes atteintes deumeurs à faible risque traitées par méthotrexate et quin étudie la valeur pronostique [4,19]. À notre connais-ance, aucun effet-pointe survenant lors de plusieursures consécutives d’un protocole EMA-CO n’a encore étéécrit.

ffet-pointe après chirurgie et sous radiothérapie

es effets-pointe ont été décrits après chirurgie, liés à laibération de marqueur au moment de la manipulation per-pératoire de la tumeur [1]. Une augmentation transitoiree l’antigène spécifique de prostate (PSA) survient chez

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0 % des patients porteurs d’un cancer de la prostate traitéar curiethérapie intersticielle [1], probablement en lienvec la prostatite radio induite. L’effet-pointe ne doit pastre confondu avec le « flare-up » (ou « flambée » de PSA),bservé lors du traitement du cancer de la prostate parnalogue de LH-RH sans adjonction d’antiandrogène. Danse cas, l’élévation de PSA est secondaire à la stimulationypophysaire transitoire.

nfluence de l’effet-pointe sur le calcul de laemi-vie initiale

a survenue de l’effet-pointe, si celui-ci n’est pas pris enompte, fausse la valeur de la demi-vie initiale sous chimio-hérapie. Dans les cancers du testicule, cet effet se traduitar une augmentation de la demi-vie apparente de l’hCG ete l’AFP entre les jours 1 et 21 du traitement [4]. En consé-uence, beaucoup d’auteurs s’intéressant à la demi-vie desarqueurs débutent les calculs au septième jour après leébut de chimiothérapie [5,20—23]. Malgré cette précau-ion, les résultats des études diffèrent quant à la valeurrédictive de la demi-vie initiale des marqueurs tumorauxur le risque de résistance au traitement et la survenue deécidive [4,5,20—23].

aleur pronostique de l’effet-pointe

’hypothèse qui prévaut est que l’effet-pointe est dû à uneyse tumorale massive sous l’effet du traitement. Quelquesuteurs se sont intéressés à sa valeur pronostique sur laéponse au traitement et la survie des patients. Les résultatsont à ce jour contradictoires.

Dans les tumeurs trophoblastiques gestationnelles,’augmentation transitoire de l’hCG en début de traitement’est pas significativement associée à la résistance biolo-ique au méthotrexate [19].

Dans les études de Vogelzang et al. [4] et de Horwich eteckham [7] sur les cancers du testicule, la survenue d’unffet-pointe dans la cinétique de l’hCG et/ou de l’AFP n’estas associée de facon significative à un échec du traitement.l’opposé, pour De Wit et al. [6], la survenue d’un effet-

ointe dans la cinétique de l’AFP et son intensité sont desacteurs prédictifs de l’échec du traitement.

La survenue d’une augmentation transitoire de NSE auours de la chimiothérapie des cancers du poumon à petitesellules a été initialement décrite comme associée à uneonne réponse au traitement [8,9], mais cette affirmation até contredite [24].

Aucun effet adverse d’un effet-pointe du PSA n’a putre mis en évidence ni sur la réponse à la chimiothéra-ie des cancers de la prostate, ni sur la survie des patientsétastatiques [17,18], alors que dans une petite série deix patients atteints de cancer colorectal métastatiqueous chimiothérapie, l’effet-pointe d’ACE est décrit commetant associé à une réponse objective à la chimiothérapie15].

Chez 122 patientes atteintes de cancer du sein sous trai-ement palliatif, Kim et al. [10] étudient les caractéristiquese l’effet-pointe du CA 15-3. La survenue est plus fréquentehez les patientes dont la concentration sérique du mar-ueur est élevée avant chimiothérapie, dont les métastases

N. Eche et al.

ont nombreuses et volumineuses et dont le statut hor-onal est HER+, ER− et PR−. La survie sans récidive estlus courte en cas d’effet-pointe qu’en cas de décroissanceontinue du marqueur après instauration de la chimiothéra-ie.

onclusion

a survenue d’un effet-pointe au cours des chimiothérapieses cancers métastatiques est un phénomène relativementréquent. Sa signification est loin d’être élucidée et sa valeurrédictive sur l’efficacité ou la résistance au traitementst très controversée. L’effet-pointe est précoce et fugaceans un certain nombre de localisations pour lesquelles lahimiothérapie est très efficace, cancers du testicule, cho-iocarcinomes utérins, cancers du poumon à petites cellules.l est plus tardif et de durée plus longue dans des localisa-ions moins sensibles aux traitements cytotoxiques, cancersu côlon, du sein, de la prostate. Il doit être connu des biolo-istes et des cliniciens afin qu’il ne soit pas interprété à tortomme une résistance au traitement. Il peut être observéu-delà du premier cycle de chimiothérapie.

onflit d’intérêt

es auteurs n’ont pas de conflit d’intérêt.

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