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Annales de pathologie (2014) 34, 400—402 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com CAS POUR DIAGNOSTIC Une cause exceptionnelle de tumeur cutanée Aurélie Beaufrère a,, Khedija Cherif a , Fabrice Chrétien b , Franc ¸ois Lamarche c , Maggy Grossin a a Service d’anatomie et cytologie pathologiques de l’hôpital Louis-Mourier, 92701 Colombes, France b Service d’histopathologie humaine de l’Institut Pasteur, 75015 Paris, France c Cabinet de pathologie, 13, rue Sainte-Catherine, 80100 Abbeville, France Accepté pour publication le 27 aoˆ ut 2014 Disponible sur Internet le 26 septembre 2014 Observation Un homme de 54 ans, guyanais, a consulté pour des lésions cutanées disséminées sur l’ensemble du corps notamment sur une oreille ressemblant à des chéloïdes et évoluant depuis plusieurs années. Ces lésions n’étaient pas douloureuses ni prurigineuses et l’état général du patient était conservé. Un prélèvement cutané d’une lésion supracentrimé- trique de l’oreille a été réalisé. L’examen histologique mettait en évidence un épiderme aminci soulevé par un derme largement occupé par des plages assez bien limitées faites de cellules d’aspect histio- cytaire avec de nombreuses cellules géantes et une densification fibreuse en faisceaux (Fig. 1). Il n’y avait pas de micro-abcès ni de polynucléaires. Les cellules multinucléées pha- gocytaient des corps ovalaires levuriformes bien limités, isolés ou disposés en chaînettes de 3 à 6 éléments formant parfois des images de petites croix, partiellement réfringents en lumière polarisée et très positifs à la coloration de Grocott avec aspects de double contours et une positivité hétérogène plus faible du PAS (Fig. 2—5). Il existait souvent un espace clair entre la paroi et le protoplasme (artéfacts de fixation) (Fig. 6). Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Beaufrère). http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2014.08.019 0242-6498/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Une cause exceptionnelle de tumeur cutanée

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Page 1: Une cause exceptionnelle de tumeur cutanée

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nnales de pathologie (2014) 34, 400—402

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

AS POUR DIAGNOSTIC

ne cause exceptionnelle de tumeurutanée

Aurélie Beaufrèrea,∗, Khedija Cherif a,Fabrice Chrétienb, Francois Lamarchec,Maggy Grossina

a Service d’anatomie et cytologie pathologiques de l’hôpital Louis-Mourier, 92701 Colombes,Franceb Service d’histopathologie humaine de l’Institut Pasteur, 75015 Paris, Francec Cabinet de pathologie, 13, rue Sainte-Catherine, 80100 Abbeville, France

Accepté pour publication le 27 aout 2014Disponible sur Internet le 26 septembre 2014

Observation

Un homme de 54 ans, guyanais, a consulté pour des lésions cutanées disséminées surl’ensemble du corps notamment sur une oreille ressemblant à des chéloïdes et évoluantdepuis plusieurs années. Ces lésions n’étaient pas douloureuses ni prurigineuses et l’étatgénéral du patient était conservé. Un prélèvement cutané d’une lésion supracentrimé-trique de l’oreille a été réalisé.

L’examen histologique mettait en évidence un épiderme aminci soulevé par un dermelargement occupé par des plages assez bien limitées faites de cellules d’aspect histio-cytaire avec de nombreuses cellules géantes et une densification fibreuse en faisceaux(Fig. 1). Il n’y avait pas de micro-abcès ni de polynucléaires. Les cellules multinucléées pha-gocytaient des corps ovalaires levuriformes bien limités, isolés ou disposés en chaînettesde 3 à 6 éléments formant parfois des images de petites croix, partiellement réfringentsen lumière polarisée et très positifs à la coloration de Grocott avec aspects de doublecontours et une positivité hétérogène plus faible du PAS (Fig. 2—5). Il existait souvent unespace clair entre la paroi et le protoplasme (artéfacts de fixation) (Fig. 6).

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (A. Beaufrère).

http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2014.08.019242-6498/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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Une cause exceptionnelle de tumeur cutanée 401

Figure 1. Nappe dermique de cellules d’aspect histiocytaire avecde nombreuses cellules géantes associées à des fibres de collagènerepoussant l’épiderme normal (HES × 10).Sheets of histiocytic cells in the dermis with numerous giant cellsdissecting collagen fibers and pushing the epidermis (HES × 10).

Figure 2. Structures ovalaires levuriformes dans le cytoplasme

Figure 4. Nombreuses levures dont certaines disposées en chaî-nettes (flèches) avec quelques aspects en double contours de laparoi (Gomori Grocott × 40).Numerous yeasts with few double contoured aspects sometimesarranged in chains (arrows) (Gomori Grocott × 40).

des macrophages (HES × 40).Oval shaped yeasts in macrophage cytoplasm (HES × 40).

Figure 3. Structures ovalaires levuriformes très positives à lacoloration de Gomori Grocott (Gomori Grocott × 20).Gomori Grocott stain revealing oval shaped yeasts (Gomori Gro-cott × 20).

Figure 5. Eléments levuriformes partiellement réfringents enlumière polarisée (HES × 100).Partially refringent yeasts on polarization microscopy (HES × 100).

Figure 6. Présence d’espaces clairs entre la paroi et les proto-plasmes (HES × 100).Retraction clearspaces between wall and protoplasms (HES × 100).

Quel est votre diagnostic ?

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evant cette dermatite granulomateuse fibrosante pseudo-umorale contenant de nombreux micro-organismes levuri-ormes avec les particularités morphologiques observées, leiagnostic de lobomycose a été posé.

iscussion

a lobomycose, aussi appelée maladie de Lobo, est uneycose très rare qui a été décrite initialement par Jorge

obo, un dermatologue, en 1931 [1—3]. Elle est essen-iellement observée en Amérique Latine (Brésil, Bolivie,olombie, Pérou, Equateur, Vénézuéla, Mexique, Panama,uyane) [1,2,4]. L’agent responsable Lacazia loboi est pré-ent dans les lésions mais n’a jamais pu être cultivé jusqu’àaintenant. Le réservoir naturel de L. loboi est inconnuais est probablement aquatique ou associé aux sols et à

a végétation, qui représentent sûrement un habitat pouret agent fongique et une probable source de transmission.a plupart des cas humains décrits dans la littérature sontn lien avec une région où l’index d’hygromètrie est impor-ant [1,2]. La lobomycose est également observée chez lesauphins [4,5]. En pathologie humaine, mineurs, pêcheurs,hasseurs ou travailleurs agricoles sont particulièrement à

isque de développer cette maladie du fait de leurs expo-itions répétées avec l’extérieur [1,6]. Plus de 550 cas, ontté répertoriés depuis sa découverte [1,2]. Elle est beau-oup plus fréquente chez l’homme que chez la femme.’histoire de la maladie commence souvent par un trauma-isme, une coupure, une piqûre d’insecte, ou encore uneorsure d’animal [1,6]. Il existe des cas de transmissions

nterhumaines et il faut suspecter des cas de transmissionsntre le dauphin et l’homme [5].

La maladie se présente comme une dermatose chroniqueormant des nodules, des plaques indurées et des lésionsumorales verruqueuses des parties découvertes : jambes,ras, tronc, visage. Ces lésions évoquent souvent des ché-oïdes. Elles peuvent être uniques ou multiples, normo, hypou hyperpigmentées et sont habituellement peu doulou-euses et peu prurigineuses [1—3,6]. Il existe des formesares avec atteinte lymphatique et ganglionnaire. L’étaténéral est conservé. La maladie a une évolution chroniquen raison d’une période d’incubation prolongée de L. loboit est lentement progressive (sur plusieurs années).

Comme L. loboi ne peut pas être cultivé, le diagnostice lobomycose est strictement histologique. Il peut êtreéalisé sur l’analyse d’exsudats cutanés obtenu par grat-age. Le champignon apparaît sous forme de levures de tailleniforme (5 à 12 microns) assez monomorphes. Les levures

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A. Beaufrère et al.

ont agencées en chaînettes de trois à six éléments reliéesntre elles par un pont étroit formant des traits d’union.es lésions histologiques cutanées associent un épidermetrophique, une réaction granulomateuse commune qui res-ecte une fine bande de derme sous épidermique et unebrose collagène dense très prédominante, inflammatoireu début, puis hyaline dans les lésions évoluées [1,7].

D’autres agents fongiques ressemblent à L. loboi micro-copiquement, comme Paracoccidioides brasiliensis, Blasto-yces dermatitidis, Histoplasma capsulatum var dubiosii etryptococcus neoformans mais aucun d’eux ne possède uneaille de 5 à 12 microns ni ne forme des chaînettes avec desléments reliés par un pont étroit, qui réalise l’aspect carac-éristique de L. loboi [3]. Il faut signaler la double positivitéu PAS et du Grocott ce qui explique leurs utilités pour bienréciser la morphologie. Les aspects en double contours dea paroi, la réfringence et les calcifications sont très évo-ateurs et ne doivent pas être confondus avec des corpstrangers.

Actuellement, il n’existe pas de traitement spécifique dea lobomycose. La thérapeutique optimale pour les lésionsocalisées est une exérèse chirurgicale avec des margesaines pour éviter les récidives. Dans les cas où les lésionsont disséminées, le traitement par itraconazole, clofa-imine ou leur combinaison peut être réalisé mais il estarement efficace [2,4].

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

éférences

1] Papadavid E, Dalamaga M, Kapniari I, Pantelidaki E, Papageor-giou S, Pappa V, et al. Lobomycosis: a case from SoutheasternEurope and review of the literature. J Dermatol Case Rep2012;3:65—9.

2] Talhari S, Talhari C. Lobomycosis. Clin Dermatol 2012;30:420—4.3] Elsayed S, Kuhn S, Barber D, Church D, Adams S, Kasper R.

Human case of lobomycosis. Emerg Infect Dis 2004;10:715—8.4] Talhari C, Nogueira L, Chrusciak-Talhari A, Rabelo R, Santos M,

Talhari S. Lobomycosis. An Bras Dermatol 2010;85:239—40.5] Reif JS, Schaefer AM, Bossart GD. Lobomycosis: risk of zoonotic

transmission from dolphins to humans. Vector Borne ZoonoticDis 2013;13:689—93.

6] Franscesconi F, Francesconi V. Images in clinical medicine. Lobo-mycosis. N Eng J Med 2011;364:e2.

7] Chandler FW, Schaefer AM, Bossart GD. Histopathology of myco-tic Diseases. Wolfe Medical Publication; 1980. p. 73—5.