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Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale 131 (2014) 185–189 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Images, questions et réponses Une paralysie faciale périphérique douloureuse L. Abramovici a , M. Akkari a,, M. Mondain a,b , A. Uziel a,b , F. Venail a,b a Service d’ORL et chirurgie cervico-faciale, hôpital Gui-de-Chauliac, université Montpellier 1, CHU, 80, avenue Augustin-Fliche, 34295 Montpellier cedex, France b Inserm U1051, institut des neurosciences de Montpellier (INM), hôpital Saint-Éloi, bâtiment INM, 80, rue Augustin-Flic, 34091 Montpellier cedex 5, France 1. Histoire clinique Un patient de 55 ans, consulte en urgence pour une paraly- sie faciale périphérique droite de stade IV dans la classification de House et Brackmann, avec douleurs hémi-crâniennes droites mal systématisées, apparue brutalement 3 semaines auparavant, et traitée comme une paralysie faciale idiopathique par corti- cothérapie : prednisolone 1 mg par kilogramme et par jour (soit 80 mg) pendant 5 jours. Il ne présente pas de signes d’atteinte cochléo-vestibulaire. On retient un antécédent de tabagisme à 80 paquets-année. L’audiométrie tonale et vocale initiale ne retrouve pas de déficience auditive, l’impédancemétrie retrouve un réflexe stapédien conservé. Devant le caractère douloureux et non régressif de la paralysie, une tomodensitométrie (TDM) du rocher est réalisée (Fig. 1A), qui retrouve une image lytique. Une DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.anorl.2013.06.006. Ne pas utiliser pour citation la référence franc ¸ aise de cet article mais celle de l’article original paru dans European Annals of Otorhinolaryngology Head and Neck Diseases en utilisant le DOI ci-dessus. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Akkari). imagerie par résonance magnétique (IRM) du rocher (Fig. 1B et 1C) est demandée pour préciser la nature de cette lésion. 2. Questions Question 1 : interprétez la Fig. 1. Question 2 : dans le cadre du bilan d’extension, une TDM cérébrale, thoracique, abdominale et pelvienne avec injection de produit de contraste (Fig. 2) est demandée. Interprétez la Fig. 2. Comment confirmez-vous le diagnostic histologique ? Question 3 : la TDM met également en évidence des lésions osseuses au niveau de la voûte crânienne. Une scintigraphie osseuse corps entier (Fig. 3) est réalisée. Interprétez la Fig. 3. Quelle est votre prise en charge thérapeutique ? 1879-7261/$ see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.aforl.2014.02.008

Une paralysie faciale périphérique douloureuse

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Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale 131 (2014) 185–189

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

mages, questions et réponses

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. Abramovici a, M. Akkaria,∗, M. Mondaina,b, A. Uziela,b, F. Venail a,b

Service d’ORL et chirurgie cervico-faciale, hôpital Gui-de-Chauliac, université Montpellier 1, CHU, 80, avenue Augustin-Fliche, 34295 Montpellier cedex,ranceInserm U1051, institut des neurosciences de Montpellier (INM), hôpital Saint-Éloi, bâtiment INM, 80, rue Augustin-Flic, 34091 Montpellier cedex 5, France

. Histoire clinique

Un patient de 55 ans, consulte en urgence pour une paraly-ie faciale périphérique droite de stade IV dans la classificatione House et Brackmann, avec douleurs hémi-crâniennes droitesal systématisées, apparue brutalement 3 semaines auparavant,

t traitée comme une paralysie faciale idiopathique par corti-othérapie : prednisolone 1 mg par kilogramme et par jour (soit0 mg) pendant 5 jours. Il ne présente pas de signes d’atteinteochléo-vestibulaire. On retient un antécédent de tabagisme

80 paquets-année. L’audiométrie tonale et vocale initiale ne

etrouve pas de déficience auditive, l’impédancemétrie retrouven réflexe stapédien conservé. Devant le caractère douloureux eton régressif de la paralysie, une tomodensitométrie (TDM) duocher est réalisée (Fig. 1A), qui retrouve une image lytique. Une

DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.anorl.2013.06.006.� Ne pas utiliser pour citation la référence franc aise de cet article mais celle de’article original paru dans European Annals of Otorhinolaryngology Head and Neckiseases en utilisant le DOI ci-dessus.∗ Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (M. Akkari).

879-7261/$ – see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.ttp://dx.doi.org/10.1016/j.aforl.2014.02.008

imagerie par résonance magnétique (IRM) du rocher (Fig. 1B et 1C)est demandée pour préciser la nature de cette lésion.

2. Questions

Question 1 : interprétez la Fig. 1.Question 2 : dans le cadre du bilan d’extension, une

TDM cérébrale, thoracique, abdominale et pelvienne avecinjection de produit de contraste (Fig. 2) est demandée.Interprétez la Fig. 2. Comment confirmez-vous le diagnostichistologique ?

Question 3 : la TDM met également en évidence des lésionsosseuses au niveau de la voûte crânienne. Une scintigraphie osseusecorps entier (Fig. 3) est réalisée. Interprétez la Fig. 3. Quelle est votreprise en charge thérapeutique ?

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Fig. 1. TDM du rocher droit en coupes axiales (A), IRM cérébrale en coupe axiale, passant par les rochers, en séquence T1 sans injection de gadolinium (B), IRM cérébrale encoupe axiale, passant par les rochers, en séquence T1 avec injection de gadolinium (C).

Fig. 2. TDM thoracique en coupes axiales avec injection d

e produit de contraste en fenêtre parenchymateuse.
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L. Abramovici et al. / Annales françaises d’oto-rhino-laryngolog

Fig. 3. Scintigraphie osseuse au Technetium 99 corps entier.

Quel est votre diagnostic ?

ie et de pathologie cervico-faciale 131 (2014) 185–189 187

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. Réponses

Réponse 1 : la Fig. 1A est une TDM du rocher droit, enoupe axiale sans injection de produit de contraste. Elle montrene atteinte des cellules mastoïdiennes par une lésion lytiqueflèche), avec un aspect émietté de la table interne de l’os tempo-al. La lésion, qui vient au contact du sinus sigmoïde à hauteur duoramen jugulaire, est responsable d’un élargissement de celui-ci,t atteint la portion mastoïdienne du nerf facial.

La Fig. 1B est une IRM crânio-encéphalique en coupe axiale, pas-ant par les rochers, en séquence T1 sans injection de gadolinium.lle montre une lésion du rocher droit (flèche), en iso-signal T1,issulaire.

La Fig. 1C est une IRM cérébrale en coupe axiale, passant pares rochers, en séquence T1 saturation de graisse avec injection deadolinium. La lésion (flèche) est mesurée à 16,23 × 26,29 mm. Ilxiste un rehaussement hétérogène, et un centre nécrotique ne seehaussant pas. On note une compression du sinus sigmoïde droit.

Au total, plusieurs diagnostics sont évoqués devant ces images,ont les 2 principaux sont une métastase osseuse intrapétreuse, etne tumeur du sac endolymphatique. Un bilan d’extension completst donc nécessaire avant de proposer une biopsie chirurgicale.

Réponse 2 : la Fig. 2 est une TDM thoracique, en coupe axiale,vec injection de produit de contraste, en fenêtre parenchyma-euse. Elle montre une lésion ramifiée et spiculée tissulaire duegment apical du lobe supérieur droit (flèche), évoquant un pro-essus tumoral vraisemblablement primitif.

Le diagnostic évoqué est celui d’une métastase osseuse intra-étreuse droite issue d’une lésion tumorale pulmonaire primitiveroite. Le bilan doit être complété par un examen anatomopatho-

ogique.Une biopsie de la lésion pétreuse par voie transmastoïdienne

st envisagée mais comporte un risque de plaie du sinus sig-oïde, de brèche méningée, et d’aggravation de la paralysie faciale

ar hématome intratumoral compressif ou lésion directe. Aprèsiscussion pluridisciplinaire avec l’équipe neurochirurgicale etneumologique, il est décidé une ponction biopsie de la lésion pri-itive pulmonaire guidée par TDM, comportant moins de risques.

’analyse histologique retrouve un adénocarcinome acineux detade IV.

Réponse 3 : la Fig. 3 est une scintigraphie corps entier au Tech-etium 99, qui montre de multiples foyers hyperfixants en faveure lésions osseuses secondaires de la voûte crânienne, du rocherroit, de l’aile iliaque droite, du sacrum et des tibias.

Il s’agit d’un adénocarcinome pulmonaire classé T2N2M1, avecétastases osseuses multiples. Une discussion en réunion de

oncertation pluridisciplinaire oncologique décide d’une prise enharge palliative constituée :

de 3 cycles d’une chimiothérapie par cisplatine et pémétrexed(Alimta®) ;d’une radiothérapie à visée antalgique sur le rocher droit.

Une TDM de réévaluation en cours de traitement retrouve unevolution dissociée avec diminution en taille de la lésion pulmo-aire mais une nette majoration en taille des lésions osseuses.

Une chimiothérapie de deuxième ligne par 3 cures de Taxotère®

st initiée ; le patient décède au cours de sa troisième cure, 6 moisprès l’apparition de sa paralysie faciale.

. Commentaires

La paralysie faciale idiopathique est un diagnostic souvent évo-ué dans les paralysies faciales de l’adulte, cependant il doit restern diagnostic d’élimination. Le caractère douloureux et persistant

ie et de pathologie cervico-faciale 131 (2014) 185–189

d’une paralysie faciale doit faire remettre en cause ce diagnostic etconduire à la réalisation d’une imagerie du rocher afin d’éliminerune cause tumorale. La physiopathologie des douleurs est com-plexe : on peut incriminer, d’une part, une atteinte nerveuse, parenvahissement ou compression du contingent sensitif du nerf facialà destinée de la zone de Ramsey Hunt, ou du nerf trijumeau en cas delésion volumineuse. D’autre part, l’atteinte osseuse elle-même peutêtre responsable, par libération de médiateurs de l’inflammationpar les cellules métastatiques.

Au niveau de l’os pétreux, les tumeurs potentiellement respon-sables de paralysie faciale sont le cholestéatome, le paragangliome,l’histiocytose de Langerhans, le lymphome, le sarcome, le myé-lome multiple chez le sujet âgé, la tumeur du sac endolymphatiqueet les métastases de tumeurs malignes solides [1]. Dans ce cas, lalocalisation de la lésion, son caractère lytique en TDM, hétérogèneen IRM avec rehaussement après injection pouvaient faire évo-quer une tumeur maligne du sac endolymphatique, avec métastasepulmonaire. Cependant, la symptomatologie comprend habituel-lement des signes cochléo-vestibulaires ; de plus, bien que des casd’adénocarcinomes soient décrits, ils sont d’architecture papillaire,et non pas acineux ; enfin il n’existe qu’un seul cas de métastase àdistance décrit dans la littérature [2].

Les tumeurs malignes solides les plus susceptibles de métasta-ser dans cette région sont les adénocarcinomes mammaires, suivispar les cancers du poumon selon Gloria-Cruz et al. [3]. Les adéno-carcinomes sont les types histologiques de cancer pulmonaire lesplus souvent retrouvés en cas de métastase pétreuse. Les autrestypes histologiques rapportés dans la littérature sont le carcinomeindifférencié, et le carcinome neuro-endocrine à petite cellules [4].

L’apex pétreux est la zone du rocher la plus souvent concernéepar les processus métastatiques. L’envahissement osseux débutepar voie hématogène au niveau de la moelle osseuse de l’apexpétreux [3], la diffusion des cellules tumorales se faisant ensuitepar contiguïté vers la mastoïde. L’atteinte isolée de la mastoïde,que nous avons constatée chez notre patient, est rare, représentantseulement 1,3 % des lésions métastatiques du rocher dans la sériede Gloria-Cruz et al. [3].

L’expression clinique d’une métastase intrapétreuse est poly-morphe. L’hypoacousie semble être le signe le plus fréquent[3]. Vient ensuite la paralysie faciale périphérique, qui est rare-ment isolée, comme c’était le cas chez notre patient. Bakhoset al. [1] rapportent chez 2 patients les symptômes suivants :hypoacousie, acouphènes, céphalées, dysphonie, et tuméfactionrétro-auriculaire. Les autres signes révélateurs également retrou-vés dans la littérature sont les vertiges, l’otalgie, l’otorrhée, et latuméfaction du conduit auditif externe [3].

L’atteinte tumorale du nerf facial, par compression, inflamma-tion ou envahissement, peut avoir lieu sur l’ensemble de son trajet :dans le tronc cérébral, dans le conduit auditif interne, dans sontrajet intrapétreux labyrinthique, tympanique ou mastoïdien, à sasortie du foramen stylo-mastoïdien [4]. L’envahissement du canalfacial n’est pas synonyme de paralysie faciale périphérique ; sur14 patients présentant un envahissement du canal facial, Gloria-Cruz et al. [3] ne retrouvent que 6 paralysies faciales périphériques(42,8 %).

Une lésion lytique retrouvée sur une TDM du rocher doit fairesuspecter une lésion secondaire, et conduire à la réalisation d’uneIRM avec des séquences T1, T2 et T1 avec injection de Gadolinium,afin de définir au mieux la nature de la lésion, ses limites et recher-cher des complications endocrâniennes et méningées. Dans le casde manifestations cliniques précoces sur des tumeurs peu évoluées,l’absence d’érosion osseuse sur la TDM et l’IRM peut mener à des

erreurs diagnostiques [3].

Un diagnostic histologique est indispensable pour envisagerla prise en charge thérapeutique. Cependant, dans l’hypothèse

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[4] Teschner M, Durisin M, Mangold A, et al. Peripheral facial palsy as the

L. Abramovici et al. / Annales françaises d’oto-rhino-lary

’une lésion secondaire, toute biopsie doit être précédée d’un bilan’extension complet. Une lésion de l’apex pétreux est plus diffi-ilement accessible chirurgicalement qu’une lésion mastoïdienne ;ans le cas de notre patient, étant donné la localisation, une biopsiear voie transmastoïdienne a été envisagée, mais n’a pas été réa-

isée puisque le bilan d’extension a révélé la lésion primitive, plusacile d’accès [1].

L’examen de référence pour l’évaluation de métastases osseuseseste à ce jour la scintigraphie osseuse au Technetium 99. On luieproche cependant sa faible spécificité, puisque cet examen reflète’existence d’une activité ostéoblastique, qu’elle soit d’étiologie

aligne ou bénigne. Par ailleurs, en cas de lésion maligne, cettectivité peut persister même après une bonne réponse thérapeu-ique, ce qui fait de la scintigraphie un examen inadéquat pour’évaluation de la réponse au traitement. L’intérêt de la tomogra-hie par émission de positrons couplée à la TDM (TEP-TDM) dans

a détection des lésions osseuses secondaires est actuellement trèstudié [5], et semble être dépendant de l’histologie de la lésion pri-itive. Dans les cancers bronchopulmonaires, les performances des

examens sont comparables, avec une plus grande facilité de loca-isation des lésions sur le squelette pour la scintigraphie, et une

eilleure spécificité en cas de doute pour la TEP-TDM, ce qui n’étaitas le cas pour notre patient. Les autres avantages de la TEP-TDMont une meilleure qualité d’image, et la possibilité de détecter’autres lésions métastatiques non osseuses.

[

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Une métastase intrapétreuse d’une tumeur solide témoigne deson stade avancé [1]. En cas de tumeur primitive et de métastaseunique opérables, une chirurgie des 2 sites à visée curative est pos-sible. Le traitement est souvent en pratique palliatif et repose surl’association d’une chimiothérapie à base de sels de platine et d’uneradiothérapie centrée sur les lésions métastatiques [1,4].

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-tion avec cet article.

Références

1] Bakhos D, Chenebaux M, Lescanne E, et al. Two cases of temporal bone metas-tases as presenting sign of lung cancer. Eur Ann Otorhinolaryngol Head Neck Dis2012;129:54–7.

2] Bambakidis NC, Rodrigue T, Megerian CA, et al. Endolymphatic sac tumor metas-tatic to the spine. Case report. J Neurosurg Spine 2005;3:68–70.

3] Gloria-Cruz TI, Schachern PA, Paparella MM, et al. Metastases to temporal bonesfrom primary nonsystemic malignant neoplasms. Arch Otolaryngol Head NeckSurg 2000;126:209–14.

first symptom of a metastatic bronchogenic carcinoma. Laryngorhinootologie2006;85:512–6.

5] Fogelman I, Cook G, Israel O, et al. Positron emission tomography and bonemetastases. Semin Nucl Med 2005;35:135–42.