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© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Gastroenterol Clin Biol 2007;31:1153-1154 1153 Une complication inhabituelle de la coloscopie : l’hémopéritoine par rupture splénique ÉPANCHEMENTS PÉRITONÉAUX LETTRE LA RDACTION n homme de 62 ans était hospitalisé en urgence pour douleurs abdominales vingt-quatre heures après une coloscopie. Ce malade n’avait pas d’antécédent particulier. Les symptô- mes ayant motivé la coloscopie étaient une diarrhée et un syndrome inflammatoire biologique. Il était pratiqué une colos- copie totale sans qu’aucune difficulté technique particulière ne soit mentionnée ; il n’était pas mis en évidence d’anomalie sous réserve d’une préparation colique insuffisante à droite. L’interrogatoire permettait d’apprendre que la douleur prédo- minait dans le flanc gauche et irradiait dans l’épaule gauche. Il n’y avait pas d’hémorragie extériorisée. L’examen initial montrait un abdomen souple, une température à 36 °C, une tension arté- rielle à 100/60 mmHg, une fréquence cardiaque à 92/mn. L’hémoglobine d’entrée était dosée à 8,7 g/dL, le TP à 60 %. Trois heures après son admission, le malade présentait un état de choc se traduisant par des marbrures, une pression artérielle systolique à 90 mmHg et une hypothermie à 35 °C. L’examen physique abdominal montrait une contracture généralisée. Le diagnostic de péritonite par perforation colique après coloscopie était suspecté. L’état hémodynamique instable ne permettait pas de réaliser d’examen complémentaire et une laparotomie en urgence était décidée. Cette laparotomie mettait en évidence un hémopéritoine de trois litres. Il était noté une plaie du bord inférieur de la rate évoquant une rupture secondaire d’hématome sous-capsulaire. Une splénectomie d’hémostase était réalisée, cinq culots globulai- res étaient transfusés en périopératoire. Les suites opératoires étaient simples. L’examen histologique de la rate ne montrait rien de particulier. Le bilan étiologique du syndrome inflammatoire aboutissait finalement au diagnostic de maladie de Horton. La rupture splénique est une complication rare mais potentiel- lement mortelle de la coloscopie. L’incidence de cette complica- tion est variable dans la littérature et est probablement sous- évaluée : elle va d’une rupture splénique pour 6 000 coloscopies [1] à aucun cas rapporté sur 30 463 examens [2]. Les antécé- dents favorisant la fixité de l’angle colique gauche (chirurgie de l’hypocondre gauche, poussée de pancréatite, maladie inflam- matoire de l’intestin) sont des facteurs de risque de survenue de cette complication [3-5]. Le franchissement à l’aveugle de l’angle gauche, les manœuvres d’étirement du côlon pour faciliter un débouclage avant le franchissement de l’angle gauche, la réali- sation d’une polypectomie peuvent aussi favoriser la survenue de cette complication [3-5]. La position en décubitus latéral gauche et les manœuvres de pression sur la paroi abdominale [3-5] sont également 2 manœuvres suspectées de diminuer la mobilité de la rate et de la rendre plus vulnérable à la traction exercée par l’intermédiaire de l’endoscope. Comme cela était le cas dans notre observation, le traumatisme splénique peut survenir même en l’absence de difficulté technique endoscopique [3, 4]. Le délai de diagnostic de cette complication varie de quelques heures à six jours après l’endoscopie [3-6]. Deux tableaux cliniques dis- tincts sont décrits : — comme dans notre observation, l’hémopéritoine aigu de survenue précoce avec contracture abdominale et choc hypovo- lémique nécessitant une splénectomie d’hémostase rapide [3-5] ; — dans l’autre cas un tableau d’anémie, sans collapsus, avec hématome sous-capsulaire de la rate sans hémopéritoine [3, 4, 6]. Dans cette dernière situation, la surveillance clinique, biolo- gique et tomodensitométrique permet d’évaluer les critères per- mettant un traitement conservateur qui sont : — la stabilité des constantes sans remplissage ; — l’absence de déglobulisation ; — la présence d’un hématome sous-capsulaire sans hémo- péritoine ni extravasation de produit de contraste à l’examen to- modensitométrique [7]. Le recours à l’embolisation de l’artère splénique trouve son indication dans une situation intermédiaire [7, 8] : stabilité hémodynamique, déglobulisation progressive et « blush » vascu- laire en tomodensitométrie. Même s’il s’agit d’un événement rare, il faut savoir penser au traumatisme splénique devant un abdomen chirurgical associé à des troubles hémodynamiques ou à une déglobulisation sans sai- gnement extériorisé dans les suites d’une coloscopie. RÉFÉRENCES 1. Jentschura D, Raute M, Winter J, Henkel T, Kraus M, Manegold BC. Complications in endoscopy of the lower gastrointestinal tract. Therapy and prognosis. Surg Endosc 1994;8:672-6. 2. Viiala CH, Zimmerman M, Cullen DJ, Hoffman NE. Complication rates of colonoscopy in an Australian teaching hospital environment. Intern Med J 2004;34:447-8. Laurent DUGUÉ (1), Anouar MAFTOUH (1), Bertrand CONDAT (1), David ZANDITENAS (1), Joëlle BONNET (1), Chanth BALIAN (1), Jean-François LORIFERNE (2), Martine BLAZQUEZ (1), Alain CHARLIER (1) (1) Département d’hépatogastroentérologie et de chirurgie viscérale ; (2) Service d’anesthésie et de réanimation, Hôpital Saint-Camille, 2, rue des pères-Camiliens, 94360 Bry-sur-Marne. U

Une complication inhabituelle de la coloscopie : l’hémopéritoine par rupture splénique

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© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Gastroenterol Clin Biol 2007;31:1153-1154

1153

Une complication inhabituelle de la coloscopie : l’hémopéritoine par rupture splénique

ÉPANCHEMENTS PÉRITONÉAUX

LETTRE À LA RÉDACTION

n homme de 62 ans était hospitalisé en urgence pour douleurs abdominales vingt-quatre heures après une coloscopie.

Ce malade n’avait pas d’antécédent particulier. Les symptô-mes ayant motivé la coloscopie étaient une diarrhée et unsyndrome inflammatoire biologique. Il était pratiqué une colos-copie totale sans qu’aucune difficulté technique particulière nesoit mentionnée ; il n’était pas mis en évidence d’anomalie sousréserve d’une préparation colique insuffisante à droite.

L’interrogatoire permettait d’apprendre que la douleur prédo-minait dans le flanc gauche et irradiait dans l’épaule gauche. Iln’y avait pas d’hémorragie extériorisée. L’examen initial montraitun abdomen souple, une température à 36 °C, une tension arté-rielle à 100/60 mmHg, une fréquence cardiaque à 92/mn.L’hémoglobine d’entrée était dosée à 8,7 g/dL, le TP à 60 %. Troisheures après son admission, le malade présentait un état de chocse traduisant par des marbrures, une pression artérielle systoliqueà 90 mmHg et une hypothermie à 35 °C. L’examen physiqueabdominal montrait une contracture généralisée. Le diagnostic depéritonite par perforation colique après coloscopie était suspecté.L’état hémodynamique instable ne permettait pas de réaliserd’examen complémentaire et une laparotomie en urgence étaitdécidée. Cette laparotomie mettait en évidence un hémopéritoinede trois litres. Il était noté une plaie du bord inférieur de la rateévoquant une rupture secondaire d’hématome sous-capsulaire.Une splénectomie d’hémostase était réalisée, cinq culots globulai-res étaient transfusés en périopératoire. Les suites opératoiresétaient simples. L’examen histologique de la rate ne montrait riende particulier. Le bilan étiologique du syndrome inflammatoireaboutissait finalement au diagnostic de maladie de Horton.

La rupture splénique est une complication rare mais potentiel-lement mortelle de la coloscopie. L’incidence de cette complica-tion est variable dans la littérature et est probablement sous-évaluée : elle va d’une rupture splénique pour 6 000 coloscopies[1] à aucun cas rapporté sur 30 463 examens [2]. Les antécé-dents favorisant la fixité de l’angle colique gauche (chirurgie del’hypocondre gauche, poussée de pancréatite, maladie inflam-matoire de l’intestin) sont des facteurs de risque de survenue decette complication [3-5]. Le franchissement à l’aveugle de l’anglegauche, les manœuvres d’étirement du côlon pour faciliter undébouclage avant le franchissement de l’angle gauche, la réali-sation d’une polypectomie peuvent aussi favoriser la survenue decette complication [3-5]. La position en décubitus latéral gaucheet les manœuvres de pression sur la paroi abdominale [3-5] sontégalement 2 manœuvres suspectées de diminuer la mobilité de larate et de la rendre plus vulnérable à la traction exercée parl’intermédiaire de l’endoscope. Comme cela était le cas dansnotre observation, le traumatisme splénique peut survenir mêmeen l’absence de difficulté technique endoscopique [3, 4]. Le délai

de diagnostic de cette complication varie de quelques heures àsix jours après l’endoscopie [3-6]. Deux tableaux cliniques dis-tincts sont décrits :

— comme dans notre observation, l’hémopéritoine aigu desurvenue précoce avec contracture abdominale et choc hypovo-lémique nécessitant une splénectomie d’hémostase rapide [3-5] ;

— dans l’autre cas un tableau d’anémie, sans collapsus,avec hématome sous-capsulaire de la rate sans hémopéritoine[3, 4, 6].

Dans cette dernière situation, la surveillance clinique, biolo-gique et tomodensitométrique permet d’évaluer les critères per-mettant un traitement conservateur qui sont :

— la stabilité des constantes sans remplissage ;— l’absence de déglobulisation ;— la présence d’un hématome sous-capsulaire sans hémo-

péritoine ni extravasation de produit de contraste à l’examen to-modensitométrique [7].

Le recours à l’embolisation de l’artère splénique trouve sonindication dans une situation intermédiaire [7, 8] : stabilitéhémodynamique, déglobulisation progressive et « blush » vascu-laire en tomodensitométrie.

Même s’il s’agit d’un événement rare, il faut savoir penser autraumatisme splénique devant un abdomen chirurgical associé àdes troubles hémodynamiques ou à une déglobulisation sans sai-gnement extériorisé dans les suites d’une coloscopie.

RÉFÉRENCES

1. Jentschura D, Raute M, Winter J, Henkel T, Kraus M, Manegold BC.Complications in endoscopy of the lower gastrointestinal tract.Therapy and prognosis. Surg Endosc 1994;8:672-6.

2. Viiala CH, Zimmerman M, Cullen DJ, Hoffman NE. Complicationrates of colonoscopy in an Australian teaching hospital environment.Intern Med J 2004;34:447-8.

Laurent DUGUÉ (1), Anouar MAFTOUH (1),Bertrand CONDAT (1), David ZANDITENAS (1),

Joëlle BONNET (1), Chanth BALIAN (1),Jean-François LORIFERNE (2), Martine BLAZQUEZ (1),

Alain CHARLIER (1)(1) Département d’hépatogastroentérologie

et de chirurgie viscérale ; (2) Service d’anesthésieet de réanimation, Hôpital Saint-Camille,

2, rue des pères-Camiliens, 94360 Bry-sur-Marne.

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L. Dugué et al.

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3. Luebke T, Baldus SE, Holscher AH, Monig SP. Splenic rupture:an unusual complication of colonoscopy: case report and review ofthe literature. Surg Laparosc Endosc Percutan Tech 2006;16:351-4.

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